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Diabolique duo du mépris et de la méprise

Citoyen lecteur, ne m’en veux pas ! Je ne voulais plus m’exprimer et donner mon avis piètre sur des sujets d’envergure. Mais l’actualité de ces dernières semaines m’a convaincu que je devais encore tremper ma plume dans l’encrier informatique d’un ordinateur auquel, par souci de respect et d’ouverture, j’ai appris à parler dans son langage. Je ne m’abaisserai pas à me reproduire ici, j’aurais assez peur que vous ne me preniez pour un de ces pédants dont on aime se moquer ou, au contraire, pour un de ces gougnafiers incultes dont France-Inter se moque quasi quotidiennement dans une émission diffusée l’après-midi et dont l’une des animatrices s’est distinguée en montrant un irrespect total pour une pseudo candidature d’un pseudo politique qui n’est pas encore politique mais qui dit des choses qui plaisent. 

Marni

Or donc, plutôt que d’écouter la radio, et d’y entendre des imitations pourries de l’accent belge (qui n’existe pas), des moqueries sur les électeurs de droite (qui proviennent d’un prisme kaléidoscopique d’opinions), des regards de haut en bas sur les Asiatiques, les pauvres, les Gilets jaunes, les Africains, les élites, les nantis, les puissants, je me suis mis à lire des journaux. Caramba ! On m’y parlait de manifestations d’aide-soignants (qu’on déconsidère bien souvent, sauf quand on veut les applaudir de son balcon), de protestations contre la paupérisation d’une partie de la population (dont, la plupart du temps, les médias ne parlent pas, ou alors dans un entrefilet), de soulèvements populaires de parties des habitants contre des mesures discriminatoires. Et, entre deux récits enflammés de protestations vues sous un angle rarement journalistique, je tombe sur l’interview de Cécile de France (méprisée au départ parce que Belge dans la belle ville de Paris), l’entretien avec Pierre Rosanvallon, sociologue, qui déclare que « le mépris est devenu systémique dans nos sociétés », ce qui indique que cette tendance est devenue non plus épidermique et locale, mais globale et plus fréquente qu’on ne le croit, mais encore l’entretien avec l’un des directeurs de la rédaction du Point, Sébastien Le Fol, qui publiait voici quelque temps — parce que lui-même avait été concerné, mais pas que — « Reste à ta place ! » où l’on apprend que (snif) Nicolas Sarkozy (re-snif) a lui aussi été victime d’une injustice de classe, d’une discrimination due à ses origines, en bref : à du mépris. On objectera qu’il est facile (mais j’ose) de regarder un homme comme l’ancien Président de la République de haut en bas, en le dévisageant (d’autant plus facilement que cela se faisait quand il était jeune, donc peut-être encore plus majestueux malgré sa taille, disons, assez petite). Néanmoins, cela m’a ouvert les yeux sur ce mot entendu de plus en plus, au fil des articles, des livres et des événements. 

On ne sera pas étonné de savoir que ce mépris vient du verbe prendre. Littéralement, on « prend mal », c’est-à-dire qu’on donne une valeur, une prise en considération, moindre qu’à d’autres. Le mot « mépris » arrive dans un sens commercial à donner un prix inférieur à celui que la chose, ou le bien vaut… Foutus capitalistes ! Encore une question d’argent et de prix. Pourtant, telle est la vérité sinistre : mépriser quelqu’un, c’est lui accorder un prix inférieur (ou différent, mais rarement dans un sens positif) à une autre personne, à un bien ou à une classe sociale à celui qu’il mérite vraiment. Par essence, le mépris est donc consubstantiel aux sociétés organisées en classes sociales : on me souffle dans l’oreillette que, pour une fois, ce n’est pas une affection occidentalo-européenne, mais qu’elle se retrouve aussi dans des peuples des autres parties du monde. Enfin, voilà un point négatif qu’on retrouve partout. Le mépris, pour le dire autrement, est un processus presque aussi normal que le stéréotype ou le préjugé. Le mépris doit être réévalué par la suite et mener à l’équilibre. Cela s’appelle la théorie (vous savez, ce machin merveilleux qui n’est quasiment jamais suivi de la mise en pratique). Ce qui est problématique, c’est quand cette disposition, théoriquement très provisoire et uniquement sur un registre commercial, devient permanente, entretenue, et surtout placée sur un plan moral. On rappellera que le terme « barbare », qui désigne initialement et uniquement les personnes qui ne parlaient pas la langue grecque et qu’on ne comprenait pas, a fini par devenir le synonyme de « étrange, non civilisé ». Drôle de glissement de sens, savamment nourri par les élites ou les dirigeants — allô, Macron, Trump et même De Croo avec sa fameuse trouvaille de l’« épidémie de non vaccinés » ? Ce mépris, volontaire, entretenu, prolongé, ne comporte aujourd’hui que des connotations négatives et toxiques pour une société qui se veut démocratique, dans laquelle chacun et chacune devrait pouvoir s’exprimer sans se faire rabrouer par quelqu’un qui s’estimerait supérieur. Mais ça, c’est encore la théorie et ça ne nous porte pas très haut. Mépris tellement installé qu’il a donné un verbe, « mépriser ». Le mépris donne le la et une tonalité bien fragmentée à la société — même si celle-ci n’est pas à la base une société de classes. C’est que le mépris est une notion qui se diffuse aussi vite que la mondialisation et la mauvaise communication qui transmettent des informations et des pseudo descriptions en tous sens. Kairos en fut, d’ailleurs, souvent victime. 

Quant à moi, je privilégierais le terme de méprise. D’abord, cette méprise vient d’un verbe, « méprendre », souvent utilisé sous sa forme pronominale « se méprendre », c’est-à-dire « se tromper ». Au théâtre, le mot utilisé est « quiproquo ». On prend quelqu’un pour quelqu’un d’autre mais (à la base et en théorie) on ne le fait pas (ou jamais ?) exprès. Surtout, cette méprise peut toujours s’arranger, se modifier, au contact de l’autre et de sa réaction. On est loin de ce mépris qui s’installe, s’insinue même dans notre langage, dans nos attitudes, dans notre comportement avec les autres : si le mépris est un processus mental souvent profond, la méprise est une erreur qui ne porte pas à des conséquences définitives (et offre l’avantage de pouvoir constituer la matière d’une bonne histoire à Noël entre deux bonnes vieilles histoires du grandoncle). Naturellement, mon opinion n’engage que moi, mais il peut sembler pertinent de privilégier la lutte pour à la lutte contre ; la méprise qu’on peut rectifier par modestie au mépris qu’on ne tient pas à rectifier par conscience excessive de sa propre valeur. 

Je proposerais donc de changer le fameux adage latin « Errare humanum est, perseverare diabolicum » (Se tromper est humain, mais persister dans cette voie est digne du diable) par « La méprise est humaine, le mépris ne mène qu’à la division ». Un vrai bol d’eau fraîche dans cette actualité brûlante de mépris et de colères[note]… 

Jean-Guy Divers 

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De quelle forme (anti)politique le covidisme est-il le nom ?

Pour ouvrir la présente contribution, je me demanderai : de quelle forme (anti)politique le covidisme est-il le nom ? (Le covidisme est la manière dont les gouvernements traitent l’épidémie.) 

C’est dans cette perspective que Kairos a interrogé trois témoins particuliers – particuliers parce qu’ils sont originaires de l’ancienne RDA, de la Roumanie de Ceausescu et du Chili de Pinochet. Il s’agissait de savoir s’ils voyaient quelque ressemblance entre leur pays d’origine et l’Occident covidiste. 

Kairos me demande une contextualisation philosophique des trois témoignages. Disons d’emblée que les propos de Maria, de Anke et de Jorge sont très révélateurs, et il est exclu pour moi de proposer une contextualisation « par en haut » : je la vois plutôt comme un éclairage « de côté », comme une proposition d’interprétation qui peut être discutée et enrichie. Cette proposition se présente sous la forme d’un petit lexique (dont les entrées viennent directement ou indirectement des trois témoins). 

QUESTIONNER, RÉFLÉCHIR : les gens, disent Maria et Anke, ne réfléchissent plus, ne s’interrogent plus, ne questionnent plus les décisions des gouvernants. Certes des manifestations ont lieu (contre l’imposition autoritaire du masque et/ou de la vaccination), mais globalement la population se comporte en effet comme si elle avait renoncé à s’interroger sur le fond des choses (origines du covid, traitement liberticide). Je souligne le « comme si » pour faire preuve de prudence. Quelques mois avant l’essor du mouvement de mai 1968, un ministre déclarait : « La France est calme. » Prudence, donc. Mais il est vrai que pour l’instant l’« esprit de libre examen » (Durkheim) ne semble pas souffler fort sur nos concitoyens. Il ne faut pas trop s’en étonner : nous subissons depuis longtemps deux matraquages, celui du biopouvoir étatique et celui du psychopouvoir des multinationales, double matraquage auquel il est difficile de résister dans l’encellulement individualiste de tous les jours. → Biopouvoir et psychopouvoir. 

Disons de façon minimale : s’il est une forme socio-politique organisée autour du questionnement collectif ritualisé, donc autour du débat décisionnaire (qui n’est ni une décision sans débat, ni un débat décoratif sans décision), c’est bien la démocratie. De ce point de vue il est de plus en plus difficile d’affirmer que les pays occidentaux sont des démocraties → Démocratie ? 

DÉMOCRATIE ? Maria parle de « démocratie autoritaire » (on connaît la série presque infinie des synonymes : « démocrature », « démocratie illibérale », etc.). J’aurais tendance à éviter tous ces termes ou locutions qui égarent la réflexion. On peut commencer par essayer de comprendre pourquoi les utilisateurs de ces expressions maintiennent le mot de démocratie : sauf erreur, ils disent par ce mot qu’il reste encore en Europe un peu de tolérance. En Hongrie ou en France, vous pouvez critiquer le gouvernement sans qu’on vous interne dans un camp. Le problème c’est que la tolérance en soi est loin de suffire à caractériser une démocratie. Exemple : en URSS, après le XXe congrès du Parti (1956), s’installe une période de tolérance (dite « dégel ») : les gens se mettent à parler, on publie une bonne part des écrivains et des poètes interdits auparavant. Est-ce que cela suffit à faire de l’URSS de 1960 une démocratie ? Non, évidemment : le Parti, détenteur de la science marxiste de l’histoire, garde la haute main sur le pouvoir. 

Il est probable que la tradition libérale (au moins depuis Constant et Tocqueville) ait largement contribué à essentialiser ou naturaliser la démocratie. L’axiome serait celui-ci : dès lors que l’Occident est un tant soit peu tolérant et superficiellement pluraliste, il est démocratique. Quoi qu’il arrive, son essence ou sa nature est immuablement démocratique. Le gouvernement français a beau bafouer le « Non » prononcé par les électeurs au référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen, l’essence de la France reste « démocratique ». Comme cette essence paraît indestructible, nous sommes souvent tentés de la respecter : va donc pour la « démocratie ». Mais comme on sent bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas, on ajoute un adjectif. C’est ainsi que la « démocratie » devient « autoritaire » ou « dictatoriale ». Ce procédé est dangereux : il entretient la confusion et incite un certain nombre de personnes à se dire que « si c’est ça la démocratie » (l’explosion des inégalités, la destruction de la nature, le mépris des puissants envers les populations), autant avoir une « bonne dictature ». 

La tâche actuelle des vrais démocrates est de dire clairement que l’Occident depuis deux siècles n’est pas démocratique : on peut dire qu’il est vaguement libéral ou tolérant ou pluraliste. Mais en rigueur de termes, il n’est pas démocratique. Plus le temps passe, plus le « bricolage historique » nommé démocratie libérale se défait au profit de tendances anti-démocratiques (je parle de « bricolage » parce que de fait les mouvements sociaux divers ont contribué à façonner et à humaniser un « régime » dont Dickens et Zola ont montré combien il était peu humain et peu démocratique). Les tendances anti-démocratiques sont particulièrement flagrantes en notre époque ultra-libérale, mais sachons qu’elles étaient présentes dès l’origine sous la forme de l’État souverain, de ses états d’exception et de ses états d’urgence. Que les oligarques de la triade État-économie-technoscience aient la bouche pleine de la « démocratie », que des penseurs imprécis répètent le mot après eux, c’est une affaire entendue. Mais ce n’est pas une raison pour nous joindre au chœur de la novlangue. À ma connaissance, un seul philosophe — Cornelius Castoriadis — a eu la précision honnête de caractériser notre type de société non comme une démocratie, mais comme une « oligarchie libérale ». Et si l’on peut rendre synonymes les adjectifs « libéral » et « tolérant », on conviendra aisément qu’à l’âge ultralibéral les oligarchies occidentales (mondiales ?) sont de moins en moins tolérantes. Le moment covid en est la dernière preuve en date. 

Une démocratie entendue en un sens minimal implique que les citoyens, dans les municipalités où ils vivent, s’assemblent régulièrement au sein d’instances civiques ou politiques (assemblées, comités, conseils) pour délibérer des affaires de la cité : pas de démocratie sans une présence rituelle active du demos au niveau le plus élémentaire : le quartier, la municipalité. Que tous les citoyens ne participent pas à ces assemblées n’est pas un problème : l’expérience historique montre qu’environ un tiers de citoyens actifs (éventuellement en rotation) suffit à faire vivre la démocratie, à assurer une présence. J’insiste sur ce dernier mot : car sans la présence (première) il n’y a pas de représentation (seconde). Autrement dit, sans la présence première, la « représentation » vire à l’usurpation, voire au coup d’État permanent. Seule la présence fait de la représentation une délégation vivante qui agit sur mandat des citoyens, à rebours des groupes parlementaires usurpateurs qui abusent du « chèque en blanc » que les électeurs leur remettent tous les cinq ans. 

On sait qu’Aristote puis, deux millénaires plus tard, Montesquieu et Rousseau ont fait de l’élection le signe de l’aristocratie (la démocratie se caractérisant selon eux par le tirage au sort). Admettons qu’à l’échelle de nos sociétés grandes et vastes l’élection puisse devenir l’une des marques de la démocratie ; il est alors impératif qu’elle soit placée sous le signe du mandat précis que la présence première du demos donne à la représentation seconde des délégués. Les libéraux opposent souvent la démocratie directe (censément dangereuse car le peuple est réputé déraisonnable) à la démocratie représentative ou indirecte (censément bénéfique car les représentants sont censément sages). Le désastre écologique et sanitaire en cours montre en réalité le peu de sagesse des représentants depuis au moins un siècle. Pour cette raison, certains pensent qu’il faut en finir avec la représentation. Pour ma part, je n’oppose pas présence directe et représentation indirecte. La violence peut venir de partout : d’en bas et d’en haut. C’est pourquoi je pense que les deux — la présence et la représentation — peuvent chacune endiguer les violences de l’autre : chacune peut être le contre-pouvoir de l’autre. Encore faut-il, je le répète, qu’il y ait une présence du demos et que celui-ci ne donne pas de chèques en blanc à ses délégués. 

Sans ces deux conditions apparaissent les deux fléaux notés par Maria : 1/ la distance se creuse entre l’oligarchie et la population, et donc la défiance s’installe, 2/ l’oligarchie ne peut plus imposer son pouvoir que par la violence policière (contre les Gilets jaunes), par la contrainte (confinement et pass sanitaire), et par la violence de la propagande, qui, dit justement Maria, « perturbe l’environnement émotionnel des gens ». J’ajouterai que cette perturbation émotionnelle paralyse la faculté de penser et d’agir. D’où l’obéissance résignée. Non qu’une société puisse se passer de l’obéissance, mais elle ne peut pas tenir longtemps debout si les gens ont le sentiment qu’ils obéissent à des oligarques pervers et malveillants, dignes plus de méfiance que de confiance. 

Récapitulons provisoirement : nous vivons aujourd’hui non pas en démocratie, mais en oligarchie tolérante. Précision historique : depuis l’effondrement de l’URSS, l’oligarchie est de moins en moins tolérante. 

QUELLE OLIGARCHIE ? Ici le témoignage de Jorge est décisif : « En 2021, dit-il, il est compliqué (…) de catégoriser le régime politique actuel de la Belgique et d’autres pays d’Europe. Si on parle de dictature, les gens pensent immédiatement aux mots fusils, enlèvements, torture, etc. Le terme totalitarisme convient mieux, à mon sens. Un totalitarisme n’est pas obligatoirement sanglant, d’autant plus que les moyens de communication et de surveillance de masse actuels sont bien plus performants que la violence physique ». 

Je crois que Jorge a raison : les oligarchies contemporaines sont totalitaires — ne serait-ce qu’au sens où notre vie psychosociale est totalement colonisée par des forces objectives (l’État, le capital, la technoscience) qui nous transforment en objet. Il n’y a pas une parcelle de notre vie qui échappe à ces trois forces alliées ou séparées. Dès que vous faites un pas dehors, l’État est partout (il vous surveille avec des millions de caméras fournies par le capital et par la technoscience). Quand vous vous croyez à l’abri dans votre intimité privée (y compris dans votre lit), l’État entre chez vous par l’intermédiaire du capital et de la technoscience : la 4G, la 5G, le compteur électrique Linky, votre téléphone portable, votre ordinateur connecté, la télévision avec son flot ininterrompu de propagande et de vulgarité médiatiques, gouvernementales, économiques, publicitaires. 

Le témoignage de Jorge est en fait étonnamment proche de l’analyse proposée en 1964 par Marcuse : « De la manière dont elle a organisé sa base technologique, la société industrielle contemporaine tend au totalitarisme. Le totalitarisme n’est pas seulement une uniformisation politique terroriste, c’est aussi une uniformisation économico-technique non terroriste qui fonctionne en manipulant les besoins au nom d’un faux intérêt général. » 

On pourrait encore affiner l’analyse à la lumière du covidisme. Pour formater-anesthésier la population, un totalitarisme dur (fascisme, bolchevisme, nazisme, maoïsme) a besoin de la terreur. Pour enrégimenter-anesthésier la population, un totalitarisme souple (une oligarchie totalitaire tolérante) a besoin de l’addiction techno-consumériste, soutenue par la propagande publicitaire ; et quand les contradictions de ce productivisme-consumérisme provoquent des déséquilibres sociaux et naturels (pandémies, révoltes, dérèglements écologiques, migrations), il a besoin de la peur (degré immédiatement inférieur à la terreur) pour répandre la léthargie. Les médias privés et étatiques, sans avoir besoin de se concerter, diffusent une telle propagande de peur que les populations se sentent incitées à garder la niche et le silence. Dans ce constat, point de complotisme, point de fonctionnalisme du pire : en général, les oligarques de l’État, du capital, de la technoscience ou des médias ne cherchent pas à nuire. Discipliner les populations fait sans doute bien l’objet d’une stratégie (depuis les travaux de la Trilatérale dans les années 1970), mais l’oligarchie discipline le peuple pour son « bien », non pour lui nuire. En revanche, dès que la stratégie se met en place, elle échappe aux stratèges dans le mouvement même de son expansion. Sans même s’en rendre compte, les stratèges se mettent alors à « obéir librement » à la machine sans esprit, au canard qui court sans tête. Ce qui signifie que tout choc apparemment fortuit (ouragan, épidémie), mais en réalité provoqué par la machine, produit un effet d’aubaine : il permet de renforcer la tendance totalitaire à la phobologie (phobos : la peur). Maria voit bien cela quand elle dit que les gouvernements utilisent « la santé publique comme prétexte pour imposer la nouvelle réglementation ». Anke le voit tout autant lorsqu’elle constate qu’« on a créé la peur » et que l’ordre des médecins a obstinément traqué toute dissidence thérapeutique. Jorge généralise le constat en indiquant que le même mécanisme archaïque du bouc émissaire a joué sous Pinochet et pendant la pandémie. 

En somme, la propagande de la peur n’a plus besoin d’orchestration : elle s’alimente elle-même. Quand Macron covidiste cherche à faire peur aux Français (« Nous sommes en guerre »), il est déjà victime lui-même de la propagande phobologique, de la peur systémique, qui ne fait que ricocher sur lui. Le libéral-totalitarisme ne peut pas se passer de l’automatisation de la peur, de la machine à tétaniser : peur des déferlements étrangers (xénophobie), peur du dérèglement climatique (éco-anxiété), peur de la maladie (pathophobie). 

Je serais tenté ici de formuler l’hypothèse suivante : sur la trajectoire longue de l’histoire de l’Occident industriel, les totalitarismes durs du XXe siècle furent des accidents. Cela signifie que le cours « normal » de notre trajectoire historique est celui qui fait advenir la forme (dis)sociale que nous connaissons aujourd’hui : l’oligarchie totalitaire souple et mondialisée. Cette hypothèse rejoint celle que le sociologue Matthieu Amiech propose dans un article récent : « Les couches dirigeantes […] profitent d’un problème sanitaire […] pour promouvoir une nouvelle organisation sociale. Le trait essentiel de cette société en gestation est la sur-intégration des individus, obtenue par la peur et la connexion permanente aux réseaux informatiques. Les dirigeants escomptent que la soumission des populations […] soit ainsi mieux assurée, en vue notamment des prochains épisodes de panique que vont provoquer les conséquences du réchauffement climatique.[note] » 

BIOPOUVOIR ET PSYCHOPOUVOIR. On le sait : le premier mot vient de Foucault, et le second de Bernard Stiegler. En réalité, on peut s’accorder avec Bernard Legros, essayiste et collaborateur à Kairos : il y a aujourd’hui un psycho-biopouvoir. Ce concept est-il contradictoire (esprit d’un côté, corps de l’autre) ? S’il n’est pas contradictoire, quel est son intérêt ? 

Dans le phénomène du biopouvoir, il y a un aspect dont Foucault ne traite pas mais que Walter Benjamin a bien perçu avant lui — à savoir que les oligarchies réduisent la vie psychosociale à la sous-vie ou à la survie biologique (la « vie nue » selon Benjamin). Le problème, pour les oligarchies, est que même lorsqu’on réduit l’humain à sa santé biologique (et à son pouvoir de produire-consommer), il y encore une force — l’esprit — qui dépasse ou qui déborde du corps. Oui, l’esprit « fuit » (comme un robinet) — il fuit parce qu’il vient d’un trou sans fond qui s’appelle l’imagination (celle que Kant disait « transcendantale », Fichte « productrice », et Castoriadis « instituante »). En d’autres termes, l’esprit est la force qui vient de l’abîme de l’imagination et qui va vers une œuvre d’imagination. Pour l’oligarchie totalitaire, la question est donc la suivante : que faire de cet esprit, sachant qu’à tout moment il peut dresser le corps contre le biopouvoir ? Réponse (qu’on peut ajouter à l’analyse de Stiegler) : il faut neutraliser l’esprit, c’est-à-dire l’empêcher de fuir du corps biologique, le rabattre sur lui, il faut couper l’esprit de l’imagination d’où il vient et vers laquelle il va spontanément. Il faut fabriquer un esprit sans imagination (doté seulement d’une imagination industrielle qui n’imagine pas d’en finir avec la société industrielle). 

Pourquoi l’esprit imaginant fuit-il du corps ? Parce que l’imagination est psychosociale et que le psychosocial n’est pas seulement dans le corps : c’est une énergie commune qui, comme la langue, traverse les corps en y suscitant la psyché (l’esprit), c’est-à-dire la faculté de sentir-penser-parler-agir. Quand on a compris cela, on comprend ce que fait le psycho-pouvoir télévisuel, numérique, informatique : il empêche l’esprit de dépasser du corps, il réduit le psychosocial au psycho-corporel. 

Le psycho-biopouvoir n’est donc pas un concept contradictoire : pour traiter la santé des corps, le biopouvoir doit aussi traiter l’esprit comme si c’était un corps plein, hyper-dense, sans trou d’imagination. C’est pourquoi le biopouvoir psychiatrique abuse des substances chimiques. La chimie psychiatrique est l’une des deux grandes armes du biopouvoir contre l’esprit imaginant. L’autre arme est le psycho-pouvoir qui, avec quelques autres facteurs industriels, provoque les troubles de l’esprit que la chimie psychiatrique doit soigner. Complémentarité idéale des deux versants du psycho-biopouvoir : provoquer les maux et les soigner biomédicalement, sans les soigner psychosocialement. 

Où est finalement l’intérêt du concept de psycho-biopouvoir ? Dans le fait de dire la double barbarie, celle qui ampute le corps de l’esprit psychosocial et celle qui, face à l’esprit toujours trop présent, l’ampute de l’imagination psychosociale qui le nourrit. Ainsi le psycho-biopouvoir défait le lien social sous l’apparence de le favoriser dans les « réseaux sociaux », dits sociaux, dissociaux. 

Marc Weinstein, Philologie et anthropologie philosophique Université d’Aix-Marseille 

Antoine Demant

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1) Le Covid à l’aune d’autres expériences : RDA, Roumanie, Chili

Louis Trouveroy

« Je m’inquiète du totalitarisme à prétexte sanitaire qui se renforce de semaine en semaine », confiai-je, en septembre dernier, à une connaissance attablée à la terrasse du Café Randaxhe, dans le quartier liégeois d’Outremeuse que j’affectionne tant. « Meuh non, avec quoi tu viens ?! », ricana-t-elle, « rien à voir, nous en sommes à mille lieux ! Le jour où une police politique t’arrêtera chez toi à six heures du mat’ pour t’emmener avec une cagoule sur la tête vers un centre de torture, là tu pourras parler de totalitarisme, ou de dictature, si tu veux ». Par contraste avec ses terribles paroles, elle trempa ensuite ses lèvres avec délectation dans sa bière pression, un acte dont la possibilité même relève de la démocratie, n’est-ce pas ? Il est fréquent de lire ou d’entendre ce genre de propos politiquement rassurants associés à des paroles sanitairement catastrophistes sur le-variant-Delta-qui-a-débarqué-à-la-rentrée-2021 pour-faire-remonter-la-courbe-des-hospitalisations-covid (ah, le salaud !). Tiens, chez moi, c’est juste l’inverse ! Très similaire à celui de septembre 2020 — avec la pression vaccinale en plus —, le récit du psychobiopouvoir commence à sérieusement taper sur les nerfs — en tout cas les miens — et devrait pour le moins mettre la puce à l’oreille des « gens ordinaires qui s’éveillent peu à peu à la lutte contre les seigneurs de la propriété et leurs laquais appointés[note] ». 

Dans une situation inédite comme la nôtre, où « la réalité elle-même devient irréelle et délirante » (Michel Freitag, 2003), il est difficile de nommer très précisément ce qui advient, politiquement parlant. Trouver les mots justes, oser ne pas se mentir ni se rassurer à bon compte. L’an dernier, j’avais déjà suggéré que, quitte à avoir peur, mieux valait diriger celle-ci vers le caractère anti-démocratique et liberticide des mesures politico-sanitaires des gouvernements que vers le virus lui-même[note]. Au printemps 2020, on pouvait à la rigueur se contenter, chez les gens lucides, de parler de dérive autoritaire, mais entre-temps nous sommes passés à la vitesse supérieure. Comment dès lors nommer la forme (anti-)politique qui est là et continuera d’évoluer jusqu’à son paroxysme, sauf épisode révolutionnaire ou effondrement généralisé ? Les classifications habituelles de la philosophie politique — dictature, oligarchie, tyrannie, biopouvoir, technocratie, ploutocratie, totalitarisme — sont-elles toujours praticables ? Ne devons-nous pas porter notre attention vers des concepts plus récents comme « logique de régulation systémique » ou « système auto-référentiel fonctionnant sans sujet ni fin » proposés par Michel Freitag[note] ? 

Pour distinguer le phénomène de l’essence — autrement dit comprendre à partir de l’observation des faits pour ensuite tenter d’atteindre une essence —, nous nous sommes d’abord adressés à trois personnes qui ont vécu jadis dans un régime non démocratique (le Chili, la Roumanie, la République « démocratique » d’Allemagne) et leur avons demandé de comparer ce qu’il ont vécu avec la situation actuelle. Une quatrième a fourni une contextualisation théorique de ces témoignages. De nationalité française, né en 1957, il a toujours connu la démocratie, mais s’est intéressé de près au phénomène totalitaire dans le cadre de ses recherches académiques[note]. Il est par ailleurs collaborateur occasionnel de notre journal. 

Bernard Legros 

MARIA (PRÉNOM D’EMPRUNT), 61 ANS, CITOYENNE BELGE D’ORIGINE ROUMAINE, ENSEIGNANTE. 

Avant de quitter la Roumanie, j’ai exprimé mon profond désaccord avec la politique dictatoriale du régime de Nicolae Ceausescu, en l’occurrence la privation de liberté du peuple roumain. Comme points communs avec le régime covidiste, j’en vois plusieurs : la peur qui s’installe au niveau de la société, la plupart de la population se résignant et ne questionnant pas les agissements du gouvernement ; la délation, qui conduit à l’installation de la méfiance entre les gens et au contrôle permanent de la population ; la distance qui se creuse entre les élites et la population ; la création d’instances spéciales qui œuvrent au bénéfice de la classe dirigeante en imposant des règlements adoptés par celle-là ; le renforce- ment du rôle de l’État, qui adopte une attitude paternaliste à l’égard du peuple, ce dernier ne questionnant même plus les mesures prises par le gouvernement ; le contre-pouvoir est presque inexistant, à l’exception de certaines manifestations ; la perturbation de l’environnement émotionnel des gens, surtout de celui des jeunes, qui ne voient plus aucune perspective de vie ; enfin, l’obéissance de la société, sa soumission aux exigences des gouvernements et sa résignation devant des provocations qu’elle considère insurmontables. Pour ces raisons, je considère que nous vivons en Belgique dans une démocratie autoritaire. L’utilisation, entre autres, de la santé publique comme prétexte pour imposer la nouvelle réglementation me rappelle les méthodes utilisées par Ceaucescu. Par définition, la démocratie est intimement liée à la liberté. À présent, la liberté est devenue, malheureusement, une notion presque théorique. Des gens rentrent en dissidence politique, alors que celle-ci, par définition, est spécifique des régimes dictatoriaux et totalitaires, mais ne se rencontre normale- ment pas dans les démocraties occidentales. Cependant, la réaction de la société civile dans plusieurs pays est un bon signe. Les gens se sont rendu compte que leur santé est instrumentalisée par les divers gouvernements comme un prétexte. La santé a été trop politisée partout dans le monde. De telles mesures n’ont pas été prises à cause d’autres maladies, ce qui est très étrange ! Je n’habite pas en Roumanie, mais je sais que la classe politique roumaine actuelle est en train de s’adapter au statut des pays membres de l’UE, ce qui présente quelques difficultés. Afin de ne pas commettre d’erreurs, elle s’inspire en permanence des actions et décisions prises par d’autres dirigeants européens. Les “left-overs” de la dictature communiste persistent ci et là, ce qui empêche le développement réel et cohérent du pays. 

JORGE PALMA,72 ANS, EXILÉ D’ORIGINE CHILIENNE, DÉFENSEUR DES DROITS HUMAINS, ANCIEN ASSISTANT À L’UNIVERSITÉ DE LIÈGE. 

Comme premier point commun entre la dictature chilienne (1973–1990) et l’involution démocratique actuelle du monde occidental — antérieure à la crise sanitaire actuelle mais accélérée avec force avec celle-ci —, je pense de suite à la phase de préparation du coup d’État de 1973 par la droite chilienne. Dès l’arrivée de Salvador Allende au gouvernement, les médias, qui appartenaient tous à l’opposition de droite (et en partie du centre), suivant directement la ligne Nixon-Kissinger, l’ont attaqué sans merci, le présentant comme un danger communiste à stopper absolument, alors que les réformes structurelles menées en avant par Allende l’ont été dans le cadre du plus strict respect de la démocratie et de l’État de droit. 

Tactique de la peur. La campagne médiatique contre Allende était permanente et rapidement est apparue l’idée de l’ennemi intérieur, exacerbée par après en temps de dictature. La propagande de la droite a fait circuler l’idée qu’au sein de la gauche il y avait un noyau dur qui préparait une révolution communiste violente, le prétendu « plan Z » inspiré, dans les têtes fiévreuses de la droite, du titre du film de Costa-Gavras en 1969. Ce plan, pièce d’une tactique de guerre psychologique (Psy-Op), s’est avéré une pure invention. L’Histoire connaît aujourd’hui le nom du journaliste l’ayant rédigé. Ce faux plan a servi toutefois de prétexte pour justifier une répression féroce dès le déclenchement du putsch. « Des membres de l’élite économique allaient être assassinés ». Il y avait, soi-disant, une menace secrète, interne, et on ne savait pas d’où elle allait venir. L’opposition de droite, assistée par les États-Unis, cherchait à unir beaucoup de monde contre cette figure de l’ennemi intérieur, tout comme chez nous le pouvoir se sert aujourd’hui du virus en tant que redoutable ennemi intérieur et catalyseur de politiques. Résultat, tout le spectre de la droite était contre le gouvernement, prêt à tout pour le renverser, avec la promesse de nouvelles élections quelques mois plus tard, élections qui ne vinrent jamais. 

Un autre point commun : la propagande médiatique permanente allant crescendo pour formater l’opinion. Il était difficile pour la gauche de la contrer, car elle ne possédait que très peu de médias, alors que les médias de droite étaient financés par les États-Unis. Ajoutons à cela les attentats contre des installations (pylônes, conduites de gaz), qui créaient un climat de chaos. Le président a bien tenté une sortie politique en invitant des militaires dans son cabinet, mais ce fut une arme à double tranchant, une cinquième colonne qui s’est retournée finalement contre lui. À l’époque, le Chili était cité comme un exemple de démocratie en Amérique du sud. Mais du jour au lendemain, tout fut renversé par un putsch. 

Si avant le putsch la propagande anti-démocratique venait de l’opposition au gouvernement, dès l’installation du nouveau pouvoir civil-militaire au Chili, la propagande ultralibérale et anti-gauche a acquis des dimensions gigantesques et est venue du pouvoir, tout comme aujourd’hui en Belgique, en France et ailleurs, la propagande vient du pouvoir politique. 

Faisons un saut dans le temps : au Chili, ladite « pandémie » est survenue sous un gouvernement de droite. Or, les plus exigeants au niveau des mesures sanitaires restrictives, qui clament que le gouvernement n’en fait pas assez, ce sont les leaders de la gauche, ce qui est aussi une façon plutôt malhonnête d’embarrasser le pouvoir, en se servant de la crise sanitaire pour lui mettre la pression. Résultat : le pays se classe dans le palmarès mondial en termes de vaccination de masse ; heureusement pour les Chiliens, majoritairement avec un « vrai » vaccin à virus inactivé… 

Les points communs entre la situation de déchéance de l’État de droit que nous vivons aujourd’hui en Occident et la dictature chilienne sont troublants. Pinochet stigmatisait par la figure du « terroriste », le gouvernement le fait par la figure du « complotiste » aujourd’hui. Pinochet avait aussi recouru à la culpabilisation du mauvais citoyen, via la figure de l’« irresponsable » qui, par sa conduite, « mettait en péril le succès du gouvernement du Chili » (sic !). C’en est l’équivalent parfait de la figure de l’« égoïste » anti-masque, anti-vax, anti gestes-barrière fabriquée par le pouvoir sanitaire de chez nous à des fins également de culpabilisation/manipulation/soumission. Un autre exemple frappant : la rhétorique hygiéniste utilisée par les idéologues de Pinochet pour désigner leurs ennemis politiques. Ainsi, le « non-vacciné contaminant, dangereux, accusé de pouvoir prolonger la pandémie » ici avait son correspondant médical parfait dans la figure du « cancer marxiste » qu’il fallait extirper à tout prix, comme pour certains « éradiquer » le virus est la mission. 

Autre caractéristique commune frappante : le discours économique. Les louanges du « Modèle » étaient devenues le thème unique des médias. La radio et la télévision martelaient les versets ultralibéraux de ces économistes « Chicago Boys » : « économie de marché », « marché régulateur », « avantages comparatifs », « exportations non-traditionnelles », etc. Ici, le 

thème unique qui a monopolisé les médias fut la pandémie, le virus, les cas, les hospitalisés, les morts, les gestes-barrières, le confinement, etc. Et, bien sûr, tant là-bas qu’ici, les couvre-feux et les états d’urgence récurrents ad libitum… 

En 2021, il est compliqué, rhétoriquement parlant, de catégoriser le régime politique actuel de la Belgique et d’autres pays d’Europe. Si on parle de dictature, les gens pensent immédiatement aux mots fusils, enlèvements, torture, etc. Le terme totalitarisme convient mieux, à mon sens. Un totalitarisme n’est pas obligatoirement sanglant, d’autant plus que les moyens de communication et de surveillance de masse actuels sont bien plus performants que la violence physique. Forme « soft » pour une efficacité maximale ! Si les individus adhèrent aujourd’hui au discours politico-médiatique, c’est surtout à cause de la campagne de la peur et d’une propagande culpabilisatrice qui dispose de moyens physiques et psychologiques énormes. 

De ces deux conditions d’un régime fasciste, 1) Une connivence totale entre le grand capital, en particulier multinational, et le pouvoir ; 2) l’existence d’un parti de masse fasciste, au moins la première est remplie. Le patronat commence même à s’intéresser à des fonctions de contrôle, de répression et d’imposition de la vaccination au sein de l’entreprise. Quant à la seconde, elle est bien suppléée par l’existence d’une presse soumise au pouvoir comme jamais auparavant. Ce qu’il convient de souligner est surtout l’us et abus par le pouvoir de l’état d’urgence permanent, l’outrepassement de l’État de droit, les mesures illégales et anticonstitutionnelles violant leurs propres lois, comme, par exemple, l’exclusion, dans un premier temps, de la loi Pandémie car elle ne permettait pas le « Covid Safe Ticket », suivie d’une activation toute aussi illégale de celui-ci (bien que les conditions sanitaires exigées par la loi elle-même ne sont pas remplies) qui permet un état d’exception plus musclé. La ligue des droits humains dirait dans un communiqué que « Le gouvernement se met hors la loi ». En fait, c’est ce qu’il n’a cessé de faire depuis le début de cette crise sanitaire. Il a adopté donc une mesure illégale et anticonstitutionnelle. Je peux vous l’assurer, pour l’avoir vécu dans ma propre chair dans mon pays d’origine : c’est exactement ainsi qu’agissent les dictatures. C’est exactement ainsi que, là-bas, l’état d’urgence fut reconduit chaque année durant 17 ans, jusqu’à ce que le peuple arrête les meneurs de cette politique via un référendum arraché dans la rue. 

ANKE HERMANN, 52 ANS, THÉRAPEUTE EN SHIATSU, ANCIENNE RÉSIDENTE DE L’ALLEMAGNE DE L’EST.

J’ai eu une belle enfance, l’Allemagne de l’Est était ma réalité, car je ne connaissais rien d’autre. La vie était beaucoup moins dure qu’en Roumanie, par exemple, où c’était le cauchemar. Nous avions le droit de voyager ailleurs dans le bloc de l’est, mais cela nécessitait quand même beaucoup de bureaucratie, tout était visible, les autorités savaient systématiquement où nous étions. Certaines personnes « sages » étaient autorisées à voyager à l’Ouest. Nous savions que le monde existait ailleurs, mais j’ai grandi avec l’idée que je ne le verrais jamais réellement. J’habitais dans le nord-est, près de la Pologne, un endroit tranquille. Si on se conformait au système, alors tout était assez « lisse ». Moi je rentrais dans ces critères-là : assez jolie, douée en chant, j’ai fait une carrière internationale en tant que chanteuse d’opéra. Cependant, il y a des moments où je me sentais surveillée. À l’âge de 16 ans, la Stasi a essayé de me recruter en tant que collaboratrice. Je me suis sentie comme dans un film, elle me convoquait quelque part, possédait un document avec ma photo et savait tout de moi. Au début, j’y suis allée et ils ont tenté de m’extorquer des renseignements sur mes copains, mais je n’ai jamais rien dit. J’ai commencé à comprendre que quelque chose clochait. Mon sens de la justice et de l’honnêteté primait. En partant étudier à Berlin, j’ai rencontré des gens en résistance contre le système, ce qui m’a fait réfléchir, les deux dernières années avant la chute du mur. J’avais 19 ans à ce moment-là. 

La période actuelle a fait ressurgir ces souvenirs, comme d’apprendre par cœur des phrases toutes faites. Comme dans notre projet Sur le Chemin (une maison de soins alternatifs avec des cures et des retraites médicalisées) au début de la première vague, au moment où l’on n’avait officiellement aucun médicament pour soigner les gens. À mon sens, tout était bienvenu pour essayer de sauver des malades, même l’homéopathie. Tout de suite, l’Ordre des médecins nous a menacés ! Je me suis dit qu’il y avait quelque chose derrière et qu’il ne s’agissait plus du tout du bien des personnes. J’ai bien vu comment les chiffres étaient manipulés, comme le langage : on parlait d’abord des morts, ensuite des contaminés, des cas contacts, etc. On a créé la peur. Avec du recul, j’ai moi-même grandi avec la pression d’être sage, et conséquemment la peur de ne pas être sage, de ne pas dire les bons mots. Ici, j’ai retrouvé cela aussi : il fallait être orthodoxe, sous peine de menaces venant de l’Ordre des médecins. Je n’aurais jamais cru qu’une telle situation serait advenue en Europe de l’Ouest. Je pensais vivre dans un monde où tous ont le droit de s’exprimer et où il n’y a pas qu’une seule vérité. Au contraire, si vous ne parlez pas comme ce qui se dit à la télévision, vous êtes tout de suite mal vu. On évite alors de parler librement, une sensation que j’ai connue à l’époque où on ne parlait pas aux voisins, sauf si on les connaissait intimement. Mon éducation m’inculquait la peur de ne pas dire « la bonne chose ». Être pro-communiste jadis et pro-vaccins aujourd’hui, c’est la même chose. Maintenant je n’ai plus vraiment peur, mais je vois qu’il n’est pas possible de parler librement à tout le monde. Tout de même, j’essaie de faire réfléchir les patients que je rencontre. Aujourd’hui, nous sommes dans quelque chose de pire que ce que j’ai vécu avant, car nous faisons semblant, alors qu’en RDA, les choses étaient plutôt claires. On fait semblant que nous sommes dans un monde ouvert, les gens croient encore être dans une démocratie, or ce n’est plus du tout le cas. Nous vivons dans le mensonge. Les Belges n’ont jamais connu mon ancienne situation, ils sont naïfs, pensent que l’on agit pour leur bien. 

Un autre différence est l’usage des technologies, comme le pass si on veut sortir du pays. C’est pire qu’à l’époque ! Les gens croient ce qu’ils lisent dans Le Soir et ne se rendent pas compte que c’est l’État qui contrôle la réalité. Nous, en RDA, savions quand même qu’une Stasi existait, nous faisions semblant mais pour autant n’étions pas dupes, raison pour laquelle les manifestations ont grandi silencieusement et calmement. Partis de 20 personnes, nous sommes arrivés à 70.000 ! Aujourd’hui, les gens sont séparés, ont peur de voir les autres, n’échangent pas ; ils sont beaucoup plus aveugles que nous à l’époque. Peut-être aussi parce que la vie est devenue beaucoup plus confortable, on n’agit plus, on ne réfléchit plus. Dans le communisme, il y avait des aspects positifs. Nous possédions beaucoup moins, mais chez nous tout le monde avait un toit sur sa tête, personne n’avait faim, et on avait les bases qui ne coûtaient rien du tout. Nous avions la possibilité de manger de bons légumes, qui étaient forcément bio, et de la viande produite dans la famille. Nous étions beaucoup plus dans le partage avec les amis, les voisins. Mais l’Allemagne de l’Est a été vite contaminée par le capitalisme. Tout a été mis en coupe réglée. Aujourd’hui, nous baignons dans une idéologie unique, on ne sait pas à quoi se rattacher. On nous donne des « bonbons » si nous sommes sages. Je ne comprends pas que les gens ne comprennent pas cela ! Je ne juge pas les vaccinés, mais il ne faut pas exclure les autres et continuer d’écouter les opinions divergentes, au lieu d’écraser tout ce qui ne va pas dans leur sens. En RDA, nous n’avions pas accès à l’information vaccinale comme aujourd’hui. Les parents n’étaient même pas au courant, les enfants allaient à l’école, se mettaient en file et étaient vaccinés pour leur bien. Nous n’avions pas le choix, c’était obligatoire. On croyait que cela allait sauver le monde des maladies. Aujourd’hui, les autorités insistent pour ce vaccin anti-covid, mais pas du tout parce que quelqu’un croit encore sauver le monde des maladies, c’est bien différent de mon enfance… 

Propos recueillis par Alexandre Penasse et Bernard LegrosPropos de Anke retranscrits par Sarah

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Aujourd’hui, on vaccine à l’école. Mais vous avez le choix de ne pas être « solidaire »

Ce 21 octobre, de 10h à 15h, on vaccine à l’Athénée des Pagodes, établissement sous l’autorité de la ville de Bruxelles. Comme il en est depuis le début de l’ère Covid, les parents, les élèves, étudiants, les enseignants sont « libres » de se faire vacciner ou pas, mais s’ils refusent ils se verront privés de l’accès aux cinémas, bibliothèques, cafés, restaurants, théâtres, salles de sport, piscine, vacances… Ils pourront choisir l’alternative du test PCR… coûteux et à répéter toutes les 72h.

Les annonces pour la vaccination empruntent la logique du marketing, élaborée uniquement pour persuader le sujet d’acheter la marchandise tout en lui laissant l’illusion qu’il ne s’agit que d’information et qu’il a le choix de refuser le produit. La manipulation mentale, le chantage, la menace et la culpabilisation qui accompagnent la propagande depuis presque deux ans, ne permettent plus de saisir l’absurde, créant la confusion mentale : « Pour mieux se retrouver, protégeons-nous, vaccinons-nous (…) Vous êtes déjà vacciné ? Félicitations ! Chaque dose fait la différence ! Vous hésitez encore à vous faire vacciner ? C’est compréhensible. Il est normal de se poser des questions. Vous pouvez faire part de vos doutes à votre médecin ou à votre pharmacien. Nous vous encourageons à leur en parler. Ainsi, vous pourrez faire un choix fondé sur des informations fiables ».

Cet extrait est tiré d’un tract distribué dans toutes les boîtes aux lettres de la commune de Watermael-Boitsfort et annonçant la venue d’un Vacci-bus le 20 octobre de 14h à 19h. Ses propos illustrent une forme de folie dont les prémices étaient déjà présentes depuis longtemps dans nos sociétés malades, mais dont la généralisation actuelle, portée par les pouvoirs publics, constitue une forme inédite d’absorption complète du sujet dans la matrice étatique-privée.

« Car ce n’est qu’en conciliant les contradictions qu’on garde le pouvoir indéfiniment. Le sempiternel cycle ne pouvait être rompu autrement. Si l’égalité entre les hommes doit être proscrite à tout jamais, si la classe supérieure, comme on l’a nommée, veut garder sa suprématie, alors l’état d’esprit ambiant doit se ramener à une démence maîtrisée » George Orwell, 1984

Lisez les contradictions inhérentes aux propositions que le tract contient :

- En vous vaccinant, vous faites preuve d’altruisme, permettez à la société de se protéger et aux gens de se retrouver ;

- L’instance politique vous félicite de faire le bon choix ;

- On comprend [feint de comprendre] toutefois que vous ne compreniez pas, que vous vous posiez des questions ;

- On vous invite à en discuter avec un « expert », ce rôle que vous avez toujours connu, assis sur un banc d’école, sous le poids de l’autorité omnisciente, celui qui a compris face à l’ignorant. 

- Cet expert vous permettra de « faire un choix fondé sur des informations fiables ». Et c’est là toute le perversité du narratif : Si celui qui se vaccine est déclaré un bon sujet social, l’information censée fiable donnée par l’expert ne pourra qu’aller dans cette direction. Le « choix fondé » est donc seulement celui de suivre ce que l’autorité publique préconise. Ce n’est donc pas véritablement un choix. Il s’agit d’une pure manipulation.

Lorsque le mensonge devient la norme

« Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges, mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir, mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez »Hannah Arendt

Le mensonge devant de simples évidences devient la norme. Ainsi, lorsque des parents font part de leur indignation quand un directeur d’école décide de vacciner des enfants sur le lieu même où se font les apprentissages, il établit une comparaison totalement spécieuse : « Ce n’est pas l’école qui vaccine, mais qui sert de lieu mis à disposition du département de la médecine scolaire. Au même titre que l’école sert de lieu de vote lors des élections ».

Réponse du directeur de l’école au courrier d’un parent

Évidemment, « proposer » à des élèves à partir de 12 ans de se faire inoculer un produit expérimental pour un virus dont le taux de létalité est très bas, n’a rien à voir avec le fait de rendre disponible son établissement pour permettre aux gens de voter. Dans le premier cas, on touche aux esprits en espérant que la présence dans l’école favorise le « choix fondé », et on touche au corps de ceux qui le font. Il y a dès lors un impact direct sur ceux (les élèves) qui occupent le bâtiment et qui fondent sa raison d’être (l’école), créant par ailleurs d’évidentes modifications comportementales et relationnelles dans le groupe[note]. De ce fait, si dans le cas de la vaccination intra-muros l’immeuble est primordial, en raison du public auquel il est habituellement dédié (les élèves), dans le cas des élections, l’immeuble est tout à fait secondaire, ce qui explique que les endroits dédiés aux votes puissent être des hangars, des salles de sport, chapiteaux… la superficie du lieu étant le critère essentiel.

On pourrait multiplier les exemples, mais vous les connaissez, si vous êtes encore capable de lucidité. Tous ces discours politico-médiatiques mettent en évidence cette double-pensée propre au monde de 1984, laissant l’illusion du choix là où le contexte coercitif se rapproche beaucoup plus de l’obligation. Car il ne faut pas avoir le fusil sur la tempe pour commencer à parler de contrainte. Ayant créé un mode de vie et ses besoins, conditionner la continuité de ce type d’existence à l’acte vaccinal est une forme d’injonction, insidieuse certes, mais réelle.

« Savoir sans savoir, être conscient de la vérité intégrale tout en racontant des mensonges savamment construits. Entretenir en même temps deux opinions antithétiques, avec une égale conviction. Jouer la logique contre la logique, bafouer la morale tout en s’en réclamant, croire la démocratie impossible et désigner le Parti comme son gardien, oublier ce qu’il faut oublier, puis retrouver la mémoire si nécessaire pour oublier aussitôt ensuite. Et surtout, appliquer ce traitement au procédé lui-même : induire l’inconscience sciemment, et refouler l’acte d’autohypnose auquel on vient de se livrer – le comble de la subtilité. Pour comprendre le mot « doublepenser », encore faut-il être capable de « doublepenser » soi-même » George Orwell, 1984

La procédure fut parfaite. Ils ont créé un contexte (confinements, couvre-feux, masques…), générant naturellement les troubles psychiques associés et l’envie d’en sortir. Ils ont ensuite offert leur « solution » (la vaccination), déjà pensée avant même de connaître la gravité de la maladie (et développée alors qu’on découvrait qu’elle n’était pas si létale), pour ensuite diviser la société en deux groupes vaccinés-non vaccinés, réduisant ceux qui refusaient la voix officielle au second groupe. De là, ils ont conditionné « le retour à la vie normale » et « le maintien de la vie économique et sociale » à la possession d’un Pass qu’on ne pouvait obtenir qu’en se vaccinant (Covid Safe Ticket en Belgique — CST)[note]. La disparition du réel cauchemardesque que les politiques ont produit s’est ainsi vue conditionnée à la bonne volonté des gens. Il y a donc eu un formidable renversement de causalité : de politique la cause est devenue individuelle. Le politique n’étant plus responsable de ce qu’il avait mis en place, c’était dès lors aux individus de se faire vacciner pour obtenir le CST et « sauver la société ». C’est un procédé profondément pervers, puisqu’un État occulte sa toute puissance derrière la responsabilité individuelle, la dissémine dans chacun de ses sujets en leur promettant encore qu’ils sont libres. C’est là un trait spécifique du totalitarisme.

« Tout citoyen, ou du moins tout citoyen assez important pour qu’on le surveille, pouvait être placé vingt-quatre heures sur vingt-quatre sous le regard de la police et à portée de voix de la propagande officielle – à l’exclusion de tout autre canal de communication. Imposer une obéissance complète à la volonté de l’État, mais aussi une parfaite uniformité d’opinion sur tous les sujets, devenait possible pour la première fois » George Orwell, 1984

Ce processus de manipulation de masse qui aboutit à un délire collectif prouve aussi que nous ne sommes pas dans une situation de dangereuse pandémie. Car les gens, qui sont responsables s’il le faut, prendraient les mesures ad hoc sans coercition en situation grave. Aujourd’hui au contraire, ils se vaccinent majoritairement non pas parce qu’ils ont peur du virus, mais parce qu’ils craignent de ne pas revenir à la vie d’avant[note]: ils fuient, annihilent leur libre arbitre pour espérer revivre. 

« L’orthodoxie, c’est de ne pas penser. De ne pas avoir besoin de penser. L’orthodoxie, c’est l’inconscience »George Orwell, 1984

Ainsi, on perçoit le désarroi et la souffrance des gens qui se font vacciner, n’ayant aucune volonté propre à agir de la sorte, mais le faisant pour échapper aux mesures édictées par l’État. Cela signe une complète perte d’autonomie, le sujet endossant seul la responsabilité du collectif. Les responsabilités politiques se sont dissipées, la chaîne de responsabilité s’est arrêtée net au sujet, seul, après avoir été masqué, confiné, soumis à la distanciation sociale, mais plus personne au-dessus n’est responsable – le directeur obéit à son pouvoir de tutelle, le pouvoir de tutelle au ministre, le ministre à son parti, au gouvernement, le gouvernement aux multinationales… 

Mais ces « choix » quotidiens d’accepter tout ce que nous dictent les gouvernements signent la soumission mentale qui préfigure les prochaines résignations, c’est le phénomène du « pas dans la porte » : avoir toléré le moins nous amène à tolérer le pire.

Il faut changer la perspective à partir de laquelle nous décidons : non plus accepter le pire pour revenir à une illusoire liberté (les vacances, etc.), mais refuser d’emblée ce qu’on nous impose et organiser sa vie à partir de là. Tout était à changer, nous ne voulions plus de ce monde d’inégalités, de destruction de la nature, de souffrance.

C’est le moment, non ?

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20 bonnes raisons scientifiques et éthiques de refuser la vaccination obligatoire anti-covid

La vaccination obligatoire contre le covid-19, qu’elle soit recherchée de façon perverse via un covid safe ticket, une propagande éhontée et culpabilisante ou, prochainement peut-être, par un projet de loi, est légalement, scientifiquement et philosophiquement illégitime pour toute une série de raisons dont les suivantes :

Ces injections sont expérimentales[note].Le contenu de ces produits est de qualité questionnable[note].De quel droit devrait-on se faire injecter sous la contrainte un produit expérimental?Les risques sanitaires liés au covid chez les jeunes en bonne santé sont extrêmement faibles. Les jeunes disposent d’une immunité naturelle avérée contre le covid-19. Le rapport bénéfices-risques sanitaires pour les jeunes en bonne santé est quasiment nul, voire négatif[note].Les risques sanitaires liés au covid pour la plupart des personnes en bonne santé sont très faibles[note].Ces risques sont encore plus réduits avec une prévention et une prise en charge précoce adaptées[note].Ces injections ne sont pas sans risques[note].Les promoteurs de la vaccination obligatoire semblent considérer les victimes d’accidents post-vaccinaux (décès, handicaps, même rares) comme des sacrifices nécessaires. Or le sacrifice personnel relève d’un choix individuel ; imposé par la société, il devient criminel.L’efficacité réelle de ces vaccins est encore à l’étude[note].Concernant la sûreté à court et moyen terme de ces produits, il existe un sous-reporting des accidents post-vaccinaux pour différentes raisons (patients et médecins qui ne reportent pas les effets post-vaccinaux)[note]. Malgré ce sous-reporting, les effets post-vaccinaux rapportés sont déjà largement supérieurs à ceux qui ont suivi tout autre vaccin antérieur[note].La sûreté à moyen et long terme de ces produits est par définition encore inconnue[note].L’argument central pour convaincre jeunes et moins jeunes de se faire vacciner est l’« altruisme » : il s’agit de prévenir la contamination de l’entourage ; or certaines études tendent à montrer que les vaccinés restent tout aussi contaminants (charge virale au minimum identique) : la vaccination anti-covid n’empêchant pas la transmission virale, cet argument de l’altruisme tombe à plat : quels sont dès lors les fondements d’une obligation vaccinale[note] ?L’obligation vaccinale est injustifiable dans un contexte où, outre des statistiques questionnables, tout n’a pas été mis en œuvre pour soigner, avec pour conséquence de nombreux décès liés directement à ces négligences coupables : on a en effet observé des obstacles à l’accès aux soins durant le premier confinement ; le rejet d’une approche préventive ; un frein au recours aux antibiotiques[note] alors que beaucoup de décès liés au covid surviennent pas surinfection bactérienne[note]; l’usage excessif du principe de précaution pour l’ivermectine et autres traitements précoces aux résultats encourageants, tandis que ce même principe de précaution a été abandonné dans le cas des injections ; l’absence de refinancement positif du secteur hospitalier, etc.Les pratiques contestables du secteur pharmaceutique sont notoires (nombreuses condamnations passées). Comment leur accorder une confiance aveugle avec ce lourd passé[note] ?Le consentement individuel éclairé et sans coercition est un principe légal dérivé des droits et libertés fondamentales[note]. Mon droit sur mon propre corps est un droit inaliénable qui relève de la dignité de l’être humain, principe duquel découlent tous les droits humains : quel argument justifie de balayer ces principes fondamentaux, sans même examiner les implications plus larges de cet abandon du droit de l’individu sur son corps et du consentement individuel ?Pour ceux qui refusent ces injections expérimentales, il n’est pas éthiquement justifiable d’envisager, dans le cas d’une obligation vaccinale universelle, de les priver de la possibilité de travailler ou d’étudier, portant ainsi atteinte à d’autres droits fondamentaux : droit au travail (art. 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme) et donc impossibilité de subvenir aux besoins vitaux (droit à la vie), droit à l’éducation (art. 26), droit de ne pas être inquiété pour ses opinions (art. 19), droit à la liberté (art. 3), …Le projet politique et moral semble être manifestement de supprimer les droits et libertés fondamentales au nom du bien collectif… Qui serait chargé de définir ce bien collectif ? Des « experts en bien collectif » ? Qu’en est-il de la démocratie libérale (à ne pas confondre avec la dictature de la majorité) ? Les libertés et les droits fondamentaux sont le résultat de luttes sociales qui ont permis d’ériger ces droits en remparts à la loi du plus fort.On est manifestement entré dans une stratégie de vaccination périodique sur une durée indéterminée au bénéfice du secteur pharma américain (prévisions de juillet de 33,5 milliards de dollars pour Pfizer en 2021) et au détriment des budgets publics : cela pose question d’une part sur les véritables enjeux au cœur de cette crise, sur l’état de notre démocratie, mais aussi – et surtout – sur l’incapacité prochaine prévisible des États à gérer les politiques de base et les défis futurs.L’efficacité de l’immunité naturelle est avérée scientifiquement et les données de mortalité, notamment les taux d’IFR, en sont un témoignage éclatant[note]. Le rôle de la prévention dans le renforcement de cette immunité naturelle est également avéré scientifiquement[note].L’absence de couverture vaccinale universelle est accusée par certains de laisser le champ libre à des mutations du virus, toutefois d’autres avertissent qu’un taux de vaccination élevé en période de pandémie est susceptible de provoquer une pression sélective sur le virus favorable à l’émergence de variants résistants[note]. Il est en outre parfaitement illusoire de prétendre contrôler une zoonose par une couverture vaccinale humaine puisque les animaux domestiques et le bétail contribuent aux variations et mutations du virus[note].

Les sources citées dans ce document ne sont qu’une infime partie des sources renvoyant à des références scientifiques qui démontrent l’absence de pertinence sanitaire, juridique et morale d’une vaccination obligatoire.

Ce texte est rédigé par un groupe de citoyens et de scientifiques qui exhortent leurs concitoyens de tous horizons, soignants, juristes, etc. à sortir du silence et à rejoindre leur collectif pour l’enrichir de leurs compétences.

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Pascale Vanhal
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« J’espère bien n’être pas le seul à mettre l’amour ou la liberté plus haut que la santé ! »

Entretien avec André Comte-Sponville *

Au printemps 2020, vous étiez un des rares philosophes francophones à sortir du bois. Vous souleviez le rôle néfaste des médias répandant la peur du virus et la prise de pouvoir des experts dans le champ politique. Parallèlement, vous sembliez saluer les mesures non pharmaceutiques prises par E mmanuel Macron. Un an plus tard, votre analyse a‑t-elle changé ? 

Non. Il me semble d’ailleurs qu’elle est davantage partagée aujourd’hui qu’à l’époque. Je trouvais que la peur était exagérée. Je le trouve toujours. La pandémie de covid-19 était évidemment un problème sanitaire majeur, mais pas du tout sans précédent. La peste noire, au XIVe siècle, a tué en quelques années la moitié de la population européenne (contre beaucoup moins de 1 % pour la covid). La grippe espagnole, en 1918–1919, a tué environ 50 millions de personnes dans le monde (contre un peu plus de 4 millions, à l’heure actuelle, pour la covid). Les grippes asiatique et de HongKong, dans les années 1950 et 1960, ont tué un peu moins que la covid-19, mais parce que la population était beaucoup plus jeune. Bref, je trouvais que les médias dramatisaient à l’excès, ne parlant plus que de virus, de tragédie, de cauchemar, de peur au ventre… Il se trouve que moi, je n’avais pas peur. D’abord parce que, plus je vieillis, moins je crains la mort (c’est normal : j’ai beaucoup moins à perdre que quand j’étais jeune) ; ensuite parce que je préfère mourir de la covid que souffrir pendant des années, comme mon père, de la maladie d’Alzheimer (225 000 nouveaux cas chaque année, rien qu’en France) ; enfin parce que la covid tue essentiellement des personnes âgées (93 % des décès qu’elle entraîne se produisent après 65 ans, avec une moyenne d’âge, au moment du décès, de 81 ans). Pour le père de famille que je suis, c’était tout à fait rassurant. Pour une fois que mes enfants couraient moins de risques que moi ! Je me fais beaucoup plus de soucis pour leur avenir que pour ma santé de quasi-septuagénaire ! 

J’ai souvent cité le mot de Montaigne, dans les Essais : « Ce dont j’ai le plus peur, c’est la peur. » Cela résumait à peu près mon état d’esprit, durant tous ces mois de pandémie. J’étais moins inquiet de la maladie que de ses effets sociaux ou politiques, notamment, en effet, l’espèce de démission de nos dirigeants, en France, qui avaient tendance à se cacher derrière les experts. Au moment du premier confinement, je me suis demandé « qu’est-ce que j’aurais fait, si j’avais été à la place de Macron ? » Eh bien, ce qui m’a le plus effrayé, c’est que je me suis dit « honnêtement, j’aurais fait la même chose : j’aurais confiné ! » Pas du tout parce que je pensais que le confinement était la meilleure solution (je n’en savais rien, et je pense que personne, encore aujourd’hui, ne le sait), mais parce qu’il y avait une telle pression du corps médical, relayée tellement massivement par les médias (rappelez-vous : on voyait des médecins tous les soirs, au journal de 20 h), suscitant une telle peur dans la population, que si Macron n’avait pas confiné, le pays serait devenu ingouvernable. Ça, c’est extrêmement inquiétant ! Quand les politiques n’ont plus d’autonomie par rapport aux experts, c’est la démocratie qui est en danger. 

Quant à moi, je me suis toujours interdit de condamner les différents confinements (même si le premier m’a paru exagérément répressif et infantilisant), sans me sentir pour autant tenu de les approuver. Je me suis contenté d’obéir, en bon républicain. Si on n’obéit qu’aux lois qu’on approuve, on n’est pas un démocrate. Mais j’ai dit mes inquiétudes, notamment concernant le coût économique de ces mesures. Certains de mes amis se félicitaient : « C’est la première fois, disaient-ils, qu’on sacrifie l’économie à la santé ! » Ils avaient raison sur le constat (c’était en effet la première fois), mais tort, me semble-t-il, de s’en réjouir. Car sacrifier l’économie, c’est sacrifier les pauvres (un million de nouveaux pauvres en France, depuis le premier confinement, 150 millions dans le monde), et c’est sacrifier les jeunes. Parce que si les vieux sont les principales victimes de la pandémie, en termes de décès, ce sont les jeunes qui souffrent le plus des différentes mesures prises pour la combattre, depuis le confinement jusqu’au couvre-feu, en 

passant maintenant par les contraintes (que je trouve là encore exagérées) du pass sanitaire ! Ce sont eux qui rembourseront la dette (si on la rembourse un jour) ! Ce sont eux dont on a compromis les études, qu’on a privés de sorties, à qui on a volé une partie de leur jeunesse ! Là encore, le père de famille que je suis ne pouvait s’en satisfaire. L’idée qu’on complique la vie de mes enfants, voire qu’on compromette leur avenir, pour protéger ma santé m’est insupportable. Ce que je craignais, et que je crains toujours, c’est qu’on sacrifie deux générations (les enfants et les ados d’un côté, les jeunes adultes de l’autre) à la santé de leurs parents ou de leurs grands-parents. Curieuse conception de la solidarité intergénérationnelle ! N’importe lequel d’entre nous, s’il est père ou mère, donnerait sa vie pour ses enfants. Lequel accepterait qu’ils donnent leur vie, ou même qu’ils la compromettent, pour la nôtre ? 

Dès le début de l’épidémie, Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique Covid-19, clamait à la télévision française que sauver des vies était la priorité absolue. Les gouvernements européens ont rapidement imposé l’option déontologique par défaut, en occultant la question de l’utilitarisme. Celui-ci vise le bien pour le plus grand nombre possible, pas seulement pour les malades, les fragiles et les soignants. Si les gouvernants avaient soumis la santé à un arbitrage avec les autres dimensions de la société, au lieu de viser un illusoire « risque zéro covid », n’auraient-ils pas limité les dégâts ? Car aujourd’hui, aux morts du ou avec le covid, on peut ajouter toutes les victimes collatérales… 

Eh oui, c’est ce que j’appelle, depuis 20 ans, le panmédicalisme : faire de la santé la valeur suprême, et tout soumettre en conséquence à la médecine ! J’y vois une double erreur. La première, c’est que la santé est moins une valeur qu’un bien. Un bien, c’est quelque chose de désirable ou d’enviable. Une valeur, quelque chose d’estimable ou d’admirable. Par exemple je peux envier quelqu’un parce qu’il est plus riche ou en meilleure santé que moi. Mais si je l’admire pour cela, je suis un imbécile. En revanche, je peux l’admirer parce qu’il est plus courageux, plus juste, plus généreux, plus libre d’esprit ou plus aimant que moi. La richesse et la santé sont des biens. Le courage, la justice, la générosité, la liberté de l’esprit et l’amour sont des valeurs. Que je sache, il n’est pas écrit dans les Évangiles (c’est un athée qui vous le rappelle) : « Prenez soin de votre santé comme Dieu prend soin de la sienne ! » Il est écrit « Aimez-vous les uns les autres comme Dieu vous aime ». C’est sensiblement différent ! Il n’est pas écrit, au fronton de nos mairies, « Santé, égalité, fraternité » ! Il est écrit : « Liberté, égalité, fraternité ». J’espère bien n’être pas le seul à mettre l’amour ou la liberté plus haut que la santé ! 

Deuxième erreur : faire de la santé la « priorité absolue », comme disait Delfraissy. Qu’un médecin le pense, on peut le comprendre. Mais politiquement, c’est inacceptable. La santé est peut-être le plus grand des biens, à l’échelle individuelle, puisqu’il conditionne tous les autres, mais nullement à l’échelle collective. Le pays où j’ai le plus envie de vivre, ce n’est pas forcément celui où l’on est le mieux soigné ou dans lequel on vit le plus longtemps. Ce peut être aussi et davantage le plus démocratique, le plus convivial, le plus écologique, le plus humaniste (donc le plus féministe), le plus tolérant, le plus libéral, le plus prospère, le plus juste, le plus raffiné… À supposer que la Chine ait un meilleur système de santé que nous, cela ne me donnera pas envie de vivre en Chine ! J’aime mieux attraper la covid dans une démocratie que ne pas l’attraper dans une dictature. 

Or, quand on soumet les valeurs aux biens, on est déjà dans le nihilisme. Quelqu’un qui dirait « il n’y a rien au-dessus de la richesse », on y verrait légitimement du nihilisme financier, et tout le monde, en paroles, serait contre. Quelqu’un qui dit « il n’y a rien au-dessus de la santé », comme je l’ai entendu cent fois ces derniers mois, c’est du nihilisme sanitaire, et je m’étonne que tout le monde semble pour ! 

Mais il y a plus. Quand on fait de la santé la valeur suprême, alors la priorité des priorités, comme disait Macron, c’est en effet de protéger les plus fragiles, c’est-à-dire, en l’occurrence, les plus vieux. Mais si on ne fait pas de la santé la valeur suprême, donc si on refuse le panmédicalisme, on redécouvre que les plus fragiles, dans la plupart des domaines, ce ne sont pas les plus vieux mais les plus jeunes ! Quoi de plus fragile qu’un nouveau-né ou qu’un adolescent ? J’ai 69 ans. Ma vie est faite. Que pourrait-il m’arriver de vraiment grave, à part justement un problème de santé ou un malheur qui toucherait mes enfants ? Mais mes enfants, qui sont de jeunes adultes, leur vie n’est pas faite : elle est à faire ! Ils sont beaucoup plus exposés que moi à la plupart des risques (mourir jeune, le chômage, le réchauffement climatique, rater sa vie sentimentale ou professionnelle…) ! Vous vous souvenez peut-être de ce livre de Lénine, intitulé « Le gauchisme, maladie infantile du communisme ». Eh bien, il m’arrive de dire que le panmédicalisme est la maladie sénile de l’humanisme. De l’humanisme, parce qu’il s’agit de sauver des vies, et c’est très bien. Mais sénile, parce qu’à force de faire de la santé la valeur suprême, on privilégie les vieux au détriment des plus jeunes. Là encore, le père de famille que je suis ne peut pas l’accepter. Ma priorité des priorités, ce sont les jeunes en général et les enfants en particulier ! 

Le biopouvoir a vendu la déontologie aux électeurs-consommateurs, pariant stratégiquement que c’est ce discours-là qui allait fonctionner. Titiller chez eux l’altruisme, le sens moral, l’empathie, et marteler que chaque vie doit être sauvée « quoi qu’il en coûte », cela a fonctionné, après des décennies de néolibéralisme et d’hyper-individualisme ! Le biopouvoir a réussi à prendre la population à contre-pied. D’abord, comment expliquer une telle performance ? Ensuite, la compassion peut-elle servir de ciment social ? 

J’ai trouvé insupportable la conjonction, sur nos écrans de télévision, de discours prétendument scientifiques et de bons sentiments ! C’est ce que j’ai appelé le sanitairement correct, dont j’ai autant horreur que du politiquement correct. « Une science parle toujours à l’indicatif, jamais à l’impératif », disait le grand mathématicien Henri Poincaré. Quand un expert prétend dire ce qu’il faut faire, il ne fait plus de la science, il fait de la morale ou de la politique. Aucune science ne dira jamais si la santé est plus précieuse que la liberté, ni à quel point on peut sacrifier celle-ci à celle-là. Quant aux bons sentiments, j’ai trouvé obscène cette débauche de prétendue compassion, spécialement à la télévision. Il meurt chaque année, en France, un peu plus de 600 000 personnes. Connaissez-vous un seul individu qui s’en afflige ? Ce ne serait pas de la compassion, mais de la pathologie mentale ! Pourquoi devrait-on s’affliger des 64 000 morts de la covid, en France, en 2020, plus que des 600 000 autres ? J’ai plus de compassion pour les 3 millions d’enfants qui meurent de faim chaque année, dans le monde ! 

Ce qui peut servir de ciment social, ce n’est pas la compassion, c’est la solidarité (qui suppose une convergence d’intérêts) et l’attachement à un certain nombre de valeurs communes (par exemple liberté, égalité, fraternité, laïcité, solidarité, justice…). Cela relève de la politique, beaucoup plus que de la morale ! 

Dans l’émission « Neumann/Lechypre » sur la chaîne RMC Story, diffusée le 29 juin 2021, Emmanuel Lechypre a tenu les propos suivants : « On vous vaccinera de force, moi je vous ferai emmener par deux policiers au centre de vaccination. Faut aller les chercher avec les dents et avec les menottes s’il le faut […] Les non-vaccinés, ce sont des dangers publics, donc j’ai une démarche très claire : je fais tout pour en faire des parias de la société ! ». 

Comment interprétez-vous ces propos s’affichant de plus en plus souvent, sous le prétexte de sauver les autres ? Tout ce qui est exagéré est insignifiant. Mais ces propos, évidemment scandaleux dans la bouche d’un journaliste (a‑t-il une idée de ce qu’est la déontologie ?), confirment les dangers du panmédicalisme. S’il n’y a rien au-dessus de la santé, comme on le répète depuis des mois, alors pourquoi ne pas lui sacrifier la liberté, le respect, la tolérance, l’objectivité, enfin toutes ces belles valeurs qu’on doit enseigner, j’imagine, dans les écoles de journalisme ? 

Certains avancent que l’hygiénisme actuel est une nouvelle forme de puritanisme… 

Je n’en suis pas convaincu. On n’y trouve ni l’exaltation religieuse ni la haine du sexe, lequel est plutôt présenté (c’est un autre piège) comme faisant partie de notre santé… 

Une connaissance de gauche m’a soutenu que la visée de l’immunité collective naturelle, c’était de l’eugénisme, car en cours de route décéderont les plus vulnérables. Or, disait-il, une civilisation digne de ce nom ne laisse jamais tomber ses membres fragiles, sous aucun prétexte… 

Parler d’eugénisme, c’est évidemment une sottise. D’ailleurs, qui a jamais proposé de « laisser tomber les plus fragiles » ? Il faut bien sûr soigner tous les malades, et sauver tous ceux qui peuvent l’être. C’est d’ailleurs ce qui pouvait justifier les confinements : éviter la submersion de nos services d’urgence et de réanimation. Pour le reste, et quant au fond, je pense qu’on a en effet laissé tomber, ou peu s’en faut, les plus fragiles : les plus pauvres et les plus jeunes ! Je lis dans la presse que 66% des adolescents de 11 à 17 ans « présentent un risque sanitaire préoccupant », que les capacités cognitives des enfants seraient « en baisse d’environ 40% », qu’ « un an de confinement a été catastrophique, à un moment essentiel de plasticité neuronale ». Je veux croire que c’est provisoire, mais quand même ! Sacrifier, même provisoirement, l’intelligence des enfants à la santé de leurs grands-parents, je trouve ça hallucinant ! 

L’événement covid remet-il aussi sur la table la question de l’acharnement thérapeutique et de l’euthanasie ? 

La question est sur la table depuis des décennies, voire depuis des siècles (Montaigne, déjà, revendiquait le droit au suicide et à l’euthanasie). La covid n’y change pas grand-chose. Je remarque simplement que les adversaires de l’euthanasie nous expliquent, depuis des années, qu’on ne souffre plus, dans nos hôpitaux, et que donc la question de l’euthanasie ne se pose plus… Et voilà les mêmes qui s’affligent devant les souffrances liées à la covid ! Quant à moi, je suis favorable à une légalisation de l’euthanasie volontaire et du suicide assisté. Je l’étais avant la pandémie. Je le suis toujours. 

La question de la responsabilité, individuelle et collective, est aussi au cœur de notre problème covidien. Assistons-nous à la venue d’une nouvelle et dangereuse conception de la responsabilité individuelle postulant que tout un chacun est moralement — et bientôt pénalement ? — responsable de la santé de tous les autres ? Et plus précisément responsable de l’état du système immunitaire des autres ? Quelles conséquences pouvons-nous en attendre pour le « vivre ensemble » ? 

C’est une question difficile. S’il y a un domaine où la solidarité est à la fois facile et nécessaire, c’est bien celui des maladies contagieuses : se protéger, c’est aussi protéger les autres, et réciproquement. Mais vous avez raison : la tentation existe, chez certains, de pousser le bouchon trop loin et de sacrifier la liberté individuelle à la santé publique. C’est ce que j’appelle l’ordre sanitaire : une réduction drastique et durable de nos libertés, au nom de la santé. Nous n’y sommes pas encore (la réduction actuelle est drastique, faisons en sorte qu’elle ne soit pas durable), mais chacun voit bien que nous nous sommes engagés, spécialement avec le pass sanitaire, sur une pente glissante et dangereuse… 

Dans le sillage de Locke et de Robespierre, avançons que l’athéisme, dans ces circonstances pandémiques, est un inconvénient, car on se retrouve dans un matérialisme desséchant, une désymbolisation, où la seule réalité tangible restante est son unique vie biologique (ou nue) pour la préservation de laquelle on exige que toute la société se mobilise. Ne faisons-nous pas fausse route ? 

C’est vous qui faites fausse route ! En quoi l’athéisme est-il un inconvénient ? Relisez Camus ou Sartre ! Pourquoi le matérialisme serait-il desséchant ? Relisez Épicure, Diderot, Marx, Freud, Lévi-Strauss, Clément Rosset, Michel Onfray ou moi-même ! Ne confondez pas le matérialisme et le biologisme ! L’amour, la pensée et la liberté sont aussi matériels que la santé : seul un corps peut aimer, penser et être libre. Cela ne prouve rien contre la liberté, la pensée ou l’amour, ni donc contre le matérialisme ! Vous avez besoin d’un Dieu pour aimer la vie ? Pas moi ! 

Pourrions-nous postuler une transcendance, éventuellement non déiste et non théiste ? Car le risque de l’immanence n’est-il pas le désespoir ? Et conséquemment, la tentation de courir se réfugier sans discernement dans les bras des médecins et des experts, et plus généralement de toutes les figures du biopouvoir ? Comment démêler ce nœud ? 

Pourquoi avez-vous peur du désespoir ? Il y a bien quelque chose de désespérant dans la condition humaine, puisque l’on vieillit, puisque l’on meurt, et il faut bien l’accepter. Cela m’effraie moins que toutes les prétendues transcendances (qu’elles soient déistes, théistes ou autres) que les humains se sont inventées pour se consoler, pour se rassurer, et qui ont fait tellement plus de mal que de bien ! « Il n’y a pas d’espoir sans crainte, ni de crainte sans espoir », disait Spinoza. S’enfermer dans l’espérance, c’est s’enfermer dans la peur. Je vous renvoie à mon petit livre, Le bonheur, désespérément. On n’espère que ce qui n’est pas, que ce qu’on ne connaît pas ou qui ne dépend pas de nous. Apprenons plutôt à connaître et à aimer ce qui est, et à faire ce qui dépend de nous ! Mieux vaut connaître, agir et aimer qu’espérer et craindre ! 

Le covidisme est-il devenu une religion de substitution ? 

Si c’était le cas, ce serait la plus sotte et la plus misérable des religions ! La santé n’est pas Dieu. Ne pas tomber malade, ce n’est pas un but suffisant dans l’existence ! Et quoi de plus triste que de sacrifier l’amour de la vie à la peur de la mort ? 

Dans votre Dictionnaire amoureux de Montaigne, sous l’entrée « vérité », vous indiquez que Montaigne ne dit pas que rien n’est vrai (« car si rien n’est vrai, il n’est pas vrai que rien ne soit vrai »), mais que rien n’est certain ; il fait d’ailleurs de la vérité la « norme suprême ». Plus tard, Orwell dira que la vérité objective se construit. Pourtant, la vérité n’a jamais semblé tant imposée par un pouvoir politico-médiatique qui aurait l’apanage de la « real news »… 

Vous confondez la vérité et la connaissance (la connaissance se construit, la vérité non), puis la vérité et l’opinion. Aucun pouvoir politique ne pourra jamais rendre vraie une idée fausse. Il pourra tout au plus faire que la majorité la croie vraie… Cela peut arriver, mais est très loin, dans nos démocraties, d’être la règle ! Avez-vous vu le film Hold up ? Moi oui, en entier. Il y a, dans ce complotisme, beaucoup plus d’âneries et de fake news que dans les discours de nos politiques, ou même de nos journalistes. 

Il y a aussi une inversion d’Eros, la pulsion de vie, et de Thanatos, la pulsion de mort, puisque dans le discours dominant, les complices de Thanatos sont ceux qui renâclent à se soumettre aux mesures sanitaires, et tous particulièrement aux vaccins. Thanatos ne se retrouve-t-il pas au contraire chez les hygiénistes, les pandémicalistes qui veulent (s’)empêcher de vivre sensément et décemment au nom de « la vie », et sont porteurs de la mort, non seulement la mort sociale et politique, mais in fine la mort des corps, puisqu’en nous privant de liens authentiques, nous mourons à petit feu ? Ce fut évident dans les Ehpad l’an dernier… 

Oui, ce qui s’est passé dans les Ehpad était une horreur : laisser mourir des milliers de vieillards dans la solitude, sous prétexte de les protéger ! Mais n’exagérons pas : les gestes barrières ou les vaccins ne relèvent aucunement de la pulsion de mort, pas plus que les antivax ne relèvent de la pulsion de vie ! Laissons ces caricatures absurdes, qui ne servent qu’à la polémique. Essayons plutôt de voir comment combattre la pandémie en sacrifiant le moins possible de nos libertés. 

« Il arrive à l’homme d’aimer mieux croupir dans la peur que d’affronter l’angoisse d’être lui-même », écrivait Cioran en 1957. Auriez-vous pu l’écrire aussi ? 

Pourquoi pas ? Sauf que moi, je ne considère pas que ce soit un inconvénient d’être né ! Au fond, Cioran n’est qu’un nihiliste particulièrement talentueux. Mais à quoi bon le talent, s’il ne donne pas envie de vivre et de se battre ? 

En arrière-plan de toute l’affaire, ne trouve-t-on pas, présente chez tout un chacun, l’angoisse de la mort, qui est ensuite rationnalisée, au sens freudien, dans des discours, des argumentations, des choix politiques ? Faut-il réhabiliter la mort dans nos représentations collectives ? « Seul l’affrontement courageux à la perspective de la mort peut nous permettre de vivre », disait Jan Patočka… 

Pascale Vanhal

Il avait bien sûr raison. Montaigne, d’ailleurs, disait en substance la même chose : « Tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant. » La mort fait partie de la vie. Comment aimer celle-ci, sans accepter celle-là ? Mais la mort fait peur, c’est pourquoi la plupart des gens préfèrent ne pas y penser (Montaigne encore : « Ils vont, ils viennent, ils trottent, ils dansent : de mort, nulle nouvelle ! ») et s’affolent lorsqu’elle s’impose à eux, par exemple du fait d’une pandémie. Contre quoi Montaigne a dit admirablement l’essentiel en une phrase : « Je veux qu’on agisse, et qu’on prolonge les offices de la vie tant qu’on peut, et que la mort me trouve plantant mes choux, mais nonchalant d’elle, et encore plus de mon jardin imparfait. » Voilà : accepter la mort, accepter notre finitude et notre imperfection, préférer l’action à la peur, le tout sans se prendre trop au sérieux (avec nonchalance plutôt qu’avec rage), cela vaut mieux que s’affoler parce qu’un virus relativement peu létal et qui ne tue pratiquement que des personnes âgées (j’en fais partie) vient rappeler aux journalistes, comme si c’était un scoop, que nous sommes mortels ! 

Propos recueillis à distance par Bernard Legros, avec le coup de pouce d’Alexandre Penasse, juillet 2021. 

* Philosophe français né en 1952, ancien professeur à l’Université Paris‑1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste de l’éthique. Derniers ouvrages en date : Dictionnaire amoureux de Montaigne (Plon, 2020) et Que le meilleur gagne ! (Robert Laffont, 2021). 

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Ninon Mazeaud
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Covid : nouvelle occasion manquée pour la gauche

Ninon Mazeaud

« Les multiples conflits partiels qui font la trame de l’existence sociale paraissent de moins en moins susceptibles d’être rapportés à un macro-conflit central, si bien que la droite et la gauche, qui étaient les agents de cette centralisation et en tiraient leur raison d’être en retour, semblent irrémédiablement obsolètes et comme “ à côté de la plaque” »[note].Alain Caillé, 1991

ans ses ouvrages parus ces quinze dernières années, le socialiste admirateur d’Orwell Jean-Claude Michéa tire sans complaisance le bilan de la gauche et du progressisme. Il note entre autres le « coma intellectuel » dans lequel ces mouvances sont tombées, à force de renoncements, d’opportunisme et de lâcheté. La gauche institutionnelle a d’abord abandonné la référence au marxisme, en 1959 au congrès de Bad Godesberg, pour finir « naturellement » par se rallier au Consensus de Washington dans les années 1980. François Mitterrand avait ouvert le bal en 1983 avec le « tournant de la rigueur » ; Tony Blair (avec son « État social proactif ») et Gerhard Schröder avaient achevé le boulot dans les années 1990 et 2000. Cette dérive néolibérale déjà ancienne aurait pu prendre fin à l’occasion de l’événement covid, lequel aurait pu faire office de salutaire électrochoc. Aurait pu… Car depuis le début de cette mauvaise affaire virale — dans les deux sens du terme —, force est de constater, dans toute la gauche (institutionnelle, syndicale, radicale, écologiste), l’atonie ou l’obéissance aux diktats du psychobiopouvoir[note], exceptionnellement une prudente critique en gants de velours, en se tenant dans le juste milieu ou dans la « nuance » [sic]. En Belgique, du côté des politiques, on a d’abord vu un ministre socialiste, Elio Di Rupo, en remettre des couches sur la dangerosité du virus, la nécessité absolue des mesures 

non pharmaceutiques et des gestes barrières, et in fine la vaccination. On a vu son collègue du gouvernement fédéral, Frank Vandenbroucke (Vooruit), prendre le relais de Maggie De Block au ministère de la santé d’une manière plus rigide et autoritaire. Pendant un an, on a vu Marc Van Ranst, le virologue flamand n° 1 opposant à la N‑VA, adjurer l’exécutif de maintenir les mesures, et même de les durcir, comme si l’éradication du Sars-Cov‑2 et de ses variants était devenue une affaire personnelle. On a vu le PTB se contenter de réclamer un égal traitement des gens concernant la vaccination, ainsi que la fin des brevets sur les vaccins appelés à devenir un bien public. Sans faire preuve de beaucoup d’imagination, il proposait aussi que les riches soient taxés pour aider les indépendants en difficulté. Les écosocialistes et une partie de la mouvance décroissante[note] s’abreuvent aussi sans complexe à la doxa dominante. En mai 2021, le PS et Ecolo, membres de la majorité gouvernementale, ne bronchaient pas sur le caractère anti-démocratique de la future « loi Pandémie ». En France, Olivier Faure, secrétaire général du PS, est muet. Seul Jean-Luc Mélenchon (LFI) a donné de la voix au printemps de l’an dernier, avertissant l’Assemblée nationale de la menace pour les libertés que représentaient les mesures sanitaires, citant André Comte-Sponville : « Je préfère contracter le covid dans un pays libre que d’y échapper dans un État totalitaire » (cf. l’interview dans ce même numéro). En juillet 2021, il alertait à nouveau sur les dérives anticonstitutionnelles dans son pays, avant de bizarrement se désolidariser des manifestations contre le pass sanitaire (par calcul électoral pour 2022 ?). Pour le reste, c’est silence radio : les politiques de gauche et leurs soutiens militants — dont les antifas — ont déserté le débat, sauf pour hurler contre les sorties de l’extrême droite et des « complotistes » auxquels ils laissent le monopole de la contestation, cherchez l’erreur… 

Des intellectuels, de gauche comme de droite, ont été décevants dès le début de la « crise ». Le philosophe humaniste-déontologique-kantien Francis Wolff se réjouissait que les pouvoirs publics aient « choisi la vie plutôt que l’économie », oubliant que l’économie c’est aussi la vie, et que derrière elle, il y a des vraies gens qui, une fois ruinées, tombent en dépression et pour certaines se suicident ; son confrère étasunien Michael Sandel, tout aussi humaniste-déontologique-kantien, ne voyait pas de faute morale à ce que les jeunes générations soient poussées à se sacrifier pour la survie des seniors — dont il fait partie —, au nom de la solidarité intergénérationnelle ; au printemps 2020, l’astrophysicien vedette de la Toile Aurélien Barrau déroulait un désolant plaidoyer en 20 points en faveur du port du masque, dont certaines prédictions se sont avérées fausses[note] ; tombé également dans la foi covidienne le polytechnicien-philosophe Jean-Pierre Dupuy, qui voit certainement dans l’épidémie un syndrome de son catastrophisme plus si éclairé que cela, pendant que Michel Onfray, Raphaël Enthoven, Philippe Marlière et l’économiste atterrant Thomas Porcher se lançaient dans l’apologie de la vaccination et la condamnation morale de ceux qui la refusent. Si les analyses anticapitalistes de Daniel Tanuro[note] sont la plupart du temps convaincantes, elles ne l’ont pas empêché de souscrire à toutes les mesures sanitaires, en les dissociant toutefois de l’arrière-fond idéologique néolibéral des gouvernements. Du côté des communistes, Alain Badiou défendait la politique du confinement généralisé de Macron, fustigeait les réseaux sociaux repaires de la fachosphère en omettant d’incriminer la télévision, la radio et la presse quotidienne pour leur rôle dans la conversion des masses à la nouvelle religion covidiste ; et comble de l’abjection, la sociologue Danielle Bleitrach[note] milite aujourd’hui pour la vaccination obligatoire. Pendant ce temps, les meilleures critiques — voire les critiques tout court — venaient des camps libéral et conservateur. Cela ne fait pas plaisir à tout le monde, mais l’honnêteté nous force à le reconnaître. On attend maintenant que les hérauts de la gauche se montrent aussi covido-sceptiques[note], ce serait tout à leur honneur… 

De leur côté, le peuple de gauche et ses activistes n’ont pas trop protesté contre le totalitarisme qui se mettait en place depuis un an. Bien au contraire, par leur stricte observance des gestes barrières, ils le plébiscitaient à leur corps défendant. Est-ce par naïveté, pensant que la survenue d’une épidémie aurait réussi à rendre les gouvernants soudainement bienveillants et soucieux de l’intérêt commun ? Est-ce par calcul politique ? Assurément chez certains dont le dogmatisme marxiste ne les empêche pas de faire provisoirement — mais depuis plus d’un an quand même — l’union sacrée avec un gouvernement bourgeois contre l’ennemi viral, en espérant un « retournement dialectique » par la suite, en tablant sur les fameuses « contradictions internes du capitalisme qu’il faut faire jouer comme jamais dans ces circonstances historiques pour enfin aboutir au vrai socialisme ». Quand la pureté idéologique remplace la pensée… 

L’explication spirituelle et philosophique tient aussi la route. Quand on a évacué toute transcendance, le risque est de se retrouver prisonnier de l’immanence angoissante, de la désymbolisation et d’une forme desséchante de matérialisme. Mécréants envers Dieu mais dévots de la Science, les électeurs-consommateurs ont chassé le prêtre pour mieux accueillir l’expert. Depuis toujours, les progressistes ont parié sur les inévitables bienfaits des fétiches Science et Technique, censés apaiser les antagonismes sociaux et apporter bonheur et prospérité à l’humanité. Quand on ne croit pas au Royaume des cieux des chrétiens, aux houris du paradis d’Allah ou à la réincarnation des bouddhistes, ne reste que son unique petite vie biologique (ou vie nue) à préserver « quoi qu’il en coûte », puisque faute d’elle on perd toute la mise. « Sur quelles libertés [en effet] les populations ne sont-elles pas disposées à transiger, quelles sujétions ne sont-elles pas prêtes à accepter, pour fuir devant cette terreur [Ndlr : la mort], avec laquelle plus aucun rite ne permet de composer ?[note] », se demande Olivier Rey. Que le psychobiopouvoir ait interdit les rites funéraires lors du premier confinement ne relève certainement pas du hasard. En réifiant les dépouilles mortelles considérées comme toujours contagieuses et en maintenant les proches à l’écart, l’angoisse de la mort, déjà latente en temps normal, s’est intensifiée, faute d’être métabolisée dans des cérémonies. Et une population angoissée est d’autant plus manipulable. Si la religion[note] a encore un rôle psychosocial à jouer, c’est bien en contexte catastrophique, comme l’indique Bertrand Méheust : « […] si l’adhésion à une conception religieuse du monde enferme la condition humaine dans une dimension particulière, en même temps elle l’agrandit en l’ouvrant sur un ailleurs symbolique[note] » ; il déplore que « la laïcisation […] finit par “attaquer” tous les logiciels symboliques qui donnaient du sens à la vie humaine[note] ». 

La gauche défend aussi l’État thérapeutique en réclamant depuis longtemps un refinancement des soins de santé[note]. Par le truchement des élections, elle a toujours l’intention et l’espoir de recoloniser les pouvoirs exécutifs et législatifs acquis au néolibéralisme pour que la main gauche généreuse (re)devienne plus puissante que la main droite régalienne. Pourquoi pas ? Sauf que dans le covidisme, senestre et dextre se confondent : de quelle main un fonctionnaire de police ou du SPF Santé publique donne-t-il une amende pour infractions aux mesures sanitaires ? Spontanément, nous répondrons « de la droite », mais il serait judicieux de répondre « des deux mains ». Ce qui caractérise notre situation est un totalitarisme à prétexte sanitaire au visage tour à tour doux et féroce, maniant la carotte de la protection et le bâton de la répression, « bienveillant » envers sa population à laquelle il a juré de tout faire pour la maintenir en vie : « Mes chers concitoyens, vous survivrez au covid[note], nous nous y engageons ! À nos conditions, cependant : le prix à payer en matière de restriction de vos libertés publiques sera exorbitant ». Subitement désintéressés de la liberté qu’ils chérissaient jusqu’en mars 2020, et devenus obsédés par leur seule sécurité, les électeurs-consommateurs acquiescent. Le « je fais ce que je veux » a fait place au « je fais ce qu’ils veulent ». Et ceux qui mouftent sont traînés dans la boue par les médias dominants et les meutes des réseaux asociaux, tous unis dans le « sanitairement correct ». 

Cet énième dégringolade de la gauche contemporaine appelle une énième supplique pour qu’elle se ressaisisse. Comment ? Une première piste serait de renouer avec l’idéal des socialistes utopiques qui travaillaient à articuler égalité, justice et liberté. Comme l’expliquait le philosophe Martin Buber (1878–1965), « Le socialisme “utopique” non marxiste veut un chemin qui soit identique à son but. Il se refuse à croire que, comptant sur le “bond” à venir, on doive préparer le contraire de ce à quoi on aspire. Il croit plutôt que, pour atteindre ce à quoi on aspire, on doit maintenant créer l’espace maintenant possible, pour qu’il se réalise par la suite[note] ». Son ami Gustav Landauer (1870–1919) allait dans le même sens en précisant que le socialisme ne se construirait pas dans la continuité du capitalisme, mais contre lui[note]. Cependant, la condition préalable est de faire d’abord la peau au totalitarisme, si l’on suit George Orwell. Et comme condition encore préalable, faire celle au système technicien, à suivre Jacques Ellul, Lewis Mumford et Theodor Kaczinsky. La tâche est titanesque ! Une seconde piste — qui n’est pas antinomique de la première — est de réexaminer la proposition anarchiste. Elle vise au renforcement du lien social, aujourd’hui en péril malgré les appels officiels à la solidarité [sic] qui accouchent du fait social total de la soumission individualiste, que l’on pourrait résumer par la formule lapidaire « j’obéis dans mon intérêt propre ». Franck Lepage, animateur de l’association L’Ardeur, n’a pas perdu les pédales pendant cette épidémie, il sauve l’honneur de la gauche[note], mais d’une gauche proche des Gilets jaunes que nous affectionnons à Kairos. Plus que jamais l’issue du combat est incertaine, compte tenu de ce qu’écrivait Dwight Macdonald (1906–1982) : « Le processus historique se présente aujourd’hui comme un problème autrement plus complexe et tragique qu’il n’apparaissait aux penseurs socialistes et anarchistes […] La sphère de l’imprévisibilité, et peut-être même de l’inconnaissable, semble bien plus étendue aujourd’hui qu’à l’époque[note] ». Le désespoir est-il total(ement viral) ? Raccrochons-nous à l’idée d’émergence, d’imprévisibilité et d’improbable, pour rendre hommage à Edgar Morin, devenu centenaire le 8 juillet et doyen des intellectuels francophones. 

Bernard Legros 

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Articles

Est-ce que la grande muette part en sucette ?

En 2016, la Dernière Heure publiait les résultats de sondage selon lequel 81 % des Belges faisaient confiance dans leur armée. Il s’agissait de l’institution publique avec le plus gros capital-confiance. Après un été haut en couleur, il n’est pas certain que nos militaires emportent encore un score pareil[note].

Qu’est ce qui explique cette situation?

1) L’affaire Jurgen Conings

Que dire de cette affaire, si ce n’est qu’elle laisse un goût amer en bouche. En effet, on y retrouve un nombre considérable d’incidents et d’incongruités qui laisse songeur. Officiellement, un membre de nos forces armées envoie deux lettres de menace à l’encontre d’une dizaine de personnes (l’une à la police et l’autre à sa petite amie). Ces personnes sont, d’après les médias, le virologue Marc Van Ranst, la ministre de la défense Ludivine Dedonder, des supérieurs hiérarchiques de Conings ainsi que l’avocat de son ex-épouse. Dans ses courriers, il s’en prend aussi aux mosquées[note]. Il disparaît dans la nature avec quatre lance-roquettes antichar LAW et des armes de petits calibres. 

Lance roquette de type LAW

Le problème est qu’il est fiché pour appartenance à l’extrême droite nationaliste flamande par la Sûreté de l’État depuis 6 ans, et comme potentiellement violent. De nombreuses alertes ne semblent pas avoir eu d’incidences sur la carrière de Conings[note]. Il est même en mesure de se procurer sans le moindre contrôle les fameux lance-roquettes alors que sa fonction d’instructeur des troupes partant à l’étranger ne requière par d’utiliser ce type d’arme.

Bref, on peut se demander si le SGRS, le service de renseignement de l’armée, n’a pas fait preuve de complaisance à l’égard de Conings en le laissant avoir accès à des armes lourdes dans des fonctions parfois importantes (il a été, par exemple, MP en charge de la protection du Parlement et des représentants de la Nation.)

La réaction de l’armée semble ensuite totalement disproportionnée. Quand l’alerte est donnée, tous les excès sont autorisés : Les forces de l’ordre ne doivent plus respecter les règles relatives à la légitime défense. Plusieurs journaux font état de consignes de tir visant à tuer sans sommation et à vue[note]. On fait appel à des renforts allemands, hollandais et luxembourgeois qui n’ont aucune compétence de police sur le territoire belge. Et l’armée belge va faire une gabegie de moyens lourds avec des hélicoptères (dont un NH-90) et des véhicules blindés. La facture officielle sera de 867.000 euros[note]. Tout cela pour découvrir que Conings se serait suicidé dans les jours qui suivent le début des recherches alors que son corps n’est découvert que 35 jours après[note].

La découverte du corps met également mal à l’aise. Elle est faite par un bourgmestre libéral (Open VLD), proche du gouvernement, et un chasseur, dans une zone réputée inaccessible mais proche d’un chemin cycliste. Cette zone est « juste » à l’extérieur du périmètre de recherche de l’armée… Elle est invisible à cause des fougères. Alors que celles-ci sont minuscules au début de la chasse à l’homme.

Pire, de nombreux médias font état d’une fusillade inexpliquée au début des recherches[note]. Si l’on rajoute à cela que la famille n’a pas le droit de voir le corps et qu’elle ne peut faire pratiquer une autopsie… La cerise sur le gâteau est probablement le constat du chasseur qui doute très fortement de l’hypothèse d’un suicide compte tenu de ce qu’il a vu (position du corps, blessures etc…).

Comment s’étonner alors qu’un véritable culte naisse sur les lieux de la découverte du corps de Conings[note]? On aurait voulu créer un héros pour la cause nationaliste flamande, impossible de faire mieux…

2) Les inondations de juillet 2021

Les 13, 14 et 15 juillet des inondations catastrophiques frappent principalement la Wallonie et font une quarantaine de morts. L’armée, dont une des premières missions est l’aide à la nation, va intervenir très tardivement pour secourir la population[note]. Cédric Halin, le bourgmestre de Olne, vient encore de le confirmer : « Je n’en veux pas personnellement aux militaires mais on n’a vu aucun matériel sur le terrain avant une bonne dizaine de jours ».

Une étude poussée pourrait essayer de comprendre ce retard, en particulier pour une série d’unités bien placées comme le 12ème de ligne de Spa ou le 4ème Génie d’Amay. Cependant, nous avons décidé d’essayer de comprendre ce retard par rapport à l’intervention des hélicoptères NH-90 de la Composante Air. En effet, il s’agit d’appareils ultra-modernes réputés très efficaces dans ce genre de situation.

En particulier, la version NH-90 NFH en service dans la 40e Escadrille Search and Rescue basée à Coxyde dont le travail normal est le sauvetage en mer par tous les temps.

Les caractéristiques du NH-90 sont claires à ce sujet : « cet appareil possède une grande manœuvrabilité et agilité qui lui permettent d’assurer des missions de jour comme de nuit dans de très mauvaises conditions météo. » (https://fr.wikipedia.org/wiki/NHindustries_NH90)

La Belgique possède 4 exemplaires TTH basés à Beauvechain et 4 exemplaires NFH basé à Coxyde. En fait, les exemplaires TTH sont déjà très utiles car ils doivent pouvoir infiltrer des commandos derrière les lignes ennemies, donc a fortiori, ils sont capables de récupérer des victimes d’inondation dans la vallée de la Vesdre…

Ces petits bijoux ont un coût plus élevé à l’utilisation qu’un F‑16. Ils sont même les appareils volants les plus chers de la Défense. (15.000 euros/heures de vol.) Que font nos NH-90 pendant les inondations ? Pour rappel, elles commencent le 13 juillet. Un article publié par l’Avenir.net le 16 juillet 2021 (Intempéries : un premier hélicoptère de la Défense engagé, hier « le temps était trop mauvais pour intervenir »), nous donne quelques réponses : « Un hélicoptère NH90 de la Défense a décollé vendredi matin de Bierset (Liège) pour participer aux missions de sauvetage et d’évacuation dans les zones inondées où des personnes attendent encore les secours ». Kurt Verwilligen, porte-parole de la composante aérienne, l’a indiqué en matinée sur Radio 1 (VRT). La Défense le communique également via son site vendredi matin: l’hélicoptère est venu en aide à des personnes bloquées sur un toit à Pepinster (province de Liège).

Jeudi, les hélicoptères n’avaient pas pu être utilisés à cause des conditions météorologiques. Ce qu’avait confirmé la Défense jeudi soir dans son état des lieux de l’aide engagée. « Plusieurs hélicoptères de la Défense sont en stand-by pour des missions de sauvetage et d’évacuation dans la province de Liège, dont un hélicoptère de sauvetage NH90 NFH de la 40e Escadrille Search and Rescue de la base de Coxyde. Il est stationné avec son équipage à l’aéroport de Liège depuis jeudi matin », indiquait alors l’armée. C’est cet hélicoptère qui a finalement effectué sa première mission vendredi matin. Il y a aussi un hélicoptère de sauvetage de la protection civile française qui avait rejoint Liège jeudi. La météo limitait jeudi la visibilité, ce qui rendait dangereux de faire décoller les appareils. « Les lignes à haute tension sont indiquées sur les cartes mais pas, par exemple les grues de chantier, a expliqué le porte-parole vendredi. D’autres hélicoptères pourraient encore être engagés vendredi. Les militaires sont aussi à pied d’œuvre avec du personnel en nombre, des camions, des bateaux (dont plusieurs ont dû rentrer à la caserne jeudi car ils n’étaient pas assez puissants face au courant), des sacs de sable. La Belgique a fait appel au mécanisme européen de protection civile, ce qui lui permet de recevoir les offres d’aide d’autres pays. C’est dans ce cadre que la France a par exemple envoyé une équipe de dizaines de sapeurs-sauveteurs, et un hélicoptère de sauvetage ».

A partir de cet article, on peut se poser quelques questions :

Que font les 7 autres NH-90 de la Défense pendant ce temps et pourquoi ne sont-ils pas utilisés ?Pourquoi leur faut-il trois jours pour être déployés ?Pourquoi un hélicoptère français rejoint Bierset sans encombre mais ils ne savent pas rejoindre la vallée de la Vesdre ?Pourquoi parler d’obstacles comme les grues de chantier par rapport à des NH-90 dont les équipages sont habitués et équipés pour travailler au milieu des éoliennes de la Mer du Nord et au-dessus des mats des bateaux en détresse, par tous les temps ?

Le sommet est atteint avec un article de la DH du 05.08.2021 dont le titre est :

« Les NH-90 de Beauvechain ont rempli leur mission : une vingtaine de véhicules extraits des eaux en région liégeoise ». 

On aurait préféré qu’ils soient présents dans les heures suivant la catastrophe et qu’ils ramènent des gens avant qu’ils se noient…

3) L’Afghanistan

Deux axes posent problèmes :

Le coût de vingt ans d’opération: l’armée n’est pas responsable des missions qui lui sont confiées mais bien les politiques… C’est évident. Néanmoins, il faut se poser la question du coût de cette opération. Probablement la plus longue de l’histoire militaire belge à l’exclusion de la garde du secteur belge en Allemagne pendant la guerre froide. Si l’utilité de cette dernière n’est pas largement contestée, il est clair que l’aventure afghane ne semble avoir servi à rien compte tenu de la victoire totale des Talibans. Le patron de la Défense, l’amirale Michel Hofman, se félicite qu’il n’y ait pas eu de décès dans le contingent belge engagé en Afghanistan. Mais il reconnaît que le coût total du déploiement tourne autour de 400 à 500 millions d’euros[note]. Inutile de dire qu’après la crise du Covid et les inondations de cet été, on aurait bien investi cet argent ailleurs… Le pont aérien et les 2.500 Afghans « rapatriés » en Belgique: moralement, il fallait protéger les collaborateurs de l’armée belge en leur permettant de quitter l’Afghanistan. Néanmoins, faire rentrer 2.500 Afghans sur le territoire belge constitue un risque important pour la population belge. En particulier, lorsqu’on voit comment le SGRS a géré l’affaire Jürgen Conings. Sachant également que les services français ont détecté des infiltrations dans la masse de réfugiés afghans amenés en France par le pont aérien[note].

4) D’importantes manœuvres en Ardennes au mois d’octobre

L’état-major a planifié d’importantes manœuvres en Ardennes pour début octobre. C’est un peu comme si après avoir eu le feu dans votre maison, on s’apercevait que vous aviez gardé de l’eau pour votre piscine, alors que celle-ci aurait pu éteindre le sinistre. Cela signifie que l’armée n’a pas donné le maximum dans l’aide aux victimes des inondations. Elle a volontairement conservé des moyens humains importants (des « hommes-jours ») pour aller jouer cow-boy/indiens dans les forêts ardennaises. C’est proprement scandaleux.

Conclusion

Il y a donc des questions à se poser. Alors que l’armée belge, soutenue par des troupes étrangères, mettaient toute son énergie à traquer Jurgen Conings, dont les circonstances de la mort sont pour le moins étranges, elle ne mettra pas autant de zèle pour venir en aide aux sinistrés des inondations, peu de temps après. Rapatriée d’Afghanistan durant l’été, il est par ailleurs légitime de se demander à quoi tout cela a servi et, comme souvent, déplorer cet énorme gaspillage d’argent, argent qui serait bien utile ailleurs. 

Si l’armée belge a toujours été assez appréciée par le peuple belge, il ne faudrait pas que ses dirigeants changent cette situation. A moins que certains politiciens cherchent volontairement à casser ce lien qui lie notre armée avec le peuple. Comme ils ne sont plus à ça prêt…

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Contributions extérieures

Arme N°4 : Le Fact-Checking — Les Inquisiteurs du Faux et du Vrai

Depuis quelque temps, la plupart des médias « mainstream » se sont remplis d’une fonction purificatoire : distinguer le faux du vrai. Les fact-checkers, autoproclamés, épinglent les informations incorrectes et leurs auteurs impropres. Une inquisition qui, observée à la loupe, présente bien des lacunes… et bien des dangers.

Dans cet article, nous abordons 7 problèmes soulevés par le « fact-checking », lorsque celui-ci est pratiqué de manière simpliste, partiale ou manipulatoire.

Au sommaire :

Le fact-checking frugal : l’inconsistance dans la citation des sourcesLe fact-checking émotionnel : annoncer la raison et brandir l’émotionLe fact-checking unilatéral : la fin de la dialectiqueLe fact-checking diffamatoire : la mise à mort des rebouteuxLe fact-checking autocontradictoire : la vérité, quand ça nous arrangeLe fact-checking sans appel : le dossier est bouclé !Le fact-checking dramatique : bienvenue dans le triangle de Karpman !

Le mouvement du fact-checking, ou « journalisme de vérification », ne date pas d’hier. Il a démarré aux États-Unis où il prend ses racines il y a près de 100 ans[note], mais, depuis quelques années, il tend à se généraliser dans la presse belge et française. Il a pris une dimension très investie durant la crise sanitaire.

Quelques exemples en France :

https://factuel.afp.com/ (L’AFP)https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/ (Le Monde)https://www.francetvinfo.fr/vrai-ou-fake/ (L’audiovisuel français)https://www.liberation.fr/auteur/service-desintox/ (Libération)https://www.20minutes.fr/societe/desintox/ (20 minutes)

Quelques exemples en Belgique :

https://www.rtbf.be/info/dossier/faky-fact-checking (La RTBF)https://www.lesoir.be/336427/sections/le-vrai-ou-le-faux (Le Soir)https://www.lalibre.be/dossier/belgique/la-source-le-fact-checking-de-la-libre-606569977b50a6051773270e (La Libre)

Certains voient ce phénomène comme une réponse à un besoin d’éclairer la grande quantité d’informations fausses ou de rumeurs, qui circulent notamment sur les médias sociaux. D’autres y trouvent une occasion de redonner au journalisme son blason, dans une période où la note de crédibilité de la presse traditionnelle est en chute dans l’opinion[note].

Un paradoxe se dessine toutefois. « Le fact-checking se voit reprocher, par une partie des citoyens, sa prétention à dire le vrai, critique de plus en plus commune à l’endroit des médias en général », souligne avec lucidité Cédric Mathiot, journaliste responsable de la rubrique Désintox chez Libération[note].

D’un autre côté, il semble que le fact-checking produise ses effets. Une étude menée en 2019 par des chercheurs américains indique que le fact-checking influence significativement les opinions politiques, même si les lecteurs y seront plus ou moins perméables en fonction de leurs croyances et de leurs connaissances[note].

Bien sûr, le fact-checking est parfois salutaire

Avant de plonger dans les dérives du fact-checking, tel qu’il est parfois utilisé aujourd’hui, je désire rendre honneur aux principes de vérification de l’information et de recoupement des sources, qui sont les piliers d’un journalisme de qualité, garant d’une démocratie où les citoyens peuvent effectuer des choix éclairés.

Par exemple, les réseaux sociaux sont inondés de citations prétendument attribuées à des personnalités charismatiques telles que Steve Jobs ou Gandhi, mais que ces derniers n’ont, en fait, jamais prononcées. Albert Einstein aurait de quoi se retourner vingt fois dans sa tombe s’il savait comme son intelligence est régulièrement instrumentalisée pour augmenter l’impact des messages qu’on a envie de faire passer[note].

« Si les abeilles disparaissaient de la surface du globe,l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre »… cette phrase souvent attribuée à Albert Einsteinne figure dans aucune archive[note].

À d’autres moments, ce sont des hommes ou des femmes politiques à qui on attribue des propos qu’ils n’ont jamais émis. Tous les camps politiques sont potentiellement concernés, sans que soit épargné le Président Emmanuel Macron lui-même[note].

Dans certains cas, les rumeurs peuvent provenir de médias, qui ont véhiculé trop vite des informations non fondées, dont la vérification s’avère profitable à tout le monde[note]. La course à l’information et à l’audience conduit parfois à des faux pas.

Donc oui, bien sûr que la vérification de la véracité des informations constitue un socle important sans lequel tout raisonnement ou toute décision perdrait sa consistance.

Le fact-checking convient, en ce sens, tout particulièrement à des informations simples, concrètes et 100% vérifiables.

Du genre :

Certaines compagnies aériennes interdisent-elles les vaccinés ?[note]45.000 églises sont-elles menacées de démolition ?[note]Est-il vrai que 10.000 nouveaux policiers ont été recrutés en France ?[note]

Là où les choses se compliquent, c’est lorsque les journalistes prétendent séparer le faux du vrai sur des questions plus complexes, sujettes à la nuance, à la critique des données sources ou au prisme des opinions.

Le fact-checking frugal

Il est assez saisissant de constater que de nombreux articles de fact-checking publiés dans les médias de masse manquent de consistance sur le plan de la citation des sources.

Prenez cet article publié par RTL[note]. Les seuls liens qu’il contient renvoient vers d’autres billets de la chaîne. Pas une seule source scientifique n’est livrée. Tout au plus une référence à l’OMS, dont on dit qu’elle déconseille la prescription de l’ivermectine, sans préciser que cette position est provisoire, « en attendant que plus de données soient disponibles »[note].

Dans cet article daté du 16 juillet 2021, la chaîne de télévision RTLbalaye une option médicale d’un revers de la main…sans faire référence à la moindre étude scientifique,là où il en existe des dizaines.

Certains fact-checkers feront le même travail avec tout de même un peu plus de consistance, par exemple au travers de cet article signé par les décodeurs du Monde et daté du 13 avril 2021[note]. A‑t-on pour autant répondu de manière fiable à la question de l’efficacité de l’ivermectine ?

Ce n’est pas ce que pense l’auteur d’un article très sourcé, publié le 15 avril 2021 sur Mediapart[note], lequel déploie une robuste critique du prétendu fact-checking des décodeurs du Monde. L’article évoque tour à tour de multiples essais cliniques, des méta-analyses, des revues systématiques, des études épidémiologiques, des analyses bénéfices-risques, des bases légales, et il annexe une bibliographie de 33 articles peer-to-peer.

Entre-temps, en juillet 2021, d’autres études et méta-analyses sur l’ivermectine continuent de sortir. En tout cas bien plus de références scientifiques que les deux ou trois études mentionnées par Le Monde lorsqu’il prétend résumer la question « Sur quoi s’appuient-ils pour défendre l’ivermectine ? ». Parler de fact-checking frugal ne me semble pas exagéré.

Notez la rhétorique très émotionnelle de l’article du Monde, qui utilise des mots clairement susceptibles de discréditer la démarche des scientifiques qui étudient les alternatives thérapeutiques au vaccin : « traitement miracle », « mirage thérapeutique »… voilà comment la solution est présentée d’emblée. Dès le titre, on bascule dans l’émotionnel, de manière assez paradoxale pour un fact-checking.

De plus, la question de départ reste souvent insuffisante pour appréhender la complexité de la réalité. Dans le cas qui nous occupe, la question n’est pas uniquement « Est-ce que l’ivermectine est efficace ? », ce qui induit une attente de réponse simpliste en « oui » ou « non ». Mais dans quelles conditions, dans quelles proportions, avec quels autres médicaments et dans quel timing l’ivermectine est-elle efficace ? C’est en ces termes que des scientifiques tels que Didier Raoult ou Peter Mc Cullough abordent la réflexion.

Le Professeur Mc Cullough, invité ici à l’IHU Marseille,explique en détail le protocole médical qu’il estime efficace.Les médicaments ne sont pas perçus comme des pilules miracles,mais ils sont intégrés ici à tout un workflow médical[note].

On en revient à la source du problème : peut-on se permettre de fact-checker, en un article tranché, des questions complexes qui font l’objet d’une myriade d’études, de paramètres et de points de vue ?

Paradoxalement, c’est parfois dans les médias alternatifs, souvent traités de « repères de complotistes » que vous retrouverez les bonnes pratiques du journalisme scientifique et de la citation des sources. Des plateformes telles que RéinfoCovid concluent régulièrement leurs articles par des références bibliographiques, comme dans cet article sur les méthodes de calcul de l’efficacité des vaccins, pour ne citer qu’un exemple[note].

La critique de la fébrilité du fact-checking n’est pas réservée aux médias alternatifs ni aux personnes engagées dans l’associatif, ce sont les scientifiques eux-mêmes qui parfois montent au créneau pour dénoncer les fragiles raisonnements de certains journalistes.

Par exemple, en juin 2021, des scientifiques américains ont adressé une critique aux médias fact-checkers sous la forme d’un article portant sur les premiers résultats d’analyse des décès rapportés dans le système de pharmacovigilance des USA, nommé VAERS[note].

Vous trouverez la traduction en français de cet article sur le site de RéinfoCovid[note]. Les chercheurs dénoncent notamment des omissions conséquentes, comme le fait que les fact-checkers s’abstiennent de préciser que les décès post-vaccinaux des bases de pharmacovigilance n’ont pas été décorrélés ni déclarés non imputables au vaccin. En conséquence ils le sont peut-être !

L’article conclut : « Quoi qu’il en soit, nous pensons que les vérificateurs de faits devraient être traités avec le même degré de scepticisme et de méfiance qu’ils nous recommandent d’employer lorsque nous lisons les sources qu’ils réfutent si fortement. »

Le fact-checking émotionnel

La légèreté avec laquelle certaines informations sont balayées par les médias classiques est tout à fait interpellante. Prenez cet article paru dans Le Nouvel Obs. Il annonce une actualité de taille : une méta analyse scientifique, fondée sur 18 essais randomisés, qui conclut à une efficacité de l’ivermectine dans la diminution de la mortalité face à la COVID-19 et dans l’accélération de la guérison des personnes atteintes.

Observez le scepticisme avec lequel l’étude de l’American Journal of Therapeutics est accueillie par l’Obs. Un scepticisme a priori, absolument pas étayé sur le plan factuel.

Après avoir traité l’ivermectine de « traitement miracle » (terme qui n’est pas revendiqué dans la littérature scientifique dont il est question), le journal multiplie les expressions du scepticisme et du doute. Un amalgame est effectué, ensuite, avec les personnalités et les thèmes les plus polémiques : Didier Raoult, Donald Trump, Bolsonaro, l’hydroxychloroquine. Alors que ces éléments n’ont strictement aucun rapport avec le sujet de l’étude. 

Le lien vers l’étude elle-même est… erroné ! J’ai effectué une recherche pour le récupérer[note]. Les références sur lesquelles s’appuie l’étude ne sont absolument pas communiquées. Et ni son contenu ni sa méthodologie ne sont analysés.

La méfiance avec laquelle l’étude est accueillie n’est pas davantage étayée. Aucune mention n’est faite d’une contre-analyse ni d’experts qui se seraient exprimés à contre-courant des conclusions de ce récent rapport en provenance des États-Unis.

Après avoir semé le doute sur l’espoir que constituent ces recherches, le journaliste conclut en évoquant « les pires effets secondaires » que peut générer l’ivermectine, histoire d’ajouter la peur au doute.

De fact-checking, il n’est nullement question. Une ligne pour annoncer l’étude et cinquante lignes pour la discréditer. Aucun détail sur le profil des chercheurs, la méthodologie, l’échantillon et les conclusions.

D’autres études ont été publiées entre-temps, aux États-Unis[note] et en France à l’Institut Pasteur[note]. Mais ces études sont systématiquement dépréciées[note] par les médias « mainstream », qui se concentrent sur l’apologie du vaccin.

Le fact-checking unilatéral

​Les médias traditionnels chantent à l’unisson. Et le fact-checking est une voie à sens unique. Systématiquement, les recadrages ramènent à la position officielle : pro-vaccins, pro-masques, pro-confinement. Les seuls moments où des problèmes sont remontés, c’est pour en pointer le caractère exceptionnel[note]. De manière tout aussi systématique, les alternatives au vaccin sont minimisées, comme nous l’avons vu précédemment.

Plutôt que de permettre au lecteur de forger sa vérité au départ d’un débat contradictoire, qui existe, de fait, les fact-checkers prennent parti. Le « vrai ou fake » signe la mort de la dialectique et du questionnement socratique. Nous ne sommes plus dans une science qui recherche, mais dans une science qui sait, ou prétend savoir indubitablement. Il y a les bons scientifiques, et les mauvais, ceux qui sont sur la liste noire parce qu’ils n’adhèrent pas au consensus.

C’est ainsi que des prix Nobel ou des chercheurs attitrés et expérimentés peuvent se retrouver, du jour au lendemain, au rayon des savants fous, des cerveaux en déchéance ou des scientifiques guidés par leur égo, dès lors qu’ils ne collent plus à la ligne de pensée officielle.

La liste des savants qui sont devenus fous en 2020 et en 2021 (NDLR : c’est de l’ironie) ne fait qu’augmenter. J’avais d’ailleurs réalisé un poster avec une première sélection :

J’ai conçu ce poster en clin d’œil. Une étude factuelle démontrerait rapidement que des dizaines de profils extrêmement brillants ont fait l’objet d’un véritable déchaînement de la part des médias dominants. Tapez leur nom dans un moteur de recherche et savourez toute la créativité que certains journalistes déploient pour pratiquer la langue du serpent et mordre la réputation de courageuses et brillantes personnalités.

Ci-dessous, un prix Nobel de médecine est barré au bic rouge par les journalistes de l’AFP[note].

L’effet émotionnel de ce type de processus qui consiste à rayer une personne (au sens propre, dans ce cas-ci) plutôt que de rayer un propos précis, laisse évidemment des traces sur la réputation de cette personne. Les plus critiques d’entre nous se demanderont si ce n’est pas justement l’objectif poursuivi par les « chiens de garde »[note] de la pensée dominante : discréditer ceux-là mêmes qui ont été encensés, dès le moment où leur discours s’écarte du consensus.

Notez la faible consistance de l’argumentation : « Les virologues et épidémiologistes interrogés par l’AFP récusent toutefois unanimement cette thèse ». Les experts en question ne sont pas cités de manière précise. Il est précisé que ce sont les experts que l’AFP a décidé d’interroger. Heureusement, car s’ils avaient interrogé, sur le même sujet, d’autres experts, comme Didier Raoult ou Kaarle Parikka[note], il y a fort à parier que ladite unanimité serait égratignée.

Ci-dessous, bien alignée à l’AFP, la RTBF[note] recadre notre prix Nobel avec plus de douceur : un logo « Faky », tout en arrondi, vient accompagner une photo gentiment choisie pour ne surtout pas mettre en valeur le Professeur Luc Montagnier.

Pour être certaine que nous avons bien compris, la RTBF ajoutera un sous-titre sur « Les errements du professeur Montagnier » ainsi qu’un autre intitulé « Un prix Nobel, pas une source de vérité absolue »… étant entendu que la Vérité absolue, vous la trouverez dans la rubrique « Faky Fact Checking » de votre télévision nationale. 

Tout aussi symptomatique : le lien vers la vidéo YouTube, qui n’est plus disponible. Logique, en période de censure, il devient difficile de faire référence à des acteurs divergents, ne serait-ce que pour les discréditer.

La RTBF fait référence à une vidéo YouTube, qui entre-temps, a été censurée.Il devient difficile de fact-checker, dans certains cas, car la censure agit en amont.

Nous ne sommes plus à l’ère du débat. Le journaliste ne se positionne pas comme l’animateur d’une diversité d’opinion. Il prend position. Et par la même, il sous-entend qu’il existe une position correcte, et que toutes les autres doivent être écartées.

Bernardo Gui, le grand inquisiteur dans « Le Nom de la Rose ».L’enquête détaillée de Frère Guillaume (joué par Sean Connery)ne change rien au verdict : la rhétorique de l’autorité l’emporte.

Je n’ai pas forcément une opinion arrêtée sur les thèmes que nous avons évoqués (l’efficacité de l’ivermectine, le nombre de morts attribués au vaccin, l’origine des variants), mais j’ai, en revanche, la grande frustration de ne pas pouvoir assister à un véritable débat démocratique, ouvert et respectueux entre des scientifiques qui ont des points de vue, des informations et des sensibilités différentes. 

Aurait-on découvert quoi que ce soit d’intéressant en science si nous n’avions jamais accepté un point de vue décalé ? La relativité, la physique quantique et l’électricité auraient-elles pu émerger si des fact-checkers attendaient Albert Einstein, Max Planck et Thomas Edison au tournant de toute hypothèse non consensuelle ?

Le fact-checking diffamatoire

De plus en plus souvent, le fact-checking se détourne de sa vocation originale. Plutôt que de porter sur la vérification d’un fait, il se mobilise autour de la réputation d’une personne.

Prenons cet exemple extrait de la rubrique « Vrai ou fake » sur le site de France Info :

Prise d’écran de la rubrique « Vrai ou fake » du site France Info – 24 juillet 2021.

Titre de l’article : « Vrai ou fake : Didier Raoult, le parcours d’un scientifique décrié »[note]

Que vérifie-t-on exactement ? C’est totalement flou.

Le titre n’émet aucune proposition claire susceptible d’être vérifiée. Vérifie-t-on certains éléments du parcours scientifique de Didier Raoult ? Vérifie-t-on le fait qu’il soit décrié ? L’article de France Info revêt les allures d’un fact-checking, qui n’énonce pas sa thèse, la vérité à vérifier.

Au final, le lecteur peut sous-entendre que ce qui est vérifié, c’est la légitimité de la personne elle-même : Didier Raoult est-il… vrai ou fake ? Ou que faut-il retenir du parcours de Didier Raoult ?

L’article tient ensuite en 214 mots… 214 mots qui sont censés résumer ce qu’il est légitime de penser à propos du Professeur Didier Raoult. La vidéo de 2 minutes s’apparente à un montage qui met en scène un personnage égocentrique et rempli d’excès de confiance. Ce montage est très « émotionnel » pour un article dédié au fact-checking. Il serait très facile, au départ des dizaines de vidéos de Didier Raoult, de réaliser un montage qui, à l’inverse, démontrerait toute la nuance et toute la sagesse dont est capable ce même personnage[note].

Un intertitre résume ensuite, en 7 mots, le parcours du scientifique : « D’idole des Français à scientifique rejeté ». Aucune de ces deux assertions (« idole des Français » et « scientifique rejeté ») n’est étayée par des faits.

Une analyse plus fouillée permettrait de rapidement vérifier que ces deux assertions sont des simplifications totalement abusives. D’une part, une partie des Français ne considèrent absolument pas Didier Raoult comme une idole, et même ceux et celles qui le suivent ou lui accordent du crédit, ne sont pas pour autant obligés de sombrer dans l’idolâtrie. D’autre part, plusieurs scientifiques éminents continuent de soutenir les propos de Didier Raoult, qui n’est donc pas rejeté en bloc par la communauté scientifique. Nous ne sommes pas dans une réalité en noir et blanc, mais dans un débat scientifique beaucoup plus nuancé, n’en déplaise à ceux et celles qui aiment se reposer sur une vérité bien tranchée.

Du point de vue du storytelling, nous assistons ici à ce que j’appelle « le narratif de la déchéance » ou du « savant devenu fou », que l’on retrouvera appliqué à d’autres scientifiques, comme Christian Perronne, Alexandra Henrion ou Luc Montagnier, chaque fois que ceux-ci présentent, à la base, un parcours tellement crédible et consistant qu’il est nécessaire de les discréditer sur un autre plan.

Observons, dans cet article qui brandit l’étendard du « vrai ou fake », une grande inconsistance en matière de citation des sources : un seul lien est proposé… vers un article consacré à l’enquête dont Didier Raoult fait l’objet à l’Université d’Aix-Marseille. Donc, le fact-checker a choisi de s’appuyer sur… une enquête en cours.

Aucun lien n’est proposé vers :

Le curriculum vitae de Didier Raoult[note]Le livre très détaillé que Didier Raoult a publié précisément pour se défendre des manipulations médiatiques dont il prétend faire l’objet[note]La chaîne vidéo officielle de l’IHU Marseille (qui compte près d’un demi-million d’abonnés et des heures de réflexion scientifique)[note]Les scientifiques français ou étrangers qui continuent d’accorder tout leur soutien à Didier RaoultLes raisons pour lesquelles l’équipe de Didier Raoult continue de défendre l’idée d’étudier les effets de l’hydroxychloroquine administrée dans des conditions de timing et d’association médicamenteuse bien spécifiées[note]Les nombreux autres sujets sur lesquels Didier Raoult partage ses travaux ou ses réflexions

Très avare en faits objectifs, cet article est, en revanche, inondé de vocabulaire émotionnel : « décrié », « miracle » (x2), « idole » (x2), « rejeté » (x2), « fans », « une telle assurance », « très controversé ». On navigue dans l’affectif.

En résumé, ce « vrai ou fake » :

démarre sans identifier un fait précis à vérifier ;s’appuie sur peu d’éléments factuels ;contient zéro référence vers le principal concerné ;est inondé de sémantique émotionnelle ;véhicule une image négative de la personne, sans contrepoids.

En arrière-fond, la démarche est très insidieuse : le fact-checking est instrumentalisé pour atteindre à la réputation d’une personne. Le lecteur trop docile ou peu disponible conclura très facilement que… Didier Raoult n’est pas (ou plus) une personne à qui on peut faire confiance. Bienvenue dans l’ère du « People-checking ».

C’est d’autant plus insidieux qu’une même personne peut tantôt avoir raison et tantôt se tromper, ou simplement voir les choses sous un autre angle. Ce glissement de la vérification des faits à la vérification de la légitimité d’une personne en bloc constitue, selon moi, un véritable dérapage de l’intégrité journalistique.

À partir du moment où on glisse du QUOI au QUI, à partir du moment où les fact-checkers confondent le rôle de vérifier « ce qui est vrai » avec la mission de désigner « qui dit le vrai », à partir du moment où ce rôle est investi de manière émotionnelle et non plus factuelle, il n’est pas exagéré de parler d’inquisition éditoriale.

À d’autres endroits du site France Info, le discrédit s’opère de manière plus diffuse. Comme sur la page d’accueil de la rubrique « Vrai ou fake », où l’on atterrit sur une photo, représentant un manifestant anti-vaccin, qui brandit un panneau de fortune où traînent des fautes d’orthographe.

Prise d’écran de la rubrique « Vrai ou fake » du site franceinfo – 24 juillet 2021.Le choix de l’image (une pancarte improvisée avec un message au français approximatif) vise délibérément à discréditer l’opposition.

Il va de soi que le choix de cette photo n’est pas neutre et tend à saboter la crédibilité des manifestations contre l’obligation vaccinale. Une photo d’un avocat qui s’exprime face à une foule de milliers de personnes correspondrait tout autant à des éléments de réalité et véhiculerait une tout autre image des opposants à la vaccination.

Dans cet exemple, le discrédit ne porte pas sur une personne précise, mais sur un groupe de personnes ou sur un point de vue. On retrouve cette même ambivalence dont j’ai parlé plus haut : le fact-checking brandit la légitimité d’une vérification factuelle, mais dérive ici dans des choix de communication très émotionnels.

Le fact-checking autocontradictoire

Dans certains cas, les médias fact-checkers se contredisent au regard de ce qu’ils ont eux-mêmes précédemment publié.

Prenons l’exemple du journal Le Monde qui, le 29 juin 2021, épingle comme « non fondé » le fait que les vaccins anti-COVID favorisent des AVC (accidents vasculaires cérébraux)[note]. Une affirmation en contradiction avec leur propre article publié le 26 mars 2021 dans lequel ils écrivaient que l’Agence nationale de sécurité du médicament confirmait un risque de thromboses, notamment des thromboses cérébrales, associées au vaccin[note].

L’association reinfocovid.fr épingle cet exemple et rappelle que plusieurs autres sources attestent du risque de thrombose, même si ce dernier reste peu fréquent[note].

Extrait de la rubrique « Les décodeurs » du journal Le Monde– prise d’écran datée du 24 juillet 2021.

Ci-dessus, les décodeurs soulignent comme « infondé » le lien entre le vaccin et les AVC. Plus bas, il est stipulé qu’aucun AVC n’a été enregistré par l’ANSM, en lien avec le vaccin. Pourtant, trois mois plus tôt, ce risque avait déjà été identifié… par les mêmes sources !

Dans une lettre aux professionnels de santé de mars 2021, précise RéinfoCovid, l’ANSM signale une association entre des thromboses des sinus veineux cérébraux et le vaccin AstraZeneca[note]. Le Vidal signale également des thromboses cérébrales post-vaccinales dans son article du 18 mai 2021 « effets thrombotiques des vaccins Astrazeneca et Janssen : quelles prises en charge ? »[note].

La contradiction est telle que Réinfocovid s’en vient à se demander si les journalistes sont au courant que les thromboses cérébrales sont, de fait, des accidents vasculaires cérébraux généralement abrégés en « AVC ».

Certes, tout le monde s’accorde pour préciser que le risque de thrombose reste très faible, mais il n’est pas inexistant. Tel est le grand danger des approches binaires en « vrai ou fake » : elles amènent à gommer les nuances et à prendre des libertés par rapport à la réalité. Si l’on prend le décodage du Monde mot à mot, il est irrémédiablement faux au regard des mêmes sources. 

La réalité que dépeint RéinfoCovid pourra sembler plus juste à certains : le 12 mars 2021, la France comme 12 autres pays suspendait la vaccination par le vaccin AstraZeneca suite à l’enregistrement par l’Agence Européenne du Médicament de 30 cas de thromboses (au 10 mars 2021) dans le cadre de la pharmacovigilance suite à l’administration de ce vaccin. Un lien possible entre les thromboses et ledit vaccin est reconnu le 16 mars par l’ANSM. Néanmoins, la vaccination reprend en France le 19 mars avec la bénédiction de la HAS (Haute Autorité de Santé); le vaccin étant désormais réservé aux plus de 55 ans.

Les anti-vaccins sont régulièrement taxés de « rassuristes » ou de « covidosceptiques », sous prétexte qu’ils minimiseraient le danger lié à la COVID-19. Mais, à l’autre bout, les gouvernements et les médias ont une communication qui minimise systématiquement le danger des vaccins. Mon propos n’est pas de me positionner, mais d’éclairer le fait que la communication des uns et des autres n’est pas neutre. À la différence près que les fact-checkers revendiquent être détenteurs de l’objectivité.

Le fact-checking sans appel

En général, le fact-checking a pour ambition de trancher une question et, ensuite, de clôturer le dossier. On est bien dans une dynamique de « Ceci est faux, on n’en parle plus » ou « Cette personne délire, arrêtez de l’écouter ». 

C’est ainsi que l’article de RTL déjà évoqué[note] se permet de trancher que les études sur l’ivermectine ne sont pas concluantes et que l’OMS déconseille sa prescription, alors même que, durant le mois précédent la sortie de l’article, les recherches se sont poursuivies avec intensité et de nouvelles études ont encore émergé.

Non content d’insister sur le fait qu’il n’existe aucune évidence (probablement un anglicisme venant d’une traduction maladroite de l’anglais) de l’efficacité de l’ivermectine, le journaliste conclut à la massue qu’il n’y a même pas « un quelconque bénéfice à espérer ».

Et comme le fact-checking s’accompagne volontiers d’une dose de moquerie et de dédain, il est rappelé que le traitement ne s’est avéré efficace que « sur 18 hamsters dorés ». Visiblement, le journaliste n’est pas au courant des nombreuses études beaucoup plus récentes sur l’ivermectine. Et il enterre le débat comme on enfouirait à six pieds sous terre une personne encore vivante, en ayant oublié de vérifier si son cœur bat, ou pire, en désirant ne pas l’entendre, ce cœur du divergent.

Le fact-checking dramatique

Dans cette dernière partie de l’article, j’utilise le terme « dramatique » en référence à un modèle très utilisé en psychologie : le triangle de Karpman. Car je suis convaincu que ce qui pose fondamentalement problème dans le fact-checking, au-delà de l’aspect épistémologique, c’est la posture psychologique.

Stephen Karpman est un médecin psychiatre, adepte de l’analyse transactionnelle, qui a mis au point un modèle susceptible d’expliquer des « jeux psychologiques » qui entraîne une relation « dramatique »[note].

Il distingue trois « rôles » que nous avons parfois tendance à revêtir et qui vont générer des relations déséquilibrées et douloureuses. Ces trois rôles alternent et jouent dans tous les sens : le sauveur, la victime et le persécuteur.

Où se situe le fact-checker dans le triangle de Karpman ?

Décodage : le fact-checker perçoit que le pauvre citoyen (VICTIME) est confronté à la désinformation. Il endosse son rôle de redresseur de la vérité (SAUVEUR) et, pour se faire, est prêt à devenir le grand dénonciateur (PERSÉCUTEUR) de l’auteur de cette désinformation. La personne concernée risque, à son tour, de se sentir agressée ou mal comprise (VICTIME). Elle pourrait avoir envie de réagir (PERSÉCUTEUR) en fact-checkant le fact-checkeur. La situation risque de se polariser et le citoyen pourra se sentir inconfortable (VICTIME) entre ces sources d’information qui disent tout et son contraire. Pour se stabiliser, il sera possiblement tenté de prendre parti, pour l’un et contre l’autre (PERSÉCUTEUR). Etc.

Vous sentez bien que ce type de relation engendre de la tension et de la disharmonie.

En analyse transactionnelle, on présente souvent aussi un autre modèle, celui d’Eric Berne, qui induit 4 positions relationnelles, en fonction du rapport à soi et du rapport à l’autre[note] :

Toi OK, moi OK (c’est la position recommandée, assertive et ouverte)Toi OK, moi pas OK (c’est une position soumise)Toi pas OK, moi OK (c’est la position du persécuteur)Toi pas OK, moi pas OK (c’est une position cynique où rien n’est bon)

Où se situe le fact-checker dans ce modèle d’Eric Berne ?

Par définition, le fact-checker se situe dans la zone « Moi OK, toi pas OK ». Autrement dit : je suis investi de la mission de dire le Vrai dans un monde où certains ont tout Faux. Cela implique, psychologiquement, que je me place au-dessus des autres.

Pas besoin de vous faire une photo : cette posture nous conduit tout droit à des relations dramatiques.

En conclusion

Tout comme on entre dans le triangle de Karpman « en voulant bien faire », le fact-checking part d’un bon sentiment, le goût de la vérité, mais se heurte très vite à des dérapages.

Parmi les problèmes rencontrés :

Le fact-checking frugal, qui ne repose pas lui-même sur des sources ni des raisonnements très consistants.Le fact-checking partial, qui n’éclaire que les faits qui rentrent dans la lorgnette admise et n’interrogent que les experts d’un bord.Le fact-checking émotionnel, qui s’emporte en inquisition jusqu’à en oublier sa vocation factuelle.Le fact-checking diffamatoire, qui ne vérifie plus la véracité d’une information, mais s’en prend à la légitimité d’une personne.Le fact-checking binaire et définitif, qui choisit le noir ou le blanc dans un monde en 50 nuances de gris.Le fact-checking mal périmétré, lorsqu’on ne sait plus, finalement, ce qu’on vérifie.

Quelle hauteur fait la tour Eiffel ? Combien de calories contient un kilo de riz blanc ? Est-ce que le Président Macron a vraiment prononcé cette phrase lors de son allocution présidentielle ? La réponse à ces questions sera sans équivoque et il sera possible de les fact-checker efficacement.

L’ivermectine est-elle efficace ? Combien de morts sont imputables à la COVID-19 et combien sont imputables aux vaccins ? Quelle est l’origine du virus ? Qu’est-ce qui crée de nouveaux variants ? Nous rentrons ici dans un terrain en nuances et en mouvement, où la vérité des uns ne sera pas la vérité des autres, même parmi les scientifiques.

Et lorsque plusieurs vérités se font face, nous avons le choix entre les faire cohabiter dans une dialectique ouverte (Moi OK, Toi OK), qui va peut-être permettre de nous enrichir et de nous ajuster, ou bien nous désirons imposer une voix dominante (Moi OK, Toi pas OK). Dans ce cas, nous sommes responsables de créer la polarisation entre ceux qui ont raison et ceux qui ont tort (mais continueront de penser, hors de votre vue, qu’ils ont raison).

Le fact-checking a parfois été présenté comme un instrument de démocratie, sur base du fait que le citoyen a le droit d’être informé de manière fiable. En réalité, il devient parfois un outil permettant d’imposer le point de vue officiel, dominant ou consensuel, aux dépens d’une minorité qui pense différemment. On voit bien alors que, quelle que soit la qualité de son expérience ou de son argumentation, la minorité en revient à être discréditée, mise au ban. Dans un tel scénario, le fact-checking devient, ni plus ni moins, un instrument du totalitarisme.

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Contributions extérieures

Arme n°03 : La pression gouvernementale

Dans nos précédents articles, nous avons observé que la censure se multiplie dans les médias sociaux, tels que Facebook ou YouTube, qui sanctionnent systématiquement les points de vue qui ne sont pas alignés avec les politiques officielles à propos de la crise sanitaire. Cependant, même si ces espaces tendent vers un monopole de l’usage, on peut toujours targuer qu’il s’agit d’espaces privés, régis par leurs propres règles et auxquels nous ne sommes pas obligés d’adhérer[note].

Alors qu’en est-il de l’espace public ? La liberté d’expression est-elle toujours garantie par nos gouvernements ? Les médias indépendants sont-ils accueillis dans les bras ouverts de la démocratie ?

Sur ce point, je désire apporter une réponse nuancée. En France ou en Belgique, nous vivons dans des pays où s’exprimer est possible, voire encouragé. Les journalistes, dans nos régions, jusqu’à preuve du contraire, ne risquent pas leur vie. Alors que, dans d’autres parties du monde, près de 1000 journalistes ont été tués en 10 ans[note], dont certains brûlés vifs ou découpés en morceaux. De tout cela, il n’est nullement question dans nos pays.

Source : Reporters Sans Frontières

Cela veut-il dire que nos journalistes, en Belgique ou en France, sont chaleureusement conviés aux conférences de presse gouvernementales indépendamment de leurs valeurs et de leur vision ? Non. Cela n’est pas vrai. En tout cas, le système présente des failles et la liberté journalistique a été sérieusement mise à l’épreuve durant la crise sanitaire.

Quelques brèches dans la liberté de la presse

En Belgique, le journal indépendant KAIROS, et son journaliste principal, Alexandre Penasse, écarté des conférences gouvernementales pendant plusieurs mois après avoir posé des questions qui dérangent, a été obligé de faire appel à un avocat pour obtenir à nouveau accès à la salle de presse[note].

Le jour J, le journaliste se rend bien en avance sur les lieux de la conférence. Son nom n’est pas sur la liste des invités. Pourtant, il apparaît que les autres journalistes ont reçu un texto de confirmation d’invitation. Alexandre Penasse convoque son avocate à brûle-pourpoint et, comme par miracle, son nom réapparaît sur la liste.

Le gouvernement belge joue ici sur la corde de la censure. Une interdiction pure et dure serait illégale, alors les officiels utilisent d’autres moyens : « oubli » dans la liste des invitations, « évitement » des questions, puis, en définitive, coupures « techniques » de micro et lancement du générique de fin, qui vient masquer la question qui dérange.

Le journaliste accrédité Alexandre Penasse a dû faire appel à son avocate pour avoir accès à la conférence gouvernementale du 27 novembre 2020 à Bruxelles. Au moment de poser sa question, son micro est coupé et le générique de fin d’émission est lancé.

Le journaliste accrédité Alexandre Penasse a dû faire appel à son avocate pour avoir accès à la conférence gouvernementale du 27 novembre 2020 à Bruxelles. Au moment de poser sa question, son micro est coupé et le générique de fin d’émission est lancé.

En France, c’est le journal France Soir qui fait l’objet de pressions. Rapidement taxé de « repère de complotistes » pour être un des rares médias à offrir une tribune à des points de vue alternatifs, le journal France Soir a fait l’objet d’une intimidation, en janvier 2021, de la part du ministère français de la Culture.

Le 29 janvier, la ministre Roselyne Bachelot a demandé que soit réexaminé le certificat officiel qui confère à France Soir son statut d’organe de presse en information politique et générale. Finalement, ce certificat n’a pas été retiré, mais l’attitude du ministère reste pour le moins inhabituelle. Par le biais de la chambre d’écho de Twitter, le gouvernement a très clairement lancé des signaux d’intimidation au journal.

Xavier Azalbert, le Directeur de publication de France Soir, réagit de manière sereine : « La Ministre a tout à fait le droit de s’exprimer, précise-t-il. Je pense que c’est un droit et qu’il faut le respecter […] À certains moments, nous avons fait des erreurs et il faut le reconnaître. Mais la majeure partie du temps, nous avons apporté une voix dissonante, factuelle. Et cela a dérangé certains. »[note].

André Bercoff (à droite), animateur de Sud Radio, reçoit Xavier Azalbert, Directeur de publication de France Soir.

Les experts des Droits de l’Homme lancent l’alerte

Dès le début de la crise sanitaire de la COVID-19, les experts des Droits de l’Homme ont perçu un risque de dérive et sont rapidement montés au créneau. Plusieurs experts du Haut-Commissariat aux droits de l’homme se sont exprimés, dès le mois de mars 2020. Ils ont jugé bon de rappeler aux États que « les pouvoirs d’urgence ne doivent pas servir à faire taire l’opposition »[note].

Évoquant les mesures de l’état d’urgence face à la COVID-19, l’ONG Amnesty International, épingle plusieurs pays dans son rapport 2020 :

« Alors qu’il était urgent de disposer de données précises, pertinentes et fondées sur une approche scientifique pour combattre la pandémie, un certain nombre de gouvernements ont imposé des restrictions injustifiées à la liberté d’expression et à l’accès à l’information. En Arménie, en Azerbaïdjan, en Bosnie-Herzégovine, en France, en Hongrie, au Kazakhstan, en Ouzbékistan, en Pologne, en Roumanie, en Russie, en Serbie, au Tadjikistan, en Turquie et au Turkménistan, le pouvoir a fait un usage abusif de lois existantes ou nouvellement adoptées pour limiter la liberté d’expression. »[note]

Avez-vous remarqué la France, perdue entre l’Azerbaïdjan et l’Ouzbékistan ?

Il est assez symptomatique de constater que, dans le résumé de ce rapport, présenté par France Inter, ce sont les « régimes autoritaires » ou bien des pays comme la Hongrie, la Pologne ou le Vietnam qui sont pointés du doigt[note]. Il semble facile de voir la paille dans l’œil du voisin et d’omettre la poutre qui traîne dans le nôtre.

Le résumé du rapport d’Amnesty International sur France Inter, qui bénéficie d’un très bon référencement sur Google, se concentre sur le reste du monde… la France, pourtant épinglée à plusieurs endroits du document, semble exempte de tout reproche, après application du filtre des médias traditionnels.

Plus loin, en page 211 du rapport, la France est encore pointée par l’association humanitaire : « Les mesures prises par le gouvernement face à la pandémie de COVID-19 ont soulevé un certain nombre de préoccupations en matière de droits humains, notamment en ce qui concerne l’usage excessif de la force par la police et le droit à la liberté de réunion pacifique ».

Un arsenal juridique contre le droit d’informer

Dix mois. C’est le temps qu’il aura fallu au gouvernement Macron pour déclencher une première vague d’indignation dans le secteur des médias, rappelle Pauline Perrenot de l’Observatoire des médias ACRIMED[note]. En cause ? La loi relative à la protection du secret des affaires. Promulguée en juillet 2018, cette loi consacre une restriction à la liberté de la presse, en vertu de la protection des entreprises. En dépit d’une mobilisation sans précédent de la part de syndicats de journalistes et autres organes d’information, la loi est passée comme une lettre à la poste.

Les effets de cette loi n’ont d’ailleurs pas tardé à se manifester, notamment dans le rayon pharmaceutique, bien avant la crise du coronavirus. En septembre 2018, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) invoque le secret des affaires pour justifier la rétention d’information concernant la fabrication d’un médicament dont les effets indésirables sont questionnés. Un peu plus tard, en novembre 2018, c’est le journal Le Monde qui se heurte au secret des affaires, qui empêche les journalistes d’investiguer efficacement sur les dangers de certains implants médicaux. 36 organisations se joignent alors au journal Le Monde dans sa bataille contre le secret des affaires[note], mais malgré cette mobilisation, les recours administratifs s’avèrent très lents et infructueux.

La loi sur le secret des affaires n’est pas la seule initiative du gouvernement Macron qui affecte le droit d’informer et la liberté d’expression. Par exemple, la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale[note], dont l’article 24 prévoit des peines pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement et une amende d’un montant de 45 000 euros pour la diffusion de vidéos dans lesquelles des policiers ou des gendarmes sont identifiables. Cette interdiction vaut lorsque la diffusion de ces images a pour but de « porter atteinte à l’intégrité physique ou psychologique » des personnes concernées. Une notion très floue, sujette à interprétation et clairement susceptible de décourager le reportage de terrain effectué par les journalistes ou par de simples citoyens.

« Les violences policières existent, nos images les attestent, les rendent réelles aux yeux de l’opinion. Ce alors même que les autorités françaises nient leur existence et persistent, une nouvelle fois, à vouloir invisibiliser. C’est ce contre-pouvoir, nécessaire en démocratie, que le gouvernement et sa majorité parlementaire souhaitent enlever aux citoyen·ne·s. […] Sans ces outils, sans celles et ceux qui les braquent, combien de violences policières auraient été passées sous silence ? » interpelle une tribune collective, publiée sur le site ACRIMED et signée par plusieurs dizaines d’organisations, syndicats de journalistes, personnalités universitaires et journalistes professionnels[note].

La « chambre des libertés » : lentement vidée de son pouvoir

Une caractéristique des très récentes lois françaises qui touchent la liberté de la presse, c’est qu’elles arrachent les affaires des mains de la 17e chambre du Tribunal de grande instance, créée à la fin de la Seconde Guerre mondiale précisément pour protéger la liberté d’expression. Cette même juridiction que le journal Le Monde qualifiait en 2013, sur fond d’affaires récentes, de « chambre des libertés »[note].

Les lois votées par le gouvernement Macron déplacent les affaires vers les tribunaux de commerce (loi « Secret des affaires »), les cours pénales (déclarations de Nicole Belloubet sur la diffamation) ou permettent qu’elles soient « extrajudiciarisées » (régulation par les plateformes numériques dans le cadre de la loi « fake news »).

« Un déplacement qui implique de priver ces affaires de toute la jurisprudence acquise depuis 1881, et des compétences de magistrats spécialisés pour arbitrer entre liberté d’expression, intérêt public et atteintes aux personnes physiques ou morales. », explique Emmanuel Tordjman, spécialiste du droit des médias et avocat de Mediapart[note].

Or, la jurisprudence, française, mais aussi européenne, comme vous allez le constater ci-dessous, solidifie les piliers sacrés de la liberté d’expression.

L’Europe s’inquiète de la censure de la désinformation

Au niveau européen, ce ne sont ni la censure ni les dérives autoritaires qui inquiètent, mais la désinformation et la mésinformation[note].

Dans une communication conjointe au Parlement européen, au Conseil européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, les grandes instances officielles européennes se penchent sur la lutte contre la désinformation. Elles entendent poser des actions pour « démêler le faux du vrai » dans le contexte de la crise de la COVID-19[note].

Cette communication est un vrai tour d’aïkido. Vous sentez, dès les premiers paragraphes, que la liberté d’expression est ici instrumentalisée au service d’une lutte contre les informations perçues comme « fausses » ou « déstabilisantes ». Des actions qui sont mises en place, en réalité, pour limiter la liberté d’expression au « politiquement admis » ou au « scientifiquement consensuel » le sont… au nom de la liberté d’expression et de la protection des démocraties.

On joue avec le feu. La rhétorique est comparable à celle des pouvoirs spéciaux : « Je restreins les libertés pour te protéger ». Elle ouvre la porte à un jeu dangereux : l’infantilisation du citoyen par les structures gouvernantes.

Bien sûr, la désinformation et la mésinformation existent. Et ce, depuis tout temps. Et il n’y a pas que les naïfs citoyens qui en sont les potentielles victimes. Même un peloton de journalistes peut tomber dans le piège d’une contre-vérité, comme l’atteste l’histoire de Timisoara, par exemple[note]. Même une nation entière peut plonger dans une rhétorique qui déforme le réel. L’histoire a d’ailleurs démontré que les peuples « tombent sous hypnose » plus facilement de l’intérieur que de l’extérieur[note].

C’est tout le danger que j’entrevois dans cette initiative « parentale » de l’Union européenne. Prétextant la lutte contre les dangers qui nous menaceraient de toutes parts (l’influence de fausses informations venant de Russie, les dangereux complotistes ennemis des démocraties, etc.), cette politique ouvre la porte au contrôle de l’information et à la dictature du consensus.

La politique européenne de lutte contre la désinformation fait penser à un serpent qui se mord la queue : pour protéger la liberté d’expression, je la restreins.

Bien sûr, sur Internet comme à la télévision d’ailleurs, on croise de fausses informations. Cela va d’une prétendue citation de Steve Jobs sur son lit de mort[note] à de fausses déclarations gouvernementales[note], qui bien qu’elles soient démenties, continuent parfois de circuler pendant plusieurs mois ou plusieurs années sur les réseaux sociaux.

Bien évidemment, nous pouvons comprendre qu’un État puisse envisager de se protéger contre l’invasion de fausses informations et rumeurs venant de pays étrangers comme la Russie et la Chine, en période électorale par exemple, vu que ces informations sont susceptibles de torpiller le bon fonctionnement de la démocratie.

Le problème, c’est que le texte de la Commission européenne ratisse très large. Il met dans le même panier, d’une part, la cybercriminalité, la fraude, les campagnes de déstabilisation opérées par des puissances étrangères et, d’autre part, les « informations erronées ou les fausses allégations sur les soins de santé » ou encore les « théories conspirationnistes susceptibles de nuire à la cohésion de nos sociétés ».

Ça y est, la ligne rouge est franchie. Les scientifiques en désaccord avec la doctrine officielle et les citoyens qui critiquent le système en place se retrouvent dans le même panier à « Fake » que les cybercriminels ou les pays ennemis. C’est peut-être oublier le fait que l’équilibre d’une démocratie repose sur les contre-pouvoirs.

Ma crainte est d’autant plus justifiée à l’heure où d’éminents scientifiques du monde entier, parfois les meilleurs spécialistes mondiaux des technologies médicales qui font l’actualité, expriment une opinion en porte-à-faux avec la position gouvernementale ou les comités scientifiques institutionnels. « Porte-à-faux » est le terme : la politique de lutte contre la désinformation guillotine aujourd’hui de brillants scientifiques, intellectuels, médecins, philosophes, qui n’ont rien de saboteurs de l’ordre social, si ce n’est qu’ils contredisent la rhétorique en place, les données et les raisonnements sur lesquels elle s’appuie.

L’analyse du discours européen vaudrait un article en soi. Je me contente, à ce stade, d’émettre une extrême vigilance face à un discours qui prétend défendre la liberté d’expression… en la restreignant et en la contrôlant.

RAPPEL : la liberté d’expression inclut…

Le principe est la liberté d’expression ; la restriction, l’exception. Il ne peut être porté atteinte à la liberté qu’en cas d’abus prévu par la loi. Ces exceptions tiennent en quelques lignes : injure, diffamation, atteinte à la vie privée, présomption d’innocence, usurpation d’identité, harcèlement, calomnie. Mais les lois récentes viennent rallonger la liste et y ajouter du flou.

En dehors de ces exceptions, la liberté d’expression reste la règle. Et la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH), à travers ses arrêts, en fait une interprétation très large :

… le droit de se tromper

Selon la Cour européenne, la liberté d’expression prévaut « même en présence d’éléments donnant fortement à croire que les informations véhiculées pourraient être fausses » (CEDH, Cour (Deuxième Section), 6 sept. 2005, n° 65518/01, §113).

… le droit de choquer

« La liberté d’expression vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population » (CEDH, Handyside c/ Royaume-Uni, 7 décembre 1976).

… le droit d’émettre des idées non conventionnelles

Dans un arrêt relatif à un sujet de santé publique, la Cour précise qu’on ne peut limiter la liberté d’expression aux idées communément admises : « Dans un domaine où la certitude est improbable, il serait particulièrement excessif de limiter la liberté d’expression à l’exposé des seules idées généralement admises » (CEDH, 25 août 1998, Hertel/Suisse, §50)[note].

Ce dernier arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme est rempli de sagesse. Il préserve cette indispensable souplesse face à ces certitudes monolithiques qui accompagnent les esprits qui affectionnent les réponses simples et tranchées. À l’heure des grands inquisiteurs vérificateurs de « fake news », il est temps de se souvenir de la valeur de la dialectique du doute. En science comme en société.

Le bâtiment de la Cour européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg.Photo : Udo Pohlmann, Pixabay.

Vers une démocratie limitée au « politiquement correct » ?

En conclusion, dans nos pays, la liberté d’expression demeure une valeur et une réalité, sans quoi je risquerais ma vie à poster cet article. Mais, dans l’ombre de la crise sanitaire et de l’état d’urgence, le citoyen attentif pourra voir s’approcher le nuage noir de la répression. Sous les apparences vertueuses d’une lutte contre la désinformation, la protection sanitaire ou l’incivisme, nos démocraties semblent devoir se défendre… contre elles-mêmes ! C’est tout le paradoxe de la position de l’Union européenne ou de la loi pour une sécurité globale.

Une démocratie qui dénonce l’irrévérence fleurte avec le totalitarisme. Et l’histoire a montré que le narratif de la peur et de l’insécurité est souvent aux racines de ces tentations de restreindre la liberté d’expression et la liberté de pensée. Ces libertés constituent pourtant l’ADN d’une véritable société démocratique.

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Articles

Kairos contre Google : audience du 5 août 2021

Lors de cette première audience introductive, Me Jacques Englebert n’a pas encore pu plaider, car l’audience est une audience de vacation. Les audiences de vacation sont des audiences prévues pendant les vacances d’été, traditionnellement période de congé pour la justice. Aucune mesure provisoire n’a donc encore pu être prise.

Photo: MP

L’avocat de Google a demandé pour sa part de pouvoir conclure avant la prochaine audience. Résultat : Google aura jusqu’au 24 août pour fournir ses conclusions et une audience relais est organisée pour le 3 septembre où la date de l’audience de plaidoirie sera fixée (il ne sert à rien de venir pour nous soutenir le 3 septembre, nous vous tiendrons informés de la date de l’audience de plaidoirie). Me Englebert espère que cette dernière aura lieu dans le courant du mois de septembre. Cette audience aura comme but de statuer sur les mesures provisoires, autrement dit de savoir si les vidéos censurées par Google sur la plateforme YouTube pourront être remises en ligne ou non.

Me Englebert a profité de cette audience pour rappeler que la liberté d’expression est un droit fondamental, auquel s’oppose le droit des conditions d’utilisation de Google. La Cour européenne des Droits de l’Homme a d’ailleurs rappelé à de nombreuses reprises à quel point l’information est un bien périssable, ce qui fait que toutes décisions allant à l’encontre de la publication portent un lourd préjudice au média publiant ladite information.

Plus de 10.000€ en moins de 24 heures !

Grâce à vous, nous avons déjà récolté 10305€ en moins de deux jours, nous vous remercions de tout cœur ! On saisit toute l’importance que cette affaire a pour vous, pour nous tous. Un dossier comme le nôtre, et plus encore un dossier contre une entreprise comme Google, est forcément un dossier très onéreux. Sans vous, nous ne pourrions pas y arriver !

Nous serons totalement transparents quant à la gestion de ces fonds et des frais de justice et d’avocats liés au dossier. De plus, nous nous engageons à fournir aux donateurs le souhaitant le détail des frais et honoraires imputés au dossier à la fin de la procédure, mais aussi en cours de procédure lorsque celle-ci aura suffisamment avancé.

C’est aussi l’occasion de passer outre cette censure et de partager partout le lien vers le Grand Débat : https://www.kairospresse.be/grand-debat/

AIDEZ-NOUS

Nous faisons appel aux dons en vue de financer cette initiative judiciaire. Dès lors que la demande principale (la remise en ligne de la vidéo du grand débat) sera examinée sous le bénéfice de l’urgence, les procédures vont se succéder très très rapidement. Il y a donc vraiment urgence à ce que nous puissions rassembler les fonds nécessaires !

L’objectif d’atteindre un budget de 20.000€ visant en principe à couvrir tout voire bonne partie de la première instance.

Faire le versement à :

Propriétaire du compte : Kairos asbl 

Numéro de compte : 523–0806213-24

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Arme n°02 : le filtrage par les algorithmes de Google

Depuis 20 ans, mon épouse et moi-même accompagnons les entreprises à améliorer leur référencement naturel, c’est-à-dire leur présence dans les résultats des moteurs de recherche. Aujourd’hui, cette expertise est appelée le « SEO » (Search Engine Optimization). Elle m’a conduit à m’intéresser de très près à la manière dont Google fonctionne et aux dernières évolutions du numéro un de la recherche d’information sur la toile.

La première chose à réaliser, c’est la domination de Google dans le paysage des moteurs de recherche. En Belgique, 95% des recherches mots clés sont effectuées sur Google[note]. La principale alternative choisie par les utilisateurs est Bing, le moteur de recherche de Microsoft, utilisé par environ 3% des internautes. Yahoo! arrive en troisième position sur le podium. En d’autres termes, le moteur qui pèse lourdement sur l’accès à l’information, c’est bel et bien Google. C’est la raison pour laquelle il est au centre de la stratégie de visibilité des entreprises. Et c’est pour cette même raison que nous allons en faire le cœur de l’analyse qui suit.

Deuxième chose à savoir : les gens sont impatients et peu nombreux à effectuer des recherches approfondies. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les 4 premiers résultats proposés (souvent au départ de milliers de résultats potentiels) génèrent 81% de taux de clic[note]. En d’autres termes, moins d’un utilisateur sur cinq explore le 5e résultat. Quelques pour cent à peine s’intéresseront à la seconde page de résultat.

Source de l’image : iProspect, via 1ere-position.fr

Que peut-on en conclure ? C’est que la sélection d’information qui va être proposée aux utilisateurs, résultat de l’algorithme de Google, va lourdement peser sur le façonnage des opinions. Les informations reléguées en seconde page ne toucheront qu’une audience très limitée.

« Quel est le meilleur endroit pour dissimuler un cadavre ? La seconde page de résultats de Google ! », exprime avec humour Olivier Andrieu, l’expert SEO francophone de loin le plus renommé.

Partant de ce constat, nous avons voulu observer quelle information rentre dans la « lucarne » du moteur de recherche américain dès lors que nous nous intéressons à la gestion de la crise sanitaire de la COVID-19. Sans prétendre mener ici une étude exhaustive à valeur scientifique, nous désirons effectuer quelques coups de sonde, qui vont nous permettre d’éclairer certaines réalités du moteur de recherche.

Google monopolise l’espace en réponse à la requête « Le vaccin est-il sûr ? ».Prise d’écran datée du 02/07/2021.

Comme l’indique la prise d’écran ci-dessus, sur certaines requêtes clés, dans la première partie de l’écran (celle dont on sait qu’elle va monopoliser une très grande partie de l’attention), le moteur de recherche n’aiguille même pas vers des pages de résultats externes. Il livre directement l’information !

Lorsqu’on sait à quel point certains scientifiques et certains statisticiens demeurent plus que critiques sur l’origine, l’homogénéité, la consistance et la pertinence des données sources, que ce soit pour les morts attribués à la COVID que pour les fameux « cas négatifs » COVID basés sur des tests PCR calibrés et organisés de manière variable, on peut considérer que ce raccourci vers une seule source de données constitue une démarche plutôt audacieuse. Elle laisse à penser qu’il n’existe qu’une vérité chiffrée facile à obtenir alors que la réalité est infiniment plus complexe.

L’intelligence artificielle du moteur de recherche Google continue de progresser. La dernière version de son algorithme a été baptisée « MUM ». Grâce à un puissant travail sur la synonymie dans de nombreuses langues du monde, elle permet notamment de canaliser différentes requêtes vers une même page de résultats. Ce qui augmente encore le taux d’exposition à une même réponse ou à un même message mis en scène par le moteur. Récemment, Google a d’ailleurs communiqué qu’il testait son algorithme MUM sur les questions liées au vaccin[note].

Google en devient presque un média à part entière, comme en témoigne l’augmentation faramineuse des pages de résultats à zéro clic[note]. Dans 65% des cas, les utilisateurs se contentent de l’information proposée par Google, sans creuser plus loin !

Or, Google n’est pas neutre sur la question de la vaccination. Le 15 avril dernier, la firme californienne a communiqué sa volonté de « participer aux efforts de vaccination dans le monde »[note]. Cette aide s’est traduite par l’achat de 200.000 doses de vaccin, mais également par des subventions publicitaires. Dans ce contexte, il semble légitime de nous questionner sur la neutralité des algorithmes du moteur de recherche, lesquels ne sont pas publics.

Jusqu’où Google sera-t-il capable d’aller sous la pression des gouvernements ? La tendance est limpide : depuis 10 ans, les demandes d’information sur les utilisateurs venant des gouvernements n’ont cessé de grimper[note].

En 10 ans, la pression des gouvernements pour obtenir des données auprès de Google a plus que quadruplé. Source : fr.statista.com.

En avril dernier, Google a décidé de rendre publiques les données de géolocalisation dont il dispose. Ces données sont censées « fournir de précieux renseignements sur les mouvements des populations, et surtout, sur la fréquentation de différentes catégories d’endroit », indique le géant[note]. Au total, 131 pays sont concernés.

Jusqu’à présent, ces données sont anonymes. C’est-à-dire qu’on peut y voir les déplacements de la population, sans savoir que c’est Monsieur Dupont ou Madame Tartempion qui se sont rendus à leur maison de campagne. Mais de là au traçage individuel, il n’y a qu’un pas. Prenez-en pour avertissement la déclaration de la Sécurité du Québec (SQ) qui se prépare à utiliser les téléphones cellulaires pour géolocaliser les citoyens qui refuseraient de se placer en isolement pendant la pandémie de coronavirus[note].

Mais l’influence de Google ne s’arrête pas là. Lorsque vous effectuez une recherche, le moteur vous suggère des requêtes qui, habituellement, correspondent aux requêtes populaires. En temps normal, le moteur de recherche essaye de vous rendre service en accélérant l’accès aux recherches les plus fréquentes. Cette fonctionnalité s’appelle « Google Suggest ».

Dans le cas qui nous occupe, nous avons tout de même été fort surpris, par exemple, de ne pas voir apparaître l’association entre l’ivermectine et la COVID, pourtant au cœur de l’actualité.

Ci-dessus, Google ne propose pas l’association entre ivermectine et COVID. La rosacée ou les poux lui font de l’ombre.

De fait, contre toute attente, cette association semble ne pas faire partie de la base de données des suggestions de Google.

Ci-dessus, Ecosia[note], un moteur de recherche alternatif qui investit dans des projets écologiques, propose de tout autres suggestions. L’association entre « ivermectina » et « covid » est ici présente, en réponse au besoin de recherche du moment.

À d’autres endroits, Google met en avant des « Questions fréquentes » autour du thème recherché. Ce qui semble bienveillant dans la forme. Cependant, les réponses pourront surprendre les esprits un tant soit peu critiques.

Par exemple, à la question « Les vaccins contre la COVID-19 sont-ils sûrs ? », Google répond en 8 lignes, qui s’appuient sur la réponse officielle de l’Agence européenne des médicaments. Beaucoup de langue de bois et pas la moindre indication sur le fait que, de manière très exceptionnelle et conditionnelle, ces vaccins soient mis sur le marché avant la fin des essais cliniques de phase 3. Ni aucun lien vers une analyse des effets secondaires ou du ratio bénéfice/risque.

Google s’appuie sur la communication très générique de l’Agence européenne des médicaments pour répondre à une question aussi concrète que brûlante : le degré de sécurité des vaccins contre la COVID-19.

Quant à l’efficacité des vaccins, au-delà de la question de leur sécurité, comment est-elle appréhendée par le principal fournisseur d’information dans le monde ?

Dans notre cas, c’est le site web LCI.fr qui arrive en tête des résultats, juste en dessous du carrousel d’actualités[note].

Le site LCI.fr est propulsé en tête des résultats sur la requête « Les vaccins sont-ils efficaces ? ». Date de la prise d’écran : 02/07/2021.

À l’analyse, nous observons que l’article qui est si bien positionné fait référence à « une étude britannique », dont il ne livre même pas les références précises.

Cet article a été choisi pour occuper la « pole position » de Google sur la requête « Les vaccins sont-ils efficaces ? ». Il ne contient même pas une référence scientifique précise. Aucun lien vers des ressources détaillées. Aucune bibliographie.

Cet article fait 582 mots. Ce qui semble bien frugal pour obtenir la « pole position » sur un thème complexe. Comment Google en arrive-t-il à ce type de situation ? Nous ne pouvons pas nous avancer dans une réponse précise, mais une chose est sûre : la pertinence et la consistance des premiers résultats proposés par Google sont hautement questionnables. Or, comme nous l’avons vu plus haut, ces premiers résultats vont conditionner la majeure partie de l’impression faite aux internautes.

Sur le moteur de recherche Bing, qui appartient à Microsoft, une recherche sur « Raoult » positionne Alain Delon, l’acteur de cinéma, comme grand censeur du débat scientifique. On croit rêver.Date de la prise d’écran : 02/07/2021.

« Chercheur peut-être, médecin, je ne sais pas », tance vertement l’acteur Alain Delon à propos de Didier Raoult. Il est hallucinant de voir le précieux espace pixel de réponse à une recherche très actuelle envahi par des propos qui fleurtent avec la diffamation.

La réputation de Didier Raoult sur la première page du moteur Bing s’apparente à une campagne de dénigrement. Dans le carrousel d’actualités, Raoult est même associé à Bernard Tapie : « Deux pyromanes dans le brasier de la France », peut-on lire.

Aucun lien n’est proposé vers le principal concerné, qui alimente pourtant une chaîne vidéo très consistante à l’IHU Marseille. La page de résultats de Bing se résume en un procès unilatéral, qui ne donne pas la parole à l’accusé.

Notre propos n’est pas de prendre position, mais bien de prendre conscience d’un fait objectif : même une requête nominative concernant un des acteurs principaux du débat sur la COVID-19 génère des jugements de valeur, mais pratiquement aucun lien vers les personnes concernées, qui permettrait de se faire sa propre opinion. Le jugement sur la personne prend le pas sur les sources originales.

Le résultat se fait sentir dans l’opinion : la simple mention de Didier Raoult suffit à provoquer de brûlantes réactions, venant de personnes qui, parfois, ne l’ont jamais entendu s’exprimer.

Encore un point important, et une précaution à apporter à mon analyse : il faut savoir que, sur Google, les résultats peuvent varier d’un ordinateur à l’autre, en fonction de différents paramètres, comme la localisation géographique ou l’historique de recherche d’un utilisateur. Le moteur de recherche a tendance à vous proposer une information localisée, lorsque c’est possible, et à favoriser le type d’information que vous semblez apprécier ou consulter régulièrement. C’est ce qu’on appelle la « personnalisation des résultats de recherche ».

Le filtre géographique n’est pas des moindres. Par exemple, si je cherche « Dipali Ojha India », sur Google France, je tombe sur une page peu attractive, qui semble lister des profils de personnes correspondant au nom recherché. Mais aucune actualité n’est remontée.

En réponse à la requête « Dipali Ojha », la page de résultats sur Google France n’est pas très attractive.

En passant directement par Google Actualités, nous tombons sur une série d’articles, qui viennent étonnamment presque tous de médias hors Europe : Maroc, Mali, etc.

Sur le moteur alternatif DuckDuckGo[note], on sort du brouillard algorithmique : les informations clés sur le procès en cours apparaissent au grand jour.

Que faut-il en retenir comme point de vigilance ? La localisation de l’information, notamment sur Google France, peut vous faire complètement passer à côté d’informations cruciales, lorsqu’elles ne sont pas traitées par les médias européens. Tandis que l’utilisation de moteurs de recherche alternatifs à Google et Bing pourra vous surprendre, presque autant qu’un brouillard qui se dissipe pour laisser entrevoir un paysage d’information flambant neuf.

En l’occurrence, la plainte de l’association Indian Bar introduite contre le Dr. Soumya Swaminathan, Directrice scientifique de l’OMS, pour désinformation à propos de l’ivermectine, fait l’objet, à ce jour, d’un silence radio au sein des médias français, à l’exception de France Soir qui relaye l’information[note].

Le vice-secrétaire de la Santé a reconnu l’efficacité de l’ivermectine comme traitement contre la COVID et les experts médicaux du public et du privé l’ont aussi confirmé. La Haute Cour indienne a rendu un jugement en faveur de ce traitement. C’est bien la reconnaissance de l’ivermectine dans un pays qui a déjà généralisé son utilisation. Mais cette reconnaissance fait actuellement l’objet d’un grand silence dans l’arène médiatique européenne. Silence répercuté par le filtre géographique de Google.

Allez, on vous a laissé le meilleur morceau pour la fin. Du jamais vu en 20 ans de carrière d’analyse du moteur de recherche : le journal Le Monde, presque sans concurrence sur une requête concernant les décès liés aux vaccins. Certes, l’expression de recherche « dans le monde » fait écho à la marque du journal, mais dans bien d’autres contextes, Google gère parfaitement la polysémie.

Parmi les 8 premiers résultats, le journal Le Monde est cité 6 fois. Belle diversité des sources sur une matière polémique.

En conclusion, même si nous ne prétendons pas avoir réalisé ici une analyse exhaustive, nous avons observé que :

Les tout premiers résultats de Google impactent drastiquement l’opinion.Ces tout premiers résultats manquent souvent de consistance scientifique.Le moteur Bing de Microsoft offre une arène à la calomnie.De plus en plus souvent, Google met en scène l’information, sans qu’il ne soit plus nécessaire de consulter des sources externes.Des informations cruciales sont totalement absentes du moteur local.Les suggestions de Google filtrent d’importantes informations.Google a explicitement et activement pris position en faveur des vaccins.Google relaye l’information officielle en priorité.Vos données personnelles, notamment de localisation, sont susceptibles d’être transmises aux États.Les algorithmes de Google ne sont pas rendus publics, mais ils conditionnent la réalité de l’accès à l’information.L’usage des moteurs de recherche se concentre à 95% sur Google.Les moteurs de recherche alternatifs (DuckDuckGo ou Ecosia, par exemple) métamorphosent, dans certains cas, le paysage de l’information.

Jean-Marc Hardy

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Contributions extérieures

Guerre de l’information — 20 stratégies officielles pour museler toute divergence

En quelques mois, sous prétexte d’une guerre sanitaire, nos libertés fondamentales ont été lourdement malmenées et la libre expression, pilier de la démocratie, semble s’évaporer dans l’indifférence générale. De l’artillerie légère aux armes de destruction massive : nous explorons, dans cet article, l’arsenal déployé actuellement par les structures dominantes pour prendre le contrôle de la vérité.

Depuis plus d’un an, le vocabulaire militaire a envahi la scène. « Nous sommes en guerre », déclarait le Président français Emmanuel Macron dès le 20 mars 2020[note]. Depuis, les termes « couvre-feu », « état d’urgence », « blocage des frontières » inondent les colonnes des journaux, ainsi que le comptage des morts durant les « vagues d’assaut » du virus. Tenace lorsqu’il s’agit de défendre l’indépendance de ses positions, le microbiologiste Didier Raoult a publié, en novembre dernier, ses « Carnets de guerre COVID-19 »[note], histoire de révéler l’atmosphère belliqueuse dans laquelle se joue un véritable bras de fer pour faire émerger la vérité médicale.

La vérité qui valait 26 milliards de dollars

Personne ne peut nier que les enjeux sont gigantesques. La société Pfizer à elle seule prévoit que les ventes des vaccins anti-Covid puissent atteindre 26 milliards de dollars en 2021[note]. Or, ce marché titanesque peut s’écrouler du jour au lendemain si une solution médicale alternative apparaît comme efficace.

« Si un seul des traitements alternatifs dont on parle, notamment l’ivermectine, s’avérait fonctionner, l’autorisation pour le vaccin tomberait immédiatement parce que c’est une autorisation conditionnelle, qui est liée au fait qu’il n’existe pas d’autre traitement[note] », nous rappelle Xavier Bazin, auteur de l’ouvrage « Big Pharma démasqué ». De fait, l’Agence Européenne des Médicaments (EMA) inclut parmi les conditions de mise sur le marché conditionnel du vaccin une clause qui stipule que cette solution est provisoirement acceptée uniquement parce qu’elle rencontre un besoin thérapeutique non rempli, en l’absence d’une autre solution[note]. C’est une clé pour comprendre la guerre de l’information scientifique, qui se joue en ce moment.

Les gouvernements, quant à eux, ont engagé les finances publiques à des degrés jamais atteints. La Belgique pourrait mettre 10 ans pour revenir à la situation budgétaire d’avant-Covid[note]. Les privations de liberté et autres mesures restrictives ont eu un impact sévère sur toute une série de registres de la société : secteurs économiques en difficulté, indicateurs de santé mentale en chute libre, éducation et culture mises au ralenti. Certains traitements médicamenteux, comme la chloroquine ou, plus récemment l’ivermectine, ont été écartés par l’OMS, l’Agence Européenne des Médicaments ou l’ANSM en France[note], pour des raisons essentiellement méthodologiques, qui suscitent un débat au sein de la communauté scientifique. Si de telles mesures s’avéraient injustifiées, les gouvernements devraient assumer une lourde responsabilité et nous basculerions dans une affaire d’État.

Un combat inégal

Si ces enjeux concernant les alternatives au vaccin faisaient l’objet d’un débat transparent et serein soit dans l’arène politique, soit dans l’arène scientifique, en toute indépendance des intérêts privés, ce serait somme toute rassurant. Mais l’observation du champ de bataille démontre que, en lieu et place d’un débat ouvert et démocratique, nous assistons à une véritable polarisation entre la « voix officielle », dictée par les gouvernements, les médias classiques et les conseils scientifiques officiels, d’une part, et des voix divergentes d’autre part, émanant de collectifs citoyens ou scientifiques. Et dans cette arène où chacun exprime sa vérité, les uns et les autres ne combattent pas à armes égales. C’est un euphémisme. On pourrait dire qu’on assiste à un face à face entre des tanks blindés et des lanceurs de pierres.

Les stratégies mises en place pour contrer systématiquement les points de vue divergents rivalisent de créativité. Nous vous proposons d’en épingler quelques-unes.

Arme n°01 : la censure sur YouTube et Facebook

Sur YouTube, la censure est pure et dure. Le géant de la vidéo ne cache pas sa politique : filtrer les contenus qui ne vont pas dans le sens du poil de l’OMS et des gouvernements.

Les exemples sont légions. Ils ont beau être médecins, virologues, scientifiques éminents, statisticiens, philosophes, journalistes, intellectuels ou citoyens engagés, peu importe leurs distinctions, peu importe la qualité de leur argumentation et peu importe la consistance de leurs sources, ils sont littéralement bannis de YouTube, dès lors qu’ils expriment un scepticisme trop prononcé envers la stratégie médicale officielle.

Vous désirez quelques exemples ? Le site Crowd Bunker (encore un vocabulaire guerrier, me direz-vous) accueille une série de vidéos qui ont fait l’objet d’une censure sur YouTube[note]. Vous y trouverez à boire et à manger, mais notamment certaines réunions du Conseil Scientifique Indépendant, pourtant sérieuses, nuancées et bienveillantes en dépit de leur esprit critique. Le Grand Débat de Kairos s’est vu lui-même censuré. Les professeurs Christian Perronne et Didier Raoult ont un curriculum scientifique que même leurs opposants qualifient de « bien garni »[note]. Ils ont tous deux fait l’objet de censures, dans certains cas provisoires. Enfin, même une vidéo d’un média public, la Radio Télévision Suisse (RTS), a été censurée. Il s’agissait d’un reportage sur la situation du Covid-19 en Chine[note].

Plusieurs réunions du Conseil Scientifique Indépendant, pourtant bienveillantes et ouvertes à la pluridisciplinarité, ont été censurées par la plateforme YouTube. Un exemple : https://urlz.fr/g2yC (ce lien redirige vers la plateforme odysee.com)

Les règles de la plateforme sont claires : « YouTube n’autorise pas les contenus qui propagent des informations médicales incorrectes contredisant celles des autorités sanitaires locales ou de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) concernant le COVID-19. (…) Sont notamment interdits les « Contenus qui contredisent le consensus des experts d’autorités sanitaires locales ou de l’OMS au sujet du vaccin contre le COVID-19 »[note].

Le résultat de cette censure est triplement impactant. Tout d’abord, les voix dissidentes ne pourront pas se faire entendre sur la plateforme vidéo largement la plus utilisée au monde. En effet, YouTube est près de 10 fois plus consulté qu’une plateforme comme Vimeo, qui d’ailleurs n’est pas gratuite[note]. Certes, il s’agit d’un espace privé, qui peut donc établir ses propres critères de publication, mais la réalité est que c’est bel et bien l’endroit où se concentre la plus large audience.

Ci-dessus une prise d’écran de notre propre sélection de vidéos. Rien de violent, rien de pornographique, rien de diffamatoire : uniquement l’exercice de la libre pensée, censuré en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

La deuxième conséquence de la censure, c’est qu’elle peut décourager la libre expression et engendrer une autocensure. Non seulement pour les personnes directement concernées, mais aussi pour tous les autres qui assistent à ce climat punitif.

La troisième conséquence va être qu’une partie de la population risque de considérer comme suspects, voire irrecevables, les acteurs ayant fait l’objet d’une censure. Il est plus confortable de se ranger du côté du plus fort.

Sur Facebook et Instagram, même combat. Le réseau social mondial annonce les règles du jeu : « Facebook supprimera désormais toute une série d’affirmations mensongères sur le Covid-19 et la vaccination », a annoncé l’entreprise dans un communiqué datant du 8 février 2021[note].

Mais qui peut se targuer de distinguer à coup sûr le faux du vrai au cœur d’une crise qui bouleverse le monde et dont les enjeux nous dépassent ? C’est toute la question ! Et Facebook, en l’espace de quatre mois à peine, a fait bouger les lignes. En février, le réseau social annonçait qu’il supprimerait les messages affirmant que le coronavirus « est produit en usine ou fabriqué par l’homme », ou que le port du masque n’est pas efficace pour empêcher la contamination. Sans doute dans la foulée de la publicité des e‑mails de Fauci, Facebook vient de faire volte-face au mois de juin : désormais, l’hypothèse de l’origine humaine du virus est acceptée[note].

La réalité démontre que Facebook adapte sa politique de manière arbitraire, en épousant le point de vue officiel dominant. « La modération par les plateformes obéit à des présupposés idéologiques », analyse Arnaud Benedetti, professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne.

La conséquence est de taille : la liberté d’expression et le débat démocratique sont étouffés, de fait, sur ces espaces privés, mais tellement fréquentés qu’ils déterminent une grande partie de l’opinion.

Jean-Marc Hardy

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La Science aurait-elle tué la Nouvelle Normalité, combien de temps avant que les masques ne tombent ?

La plupart des mesures coercitives non pharmacologiques prises pour lutter contre le Covid-19 n’ont pas de bases ou de preuves scientifiques solides d’efficacité démontrée. Sur le long terme, elles constitueraient pourtant un facteur de maltraitance psychologique pour de nombreux citoyens et sont contraires à la constitution. Nous revenons ici sur le cas des masques que nous allons développer et préciser, et montrons, études scientifiques à l’appui, qu’un allégement des mesures plus respectueux de la santé psychique et des droits fondamentaux des personnes pourrait être pris. Cet allégement ne semblerait pas impacter la sécurité de chacun. Nous proposons finalement une feuille de synthèse en fin d’article qui est également disponible en format PDF ici.

Voici, d’abord, quelques points essentiels, que la science a prouvés en un an, et qui changent la donne, mais qui semblent encore trop largement ignorés ou méconnus :

Les asymptomatiques ont une charge virale trop faible pour être contagieux[note] (par contre, les porteurs qui vont avoir des symptômes, et qui seront donc identifiables, sont contagieux sur une courte période dite présymptomatique. Les présymptomatiques ne toussent pas, la toux étant le mécanisme de contamination dont le masque protège principalement) [note] [note] [note] [note] [note] [note] [note] [note]. L’hypothèse des asymptomatiques contagieux revient à dire que toute personne en bonne santé est un malade qui s’ignore ou qu’elle est présumée coupable. Rappelons que cette hypothèse est à la base du port du masque généralisé. Elle est sans doute, aussi, un argument pour justifier le confinement de toute la population. L’invalidation de cette hypothèse des asymptomatiques contagieux explique, peut-être, en partie, le manque de corrélation positive observé dans la vie réelle du confinement sur la diminution des hospitalisations et des décès par des études scientifiques de plus en plus nombreuses, et maintenant en Amérique où des états totalement ouverts et sans aucune restriction, comme au Texas depuis de nombreuses semaines, voient leurs cas et leurs décès chuter de façon spectaculaire au cours de la même période.

Le virus se propage par fines gouttelettes aérosols qui passent à travers les pores du masque qui sont jusqu’ à 1000 fois plus grands que le virus (Fig. 1, les masques de types FFP2 plus efficaces filtrent eux une partie des aérosols plus grands que 600 nm, le virus lui fait de 60 à 140 nm) et se propageraient même au-delà des distances sociales [note]. Cette transmission de type aérosol, qui pourrait d’ailleurs expliquer le phénomène des supercontaminateurs, semble de plus en plus être le mode principal de la transmission[note] [note] [note] [note]. Heureusement, il y a la notion de seuil[note] : 1 virus ne suffit pas, il en faut beaucoup plus pour être contaminé[note] [note] [note] [note].

Fig. 1 Respiratory droplets collected for 30min while not wearing (dark green) or wearing(light green) a surgical face mask, and aerosols collected for 30min while not wearing(brown) or wearing (orange) a face mask, collected from individuals with acute respiratorysymptoms who were positive for influenza virus. Data from [11] Respiratory virusshedding in exhaled breath and efficacy of face masks, Nature Medicine volume 26, pages 676–680 (2020).

Quelles en sont les implications ?

Toutes les études scientifiques et les observations le confirment[note] [note] [note] [note], le risque de contamination au Covid-19 à l’extérieur est extrêmement faible. Il faut environ 1 million de virus par ml dans nos bronches pour que le seuil de contamination au SARS-Cov‑2 soit atteint [note] [note] [note] [note]. Ce seuil ne peut pas être atteint par aérosols à l’extérieur, c’est une question de volume[note].

Un autre cas est celui des enfants rarement symptomatiques et donc très peu contagieux[note] [note]. Le port du masque en extérieur ou pour les enfants semble donc se faire en dépit de toute balance bénéfice-risque et bon sens. Car si les preuves scientifiques pour l’utilité du masque généralisé à toute la population manquent [note] [note] [note] [note] [note], les risques de son impact négatif sur la santé physique et mentale ont été démontrés, par exemple [note] [note] [note] [note] [note] et Table 1. Le port du masque, le confinement, la pratique de la distanciation sociale, et le stress et l’isolation associés peuvent de plus affaiblir notre système immunitaire [note] [note] [note], et pourraient donc contribuer à augmenter, paradoxalement, le risque de formes sévères (et donc beaucoup plus contagieuses), d’hospitalisations, de décès et de contagions, surtout dans les populations qui ne sont pas à risque pour lesquelles le bénéfice de ces mesures n’est pas démontré [note] [note] [note] [note] [note] [note] [note][note]. Il pourrait d’ailleurs être utile de penser à renforcer son système immunitaire entre autres par de la vitamine D, C et du Zinc et pourquoi pas un peu d’huile essentielle de Laurier Noble ou de Ravintsara [note], par exemple en cas d’un contact plus à risque.

À l’intérieur, la contamination par aérosol est possible s’il n’y a pas d’aération suffisante. Il faudrait typiquement être en contact avec une personne à haute charge virale pendant suffisamment longtemps (typiquement > 10 minutes. Le masque et la distanciation sociale ne seraient que peu efficaces, sauf pour les symptomatiques qui toussent [note] [note] [note] [note] [note] [note] qui devraient eux être isolés, et masqués, de préférence avec un masque FFP2, en cas de déplacement indispensable. Un masque standard n’offrant pas de protection réelle contre les aérosols plus petits que 3 um [note] [note] [note] et même un masque FFP2, moins respirable, n’offrant qu’une protection imparfaite, la protection en vie réelle dépendant d’ailleurs beaucoup des conditions d’utilisations [note], une meilleure solution serait l’aération ou la purification de l’air (il existe par exemple des filtres HEPA, ozone, et UVC très efficaces) pour que le seuil ne soit jamais atteint à l’intérieur.

https://youtu.be/mrXBinu3Swo
https://youtu.be/mrXBinu3Swo : Le port du masque en extérieur ne sert à rien! » Dr Blachier, études à l’appui! 26 Avril 2021.

En conclusions, si selon les dires même de l’OMS [note] [note], le port du masque médical de type FFP2 (les masques non médicaux auraient eux une efficacité limitée et pourraient même augmenter les risques d’infection si mal utilisés[note]) a une utilité pour le personnel soignant directement en contact avec les malades, les malades symptomatiques et aussi sans doute pour les personnes à risques comme protection supplémentaire, le port généralisé pour les personnes ne présentant pas de symptômes apparents de la maladie n’a pas ou peu de justifications scientifiques [note] [note] [note] [note] [note] [note]. L’OMS, après s’être prononcé contre [note], semble l’accepter [note], en raison de la forte demande des états pour rassurer les populations, comme une mesure plutôt de l’ordre psychologique [note], voire d’un talisman qui rassure[note], et malgré la faible contagiosité des asymptomatiques [note] [note] [note] [note] [note] [note] [note] [note]. Un tout dernier article du MIT vient remettre en cause la distanciation sociale, car la transmission se faisant par aérosol franchirait donc allégrement ces distances[note]. Si la science semble avoir tué la nouvelle normalité, combien de temps faudra-t-il avant que les masques ne tombent ?

Aryan Afzalian

Ingénieur civil et Docteur en Sciences Appliquées. Chercheur spécialisé dans le domaine de la physique quantique atomistique appliquée à la modélisation de la nano- et bio-électronique et auteur du site https://auxamescitoyennes.com/

Nour de San

Consultante indépendante. Docteur en médecine, spécialisée en biologie clinique (immunologie et microbiologie), anciennement responsable de la gestion des risques en découvertes et développement de l’unité Vaccine de GSK. Chargée de mission en support à la gestion de la crise COVID à l’hôpital Erasme d’avril 2020 à mai 2021.

Florence Parent

MD – PhD, Santé publique et pédagogie médicale, auteur d’ouvrages en Éducation médicale.

Martin Zizi

MD-PhD, Biophysicien, Professeur de Physiologie (KULeuven et VUB), ancien Directeur épidémiologique du Département de la Défense, ancien Directeur Scientifique et Président de Comité d’Éthique, ancien Conseiller UN pour le désarmement biologique et bio-inspecteur Unscom.

Feuille de synthèse sur les masques :

Covid-19 : Le port du masque que disent les études scientifiques :

Cette note a un but purement informatif. Elle est basée sur la littérature scientifique et une interprétation de la balance bénéfice-risque. Elle a pour vocation d’aider tout un chacun à mieux comprendre les mécanismes de transmission et connaître les bénéfices et risques du port du masque, dans l’espoir que chaque personne puisse utiliser cette connaissance pour se protéger au mieux. Elle ne tient pas compte, ni n’est là pour se substituer à la juridiction légale spécifique à chaque pays, mais se veut un message aux autorités leur demandant de considérer que des mesures plus respectueuses de la santé psychique et des droits fondamentaux des personnes pourraient être prises. Cet allégement n’aurait probablement pas d’impact sur la sécurité de chacun.

Je porte le masque, je suis :

Un Malade avec Symptôme: Nécessaire 👍 (Je protège les autres de mes exhalations directes: gouttelettes de salive quand je tousse par exemple).Le Personnel soignant directement au chevet des malades: Nécessaire 👍 (Je me protège des exhalations directes des malades).Une Personne ne présentant aucun symptôme : 👎 Inutile (Pas d’efficacité prouvée, asymptomatiques pas contagieux 1 , risques prouvés sur la santé physique et mentale et affaiblissement du système immunitaire, risque si mauvaise utilisation).Une personne à risque et qui a peur: 👍 utile avec modération ( Porter le masque, de préférence FFP2, comme précaution ultime et pour se rassurer peut faire sens surtout dans les lieux clos quand les distanciations sociales ne sont pas possibles. Dès que possible, je l’enlève pour ne pas risquer d’affaiblir inutilement mon système immunitaire. Je pense d’ailleurs à renforcer ce dernier par de la vitamine D, C et du Zinc et pourquoi pas un peu d’huile essentielle de Laurier Noble ou de Ravintsara, par exemple si j’ai eu un contact plus à risque (Je demande bien conseil à un professionnel de santé, par ex. mon pharmacien ou mon médecin de famille pour les dosages et utilisations).

De quoi protège le masque, de quoi ne protège-t-il pas?

Il me protège si une personne malade symptomatique et donc à haute charge virale me tousse directement dessus, ce qui représente une très faible proportion des contaminations.Le masque ne me protège pas de la contamination indirecte via les mains, ni celle par fines gouttelettes aérosols qui passent à travers les pores du masque ( jusqu’à 1000 × plus grands que le virus; en intérieur, le masque de type FFP2 filtre une partie des aérosols). Ce sont les modes principaux de contamination. Heureusement, il y a la notion de seuil [note].

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État du monde et monde sans état

« L’œuvre la plus néfaste du despotisme, c’est de séparer les citoyens, de les isoler les uns les autres, de les amener à la défiance, au mépris réciproques. Personne n’agit plus, parce que personne n’ose plus compter sur son voisin. » Arthur Arnould, communard.

Au nombre des questions que la morne époque du coronavirus posera aux générations futures, il en est une inévitable en raison du trouble qu’elle sème dans la société, perturbant parfois les relations amicales. 

« Comment avons-nous toléré qu’une poignée de retardés mentaux, incompétents jusque dans leurs mensonges, nous soumettent à leurs décrets arbitraires, à leurs foucades imbéciles ? Quelle peste émotionnelle s’est emparée de nous et a obtenu — comble de l’absurde — que nous renoncions à vivre pour parer au risque de mourir ? » 

Dénonçant la sottise dominante, l’intelligence de quelquesuns a fourni d’utiles éclairages. Cependant, à la question de savoir pourquoi l’apeurement avait suscité une telle hystérie de conversion, aucune réponse n’a été apportée. 

Il faudra bien en convenir tôt ou tard : on meurt du Coronavirus, c’est indéniable, mais on meurt plus sûrement encore de la pollution croissante, des nourritures empoisonnées, des hôpitaux mis à mal par la rentabilité, de la paupérisation accélérée, de l’angoissante précarité, de l’artifice publicitaire comptabilisant tous les décès sous le même label afin d’affoler la tête et le cœur. On meurt de la glaciation des relations affectives, des joies interdites, de l’absence d’humanité et d’entraide si indispensables à la santé. La dictature du morbide règne partout. Elle propage un malaise existentiel, un mal-être d’où naît le sentiment que mieux vaut crever que se traîner dans une vie que l’omniprésence de la marchandise vide de son sens. Comment en serait-il autrement alors que nous sommes la proie d’une machinerie mondiale qui broie la vie pour en extraire du profit ? On a cru bon d’éluder le problème en incriminant une malfaçon ontologique : une imbécillité native de l’homme et de la femme les déterminerait à agir contre eux-mêmes, à aller à l’encontre du bien qu’ils se veulent. Foutaise ! 

L’entourloupe métaphysique évite de mettre en cause l’apparition et le développement d’une économie hostile à la nature et à la vie, qui marquent la naissance de notre civilisation. Nous avons sous les yeux les ravages qu’entraîna son triomphe : patriarcat, mépris de la femme, société de maîtres et d’esclaves, dénaturation et métamorphose en homo oeconomicus de l’homo sapiens, qui tendait à affiner et à dépasser son animalité. Le capitalisme n’est qu’une forme moderne de l’exploitation de l’homme par l’homme, qui a marqué la rupture avec notre évolution symbiotique initiale, inaugurant le dogme de l’antiphysis ou anti-nature. L’hystérie panique à laquelle nous avons assisté rappelle la thèse de Reich dans Psychologie de masse du fascisme : le blocage caractériel provoque une inversion de la vie en réflexe de mort. 

Restaurer l’alliance avec la nature n’est pas un problème à dénouer mais un nœud gordien à trancher. Comment l’État pourrait-il mettre un terme au pillage qui épuise la terre et assèche le vivant alors qu’il compte parmi les zélateurs de la pollution ? Faut-il s’employer à briser son emprise ? Beaucoup le pensent. Mais quoi ! Il faut se rendre à l’évidence. L’État n’est plus qu’un rouage de l’économie mondiale qui impose partout ses diktats. Que reste-t-il de la république, de la res publica citoyenne, rongée depuis des décennies par l’affairisme, la corruption des notables, le ridicule du parlementarisme, les mondanités politiques, la guerre des vaccins singeant la concurrence des lessives qui lavent plus blanc, le sanitaire supplanté par le sécuritaire, le confinement et le « fini de rire ! » qui ôtent à l’affectif son apport immunitaire. De sorte que ce n’est plus la fin de l’État qu’il faut envisager, c’est son dépassement – sa conservation et sa négation. Réinventer la res publica, telle sera la tâche des assemblées locales et fédérées expérimentant la démocratie directe, l’auto-organisation ou quelque nom que vous donniez au gouvernement du peuple par le peuple. 

Nous avons pour alliées les insurrections qui enflamment les régions les plus diverses du monde. Elles annoncent par à coups, sans triomphalisme, avec une résolution inébranlable un gigantesque basculement. Elles sont le fruit d’une prise de conscience qui sensibilise les individus tout à la fois à leur existence appauvrie par la glaciation capitaliste et à une irrépressible volonté de vivre qui les tient debout. 

C’est à eux qu’il appartient d’abroger les décrets et les décisions du despotisme étatique, considérés comme dérisoires, nuls et non avenus, du point de vue de l’humain. 

La liberté c’est la vie, vivre c’est être libre. Ce qui seul garantit l’authenticité du propos et lui évite de tourner à la formule creuse, c’est l’expérience vécue de micro-sociétés où le gouvernement du peuple est exercé directement par lui-même. 

Restaurer la joie de vivre est notre priorité. La poésie faite par toutes et par tous réalise l’union de l’émancipation existentielle et de l’émancipation sociale. Il apparaîtra tôt ou tard que c’est notre arme absolue. 

Raoul Vaneigem, écrivain et philosophe 

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Vaccination des ados et des enfants : un rapport bénéfice/risque plus que questionnable !

L’Agence européenne du médicament (EMA) a estimé ce vendredi 28 mai 2021 que le rapport bénéfice/risque du vaccin anti-covid de Pfizer/BioNTech était positif chez les enfants de 12 à 15 ans, en particulier chez les enfants présentant des pathologies augmentant le risque de covid-19 sévère. L’Agence s’est dès lors prononcée en faveur d’une extension d’indication du vaccin à cette tranche d’âge, le vaccin étant déjà autorisé à partir de 16 ans. C’est désormais aux États membres de se prononcer sur l’utilisation ou non de ce vaccin chez les adolescents[note]. Dans la foulée, Moderna a également déposé auprès de l’EMA une demande d’autorisation pour son vaccin contre le covid-19 chez les adolescents de 12 à 17 ans[note].

En Belgique, les jeunes de 16 et 17 ans pourront déjà se faire vacciner dès ce 14 juin 2021 avec le vaccin Pfizer « sans que le consentement des parents ne soit nécessaire », titrent plusieurs médias[note], ce qui ne correspond pas exactement à ce que prévoit la loi (voir le point 11 ci-dessous). Ces mêmes médias ont également précisé que la possibilité de permettre aux jeunes dûment informés d’opter pour les vaccins Astra Zeneca ou Janssen serait étudiée[note], ce qui est pour le moins surprenant, les essais cliniques sur les adolescents pour ces deux derniers vaccins ayant à peine débuté (voir le point 2 ci-dessous).

Pourtant, comme le montrent les arguments suivants, excepté situations familiales spécifiques (proches vulnérables) ou cas médicaux particuliers (jeunes souffrant de comorbidités ou de déficits immunitaires) qui devraient être évalués au cas par cas après démonstration que, pour ces jeunes, le risque lié au vaccin ne serait pas supérieur au risque lié au covid-19, la vaccination généralisée des jeunes contre le covid-19 semble au minimum prématurée, à partir du moment où c’est le bénéfice sanitaire individuel et l’intérêt supérieur de l’enfant que l’on prend en compte.

Les risques liés au covid-19 chez les jeunes: les enfants sont souvent asymptomatiques ou paucisymptomatiques et présentent un très faible risque de mortalité[note]. Dans l’hypothèse où la vaccination contre le covid-19 ne comporterait aucun risque (ce qui n’est pas le cas, comme l’expose le point 2), la vaccination généralisée aux mineurs non porteurs de comorbidités n’apporterait à ceux-ci qu’un bénéfice sanitaire individuel très faible, voire quasi nul.Les risques liés au vaccin chez les jeunes: 

Les risques liés à ces vaccins, actuellement en phase d’expérimentation, sont encore largement inconnus. Pour rendre son avis sur le vaccin Pfizer, l’Agence européenne du médicament s’est appuyée sur une étude entamée fin octobre 2020 qui n’a porté que sur un nombre limité de jeunes de plus de 12 ans (2260 jeunes de 12 à 15 ans)[note]. Selon le Comité consultatif national d’éthique français (ce 14 juin 2021) « le nombre d’enfants inclus dans cette étude est insuffisant pour démontrer de façon significative une efficacité sur les formes graves chez l’adolescent»[note]. Moderna a pour sa part annoncé fin mai 2021 les résultats complets de ses essais cliniques débutés en décembre 2020 sur 3.700 participants âgés de 12 à 17 ans[note]. AstraZeneca n’a débuté qu’en février 2021 ses essais cliniques sur 300 enfants de 6 à 17 ans[note], tandis que Janssen n’a annoncé des essais sur des adolescents qu’en avril 2021, des essais qui semblent avoir été interrompus après des cas de thrombose chez des adultes jeunes[note]. Chez les jeunes adultes vaccinés, de même que chez les mineurs vaccinés ailleurs dans le monde, de nombreux effets secondaires et post-vaccinaux[note], ainsi que des décès ont déjà été recensés[note]. Il a fallu un certain temps pour que le lien entre certains cas de thrombose et le vaccin AstraZeneca, puis le vaccin Janssen soit reconnu comme « possible »[note] par l’Agence européenne du médicament, les thromboses devant désormais être considérées comme des effets secondaires très rares causés par les vaccins AstraZeneca[note] et Janssen[note]. C’est maintenant le lien entre des cas de myocardite et de péricardite ayant suivi la vaccination (y compris chez des enfants[note]) qui est à l’étude, notamment au sein de l’EMA[note]. Israël juge pour sa part « probable » le lien entre certains cas de myocardite et de péricardite et le vaccin Pfizer[note]. Nous manquons totalement de recul sur les conséquences à long terme de l’administration de ces vaccins, en particulier des vaccins à ARNm. Par exemple, « nous n’avons pas encore assez de recul en termes de génotoxicité [effets sur le génome] et de carcinogénotoxicité [effets cancérigènes]», prévient la pédiatre Marie Fabre-Grenet[note]. Selon l’équipe scientifique de réinfocovid, les AMM conditionnelles du vaccin Pfizer/BioNtech et Moderna elles-mêmes indiquent que les ARNm vaccinaux se distribuent dans une grande variété d’organes, dont les organes reproducteurs ou gonades[note].

3. La transmission du covid-19 par les enfants: l’argument principal utilisé pour imposer la vaccination aux enfants est que ceux-ci seraient un vecteur de propagation du virus. Or, de plus en plus d’études montrent que le rôle des enfants dans la propagation du covid-19 est faible et suggèrent que les enfants sont plutôt infectés par les adultes que l’inverse, tant à l’école qu’au sein du foyer[note]. Le rôle des adolescents dans la transmission paraît également plus faible que celui des adultes[note].

4. La transmission du covid-19 par les personnes vaccinées: il faudra attendre les données des essais de phase 4 pour évaluer dans quelle mesure les vaccinés restent – ou non – transmetteurs. Mais à ce jour, de nombreux cas de personnes vaccinées testées positives au covid-19 ont été recensés[note].

5. Le rapport bénéfices-risques pour les jeunes: Ce que doivent démontrer les études, c’est que le bénéfice apporté à la population pédiatrique est supérieur aux risques potentiels encourus par cette population. Comment un rapport bénéfice/risque positif global pour ces tranches d’âge (12–15 et 16–18) a‑t-il pu être posé, alors que le risque à moyen et long terme est indéterminé à ce jour et que le bénéfice sanitaire individuel pour les jeunes qui ne souffrent pas de pathologies faisant d’eux des personnes à risque est quasi nul ? Le Comité consultatif national d’éthique français insiste, ce 14 juin 2021 : « Chez les adolescents, entre 12 et 16 ans, le bénéfice individuel en lien avec l’infection est très faible en l’absence de comorbidité et ne semble pas suffisant pour justifier, à lui seul, la vaccination[note]». Par contre, on n’entend pas le Conseil national de bioéthique de Belgique sur cette question…

6. L’immunité naturelle chez les jeunes:

— A ce jour, un certain nombre de jeunes disposent d’anticorps et donc d’une immunité qui s’est avérée suffisante pour les protéger. 

- Il est probable que l’immunité naturelle après infection soit plus solide pour affronter les mutations éventuelles du virus, a expliqué le pédiatre Michel Dechamps à L’Avenir[note].

- Pour permettre le développement de cette immunité collective naturelle chez les jeunes, il est important de les laisser développer sans frein des interactions nombreuses entre eux, leur permettant par là de renforcer leur système immunitaire au lieu de l’affaiblir par un mode de vie sédentaire, en intérieur, privé de sorties, de contacts, de sports, de plaisirs et de loisirs autres que les écrans. 

- Selon l’équipe scientifique de réinfocovid, une étude publiée en mai 2021 dans le journal « Science »[note] démontre que les enfants disposent d’une protection humorale spécifique contre le SARS-CoV‑2, même quand ils ne l’ont pas rencontré. Une autre étude a également rapporté des observations similaires[note]. Cette protection reposerait sur le fait que les enfants sont régulièrement sujets à des atteintes respiratoires bénignes (et des rhumes banals) en hiver dus aux coronavirus « classiques » avec lesquels nous coexistons. Ces infections bénignes entraînent chez les enfants n’ayant jamais croisé le SARS-CoV‑2 une production de nombreux lymphocytes B appelés « mémoires », qui produisent chacun un répertoire particulier d’anticorps qui reconnaissent le SARS-CoV‑2. Plus particulièrement, ces différents clones de lymphocytes B mémoires reconnaissent des motifs (appelés « épitopes ») présents sur les protéines Spike de différents coronavirus, y compris sur les formes mutantes du SRAS COV 2. Les adultes ont également été exposés à ces coronavirus bénins lorsqu’ils étaient enfants. Mais leurs lymphocytes B mémoires ciblant ces coronavirus sembleraient avoir perdu une grande partie de leur efficacité au cours des années, expliquant ainsi (entre autres facteurs liés à l’âge) la plus grande sensibilité au SARS-CoV‑2 lorsque les années passent[note].

7. L’argument pseudo-moral — L’incidence et la morbidité du covid-19 étant très faibles chez les jeunes, leur vaccination n’est en réalité pas entreprise pour leur propre protection, mais pour celle de la population à risque. En d’autres termes, ce n’est pas le bénéfice individuel sanitaire du jeune ni l’intérêt supérieur de l’enfant qui sont pris en compte. Ce qui fait surgir une question : faut-il faire prendre des risques indéterminés aux jeunes pour protéger le reste de la population ? N’est-ce pas l’inverse qui serait conforme à la morale et même à l’instinct le plus naturel ? 

- Dans l’état actuel des connaissances, faire le choix collectif de la vaccination des mineurs contre le covid-19 signifie que les intérêts de cette classe d’individus sont considérés comme secondaires par rapport aux intérêts d’un relativement petit nombre d’adultes à risque. 

- De même, faire, à l’heure actuelle, le choix collectif de la vaccination des mineurs contre le covid-19 dans le but de favoriser le retour à la  »liberté » et à la  »vie d’avant » signifie que ces objectifs seraient jugés prioritaires sur l’intérêt des jeunes. On pourrait objecter que les jeunes ont eu aussi un intérêt à retrouver la liberté. Mais un acte (se vacciner) exercé en échange d’une promesse de liberté n’est pas un acte libre, mais un chantage. Et la « liberté » retrouvée n’en est pas une non plus : un tel chantage en annonce inévitablement d’autres. D’ailleurs, « les membres du Comité (national d’éthique français) préconisent d’informer les adolescents, comme l’ensemble de la population, du risque qu’il y aurait à être à nouveau confinés, alors même qu’ils seront vaccinés, en cas de rebond de l’épidémie dû, par exemple, à l’apparition d’un nouveau variant »[note].

- Vacciner les jeunes pour ne pas fermer les classes et les lieux de rencontres entre jeunes est un argument dépassé. En effet, sur base des arguments 1, 3 et 6 présentés ci-dessus et sur base de nombreux autres arguments (santé physique et mentale, lutte contre le décrochage scolaire et social, etc.), ces lieux n’ont plus à être fermés : des aménagements doivent être organisés. 

- Faire, à l’heure actuelle, le choix individuel de vacciner son enfant contre le covid-19 signifie que les intérêts des parents et grands-parents à risque sont jugés prioritaires sur les intérêts des enfants : un tel raisonnement peut se défendre dans certaines situations (parent proche très vulnérable), mais est difficilement généralisable en tant que principe. Mais si, en plus, les vaccins ne garantissent pas l’absence de contagiosité (voir point 4), l’argument d’une « vaccination altruiste » et d’un « devoir citoyen » (qui ne se justifiait déjà pas au regard du rapport bénéfice/risque sanitaire individuel pour les jeunes non porteurs de co-morbidité) perd toute crédibilité et rend l’éthique de vaccination des jeunes d’autant plus questionnable. 

- Vacciner les jeunes contre le covid-19 (excepté situations familiales ou cas médicaux particuliers) dans le contexte actuel revient donc à les instrumentaliser, c’est à dire à les considérer comme des moyens pour la réalisation d’une stratégie vaccinale reposant sur des prémisses et des modèles questionnables[note]. Ce choix peut être considéré comme un sacrifice des intérêts des jeunes, sacrifice auquel conduisent également toute une série de mesures adoptées depuis mars 2020 : port du masque 8h par jour à l’école, éducation, activités culturelles, artistiques et sportives sacrifiées, ces dernières étant pourtant indispensables pour entretenir et renforcer le système immunitaire et ne pas créer des jeunes porteurs de co-morbidités.

8. L’argument économique D’un point de vue strictement économique, rappelle l’Avenir, deux doses de Pfizer coûtent 31 euros qu’il faudrait multiplier par le nombre de mineurs à vacciner. Tandis que l’immunité naturelle est gratuite et a fait ses preuves chez les mineurs[note].

9. L’avis de scientifiques belges Même Y. Van Laethem (partisan toutefois de la vaccination des 16–18 ans) avoue « À titre personnel — mais je ne suis pas pédiatre — je suis très circonspect. Et quand ce sont les présidents des firmes pharmaceutiques qui affirment qu’il faudra vacciner les enfants, cela m’irrite profondément. Ça sent un peu mauvais…[note] ». Pour Olga Chatzis, pédiatre infectiologue aux Cliniques universitaires Saint-Luc de Bruxelles et membre du groupe pédiatrique au Conseil supérieur de la Santé, la balance bénéfice/risque est plutôt négative. Yves Coppieters, professeur de Santé publique à l’ULB, va dans le même sens : « Ce n’est pas la question de la circulation du virus pour l’instant qui est importante, c’est plus la diminution du nombre de formes graves, et la diminution du nombre d’hospitalisations »[note].

10. Alternatives médicales et politiques à la vaccination généralisée Plutôt que de faire prendre un risque indéterminé et potentiellement vital à nos enfants et à nos adolescents non à risque, ne serait-il pas plus judicieux de chercher d’autres solutions à la crise actuelle? Pourquoi le débat scientifique est-il entravé en Belgique et en Europe sur le renforcement de l’immunité naturelle, les traitements préventifs et les traitements précoces identifiés ? Pourquoi dévaloriser l’immunité collective naturelle au bénéfice de l’immunité vaccinale, moins efficace et dont la mise en place est incertaine, si ce n’est pour des raisons économiques bénéficiant aux entreprises pharmaceutiques ? Et qu’en est-il des investissements belges dans le secteur hospitalier depuis mars 2020, puisque la motivation première des mesures adoptées et de la vaccination est d’éviter la saturation des hôpitaux ?

Pourquoi dévaloriser l’immunité collective naturelle au bénéfice de l’immunité vaccinale, moins efficace et dont la mise en place est incertaine, si ce n’est pour des raisons économiques bénéficiant aux entreprises pharmaceutiques ?

11. Petits arrangements avec la légalité ? Enfin, vacciner les 16–17 ans « sans le consentement des parents », comme le titrent plusieurs médias, ne correspond pas exactement à ce que dit la loi relative au droit des patients de 2002[note]. En effet, selon cette loi, l’accord du mineur est requis pour les soins relatifs à la santé de tous les jours, mais au-delà de cet accord plus ou moins explicite du mineur, ce sont les détenteurs de l’autorité parentale qui prennent l’ultime décision. Il existe néanmoins des domaines où le mineur peut exercer clairement son droit vis‑à vis des soins. Par exemple, s’il s’avère que le choix des parents n’est pas au service de l’intérêt du mineur[note].

Mais on peut craindre qu’en ces temps de frénésie vaccinale et de censure du débat scientifique, les décisions des éventuels arbitrages judiciaires en cas de désaccords n’aient tendance à pencher en faveur de la vaccination, dont on vient pourtant de montrer que, sauf situations particulières à discuter au cas par cas, elle ne rencontre pas l’intérêt sanitaire individuel du jeune, et dont on peut même douter, au vu des arguments 2 à 8, qu’elle rencontre l’intérêt collectif.

Articles recommandés sur le sujet:

« Vacciner les mineurs contre le COVID ? Le Comité consultatif d’éthique est réservé »: https://francais.medscape.com/voirarticle/3607262 (14 juin 2021)

Interview de la pédiatre Marie Fabre-Grenet: https://www.youtube.com/watch?v=3upEtrz7xWU (7 juin 2021)

https://reinfocovid.fr/science/covid-19-vacciner-les-enfants-est-ce-bien-ethique/ (2 juin 2021)

https://www.francesoir.fr/politique-france/devons-nous-vacciner-nos-enfants-contre-le-covid-19 (2 juin 2021)

« Symptomatic Acute Myocarditis in Seven Adolescents Following Pfizer-BioNTech COVID- 19 Vaccination « : peds.2021–052478.full.pdf (aappublications.org) (2 juin 2021)

https://www.lavenir.net/cnt/dmf20210528_01584327/vacciner-les-enfants-quel-interet (29 mai 2021)

https://reinfocovid.fr/science/les-enfants-de-5-a-17-ans-face-a-la-covid-19/ (25 mai 2021)

https://reinfocovid.fr/science/les-enfants-ne-doivent-pas-etre-vaccines-contre-la-covid-19 (24 mai 2021)

https://grappebelgique.org/2021/05/18/cp-nos-enfants-ne-peuvent-pas-etre-les-cobayes-de-lindustrie-pharmaceutique/

https://collectifdesantepediatrique.fr/les-enfants-prochainement-vaccines-il-faut-etre-prudent-tout-est-une-histoire-de-rapport-benefices-risques/ (10 mai 2021)

https://presse.inserm.fr/vacciner-les-enfants-pour-lutter-contre-la-pandemie-de-covid-19-vraiment/42468/ (23 mars 2021)

https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2021/revue-medicale-suisse-726/faudra-t-il-vacciner-les-enfants-contre-le-covid-19 (17 février 2021)

« Assessing the age specificity of infection fatality rates for COVID-19: systematic review, meta-analysis, and public policy implications »: https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33289900/ (8 décembre 2020)

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Message aux jeunes appelés à se faire vacciner et à leurs enfants

Communiqué de presse du GRAPPE, 11 juin 2021

La Conférence interministérielle (CIM) santé qui regroupe l’ensemble des Ministres de la Santé du pays a décidé, ce 5 juin dernier, d’autoriser la vaccination des jeunes de 16 à 18 ans contre la Covid-19. Dès le mois de juillet, les invitations à se faire vacciner seront envoyées.

Le risque de la vaccination est probablement nettement supérieur à celui de troubles importants dus à la Covid-19

Les Ministres de la Santé ont précisé que les adolescents concernés pouvaient décider de se faire vacciner sans autorisation de leurs parents. Le Grappe tient à souligner que ce message est basé sur une interprétation de la loi du 22 août 2002 sur les droits du patient. Elle laisse entendre que l’autorité parentale serait supprimée en la matière, ce qui est faux. L’article 12 de la loi dément totalement cette interprétation. Les parents sont bien responsables même si le mineur est associé à l’exercice de ses droits.

Le second paragraphe de l’article 12 indique bien que les droits du mineur peuvent être exercés de manière autonome par le patient mineur « qui peut être estimé apte à apprécier raisonnablement ses intérêts ». Mais cela signifie clairement qu’en cas de désaccord, l’intérêt de l’enfant, tel qu’il le perçoit, peut l’emporter sur le choix parental. Rien de plus.

La vaccination des jeunes de 16 à 18 ans contre le SARS-covid-19 constitue un acte médical dont l’utilité est des plus contestables sinon pour gonfler artificiellement les chiffres de pourcentage de personnes vaccinées dans le pays. Le CIM santé ferait bien d’exiger que soit vraiment appliquée la loi sur le droit des patients et plus particulièrement ses articles 7 et 8 qui exigent le consentement libre et éclairé du patient pour tout acte médical, ce qu’est bien la vaccination.

Il est nécessaire à cet égard de rappeler que les vaccins contre la Covid-19 sont expérimentaux, sachant que les essais cliniques de phase 3 normalement exigés pour une agréation et une mise sur le marché sont toujours en cours, y compris pour le vaccin de Pfizer ; l’autorisation de mise sur le marché actuellement en cours n’est donc que provisoire. Sachant en outre que les vaccins à ARN messager constituent une première dans la technique vaccinale. De plus, les risques de graves effets secondaires notamment les coagulopathies potentiellement mortelles, doivent être portées à la connaissance des patients. On ne peut passer sous silence non plus, les risques non élucidés d’altération de la fertilité, de la reproduction et de la gestation.

Enfin, il serait élémentaire de signaler aux adolescents et à leurs parents que la maladie de la Covid-19 est une maladie généralement bénigne pour les jeunes et que le risque de la vaccination est probablement nettement supérieur à celui de troubles importants dus à la Covid-19.

Il est nécessaire de rappeler que les vaccins contre la Covid-19 sont expérimentaux, que les vaccins à ARN messager constituent une première dans la technique vaccinale, outre les risques non élucidés d’altération de la fertilité, de la reproduction et de la gestation et les risques de graves effets secondaires

Inciter les jeunes à adopter un mode de vie sain, à préférer les sorties en plein air au confinement, à pratiquer des activités sportives et à choisir une alimentation de qualité plutôt que les produits industriels, constitue un message de santé plus approprié que les convoquer à une vaccination inutile et potentiellement dangereuse.

Pour le GrappePierre Stein, présidentPaul Lannoye, membre fondateur

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La censure : la réponse de la Commission européenne aux informations« qui ne font pas autorité »

Le droit à la liberté d’expression est un droit inhérent à la démocratie. Ce droit est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans la Convention européenne des droits de l’Homme. C’est donc un droit fondamental, mais il n’est pas absolu : il est soumis à toute une série de limitations légitimes. Mais depuis un an, on assiste à des initiatives de censure totalement illégitimes :

sur les réseaux sociaux, des groupes Facebook qui contestent les mesures gouvernementales ont été supprimés des vidéos YouTube de médecins qui ne partagent pas ou nuancent les discours officiels ont été censurées ;depuis plusieurs mois, YouTube interdit en effet les contenus qui contredisent le consensus des autorités sanitaires locales ou de l’OMS concernant le COVID-19 et ses vaccins[note] ;la « Politique en matière d’informations trompeuses sur le COVID‑19 » de Twitter va dans le même sens[note] ;Google News indique également que les sites qui contredisent les consensus scientifiques ou médicaux sont interdits[note] ;des dizaines de sites, de vidéos, d’articles parfaitement licites sont donc censurés parce qu’ils ne respectent pas un certain « consensus » ;dans les médias traditionnels, des articles critiques préalablement acceptés ont été finalement refusés ou retirés ;on pourrait encore parler des obstacles rencontrés par les journalistes indépendants : de ces micros malencontreusement coupés en conférences de presse (journal Kairos), du média France Soir qui craint la censure ; d’intimidations, arrestations, fouilles à nu arbitraires sur des personnes exprimant leurs opinions[note] ;ou encore de ce policier belge chargé de traquer les « fake news » qui nous apprend dans un article de la RTBF[note] qu’on aurait par exemple le droit de dire dans un « post » qu’on ne porte pas le masque, mais qu’on n’aurait pas le droit d’appeler une partie de la population à ne pas porter le masque (je cite) « en prétextant n’importe quoi » car cela pourrait porter préjudice en matière de santé. L’idée derrière ce principe est manifestement que les arguments, même rationnels, même scientifiques permettant de contester certaines mesures et orientations politiques ne sont plus admis[note].enfin, on pourrait aussi parler de l’Ordre des médecins belge qui s’autorise désormais à poursuivre les médecins qui expriment leurs doutes par rapport aux vaccins anti-COVID-19[note]. Les médecins ont d’ailleurs reçu un courrier de l’Ordre indiquant : « L’Ordre des médecins veillera à ce que les médecins respectent leur devoir déontologique en endossant un rôle de pionnier par la recommandation et la promotion de la vaccination » (…) « l’Ordre sévira fermement contre la diffusion d’informations qui ne cadrent pas avec l’état actuel de la science. »

Dans le même esprit, le 10 juin 2020, les instances européennes publiaient une communication intitulée « Lutter contre la désinformation concernant la COVID-19 – Démêler le vrai du faux »[note]. Sous couvert de « préserver la démocratie » et de « protéger l’intégrité du débat public », et dans la foulée d’autres initiatives européennes, ce texte annonce un tournant radical en matière de liberté d’expression. Cette communication n’est en réalité qu’un élément dans une stratégie européenne beaucoup plus vaste qui porte sur la sécurité, les menaces dites « hybrides » et la désinformation, une stratégie qui s’est fort étoffée fin 2020. Il existe en effet, au niveau européen :

depuis 2016, un Cadre commun en matière de lutte contre les menaces hybrides[note] ;depuis 2018, un Plan d’action conjoint de lutte contre la désinformation ;depuis 2018, un Code de bonnes pratiques contre la désinformation en ligne ;en juillet 2020, l’UE publiait sa stratégie en matière de sécurité pour 2020–2025.

Depuis décembre 2020, il existe en outre :

un Plan d’action pour la démocratie européenne, qui s’attaque notamment au problème de la désinformation ;une nouvelle stratégie de l’UE en matière de cybersécurité ;deux propositions de règlements : le DSA (le Digital Services Act) et le DMA (le Digital Market Act) qui s’attaquent eux aussi, parmi de nombreuses autres thématiques, à la désinformation, la manipulation et la propagande en ligne ;un document du Conseil de l’UE[note] confirmant l’action de l’UE notamment en matière de désinformation dans le contexte de la pandémie de COVID-19 ;

Par ailleurs, il existe une page web de « fact-checking » de la Commission européenne intitulée « Lutter contre la désinformation »[note] qui pose au minimum question pour son parti-pris en ce qui concerne les sources sur lesquelles elle s’appuie. Pour ne prendre qu’un exemple : sur la question du confinement, cette page indique (sans référence à des études scientifiques) « La plupart des scientifiques et des responsables politiques reconnaissent que les confinements permettent de sauver des vies », renvoyant à une page de l’OMS affirmant elle aussi que « Large scale physical distancing measures and movement restrictions, often referred to as ‘lockdowns’, can slow COVID‑19 transmission », ces deux institutions passant totalement sous silence l’étude du Pr John Ioannidis, médecin épidémiologiste mondialement réputé[note] dont l’étude récente n’aboutit, pour sa part, pas à cette conclusion.

Que sont les menaces hybrides ?

Un rapport de la Défense belge définit les menaces hybrides comme « L’utilisation par un État ou par un acteur non-étatique de tous les moyens diplomatiques, informatifs, militaires et économiques disponibles pour déstabiliser un adversaire »[note]. Au final, les « menaces hybrides » englobent à peu près tout ce qui peut être perçu comme une menace, y compris la désinformation[note]. Les services de renseignement belges par exemple estiment que, sur les réseaux sociaux, des individus et des groupes instrumentalisent la crise du COVID-19 pour « saper l’autorité du gouvernement belge », tandis que des campagnes de désinformation, russes et chinoises notamment, chercheraient à « déstabiliser les démocraties », « saper les valeurs européennes », « affaiblir l’Occident »[note] (des menaces géopolitiques que le propos de cet article n’est pas de contester). Des spécialistes mettent pourtant en garde contre la plasticité de cette expression de « menaces hybrides ». Toujours est-il que l’UE inclut dans ces menaces hybrides la désinformation (qui implique une intention de nuire) et cherche également à lutter contre la mésinformation (càd le simple fait de transmettre des informations fausses).

Comment l’UE compte-t-elle lutter contre ces phénomènes ?

Dans plusieurs passages de cette communication (suivis et précédés de précautions oratoires faisant la promotion de la démocratie, de la liberté d’expression, du journalisme indépendant, etc.), l’UE laisse entendre qu’elle compte lutter contre la « désinformation » avec l’aide des médias « professionnels », la collaboration des plateformes de médias sociaux (réseaux sociaux, moteurs de recherche, …), mais aussi au moyen de mesures réglementaires et répressives. Ce qui pose problème, c’est que la lutte engagée par l’UE contre la désinformation semble prête, dans la foulée, à étouffer toute forme de discours critique, de débat public, tant politique que scientifique. Plusieurs éléments confirment cette tendance.

1) La communication révèle que les plateformes doivent désormais favoriser les informations « exactes et provenant de sources qui font autorité », notamment en matière de COVID-19 et de vaccins. N’est-il pas un peu précoce de parler d’informations « exactes » en matière de covid-19 ? Par ailleurs, quelles sont les sources présentées comme faisant autorité dans ces textes  ? L’OMS, les autorités sanitaires nationales et les médias professionnels. Or, d’une part, l’indépendance de l’OMS a souvent été mise en question, et pas seulement dans cette crise. D’autre part, on sait pertinemment que la plupart des médias « professionnels » sont détenus par des groupes d’intérêt[note]. Dans le domaine scientifique (et particulièrement médical), s’il y a des vérités scientifiques fondées sur la rigueur du raisonnement et vérifiées par l’expérience, il faut aussi tenir compte du fait que la science est en perpétuelle construction/révision. Promouvoir uniquement les informations de sources faisant autorité en science, c’est faire appel à l’argument d’autorité (qui n’est pas un argument scientifique), c’est à dire soit à la position de celui qui prétend détenir la Vérité, soit au consensus scientifique qui fait autorité. Or l’histoire des sciences montre qu’un consensus scientifique n’est jamais qu’un consensus historique, susceptible d’évoluer car la connaissance évolue. Par ailleurs, un consensus de scientifiques ne signifie pas toujours un consensus scientifique global si ces scientifiques sont animés, même inconsciemment, d’une certaine vision du monde, ou plus prosaïquement de certains intérêts. Enfin, promouvoir uniquement les sources présentées par l’autorité elle-même comme faisant autorité pose un réel problème démocratique quand certains scientifiques qui les soutiennent sont en conflit d’intérêts, que ceux qui les discutent se voient automatiquement discrédités sur la place publique, et que d’autres encore s’autocensurent pour ne pas avoir d’ennuis ? Quel traitement sera donc réservé aux chercheurs obtenant des résultats contradictoires aux informations qui font autorité ?

La « désinformation » en matière de vaccins : censurer les positions critiques

2) La communication insiste sur le fait que la désinformation et la mésinformation entourant les vaccins contre la COVID-19 sont susceptibles de compliquer leur déploiement. C’est possible. Mais certaines objections concernant ces nouveaux vaccins ne découlent pas d’une mésinformation ou d’une désinformation, mais sont issue de milieux scientifiques, et même de spécialistes[note]. Or chaque citoyen a droit à une information complète lui permettant de se faire librement une opinion la plus éclairée possible.

3) La communication ajoute que les décisions politiques doivent être prises sur la base des conseils des scientifiques et des professionnels de la santé. Que les décisions soient éclairées par des données scientifiques ne pose aucun problème, toutefois la vie des hommes ne se résume pas à l’aspect sanitaire, et l’aspect sanitaire lui-même ne devrait pas se résumer à la lutte contre le covid-19 : d’autres avis et d’autres intérêts publics doivent donc être pris en compte. Par ailleurs, on ne peut pas négliger les aspects non transparents liés aux discours scientifiques : les intérêts commerciaux, les brevets, le lobbying, les conflits d’intérêts, la fraude scientifique[note]. On est donc en droit de prendre du recul critique par rapport à certaines conclusions présentées comme purement scientifiques, et surtout par rapport aux injonctions politiques et éthiques qui découleraient de ces conclusions : on est en droit, en démocratie, d’exiger la tenue de débats contradictoires tant scientifiques que citoyens.

Informations officielles et (ré)informations citoyennes : deux poids, deux mesures

4) La lutte contre la désinformation ne se limite pas aux questions sanitaires relatives au covid-19 :

« Dans les menaces hybrides (…) On peut citer, à titre d’exemples, (..) les campagnes de désinformation, y compris sur les médias sociaux . (..) Afin de travailler de manière cohérente, les conclusions appellent à renforcer la résilience face aux menaces hybrides dans différents domaines d’action, par exemple lors du développement et de l’utilisation de technologies nouvelles et émergentes, y compris l’intelligence artificielle et les techniques de collecte de données, et lors de l’évaluation de l’incidence des investissements directs étrangers ou de futures propositions législatives[note]»  En des termes plus clairs, l’UE compte renforcer la lutte contre la désinformation dans ces différents domaines politiques et stratégiques. Mais, de nouveau, qui déterminera s’il s’agit de désinformation ? Qui déterminera ce qu’est la Vérité ? Des experts pointus unanimes uniquement ? Que deviendra la parole des chercheurs dissidents, journalistes, écrivains, citoyens, philosophes, contradicteurs issus d’autres domaines du savoir, etc. qui tenteront de replacer les technologies ou propositions de lois dans un contexte global : sera-t-elle reléguée du côté du complotisme et de la désinformation, et ceux-ci jugés délictueux ?

5) A la lecture de ces différents documents, le projet de l’UE est manifestement d’établir de nouvelles restrictions à la liberté d’expression face à ce qu’elle considère comme de la désinformation au contenu jugé préjudiciable. Et cela en définissant de nouvelles infractions en des termes généraux (« désinformation », « discours nuisibles », « intention d’induire en erreur », etc.) qui conduiront soit à l’autocensure prudente, soit à la dénonciation, la censure, voire la répression. Introduire « l’intention de nuire », « l’intention d’induire en erreur » ou encore « l’intention de causer un préjudice public », comme le fait ce texte, dans les motifs qui permettraient de restreindre la liberté d’expression est en effet problématique : les expressions « intention de nuire » et « intention de causer un préjudice public » peuvent être interprétées de façon subjective et partisane (par exemple, contester une mesure politique pourrait être interprété comme une intention de nuire ou de causer un préjudice public). « L’intention d’induire en erreur » ne constitue pas un motif plus objectif. En effet, comme expliqué plus haut, qui va décréter l’erreur et la vérité ? La discussion d’une mesure politique, d’une hypothèse ou d’une « vérité » scientifique actuelle pour soutenir une hypothèse différente, voire opposée risquerait d’être interprétée comme une intention d’induire en erreur. Dans le même ordre d’idées, la différence établie par la Commission entre mésinformation (traduire « mauvaise » information) et désinformation se situe au niveau de l’intention. Or, déterminer l’intention de l’auteur d’une information est tout sauf un exercice parfaitement objectif. Que risque-t-il dès lors d’advenir des chercheurs, professionnels de terrain (médecins, psychologues de terrain, par exemple), groupes de citoyens, journalistes, militants en faveur des droits humains observant des faits contradictoires ou exprimant des analyses critiques qui pourraient être jugées « préjudiciables » du point de vue de l’autorité scientifique ou politique ? La communication révèle :

que les médias sociaux vont être diligentés pour rechercher les auteurs de « désinformation » ou d’« opérations d’influence pernicieuses » et les dénoncer aux autorités publiques ;que des dispositions pénales en matière de désinformation seront mises en place ou renforcées dans les Etats-membres ;tandis qu’une armée de facts-checkers, des « vérificateurs de faits », rétablira la « vérité officielle » via l’Observatoire européen des médias numériques (EDMO).

La façon dont l’UE envisage la lutte contre la désinformation ne semble donc pas être la plus démocratique qui soit. Le risque est réel de voir des titres tels que celui-ci devenir un jour notre réalité : « Un journaliste indépendant/citoyen condamné pour « provocation aux troubles » pour des reportages »[note].

Que faire dès lors face à la désinformation ?

Il est vrai qu’il existe de la désinformation, mais si celle-ci est multipliée par internet, l’accès à l’information et à la connaissance l’est également (du moins tant que la censure ne s’exerce pas). Par ailleurs, la désinformation n’est pas un fait nouveau. Dans l’histoire, les erreurs[note], la propagande, la désinformation, le mensonge ne proviennent pas que de groupes de pression : ils proviennent aussi parfois de l’autorité politique (les exemples ne manquent pas dans l’histoire, qui vont des tyrans démagogues aux propagandes de guerre, …) ; et parfois aussi de l’autorité scientifique, par exemple lorsque cette dernière n’est pas indépendante (il suffit de penser aux études scientifiques passées et présentes financées par des lobbies). C’est la raison pour laquelle des contre-pouvoirs sont nécessaires. Balayer d’autorité et d’un simple revers de la main ces différentes objections au nom du « conspirationnisme », c’est refuser de regarder les faits.

Dans un tel contexte, ce n’est donc que par le débat, c’est à dire la mise en présence d’une pluralité d’opinions (parmi lesquelles certaines sont peut-être fausses, fantaisistes, non pertinentes, inappropriées, etc.) que peut finalement émerger la vérité en science et, on peut l’espérer, le consensus social en politique. Tant du côté du consensus que de la dissidence, la meilleure façon de lutter contre la bêtise, la manipulation, la propagande ou la désinformation est la réponse argumentée. Le citoyen est en droit d’attendre des pouvoirs publics qu’ils lui permettent l’accès à une information transparente, complète, critique et contradictoire. C’est justement par la possibilité d’une réflexion et d’une information libres et plurielles, et non par la censure et la propagande, que passent la lutte contre la désinformation, la construction de l’esprit critique des populations et le rétablissement d’une plus grande confiance des citoyens envers le politique et la science.

La liberté d’expression : un droit récent et intrinsèque à la démocratie

La censure existe depuis l’Antiquité ; le combat pour la liberté d’expression aussi. Le droit à la liberté d’expression est un droit récent[note] et intrinsèque à la démocratie. Certains ont déploré que les réseaux sociaux accordent autant de place au « 1% de scientifiques dissidents » au lieu de les censurer. Mais sans débats scientifiques, comment la science progresserait-elle? Copernic, Galilée, Darwin, Einstein représentaient moins de 1% des scientifiques. Et pourtant, ils ont ouvert de nouvelles ères scientifiques. Il en va de même des consensus politiques : dans une démocratie, ils peuvent toujours être discutés et remis en question sur base d’aspects du réel non pris en compte jusque là. En incluant la lutte contre la désinformation en matière de covid-19 dans la lutte contre les menaces hybrides, l’UE est sur le point de mettre fin au débat public et, du même coup, à la démocratie.

Selon un arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme, même les informations qui pourraient être fausses participent de la liberté d’expression[note]. Dans un autre arrêt relatif à un sujet de santé publique, cette cour précise qu’on ne peut limiter la liberté d’expression aux idées communément admises[note]. La liberté de critiquer, de contester, d’amener d’autres visions est en effet au fondement du progrès de la science, au fondement du progrès social et au fondement de la lutte contre la tyrannie politique. La censure et la répression de la parole ne sont une solution que quand la parole constitue un délit. Il y a effectivement des contenus à supprimer parce qu’ils sont délictueux, et des auteurs à poursuivre en vertu du droit existant. Mais douter des politiques menées ou des consensus scientifiques n’est pas un délit et ne devrait pas en devenir un : il serait fatal pour la liberté d’expression d’ajouter « l’information qui ne fait pas autorité » à la liste des délits en matière de liberté d’expression.

Pour conclure : le secrétaire général de l’ONU a déclaré il y a quelques jours que certains pays (sans citer de noms) utilisaient la crise du COVID-19 comme prétexte pour réprimer les voix dissonantes, y compris scientifiques, et faire taire les médias indépendants : c’est clairement la voie dans laquelle s’est engagée l’UE, et notre pays à sa suite. Les restrictions au droit de se réunir et au droit de manifester vont dans le même sens. Comment faut-il appeler un régime qui interdit la contestation ? Un régime totalitaire en devenir : je renvoie sur ce point les lecteurs à l’excellente interview de Mattias Desmet republiée sur Kairos en février 2021[note][note].

*Ce texte est la retranscription d’une interview faite dans le cadre du cycle « Déconfinons la pensée ».

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Lettre du Grappe adressée aux eurodéputés concernant le passeport vaccinal

Madame la députée, Monsieur le député, 

Le 28 avril prochain, vous serez appelé (e) à voter en urgence sur le projet de règlement instaurant un certificat vert numérique pour les citoyens européens (COM (2021) 130).

Ce projet n’a pas pour objectif, contrairement à ce qu’il prétend, de faciliter la libre circulation des citoyens dans l’espace européen. Sous prétexte d’harmonisation, il légitime le droit pour chaque État membre d’organiser la ségrégation entre ceux qui acceptent de se soumettre à des contrôles ditssanitaires, arbitraires et inefficaces et ceux qui, même en parfaite santé, et en toute légalité, ne l’acceptent pas.

Nous vous demandons de prendre conscience de l’importance sans précédent du vote qui vous est demandé et de refuser ce projet.A ceux qui croient, certainement de bonne foi, qu’il est possible de l’amender, de le rendre acceptable par l’une ou l’autre amélioration, nous disons qu’ils tombent dans un piège pernicieux.

Car ce règlement met en place une nouvelle société, totalement incompatible avec les valeurs inscrites dans les traités européens et la charte des droits fondamentaux, une société de surveillance, de contrôle social et de discrimination. Ce projet est pernicieux car il joue sur la peur d’une pandémie qu’il est parfaitement possible de juguler par une campagne de prévention visant à renforcer le système immunitaire de chacun et l’apport de moyens thérapeutiques reconnus comme efficaces lors des premiers signes de la maladie. On peut citer à cet égard, l’hydroxychloroquine et l’ivermectine, médicaments connus delongue date, aux effets secondaires mineurs voire négligeables.

Ces médicaments n’ont qu’un défaut : celui de ne plus être protégés par un brevet et donc de ne plus présenter aucun intérêt financier pour des firmes pharmaceutiques motivées avant tout par l’appât du gain. La Commission européenne (avec les experts qui la conseillent), idéologiquement acquise à une vision techno-scientiste du bien commun, a conçu un outil législatif à leur service qui nous enferme tous dans un monde dominé par les multinationales et nous assigne au rôle de consommateurs décérébrés au service de la croissance.

A l’appui de notre réquisitoire contre ce projet de passeport vaccinal déguisé, nous attirons aussi votre attention sur la non-pertinence des critères abusivement présentés comme scientifiquement garants de la santé et de la non contagiosité du détenteur du certificat.

Sur les vaccins anti-covid. L’actualité récente a rappelé un fait habilement passé sous silence pour accélérer le processus de vaccination massive de la population ; il s’agit de vaccins expérimentaux bénéficiant (à tort) d’une autorisation provisoire de mise sur le marché, puisque les essais cliniques de phase 3 sont toujours en cours.Les graves effets secondaires apparus pour deux des quatre vaccins l’ayant obtenu (les vaccins d’Astra Zeneca et de Johnson &Johnson) ont montré que l’AEM avait sous-estimé les risques.Une déclaration signée par un groupe important de médecins et de scientifiques de haut niveau*[note] conteste les affirmations de l’Agence européenne des médicaments laquelle a rejeté les préoccupations du groupe exprimées dans une lettre ouverte envoyée le 1 er mars dernier[note].L’AEM considère en effet les problèmes de coagulation et de saignements comme des évènements mineurs et rares, concluant que le rapport bénéfices/risques de ces vaccins est bien établi. Selon ce Groupe « Doctors for Covid Ethics », les cas enregistrés de thrombose veineuse cérébrale potentiellement mortelle (CSVT) après la vaccination ne représentent probablement que la pointe d’un énorme iceberg. Ceci rend la vaccination et le coronavirus dangereux pour les groupes d’âge jeunes et en bonne santé, pour lesquels, en l’absence de vaccination, le Covid-19 ne présente aucun risque substantiel.Même si on est sceptique face à cette déclaration interpellante, il nous parait évident qu’il faut la prendre au sérieux et analyser la situation sans préjugé plutôt que foncer tête baissée dans une vaccination généralisée et encore moins faire de celle-ci le sésame pour une liberté retrouvée.On ne peut ignorer non plus la problématique bien documentée de l’apparition inévitable de variants plus contagieux voire plus agressifs comme le variant P1 (dit brésilien) face auxquels les vaccins actuels semblent déjà inopérants. Enfin, il est essentiel de rappeler que la vaccination, si elle protège dans un premier temps la personne vaccinée, ne l’empêche pas de propager le virus. A moins d’être aveugles à une réalité d’ores et déjà bien visible, nous risquons de nous voir emprisonnés dans une logique de consommation de vaccins aussi dangereuse qu’inutile, pour le plus grand profit de multinationales de la pharmacie et la satisfaction des fétichistes de la croissanceéconomique.Sur les tests PCR. Certes, en principe, la vaccination n’est pas requise, à condition de se soumettre régulièrement à des tests PCR supposés garantir, en cas de résultat négatif, la non contagiosité de la personne testée. Or, si le test PCR peut permettre de diagnostiquer une personne malade dans un bref laps de temps, sa pertinence est plus que discutable pour les personnes asymptomatiques.Le protocole publié pour la détection et le diagnostic du 2019-nCov actuellement en vigueur a été examiné point par point par un groupe de chercheurs indépendants, lesquels ont abouti à la conclusion selon laquelle, le test RT PCR pour la détection du SRAS-COV2 révèle 10 faillesscientifiques majeures au niveau moléculaire et méthodologique. Il en résulte que le test aboutit à de nombreux résultats faussement positifs[note]. Comment, dans ces conditions, utiliser ce test comme critère de non contagiosité ?parmi lesquels l’ancien vice-président et directeur scientifique de la société Pfizer, Michael Yeadon et le Dr Wolfgang Wodarg, ancien président de la commission santé du Conseil de l’Europe.Sur la preuve de rétablissement. La preuve de rétablissement est le troisième élément du certificat, basé sur la mise en évidence d’anticorps. Le certificat pourrait être renouvelé aussi longtemps que la personne concernée peut faire état d’une analyse montrant la présence de ces anticorps. Il est absurde et scientifiquement non valable d’ignorer le fait que de nombreux immunologistes cliniciens de renommée mondiale ont montré que 30% environ des gens sont au départ déjà immunisés sans présenter nécessairement des anticorps spécifiques. En conclusion, il apparait bien qu’il est proposé de mettre en place un vaste système hygiéniste de contrôle social et de mainmise sur les données personnelles de chaque européen, sans la moindre garantie d’efficacité pour la santé publique. Nous vous adjurons en conséquence de refuser un tel projet qui marquerait une régression démocratique et sociale sans précédent.

Pierre Stein, président de l’ASBL Grappe BelgiquePaul Lannoye, Docteur en Sciences, Ancien vice-président de la Commission Santé du parlement européen, et ancien président du Groupe des Verts, membre fondateur du Grappe.

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Le Covid-19 est-il un virus dystopique ?

Novlangue, police de la pensée, transparence absolue, crime par la pensée, réécriture du passé, surveillance (ou « tracing ») généralisée, délations « citoyennes » : autant de termes empruntés au vocabulaire orwellien, qui font étrangement écho à une réalité devenue, hélas,  notre quotidien. La « common decency » chère à l’auteur de 1984 aurait-elle définitivement déserté nos sociétés hypnotisées par une hypothétique sécurité sanitaire « à risque zéro » ? En bref, avec l’émergence et l’enracinement du Covid-19, notre réel est-il devenu dystopique ou, plus précisément, la dystopie est-elle devenue notre nouvelle norme ? Mais peut-être faut-il revenir aux sources de ce terme aujourd’hui galvaudé pour tenter d’y voir plus clair… 

Les utopies sont beaucoup plus réalisables qu’on ne le croyait. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une question nouvelle qui est devenue urgente : comment peut-on éviter la réalisation définitive des utopies ? Les utopies sont réalisables. La vie marche vers les utopies. Ce n’est sans doute pas par hasard qu’Aldous Huxley a placé cette phrase du philosophe russe Nicolas Berdiaev en exergue de son Brave new world (Le meilleur des mondes). Contrairement à ce que l’on croit souvent, la dystopie n’est pas le contraire de l’utopie, ou encore une utopie qui aurait « mal tourné[note] ». Déplaçons le projecteur et imaginons au contraire que la dystopie soit l’utopie enfin réalisée, avec les moyens technologiques, scientifiques et psychologiques (en particulier la psychologie des masses) des XXe et XXIe siècles. 

Poursuivons la réflexion et imaginons que notre objectif soit de créer une société dystopique « parfaite » et « scientifiquement fondée ». Comment s’y prendre ? Une première « bonne idée » ne serait-elle pas de marginaliser et, si possible, de réduire au silence les artistes et plus généralement les acteurs culturels, ces éternels rêveurs, ces ferments de contestation potentielle du système parfait que nous appelons de nos vœux ? La circulation d’un méchant virus et au-delà, Platon lui-même, dans La République, nous tendent la perche. Dans sa description de la Cité idéale, cette utopie « dystopique » avant la lettre, puisque ces deux termes sont moins antinomiques qu’il n’y paraît, le philosophe athénien prônait déjà le bannissement des poètes et de la poésie, ces germes d’irrationalité qui déforment et contaminent l’esprit du public et font les mauvais citoyens, c’est-à-dire ceux qui n’obéissent pas aux Gardiens, membres de la caste supérieure. En effet, dans la classification platonicienne, la démocratie est le pire des régimes à l’exception, non de tous les autres, comme disait Churchill, mais uniquement de la tyrannie. Pourquoi ? Parce que, selon Platon, en démocratie, toute l’énergie n’est plus tendue vers le Bien public (tel que défini par la caste supérieure) et les citoyens s’adonnent à des activités et à des plaisirs non nécessaires ou, pour mieux dire, non essentiels[note]. 

LA SCIENCE ET LA TECHNOLOGIE ÉRIGÉES EN ABSOLUS INDÉPASSABLES 

S’il est une figure qui restera marquante dans cette crise du Covid-19, c’est sans conteste celle de l’expert, en particulier des virologues, aux avis desquels les politiques ont globalement choisi de se plier. Certes, on peut comprendre que face à une épidémie que personne n’avait anticipée (sauf peut-être certains auteurs de dystopies, voire infra), la sphère politique et plus encore les médias se tournent vers ceux qui sont censés détenir le savoir scientifique. Mais certains semblent avoir oublié que, loin d’être une idée platonicienne hypostasiée, la science est avant tout le produit d’une activité humaine, susceptible de procéder par essais et erreurs, et qui n’exclut donc pas d’emblée tout débat[note]. Toute l’histoire de la science montre que celle-ci est un processus évolutif, qui n’est jamais figé une fois pour toutes. 

Dans son roman Nous, Evgueni Zamiatine (1920), un révolutionnaire russe de la première heure déçu par les dérives totalitaires du régime bolchevique, décrit une société dystopique qui se veut hyper-rationnelle et sanitaire et où science et technologie sont quasiment érigées en nouvelles religions. Cette fiction, qui a fort influencé Orwell dans la rédaction de son 1984, nous présente D‑503, un ingénieur (comme l’auteur lui-même) de l’État Unitaire, sorte d’État Léviathan mondialisé instauré à la suite d’une guerre de 200 ans entre villes et campagnes. Sous la houlette censément bienveillante d’un mystérieux Bienfaiteur, les habitants, qui portent tous un numéro en lieu et place de nom, vivent une vie parfaitement monotone, dormant, mangeant, travaillant aux mêmes heures. Toutes les activités, y compris sexuelles, sont strictement régulées. Le protagoniste tient un journal qui se veut objectif, rationnel, scientifique et transparent, à l’image des principaux mots d’ordre de la société décrite par Zamiatine : « N’était-il pas absurde que l’État… laisse sans le moindre contrôle la vie sexuelle ? Avec qui, quand et autant qu’on voulait… Absolument ascientifique, carrément bestial. (…) La Science de l’État Unitaire affirme que la vie des anciens était bien celle-là, et la Science de l’État Unitaire ne se trompe jamais. Et quelle logique gouvernementale pouvait-il y avoir quand les gens vivaient dans l’état de liberté, c’est-à-dire celui des bêtes, des singes, du bétail ? [note] ». 

« La liberté, c’est l’esclavage » était l’un des slogans du monde de Big Brother. Avec la distanciation sociale, les gestes barrières, les horaires de couvre-feu, les systèmes de tracking à télécharger sur nos portables, entroquant nos libertés au profit d’une très hypothétique sécurité sanitaire, n’est-ce pas exactement la voie que l’on emprunte ? On critique, à juste titre, le système du crédit social chinois, où les bons élèves du régime se voient récompensés tandis que les mauvais subissent brimades et restrictions diverses. Mais n’est-on pas en train d’aller précisément dans la même direction en instaurant le déjà fameux passeport vaccinal, récompensant les citoyens dociles et obéissants qui pourront voyager, aller au restaurant ou pratiquer telle activité sportive ou culturelle, et punissant les rebelles et les réfractaires, exclus de ces possibilités et assignés de fait à résidence ? 

QUAND BIG DATA RENCONTRE BIG PHARMA… 

De plus en plus, les banques de données sanitaires deviennent un enjeu commercial. Dans ses contrats avec certains États (notamment Israël et le Royaume-Uni), Pfizer aurait négocié la rétrocession par ces derniers des données médicales des citoyens contre une livraison accélérée du vaccin. En Belgique, le projet de croisement des données sanitaires, fiscales et sociales « putting data at the center » a également fait grand bruit. Les enjeux économiques et démocratiques de tels croisements sont énormes. Quand Big Data rencontre Big Pharma, Big Brother n’est pas loin. 

Après Orwell et dans son sillage, c’est un autre auteur anglais, John Brunner, qui nous en avertissait dès 1972 dans le sombrement prophétique Troupeau aveugle. D’entrée de jeu, par collage journalistique et zapping, Brunner nous donne une idée assez précise de la société dystopique qu’il soumet à notre réflexion. Dès le premier chapitre, sous l’intertitre « Signe des temps », on découvre des injonctions menaçantes mêlées à des encarts publicitaires : « Lavez-vous les mains ICI (Amende pour refus d’obtempérer : 50 dollars) », ou encore : « Distributeur de masques filtrants : A utiliser une seule fois – maximum : 1 heure). » 

Dans ce roman prémonitoire, la pollution s’est accélérée et le climat planétaire s’est transformé suite à une augmentation incontrôlée d’émissions de CO2, et à un usage massif de produits chimiques, notamment dans l’agriculture. La méditerranée est tellement polluée que les baignades y sont interdites et que tous les poissons sont morts. En Europe règnent famines, sécheresses et épidémies à répétition. Un peu partout, le port permanent d’un masque est devenu obligatoire et l’oxygène pur est vendu au prix de 25 cents le litre. Aux États-Unis, la situation n’est guère meilleure : New-York subit des pluies acides, une agriculture industrielle et intensive, avec emploi massif de pesticides et insecticides, a entraîné une chute drastique de la biodiversité. Les antibiotiques, massivement présents dans la chaîne alimentaire, sont moins efficaces et des bactéries opportunistes font leur apparition. Pas mal vu, pour ce roman écrit en 1972 ! 

Dans cette société malade (dans tous les sens du terme), de petites communautés autonomes, emmenées par un certain Austin Train, tentent de survivre et de résister aux grands conglomérats qui profitent de la situation… À la suite de la disparition de ce dernier, une journaliste sensibilisée aux thématiques écologistes entame une enquête qui la mettra sur la piste d’un grand groupe agro-pharmaceutique, responsable d’un énorme scandale d’empoisonnement en Afrique. Toute ressemblance… 

LA SANTÉ MENTALE SACRIFIÉE 

Dans ce contexte mortifère, et à l’instar de ce qui se passe dans notre réalité, Brunner développe un tableau saisissant des pathologies mentales et psychiques affectant cette société déréglée. Quasiment tout le monde « carbure » aux anxiolytiques et un personnage meurt même d’avoir mangé par inadvertance du chocolat en suivant un traitement antidépresseur. Une touche d’humour dans cet univers désespérant… 

Explosion du mal-être psychique, tendances suicidaires en augmentation, désarroi d’une jeunesse entière, sacrifiée voire fracassée sur l’autel d’une obsession sanitaire qui semble chasser toute autre considération. En décembre 2020, Sciensano publiait des chiffres assez alarmants, montrant une nette détérioration de la santé mentale des Belges. Parmi les 18 et plus, 64% se déclarent insatisfaits de leurs contacts sociaux. En juin 2020, 22% de la population faisait état de troubles de l’anxiété et de troubles dépressifs, chiffres baissant à 16% durant l’été (période correspondant au déconfinement) pour remonter à nouveau à 22% en décembre 2020. Plus de 70% des personnes interrogées se plaignent de troubles du sommeil. Les groupes les plus impactés par ces phénomènes sont les 18–24 ans, les isolés avec ou sans enfants et les allocataires sociaux et personnes précarisées[note]. 

Si ces tendances se poursuivent, peut-être en arrivera-t-on un jour à un type de société comparable à celui imaginé par le célèbre écrivain de science-fiction Philip K. Dick dans Les Clans de la Lune Alphane. Dans ce roman de 1964, l’auteur de Blade Runner imagine, sous la forme d’une lune indépendante de la Terre, une société autarcique peuplée et dirigée par des gens souffrant de troubles mentaux divers. « Selon ma théorie, déclare l’un des protagonistes, les différentes sous-catégories de désordre mental doivent être réparties ici en classes bien distinctes, un peu comme le système des castes de l’Inde ancienne. (…) Les maniaques doivent former la caste des guerriers sans peur. (…) Les paranoïaques doivent constituer la classe dirigeante. (…) Les simples schizophrènes correspondraient à la catégorie des poètes, bien que certains d’entre eux soient sans doute des visionnaires religieux. Les névrosés de type obsession-compulsion doivent être les clercs et les employés de bureau de cette société, les fonctionnaires sans idée originale[note] ». 

La leçon que l’on peut tirer du roman est que cette société « folle » ne fonctionne finalement pas plus mal, et peut-être même un peu mieux, que la société prétendument saine d’esprit qui règne sur terre. L’intention satirique de Dick, qui se situe ici du côté de Voltaire et de Swift, est patente et il paraît évident qu’il tend un miroir (à peine) déformant à l’Amérique des années 1960. 

Sur un mode nettement moins ironique, l’augmentation bien réelle des troubles mentaux et de la consommation d’antidépresseurs nous mène plutôt du côté du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, où le Soma, une drogue synthétique en libre usage, offre une illusoire et provisoire évasion aux habitants conditionnés de l’État mondialisé… 

DES MÉDIAS MAINSTREAM EN ÉTAT D’ANOSMIE CRITIQUE 

Le but du journalisme mainstream semble ne plus être de (se) poser des questions, de s’interroger sur une réalité complexe, d’exercer son sens critique, mais au contraire d’induire chez l’interlocuteur des réponses, de préférence pré-formatées, obéissant à une logique binaire et répondant au « narratif » dominant. Au premier rang de ce journalisme new look, l’arsenal des formules toutes faites, des clichés à toute épreuve que, curieusement, personne ou presque ne songe à remettre en question. C’est, par exemple, la désormais fameuse antienne « La crise sanitaire la plus grave que le monde ait connue depuis un siècle ». On oublie au passage la grippe asiatique de 1957 et la grippe de Hong-kong de 1968–1969 qui, au total, ont fait plus de 3 millions de victimes au niveau mondial. 

Comment expliquer cette étrange amnésie collective ? Dans 1984, George Orwell faisait dire à O’Brien, le tortionnaire en chef de l’Océania : « Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé ». Le contraste entre les réactions gouvernementales et médiatiques de l’époque et celles d’aujourd’hui est saisissant. Ainsi, en 1957, alors que la grippe asiatique frappe sévèrement toute l’Europe, le gouvernement français de l’époque déclarait : « La maladie se caractérise par un nombre élevé de cas mais aussi par sa relative bénignité et son faible taux de mortalité. L’épidémie ne justifie pas d’inquiétude particulière[note]. » 

Quant à la grippe de Hong-kong de 1968–1969, qui a fait plus de 31.000 morts en deux mois, rien qu’en France, voici ce qu’en disait à l’époque Le Monde (11 novembre 1968) : « Cette grippe paraît bénigne. Il ne semble pas qu’elle doive prendre un quelconque caractère de gravité[note] ». 

Alors qu’aujourd’hui, le Covid-19 oblitère des pans entiers de l’actualité, qui semblent tout simplement ne plus exister, la presse de l’époque consacrait largement ses colonnes aux conflits sociaux post-mai 68, à la guerre du Vietnam ou encore à la future mission Apollo vers la lune. 

Sur un plan sociologique plus profond, peut-être faut-il aussi voir dans cette évolution du traitement médiatique un changement d’attitude par rapport à la mort. Autrefois, celle-ci faisait partie intégrante de la vie. On mourait à son domicile, entouré des siens et des rites accompagnant le deuil maintenaient un lien. Aujourd’hui, on est davantage dans une optique « dystopique », où la mort est devenue quelque chose d’obscène qu’il faut à tout prix évacuer dans des centres fermés et anonymisés, le deuil luimême étant devenu impossible, un peu à l’image de ce qui se passe dans le film Soleil Vert de Richard Fleischer, autre dystopie étonnamment actuelle. Une évolution que souligne bien l’historien Philippe Ariès : « La mort était autrefois une figure familière, et les moralistes devaient la rendre hideuse pour faire peur. Aujourd’hui, il suffit de seulement la nommer pour provoquer une tension émotive incompatible avec la régularité de la vie quotidienne[note]. » 

Alain Gailliard 

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Pour aller au-delà du complotisme

Il faut mesurer toute la puissance conformiste d’un matraquage quotidien, qui, telles des salves d’artillerie cognitive, frapperaient le corps social de sa réalité univoque et indiscutable, depuis plus d’une année. On mesure la puissance décuplée de cette charge mentale aux mesures matérielles qui l’accompagnent : confinement, couvre-feu, masque obligatoire, même à l’extérieur, même pour les enfants, justification de ses sorties dans un périmètre défini par l’État. On n’avait jamais vu cela. 

La soumission des êtres, atomisés à l’injonction mimétique de faire tous pareil[note], se couple à l’obligation de penser collectivement de façon identique : l’éloignement des autres est bénéfique, comme le confinement ; le virus est extrêmement dangereux et tue massivement ; la seule solution est vaccinale. L’action découle de la pensée, la pensée découle de l’action, et il ne demeure qu’une voie officielle à suivre. 

Jamais période n’a toutefois été plus propice à révéler le confinement psychique des élites, mais surtout de leurs sbires, fraction dominée de la classe dominante, que sont les journalistes. Ils ont été eux-mêmes comme ils n’avaient jamais pu l’être, désinhibés par une panique dont ils étaient les principaux artisans : serviteurs décomplexés des gouvernements, ils se sont fait les porte-voix des officines vaccinales qui avec le temps passant voyaient leurs actions grimper, tout en vilipendant les hérétiques[note], criminels en puissance[note] qui s’ils n’obéissaient pas devraient apprendre l’emprisonnement à domicile. Dans l’urgence se révélait leur vrai moi. 

C’est que pendant la « guerre », ceux qui ne supportent pas l’« effort commun » sont des déserteurs ou des collabos. Plus besoin de réfléchir quand l’ennemi est d’emblée désigné et qu’il faut lutter contre lui : rien que penser serait déjà prendre le risque d’être vaincu. L’autoritarisme a alors toute latitude pour se déployer, totalitarisme incubant chez de nombreux « petits soldats » depuis longtemps, ces citoyens qui se feront, sans nécessité d’être assermentés, les relais du pouvoir central. Ce que nous vivons ici et maintenant n’a donc rien d’inédit, sauf à constater que la maîtrise des corps et des esprits avait atteint la cime de la perfection, puisque l’obéissance ne demandait plus d’hommes armés. La télé suffisait. 

Le totalitarisme moderne – innommable puisqu’il aurait disparu depuis le troisième Reich, ce qui est un mensonge entretenu depuis la fin de la Deuxième Guerre (cf. Zygmunt Bauman, Modernité et holocauste), – a atteint la perfection, puisqu’il se déploie sans qu’on le sache, entouré de l’étiquette démocratique. Le sujet qui s’oppose ne peut conserver aucune forme d’autonomie, d’où ce perpétuel « que faire » chez les sujets qui veulent agir. « Dans les États totalitaires modernes, disait Bruno Bettelheim, survivant des camps de concentration, les mass media procurent des occasions presque illimitées d’influencer les pensées de tous. Et la technologie moderne permet de surveiller les activités les plus secrètes. Tout cela, et bien d’autres choses encore, donne à la dictature moderne la possibilité d’affirmer que ses sujets sont libres de penser ce qu’ils veulent (…) tout en les contraignant à adopter les convictions souhaitées par le système. Ainsi, alors que dans les dictatures du passé, un opposant pouvait survivre à l’intérieur du système tout en gardant une indépendance de pensée considérable et, en même temps, le respect de lui-même, dans l’État moderne totalitaire, il n’est pas possible de conserver ce respect de soi ni de s’opposer intérieurement au système. De nos jours, tout non-conformiste a le choix entre deux attitudes : ou bien il se pose en ennemi du gouvernement et s’expose à être persécuté, sinon, bien souvent, éliminé ; ou bien il feint de croire en quelque chose qu’il réprouve profondément et méprise en secret ».[note] 

D’où la scission mentale chez la plupart des sujets et la double pensée qui en résulte (cf. Orwell), désormais mode d’organisation politico-psychique « indispensable »[note] de cette société qui assure sa continuité. Le cas exemplaire est celui de l’obligation « non-obligatoire » du vaccin contre le covid-19. D’un côté : « vous faites ce que vous voulez et pouvez choisir de vous faire vacciner ou non », de l’autre : « lorsque davantage de personnes seront vaccinées et que le virus circulera, les mesures pourront être assouplies » ; « il n’y a pas d’obligation vaccinale » mais « il y aura un retour à la vie « normale » uniquement quand 70 % des gens seront vaccinés[note] » « ceux qui ne se vaccinent pas deviendront des parias » (QR code pour entrer dans un commerce, passeport vaccinal…) ; « le vaccin n’est pas dangereux » mais « les assurances ne vous couvriront pas en cas d’effets secondaires, et les entreprises pharmaceutiques sont d’emblée exemptées de toutes poursuites en cas d’effets secondaires » ; « le vaccin vous permettra de revenir à une vie normale » mais « vous devrez continuer à faire comme ceux qui ne sont pas vaccinés » (confinement, masque, couvre-feu, distanciation « sociale »…). 

Tout est à l’avenant dans cette « crise covid », qui signe l’apothéose d’une société malade dans laquelle le sujet n’a plus aucune autonomie sur les choix de société : les politiques vantent la transparence mais ils censurent toutes voix dissidentes ; les politiques se soucient de la santé de tous mais ils sont à l’origine de scandales sanitaires et ne font rien pour enrayer tout ce qui tue, tant que ça rapporte… 

Cette absence de coercition visible et palpable, qui rend la révolte sans « objet », cette transfiguration du mal en bien par le pouvoir central (l’État « bienveillant »), occulte le totalitarisme en marche, que certains risquent alors de découvrir, trop tard. Les éléments principaux sont pourtant là : 

- Tout le corps social est sommé d’obéir, soumis à une seule et même injonction de « sauver les autres » ; 

- Sous les ordres disparaît la frontière entre le public et le privé, soumettant nos corps aux diktats d’une société aseptisée, qui, « paradoxalement », se dit sauveuse mais tue massivement (famine, misère, malbouffe, pesticides, maladies modernes, travail…) ; 

- Les « faits » sur lesquels reposent les ordres ne peuvent être remis en question, les ordres non plus, donc ; 

- Les « faits » et informations relevant désormais du domaine de la parole divine, le danger qu’ils mettent en évidence doit donner lieu à des comportements désignés comme indispensables pour éradiquer le virus. Dés lors, les désobéissants mettent la vie de tous en danger et en deviennent des criminels. La société est divisée comme jamais, des groupes de « pour » et « contre » structurent le social, composé de gens « responsables » et « d’irresponsables » ; 

- Toute parole sortant de la ligne officielle est considérée comme hérétique, censurée et punie. On la désigne désormais sous le terme de complotiste. 

L’ÉNERGIE PASSIVE DES JOURNALISTES INSTALLÉS 

Poser la question de l’agent causal de l’ordre établi (le politique ou les médias) semble vain. L’influence est exercée et « subie » chez chacun, les deux formant un système où l’existence de l’un est assurée par celle de l’autre. Sans politiques favorisant des médias qui les favorisent, pas de médias donnant ses faveurs aux politiques. Si les éditos des quotidiens belges – et français, etc. – ressemblent ainsi plus à des communiqués des gouvernements – ou des fédérations patronales, c’est la même chose –, il faut le comprendre de cette façon. 

Je suis donc persuadé que des médias libres, donnant des clés de compréhension du monde aux êtres qui l’habitent, auraient un impact positif, sain et rapide, sur la gestion de la cité (le politique donc). En ne monopolisant plus la représentation du monde au profit de la continuité du statu quo, les citoyens sortiraient de l’illusion de l’absence d’alternative ; se briseraient ainsi la matrice de ce faux consensus et l’obligation tacite de faire semblant comme les autres. The Truman show est à ce titre une allégorie moderne, sauf que le film est incomplet pour expliquer ce que nous vivons. Dans le documentaire, Truman Burbank est dupé par tous les autres, des acteurs payés pour jouer le jeu ; dans notre société, tout le monde fait semblant d’adhérer, volontairement ou involontairement, consciemment ou inconsciemment[note]. 

Les moyens que se donnent les journalistes patentés et les résultats atteints (« l’audimat ») ne ne résultent pas de leurs actions – l’énergie qu’ils mettraient en œuvre pour chercher la vérité –, mais d’un passif – les réseaux dont ils disposent pour diffuser leurs idées prêtes-à-penser –, qui les dispensent de faire le moindre effort : ils vont vers où ils savent qu’il faut aller. À l’instar de ces rats de laboratoire que les chercheurs à la solde des industries choisissent sur catalogue, assurés qu’ils ne seront pas sensibles aux matières toxiques qu’ils testeront sur eux et que contiennent les produits qu’ils mettent sur le marché[note], nombreux journalistes, comme Philippe Laloux[note], choisissent aussi ceux qui lui confirmeront ce qu’il a envie d’entendre, tel Rudy Reichstadt, « l’expert en complot ». Cela nous rappelle lorsque, au plus haut des bombardements occidentaux en Syrie, une officine composée d’un homme basé à Londres, auto-proclamée Observatoire syrien des droits de l’homme, se chargeait d’alimenter toutes les presses « libres » de La Vérité. 

UN ENTRE-SOI DÉLÉTÈRE 

L’habitus de classe et les réflexes pour se maintenir en place suffisent à eux seuls pour ne leur faire tolérer aucun écart, l’idée même d’une possible sédition n’arrive pas à l’esprit de ces « nouveaux chiens de garde ». La sélectivité dont ils font preuve dans le choix des gens qui les entourent et des informations sur le monde les met à l’abri des contradictions. Alors que je débattais dans une commune de Bruxelles avec la directrice de rédaction du Soir, Béatrice Delvaux, je réalisai que la critique française des médias (Acrimed, Le Monde Diplomatique, Alain Accardo, Serge Halimi, Gilles Balbastre…), bien plus développée dans l’Hexagone qu’en notre plat pays, lui était tout à fait étrangère. De même, quand on soumet à l’ancienne Première ministre, en conférence de presse, les conflits d’intérêts de ses collègues – dont elle avait évidemment connaissance et que l’on devrait nommer corruption –, elle ne peut que se défendre avec ce qui est l’exacte antinomie de la réalité: une illusoire séparation entre intérêts privés et publics. Car si le public est colonisé par le privé, c’est en toute logique parce que ce dernier a besoin d’infiltrer le premier pour assurer ses retours sur capitaux : pas de profits maximaux garantis sans des lois, des infrastructures, une police, des institutions; soit l’ ́État. Il n’y donc aucune frontière étanche entre le monde privé de celui qui travaille, par exemple, chez GSK et son milieu professionnel, qu’il soit ministre des masques ou scientifique d’un groupe d’experts. Ce sujet schizoïde qui oublie qu’il est ou a été partie prenante d’un fond privé d’investissement lié à la santé, une fois qu’il endosse son costume de ministre, est digne d’une fable. Exit Alice au pays des merveilles, ces doubles casquettes sont là pour assurer les profits de l’industrie. 

NE PAS PERDRE SON TEMPS : FUIR LES MÉDIAS DE MASSE ET LES SERVITEURS DE L’ORDRE ÉTABLI 

Dès lors que l’on tente de penser les possibilités de changement des « gens des médias », on sort du domaine sociologique pour entrer dans celui de la psychologie. Comme le disaient Chomsky et Herman, « L’emprise des élites sur les médias et la marginalisation des dissidents découlent si naturellement du fonctionnement même de ces filtres[note] que les gens de médias, qui travaillent bien souvent avec intégrité et bonne foi, peuvent se convaincre qu’ils choisissent et interprètent “objectivement” les informations sur la base de valeurs strictement professionnelles. Ils sont effectivement souvent objectifs, mais dans les limites que leur impose le fonctionnement de ces filtres ».[note] Gentils, ils essaient de l’être, sincères ils le sont certainement, mais à trop les comprendre on risquerait un rapprochement qui troquerait la pensée pour l’empathie, ce qui nous perdrait. 

TOUS NE NAISSENT PAS COMPLICES, ILS LE DEVIENNENT 

Imaginez que vous entriez dans une rédaction, jeune journaliste pétri de valeurs de liberté de la presse et de recherche de la vérité, même si vous sortez d’un enseignement universitaire où vous n’avez pas lu Chomsky, où aucun professeur ne vous parle d’Edward Bernays et de la propagande, où la critique française des médias vous est inconnue. Quels choix s’offrent à vous quand vous réalisez progressivement que vous ne pouvez rien faire sauf vous adapter, vous fondre dans le moule de l’écrit acceptable, sous peine d’être traité de « complotiste » ou « communiste » dès que vous décrivez la réalité telle que vous la percevez ? Trois possibilités : fuir, rester ou se suicider. Dans le premier cas, le fossé entre la conscience et l’action étant si grand, et la volonté de bien faire proéminente, le sujet se sauve pour rester authentique. Le deuxième cas donne lieu à deux types de réactions : dans la première, celui qui reste ne parvient jamais à accepter ce qu’on veut faire de lui et demeure coûte que coûte attaché à ses valeurs de départ : il deviendra dépressif, mis sur une voie de garage, ou sera viré. Dans la seconde, l’ambition et l’envie de parvenir prennent le pas sur les valeurs de départ : il devient un journaliste aux ordres, comme ceux qui tentent de nous/se persuader qu’ils font encore un travail de journalisme et non de la propagande. Enfin, le troisième cas concerne celui qui ne voit d’issue que dans la fin de sa vie, les contradictions étant trop fortes ; ces situations risquent de devenir fréquentes, malheureusement… 

L’obéissance à l’ordre établi s’entend dans les éditos de l’actuelle directrice de rédaction du Soir, pour qui mondialisation et marché sont de l’ordre de la nature. Philippe Laloux, journaliste au Soir, lorsque nous lui rappellerons les prédilections de la directrice de rédaction du même quotidien, déploiera la rhétorique habituelle : « Ce n’est pas parce qu’on a une opinion ou un fantasme où on entretient une certaine théorie du complot… basé sur quoi ? Parce que Béatrice Delvaux a fait son stage au FMI, moi qui suis journaliste au Soir je serais évidemment un suppôt du capitalisme ? Évidemment que je me lèverais le matin en me disant : « Tiens, comment je vais pouvoir servir les intérêts du Bel20 ? », ça n’a pas de sens. On est dans l’idéologie, on est dans la théorie du complot, on est dans le fantasme le plus complet, et l’engagement en journalisme, la première chose qui compte c’est de s’engager à aller chercher de l’info, c’est la seule chose qui compte ». Il ne dira pas ce qu’il cherche. 

Raison pour laquelle, quand nous lui dirons ce que nous avons trouvé, il nous dira que nous ne l’avons pas déterré avec les dents[note], là où d’autres avanceront que ce n’était pas le moment de le dire[note], ou, rengaine du pouvoir, que l’intérêt privé n’exclut pas une abnégation au bénéfice du public. Et quand l’un des leurs ira servir le politique, cela signera la preuve que le journaliste avait déjà commencé son travail de porte-parole du pouvoir avant même d’être engagé par le milieu, sans même que ceux qui restent aux commandes du média s’en offusquent. Au contraire, ils le féliciteront. 

Mais leur « tolérance » n’est que fonction du contexte de menace. Une fois identifiés dans leur fonction de journalistes révérencieux , ils sortiront les crocs, défendant leur sacro-sainte « liberté ». Quand on posera la question des conflits d’intérêts au sein du gouvernement, les chefs de rédaction y verront le crime de lèse-majesté et proposeront qu’on retire à l’impudent (l’auteur de ces lignes) son droit d’appartenir à la « famille des journalistes ». L’anathème est de Dorian de Meeüs, le même qui censurera éhontément des informations qui auraient pu nuire à un membre du conseil d’administration d’IPM[note]. D’autres, quand ils constateront que le peuple commence à penser et prend la prérogative d’informer et de s’informer ailleurs – prérogative dont les médias de masse pensaient être les seuls à pouvoir bénéficier -, feindront d’écouter, de se remettre en question. Mais ne nous leurrons pas. 

Faut-il alors s’étonner que s’ils arrivent à occulter ce qui se passe sous nos fenêtres, il leur soit aisé d’« oublier » de parler de la contestation qui monte ailleurs, de relayer les études sous une autre rubrique que celle des opinions et des cartes blanches, en somme d’arrêter de nous donner la béquée, de créer l’angoisse, de nous atomiser et d’inhiber notre intelligence. 

UNE ONCE D’ESPOIR 

Si la période permet aux journalistes et aux politiciens de jouir plus que jamais de leurs prérogatives habituelles, elle constitue aussi une arme à double tranchant, car cette période inédite peut aussi servir de révélateur pour le plus grand nombre de l’imposture politico-médiatique. Derrière l’impression de diversité des médias et des politiques, se dissimule une seule et même religion, celle du Progrès, où aujourd’hui est nécessairement mieux que hier et moins bien que demain. Ils occultent et censurent donc plus que jamais, grisés par un contexte qui leur donne le sentiment d’être intouchables. Ils vilipendent, bannissent, excommunient. Leurs certitudes d’être impunis, cachés derrière leur chaire rédactionnelle, leur fait oublier que toutes et tous n’adhèrent pas à la « guerre » contre le Covid, et soutiennent les résistants et objecteurs de conscience. Ce qui est occulté devient tellement énorme, que paradoxalement il en devient de plus en plus visible, internet se révélant ici essentiel dans la contre-information. Car désormais, derrière leur chimérique diversité se révèle leur profonde uniformité : ils disent tous la même chose, en même temps, modifient leur position au gré des annonces politiques, qui les fait naviguer dans une seule et unique trajectoire. 

On mesurera la profondeur intellectuelle de leur théorisation complotiste à l’aune de leurs facultés à se défendre par la contre-attaque aux faits pourtant les plus probants. On verra dès lors que le premier complotisme c’est celui des complotistes monomaniaques qui dégainent leur arme de guerre dès que l’on ose dénoncer la profonde inéquité des puissants qu’ils servent et dont ils s’évertuent à défendre le monde. 

Brandir le complot offre une protection provisoire contre la cinglante conscientisation sur la réalité du type de société dans laquelle nous vivons. C’est une arme facile pour ceux qui s’emploient à la « préservation de l’ordre existant » (cf. Alain Accardo). 

N’entrons pas dans leur jeu. 

Alexandre Penasse 

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« Théorie (de la théorie) du complot »

« L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes » Marx & Engels, Manifest der Kommunistischen Partei ( février 1848) 

Peut-on penser le complot ? Les médias mainstream considèrent que l’impensable doit rester impensé. Derrière eux se rangent, cela va sans dire, les bienpensants, toutes tendances confondues. Mais de quoi parle-t-on au juste ? D’une réalité qui appartiendrait au domaine (philosophique) de la raison pure ? Des conditions de possibilité (politiques) de la démocratie ? Ou de la difficulté (psychologique) extrême de comprendre, et de révoquer, les manipulations perverses[note] ? Commençons par planter le décor lexical. 

Historiquement, l’évolution du lexique est plutôt simple. On ne complote en français, semble-t-il, que depuis 1450. Curieusement, on parle de « comploteuse » (1571), avant d’envisager qu’il puisse y avoir des « comploteurs » (1580)[note]. Le Littré (1882) définit le complot comme une « résolution concertée secrètement et pour un but le plus souvent coupable ». Un siècle plus tard, la définition n’a guère évolué : Le Robert (1979), écrit que comploter, c’est « préparer secrètement et à plusieurs ». Le complot consiste donc en une concertation secrète avec volonté de nuire ; on peut le distinguer de la notion de conjuration (qui implique un serment), et de celle de conspiration (qui cherche à renverser le pouvoir en place). Sauf erreur, on ne trouve pas de trace du « complotisme » avant que Popper ne s’intéresse à la question dans La Société ouverte et ses ennemis, dont la première édition, datant de 1945, reste très allusive à ce propos. L’édition de 1950 énonce la « Conspiracy Theory of Society » : « c’est l’opinion selon laquelle l’explication d’un phénomène social consiste en la découverte des hommes ou des groupes qui ont intérêt à ce que ce phénomène se produise (parfois il s’agit d’un intérêt caché qui doit être révélé au préalable) et qui ont planifié et conspiré pour qu’il se produise[note] ». Il conclut : les sciences sociales nous enseignent qu’il ne s’agit là que de la sécularisation d’une superstition. Popper ne nie toutefois pas qu’il puisse y avoir des conspirations, mais il insiste alors sur leur habituelle inefficacité… On suppose qu’il n’a jamais lu Machiavel (1532). Qui est celui qui dénonce Platon et la conspiration des oligarques spartiates avant de condamner la conspiration communiste, monolithique et impitoyable ? Popper est un très vieil ami (et collègue à la London School of Economics[note]) de Fr. Hayek, et le mentor de G. Soros, qui sont tous deux connus pour leur réseautage de la société afin, comme l’écrira M. Friedman (1982) avant N. Klein (2007), d’instrumentaliser les crises, réelles ou imaginaires, naturelles ou machinées, et de pratiquer le Blitzkrieg néolibéral. Hayek publie The Road to Serfdom en 1944, et crée la Société du Mont-Pèlerin en 1947, l’ancêtre d’associations de bienfaiteurs comme le Groupe (de) Bilderberg (1954), le World Economic Forum de Davos (1971), la Trilateral Commission (1973), la European Round Table of Industrialists (1983), Le Cercle de Lorraine (1998) ou l’Institut Berggruen (2010). Soros, quant à lui, est le fondateur de The Open Society Foundations (1979), et l’adepte le plus turbulent de la société liquide (et donc de la liquidation de l’État). À la même époque, Arendt (1951) reprend également la question, mais cette fois-ci pour souligner l’efficacité du récit conspirationniste dans un cadre totalitaire : la théorie du complot (juif) mondial est un outil typique du totalitarisme, et plus particulièrement de la propagande nazie[note]. Selon Arendt, le dispositif nazi était plus logique que le dispositif soviétique, mais c’est ce dernier qui illustre le mieux le thème de l’illusoire (plutôt qu’illogique) conspiration, car il a été mobilisé sous différentes variantes (le complot trotskyste, les 300 familles, les impérialismes…)[note]. Il s’agit de verrouiller une vision du monde qui rassure et mobilise les foules, crédules par définition. Deux outils pour ce faire : l’imagination sans borne des dirigeants totalitaires et la tyrannie de la logique, c’est-à-dire la soumission de l’esprit à la logique comme processus sans fin. Malheureusement, Arendt a cruellement manqué de discernement lorsqu’il s’agissait de discriminer les totalitarismes nazi et soviétique. Il faut malheureusement reconnaître qu’elle a été instrumentalisée par son pays d’adoption, les USA, dans le cadre de la Guerre froide (elle est naturalisée citoyenne des États-Unis en 1951) et, plus particulièrement, lorsqu’elle accepte de voir ses recherches soutenues par la Rockefeller Foundation (par exemple en étant pensionnaire au Bellagio Center). On retrouvera ce cadre rhétorique général dans le célèbre discours de Kennedy dénonçant un complot monolithique et impitoyable (1961) : il ne parlait pas, comme certains voudraient nous le faire croire, de la conspiration du silence d’un « État profond », ou même du lobbying du Complexe militaro-industriel, mais bien de l’impérialisme communiste[note]. Il ne saurait y avoir de vrais complots en démocratie. La question du complot appartient-elle au domaine (philosophique) de la raison pure ? Oui, si on la considère comme un fait existentiellement déterminant. Non, si elle est cataloguée avec les récits pré-Modernes, toujours plus ou moins superstitieux, paranoïaques et sectaires. En cherchant à dépasser les incohérences et les absurdités des récits officiels, le penseur libre — qui s’avère être trop rarement un libre penseur — ne fait jamais que s’évertuer à donner du sens à sa vie et à celle de ses proches. Comment donne-t-on du sens ? La philosophie occidentale oscille entre déduction (à partir de prémisses sûres) et induction (à partir de faits tangibles). La méthode hypothético-déductive, qui tient des deux options, est à la base de la démarche expérimentale depuis Roger Bacon (1266) : on formule une hypothèse, possiblement par généralisation imaginative (l’« imaginative generalization » de Whitehead), afin d’en déduire des conséquences observables futures (prédiction), mais également passées (rétroduction) ; la modélisation est alors validée ou réfutée. Dans l’affaire qui nous occupe, l’hypothèse qui est la plus solide est celle de la lutte des classes. On peut en particulier l’assortir de l’évidente confiscation du pouvoir politique par le monde de l’entreprise. Dans le monde « cyberpunk » voulu par la logique néolibérale identifiée déjà par Ph. K. Dick et par St. Hymer, l’évolution politique va dans le sens de la privatisation de l’exercice du pouvoir[note]. Dans ce monde totalitaire où la sphère publique a été vidée de son contenu et où la sphère privée a été envahie par la technoscience, le pouvoir des oligarques de disposer de la dissociété est maximal. Quelles sont les conditions de possibilité (politique) de la démocratie ? Les Grecs répondraient que les lois doivent être les mêmes pour tous (« isonomia ») et que la parole doit être également partagée entre tous (« isègoria »). Lorsqu’il y a concertation secrète, la loi s’efface et la parole est ségrégée. Si le comploteur complote, que fait le complotiste, sinon dénoncer la possibilité, voire la probabilité, d’un complot ? En quoi — et pour qui — exactement ce travail est-il pernicieux ? Désigner un de ses concitoyens comme un « adepte de la théorie du complot » constitue, au mieux, une censure et, au pire, une menace. La difficulté (psychologique) consiste à comprendre la communication perverse et à révoquer ses commanditaires. Simplifions la nosologie en définissant le pervers comme celui (plus rarement celle) qui se nourrit de la manipulation d’autrui et qui s’abreuve de la souffrance qu’il occasionne. Pourquoi les citoyens acceptent-ils de se faire maltraiter par les « responsables politiques » ? Pourquoi acceptent-il de subir un pouvoir pervers ? La réponse se trouve dans l’analyse de la relation que le prédateur impose à sa proie. Précisons en deux mots les modalités qui ont été identifiées dans le cadre de l’inceste, de la logique concentrationnaire nazie, ou de ce qui a été appelé tardivement (1973) le syndrome de Stockholm. Il existe un lien vital entre le prédateur et sa proie : c’est le prédateur qui nourrit la proie, c’est lui qui lui offre un récit pour comprendre son malheur, et c’est encore lui qui, parfois, fait un geste qui semble bienveillant. La proie refuse donc instinctivement d’ouvrir les yeux sur le mécanisme prédateur. Comme le fait apparaître Ferenczi, l’enfant traumatisé, physiquement et psychiquement plus faible, se trouvant sans défense, n’a d’autre recours que de s’identifier à l’agresseur, de se soumettre à ses attentes ou à ses lubies, voire les prévenir, finalement d’y trouver une certaine satisfaction[note]. Du reste, lorsque la manipulation est évidente, la proie est obligée de faire elle-même le travail d’aliénation, quitte à se réfugier dans les rets de la folie (voir la question du conformisme traitée dans MW, « Rendre le visible invisible », Kairos, 2021). Un certain Taguieff considère que les obsessions anti-américano-sionistes et anti-mondialistes (ou anti-capitalistes) caractérisent l’imaginaire conspiratoire contemporain, qu’il caricature en quatre points : « 1. Rien n’arrive par accident. 2. Tout ce qui arrive est le résultat d’intentions ou de volontés cachées. 3. Rien n’est tel qu’il paraît être. 4. Tout est lié, mais de façon occulte[note] ». Il est piquant de constater que les universitaires cherchant à démonter l’imaginaire conspiratoire en arrivent à soutenir une thèse aussi mièvre que simpliste. Le sens commun nous enseigne en effet plusieurs choses dans ce registre politique. 1. L’événement, ou l’accident, est la clef de la vie, c’est-à-dire qu’une spontanéité trame le monde. 2. Il existe non seulement des intentions publiquement manifestées, mais aussi des volontés inconscientes, et enfin des ententes secrètes. 3. Paraître et être sont des catégories qui s’effacent devant celle de devenir, et celle-ci demande une intimité, une vie privée du regard d’autrui. 4. Utiliser le lexique de l’occulte constitue la négation même de l’idée de politique. 

Quel serait l’impensable de l’ « événement Covid-19 » ? On peut activer le concept de « (théorie du) complot » progressivement. 

Premièrement, il faut épingler la cruelle difficulté qu’éprouve la multitude de se rendre compte de cinq faits. La gestion de la crise est calamiteuse : impréparation, incompétence, opportunisme et corruption (ou « conflits d’intérêts ») sont de bien maigres mots pour dire la réalité hospitalière et la déshérence sociétale. La communication de crise demeure perversement exemplaire : manipulation des citoyens par la culpabilité et la honte, par la peur et l’angoisse, par la (menace de la) violence physique et les sévices psychologiques… Les conséquences totalitaires de la gestion et de la communication de crise sont frappantes : censure, propagande, appel à la délation, couvrefeu, interdiction de manifester… La question judiciaire, c’està-dire celle du cui bono (« à qui profite le crime ?») met sur la sellette le monde de la finance, les sociétés du numérique (les géants du Web — Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et l’industrie pharmaceutique. Enfin, la question médicale devrait être revisitée d’urgence, depuis la fable du pangolin jusqu’à l’utilisation des tests PCR (qui n’ont jamais été destinés à diagnostiquer des « malades » ou même à identifier des « cas »), en passant par l’emprise de l’OMS sur la politique sanitaire mondialisée. Partout on retrouve la patte des promoteurs de la vaccination universelle. 

Deuxièmement, remarquons que la prise de conscience, possiblement furtive, de l’une de ces facettes crisiques n’entraîne pas la mise en évidence des autres facettes. Tout au plus signale-t-elle une prédisposition à questionner les enjeux. 

Troisièmement, on peut atteindre une conscience superposée, ou parallèle, de ces cinq facettes sans chercher pour autant le fil qui les relie. Et de se dire : encore heureux que le monde politique, en général, et les experts qu’ils invitent à objectiver la gestion de la crise, ainsi les journalistes qui font preuve de tant de pédagogie, en particulier, soient complètement étrangers à la manipulation des enjeux sanitaires par les oligarques. On le sait, « les mensonges ont toujours été considérés comme des outils nécessaires et légitimes, non seulement du métier de politicien ou de démagogue, mais aussi de celui d’homme d’État[note]. » 

Quatrièmement, il est rationnel et raisonnable de chercher le grand récit qui donne un sens à ces questions dont l’indépendance est difficile à affirmer, à moins de considérer que tous les acteurs en question (politiques, scientifiques, médiatiques, pharmaceutiques, industriels, financiers…) ne réagissent au stress qu’épidermiquement, à la manière de ces algorithmes boursiers qui cherchent à optimiser un échange de titres dans la milliseconde. On se rappelle alors de la collusion organique — mais pas mécanique — des mondes économique et politique[note], c’est-à-dire qu’il y a convergence stratégique des oligarques, mais multiplicité des intérêts personnels. 

Cinquièmement, certains seront tentés par un récit plus complet, qui, faisant le pari de la collusion mécanique, ne laisse rien dans l’ombre. Ils obtiennent alors une vue panoramique tout à fait comparable à celle que J. F. Kennedy offrait, en tout bien tout honneur, à ses contemporains. Qui a prétendu que le complotisme est un symptôme de la dépossession politique (Frédéric Lordon) ? 

En somme, ceux qui complotent dénoncent comme complotistes ceux qui ne font pas partie du complot, pour la simple et bonne raison qu’ils en constituent la cible. Ils rendent ainsi impossible l’identification du complot et sa compréhension en opérant une dissolution orwellienne du langage. On ne s’étonnera donc pas que ceux qui cherchent le plus petit dénominateur commun aux questions politiques (le tropisme de la gouvernance mondiale), sanitaires (l’orthodoxie sanitaire de l’OMS) et judiciaires (les GAFAM) en viennent à suspecter que B. Gates n’ait pas que de bonnes intentions vaccinales. Et qu’ils soient assimilés à la plèbe superstitieuse (Popper), ou aux masses proto-fascistes (Arendt). 

Michel Weber 

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Ce sera quand même un complot !

Ils sont bien embêtés les gardiens de l’orthodoxie médiatique qui ont largement participé à faire monter l’anxiété collective face à l’épidémie due au coronavirus. Le film de Bernard Crutzen, Ceci n’est pas un complot (en ligne, gratuit, sur https:// www.youtube.com/watch?v=HH_JWgJXxLM), interviewe des personnes modérées des différents bords, ne se lance pas dans des hypothèses risquées, relaie des faits avérés (ce sont en majorité les productions des grands médias belges). Ceux qui se sont sentis mis en cause ont donc été obligés d’aller chercher la petite bête dans ce que seraient les intentions cachées du réalisateur. Intéressons-nous de près aux réactions parfois surprenantes des médias que l’on a osé questionner sur leur traitement de l’épidémie du SARS-CoV-19. 

DÉRANGEANT, PARCE QUE METTANT LE DOIGT OÙ CELA FAIT MAL ? 

Commençons par le degré zéro de l’analyse politique : Caroline Lallemand, journaliste au Vif réagit à chaud (le 8 février) et commence son article par « un documentaire belge à la sauce Hold-up ». Comment oser mettre sur le même pied le pamphlet réalisé par les libertariens qui font feu de tout bois pour critiquer les États (souhaitant les voir affaiblis pour faire avancer leur rêve : toujours plus de pouvoir cédé à un gouvernement mondial piloté par les multinationales) et le film d’un progressiste qui s’interroge sur le pourquoi de la pensée unique que l’on constate dans la plupart des médias ? Le titre d’un second article, le lendemain, ne cache pas le jugement négatif péremptoire : « Un poison réalisé avec talent »[note]. 

Arnaud Ruyssen, journaliste à la RTBF, que l’on a connu mieux inspiré, dit avoir décrypté le documentaire et juge qu’il présente les médias « comme des manipulateurs complices de l’avènement d’un régime autoritaire. Thèse que reprennent en cœur les complotistes qui avancent que le Covid-19 est un moyen pour mettre en place une société du contrôle, liberticide. » Il considère aussi que la vidéo « minimise complètement le cœur du problème de cette épidémie… à savoir le risque de faire exploser notre système hospitalier. » A‑t-il bien vu le même film que nous ? En effet, ces deux affirmations ne correspondent pas à la réalité du film, mais lui permettent de sortir le mot joker : « complotiste ». On peut penser que, d’une certaine manière, le journaliste traduit ce sentiment de grande responsabilité (« Peut-on balayer 20.000 morts d’un revers de la main… en les ramenant au fait qu’ils ne représentent « que » 0,17% de la population belge ? ») : il fallait que les messages délivrés incitent fortement les auditeurs à observer strictement toutes les règles édictées par les pouvoirs publics. Déçu par la réaction « à fleur de peau » du journaliste de la RTBF, Kairos l’invite à un débat avec Bernard Crutzen.[note] Hélas, le commentateur TV refusera, bien que comme beaucoup d’autres, il insistait sur l’intérêt d’avoir des échanges contradictoires et un large débat sur la manière dont les médias ont agi ces derniers mois autour du Covid. Seule la télévision régionale BX1 a organisé un débat avec Bernard Crutzen[note], mais avec un déséquilibre sur la place donnée aux divers intervenants tel que le réalisateur s’est senti piégé, « tel un taureau entrant dans l’arène d’une corrida ». 

Impossible de lister ici toutes les réactions des médias mainstream, mais elles s’orientaient souvent dans le sens « Ce n’est pas un complot, mais… » (Dorian de Meeus, rédac-chef de La Libre, 12 février). L’Avenir titrera lui, que le documentaire « est un film orienté ». De fait, Crutzen ne s’est pas caché d’avoir été choqué par le traitement médiatique de la pandémie, qu’il a ressenti un « matraquage »[note] (mais c’est un sentiment clairement partagé par la majorité de la population), la vraie question étant : « Est-ce justifié ou non ? ». Ce sont les personnes interrogées par Crutzen qui ont utilisé les mots « propagande », « fabrique du consentement », « sacrifier la liberté de pensée ». 

On ne relèvera que pour l’anecdote les commentaires sur la qualité du documentaire, le choix des interlocuteurs et captures d’écran, le recours aux techniques incontournables pour une bonne vidéo, la position du réalisateur (« la posture de Crutzen n’est pas claire, il n’est pas journaliste, il est auteur. Ce qui me dérange profondément c’est que le public confonde la posture d’un auteur à celui d’un journaliste… »). Toutes ces arguties évitent de devoir répondre à la question centrale : « Mais pourquoi cette unanimité dans l’envoi de messages qui a eu pour effet de distiller une très grande anxiété chez la majorité de la population ? » 

UN PRÉCURSEUR 

Avec un peu de recul, on constate que le film, terminé fin décembre 2020, rendu public le 6 février, a été le premier à poser des constats et à lancer, dans un document étayé par faits et témoignages, des questions qui maintenant sont reprises et développées dans beaucoup de médias. Dans l’interview de Bernard Crutzen que Kairos a publiée sur son site[note] au début mars, le réalisateur sent lui aussi un « frémissement » dans plusieurs rédactions. Certes, ce n’est jamais facile de reconnaître en peu de temps que l’on a fait fausse route, mais depuis la mi-février l’on ressent que la très forte unanimité derrière la pensée unique médiatico-gouvernementale se fissure peu à peu. Ainsi, Le Soir a consacré deux pages à l’analyse du film, mais a eu l’habileté de faire parler des personnes extérieures (pour ne pas se dédire ?) : « Ils sont une dizaine à avoir accepté de nous parler de Ceci n’est pas un complot, le documentaire de Bernard Crutzen. Un film qui les a marqués. » Cela a permis au journal de juxtaposer des opinions défavorables, mais aussi des commentaires qui rejoignent et parfois amplifient les critiques quant à la manière dont le monde des médias a traité l’épidémie. Extrait de l’article du 27 février : « « C’est scandaleux de voir comment Wilmès a remballé le gars du site d’infos Kairos », s’insurge Kris. « Cela me fait penser à la Hongrie d’Orban. » La presse mainstream, la fréquentable, en oublierait l’essentiel : « Il est dommage qu’elle ne relaie plus des problématiques comme la pauvreté ou la solidarité», estime Julie. »[note] 

Le documentaire de Bernard Crutzen a fait remonter à la surface des faits étrangement tus par la plupart des médias. On songe à cette vidéo où Marc Van Ranst explique à un auditoire huppé comment il a manipulé les médias lors de la crise de la grippe à H1N1. La vidéo[note] est parue sur Kairos le 15 décembre 2020, un extrait en a été repris par Ceci n’est pas un complot et, depuis lors, elle remonte dans certaines rédactions. Cette question des conflits d’intérêts a valu l’opprobre quasi généralisée de la profession quand Alexandre Penasse a osé poser la question à Sophie Wilmès. C’est pourtant le b.a.-ba du métier de journaliste et cette inquiétude sur des conflits d’intérêt a été peu relevée quand l’épidémiologiste Yves Coppieters l’a dénoncé clairement lors de son rapport au Parlement.[note] 

TENTATIVES D’EXPLICATIONS 

Les réactions indignées de certains médias face aux questionnements de Ceci n’est pas un complot sont peut-être justifiées par le fait qu’elles se ressentent comme accusées de faire partie d’un « grand complot ». Si de telles théories existent (voir les adeptes de la théorie du « Great Reset »[note]), ce que révèle le film de Crutzen n’est pas de l’ordre de la complicité à une vaste conspiration mais plutôt d’un comportement moutonnier, parfois même « bien intentionné » au départ, mais qui débouche sur un résultat globalement négatif. 

On peut citer comme causes d’un discours unaniment générateur de peurs : 

- Un certain sens de la responsabilité (ou de l’obéissance ?) qui pousse à relayer, sans guère de recul critique, les injonctions des autorités. Cet aspect est fortement corrélé au positionnement très conservateur et proche du pouvoir de la plupart des rédactions des grands médias. 

- Une croyance naïve en la Science, avec une majuscule, sans réaliser que s’il y a une méthode scientifique, s’il y a un corpus scientifique qui s’élabore sur des décennies, il y a aussi beaucoup de scientifiques qui sont des avocats d’intérêts privés et que la stratégie des semeurs de doute a été mise au point sur d’autres dossiers (tabac, amiante, pesticides, changement climatique…). 

- Le biais qu’induit l’entre-soi : dans la plupart des milieux, on échange qu’avec des personnes qui nous ressemblent, qui pensent comme nous. Ce constat est encore plus vrai pour les équipes de virologues qui s’auto-convainquent que la seule priorité doit être l’éradication du virus. 

- L’obnubilation sur les aspects sanitaires de la crise, sans prendre en compte les composantes sociales, économiques, psychologiques et politiques des décisions. 

- L’absence de connaissance de La stratégie du choc[note] qui permet aux puissants de profiter des situations chaotiques pour faire avancer leur agenda néo-conservateur. 

- Beaucoup de journalistes semblent avoir peu conscience des biais qui expliquent leurs lectures univoques, orientées dans un sens hygiéniste et, jusqu’il y a pas longtemps, peu critiques face à des mesures privatives de libertés, voire dérivant vers une logique autoritaire. 

Ceci n’est pas un complot n’est pas certainement conspirationniste dans le sens où il voudrait faire croire que la majorité des journalistes sont complices d’un projet politique vaguement secret. La vidéo ne s’adresse pas seulement au grand public, mais aussi à ceux qui « font l’information » en espérant les convaincre qu’ils auraient intérêt à être moins dociles et à agir dans le sens de la phrase conclusive du film de Bernard Crutzen : « En démocratie, la presse ne devrait-elle pas être le premier rempart contre les abus du pouvoir ? Dans cette crise, au contraire, elle semble accompagner le pouvoir, même dans ses délires ». 

Alain Adriaens 

TENTATIVE DE CENSURE ? 

C’est le 6 février que Bernard Crutzen a rendu public son film, en proposant de le visionner sur le site web communautaire Vimeo[note] qui permet le partage de vidéos réalisées par les utilisateurs. 17 jours plus tard, le 23 février, alors que le film y avait été vu plus de 600.000 fois, Bernard Crutzen recevait le message suivant : « Votre compte a été supprimé par l’équipe de Vimeo pour violation de nos lignes directrices. La raison est que vous ne pouvez pas mettre en ligne des vidéos mettant en scène ou encourageant des actes d’automutilation, prétendant à tort que des catastrophes de grande ampleur sont des canulars et émettant des allégations erronées ou mensongères concernant la sécurité des vaccins ». Aucune réponse aux demandes de savoir où ils avaient trouvé de telles affirmations non autorisées. D’évidence, poser des questions sur ces sujets sensibles n’est pas admis. Vimeo a seulement souhaité « bonne chance pour trouver une plateforme qui héberge vos vidéos ». De fait, Crutzen avait prévu le coup et grâce à des mises en ligne sur Youtube et des copies « pirates » l’on en est à 1.530.000 vues. Mais on peut partager les inquiétudes du réalisateur : « Preuve flagrante que les géants du net s’érigent en censeurs ? Qu’ils décident ce qu’on peut dire ou ne pas dire ? Que questionner la vaccination est interdit ? » 

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Qu’est devenue la contre-culture?

« [Il y a un] lien paradoxal entre le modernisme et la contre-culture des années 1960 et 1970, qui s’est trouvée banalisée et intégrée à la culture dominante, aboutissant à l’hégémonie du “gauchisme culturel”, à un conformisme individualiste de masse se présentant sous les traits de l’anticonformisme, de la fête et de la rébellion, qui vit à l’abri de l’épreuve du réel et de l’histoire tout en ayant tendance à se prendre pour le centre du monde[note]. »   Jean-Pierre Le Goff 

Il n’a pas fallu attendre l’événement politico-sanitaire de la covid pour constater que nous vivons une période de grande incertitude idéologique, qui a d’abord été qualifiée de « postmodernité » (Jean-François Lyotard, 1979), puis de « surmodernité » (Marc Augé), d’« hypermodernité » (Nicole Aubert), de « modernité tardive » (Hartmut Rosa) ou encore de « société liquide » (Zygmunt Bauman), chacune de ces appellations ayant son intérêt. Mais qu’est devenue la contre-culture à notre époque ? Le terme avait mal vieilli et disparu des débats depuis des lustres, jusqu’à ce que deux philosophes états-uniens, Joseph Heath et Andrew Potter, le revisitent dans un ouvrage paru en 2004[note], dont la traduction française, Révolte consommée. Le mythe de la contre-culture, est désormais disponible aux éditions L’Échappée. Nous y reviendrons. À mon tour, et principalement en m’inspirant de ces derniers, je humerai ici un déjà vieux vin tiré il y a une cinquantaine d’années en Occident, qui devait modeler assez profondément toutes les dimensions de l’existence sociale (politique, pacifisme, écologie, spiritualité, poésie, musique, cinéma, etc.), sans toutefois en changer la nature fondamentalement moderne. On doit au philosophe Theodore Roszak (1933–2011) d’avoir popularisé le terme de contre-culture en 1969 dans son essai The Making of a Counter Culture, écrit en prise directe sur l’effervescence de la génération du baby-boom, bientôt dénommée hippies. Ses manifestations allaient de l’opposition à la guerre du Vietnam lors d’impressionnantes marches à la lecture de poèmes (comme ceux des beatniks Gary Snyder et Allen Ginsberg), en passant par le festival de Woodstock, en juillet 1969. « La contre-culture, ce sont aussi la vie alternative du quartier de Haight-Ashbury à San Francisco, ses Diggers, l’esthétique tout en couleurs du Flower Power, l’émergence des premiers mouvements écologistes, comme Greenpeace et Public Citizens, la vitalité des rencontres avec les cultures spirituelles du Japon, de l’Inde ou des Amérindiens, sans oublier l’incontournable “révolution psychédélique”[note] ». Elle est également reliée d’une manière ombilicale au gauchisme et à l’anarchisme. Roszak fustigeait avant tout la démesure et le gigantisme de la technocratie, anti-démocratique par essence, qu’elle émane du marché capitaliste ou de la bureaucratie communiste. Cependant, tout nord-américain qu’il fut, il se définissait d’abord comme anticapitaliste et souhaitait qu’une société écologique remplace la société technicienne, suite à une révolution spirituelle qui s’inspirerait du romantisme. Du psychédélisme et de son apologie des drogues supposées éveiller les consciences, il n’était pas dupe, pas plus que de la capacité du système à récupérer ces nouveautés sociétales. Parmi ses autres célèbres hérauts d’outre-Atlantique, on trouvait Jerry Rubin, Abbie Hoffman, Timothy Leary, John Lilly, Gregory Bateson et Herbert Marcuse, auteur d’un essai remarqué, L’homme unidimensionnel (1964). Selon Mohammed Taleb, la mort de la contre-culture est symboliquement concomitante de celle de John Lennon, assassiné en décembre 1980, au moment où la « contre-contre-culture »[note] des White Anglo-Saxon Protestants (WASP) était en train de s’affirmer, l’élection de Ronald Reagan l’année suivante venant le confirmer. La contre-révolution néolibérale commençait. Voilà pour le rapide tableau historique. 

Avant même d’aborder la contre-culture, posons-nous les questions suivantes à propos de la culture : représente-t-elle encore une force d’opposition en 2020 ? Est-elle toujours le « siège du sens », comme le prétend Nicanor Perlas[note] ? Au contraire, n’a‑t-elle pas été totalement intégrée au spectacle et à la marchandise ? La propagande n’a‑t-elle pas ce pouvoir de la dégrader en simples modes passagères, et donc indignes d’intérêt ? Si on y ajoute le montage institutionnel actuel qui rend les acteurs culturels dépendant de subventions publiques pour vivre et travailler, alors on ne s’étonnera pas que pratiquement aucun d’eux[note], en Belgique et en France, ne soit monté au créneau contre les mesures anti-covid disproportionnées et liberticides de leurs gouvernements respectifs, pourtant peu favorables à leur secteur[note]. Mais on n’ose pas mordre la main politique qui nourrit… en rationnant toujours davantage les doses. 

LA RÉBELLION COMME MODÈLE 

Revenons à nos moutons contre-culturels et constatons que, d’une part, « la classe dirigeante sait fort bien s’accommoder de la “subversion”, dès lors qu’elle ne quitte pas le champ culturel[note] » ; d’autre part, que la contre-culture n’a pas manqué de contempteurs : c’est une « idéologie de l’apolitisme » (Jules Duchastel), la « recherche fondamentale de l’industrie culturelle » (Pièces et Main d’œuvre) ou encore une « feinte dissidence, aussi inoffensive pour le système dominant qu’elle est ostensiblement subversive » (Louis Janover). Heath et Potter ont remis une couche critique avec leur propre conception de la notion, qu’ils assimilent à une certaine esthétique de la rébellion[note]. Examinons-la. 

Héritière de la contre-culture des années 1960–70, la rébellion actuelle participe d’un « brouillage culturel » qui, par effet pervers, renforce le système. Concomitamment au reflux du marxisme, elle a abandonné le social pour le sociétal, exalte les valeurs positives de bienveillance, de tolérance, de respect, de solidarité avec tout le vivant, etc., tout en se défiant des normes collectives à prétention universelle. Elle tient pour principe que « chaque acte qui contrevient aux normes dominantes est politiquement radical » (p. 79). Elle en est arrivée à attaquer le principe aristotélicien de non-contradiction, la science, la grammaire, la linguistique et même à idéaliser le crime et la maladie mentale, avec le mouvement de l’antipsychiatrie. Englobante, elle s’exprime au travers de courants musicaux comme le grunge (années 1990) et le Hiphop (surtout depuis les années 2000), de mouvements civiques, citoyens et écologistes comme les zad, l’antipub, le commerce équitable, le marketing éthique, les pédagogies alternatives, la légalisation du cannabis, le véganisme, les médecines naturelles, l’intersectionnalité, etc., d’habitudes culturelles comme le désir de s’évader de l’Occident dans un but initiatique et de « découverte de soi » (avec l’Inde comme destination de prédilection), ou encore de phénomènes plus marginaux comme le poly-amour et les cyclonudista. Le conformisme petit-bourgeois de droite est à abattre, la consommation de masse représente le nouvel opium du peuple, la culture est un système idéologique de répression des instincts, comme le soutenait Wilhelm Reich. Pour s’émanciper, il convient d’abolir toute norme sociale et de focaliser sur l’oppression psychologique, plutôt que sur l’exploitation du travail. Le désir de justice sociale — porté par les fameux Social Justice Warriors aux États-Unis — déplace le terrain des luttes du monde du travail à celui des identités multiples. La résistance symbolique est l’arme des contre-culturels, censée atteindre les individus dans ce qu’ils ont de plus profondément ancré, leurs institutions imaginaires (cf. Cornélius Castoriadis). Le malheur découlant de conditions internes et non externes, elle parie sur la métamorphose des consciences. Ainsi, recouvrir des panneaux publicitaires de messages politiques fut la principale tactique des Cacheurs de pub, activistes bruxellois dont je fis partie de 2009 à 2011. Nos actions ludiques et non violentes, qui ne suscitaient qu’un intérêt mitigé de la part des passants, nous amusaient mais n’ont pas fait vaciller l’ordre publicitaire qui, entre-temps, s’est rabattu sur la Toile pour y devenir encore plus persuasif et intrusif grâce aux algorithmes. 

Le rôle de la consommation dans la contre-culture est capital (dans les deux sens du terme). Contre le sens commun, les auteurs notent que « c’est la rébellion, et non le conformisme, qui alimente le marché depuis des décennies » (p. 114), avec sa consommation distinctive que l’on relie aux classes moyennes, en oubliant que la classe ouvrière y participe également. La rareté matérielle ayant disparu, le revenu du consommateur lambda est surtout consacré aux biens positionnels. Le cool est devenu l’idéologie centrale du consumérisme. La surenchère dans la rébellion cool s’est d’abord traduite, dans les années 1960/70, par les vêtements extravagants et les cheveux longs chez les hommes et les femmes. Avec le punk en 1977 sont apparus les piercings, toujours plus envahissants. Dans les années 1980/90, la queue de cheval faisait fureur chez les hommes. Les années 2010 ont vu l’explosion de la mode des tatouages, eux aussi plus ou moins invasifs sur les corps. Cette obsession de l’apparence, présente autant chez le punk que chez le CEO, cadre parfaitement avec le marché capitaliste, si ce n’est que le second ne prétendra pas, lui, appartenir à la contre-culture (quoique…). Cette consommation se retrouve aussi dans la quête des spiritualités extra-occidentales : culte de la Terre-Mère des aborigènes, stage de yoga dans les ashram, bouddhisme[note] et « individualisme métaphysique du zen » (p. 262), etc. Pour « découvrir » toutes ces tendances, s’en imprégner pour grandir spirituellement, certains sont prêts à brûler du kérosène autour de la planète. 

CONTRE-CULTURE VS CONFORMISME 

Heath & Potter relèvent les effets pervers de la consommation contre-culturelle, concluent à l’« incapacité du mouvement contre-culturel à produire une vision cohérente d’une société libre » (p. 90) et closent la question en affirmant que « la rébellion ne représente pas une menace pour le système, elle est le système ». Le procès est donc totalement à charge. Les deux philosophes apparaissent comme des progressistes à l’anglo-saxonne, des défenseurs du modèle politique issu de la victoire contre le nazisme, celui des Trente Glorieuses avec sa juste redistribution des richesses entre patronat et travailleurs. Sociologiquement, leur credo apparaît assez simple : réintroduire un peu plus d’uniformité dans nos vies, oser être semblables aux autres, se départir de toute radicalité au profit du pragmatisme. 

Ce conformisme comme remède aux errements contre-culturels devient à son tour critiquable lorsque les auteurs en viennent à relativiser l’influence de l’empire de la pub sur les modes de vie, voire se montrent complaisants avec les marques : « Nous aimons également faire des achats dans des chaînes étrangères comme Ikea, Zara, The body shop, Benetton ou H&M » (p. 246), ou pire, avec la globalisation économique : « Bien qu’il y ait, au sein même de ces pays [Ndlr : les pays en voie de développement], de vigoureux débats sur la façon de s’intégrer à l’économie mondiale, presque personne ne remet en question le bien-fondé de cet objectif ultime » (p. 249). « Presque personne » ? Nous bien ! S’ils n’ont pas d’objection à ce que le modèle capitaliste se soit répandu aux quatre coins du monde, ils voient par contre d’un mauvais œil le tourisme contre-culturel en quête d’« authenticité » qui ouvre ensuite la voie au tourisme de masse. Mais l’un — le modèle capitaliste globalisé — ne va-t-il pas de pair avec l’autre — le tourisme mondialisé ? Les auteurs ont une tendance à verser facilement dans l’ethnocentrisme. Ils ont également les yeux de Chimène pour la médecine industrielle et ses vaccins, et font généralement preuve de technoptimisme. À plusieurs moments, ils ne sont pas loin de postuler la « neutralité » des technologies : « Il ne s’agissait pas d’être contre la technologie ; il fallait s’organiser pour pouvoir contrôler les machines, et non l’inverse » (p. 292) ; « Il est souvent faux de dire que la façon dont les gens utilisent la technologie est déterminée par la nature de cette technologie » (p. 297). Ils se « rachètent » cependant en torpillant le « cyberlibertarisme » quelques pages plus loin. L’écologisme — surtout dans sa version deep ecology — ne trouve guère grâce à leurs yeux, lui aussi identifié aux obsessions contre-culturelles. D’ailleurs, ils admettent que pour bien vivre, « chacun a besoin probablement d’une voiture » (p. 320) tout en reconnaissant quelques lignes plus loin que « la population croît sans cesse ». Alors, quid ? Ils dédouanent la compétition économique internationale : « [Enfin] rien n’indique que les lois sur la protection de l’environnement sont affaiblies par des pressions émanant de la concurrence mondiale » (p. 334) voire la célèbrent : « […] nous ne croyons pas que l’achat de produits locaux soit préférable à l’achat de produits étrangers […] » (p. 340) ; « [De plus] l’un des principaux enjeux des efforts de développement vise à réduire les subventions agricoles, de façon à encourager l’importation de denrées de l’Afrique et de l’Asie » (p. 340). Puis encore, le lecteur les surprend à défendre l’éco-blanchiment : « L’achat d’un véhicule hybride est socialement responsable […] » (p. 338). Peut faire mieux ! 

Heath & Potter ont pointé avec justesse les dérives et contradictions de la contre-culture, mais leur raison pratique, comme on l’a vu ci-dessus, pose quelques problèmes : ils en appellent certes au retour du civisme et de la responsabilité individuelle, mais ne se départissent pas du techno-progressisme, du libéralisme (politique et économique), du pragmatisme (aveugle), du mondialisme (illusoire)[note] et du réformisme (inoffensif)[note], toutes choses qu’à Kairos nous avons toujours remises en cause, si pas combattues. Revenant dans notre bon vieil ancien monde, nous préférons clôturer avec Natacha Polony : « Délier le sentiment de la raison, favoriser une lettre sans esprit, des droits sans mœurs, 

une démocratie sans peuple, un État sans nation, cette part du soft totalitarisme est fille de la construction européenne qui par ailleurs incarne parfaitement la convergence du gauchisme culturel et du libéralisme[note][note] ». Et de la contre-culture. 

Bernard Legros 

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TOURNER EN ROND DANS L’(ANTI-)COMPLOTISME

Tourner en rond dans l’(anti-)complotisme (une première et dernière fois, en ce qui nous concerne) 

Après facho dans les années 1980–90, populiste dans les années 2000–10[note], terroriste, sexiste, homophobe et transphobe plus récemment, complotiste est le nouveau point Godwin devenu en quelques années à la mode. Il a empoisonné l’esprit d’une bonne partie des électeurs-consommateurs, qui craignent le parler franc (la parrhesia chez les anciens Grecs) sous peine de tomber dans cette catégorie honnie. Des médias aux conversations courantes, la marotte anti-complotiste se porte à merveille, jusqu’à tomber inconsciemment dans le piège qu’elle dénonce, puisque les complotistes formeraient une congrégation mondiale tellement puissante qu’il s’agirait de déjouer leurs plans machiavéliques (sataniques ?). Vous ne trouvez pas qu’on tourne en rond ? Les gens d’en haut applaudissent les gens d’en bas qui usent et abusent de ce cliché. Parmi ces derniers, les académiques ; quand un chercheur en sciences politiques veut faire carrière dans son institution et plastronner dans les médias[note], un excellent truc est d’étudier, analyser, décortiquer la « complosphère », qui recoupe la « fachosphère[note] ». Fréquenter le site de Conspiracy Watch, et s’en vanter, vous fait apparaître comme un citoyen intelligent, rationnel, un démocrate en alerte, un antifasciste, bref quelqu’un de bien. Voir des fachos et des complotistes partout est un signe de bonne santé mentale et de vigilance démocratique. Les réseaux (a) sociaux représentent le terrain de chasse des antifas du clavier, spécialistes des déductions et recoupements numériques douteux. Dénoncer une camarade qui a reçu un texto d’un type ayant préalablement rencontré une militante qu’on avait vue converser avec un facho dans une vidéo est un acte de civisme, car par transitivité cette camarade est devenue une facho malgré elle, la pauvre. Voit-on dans une manifestation un seul drapeau portant la lettre Q noyé parmi des dizaines d’autres de syndicats et d’associations, peu après apprendra-t-on sur son écran que la manif était noyautée par l’extrême droite[note], c’est irréfragable ! Et donc irrémédiablement contaminée, décrédibilisée, mise hors-jeu[note]. Et ainsi de suite, la paranoïa des antifascistes est comme l’univers : en continuelle expansion. 

Il faudrait en rire si le sujet n’était pas aussi grave et que ce mot ne constituait pas une arme du pouvoir politico-médiatique pour empêcher de penser. Prenons toutefois cette liberté et ouvrons le dictionnaire Lafrousse, mis à jour depuis mars 2020, pour y lire la définition du complotiste : « citoyen dont la liberté d’expression, les questionnements et les réflexions s’écartent, ne fût-ce que d’un pouce, de la stricte communication gouvernementale et scientifique relayée par les médias à la botte ». Ainsi, « complotiste » devrait presque toujours s’accompagner de guillemets, ce qui heurtera les âmes bienpensantes, mais aura l’avantage de montrer que le « complotiste » est, aux yeux des politiques et de leurs relais médiatiques, celle ou celui qui a le tort de ne pas souscrire au narratif officiel. 

Reste que la caste médiatique continuera à s’acharner et lancera la vindicte, c’est certain. Le Soir avait déjà, sur seule base de la bande-annonce de Ceci n’est pas un complot, indiqué que « sur les sites de crowdfunding, le complot, ça rapporte[note] ». La publication du documentaire quelques mois plus tard offrira la preuve que celui-ci est basé sur des faits avérés, sans spéculation ni extrapolation. Dès lors, aucun média n’osera plus, à notre connaissance, le traiter ouvertement de complotiste, mais certains, plutôt que de se mouiller eux-mêmes, ont fait bavarder des universitaires ou des individus lambda pour laisser entendre que si le documentaire n’était pas typiquement complotiste, il l’était quand même un peu, pour peu que l’on y regarde de plus près[note]. Des membres de la profession ont même (légèrement) battu leur coulpe, reconnaissant certaines de leurs erreurs et outrances[note], tout en déplorant que d’autres aspects ne soient pas abordés dans le documentaire, ce qui est une vieille ficelle rhétorique : focaliser sur l’absence plutôt que sur la présence. Qui pourrait se targuer d’avoir une vision à 360° ? Personne, bien sûr, telles sont les limites de l’entendement… et de la durée d’un film. Les journalistes n’ont-ils pas appris qu’un des principes de leur métier consiste à découper, séquencer la réalité ? Et donc la recomposer, dans certaines limites ? Comme disait George Orwell, la vérité se construit. Ce que Bernard Crutzen a fait, sauf que cela lui est reproché (voir l’article d’Alain Adriaens dans ce numéro). 

La conséquence politique directe de cette traque obsessionnelle des («) complotistes (») est de laisser les mains libres aux gouvernants, en fermant les yeux sur leur (non-)gestion catastrophique et malveillante de l’épidémie. Car il y aurait « plus urgent » que de s’en prendre aux décideurs — combattre l’extrême droite qui ne décide rien —, et à tout prendre, mieux vaudrait encore supporter — dans les deux sens du terme — un régime libéral totalement corrompu, en phase terminale, que prendre le risque de voir la droite illibérale arriver au pouvoir comme en Hongrie. Mais point besoin de tomber dans l’illibéralisme. Le très libéral Emmanuel Macron n’est-il pas en train d’engager la France sur la voie de l’apartheid social avec son projet de « passeport sanitaire » ? « Que voulez-vous, Madame… certes, c’est un peu embêtant… mais M. Macron a quand même été élu contre Mme Le Pen… alors, entre deux maux… ». La surdité et le cynisme d’une certaine gauche qui se prétend toujours anticapitaliste (?) ne cesseront d’étonner… 

Il faudra donc encore supporter d’être taxé de complotiste par ceux qui refusent de penser radicalement (à la racine) et de réfléchir à notre avenir. Dans la hiérarchie des priorités, empêcher la destruction du monde commun passe en effet avant notre petite image. N’ayons dès lors plus peur d’être « complotistes », avant de bannir ce mot, avec ou sans guillemets. Pour le plus grand bien de la pensée et de l’esprit critique. 

Dossier coordonné par Alexandre Penasse et Bernard Legros 

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Articles

De l’âme végétative par temps de Covid

Ce texte prolonge le débat sur la décision médicale et sanitaire qui avait été initié autour de l’Evidence-based-medecine (EBM) avec la carte blanche intitulée : « le rôle de la formation des médecins et de l’épistémologie médicale dans la crise de la Covid 19 ». Discussion qui s’est poursuivie au sein d’une deuxième carte blanche, centrée – comme son titre l’indique – sur une critique du principe de précaution : « Principe de précaution ou « risque du blâme » ? A suivi l’interrogation sur la déstructuration du système de santé au regard de l’incapacité à reconnaître les ressources propres à celui-ci, question introduite avec une troisième carte blanche : « Globalité, partenariat, autonomie en santé. Quand l’urgence balaie tout, mais révèle l’essentiel ! ». Toujours sur notre fil épistémologique, nous avons ensuite abordé la question des émotions dans la formation médicale : « Crise de la Covid et intelligence émotionnelle : le maillon manquant ». 

Par [note]:

Florence PARENT, médecin, docteur en santé publique, coordinatrice du groupe thématique « Éthique des curriculums en santé » de la Société internationale francophone d’éducation médicale (SIFEM).Fabienne GOOSET, docteur en lettres, certifiée en éthique du soin.Manoé REYNAERTS, philosophe, membre du groupe thématique « Éthique des curriculums en santé » de la Société internationale francophone d’éducation médicale (SIFEM).Helyett WARDAVOIR, master santé publique, membre du groupe thématique « Éthique des curriculums en santé » de la Société internationale francophone d’éducation médicale (SIFEM).Dr Isabelle François, médecin et psychothérapeute, membre du groupe thématique « Éthique des curriculums en santé » de la Société internationale francophone d’éducation médicale (SIFEM).Dr Benoit NICOLAY, médecin, anesthésiste-réanimateur, micro-nutritionniste.Dr Emmanuelle CARLIER, médecin, pédiatre.Dr Véronique BAUDOUX, médecin généraliste.Jean-Marie DEKETELE, professeur émérite de l’UCL et de la Chaire UNESCO en Sciences de l’Éducation (Dakar).

Cela commence pendant nos études de médecine….

« During my five and a half years of medical training, a few things became clear to me. First, while doctors receive a lot of training in how to deal with medical emergencies, they are taught extremely little about how to avoid chronic disease and maximize long term health and much of what they are taught is wrong. Over those years, I think I received a total of three lectures about nutrition. In other words, three hours during five and a half years were spent learning about how to avoid chronic disease in the first place. »[note]

S’il apparait en faculté de médecine que l’on accorde très peu d’importance aux dimensions émotionnelles et sensitives comme nous l’avons argumenté dans notre carte blanche précédente, cette cécité se répète à l’égard d’autres dimensions de nos êtres. Il s’agit également des dimensions imaginatives, métacognitives (ou réflexives), sociales, relationnelles, mais aussi végétatives…Pourquoi ? 

Nous devons essayer de comprendre, dans le vrai sens de comprendre, c’est-à-dire en ayant une lucidité sur les déterminismes structurels (psychologiques et environnementaux) en place, les raisons d’une telle perte de potentialité dans l’agir. C’est ce dont rend compte, notamment, la littérature scientifique témoignant du déclin, par exemple, des compétences émotionnelles, relationnelles ou éthiques au cours des années d’étude en médecine[note]. Et c’est ce que décrira la littérature scientifique « post-Covid-19 » quand le bilan de la non-mobilisation de nos « âmes végétatives » aura été assumé.

Car, « si Aristote parle d’une « âme intelligible » permettant de différencier l’être humain de l’être de nature (plante) ou de l’être vivant (animal), il le fait sans discontinuité, en totale intégration, avec l’ « âme sensible » et l’ « âme végétative », l’une n’allant pas sans l’autre au risque d’une rupture du tout, de la globalité, de la perte radicale d’une vision holistique. »[note]

En effet, il suffit de considérer la très longue latence entre la timide information en date du 22 mai 2020 en provenance de l’Académie de médecine de Belgique quant à l’intérêt de se prémunir de la Covid-19 en prenant de la vitamine D[note] et sa médiatisation seulement en janvier 2021. Non loin d’une année après le début de la pandémie, l’Académie a enfin rendu l’usage de la vitamine effectif sur un plan populationnel et donc de médecine préventive, ce dont témoignent certains journaux populaires[note]. Néanmoins, nous observons que la confusion reste bel et bien présente quand, dans la foulée de l’avis du Conseil supérieur de la santé belge, qui « considère que tout cela ne sert pas à grand-chose… », les médias grand public continuent de relayer le mépris affiché des politiciens et médecins à l’égard de ce type d’approches en médecine préventive. Cet extrait d’un échange en tchat (daté du 29 janvier), parmi de nombreux autres, glané sur un réseau, révèle cette confusion sur les stratégies ou orientations à privilégier sur le plan de la santé publique.

« N’est-il pas incroyable que ce concept [de prévention par la vitamine D] si simple, de bon sens, semble absent des réflexions scientifiques officielles … ? Et surtout absent de la communication qui gagnerait tellement à être encourageante et positive … À l’heure où les médias mainstream s’acharnent à discréditer la prévention (cf. JT d’hier soir sur RTL : le zinc et la vitamine D ne sont pas des remèdes miracles contre le Covid…) personne n’a prétendu cela !! »« J’ai lu effectivement l’avis de hier du Conseil supérieur de la santé belge : en gros, cela ne sert pas à grand-chose, mais prenez-en quand même parce que la population en est généralement carencée et que zinc et vitamine D sont essentielles à l’immunité : tout et son contraire … cela devient fatigant de les lire ! »« Je dois dire que je ne comprends pas. « La médecine » nous dit que grosso modo 70% des Belges sont en carence vitaminique D, et que celle-ci aurait un rôle important dans le système immunitaire … et il nous est ensuite dit que « Pas pour la covid19 ». Une fois encore il est vraiment incroyable que ce qui est simple et non dangereux fasse l’objet d’un tel bashing … ».

Ces voix citoyennes se sont parfois structurées dans des cartes blanches adressées au gouvernement : « (…) les études s’accumulent qui indiquent qu’une carence en vitamine D favorise le développement de la forme sévère de la maladie : il s’agit, dès lors, de mettre en place, sans plus tarder, une large campagne d’information recommandant à chacun de supplémenter son alimentation avec de la vitamine D. C’est là une mesure très simple et bon marché, qui peut avoir un effet très substantiel sur la morbidité et la mortalité associées au Covid-19. Rappelons que les séquelles inhérentes au Covid-19 sont conséquentes non seulement pour les individus concernés et leurs familles, mais aussi pour le budget public des soins de santé. Qu’attendons-nous alors pour prendre cette mesure simple ? Avons-nous oublié qu’il est plus facile de prévenir que de guérir ? »[note]

Favoriser un traitement précoce ou, ici, préventif, placer en quarantaine, confiner, faire porter le masque, fermer les écoles et les centres sportifs, voire les parcs, montagnes et falaises, vacciner, etc. sont autant de décisions qui n’ont pas mobilisé le débat scientifique de la même façon (on pourra se référer ici, afin d’approfondir cette critique, à notre carte blanche sur l’usage du principe de précaution).

Cela met en exergue ce que l’on pourrait nommer deux dérives ou – tout au moins – deux orientations épistémologiques réductrices, historiquement et culturellement situées, de la médecine. L’une, le positivisme, et l’autre, le réductionnisme, à lier plus spécifiquement à la définition même de la Santé. Nous avons déjà abordé ces dérives épistémologiques et leurs impacts sur la décision médicale et sanitaire dans des cartes blanches précédentes centrées sur nos « âmes intelligibles » (première carte blanche) ou sur nos « âmes sensibles » (quatrième carte blanche). Afin de compléter l’analyse, nous questionnons, à travers cette carte blanche, la décision au regard de nos « âmes végétatives ».

Pour analyser sur le plan épistémologique[note] cet élargissement de notre problématique revenons à la définition de la santé de l’OMS : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». 

La santé est un état de complet bien-être physique…

Outre l’importance documentée du sport (en veillant à ce que celui-ci soit bien adapté) quant à la prévention globale, immunitaire et du stress[note], l’efficacité des oligo-éléments comme le zinc, mais également le bénéfice d’apports tels que les vitamines D et C ont, depuis longtemps, fait leurs preuves sur les maladies virales à fort impact immunitaire[note]. Cependant, lors de la pandémie de Covid-19, des mesures prophylactiques ou préventives de cette nature n’ont pas été considérées, si ce n’est du bout des lèvres, avec une forme de condescendance. Ainsi, quand les arguments scientifiques, même fondés sur la preuve dans une perspective de science positiviste, sont au rendez-vous, il semble que le monde médical, relayé par les grands médias, ne s’en préoccupe guère.

Est-ce par suite des préjugés relatifs aux approches du soin plus globales, holistiques, incluant une certaine médecine préventive, se fondant sur les ressources de la personne et de son environnement naturel, que, paradoxalement, le jugement déterminant[note] n’est alors pas mobilisé ? Ce dernier se présenterait-il dans ce cas comme un jugement porteur de discrimination lié à des préjugés de valeurs en matière de savoirs scientifiques ou d’evidence-based-medecine ?

En effet il s’agit bien de valeurs, celles qui définissent notre rapport à la médecine, à la santé et à notre environnement plus globalement. Une perspective de la médecine comme uniquement curative ou bioclinique, engage un certain usage du jugement déterminant, associé à des actes techniques, curatifs et mesurables selon des échelles ou des taux de couvertures (vaccinales par exemple) donnant une visibilité chiffrée, en générale, immédiate. Avec finesse, sur un plan épistémologique, nous pouvons également analyser ici une divergence de fond quasi ontologique entre une médecine préventive fondée sur la vaccination et celle fondée sur les micronutriments et notre alimentation. Les ressources mobilisées sont extrêmement différentes et permettent de se questionner…

Les apports en oligo- éléments et vitaminiques seraient-ils d’une autre nature ? Moins valorisables car proches du bon sens de nos grands-mères, tandis que celles-ci, paradoxalement, sont parties en grand nombre sans en avoir pris, car non protocolisés, tandis que le protocole était devenu la norme d’absolution !

Ce qui différencie ces deux modalités de médecine préventive, outre la proximité avec nos grands-mères[note], tient à ce que l’une n’intègre pas de la même manière la personne elle-même, Sujet réifié du vaccin mais aussi détentrice de ressources propres qu’il s’agit de développer…

Ainsi nous avons pu observer que le film documentaire intitulé « Mal traités »[note] s’il ne prête pas le flanc à une vision conspirationniste de la crise, a, néanmoins, été également sévèrement jugé par les médias et boycotté, voire méprisé, par le monde médical traditionnel[note].

L’intérêt de ce film réside pourtant, et principalement, dans une volonté d’exprimer notre « âme végétative », lui permettre d’éclore, de venir au monde tant il est temps ! S’il s’agissait d’appliquer le dicton bien connu : « il ne faut jamais gaspiller une bonne crise », c’est notamment à l’égard de cette visée intégrative-là que nous serions particulièrement gagnants dans la durée.

En effet, dans ce film, il s’agit de considérer non seulement l’importance des traitements précoces dans la maladie et le rôle essentiel, à cet égard, d’une médecine ambulatoire et de proximité, en lien avec la personne malade (carte blanche 3), mais aussi toute la sphère préventive et promotionnelle de la Santé, en correspondance directe avec la définition de la santé de l’OMS. Il parle, par le biais de professionnels très expérimentés dans (l’agir de) ces champs d’actions et de recherches en santé, du rôle préventif crucial de la vitamine D[note] et il le documente au regard d’études (par ailleurs randomisées) qui sont explicitées aux spectateurs[note]. L’importance préventive à accorder à la vitamine C en fonction des situations particulières, mais également à des oligoéléments tels que le zinc plus précisément, est clairement argumentée pour l’auditeur. Une prise en compte, dans le sens réellement global, de l’ensemble des ressources de la nature, être humain compris comme part de celle-ci (partie du tout dans le sens pascalien du terme), permet de s’ouvrir au vaste champ de savoirs en provenance de la phytothérapie, de la gemmothérapie, de l’aromathérapie, des huiles essentielles et de toutes les ouvertures offertes par la naturopathie[note]. Peut-être plus proches de nous pour certains, il s’agirait de se pencher sur la nutrithérapie, la micronutrition et la diététique, dont on sait l’impact sur la pathologie chronique, prévalente dans nos sociétés occidentales, faisant ainsi lien avec le témoignage du docteur Sébastian Rushworth à l’orée de cette carte blanche.

Ce sont également des savoirs en provenance de personnes, parfois médecins ou chercheurs, mais également écrivains, philosophes et citoyens, ayant entrepris des excursions inédites (approfondies) dans l’activité[note] de « digérer »[note], celle de « péter »[note] ou encore de « gérer sa douleur »[note] qu’il s’agit aujourd’hui de considérer, car pour paraphraser Bessel van der Kolk : « Le corps n’oublie rien. »[note] C’est encore ce que nous rappelle notre système immunitaire sur lequel nous pouvons compter pour autant que l’on continue à l’exposer régulièrement aux agents environnementaux dont les virus. Un hygiénisme totalitaire (excès de mesures barrières) empêche ou du moins réduit cette exposition et peut en affaiblir la performance. Chez l’enfant l’immunité s’acquière quotidiennement. La diminution de l’exposition aux agents infectieux et le recours croissant aux antibiotiques réduiraient les capacités d’apprentissage et d’adaptation de l’immunité. 

Il ne s’agit pas de s’opposer à une prévention par la vaccination. Celle-ci peut être réfléchie avec raison (jugement réfléchissant[note]). Comme le souligne (parmi d’autres personnalités ayant essayé de sensibiliser le monde médical), Linus Pauling : ‘’ (…) il faut au contraire donner à votre organisme les substances qu’il connaît, qu’il utilise régulièrement… et dont il manque pour fonctionner de façon optimale !’’.

La perspective étant bien celle d’accorder une égale importance aux ressources internes, propres à la personne, en proximité plus immédiate avec une nature dont on émerge, plutôt que de privilégier uniquement celles, externes, chimiques, produites par l’industrie pharmaceutique. Il convient de comprendre sur un plan ontologique le continuum nature-culture, tel un nœud de Möbius, afin de ne pas perdre l’équilibre fragile du vivant en rompant toutes nos amarres.

« Celui qui aime la nature est celui dont les sensations, intérieures et extérieures, sont encore ajustées exactement les unes aux autres ; celui qui, à l’heure de la maturité, a gardé son âme d’enfant. Ses relations avec le ciel et la terre deviennent partie de sa nourriture quotidienne ».[note]

S’il vaut mieux prendre des précautions pour rester en bonne santé que soigner une maladie comme l’adage populaire le dit, rejoignant en cela le principe de base de la médecine traditionnelle chinoise, il apparait que notre médecine occidentale, positiviste, n’arrive pas à intégrer une telle vision. Serait-ce là le signe d’une maladie de notre épistémologie ?

Nos constructions de l’Être fondées sur des dualismes conceptuels — raison-émotion — ou ontologiques — corps-esprit, nature-culture -, fondent nos frontières et nos territoires mentaux, séparent ce qui coexiste temporellement, éparpillent nos identités émotionnelles, corporelles, rationnelles, végétatives ne facilitant pas le centrage, l’équilibrage spatial, ici et maintenant. Aussi, rappelons-nous que :

« Le sentiment de ce qui est n’est pas tout. Un sentiment plus profond se dessine et se manifeste dans les profondeurs de l’esprit conscient. C’est le sentiment que mon corps existe et est présent, indépendamment de tout objet avec lequel il interagit, tel un roc solide, telle l’affirmation brute que je suis vivant {…} Je l’appelle sentiment primordial. »[note]

C’est justement ce que permet le jugement réfléchissant, de reprendre pied dans l’ici et maintenant, dans le hic et nunc en dehors de tout fétichisme de l’objet (et de l’objectivation) propre aux logiques réificatrices et trop exclusivement productivistes. Ces dernières, sans doute inconsciemment – engrammées[note] – (ce qui n’enlève rien à la gravité du fait), nient le processus d’élaboration, manifestation toujours singulière du mouvement originaire et, potentielle, mais exclusive, source de Vie et de Sens[note].

C’est également une telle perspective qui permettra un rapport plus harmonieux entre l’homme et la machine, entre le faire et la technique, car du singe ou du silex[note], c’est bien dans le bon usage de l’un et de l’autre, dans le sens d’une praxis[note] et donc d’une éthique, qu’une visée d’émancipation peut se jouer.

C’est ce qu’exprime également Corine Pelluchon quand elle affirme qu’un autre modèle de développement est possible : « Il exige un remaniement complet de nos représentations, de la manière dont nous pensons la place de l’humain dans la nature et dont nous interagissons avec les autres, y compris les animaux. » [note] 

Le paradoxe de Nietzsche

« Et quand ton regard pénètre longtemps au fond d’un abîme, l’abîme, lui aussi, pénètre en toi. »[note]

Ce corps, cette matérialité du monde qui est la nôtre, ou du moins dont on a une part de responsabilité dans ce qu’il advient (et fait advenir par là-même), nécessite pour le comprendre dans toutes ses dimensions, une capacité à la pensée complexe[note]. Celle-ci inclut l’aptitude à « problématiser » dans le sens développé par Michel Fabre[note]. Cependant, là est justement ce que l’on pourrait nommer le « paradoxe de Nietzsche ». C’est-à-dire la propension à ce que notre propre pensée, par l’élaboration de cadres étriqués et réducteurs (ceux qui permettent le jugement déterminant, et d’autant plus que celui-ci se limite à la science positiviste et non à une science plurielle[note]), enferme notre corps, cloitre son esprit, méprise ses émotions…et charge le chameau[note] d’un poids toujours plus lourd, éloignant proportionnellement, telle une marche funèbre vers le mirage de l’horizon, sa perspective d’émancipation. Tel est l’homme moderne.

Ainsi, et toujours en harmonie avec notre définition de la santé et sa perspective de globalité, il ne s’agit pas tant de « guérir », que de « prévenir » et d’« accompagner ». Nous ne reviendrons pas ici sur les manquements à cet accompagnement et la solitude des mourants abordée dans notre carte blanche sur les émotions.

Les fractures épistémologiques profondes et nombreuses, endogènes et propres au monde médical et scientifique se répercutent, en miroir, sur la société qui, a fortiori aujourd’hui avec l’agrandissement des connaissances en provenance, paradoxalement, des neurosciences, est en quête de plus de plénitude de son être-au-monde.

Karl Popper, pourtant représentant historique du positivisme a, dans un « plaidoyer pour l’indéterminisme »[note], conclu « que cet « indéterminisme lui-même n’est pas suffisant » et précise, comme le reprend Le Moigne dans un commentaire, « qu’il faut postuler une « ouverture causale » du « monde 1 » de la physique sur le « monde 2 » de la psychologie et sur le « monde 3 » de l’esprit humain et de ses productions (éthique, esthétique, société). Mondes 1, 2 et 3 dont il faut aussi, au préalable, postuler une réalité ontologique. »[note]

‘Ensauvageons-nous’, retrouvons l’animalité d’Aveyron, telle l’âme sensitive et végétative perdue tandis qu’Aristote n’avait jamais entrevu séparément celle-ci et celle-là, l’intelligible, certes propre de l’homme anticipant et planifiant.

De l’imaginaire de la certitude…

La tentative d’éloignement de l’incertitude, en tant que visée d’un monde médical devenant de plus en plus aseptisé ou protocolisé est contraire à l’état biologique de nos êtres que la crise de la Covid 19 est venue si brutalement nous rappeler.

« En dépit de prédictions enthousiastes selon lesquelles l’innovation technologique va ouvrir la voie à l’utérus artificiel et à la vie éternelle, il est encore vrai que tout être humain naît du corps de sa mère et que tout être humain meurt. »[note]

D’où ce paradoxe de plus en plus prégnant, révélé au grand jour avec la crise sanitaire de la Covid, d’un détournement préjudiciable de nos propres constructions mentales et théoriques nécessaires à la gestion de l’incertitude (médecine expérimentale, médecine factuelle ; tests de sensibilité, spécificité ; calculs de prévalence, d’incidence, de valeur prédictive, de probabilité ; théorème de Bayes ; « likelihood ratios » ; statistiques ; loi des grands nombres…) vers l’utopie d’une gestion par la certitude[note], que la peur de la Covid, médiatiquement amplifiée[note], voire instrumentalisée, est venue renforcer.

Ainsi, cette crise sanitaire n’est-elle pas tant révolutionnaire que « révélationnaire », selon la formule du philosophe Paul Virilio (1932-­2018).

Mais jusqu’à quel point sommes-nous, médecins et soignants, conscients de cette orientation ?

Cette réflexion de fond, à la fois épistémologique – pour ce qui concerne l’opposition entre scientistes et empiristes – et définitionnelle – quant à la notion de santé –, émerge avec la Covid en 2020 comme une problématique de santé publique, devenue collective[note], majeure, au fondement de conflits de valeurs qui se situent dans une « pensée du sous-sol », nous rappelant que « notre corps n’est pas autre chose qu’un édifice d’âmes multiples »[note].

En fait, une fois la confusion levée, il s’agit du débat qu’il ne faudrait pas manquer.

Celui-ci oppose aujourd’hui de manière exacerbée : le savoir à la pratique, l’intelligible au sensible, la culture à la nature, la technique à la clinique, l’universel au particulier (contexte), le général au singulier (Sujet), la stabilité à l’instabilité, l’ordre au désordre, le formel à l’informel, la sécurité au risque, l’hôpital (structure centrale) aux soins ambulatoires (structure périphérique), l’approche causale (explicative) de la maladie à l’approche globale (compréhensive) de la personne, une médecine mécaniciste à une médecine holistique…, et, in fine, l’imaginaire de la certitude à l’incertitude.

« Je ferai servir suivant mon pouvoir et mon discernement le régime diététique au soulagement des malades. »Hippocrate

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Dérive Sectaire

Un an de politique sanitaire anti-covid nous a‑t-il entraînés collectivement dans une dérive sectaire ?

Le tableau clinique global de notre situation de vie depuis un an n’est guère réjouissant : confinement sans fin, couvre-feu, arsenal de mesures liberticides et répressives, coma de l’État de droit, fermeture des frontières, bâillon sur la bouche, agonie de la liberté d’expression, censure, perte du lien social, avènement du tout-à-distance, mise à mort de la culture, pertes d’emplois, ruine matérielle et morale, mépris de la parole du citoyen, désinformation, propagande, etc. Ce tableau est celui d’une dérive qui va croissant. Mais de quelle nature est-elle ? Comment l’analyser ?

Plus qu’une dérive autoritaire ou totalitaire, il semble que notre situation ait toutes les caractéristiques d’une dérive sectaire. Une dérive sectaire dans laquelle nous nous serions, collectivement, laissé entraîner. Sa particularité ? En réalité, il n’y a pas de secte. C’est notre société tout entière qui s’intoxique, comme si elle était en passe de devenir une secte. [note]

Clivages et polarisation de l’opinion

Le propos n’est pas de dénoncer une quelconque intention délibérée de manipuler le monde qui aurait surgi à la faveur de la crise covid, ni une quelconque forme de préméditation, même si nous savons que des effets d’aubaine ont pu apparaître et qu’ils sont exploités. Inutile de soupçonner nos ministres et autres virologues d’appartenir à une mouvance douteuse, façon Moon ou Raël, qui nous voudrait du mal. Il n’y a pas de secte à proprement parler. [note] Mais il y a une dérive. Et au fil du temps, cette dérive présente de plus en plus les codes, les méthodes, les caractéristiques, d’un organisme sectaire. Dans cette spirale qui nous entraîne tous malgré nous, gouvernants et gouvernés, les rôles sont de plus en plus clivés : clivage structurel opposant dirigeants tout-puissants, autoritaires, dogmatiques [note] et citoyens impuissants réduits à une forme de servitude ; clivage moral également, entre « bons » citoyens adaptés, obéissants et soumis, d’un côté, et, de l’autre, « mauvais » citoyens exprimant des critiques, des attitudes ou des opinions divergentes, voire des protestations. Ces clivages, qui vont se renforçant, portent en eux bien des dangers : perte de diversité, polarisation de l’opinion, conformisme, repli identitaire, uniformité, pensée unique, incitation à la délation. Ils constituent l’un des symptômes d’un sectarisme en bonne voie d’installation.

Enfermement physique, psychique et social

Depuis un an, nous sommes enfermés. Enfermés dans un univers mental quasi entièrement focalisé sur le covid [note], confinés par épisodes, avec sorties contrôlées et restreintes, soumises à couvre-feu. Nous sommes enfermés dans des masques, qui nous privent d’une prise d’air correcte et pleine, de sourires, d’élans affectifs, de communication, d’information émotionnelle, d’empathie et d’une partie de notre champ visuel. Nous sommes enfermés dans des ‘bulles’ étanches, qui nous privent de nos amis, de nos parents, grands-parents, frères, sœurs, neveux, nièces et cousins, de nos collègues de travail et, bien entendu, de toute nouvelle rencontre. Nous sommes enfermés à l’intérieur des frontières de notre pays, sans pouvoir envisager le moindre voyage d’agrément. Nous sommes prisonniers. A tout cela, il faut bien le reconnaître, nous avons consenti : nous sommes entrés volontairement dans notre prison. Une situation qui renvoie à la définition même de la secte, dont la vocation, le but, le sens, est de se séparer, de vivre et faire vivre « à part », en proposant de « suivre ». Couper les liens existants, les références antérieures, rejeter le monde et en proposer un « meilleur ». Dans notre cas, haro sur le monde ancien, malpropre, déficitaire et indigent (en termes de sécurité sanitaire), place au nouveau, où nous allons « vaincre le virus ».

Pour « vaincre le virus », nous avons donc accepté de glisser progressivement dans un enfermement physique, psychique, affectif et social. Cet enfermement a généré un monde appauvri, ennuyeux, uniforme, prévisible. Nous voyons toujours les mêmes (rares) personnes. Nous sommes passés d’un univers ouvert, avec de multiples activités, une multitude de rencontres possibles, une multitude de projets possibles, à un univers verrouillé. La plupart des loisirs sont interdits, et même les simples réunions. Les gestes de chaleur humaine n’ont plus droit de cité. Une simple poignée de main est considérée comme dangereuse et passible d’amende. Ce sont les dirigeants qui disent qui vous pouvez fréquenter et à quel moment. Pour lutter contre un virus, nous avons accepté de stériliser nos vies et de les mettre sous tutelle.

« Nouvelle normalité »

Dans cet univers fragmenté, surveillé et contrôlé, règne la « nouvelle normalité ». Concept paradoxal (ce qui est « normal », donc usuel, installé, ne saurait être « nouveau »), jamais défini, jamais débattu, la « nouvelle normalité » est sortie du chapeau de quelques décideurs européens à l’été 2020 [note]. Récupéré immédiatement par nos ministres belges, le concept a atterri dans les « considérants » de l’Arrêté ministériel du 28 juillet 2020. Brandie au titre d’argument pour justifier la mise en place de nouvelles restrictions, la « nouvelle normalité » installe comme définitivement acquis les nouveaux codes, gestes-barrières, nouveau vocabulaire, nouveaux comportements et rituels covidiens. Elle nous est inculquée par la « nouvelle » rhétorique ertébéenne (dûment assortie du rituel incongru du port du masque en plateau) qui parle désormais du respect des « normes » sanitaires – c’est dire si la chose est bien intégrée. [note] « Nouvelle normalité » semble signifier que l’obligation de porter un masque est devenue « normale » (donc non discutable), que rester à 1m50 des personnes dans tout espace public est devenu « normal », que le télétravail est devenu « normal », que le couvre-feu est devenu « normal », et ainsi de suite. Ce concept sorti de nulle part, cet oxymore bizarre, dicte désormais l’organisation de nos vies et semble voué à les régenter durablement, sans que le moindre début de débat parlementaire n’ait été amorcé pour en définir la portée et l’adéquation.

Là aussi, nous sommes au cœur de la mécanique sectaire. Imposer une rupture avec tous les codes antérieurs, les habitudes, les comportements usuels, en instillant l’idée qu’ils sont désormais nocifs, mauvais, et contraindre chacun à en adopter de nouveaux pour les remplacer, c’est déstabiliser profondément les individus. C’est renverser le système de valeurs des personnes, les désorienter.

Cela permet de prendre le contrôle des consciences, de faire tomber les garde-fous émotionnels, de rendre les gens malléables. Quand on subit cette perte de repères, il est très difficile de conserver son libre-arbitre. Et on se trouve alors en situation d’emprise. Une personne qui se sent fragilisée, perdue, est prête à s’accrocher au premier repère venu pour se réorienter. Il est alors facile aux dirigeants de proposer des « solutions » qui seront perçues comme des rations de survie.[note]

Dans la secte covid, où un bisou n’est plus un geste de tendresse mais une « mise en danger de la vie d’autrui » et où une poignée de main est vue comme un « vecteur de contamination », on injecte des mantras. « Dans le strict respect des règles sanitaires » vous parasite le cerveau plus efficacement qu’une propagande chinoise de base. « Stay safe ». « Prenons soin de nos proches en gardant nos distances ». « Quand on aime ses proches, on ne s’approche pas trop ». Merci de parler couramment la novlangue covid et de maîtriser cas-contact, quarantaine-qui‑n’est-pas-la-même-chose-que-isolement, cluster, présentiel-distanciel, hybridation, PCR, PLF, lockdown et autres vaccins à ARN ou recombinants. Oubliez tout ce qui a précédé. Bienvenue dans la vie-covid, une vie ultra-balisée, en coupe réglée, tracée, cernée, où les rituels du quotidien sentent le gel hydroalcoolique, où l’on écrit « je t’embrasse » à toutes ses amies en bas de ses mails sans jamais plus pouvoir les embrasser, où les règles changent tout le temps, quand elles ne sont pas incohérentes ou absurdes, où la peur de la contamination est sans cesse entretenue et relancée, où la culpabilité dévore.

Contrôle et auto-contrôle

Le lavage de cerveau fonctionne tellement bien que le contrôle s’est mué en auto-contrôle. Nous avons intégré les codes, les gestes-barrières, que nous nous infligeons maintenant docilement à nous-mêmes. Nous réprimons tous nos élans. Nous vérifions cent fois que le masque est bien placé sur notre visage. Nous veillons à nous tenir à bonne distance des gens, à ne surtout pas les toucher. Nous nous lavons les mains jusqu’au coude à la moindre occasion. Et cette auto-censure dévore, à chaque minute de notre journée, énergie, confiance en soi, confiance en autrui, confiance en la vie, joie de vivre. C’est cela, la véritable sujétion. Quand le discours dominant est intégré à l’intérieur du dominé. Quand on devient soi-même son propre surveillant, son propre oppresseur, son propre « Big Brother ». Quand l’individualité est terrassée, quand le sens critique est étouffé, quand le cœur et la pensée sont envahis, phagocytés, par des injonctions. Il y a alors risque d’altération de la personnalité, risque de perte de contact avec la réalité du monde, parce que c’est l’idéologie sectaire qui la remplace. [note] Le contexte covid nous tient actuellement lieu de « monde ». Nous mangeons covid, nous respirons covid, nous travaillons covid, nous dormons covid. La coupure avec la famille, les amis, rend plus vulnérable, l’isolement renforce les angoisses : nous sommes comme immergés.

Dynamique sacrificielle

Caractéristique également du fonctionnement sectaire, une dynamique sacrificielle se met en place. [note] Au début, ce sont de petits sacrifices, qui peuvent paraître anodins. Ne plus se serrer la main : soit… Ensuite viennent des sacrifices un peu plus importants. Porter un masque, ne plus sortir le soir, ne plus faire de sport, ne plus organiser de dîners entre amis, etc. Les sacrifices s’additionnant

aux sacrifices, de nouvelles mesures venant régulièrement en exiger de nouveaux, c’est finalement toute notre vie qui se trouve sacrifiée. Au nom de la lutte biologique contre le virus – la seule qui semble désormais prévaloir –, l’essentiel de ce à quoi nous tenons a été sacrifié sur l’autel covid. Et nous persistons à croire que nous sommes sur la bonne voie, et que tout va finir par s’arranger, parce que nous croyons « agir pour la bonne cause » — un levier puissant utilisé dans les sectes pour neutraliser les doutes des adeptes et obtenir une transformation psychique durable. [note] Nous sentons bien, pourtant, que « quelque chose ne va pas ». Mais nous repoussons toujours le moment de dire non. Nous voulons « tenir encore », « essayer encore ». On nous a prédit une telle apocalypse virale en cas de « relâchement » que nous sommes prêts à tout pour l’éviter. Une telle cause, pensons-nous, vaut bien des sacrifices et un effort de « civisme ». Nous voulons garder notre loyauté au groupe et aux dirigeants, soutenir les autres à toute force, les protéger ; surtout pas les trahir, surtout pas les mettre en danger. Nous voulons « prendre soin de nos proches ». Nous voulons être généreux et solidaires.

A cet égard, le slogan « une équipe de 11 millions » inventé par le gouvernement, est particulièrement retors. Pervers même. Un concentré de codes sectaires.

Comment dire qu’on ne veut pas « être dans l’équipe » ? Tout le monde veut être dans l’équipe. Tout le monde veut se rendre utile, participer, être reconnu, avoir une place dans le groupe. Qui aurait envie d’être le paria, le marginal, l’incivique ? Mais comment se sentir en adhésion avec une « équipe » si on ne peut pas la choisir ? Comment se sentir intégré si toutes les conditions d’adhésion sont imposées, forcées, sans que nous ayons voix au chapitre ? Une adhésion qui repose sur la peur et la contrainte ne peut être une réelle adhésion, pleine et constructive. Ce slogan est aussi une manière de suggérer sournoisement que nous n’en faisons pas assez. Jamais assez. Nous ne la jouons pas assez collectif. Nous devrions faire des efforts en ce sens. Toujours plus d’efforts. Et si ça ne marche pas, s’il y a un regain de l’épidémie, c’est que nos efforts n’auront pas été suffisants, évidemment. Que « l’équipe » aura manqué d’implication. Mais comment nos ministres osent-ils en appeler à notre « esprit d’équipe » alors que dans le même temps ils nous empêchent radicalement de faire équipe les uns avec les autres ? S’ils nous forcent à nous isoler dans des « bulles de un », en nous coupant de nos familles, de nos amis, de nos liens professionnels ? S’ils nous imposent un « tout sans-contact » qui représente un démaillage complet de notre vie sociale ? Comment cela serait-il possible ? Nous nous trouvons là dans une situation d’injonction paradoxale (soyez solidaires en vous écartant les uns des autres), une situation de « double lien » qui réduit chacun de nous à l’impuissance et dont le potentiel destructeur est bien documenté par les professionnels de la santé mentale. [note]

Logique d’asservissement et de dépendance

Par ailleurs, faut-il rappeler encore que « vaincre le virus » ne saurait être un objectif atteignable ? C’est un leurre. Un mirage qu’on ne cesse d’agiter devant nos yeux affamés. Il ne faut pas être un grand scientifique pour se rendre compte qu’il est irréaliste de chercher à se rendre maître d’un virus qui n’en finit pas de muter. Et en imaginant même que le Sars-Cov2 et ses nombreux variants se fatiguent et se rendorment, on sait bien que d’autres virus surgiront, comme c’est le cas chaque année, depuis des lustres. Dès lors, annoncer comme objectif de « vaincre », c’est nous entraîner, selon les mots de François Gémenne et Olivier Servais, dans la « chimère destructrice » que représente « la tyrannie du risque zéro ». [note] Persister dans cette voie, en continuant à affirmer que le vaccin « est la seule solution » et que ce vaccin nous permettra de « vaincre le virus », comme le répètent à l’envi nos ministres, c’est persister dans un mensonge qui nous garde prisonniers d’une logique d’asservissement et de dépendance.

Embrigadés dans la secte covid, nous avons tendance à nous résigner. Nous subissons une telle érosion de nos libertés que nous ne nous autorisons même plus à penser à ce qui est « essentiel » ou « non essentiel » pour nous et à le dire. Las, déprimés, dépassés, nous finissons par accepter qu’un autre le pense et le dise à notre place. Nous acceptons des dogmes, comme celui de la stratégie vaccinale « seule issue possible » [note]. Et nous perdons notre liberté de pensée. Les médecins eux-mêmes reçoivent des consignes du Conseil de l’Ordre et sont menacés de sanctions s’ils expriment des doutes. [note] Comme si leur liberté de conscience n’existait plus. Comme si leur art ne devait plus se nourrir de conscience mais de règlements. Hippocrate aurait à coup sûr des choses à en dire. Certains ont déjà été sanctionnés pour s’être exprimés de façon divergente. [note] Alors que la gestion de l’épidémie pourrait faire l’objet de plusieurs autres pistes sérieuses, celles-ci sont retoquées a priori. Aucune autre option n’est plus audible, visible, questionnable – ni même pensable. Pour les dirigeants-gourous, il est facile, quand on a mis toute une population aux abois, de se présenter comme le « grand-vaccinateur-sauveur ». Facile d’éteindre d’un coup de manche culpabilisateur les braises d’esprit critique qui survivaient vaille que vaille. Avec quelles conséquences ? Dans ce monde devenu sectaire, nous ne pouvons plus donner au vaccin notre choix, sous la forme d’un consentement libre et éclairé. Le nom donné par le gouvernement au site « d’information » sur les vaccins parle de lui-même : « jemevaccine.be » ! Si « l’information » n’a plus rien d’objectif, si elle se mue en une « sensibilisation orientée », elle devient désinformation et endoctrinement.

Quant à l’éventualité de la mise en application d’un passeport vaccinal qui nous ouvrirait les portes des salles de spectacles et des restaurants, elle signifie non seulement la ruine de la liberté vaccinale mais aussi, pour nous et pour toutes les générations à venir, une liberté conditionnelle permanente. Voir notre vie sociale conditionnée à un QR code, comme en Chine, où « vacciné » (code vert) signifie « bon citoyen », avec vie sociale illimitée et accès autorisés et où « non vacciné » (code rouge) signifie « mauvais citoyen », avec vie sociale limitée et accès refusés, revient à faire vivre tout le monde (« bons » et « mauvais ») sous bracelet électronique. Sans liberté vaccinale réelle, sans ouverture à d’autres pistes de gestion de l’épidémie, sans débat citoyen, nous ne sortirons pas de la dépendance sectaire où la politique sanitaire anti-covid nous a maintenant installés.

« Manger avec ses collègues est dangereux »

Dans l’intégrisme covidien sans nuances, qui progresse, les messages se font de jour en jour plus radicaux. Toute vie culturelle est abolie. A Bruxelles, il est interdit de se promener seul dans une rue, même déserte, à visage découvert. « Manger avec ses collègues est dangereux » annoncent en grandes lettres les écrans informatifs d’un hôpital bruxellois. Faut-il y lire la condamnation péremptoire et définitive de toute vie sociale ? Certes, casser la croûte avec ses collègues sur le temps de midi peut, éventuellement, être source de contaminations diverses. Cela a toujours été le cas. Il n’y a là rien de nouveau. Et la vigilance et la prudence sont des vertus que personne ne songera à récuser. Mais manger avec ses collègues, n’est-ce pas d’abord et avant tout, du partage, de la détente, de la proximité, de l’échange, de la découverte de l’autre, du plaisir, de la convivialité, de l’enrichissement ? N’est-ce pas nécessaire et essentiel pour développer des relations professionnelles humaines, empathiques, agréables et gratifiantes ? N’est-ce pas une façon, justement, d’être civique et solidaire ? Hélas, force est de constater que dans l’idéologie covid, tout cela est simplement renversé et nié.

Reprendre la main

Signe inquiétant, comme le héros Winston de « 1984 », certains de nos concitoyens commencent à pratiquer la double-pensée. Extérieurement, ils paraissent lisses et adoptent le comportement du parfait citoyen covidien « dans le strict respect des règles sanitaires ». Intérieurement, c’est tout autre chose. Peut-être, comme Winston qui griffonne des « à bas Big Brother » rageurs dans son journal intime en se cachant des télécrans, peut-être éprouvent-ils le besoin, eux aussi, de dire ou d’écrire, dans le secret, tout le mal qu’ils pensent de cette politique sanitaire. Allons-nous continuer comme cela, jusqu’à nous exposer plus tard, comme Winston, à la répression menée par la Police de la Pensée ? Si nous voulons sortir de la mécanique sectaire, il est nécessaire que toutes nos réflexions sur ces questions, toutes nos critiques, soient exprimées à haute et claire voix. Il est nécessaire que tout doute soit pris en compte, manifesté et reconnu. Il est nécessaire que tout débat puisse avoir lieu au grand jour. Et que chacun puisse dire, sans peur, ce qu’il a à dire. Nous pouvons revendiquer cela, légitimement. Nous pouvons reprendre la main. Nous pouvons exiger d’être rétablis dans nos droits fondamentaux, dans notre dignité, dans notre puissance de citoyens libres et agissants, dans un pays libre.

Ne laissons pas notre démocratie chanceler davantage. Soutenons-la. Restaurons-la.

Sortons de la secte.[note]

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La « Zad » de Notre-Dame-des-Landes

Voici la description provisoire d’un lieu social qui tente de sortir des impasses du capitalisme industriel et d’échapper à ses effondrements. Ce lieu est la « zad » située dans le bocage de Notre-Dame-des-Landes, à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Nantes. C’est dans ce bocage que, depuis une quarantaine d’années, les divers gouvernements français ont tenté d’imposer un aéroport plus grand que le premier (« Nantes-Atlantique »). Mais « échapper à l’effondrement » est un peu abstrait. C’est pourquoi un habitant du bocage précise qu’au-delà de cet aspect, il y a des désirs concrets et sensibles : « C’est aussi, dit-il, l’envie de sortir d’une vie trop étriquée pour être exaltante, de rompre avec un chemin de vie trop individuel et solitaire pour n’être pas pathologique, d’échapper au travail en entreprise dans les valeurs duquel et de laquelle on ne se reconnaît pas. C’est enfin l’envie que naisse quelque chose de nouveau, porté par une force populaire bien plus large et bien plus forte que nous ». Le bocage « nantais » ou « libertaire » (je le nommerai ainsi désormais) est-il une société autre ? Une société d’après ? Pour une caractérisation rapide, je dirai qu’on est dans un lieu en véritable transition : on vit autrement que dans nos villes et que dans nos campagnes. La différence y est très sensible, bien qu’on y observe d’inévitables « reliquats » de capitalisme industriel (le bocage libertaire n’est ni hors-sol ni hors-temps). Le présent récit est surtout une description ethnographique provisoire, à laquelle s’ajoutent ici et là des éléments minimaux d’analyse anthropologique.

QUELQUES PRÉCAUTIONS PRÉALABLES

À toutes fins utiles, je rappelle et j’insiste : il existe déjà un aéroport « historique » au sud de Nantes (« Nantes-Atlantique »), et pour les gouvernements successifs il s’agissait de construire, dans le bocage, un aéroport plus grand.

En général les mots qu’on utilise aujourd’hui sont importants parce qu’ils essaient soit d’exprimer une vérité-réalité (et alors ils composent une langue), soit de la masquer (et alors ils composent une novlangue). La question se pose d’emblée pour la « zad ». À partir de maintenant, je ne dirai plus « zad » (« Zone d’Aménagement Différé », sigle-novlangue de la technocratie étatique et entrepreneuriale, sigle que les résistants ont inversé en « Zone À Défendre » au cours du combat contre l’aéroport). Je ne dirai plus « zad » car une partie des bocagers, je crois, souhaite abandonner le mot. Il faut dire que désormais la zone est non plus à défendre, mais à habiter. (Tout cela ne veut pas dire que les résistants nantais n’aient pas aimé le mot de « Zone À Défendre » et la chose qu’il désignait). À la place de « zad », je dirai « bocage » ou j’userai de tout autre mot non technocratique. De même, je ne parlerai plus des « zadistes », mais des « résistants » ou des « habitants », des « libertaires », des « écolo-libertaires », ou j’utiliserai toute autre appellation adéquate. Il importe ici de ne pas présupposer que les résistants forment un groupe homogène, uniformément écologiste. Que d’aucuns aient cette sensibilité au départ est certain. Mais beaucoup d’autres viennent d’horizons différents : lutte prolétarienne, combat pour les libertés et les services publics, solidarité avec les  migrants,  anti-autoritarisme  et  autogestion, mouvement squat, etc. Puis, à la faveur du combat contre l’aéroport, combat aux résonances évidemment écologistes, des influences réciproques se sont exercées, et des convergences ont eu lieu qui ont incité à la prise en compte de ces enjeux.

Les gens du bocage sont souvent qualifiés d’anarchistes et parfois ils se disent tels (dans certaines de leurs toilettes sèches, on lit l’inscription humoristique : « l’anarchie dans la sciure »). Pour ma part, je ne reprendrai pas le mot d’anarchie car il a tant de significations et recouvre tant de tendances politiques différentes qu’il est difficile de s’y retrouver (quand le mot ne veut pas dire simplement : chaos, bazar, anomie…). Je dirai plutôt libertaire, car les gens du bocage pratiquent des valeurs de liberté commune, active et concrète : liberté d’agir en commun, solidarité, entraide et co-activité quotidiennes, non-centralité de la propriété et de l’argent, priorité de l’usage sur la propriété, autonomie active (indépendance à l’égard de l’État souverain et de l’Entreprise), activité autonome réelle (et non pas cette passivité déguisée en activité qui caractérise le salariat et dans laquelle le salarié, soumis à un manager-président, étatique ou privé, est plus passif qu’actif car une bonne partie de son « activité » obéit aux objectifs de la technostructure managériale de l’État absolu et de l’Entreprise). À tout cela on ajoutera : absence de hiérarchie personnelle, donc égalité pratique et concrète, refus d’une autorité verticale instituée en système, acceptation, semble-t-il, d’une verticalité de « la signification imaginaire sociale » (Castoriadis), ce qui veut dire : chacun obéit à la Loi symbolique (ou « signification imaginaire ») que les membres de la communauté politique ont placée au-dessus de leur tête, signification imaginaire qui tient en quelques mots : « liberté active, fraternité pratique, autonomie concrète de la communauté et des individus ».

Faute de place, je n’insisterai pas longuement sur un aspect anthropologique important : la sacralité politique. Mais l’importance de ce point exige que, même dans l’espace étroit de cette description, on en dise quelques mots – à commencer par ceci : le sacré n’est pas le religieux ou le divin. Le bocage nantais est une région de sacralité politique, au sens où le sacré qui caractérise la plupart des sociétés humaines avant la révolution capitaliste-industrielle du XVIIIe siècle est précisément détruit par ladite révolution industrielle. Raison pour laquelle Marx, dans Le Manifeste, parle justement de la bourgeoisie comme d’une force de désacralisation. Définition : le sacré (en grec : hieros = sacré et fort, robuste, vigoureux) c’est la puissance commune qui monte d’en bas, du peuple, et qui place au-dessus des individus des significations imaginaires sociales, en l’occurrence des valeurs d’autonomie commune qui viennent de leurs interrelations (selon un processus qui n’est donc ni une intériorité individuelle plate, ni une extériorité tombant du ciel, mais une intériorité relationnelle qui monte en supériorité). Le sacré va de pair avec ce que, dans son petit livre sur Le sacré et la personne, Simone Weil appelle le « commun » ou l’« impersonnel ». Les valeurs concrètes de la communauté impersonnelle (liberté commune de débattre et décider, égalité, autonomie, entraide) sont sacrées au sens anthropologique du mot, c’est-à-dire inconditionnelles, supérieures aux individus qu’elles constituent pourtant de l’intérieur. C’est parce qu’il y a dans le bocage une hiérarchie impersonnelle (la Valeur impersonnelle « Égalité-Liberté active » domine la communauté des personnes) qu’il n’y a pas de hiérarchie des personnes (inégalité) et qu’il n’y a pas de contradiction fondamentale entre les valeurs communes et les individus qui les pratiquent.

En cela, le sacré s’oppose au divin (ou au religieux) qui naît avec les trois monothéismes, et surtout avec le christianisme pontifical au XIe siècle : le divin, y compris sous sa forme sécularisée qu’est le capitalisme, est une puissance qui descend d’en haut sur le peuple (puissance multiple : Dieu, l’État, le Capital, la Technoscience). Le PDG de la banque Goldmann Sachs disait récemment à un journaliste : « Je suis un banquier qui fait le travail de Dieu » (« doing God’s work »). On comprend mieux ici en quoi c’est le Dieu capitaliste ou industriel qui désacralise les hommes et la société. À l’inverse, il semble que le mouvement initié par les bocagers tende à re-sacraliser la société et les hommes. Sacralité bien sûr non pas religieuse, mais politique, puisque les pratiques communes ne sont pas gravées dans le marbre une fois pour toutes, mais toujours offertes au débat et à la discussion. Durkheim écrit dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse : « Il y a, tout au moins, un principe que les peuples les plus épris de libre examen tendent à mettre au-dessus de la discussion et à regarder comme intangible, c’est-à-dire comme sacré : c’est le principe même du libre examen. ».

De façon générale, par la suite, j’utiliserai le mot État dans un sens apparenté au premier sens que lui donne le philosophe italien Gramsci. Ce premier sens (selon une vision gramscienne un peu réorientée ici) c’est l’État comme gouvernement, comme Souverain absolu, donc réellement ou potentiellement autoritaire ou totalitaire. (Il y a un second sens, c’est l’État comme instrument de coordination administrative et sociale, mais ce n’est pas de cet État-là dont il est question par la suite. Il sera seulement question du Souverain absolu, historiquement hérité de la réforme grégorienne de l’Église au XIe siècle, et de la monarchie absolue de l’âge classique. Quand l’État est souverain, c’est que le peuple ne l’est pas. C’est par exemple le Souverain absolu qui décrète l’état d’urgence, sanitaire, policier ou militaire.)

Je ne peux pas relater ici l’ensemble de ce que j’ai observé au cours de mon séjour, car j’ai vu parfois des choses (pas graves à vrai dire, mais) qui sont aux confins de la légalité injuste de la société industrielle ; les raconter serait donc exposer les libertaires du bocage au risque de rétorsions judiciaires et/ou policières. Or l’ethnographie, même en cette version minimale pratiquée ici, n’est pas une activité de mouchardage. N’oublions pas qu’en société industrielle, le Droit est d’abord le bras armé de l’Économie (de l’Industrie, du Capital ou de l’Entreprise) au service de laquelle travaille l’État souverain. En l’occurrence l’État souverain avait prévu de confier la construction, l’exploitation et les bénéfices du nouvel aéroport à l’entreprise de BTP Vinci.Pour bien faire, et pour bien comprendre la période présente, il faudrait relater le passé récent du bocage, qui est une histoire de résistance à la volonté d’hégémonie de l’industrie bétonneuse sur les hommes et sur les terres paysannes. Il serait trop long de raconter ce passé. Mais il faut savoir que les occupants locaux ont vécu la guerre. Guerre menée par l’État souverain dans le but non pas certes de tuer, mais quand même d’évincer et de blesser les gens. Les photos de blindés lance-grenades dans le bocage sont impressionnantes. On se rappellera aussi que, pendant le combat contre l’aéroport, le collectif des résistants avait sa propre ambulance, car il n’était pas rare qu’en cas de blessure des manifestants, les « forces de l’ordre » retardent l’arrivée des secours afin de désespérer physiquement et moralement le mouvement de résistance.

PRÉSENTATION MINIMALE DU BOCAGE

Géographie physique : le bocage libertaire est une toute petite région située à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Nantes. Cette région a la forme allongée d’une amande. L’amande bocagère fait environ 8 kilomètres de long (d’est en ouest) et environ 2 kilomètres dans sa plus grande largeur (du nord au sud). Au nord on trouve le bourg lui-même de Notre-Dame-desLandes (là-bas on ne dit pas « village », mais « bourg »). Au sud se trouvent trois autres bourgs : Temple-de-Bretagne, Vigneux-deBretagne et La Paquelais. Le bocage est un bel ensemble de prés, de bois, de chemins et sentiers, de mares, de haies, de champs où l’on aperçoit beaucoup d’oiseaux divers, des chevreuils, des grenouilles, etc. Mais attention aux illusions : cette nature est loin d’être sauvage, elle est fortement anthropisée : elle est une culture. Ce qui ne l’empêche pas d’être belle. Au demeurant, les libertaires ne se bercent pas de l’illusion sauvage qui voudrait que la nature doive être un sanctuaire auquel on ne touche pas. Et surtout : ils s’opposent aux fantasmes de « solutions » écologiques qui ne remettraient pas en cause le capitalisme, l’industrialisation et le « développement » — lesdites « solutions » nourrissant l’idée que la sanctuarisation des 1.600 hectares du bocage permettrait d’accepter qu’en dehors du bocage, les gens continuent à se rendre dépendants de la sphère marchande et industrielle. Les bocagers, eux, estiment se situer entre la sanctuarisation et l’industrialisation. Ils semblent par exemple se réclamer d’une sylviculture paysanne et non industrielle. L’avenir de la forêt locale dira peut-être si leur sentiment correspond à la réalité.

Géographie politique : Physiquement toute petite, cette région est symboliquement (politiquement) d’une importance immense. Sauf erreur de ma part, on peut estimer le nombre des habitants écolo-libertaires à 150–200 environ. Ce qui est peu. Mais rappelons qu’aux temps forts de la lutte contre l’aéroport de l’État-Vinci les manifestations nantaises et bretonnes ont pu regrouper 50.000 personnes ! Personnes venues parfois de toute la France et parfois de plusieurs pays étrangers. D’ailleurs, les libertaires bocagers sont en relation internationale suivie avec d’autres régions du monde : Italiens du Val de Susa, habitants du Chiapas mexicain, Rojava kurde… et aussi avec un collectif écologiste anglais qui combat la création d’une troisième piste d’aéroport à Londres, etc. Donc pas de repli localiste ou nationaliste chez les bocagers. D’une façon générale, on peut considérer que ces 150–200 écolo-libertaires sont les « enfants » des dizaines de milliers de personnes qui ont manifesté plus ou moins régulièrement pendant des années contre le projet d’aéroport. Autrement dit, les 150–200 condensent en eux-mêmes les forces sociales du peuple actif qui, en s’opposant au projet d’aéroport, a conduit en janvier 2018 à la défaite de l’État-Vinci et à la victoire des libertaires sur lui… Victoire qu’il faut ajouter à la celle du Larzac en 1981, à celle qui fut remportée, la même année, contre le projet de centrale nucléaire de Plogoff (Finistère), puis à celle qui signa, en 1997, l’abandon d’une autre usine nucléaire au Carnet (Loire-Atlantique). Dans le sillage de la victoire de Notre-Dame-des-Landes il y a aussi des victoires plus discrètes mais non moins significatives : celle des habitants de Roybon en Isère contre le projet de Center Parcs de l’Entreprise touristico-industrielle Pierre et Vacances, et encore la victoire du quartier maraîcher des Lentillères de Dijon, contre un projet immobilier d’éco-quartier élaboré par la mairie.

Marc Weinstein,à suivre sur notre site…

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De la démocratie en Numérique

Ces dernières années, la critique du numérique a émergé comme grand sujet de préoccupation populaire. La domination planétaire des GAFAM, les délires transhumanistes toujours plus inquiétants, l’apparition de figures aussi clivantes qu’un Elon Musk et le sentiment largement partagé des ravages de l’addiction aux écrans, participent de cette prise de conscience. Mais face à ce constat accablant, les réponses sont souvent désordonnées, sectorielles, partielles. Les enseignants luttent contre l’école numérique, les paysans contre l’agriculture connectée, les employés du secteur logistique contre les systèmes à commande vocale et les alternuméristes contre l’hégémonie des géants de la Silicon Valley.

Pourtant, au même titre que la temporalité de la « fabrique des lois » ne permet même pas une régulation par le Droit des pires dérives du numérique, l’indignation a aussi un temps de retard sur l’ampleur du sinistre. Qu’il s’agisse de temps d’écran choisi (usages de loisirs) ou de temps d’écran contraint (au travail ou dans les relations avec les administrations), l’ampleur des dégâts est toujours sous-estimée. Les usages nouveaux apparaissent à un rythme démentiel, et bien qu’étant en quelque sorte « spécialisé » sur ce sujet et côtoyant quotidiennement de jeunes étudiants rivalisant en intensité d’aliénation, je me sens souvent largué. C’est tout simplement ingérable, les assauts du numérique sont trop nombreux et tous azimuts, ses promoteurs infiniment plus riches et plus puissants que nous. Il devient donc absolument nécessaire, vital, de s’en préserver, de protéger aussi les plus jeunes. Mais le déferlement est tel, que nos luttes en sont réduites à n’être que défensives, et que nous les perdons toutes.

Face à ça, la tentation est grande d’adopter la tactique du petit colibri. Se déconnecter soi-même, composer individuellement avec la technologie. Décider d’en adopter certaines, d’en refuser d’autres, puis faire la leçon autour de soi, je me passe de téléphone portable, c’est donc que tout un chacun peut faire de même… Ça a longtemps été mon cas, jusqu’à devoir chercher du travail. Refuser le GPS me place régulièrement dans la situation ridicule de demander mon chemin à un passant, qui immédiatement consulte son smartphone pour m’indiquer la direction. Refuser les messageries du type Whatsapp creuse le fossé avec nombre de mes amis. Chaque refus individuel nous place toujours un peu plus en marge de la société et la question devient rapidement « Quel degré de marginalité suis-je prêt à assumer ? » Or, je veux vivre dans la société, et suis donc condamné à adopter les technologies avec 10 ans de retard, mais à finir par les adopter quand même, une fois consacré leur statut de monopole radical.

L’autre option serait de militer pour des alternatives libres. Remplacer Windows par Linux, Whatsapp par Signal, Twitter par Mastodon, utiliser un smartphone équitable avec une coque en bambou issue d’une forêt durablement gérée… Mais fondamentalement, cela changerait-il quelque chose ? Remplacer Google Maps ou Waze comme service de GPS, par une alternative libre, basée sur les cartes collaboratives OpenStreetMap, cela limiterait-il l’aliénation de mon sens de l’orientation à la machine ? Cela m’émanciperait-il du réseau de satellites et de l’industrie spatiale, indispensables pour me localiser ? Utiliser un logiciel libre comme Moodle pour les cours en ligne, encore mieux fichu que ses concurrents payants, développer moi-même les modules manquants et les proposer à « la communauté », cela ne reviendrait-il pas à encourager le déploiement du « distanciel » ? Et cela changerait-il quoi que ce soit pour mes élèves décrocheurs, dépressifs, usés et désocialisés par le chacun chez soi ? Non, l’alternative à Zoom n’est pas son clone sous licence libre, c’est une salle de classe ! L’alternative aux soirées Youtube, ce n’est pas les soirées Peertube, mais les soirées chez les potes !

Alors on conteste plus globalement. Chacun dans son secteur, on s’oppose, on freine, on sabote. A l’école, on tente de contrer les tentatives d’imposition des tablettes, des tableaux numériques, des cours sur ordinateur. On y fait face à un pouvoir dogmatique, persuadé du bien fondé d’outils répondant à des besoins qui ne s’étaient jamais exprimés. C’est grotesque, chaque grand plan d’informatisation de l’école se solde par un échec retentissant, et seul l’acharnement obsessionnel de ses promoteurs entretient le mythe que le prochain plan sera le bon. Mais ensuite que se passe-t-il au lycée, dans l’enseignement professionnel ou à l’université ? Quand les enseignants préparent à l’exercice d’un métier qui lui, aura obligatoirement une composante numérique ? Quand il s’agit de former des citoyens aptes au minimum d’interactions avec des administrations dont les guichets sont déjà dématérialisés ? L’enseignant pourrait-il, en conscience, condamner ses étudiants au chômage, à la marginalité ? L’école pourrait-elle rester une citadelle inexpugnable, protégée du numérique, au milieu d’un océan d’ordinateurs, de smartphones et de tablettes ?

Évidemment, mon propos n’est absolument pas d’appeler à l’arrêt des luttes contre l’imposition des technologies numériques à l’école, dans les loisirs, dans l’agriculture ou ailleurs. Bien au contraire ! Ces combats sectoriels, bien qu’insuffisants, sont absolument indispensables.

Alors, la convergence des luttes ? Une grande manifestation regroupant tous les opposants à la numérisation de leur secteur ? Ou alors, s’attaquer aux réseaux qui permettent techniquement à tous ces gadgets de fonctionner ?

Plutôt changer de perspective, cesser de se représenter l’évolution technologique comme une succession de ruptures, la replacer dans sa continuité, depuis la mécanisation, l’automatisation. Exposer ses grandes tendances : le remplacement de la main‑d’œuvre humaine, la compression des coûts, les logiques de contrôle, la normalisation, la quantification, la calculabilité… Identifier les verrous qui empêchent de s’en passer : la compétition économique généralisée qui condamne toute tentative de faire autrement, soit à l’échec, soit à la « réserve d’indiens ». Et dans le meilleur des cas, la contraint à grenouiller dans son marché de niche pour consomm’acteurs éco-responsables : d’éducation, d’alimentation ou de loisirs.

Replacer l’évolution technologique dans sa continuité, c’est voir que la numérisation du monde est à l’œuvre depuis plus de 50 ans. C’est tirer le constat que les dégâts sont déjà énormes, que si le temps passé devant les écrans a clairement augmenté, la situation avant l’arrivée d’internet était déjà désastreuse. Il faut nous rendre à l’évidence, le numérique est tellement enraciné, tellement omniprésent dans nos sociétés, que nous ne pouvons plus faire sans, dans le cadre actuel, avec ses « règles du jeu » et à moyens humains et financiers constants.

Pour inverser le déferlement des écrans, il nous faut oser penser une société en décroissance numérique. Il ne s’agit même pas d’imaginer la vie avant la révolution industrielle ou au temps des chasseurs-cueilleurs, mais déjà se demander « comment faisions-nous il y a 10 ans ? » et « comment en sommes-nous arrivés là ? ». Sortir avant tout des faux problèmes qui imposent l’ordinateur comme unique solution et laissent comme parodie de choix, d’être aliéné à un logiciel libre ou propriétaire; oser regarder l’organisation de la société, en amont des écrans. Comprendre que les bases de données ne sont que l’aboutissement de processus bureaucratiques où la masse d’informations est telle que seule une machine peut la digérer.

Ne pas se fier aux experts, aussi bien intentionnés, libres, éthiques et ouverts qu’ils soient. Remettre de l’humain, de la nuance, du sensible, partout où règnent les algorithmes. Réfléchir, discuter, débattre, délibérer. Inventer de nouvelles formes d’organisation où la machine n’aura pas sa place. Affronter la technocratie avec la seule arme qui fonctionne : plus de démocratie.

Nicolas Alep

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Les jeunes : les « gueules cassées » de la crise sanitaire

2019 : des milliers de jeunes battaient le pavé, réclamant des mesures robustes pour sortir de l’emballement climatique, qu’ils allaient subir de plein fouet. Des jeunes « plus chauds que le climat », la rage au ventre, protestant contre l’inertie étatique, organisant des grèves scolaires hebdomadaires pour qu’on les entende. Grâce à leur mobilisation, jamais la prise de conscience de l’urgence climatique n’a été aussi forte. Elle a infléchi le cours politique.Hier encore, les jeunes incarnaient cette génération pleine d’espoir. Aujourd’hui, assignés à résidence, ils sont la génération sacrifiée. Les « Greta Thunberg » et autres figures de proue estudiantines ont largement été réduits au silence. Un confinement qui s’éternise depuis des mois : c’est non seulement l’interdiction de se rassembler, de s’organiser. C’est l’éteignoir, le couvercle qui étouffe insidieusement leur rage de vivre, leur désir ardent de changement. Les jeunes sont devenus les sans-voix. Ils souffrent en silence.

De mois en mois, les tours de vis se succèdent : (re)confinement, port du masque généralisé en tout lieu, instauration d’un couvre-feu, bulle de 1 personne par foyer, renchérissement des sanctions administratives, et à présent, depuis l’annonce du comité de concertation de ce 22 janvier, interdiction de voyager… Pour les secteurs Horeca, culturel et de la jeunesse notamment, chaque réunion de concertation s’apparente au supplice du pal. Strictement aucun horizon ne leur est offert. Le discours politique se calque sur celui des virologues, dans un étrange mimétisme. Sans prendre la mesure de la violence psychologique qu’ils font subir à la population, aux « non-essentiels » qui plongent dans la pauvreté, la colère ou la déprime.

LES VIROLOGUES N’ONT PAS LE MONOPOLE DE LA SANTÉ

Que les virologues appréhendent la santé sous l’angle restrictif du virus n’a pas lieu de surprendre. C’est leur domaine d’expertise. Mais au motif qu’il faille gagner la guerre contre le Covid-19, ils en oublient que l’humain ne se réduit pas à être un « virus sur patte ». La santé est, par essence, multidimensionnelle. Une armada de professions médicales, dont les experts en santé mentale, y travaille. Toutefois, ils ne sont pas sous les feux de la rampe. Que disent-ils ? Ils tirent la sonnette d’alarme…

Dans une étude publiée le 30 novembre dernier, des professionnels en psychologie, psychanalyse, pédiatrie et pédopsychiatrie dressaient notamment un constat terrifiant des dégâts infligés par la politique sanitaire sur les enfants[note]. Un traumatisme qui provient d’une inversion des rôles : des adultes infantilisés par l’État et des enfants traités comme des adultes auxquels l’on supprime la joie de vivre, les loisirs, la socialisation, la tendresse. Repli sur soi, régression des apprentissages, un rapport terrorisé au corps et au vivant, de graves perturbations dans le vivre-ensemble et la socialisation. La communication, et ses subtilités non-verbales, sont mutilées par le masque, le réconfort, par le toucher, est réprimé, etc. Pour certains, l’école est désormais vécue sur un mode phobique. « Elle n’est plus le lieu de l’apprentissage de la socialisation, mais celui de l’apprentissage de la distanciation sociale. Elle n’est plus le lieu du vivre-ensemble, mais celui du marquage de la méfiance de tous contre tous »[note].

Pour nos ados également, on leur supprime la projection confiante dans la vie. La démotivation, la baisse d’énergie, le décrochage scolaire les rongent, notamment ceux qui doivent faire face à des difficultés financières. Les activités sportives, artistiques et culturelles, comme gage d’émancipation, ont cédé la place aux écrans, à l’isolement social. Cloîtrés, masqués, culpabilisés, leur chambre s’est insidieusement muée en univers carcéral, où s’invite la peur.

Dans cet état de fait, le gouvernement a une lourde responsabilité. De façon symptomatique, « dangereux » est le terme choisi par le Premier ministre Alexander De Croo, le 18 novembre dernier, pour justifier l’application de la règle « une personne par foyer » à Noël : « Nous serons encore dangereux les uns par rapport aux autres[note] ». Le choix des mots vaut son pesant d’or. « Dangereux » ou l’effet repoussoir. L’autre est un ennemi potentiel dont chacun doit se méfier. Il s’inscrit dans la logique « Nous sommes en guerre » du président Macron. Une rhétorique qui aura permis de ressusciter la pratique de la délation, un moyen commode pour prêter bénévolement main forte à la police dans l’application des mesures coercitives.

La question est : quel conditionnement de terreur et d’impuissance souhaite-t-on imprégner dans le psychisme des enfants, qui sont de véritables éponges de nos émotions, et des ados, chez qui l’« éco-anxiété » fait déjà des ravages et pour qui le besoin de fuir le cocon familial et de se frotter au monde extérieur est vital ?

À ce sujet, les experts affirment, dans un article paru dans The Lancet, « Child & Adolescent health », que les interactions sociales font partie des besoins de base des enfants et des adolescents, tout comme le besoin fondamental de manger ou dormir[note]. Autrement dit, « des besoins essentiels », dont la privation renouvelée oblige nos jeunes à vivre durablement en apnée…

Au nom d’une prudence extrême dans la gestion du virus, on est en train d’engendrer une génération de jeunes malades psychiquement. À ce jeu, l’autorité étatique prend le risque d’être de plus en plus vécue comme déshumanisée, robotisée, un agent de contrôle et de surveillance, suscitant une défiance croissante de l’opinion, singulièrement auprès des jeunes stigmatisés.

Les remèdes : un changement de cap radical des médias dominants et des politiques, qui nouent des liaisons dangereuses. Ce qui passe, entre autres, par un changement narratif, en retrouvant le sens profond de la solidarité, la compassion et la bienveillance ; des valeurs qui ne se décrètent pas à coup d’arrêté ministériel.

DÉSAMORCER LA BOMBE PSYCHIQUE

Depuis des mois, les médias officiels nous biberonnent à la peur de la mort. Ils nourrissent un discours binaire, de stigmatisation : les « complotistes », les « conspirationnistes », etc. Ils nous livrent également une pensée prédigérée. À leurs yeux, la seule clé de lecture de la réalité qui vaille est visiblement celle véhiculée, en priorité, par les experts virologues et épidémiologistes, pour qui le gouvernement n’en fait jamais assez. Leur appel semble unidirectionnel : plus d’interdiction, plus de contrôle coercitif, au motif qu’il faut enrayer la première vague, prévenir puis contenir la deuxième, et ensuite la troisième, encore plus dangereuse, avec ses nouveaux variants !

Inaptes à voir la crise en 3D, ils ont de facto fait basculer nos vies dans le mode « survie ». Or, force est de rappeler qu’à côté des victimes du Covid, il y a les autres pathologies, en ce incluse la santé mentale, et enfin, l’économie. In fine, en s’inscrivant durablement dans le sillon de l’approche sectorielle, et forcément limitative, des virologues, les autorités politiques prennent le chemin du joueur de flûte d’Hamelin : sauver des vies en les détruisant.

DES JEUNES STIGMATISÉS, MAIS QUI ENCAISSENT…

Ce matraquage médiatique a réussi, en un temps record, à faire basculer le concept de « liberté » dans le registre des mots « honteux », singulièrement pour les jeunes, qui en sont épris. À l’heure « covidienne », la liberté qu’ils réclament tend subitement à être associée à de l’égoïsme ou de l’individualisme forcené. Mais à qui la faute ? Le « chacun pour soi », n’est-ce pas la marque de fabrique du néolibéralisme économique qui régit notre société ? La liberté n’est-elle pas le socle du marché unique européen, qui repose sur la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux ? Un des mantras de l’UE n’est-il pas précisément l’accroissement de la compétitivité, au moyen de la mise en concurrence ? Le « darwinisme social » n’est-il pas l’enfant légitime de l’ultra-libéralisme ? Nos jeunes ne sont-ils pas baignés dans un système éducatif qui valorise entre autres le mérite individuel, la performance ?

Certes, le principe selon lequel « la liberté de chacun s’arrête là où celle des autres commence » est d’une actualité brûlante, à l’instar de l’indispensable solidarité. Dans cet esprit, les jeunes qui enfreignent les règles sont dans leur tort. Mais peut-on raisonnablement se limiter à un discours moralisateur, culpabilisateur, répressif et punitif à leur égard, compte tenu qu’ils sont porteurs des valeurs que nous leur avons inculquées ?

Plus fondamentalement, on s’étonne de la facilité à laquelle on a pu basculer, en quelques mois, d’une société occidentale d’« enfants-rois », éprise de la pédagogie « il est interdit d’interdire », soucieuse de prohiber toute violence éducative ordinaire, au moyen de l’adoption de loi « anti-fessée », à une société « covidienne », où la maltraitance psychologique se pratique à grande échelle, avec le consentement implicite de la majorité silencieuse.

C’est que la gestion de crise prend, en effet, de plus en plus les traits d’une « thérapie de choc » : instauration de la règle « une personne par foyer » qui divise les couples et les fratries; assimilation de l’enfant à un meurtrier s’il a embrassé spontanément ses grands-parents ; intransigeance scolaire face à l’inconfort du port du masque en continu pour la respiration ; interdiction du câlin ; interdiction de fêter la fin des examens entre amis, etc. D’une certaine façon, « s’aimer » est prohibé, hormis de façon virtuelle.… Telles sont les dérives d’un univers « hygiéniste », « aseptisé ».

La santé mentale est dans l’angle mort de la crise sanitaire. Le gouvernement est aveugle à la souffrance grandissante de la population, et singulièrement des jeunes. Or, elle est une bombe à retardement, d’autant plus que le covid-19 ne les terrasse pas seulement mentalement. Il les couvre de dettes. Pour amortir le choc de la pandémie, l’UE et ses États membres ont sorti l’artillerie lourde. Du jour au lendemain, on est passé de la rigueur budgétaire dogmatique à l’endettement public vertigineux. À charge des générations futures.

Autre épée de Damoclès. Le covid aura permis ce grand bond en avant dans l’ère numérique, dont l’impact sur l’environnement est colossal. Une dette écologique, qui s’échelonne de l’extraction des métaux rares à la gestion de millions de tonnes de déchets électriques et électroniques produites chaque année. Sans compter qu’une consommation effrénée, voire compulsive, de ses multiples applications encourage une gabegie électrique sans précédent. À ce stade, le numérique est responsable de 4% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, soit le double du transport aérien ; une empreinte carbone amenée à doubler d’ici 2025, et qui ne manquera pas d’alimenter l’«éco-anxiété » des jeunes.

La peur de la mort ne doit pas conduire à la mort de l’intelligence collective, du bon sens et de la bienveillance. Il est urgent de retrouver de l’humanité.

Inès Trépant, politologue et autrice d’essais sur la politique européenne.

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