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Seriez-vous Libre® ce Soir® ?

Alors, aujourd’hui, La Première, NRJ, DH Radio ; Le Soir, La Libre, La Dernière Heure ; RTL-TVI, Plug RTL, RTBF ?… Qu’importe au fond, sous l’illusoire liberté de choisir votre « média » se dissimule le fait que toutes les options que vous pourrez faire reviennent au même, malgré les quelques différences visibles au niveau de la forme et du fond. Car derrière d’apparentes divergences, tous propagent une même et unique version du monde, restent confinés dans les mêmes possibles, délimitant les impossibles dès lors que sont franchies les limites, tacites, qu’on ne dépasse pas.

 A les voir, les lire et les entendre, il n’y aurait jamais rien à changer fondamentalement au monde tel qu’il va : destruction de la nature provoquée par nos modes de vie, surinvestissement du travail productif, négation de la souffrance qu’il génère et absence de réflexion sur le sens, misère et inégalités, stigmatisation du chômage que l’emploi génère inévitablement, absence de remise en cause du tout technologique, etc. « Aux yeux de la plupart des journalistes, le monde “moderne” est intrinsèquement bon (…) rien de ce qui est négatif (exploitation, oppression, chômage massif, guerres, gaspillage des ressources humaines et naturelles, etc.) n’est vraiment imputable à l’essence même du capitalisme »[note]. Il y aurait comme une absence totale de remise en question de la religion de la croissance et de l’hyper-consumérisme qu’elle nécessite. Il suffirait juste de pallier – qui vient du latin « couvrir d’un manteau » ! – les maux que le système engendre.

Pourquoi, quand vous décidez d’acheter La Libre plutôt que Le Soir, de regarder la RTBF plutôt que RTL, vous n’êtes au fond pas libre de choisir ? Plutôt que de voir dans ces différents médias une espèce de caste indifférenciée de journalistes malintentionnés, il est plus utile de se pencher sur la propriété de ces médias[note], la composition sociologique de leur rédaction et le support publicitaire qu’ils représentent. A partir de là se dessine  l’empreinte identique qui marque d’une même idéologie l’ensemble des rédactions : à savoir celle du marché roi et de la consommation comme modèle de société.

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Seriez-vous Libre® ce Soir® ?

Alors, aujourd’hui, La Première, NRJ, DH Radio ; Le Soir, La Libre, La Dernière Heure; RTL-TVI, Plug RTL, RTBF ?… Qu’importe au fond, sous l’illusoire liberté de choisir votre « média » se dissimule le fait que toutes les options que vous pourrez faire reviennent au même, malgré les quelques différences visibles au niveau de la forme et du fond. Car derrière d’apparentes divergences, tous propagent une même et unique version du monde, restent confinés dans les mêmes possibles, délimitant les impossibles dès lors que sont franchies les limites, tacites, qu’on ne dépasse pas.

A les voir, les lire et les entendre, il n’y aurait jamais rien à changer fondamentalement au monde tel qu’il va : destruction de la nature provoquée par nos modes de vie, surinvestissement du travail productif, négation de la souffrance qu’il génère et absence de réflexion sur le sens, misère et inégalités, stigmatisation du chômage que l’emploi génère inévitablement, absence de remise en cause du tout technologique, etc. «Aux yeux de la plupart des journalistes, le monde “moderne” est intrinsèquement bon (…) rien de ce qui est négatif (exploitation, oppression, chômage massif, guerres, gaspillage des ressources humaines et naturelles, etc.) n’est vraiment imputable à l’essence même du capitalisme»[note]. Il y aurait comme une absence totale de remise en question de la religion de la croissance et de l’hyper-consumérisme qu’elle nécessite. Il suffirait juste de pallier – qui vient du latin «couvrir d’un manteau»! – les maux que le système engendre.

Pourquoi, quand vous décidez d’acheter La Libre plutôt que Le Soir, de regarder la RTBF plutôt que RTL, vous n’êtes au fond pas libre de choisir ? Plutôt que de voir dans ces différents médias une espèce de caste indifférenciée de journalistes malintentionnés, il est plus utile de se pencher sur la propriété de ces médias[note], la composition sociologique de leur rédaction et le support publicitaire qu’ils représentent. A partir de là se dessine  l’empreinte identique qui marque d’une même idéologie l’ensemble des rédactions : à savoir celle du marché roi et de la consommation comme modèle de société.

1. LES GROUPES MÉDIATIQUES : SOURIEZ, VOUS ÊTES CERNÉS !

Pourquoi ces médias de masse nous fourniraient-ils les instruments de compréhension de ce monde, si le risque pour eux est qu’ils voient concomitamment leurs avantages indus et leur position privilégiée disparaître? Ce serait comme couper la branche sur laquelle ils sont assis. Disons-le alors: ces groupes médiatiques ne peuvent tolérer le passage à une société décente!

Les médias belges – et parmi ceux-ci les trois quotidiens que sont La Libre, Le Soir et la DH – sont concentrés en plusieurs grands groupes qui possèdent également radios, chaînes de télévision, sites internet, distributeurs, sociétés de production et sont directement liés à des banques, agences de presse, multinationales diverses, et indirectement à des Think tanks ultralibéraux et lobbys patronaux. Nous nous contenterons d’en détailler trois : IPM, Corelio et Rossel.

1. IPM est détenu à 100% par le groupe Maja [note] , lui-même entière propriété de la Compagnie de Développement des médias, possession de la famille Le Hodey, dont Axel Miller, ancien président de Dexia et actuel patron de D’Ieteren, est président du Conseil d’administration. IPM SA possède deux journaux, La Libre Belgique et La Dernière Heure/Les Sports, ainsi que leurs éditions régionales et leurs sites internet. Le groupe détient 50% des parts de la Libre Match, dont les 50% restant sont la propriété du groupe Lagardère via sa filiale Hachette Livre. IPM possède encore 29% de Audiopresse qui elle-même possède 34% des parts de RTL Belgium (RTL-TVI, Club TTL, Plug RTL), RTL Belgium elle-même possession à 66% du groupe RTL basé au Luxembourg, lui-même conglomérat de médias luxembourgeois créé en 2000 par la fusion de la CLT-UFA et de la société de production britannique Pearson TV. Audiopresse est par ailleurs une société holding détenue par les éditeurs de presse quotidienne francophone belge et gérant une participation dans le groupe RTL Belgium. IPM détient encore 13% de l’agence de presse Belga ; 99,8% des parts de Twizz radio (DH Radio) ; 52% de Médiascap qui a des participations indirectes dans SARL Libération qui édite le journal Libération. IPM est aussi actionnaire à 50% de Courrier International EBL qui édite le Courrier International belge, journal lui-même possession du Courrier International France.

En 2008, IPM possédait 26 % des parts de marché en télévision et, en 2013, 21.73% des parts de marché en presse.

2. Corelio est un groupe de presse dont les actionnaires sont Mediacore, Cecan, Krantenfonds, De Eik, Vedesta [note]. Corelio possède 62% de Mediahuis (DeStandaard, Het nieuwsblad, Het belang van Limburg), Médiahuis – qui détient 19,5% de Belga — qui est à 38% la possession de Concentra. Corelio détient également 29,2% des parts de Audiopresse. Corelio possède également 100% de CorelioPublishing qui détient 25% de De vijver média qui elle-même est la propriété de Telenet (50%) et Waterman et Waterman… (nous arrêtons là pour Corelio Publishing, reportez-vous à la note de bas de page 4). Corelio possède également 50% des parts de Nostalgie, appartenant à Radio Nostalgie France elle-même détenue à 100% par le NRJ Group auquel appartiennent NRJ France et NRJ Belgique. Nostalgie détient également 50% des actions de Radio Nostalgie flamande, dont l’autre moitié est détenue par IPM.

Le président de Corelio est Thomas Leysen. Ce dernier fut président de la FEB (fédération des entreprises de Belgique, lobby patronal), est actuellement président d’Umicore, groupe «spécialisé en technologie de matériaux», et président de la KBC. Il est également membre de la Table Ronde des Industriels Européens[note], puissant lobby réunissant les plus grandes entreprises européennes.

En 2008, Corelio possédait 10% des parts de marchés en radio et 26% en télévision.

3. Le groupe Rossel [note]. Son président, Bernard Marchant, est ancien conseiller fiscal cher Arthur Andersen, société parmi les « Big five » dont la notoriété est plus liée au scandale de la multinationale Enron pour laquelle elle réalisait des audits, que comme éditeur de journal. Passé par la vice-présidence europe du groupe informatique Olivetti et plus tard directeur général de Beckaert, leader mondial du métal), il terminera, avant d’arriver chez Rossel, par un poste de président directeur général du groupe français 9Telecom.

Le Groupe Rossel (Le Soir, Le Soir Magazine), possède Sud Presse (100%, ce sont des éditions régionales), Éditions Urbaines (99,5%, Vlan), Imprimerie des éditeurs(99,95%), cette dernière possédant 49% de Mass Transit Média (Métro), dont les 51% restants appartiennent à Concentra. Rossel possède encore 24,9% de Radio H, propriétaire de Cobelfra (Radio Contact, Mint) et Inadi (Bel RTL) ; Radio H est par ailleurs la propriété (17,54%) de RTL Belgium. Audiopresse qui détient 34% de ce dernier est aussi la propriété de Rossel (29,34%). Enfin, Rossel détient à 50% Mediafin(L’Echo) et à 50% Grenz-Echo (Grenz-Echo), deux structures auxquelles appartiennent Holding Echos.

Rossel possédait, en 2008, 26% des parts de marché en télévision et, en 2013, 21,73 % en presse.

Restent: — le groupe Roularta[note] qui édite le Vif/L’express, Bizz, Data News, Knack, Sport Foot Magazine, Trends-Tendance, trends.be, le Vlan, RTVM, Canal Z, Télépro;

- De Persgroep: Het Laaste Nieuws, 7sur7.be, De Morgen, De Tijd, L’Echo, Tv familie, Humo, Story, VTM, 2BE, Joe FM, Vacature.com, Regiojobs.be, Autotrack.nl, des toutes boîtes, un opérateur de télécommunication (Jim Mobile), etc.

Concentration dans les médias « libres » : n’y voyez aucun intérêt privé!

L’existence de trois groupes donnent, a priori, l’illusion d’une séparation qui occulte les interpénétrations, où IPM possède via La Libre Match (Paris Match Belgique), des liens avec le groupe français Lagardère mais entretient aussi, via Audiopresse, une consanguinité avec le Groupe Rossel (qui édite Le Soir notamment) qui détient aussi en partie RTL Belgium. Une proximité étrange avec le paradis fiscal luxembourgeois (siège de RTL-Group), dont Corélio peut se targuer aussi. Les trois groupes possèdent en effet via leur participation dans Audiopresse (29% pour IPM, 29,2% pour Corelio, 29,34% pour Rossel, donc plus de 87% au total) 34% de RTL Belgium (RTL-TVI, Club RTL et Plug RTL), plus d’un tiers donc. Il ne s’agirait donc pas trop pour les journalistes de la DH, du Soir ou de La Libre notamment, de dire du mal de la chaîne privée: intérêts croisés obligent! Il n’est pas plus probable qu’ils se mettent à clarifier pour leurs lecteurs les structures auxquelles ils appartiennent. Ces actionnariats croisés sont en outre l’occasion de se rencontrer, opportunité d’accroissement futur de ses investissements.

Le champ médiatique est donc parfaitement inclus dans le champ économique plus large dont la règle première est celle de la croissance du profit, seule et unique religion. Impossible dans ce cas de se donner le temps nécessaire pour traiter l’information objectivement. Les actionnaires de référence ont à l’évidence intérêt au statu quo en raison de leur fortune et de leur position stratégique dans des institutions clés de la société» [note].

2. COMPOSITION SOCIOLOGIQUE DES RÉDACTIONS

Comment, au vu de leur structure et de leur fonctionnement, les médias dominants pourraient-ils faire pour ne pas favoriser la parole des puissants au détriment des masses populaires ? Il va de soi que si Bernard Marchant, big boss de Rossel qui possède notamment Le Soir, trouve que «la préparation au management dans la formation des journalistes est insuffisante», il ne va pas, lui comme les autres patrons de presse, rechercher à tout prix à engager des journalistes qui font un véritable travail pour informer le plus objectivement leurs lecteurs[note]. Pour Marchant et la logique du management, dans la configuration d’un média, le lecteur/auditeur/spectateur est un produit qu’il faut rendre disponible/vendre à son client qu’est le publicitaire, afin qu’il consomme ce qu’on vante dans la publicité. Le journal/télé/radio sert de support de présentation aux publicités, et donc de mise en contact du sujet avec la réclame.

Mais la sélection des journalistes est plus subtile que cela et n’a pas besoin de contrôle au faciès à l’entrée des bureaux d’entretien d’embauche. Elle a déjà lieu dans les endroits de formation, l’école ayant en outre opéré son tri social lors des 15 premières années d’enseignement. François Ruffin, étudiant-taupe au réputé centre de formation des journalistes en France, explique : «Parmi nous, aucun enfant de manœuvre, de cheminot, de caissière. Ni Black ni Beur des “zones de non-droit” (…) Un cloisonnement social que renforce encore la claustration: nous vivons entre nous. Nous discutons avec les patrons de presse et autres cadres »[note],ce qui donne souvent lieu dans le traitement des reportages à un «banal racisme de classe »[note], « Sous nos plumes, nulle remise en cause de l’ordre – scolaire, financier, judiciaire, … — établi… qui nous a, il est vrai, jusqu’ici bien servis».[note]

Les journalistes sont donc très loin du monde ouvrier et ils comprennent vite que dans leur perspective de carrière, trop remuer dans la réalité préfigure de futurs ennuis et n’est donc pas porteur en terme de «plan de carrière». Ceux qui «réussissent» sont donc ceux qui entérinent l’état du monde, relaient la doxa néo-libérale sous couvert d’un traitement neutre et objectif – sans jamais donc admettre qu’ils participent de cette doxa. Les exemples ne manquent pas. Le 20 octobre 2015, Béatrice Delvaux écrivait dans son édito «Un pari dangereux», interprétant les actions syndicales à Liège et sur le rail : «Les dirigeants syndicaux (…) évoquent des “actions isolées”, nourries par le ras-le-bol croissant des travailleurs devant l’accumulation de mesures  “antisociales”du gouvernement. Marc  Goblet [NDLR secrétaire général de la FGTB] hier se refusait ainsi à condamner ces actions, incriminant le gouvernement fédéral qui, avec sa politique, aurait allumé le feu. Cela correspond à l’évidence à un ressenti». Les réactions des travailleurs aux mesures gouvernementales ne seraient juste qu’un «ressenti», un état subjectif dans lequel il n’y aurait aucune base réellement objective; des revendications d’enfants gâtés donc, selon les médias. Les syndicalistes n’auraient dès lors le droit que de s’exprimer calmement lors de manifestations prévues et autorisées. Ou durant des «concertations sociales», terme donnant l’illusion d’une équité des protagonistes devenus «partenaires», mirage d’une égalité inexistente qui élude toute la puissance symbolique et matérielle du capitalisme (et donc aussi la position que les médias occupent dans cette structure). Si les contestataires vont trop loin, ils feraient le jeu de ceux à qui ils s’opposent, le journaliste ne percevant jamais que c’est lui qui fixe arbitrairement les limites à ne pas dépasser. Et ce jeu, dont il fait les règles, semble, au fond, bien l’arranger.

Cela nous rappelle l’interview de Xavier Mathieu, délégué syndical CGT-Continental, par David Pujadas au journal télévisé de France 2. Le journaliste, après que les salariés eurent manifesté leur colère devant la décision du tribunal de rejeter leur demande d’annulation de la fermeture de leur entreprise, le questionne:

David Pujadas: «Bonsoir Xavier Mathieu, vous êtes le délégué CGT de Continental à Clairoix. On comprend bien sûr votre désarroi, mais est-ce que ça ne va pas trop loin? Est-ce que vous regrettez ces violences?»

Xavier Mathieu: «Vous plaisantez j’espère? On regrette rien…»

David Pujadas: «Je vous pose la question.»

Xavier Mathieu: «… Non, non, attendez. Qu’est-ce que vous voulez qu’on regrette ? Quoi ? Quelques carreaux cassés, quelques ordinateurs à côté des milliers de vies brisées ? Ça représente quoi? Il faut arrêter là, il faut arrêter.»

David Pujadas: « Pour vous  la fin justifie les moyens.»

Xavier Mathieu: «Attendez ‚”la fin”… On est à 28 jours de la fin, Monsieur. On est en train de nous expliquer que dans 28 jours [images de saccage reprises en parallèle] le plan social sera bouclé et on va aller à la rue. Oui, oui, je ne regrette rien. Personne ne regrette rien ici parce que vous avez vu, vous n’avez pas vu des casseurs, vous avez vu des gens en colère, des gens déterminés, des gens qui veulent pas aller se faire démonter, crever. On ne veut pas crever. On ira jusqu’au bout de notre bagarre. On a tenu cinq semaines. Pendant cinq semaines j’ai réussi, on a retenu, on a réussi à retenir les gens. C’est fini, les gens n’en veulent plus. Le gouvernement nous a fait des promesses. Il s’est engagé à réunir une tripartite depuis le début, dans les trois jours. Ça fait une semaine que ça dure. Depuis on se rend compte…»

David Pujadas: «Xavier Mathieu, on entend votre colère, mais est-ce que vous lancez un appel au calme ce soir?»

Xavier Mathieu: «Je lance rien du tout. J’ai pas d’appel au calme à lancer. Les gens sont en colère et la colère il faut qu’elle s’exprime. Il y a un proverbe des dernières manifestations qui dit “qui sème la misère récolte la colère”. C’est ce qu’ils ont aujourd’hui. Il y a plus de 1000 familles qui vont être à la rue qui vont crever dans 23 mois avec plus rien, qui vont être obligées de vendre leur baraque. Il faut que tous vous compreniez ça. On ne veut pas crever…»[note].

Même si cette défense inconditionnelle de l’emploi, leitmotiv qui traverse l’ensemble du spectre politique, est tout à fait contradictoire avec un projet de changement global de société qui inclurait les dimensions sociale et écologique, il faut dénoncer la violence politico-médiatique et montrer qui elle sert. Et c’est lors d’émeutes et de colères inhabituelles de la masse que le mépris de classe des journalistes se manifeste d’autant plus violemment, pressentant sans doute qu’ils ont comme l’assentiment d’une partie de la population que toute l’année ils montent contre l’autre. Ce réflexe de classe, les journalistes l’ont d’autant plus facilement qu’ils sont issus, dans leur grande majorité, des classes moyennes, tiraillées entre les classes supérieures et les classes populaires, toujours dans une ambivalence, un entre-deux, «en ce sens que les classes supérieures comme les classes populaires sont l’objet à la fois et contradictoirement d’une forme de fascination et d’une forme de répulsion»[note]. Pris dans cette entre-deux, il est alors fréquent qu’ils stigmatisent les mouvements sociaux et relaient les appels au calme des instances patronales.

Prolos, vos gueules ! Regardez The Voice et éteignez vos voix !

Tout naturellement alors, «si on doit parler aux barakis, on parlera aux barakis», puisqu’il est nettement préférable pour les publicitaires et leurs clients que les barakis conservent leur position socio-économique (afin que les publicitaires et leurs clients conservent aussi la leur…), ou autrement dit que l’ignorance et la pauvreté demeurent : cela fait de meilleurs acheteurs ! Ces propos du chef de l’info de la RTBF, Jean-Pierre Jacqmin, en disent long sur le rôle premier qu’il confère aux médias publiques. Certains journalistes l’ont bien compris: «On nous demande en clair d’abaisser le niveau pour des questions d’audience»[note].   En effet, «les annonceurs seront plus généralement portés à éviter les programmes trop compliqués ou touchant à des controverses dérangeantes, susceptibles de réduire “le temps de cerveau disponible” du public[note]. Ils cherchent des divertissements légers, qui correspondent à la  fonction première des programmes: celle de diffuser le message des vendeurs[note]». A quand la prochaine saison de Plus belle la vie ? Assez vite, histoire qu’il ne vienne pas à l’idée des barakis de se la rendre réellement plus belle, la vie… Entre-temps, Béatrice a aiguisé sa plume et appris à faire accepter la fatalité (grèves de décembre 2011 : « Les grèves, compréhensibles, ne changeront rien à la réalité et à la cruauté de cette crise»), monter les uns contre les autres pour le plus grand  intérêt du patronat («Le pays à l’arrêt jusqu’à Noël» ; « L’enfer des voyageurs a  commencé»), créant le spectaculaire qui divise ( «La grève provoque la  deuxième heure de pointe la plus embouteillée de 2015», Le soir, 20/10/2015, 1er  article sur la page du site l’après-midi tout comme sur le site de La Libre le  même jour : «Grève du rail: la 2e heure de pointe la plus embouteillée de 2015»), et insistant sur ce qui peut diviser plutôt que sur ce qui devrait fédérer la lutte: ce lundi matin, cette énième perturbation dans la circulation des trains avait ainsi de quoi irriter des navetteurs dont le parcours ferroviaire ressemble souvent à un parcours du combattant. Si vous y ajoutez des grèves tournantes –qui font que vous n’en prenez pas pour un mais pour plusieurs jours vu l’exiguïté et l’interconnexion du territoirebelge  –, il y a de quoi mécontenter les plus  empathiques» (Le Soir, éditorial du 20/10/2015).

Pendant ce temps, il faut continuer à faire croire – aidé par une agence de com’ – qu’on est un «média libre» détaché de tout intérêt mercantile[note] et qu’à sa lecture «j’y vois clair» ( Formidable oxymoron ! Clair le Soir… ) . Mais quand on fait ce  qu’on ne dit pas– défendre l’intérêt des plus nantis –, il faut feindre qu’on réalise ce qu’on ne fait pas – offrir au lecteur une information objective –, et vendre l’illusion sous la forme dont on a le plus l’habitude: le slogan publicitaire. Ainsi, le Soir, via l’agence de pub Air, fait sa «campagne»: «Le Soir, je lis donc j’agis !». Didier Hamann, directeur de la rédaction du Soir, explique : «Nous voulons que Le Soir évolue vers un positionnement plus citoyen. On ne veut pas juste (Sic) informer. On veut aussi donner aux gens les clés nécessaires pour pouvoir agir. (…) Nous avons la conviction que nos lecteurs ne veulent plus être passifs et nous espérons qu’en nous lisant, ils voudront agir.» On croirait presque  le manifeste d’un nouveau parti révolutionnaire. Le directeur de la rédaction revient toutefois assez vite au basique : «Aujourd’hui, lorsqu’ils  consomment, les gens sont à la recherche de marques qui affichent des valeurs fortes en  adéquation avec ce qu’ils sont et ce en quoi ils croient ». Les valeurs, ok, mais si possible « lorsqu’on consomme»(…les produits dont Le Soir fait la pub de préférence ). La messe est dite. Feignant de promulguer des conseils stratégiques aux syndicalistes, ils leur signalent au fond qu’ils ne doivent pas dépasser les limites que les médias définissent, édictent, et respectent : « Que les travailleurs refusent des mesures qu’ils jugent inégales et donc inacceptables est compréhensible et légitime, mais les syndicats doivent se méfier de créer l’inverse de ce qu’ils cherchent » (…) « ce blocage de l’autoroute – non annoncé pour le coup  –, n’est pas du genre à consolider la popularité du mouvement syndical » (Le Soir, 20/10/2015). Ce sont les syndicalistes qui seraient la propre cause de leur impopularité, jamais les médias… On peut donc agir, mais pas trop, les chiens de garde trouvant préférable que vous « affichiez vos valeurs fortes » à la caisse du supermarché, sans oublier toutefois de sortir la carte. Dans les rangs camarades ! « Tout citoyen a le droit de manifester sa désapprobation à l’égard des décisions politiques. Toutefois la manière dont les protestations ont été “organisées”, lundi, est véritablement scandaleuse. » (Edito de La Libre, 20/10/2015). Tous ne sont pas condamnés de la même façon, comme la Lotterie  nationale, vendue sur tous les supports médiatiques, et qui nous invite à devenir « scandaleusement riche »…

Dans ce contexte, n’attendez pas des pages qui expliqueraient et légitimeraient la colère du peuple. Comme l’énonce Acrimed (observatoire critique des médias français), « cette prise de parti médiatique en faveur des classes possédantes et des institutions qu’elles dominent passe par l’occultation de ces luttes elles- mêmes, et par la stigmatisation explicite des classes populaires quand celles-ci ont le mauvais goût de se rebeller »[note]. Cette absence de perspectives nourrissant l’incompréhension et la haine de l’autre – qui à leur tour alimenteront les unes des médias !

3. LA PUBLICITÉ ET SA NÉCESSITÉ

Alexandra DIEU

Tant que Bernard Marchant et les autres auront «conscience de l’importance du rôle de la publicité dans notre société et en particulier pour nos métiers respectifs», le lecteur sera considéré comme un produit que le journal met en contact avec l’annonceur qui est son client, l’information et le souci de sa qualité ayant dès lors peu d’importance au regard de cet objectif principal[note].

C’est là un principe de marketing, que la régie média belge qui « commercialise les espaces sur la RTBF 1 et 2 (notamment) » connaît bien, appliquant avec zèle les méthodes du neuromarketing : «Visez le petit. Préparez votre cible. Marquez-la au  front le plus tôt possible. Seul l’enfant apprend bien (…) Les cigarettiers et les limonadiers savent que plus tôt l’enfant goûtera plus il sera accro. Les neurosciences ont appris aux entreprises les âges idéaux auxquels un apprentissage donné se fait le plus facilement».[note]

On pourrait attendre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), censé réguler les médias de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qu’il veille à lutter contre tout cela. Issus de partis politiques ou même du monde de la publicité, la composition de ses membres instille un certain doute quant à une possible impartialité. Sandrine Sepul par exemple, membre du collège d’autorisation et de contrôle du CSA, n’est autre que la directrice du Conseil de la Publicité, «composé et financé par les associations professionnelles des trois partenaires de la communication publicitaire que sont les annonceurs, les agences de communication et les divers médias publicitaires»[note]. Hum ! conflit d’intérêt ? Mais non… seriez-vous  complotistes à penser de la sorte ?

Le cas particulier de la RTBF : jetée dans l’arène de la concurrence

Quid de la RTBF alors, jusqu’ici – encore – chaîne publique[note] ? Prise dans un environnement compétitif, gérée par des managers, instrumentalisée par les partis politiques, soumise au diktat du chiffre et de l’audimat, colonisée par les idées publicitaires de la RMB (régie des médias belges), ne reste à la RTBF qu’à faire comme les autres.

Difficile donc de ne pas la rattacher à une même logique du chiffre, dès lors qu’elle formate ses programmes sur RTL-TVI – sans parler de la concurrence avec les chaînes françaises[note] – et a les yeux rivés sur les résultats d’audimat, véritable religion, de sa voisine privée. Et il faut dire qu’à ce niveau, notre gouvernement de la Communauté française de l’époque, a rendu un fameux service à RTL-TVI, et donc désavantagé sérieusement la chaîne publique qu’il est censé protéger. RTL Group, basé dans le paradis fiscal luxembourgeois, possède RTL-TVI, dont les locaux sont physiquement situés à Bruxelles. Première chaîne de la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais Luxembourgeoise ! grâce à un montage juridique accepté par la Ministre de la Culture de l’époque Fadila Laanan qui avait signé un protocole de coopération avec le Luxembourg. Qu’est-ce que cela change ? Eh bien ! c’est que le Luxembourg est, comment dire?… un peu à l’instar de sa politique fiscale, moins regardant en matière de publicité. La chaîne ne doit donc pas se soumettre aux règles belges en matière de publicité, malgré sa diffusion nationale[note]…

La RMB, régie publicitaire «pluri-médias», ne s’en plaint pas, elle qui commercialise les espaces publicitaires de la RTBF, mais fait de même pour NRJ, La Première, Pure, Be TV, AB3, les sites internet de My Tf1, de la DH, de la Libre… conformisme dans – l’illusion de – la pluralité. Et cette pluralité, le CSA, censé nous protéger en contrôlant la qualité des médias, en joue admirablement. Vaste groupuscule dont les membres sont issus des différentes instances décrites ci-dessus, les pages de leur site internet présentant les différents groupes médiatiques (IPM, Rossel, Corelio, etc.) ne sont-elles pas reprises dans la rubrique trompeuse «L’offre de médias et le pluralisme en Communauté française». Au vu de leur même appartenance à des organismes privés, nous ne voyons aucune pluralité, sauf s’ils définissent celle-ci comme une diversification des instances indépendamment de leurs propriétaires qui se mélangent et partagent le même intérêt et la même idéologie. Comme le dit Alain Accardo, «L’existence d’un consensus de fond n’exclut pas, bien au contraire, un certain pluralisme d’opinion (que les revues de presse mettent en scène en lui conférant par là même plus de réalité qu’il n’en a (…)cette diversité n’empêche pas que les bourgeoisies, petites et grandes, nouvelles et traditionnelles – au sein desquelles les journalistes occupent aujourd’hui collectivement, en tant que corps professionnel, une  position de  force – aient en commun une même volonté de préservation de l’ordre existant».[note]

En attendant, pour satisfaire à ses obligations de chaîne publique, on s’arrangera comme on peut, par exemple en créant la RTBF3, support permettant notamment d’assurer sa fonction d’éducation permanente, mais objet d’un profond désintérêt de la part des « managers » de la chaîne publique.

4. QUI SONT LES VRAIS PATRONS DES JOURNALISTES?

Les groupes médiatiques que nous avons décrits plus haut sont la propriété de familles parmi les plus fortunées. Un petit classement[note]?

La famille de Nolf et la Famille Claeys (Roularta): € 134.913.000 et € 58.960.000 (116ème et 240ème fortunes belges)

Famille Van Thillo (De Persgroep): € 1.066.410.000 (18)

Famille Hurbain (Rossel): € 155.707.000 (100)

Famille Thomas Leysen (Corelio): € 45.564.000 (308)

Famille Baert (Concentra : € 45.800.000 (305)

Elizabeth Mohn (vice-présidente du groupe Bertelsmann qui possède RTL-group): 3,5 milliards de dollars[note]

Concernant IPM détenu par la famille Le Hodey, nous n’avons pas trouvé d’informations sur le niveau de fortune des propriétaires. Nous savons toutefois qu’Axel Miller, président du CA du groupe Maja (propriétaire d’IPM), gagnait à l’époque chez Dexia environ 170 000 euros par mois[note].

Dès lors, vous étonnerez-vous encore de certains éditos, comme celui de La Libre du 06 janvier 2014, faisant suite à une visite organisée par les syndicats à Bruxelles pour montrer les lieux où vivent les grosses fortunes fiscalement protégées, édito dans lequel le journaliste écrivait : «A la veille du week-end, les responsables syndicaux ont réalisé un“safari” dans Bruxelles, un mini-trip destiné à pointer du doigt les “espèces fiscales protégées” de Bruxelles. Amusant? Plutôt navrant…(…) la stigmatisation systématique des “riches”, telle que la pratiquent les syndicats, est déplorable. Alors quoi, il suffit d’être pauvre pour être honnête…? Un pays a besoin de riches. Pour investir, pour prendre des risques. Le système devrait d’ailleurs faire en sorte que les grosses fortunes, et les autres, trouvent un intérêt à placer leur argent dans l’économie réelle du pays plutôt qu’à chercher des rendements élevés ailleurs. Ce ne sont pas les riches qui sont responsables de la crise, mais bien ces apprentis sorciers qui ont profité des failles d’un système pour le faire déraper». […]

Certes ! on ne va pas mordre la main qui nous nourrit bien que, de toutes façons, les analyses sociologiques du champ journalistique et une relative connaissance des mécanismes de défense psychologique, permettent de comprendre que dans la plupart des cas, ils n’y penseraient même pas.

Et tout est à l’avenant. Béatrice Delvaux, éditorialiste en chef du Soir, ancienne stagiaire au Fonds Monétaire International (FMI), qui a postfacé le livre sur Albert Frère (première fortune belge et parmi les plus grosses fortunes mondiales) «Albert Frère. Le fils du marchand de clous» ( Bruxelles, Lefrancq, 1998), notait dans l’ouvrage, il faut favoriser la «construction d’un capitalisme fort et conquérant (sic), permettant d’assurer la pérennité d’entreprises qui conservent leur centre de décision au pays». Amen!

Cette propagande rabâchée quotidiennement est plus efficace que la contrainte. Feignant parfois de déranger avec quelques reportages et émissions soi-disant subversifs qui ne sont là que pour créer du consensus : plus de riches, plus de pauvres, plus de classes ! Juste des individus mus par des intérêts et traversés d’opinions diverses. Jamais ils ne questionnent radicalement le problème, n’offrent les explications qui permettraient de comprendre l’état du monde; jamais ils n’expliquent ce qui motive la colère du peuple. Déjà, lors des émeutes de Seattle, Béatrice Delvaux, actuelle éditorialiste en chef du Soir, nous apprenait à penser comme il faut: «le “non” radical à la mondialisation est intenable dans un monde où le consommateur pose tous les jours des gestes qui font sortir les entreprises des frontières ». Et si vous n’aviez pas compris : « le marché reste le mode d’organisation le plus efficace de la vie économique — notamment parce que tous les autres ont montré leurs limites». C’était le 2 décembre 1999[note].

POUR CONCLURE, ET ÉBAUCHER LA DÉFINITION DE CE QU’EST UN VRAI MÉDIA[note]

Mr Iou

Que peut-on conclure de tout cela? Ceux qui possèdent les médias, censés nous rendre plus clair le monde, rapprocher ce qui est lointain, nous aider à comprendre, nous faire vivre ce qui n’est pas directement accessible par nos sens, sont en fait des laquais du pouvoir, des administrateurs de banques et de grandes marques automobiles ; membres de Think Tanks ultra-libéraux et puissants, de fédérations patronales, issus de grandes familles, la possession des principaux médias leur assure un contrôle de la pensée sous le faux-semblant d’une pluralité de surface.

La réalité que nous présentent les médias est donc une pure fabrication censée les protéger au mieux. «On peut dire que la représentation médiatique du monde, telle qu’elle est fabriquée quotidiennement par les journalistes, ne montre pas ce qu’est effectivement  la réalité mais ce que les classes dirigeantes et possédantes croient qu’elle est, souhaitent qu’elle soit ou redoutent qu’elle devienne. Autrement dit, les médias et leurs personnels ne sont plus que les instruments, plus ou moins consentants et zélés, dont la classe dominante a besoin pour assurer son hégémonie. Comme tels, ces instruments doivent être démontés et combattus avec vigueur et sans relâche – ce que ne font malheureusement pas les organisations de la gauche institutionnelle, qui ont renoncé à la critique de classe et sont toujours prêtes à pactiser avec l’ennemi au nom de la bienséance républicaine, du réalisme politique et de la nécessité d’exister médiatiquement»[note].

J’ajouterais que même parmi ceux qui ne pactisent pas avec l’ennemi, il y a, dans un monde où l’image a pris tant d’importance, une quête continue du «moment médiatique». Ceux qui aspirent à une autre société ne voient parfois très paradoxalement leur salut qu’en terme de visibilité dans les médias de masse. Pourtant, ces derniers sont en parfaite opposition avec les aspirations de ceux à la recherche d’une société décente. Pensant avoir gagné une minute à la «une», ils demeurent en fait les grands perdants[note].

Il faut démonter et combattre donc sans relâche ces organes pérennes et délétères anti-démocratiques, tout en créant d’autres médias qui, eux, serviront de support à la défense de la vérité et à la voix du peuple. Sans cela, il faut croire que les luttes ne mèneront à rien de consistant… «un mouvement de masse dépourvu  de tout soutien médiatique et devant lutter contre une presse résolument hostile est pour le moins handicapé…»[note].

Rechercher à ce qu’ils nous représentent constitue une perte de temps immense. Dotés de telles structures, les médias de masse ne peuvent élucider les mécanismes d’exclusion et amener par la pensée critique à un véritable changement. Nous voyons donc que ces médias qui cherchent à se faire passer pour de simples témoins décrivant une réalité, la créent de toute pièce: en choisissant d’omettre une information, de focaliser son attention sur un fait, ils élaborent une représentation médiatique du monde qui n’est que son apparence. Pensant le monde de manière faussée, nous ne pouvons donc pas agir, contrairement à ce que disent leurs slogans.

Nous pouvons attendre qu’ils changent. Ou faire vivre notre propre média. A nous de choisir.

Un vrai média d’information doit selon nous se distinguer par différents critères:

- ne pas dépendre de structures qui utilisent les médias comme instrument idéologique au service de leurs intérêts, comme on l’a montré ci-dessus;

- ne pas être financé par de la publicité, même par des organismes non commerciaux comme des ONG;

- ne pas cohabiter pacifiquement à côté de la presse dominante, mais s’attacher à en faire une critique radicale et à mettre au jour ses fonctionnements;

- être radical dans son approche des faits, c’est-à-dire prendre les problèmes à leur racine;

- faire un travail de recherche de la vérité, s’approcher le plus possible du traitement objectif de l’information, sans se priver de certains sujets sous le faux prétexte d’anticiper la réaction des lecteurs (argument spécieux qui occulte le fait que c’est plutôt la réaction des actionnaires et des publicitaires que les patrons de rédaction anticipent).

Alexandre Penasse

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Contributions extérieures

Lettre ouverte en réponse à l’article du « Soir » du 3-11-2022.

Ci-dessous la lettre ouverte en réponse à l’article du « Soir » du 3-11-2022, rédigée par douze collectifs citoyens unis au nom de l’objectivité et du principe de précaution.

L’article rédigé par Anne-Sophie Leurquin et Arthur Sente et publié par le journal « Le Soir » le 3-11-2022 a de quoi surprendre par son imprécision, ses omissions et sa partialité[note].

Tout d’abord, d’un point de vue strictement juridique, les journalistes précités auraient dû se renseignerdavantage sur le contenu exact de la citation à comparaître, soit auprès de la docteure S. ou de l’Aviq, soitauprès de la plaignante ou de son avocate. De cette façon, ils auraient constaté que la plaignante – outre la loi du 22 août 2002 sur les droits du patient — invoque également la loi du 7 mai 2004 relative auxexpérimentations sur la personne humaine, laquelle prévoit effectivement en son art. 6 §1er que leconsentement du patient doit être donné par écrit[note]. Cette loi est bien d’application au cas d’espèce puisque d’une part les vaccins inoculés sont seulement en phase 3 (dite « expérimentale » et ne disposant que d’une autorisation provisoire de mise sur le marché), et que d’autre part un vaccin doit être considéré comme un médicament en vertu de l’art.1 – 1° de la loi du 25–3‑1964 sur les médicaments.

Pareillement, le Code de déontologie médicale – également invoqué dans la citation – exige en son article 45 le consentement écrit du patient participant à une expérimentation humaine. Par ailleurs, lorsque les journalistes précités soulignent que les centres de vaccination ne demandent pas non plus de consentement écrit, ils ne font en réalité que mieux démontrer la faute commise par l’Aviq dans son organisation de la campagne de vaccination.

Ensuite, en parlant de la gestion de l’« urgence pandémique », Mme Leurquin et M. Sente en font un résumé singulier : selon eux, le temps nécessaire (7 à 10 ans) pour obtenir une autorisation définitive de mise sur le marché était trop long eu égard à la nécessité de « protéger d’urgence les plus vulnérables et d’assurer une continuité de soin dans les hôpitaux surchargés ». En Mars 2020, les consignes officielles consistaient à renvoyer les patients chez eux en absorbant simplement du paracétamol favorisant de la sorte le développement de la maladie, et il a donc fallu hospitaliser massivement des patients qui auraient pu être soignés aisément. Dès lors, parler d’hôpitaux surchargés comme d’une fatalité est fallacieux. De plus, en novembre 2021, des scientifiques de l’université de Gand ont publié une étude indiquant que les personnes qui sont tombées gravement malades de la Covid-19 ont un point commun, à savoir une carence alimentaire : « Presque tous les patients qui finissaient par tomber gravement malades ou même mourir à l’hôpital présentaient une grave carence en sélénium et en zinc dans leur sang à l’admission »[note]. Force est de constater qu’aucune mesure générale de prévention n’a été promotionnée par les pouvoirs publics (et en particulier l’Aviq dont c’est pourtant la mission !) pour rendre les personnes « les plus vulnérables » plus résistantes. Le renforcement de l’immunité naturelle est considéré par un large consensus scientifique comme étant la meilleure manière d’éviter la propagation des maladies virales. Rappelons également que les deux doses initiales de ces vaccins devaient avoir une « efficacité » de 95 %, mais que les dernières études indépendantes démontrent que les personnes vaccinées développent plus de formes graves que les personnes non vaccinées, et cela même chez les personnes de plus de 85 ans. Les chiffres de septembre 2022 de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) du Gouvernement français indiquent clairement que la triple vaccination expose davantage les personnes aux formes graves de la Covid et aux décès que les personnes non vaccinées ![note] Visiblement, les journalistes sont mal informés.

Selon ces derniers, cette mise sur le marché accélérée a garanti « scrupuleusement le même niveau de sécurité et en continuant de scruter de près les effets secondaires éventuels », insistant d’ailleurs en les qualifiant de « très rares ». Rappelons que les essais cliniques ont été réalisés par les sociétés pharmaceutiques elles-mêmes, qu’elles n’ont pas évalué les effets de la répétition des doses ni même du mélange de différents vaccins, que la mise sur le marché accélérée ne pouvait pas prendre en compte les effets indésirables sur le long terme et que les vaccins sont distribués à des milliards de personnes. Le relevé officiel des effets secondaires graves (entraînant hospitalisation, mise en jeu du pronostic vital ou décès) rapportés en Belgique s’élevait à 2.750 cas au 24 janvier 2022[note], et selon les données de pharmacovigilance européenne, sur une population qui ne meurt pas du Covid, 800.000 effets indésirables ont été signalés dont 26.000 décès[note].

Plutôt que de s’interroger sur les raisons profondes de cette plainte, Le Soir préfère retranscrire les écrits que la docteure S. a publiés sur une plateforme médicale spécialisée (MediQuality), une tribune intitulée : « La solitude d’une généraliste trainée devant les tribunaux par des complotistes ». Le titre donne le ton, l’auteure n’aborde pas la santé, ni les effets indésirables, mais se retranche derrière les « recommandations scientifiques et gouvernementales » qu’elle a « scrupuleusement (et avec conviction) » appliquées. C’est elle, « simple exécutante » de la vaccination, la victime d’une « ahurissante mésaventure ». 

La docteure S. va jusqu’à remettre en question la crédibilité de son ancienne patiente, ainsi que la crédibilité des médecins (diplômés, expérimentés et à l’écoute de leurs patients) l’ayant prise en charge (propos repris intégralement dans l’article du Soir) :« La plaignante est parvenue à trouver des pseudo-médecins ayant rédigé des pseudo-attestations affirmant des pseudo-liens entre son état et ma seringue du Big Pharma » ironise-t-elle ainsi. « Le secret de l’instruction[note] ne me permet pas de les citer, mais vous aurez deviné qu’on retrouve tous les druides des sphères antivax et complotistes de la Belgique francophone, certains virés de quelques hôpitaux pour les mêmes raisons. ». Pourtant, du point de vue médical, si sa patiente était en parfaite santé avant l’injection (ce qu’elle devrait mieux savoir que quiconque), comment expliquer autrement les pathologies (graves troubles neurologiques) dont elle souffre aujourd’hui ? Il faut savoir que la preuve du lien de causalité par l’exclusion de toute autre cause possible est maintenant admise par la jurisprudence du Conseil d’Etat français (arrêt du 29–9‑2021), précisément en la matière des effets indésirables consécutifs à une vaccination. La véritable victime de cette histoire est bien la plaignante.

La docteure S. s’approprie les expressions caricaturales « antivax et complotistes » pour en faire un amalgame avec une personne qui, dûment vaccinée, demande que l’on reconnaisse son invalidité et sa souffrance. Le simple fait de devoir passer par la case tribunal démontre sa difficulté à être entendue. Le déni de souffrance est un déni d’humanité. L’expression « complotiste » est utilisée à tort et à travers dans le seul but de discréditer les auteurs d’un discours critique de la doxa gouvernementale relatif à la gestion de la pandémie, mais sans pour autant réfuter les arguments de ces derniers[note].

Pour revenir à l’article du « Soir » précité, il faut relever que la rédaction du dernier paragraphe de cet article donne à penser dans le chef de lecteurs non avertis (soit sans doute la majorité du lectorat du journal) que l’action intentée contre la docteure S. est bien le fait du « milieu anti-vaccin », et que ce sont bien des « pseudo-médecins qui ont rédigé des pseudo-attestations ». En effet, en l’absence de tout commentaire critique ou de prise de distance par rapport aux assertions de la docteure S, rien ne permet de penser que celles-ci sont sujettes à caution. Plus précisément, Mme Leurquin et M. Sente se sont-ils enquis de ce qu’était le « milieu anti-vaccin », ont-ils demandé à la plaignante ou à son avocate de pouvoir vérifier quels étaient ces« pseudo-médecins », ou encore de pouvoir consulter les « pseudo-attestations » ? Et si cela s’était avéré impossible, pourquoi n’ont-ils émis aucune réserve sur les termes utilisés ? Il apparaît donc que ces journalistes semblent avoir manqué à leur devoir d’information complète et objective (en ce compris la vérification de la véracité des informations) garanti par le Code de Déontologie Journalistique et la Déclaration des Devoirs et des Droits des Journalistes.

article complet du journal le Soir publié le 4 novembre 2022

Le rôle des journalistes n’est pas de discréditer mais d’informer.

Les collectifs citoyens ALPHA Citizens, Zone Libre, Les Belges se réveillent, Réinfo Covid, Covi Soins, Med4Health, Responsible Rebels, Revivance, Résistance et Libertés, Grappe, Liège Décroissance, Santé et Démocratie[note].

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CENSURE DE FRANCE SOIR PAR GOOGLE, LE DROIT DU PLUS FORT

Dans la censure qu’opèrent parfaitement bien les GAFAM, Kairos a été ciblé, sa chaîne YouTube de 43.000 abonnés ayant été fermée sous le prétexte honteux de ne pas respecter « les critères de la communauté »[note]. Mais nous ne sommes bien évidemment pas les seuls, France Soir ayant également fait les frais de la privatisation de la parole publique et des attaques médiatico-politiques. Leur avocat explique les dessous de l’affaire, qui est peu ou prou identique à la nôtre. L’occasion de se concerter entre médias libres. 

Le Tribunal de commerce de Paris non seulement valide la censure de Google mais rajoute à cette censure

Par jugement en date du 6 septembre 2022, le Tribunal de commerce de Paris a débouté France Soir [note] de son action à l’encontre des sociétés Google, et l’a condamné à leur payer plus de 70.000 euros de frais de justice (article 700 du CPC)[note].

France Soir demandait le rétablissement de ses articles dans Google Actualité, de sa chaîne Youtube, et de ses services de publicité (Admanager et Adexchange).

Pourquoi condamner les sociétés France Soir à une telle somme, si ce n’est pour pouvoir les censurer encore davantage ?

A l’origine de cette censure : l’application de ses règles par Google interdisant de diffuser tout contenu contraire au consensus de l’OMS et des autorités locales, en lien avec l’épidémie de Covid.

70.000 euros d’article 700 !

La condamnation de France Soir à payer 70.000 euros de frais de justice aux sociétés Google pourrait à elle seule justifier de faire appel. Il s’agit d’un véritable record. En effet, lorsque les sociétés Google sont condamnées à payer ces frais, leur condamnation ne dépasse généralement pas les 20 000 euros [note], et atteint exceptionnellement les 50 000 euros [note].

Pourquoi condamner les sociétés France Soir à une telle somme, si ce n’est pour pouvoir les censurer encore davantage ? A la censure de Google, s’ajoute ainsi désormais la censure du tribunal. Comme si France Soir, et la société Shopper Union France qui l’édite, n’étaient pas déjà assez mutilés, affaiblis.

Le pouvoir de s’exprimer librement

Il faut croire que France Soir doit avoir un sacré pouvoir pour que l’on tente de l’anéantir à ce point. Il est vrai qu’il détient un certain pouvoir, celui de s’exprimer librement. On peut ne pas partager ses idées, mais de là à bannir France Soir de Google Actualité et Youtube, il n’y a qu’un pas, que Google, puis le tribunal, ont franchi.

Mais qu’est ce qui justifie une telle condamnation de France Soir ? Hélas, nous avons beau lire le jugement, aucun argument ne la justifie vraiment. La censure de Google est unique par son ampleur, sa violence. 

Elle nous rappelle les pires moments de l’histoire, avec l’inquisition, ses autodafés, et autres bibliocaustes : plus de 55.000 articles désindexés de Google Actualité, et une chaine Youtube de 277.000 abonnés, intégralement supprimée.

Mais qu’est ce qui justifie une telle condamnation de France Soir ? Hélas, nous avons beau lire le jugement, aucun argument ne la justifie vraiment. 

Mais les sociétés Google ne sont pas les seules à vouloir museler France Soir.

Tout le monde a intérêt à l’évincer :

Google et les autres sociétés du groupe Alphabet, en partenariat avec l’OMS et/ou les grands laboratoires pharmaceutiques,

L’Etat qui défend « quoi qu’il en coûte » sa politique sanitaire du « tout vaccin »,

Les médias concurrents qui font passer France Soir pour un vulgaire « blog » sans journaliste, complotiste, voire d’extrême droite.

Le pire est que France Soir n’a pas à se battre contre un seul, mais contre les 3 à la fois, lesquels sont eux-mêmes liés par des partenariats, des intérêts convergents, et forment donc un véritable monstre.

L’absence de « loi »

La censure des sociétés Google est, tout d’abord, infondée. Elle ne repose sur aucune loi, aucun contrat. Le Tribunal a cautionné la thèse des sociétés Google suivant laquelle, sa règle d’interdiction de contenu contraire au consensus, serait de nature contractuelle.

Il déduit l’acceptation par France Soir des règles de Google Actualité du seul fait de l’insertion de la balise « max snipet » dans son code source, et des règles de Youtube du seul fait de la création d’une chaîne.

Concernant l’insertion d’une balise, pas besoin d’être juriste pour comprendre qu’elle ne peut valoir acceptation de règles. S’agissant de Youtube, le tribunal invente le fait que, pour créer une chaîne, il faut « cliquer sur la formule en utilisant ce service, vous en acceptez les Règles ».

La censure des sociétés Google est infondée. Elle ne repose sur aucune loi, aucun contrat.

Ce que les sociétés Google, faute de preuve, elles-mêmes ne prétendaient pas… Le tribunal est donc allé jusqu’à inventer de nouvelles pièces. La cour d’appel appréciera.

Le tribunal a donc conféré aux règles de Google une nature contractuelle qu’elles n’ont pas.

 Une règle abusive

Même à supposer que la règle de Google ait été acceptée par France Soir comment ne pas reconnaître qu’elle est abusive ? En effet, rien n’est plus mouvant, subjectif qu’un consensus. Il ne s’agit pas d’une règle objective, prévisible.

Cette règle est en outre dangereuse car elle vise à priver tout débat, toute opinion contraire, toute critique scientifique, ou du pouvoir en place. Elle est enfin absurde : pour atteindre le consensus, il faut débattre. Interdire de débattre revient ainsi à interdire le consensus.

Il est loin le temps de la démocratie athénienne laquelle invitait chaque citoyen à s’exprimer au travers de la question qui leur était posée : « Qui veut prendre la parole ? ». Certes Google n’est pas la Pnyx, mais en raison de sa position dominante sur le marché de l’information, comment ne pas tenir compte de son impact sur la population, la démocratie même ?

Google n’est pas une simple plateforme, il est le principal moteur de nos sociétés fondées sur l’information.

De fausses informations ?!

Le fondement contractuel, et l’objectivité même des règles de Google étant contestables, le tribunal tente de justifier la censure de France Soir en validant une autre thèse de Google : France Soir diffuserait de « fausses informations », qualification crée par la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information.

Google n’est pas une simple plateforme, il est le principal moteur de nos sociétés fondées sur l’information.

Or la jurisprudence, tant du Conseil constitutionnel (Décision n° 2018–773 DC du 20 décembre 2018), que des juridictions judiciaires[note] qualifient de fausses informations celles qui sont objectivement fausses, dénuées de tout lien avec la réalité, et diffusées de manière artificielle ou automatisée, massive et délibérée.

Est-ce que France Soir nie l’épidémie ? Non, il conteste en revanche les discours alarmistes qui exagèrent sa dangerosité,

Est-ce que France Soir nie la surmortalité ? Non, il critique les chiffres tout en ne niant pas qu’il y ait eu une surmortalité,

Est-ce que France Soir affirme que les vaccins ARN modifient les gènes ? Non, il dit qu’il y a simplement un risque, et qu’aucune preuve scientifique n’apporte la preuve contraire,

Est-ce que France Soir nie le bénéficie-risque des vaccins ? Non, il dit simplement que cette balance varie selon les personnes concernées, selon leur âge, et leur comorbidité,

Est-ce que France Soir nie l’efficacité des tests PCR ? Non, il rappelle que son inventeur lui-même avait émis des doutes sur son efficacité,

Est-ce que France Soir nie l’efficacité du port du masque ? Non, il explique que le masque peut être utile dans certains cas, à l’hôpital notamment, et inutile dans d’autres, quand, par exemple, vous vous promenez seul sur la plage,

Est-ce que France Soir dit que les traitements alternatifs sont des solutions miracles ? Non, il dit qu’ils peuvent avoir une certaine efficacité au stade précoce de la maladie, ce qui repose sur des études scientifiques sérieuses.

Au lieu de tenir compte de ces nuances, de reconnaître que France Soir ne diffuse pas de fausses informations, au sens juridique du terme, le tribunal a repris en bloc les arguments de Google qui présente France Soir au travers de « petites phrases » décontextualisées, extraites de ses articles et vidéos, qui visent à faire peur, à diaboliser, à faire croire au grand méchant loup.

 La blanche colombe

De l’autre côté de la barre, rien ne serait à reprocher aux sociétés Google :

Elles informeraient parfaitement leurs utilisateurs quant à leur ligne éditoriale « consensuelle »,

Leurs règles seraient parfaitement acceptées par les éditeurs, tant dans Google Actualité du seul fait de l’insertion de la balise « max snipet », que dans Youtube du seul fait d’avoir créé une chaîne,

La sanction des sociétés Google serait parfaitement nécessaire, proportionnée,

Bien sûr les sociétés Google n’auraient aucun intérêt privé, seraient complètement désintéressées, et ne se battraient que pour le bien commun de l’humanité.

Pour me battre depuis 20 ans contre les sociétés Google, permettez-moi d’en douter un peu. 

Après une longue bataille, le Tribunal judiciaire de Chambéry vient de nous donner raison en reconnaissant le caractère illicite d’une fiche Google My Business du géant américain (Voir l’article Fiche Google My Business : Google encore condamné.)[note].

Sans compter que les sociétés Google sont régulièrement condamnées notamment pour abus de position dominante, atteinte au droit des données personnelles, et non-respect du droit de la consommation. Espérons que la cour d’appel ne sera pas ainsi dupe du discours de Google qui tente de justifier sa censure en prétextant de la qualité de son contenu, de son image de marque.

La censure de France Soir n’est donc pas fondée, justifiée, par un contrat ou une loi.

 Une censure disproportionnée

La censure des sociétés Google est ensuite disproportionnée. Le seul fait que les autres réseaux sociaux comme Facebook, Twitter ou Instagram n’aient pas totalement banni France Soir montre à quel point la sanction de Google est disproportionnée.

Les règles de ces plateformes sont pourtant similaires : elles condamnent les contenus contraires au prétendu consensus dans le domaine sanitaire. Mais la sanction est distincte : d’un côté la censure totale (Google/Youtube), de l’autre des mesures plus ciblées :

Message d’avertissement (Facebook, Twitter, Instagram),

Perte de visibilité de certains articles du fait de la suppression de l’image qui les accompagne (Facebook),

Suppression ciblée d’un article, ou d’un post (Twitter, Instagram),

Censure limitée dans le temps : pendant 24 h (Facebook).

Les sanctions des autres réseaux sociaux, bien qu’elles soient contestables en elles-mêmes, sont donc prises en fonction de chaque contenu, au cas par cas. Elles ne vont pas jusqu’à éradiquer définitivement France Soir de leurs services, et ce pour une durée indéterminée. Elles sont donc mesurées, graduées, calculées en fonction de chaque article, contenu. 

Si de telles mesures pouvaient être prises par ces réseaux, elles pouvaient l’être aussi par Google. Et ce d’autant qu’on peine à comprendre dans le jugement quel est le but véritable de cette sanction :

Protéger les intérêts de Google (contractuels, image) ou

Protéger les intérêts du public (protection de la santé, désinformation) ?

Sur ce point le jugement est particulièrement flou. Ce qui explique qu’il n’ait pas pu procéder à une balance des intérêts, pourtant essentielle en la matière. La censure du géant américain n’est donc pas nécessaire au sens de l’article 10.2 de la CEDH[note].

Une censure discriminatoire

A cela s’ajoute que la sanction de Google est discriminatoire : on supprime le contenu de France Soir tout en laissant subsister des articles et vidéos identiques sur Youtube et Google Actualité. Google a eu beau essayer de faire le nettoyage pendant toute la durée du procès, et couper les têtes, similaires à France Soir, qui dépassaient : il en reste encore, et pas des moindres.

La chaîne Youtube de l’IHU de Marseille se voit comme le nez au milieu de la figure[note]. Plus de 627.000 abonnés[note], et des millions de vues pour un contenu identique à celui de France Soir. France Soir a été un des principaux soutiens de la chaine Youtube de l’IHU, et de son principal intervenant, le Professeur Didier Raoult. Pour le tribunal, cela ne serait pas une preuve…

Pourtant la ligne de France Soir est identique à celle de l’IHU : critiquer sur de nombreux points le prétendu consensus sanitaire. Non pas critiquer pour critiquer, dans un but purement politique, mais critiquer avec des arguments scientifiques dans le but de mieux éclairer les citoyens sur leur santé, et la politique sanitaire du gouvernement.

 Appel

La liste des arguments à l’encontre du jugement est longue, et nous ne voudrions pas abuser de la patience des lecteurs. Des explications complémentaires sont accessibles sur le site de France Soir[note]. Ce jugement devra selon nous être annulé en appel.

Il ne porte pas uniquement atteinte à la liberté d’expression, et d’entreprendre de France Soir. Il illustre l’emprise des GAFAs, et de Google en particulier, sur notre système politique, juridique, économique. En un mot, sur notre démocratie.

Nous devons collectivement nous défendre face à cette invasion. Ce n’est pas à Google de faire la loi, de nous juger, de nous dicter notre façon de penser, ou de nous exprimer, mais au géant américain de s’adapter à notre culture, à nos valeurs, à notre droit.

Il en va de notre souveraineté, de notre indépendance, de notre liberté.

 Par Arnaud Dimeglio, Avocat, publié sur le site https://www.village-justice.com/articles/france-soir-google-droit-plus-fort [note]

Note de l’auteur : Maître Arnaud Dimeglio était partie à l’affaire commentée ci-dessus.

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Articles

Témoignage de Manu et Sandrine en zone libre : Stockholm, Suède

Réalisateurs partis en Suède pour traverser le rideau de fumée médiatique et voir de leurs yeux ce qu’il s’y passe, nous ramener des images et témoigner, Manuel Poutte nous a écrit leurs premières impressions à leur arrivée à Stockholm. Ce qui frappe ici, c’est que rien ne filtre sur ce qui se passe ailleurs. Cette omerta en dit long.

Lyriques…

Nous arrivons à l’aéroport de Stockholm et nous constatons immédiatement que les gens, déjà ici, ne portent pas de masque. Sans nous concerter, les larmes nous montent aux yeux, à tous les deux. Les larmes viennent de voir, de redécouvrir des visages libres, de voir des femmes et des hommes sans cet horrible morceau de tissu, lange de nos bouches, de nos paroles et de notre humanité.

Gourmands…

Peu après, dans une galerie commerçante, je vois un magasin de gâteaux… J’adore les gâteaux… je veux y rentrer, mais j’ai déjà le réflexe d’attendre à l’extérieur. Plusieurs personnes passent devant moi et je me rends compte alors que c’est déjà entré en moi… cette mauvaise habitude. Ici, pas de files, pas d’infantilisation des êtres obligés de se ranger l’un derrière l’autre, comme des gamins au collège. Ici on rentre quand on veut.

Bêtes…

On marche dans la rue, on sourit à tout le monde et les Suédois ne comprennent pas, ils nous regardent comme deux benêts ahuris, mais on s’en fout, on a envie de manger leurs visages et de leur dire et de leur crier : vous ne vous rendez pas compte d’où on vient !

Émerveillés…

On monte dans le bus, on descend dans le métro, on monte dans le train, on rentre dans un grand magasin, personne ne porte le masque. Tout est comme avant et comme ça doit le rester. Je filme tout ça avec passion. Jamais je n’aurais pensé dans ma vie que des choses aussi banales pourraient un jour devenir exceptionnelles.

Ça y est, chacun fait partie du film catastrophe qu’on lui a tant annoncé. Et il sauve le monde en restant chez lui devant sa TV ! Héros du canapé

Tout d’un coup, dans une allée de fruits et légumes, on a peur de rentrer chez nous, dans la dictature de la règle absurde où le peuple rendu masochiste a appris à prendre goût aux sévices qu’il subit… Et il en redemande même… Ça y est, chacun fait partie du film catastrophe qu’on lui a tant annoncé. Et il sauve le monde en restant chez lui devant sa TV ! Héros du canapé.

Interdits…

Le dernier soir en Belgique, je suis rentré du bureau à 1h du matin, et j’ai traversé une partie de Boitsfort dans un silence absolu, plus impressionnant encore que celui du confinement, car au loin même il n’y avait plus un bruit de voitures, plus un bruit humain, plus rien. Un bruit blanc. Mais j’avais, en plus, en craignant la police, ce sentiment, à la fois excitant et terrible d’être dans l’illégalité…en marchant seul dans la rue.

Le couvre-feu… quel esprit malade et fasciste a pensé que ce serait efficace contre le coronavirus ? 

Quel esprit psychopathe a créé cette somme d’interdits qui n’ont pas lieu d’être ? Des punitions qui n’ont aucun pouvoir sur un virus qui ne se propage certainement pas plus au cœur de la nuit, dans les rues déjà vidées depuis longtemps de ses habitants sous sédatifs, exténués et apeurés par la propagande mortifère des médias pyromanes. Nous, le peuple, coupables, tous coupables, d’avoir baissé ce masque un jour, à un moment donné, pour une parole, pour un sourire, pour un baiser.

Souriants…

Fin de journée, j’ai beau savoir que je suis en mission pour sauver le monde, je dois avouer, que plus d’une fois je craque pour des petits gâteaux que je vois en vitrines… ils en ont plein ces Suédois… Avec de la cannelle, de la fleur d’oranger, des framboises, des myrtilles, et de la crème fouettée.

Je me dis : soignons nos bouches, tout passe par elles : les saveurs du monde et les baisers de l’amour.

Et en plus, elles sourient, nos bouches ! Elles sourient et nous ne savions pas combien c’était important.

Et lyriques à nouveau… Ainsi est venu le temps, où nous devons nous battre pour ce sourire.

Manuel Poutte

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La presse libre existe !

Le 30 septembre 2016, dans une geste[note] qui aurait pu paraître anodine, André Linard, ancien secrétaire général du Conseil de déontologie journalistique (CDJ, de 2009 à 2016), nomme le journalisme citoyen, pour mieux établir, une fois de plus, qu’il n’existe pas. 

Nous reproduisons ci-dessous l’entièreté de sa carte blanche, parue dans La Libre, non pas que nous voulions lui donner à nouveau une tribune, mais parce que nous pensons qu’elle révèle, outre la pensée profonde de l’auteur, tout un système médiatique où la dissidence n’a pas sa place. Ceci expliquant donc l’existence de médias libres, indépendants, citoyens… 

Carte blanche d’André Linard, parue le 30 septembre 2016 dans La Libre 

LE JOURNALISME CITOYEN N’EXISTE PAS 

Bien sûr, le titre est excessif et doit être expliqué. Il exprime un profond énervement devant une certaine idolâtrie de la parole citoyenne, qui serait par nature libre et indépendante, alors que les journalistes, eux, seraient noyés dans le conformisme et la soumission à des intérêts mercantiles qui les dépassent. En réalité, soit on s’exprime en tant que citoyen, soit on pratique le journalisme, ce qui implique un niveau d’exigence différent. 

La parole citoyenne est légitime. Elle est même nécessaire et trop faible dans la société qui manque de militantisme, d’expression d’opinions, des gestes posés au nom de valeurs et de principes. Mais cette parole n’a pas besoin de se qualifier de journalistique pour être pertinente. Car faire du journalisme, ce n’est pas seulement s’exprimer, prendre position, commenter, ni même raconter ce qui se passe au coin de sa rue. Ce n’est pas non plus lancer des alertes ou transmettre des documents, toutes démarches qui ont toutes leur importance lorsqu’elles portent sur des sujets d’intérêt général. Il n’y a rien de corporatiste dans ces propos. Le journaliste ne se reconnaît pas à un diplôme, à une carte de presse ou un contrat avec une rédaction. La différence entre les journalistes et les citoyens réside dans la démarche et dans les exigences. 

« Comme pour la plupart des questions, la réponse appartient aux citoyens, à leur action. Sans aucun doute, tout système de pouvoir fera tout pour l’empêcher ».[note] Noam Chomsky 

Un citoyen exprime ses opinions[note], raconte ce qu’il a vu autour de lui, tient un discours militant qui ne lui impose aucune exigence de respect de la vérité. Il évoque les émotions qui lui tiennent à cœur et se veut acteur dans la société. Le journalisme remplit un autre rôle social. Il a pour responsabilité d’être l’intermédiaire entre ce qui se passe, au sens le plus large du terme, et le public. Face à la masse d’informations disponibles, il a pour responsabilité de recouper, de vérifier, de trier, de mettre en perspective, de sélectionner, d’expliquer, d’écarter ce qui ne tient pas la route, d’aider à comprendre au lieu de simplement transmettre… Le journalisme demande des compétences au même titre que n’importe quelle autre activité. Je cuisine chez moi, je ne suis pas pour autant un chef-coq. Être capable de prendre un médicament quand c’est nécessaire ne fait pas de moi un médecin. Plus la quantité d’informations disponibles est grande, plus le monde a besoin de personnes qui remplissent cette fonction sociale spécifique. Ce n’est pas un pouvoir, c’est une responsabilité. Des citoyens se révèlent excellents dans cette activité, par exemple sur leur blog. Tous les journalistes sont d’ailleurs aussi, en tant qu’individus, des citoyens. Mais dans leur activité, ils s’imposent des règles plus strictes que les citoyens. Un jour une blogueuse a déclaré dans un colloque que la déontologie, c’est simple: il suffit de ne pas mentir. Grosse erreur, bien entendu: le fondement du travail journalistique est la recherche et le respect de la vérité, une démarche active bien plus exigeante que l’absence de mensonges. 

« J’ai vu, en fait, l’histoire s’écrire non pas en fonction de ce qui s’était passé mais en fonction de ce qui aurait dû se passer selon les diverses lignes de parti. (.…) Ce genre de chose m’effraie, car cela me donne souvent le sentiment que la notion même de vérité objective est en train de disparaître de notre monde. Après tout, le risque est grand que ces mensonges, ou des mensonges semblables, finissent par tenir lieu de vérité historique. (…) Si le chef dit de tel événement qu’il ne s’est jamais produit – eh bien, il ne s’est jamais produit. S’il dit que deux et deux font cinq – eh bien, deux et deux font cinq ». George Orwell[note] 

Il fut de bon ton, à un moment donné, de contester le monopole de la bonne information que les journalistes prétendaient paraît-il avoir. Acceptons que la critique fut parfois juste. Les progrès technologiques ont alors permis de communiquer en multilatéral. Aujourd’hui, la diffusion d’information partout, par tous et en tous sens force les journalistes à une plus grande rigueur, les confronte à de nombreuses rumeurs à vérifier et les soumet plus largement à la critique. La création d’espaces de réaction ouverts aux internautes sur les sites des médias partait d’une bonne idée: compléter, contester ou améliorer les informations déjà diffusées par les journalistes par des apports du public. Les portes du pseudo journalisme-citoyen s’ouvraient sur une nouvelle voie d’expression. On voit ce que cela donne. A de rares exceptions près, ces forums sont sans intérêt. Leurs contenus appellent souvent à la haine, au racisme, à la violence et certains médias se complaisent à les relayer. Chacun a le droit de s’exprimer mais n’est pas journaliste qui veut. 

André Linard 

Notre réponse à la carte de blanche d’André Linard, envoyée le vendredi 7 octobre 2016, et refusée par La Libre 

Face à cet étalage de contre-vérités, révélatrices d’une idéologie bien ancrée, ce flot de sophismes qui cachent un flou visant à égarer le lecteur du problème fondamental – qu’est-ce que le journalisme au regard des médias dominants et, à partir de là, pourquoi des citoyens décident de faire des médias libres ? –, nous avons demandé à La Libre un droit de réponse que nous devions signer collectivement au nom de différents médias indépendants. 

Notre courrier a été refusé par le service débat de La Libre. Nous reproduisons son entièreté ci-dessous. 

AINSI, LE JOURNALISME CITOYEN N’EXISTERAIT PAS ? 

Comme à l’accoutumée, lorsqu’il s’agit pour un journaliste professionnel de défendre sa position face à la montée d’un journalisme citoyen, il faut feindre l’indépendance et la liberté des médias dominants, exercice dans lequel le recours aux raccourcis devient un réflexe. 

Ainsi, André Linard, ancien directeur du CDJ, affirmait dans sa carte blanche qu’il n’existe pas de journalisme citoyen et dénonçait un manichéisme, qu’il crée au fond de toute pièce: il existerait selon lui cette idée d’une «certaine idolâtrie de la parole citoyenne, qui serait par nature libre et indépendante, alors que les journalistes, eux, seraient noyés dans le conformisme et la soumission à des intérêts mercantiles qui les dépassent ». Mais qui a inventé ce manichéisme primaire, outre celui qui le cite? Nous pouvons autant déceler chez les premiers un blogueur ultrasioniste tout sauf «libre et indépendant» et chez le second quelqu’un qui travaille honnêtement et au service de l’exactitude de l’information. 

Mais ce type de rhétorique est connu: il s’agit de nommer un problème – le conformisme et la soumission –, pour mieux l’écarter et ne plus y réfléchir, à l’instar de Laurent Joffrin, directeur de publication de Libération, qui démentait que des journaux ne puissent plus être libres dès lors qu’ils sont dans la main de propriétaires : « Je ne crois pas que le Figaro ne soit pas libre parce qu’il est dans la main d’un marchand de canons.» 

« Superflus aussi la publicité et les parrainages qui amadouent ou sanctionnent les responsables des médias ; qui obligent à vendre un journal deux fois, d’abord à l’annonceur, puis au lecteur ; qui véhiculent sans relâche le lien entre bonheur et marchandise ; qui bientôt détermineront le sommaire de chaque périodique et la géographie de ses zones interdites ». Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, p.99 

Pourtant, les médias mainstream appartiennent à de grands groupes qui ont des intérêts à défendre, et cette structure de propriété a des effets certains sur la ligne éditoriale. En Belgique, la plupart des médias sont dans les mains de sept familles qui comptent parmi les plus grandes fortunes belges. En France, pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres, Libération est la propriété de Patrick Drahi, homme d’affaires actif dans les télécommunications, avec un patrimoine évalué à 14 milliards d’euros – et qui a baigné dans les Panama Papers. Ce dernier témoignait le 27 mai 2015 devant l’assemblée nationale : « Les Chinois travaillent 24h/24 et les Américains ne prennent que deux semaines de vacances… c’est là, le problème pour nous…». Difficile de croire que lui ou un autre patron de presse défendra le droit du travailleur, la nécessité de produire moins et mieux, la lutte contre des traités internationaux comme le TTIP ou le CETA… pas maso le coco. 

Quand vous vous plaignez auprès de notre chaîne publique qu’au JT du soir du samedi 17 septembre, alors que des centaines de milliers de manifestants sont sortis dans les rues allemandes pour dénoncer le CETA et le TTIP, ils n’en aient dit mot, on vous répond: «L’actualité étant souvent très chargée, la rédaction du JT est amenée constamment à faire des choix. En trente minutes de journal, il est effectivement impossible de parler de tout. C’est la raison pour laquelle la rédaction pratique une information dite 360°, c’est-à-dire une information qui se décline sur les différents médias. Un sujet peut ainsi être traité en radio et sur le net mais pas en télévision, ou inversement ». Rigolo… Mais « normal », la chaîne publique étant prise dans le rouleau compresseur de la concurrence et de l’audimat, managée à l’américaine par des universitaires sortis de Solvay business school. On ne s’étonnera ainsi pas du racolage médiatique et du climat délétère au sein de l’institution, dès lors que le profit passe avant tout. 

C’est donc fondamentalement cette appartenance des médias qui a détourné de nombreux citoyens de l’info-spectacle et les a amenés à créer leurs propres supports. Ceux-ci ne sont pas pour autant de moindre qualité que l’information estampillée «professionnelle». Au contraire, puisque de fait ces nouveaux médias «citoyens» remplissent une fonction que les «professionnels» n’assument plus. Et ils le font par conviction, par souci citoyen, et dans des conditions humainement et matériellement difficiles (ils doivent avoir une activité rémunérée par ailleurs, devant travailler sur le média en dehors de ces heures). Mais cette faiblesse est en même temps leur force, la garantie de leur liberté à eux: leur salaire et l’éventuel remboursement de leur crédit ne dépendent pas de ce qu’ils disent ou écrivent. 

On ne voit pas trop d’ailleurs à ce niveau ce qui définit un journaliste. Si on suit André Linard dans cette présentation binaire «Soit on s’exprime en tant que citoyen, soit on pratique le journalisme, ce qui implique un niveau d’exigence différent » ; « La différence réside dans la démarche et dans les exigences ». ⁃ « Un citoyen exprime ses opinions, (…) tient un discours militant qui ne lui impose aucune exigence de respect de la vérité. ⁃ « Chacun a le droit de s’exprimer mais n’est pas journaliste qui veut ». Le journaliste serait ainsi une sorte d’être éthéré, hors-sol, responsable, avec des exigences strictes de respect de la vérité. André Linard ne nous dit pas quand on est un « vrai » journaliste, mais sans doute ne le devient-on réellement qu’une fois adoubé par ses pairs et reconnu membre de la grande famille, celle qui se conforme le plus souvent à la vérité que l’institution attend. Celle qui, en définitive, devient elle aussi militante, mais à l’insu de son plein gré, au service d’intérêts dont elle n’est souvent pas consciente, que ce soit par choix ou par naïveté. 

Nous n’avons pas besoin de titres, de corporatisme, de galas entre copains; nous nous définissons par ce que nous faisons, pas par ce que nous sommes. Nous qui faisons de la presse libre et indépendante, nous assumons un rôle de porte-parole, nous ne sommes pas des détenteurs de la liberté d’expression. Comme disait Jean-Paul Sartre : « On croit que la liberté d’information, le droit à la liberté de la presse, c’est un droit du journaliste. Mais pas du tout, c’est un droit du lecteur du journal. C’est-à-dire que c’est les gens, les gens dans la rue, les gens qui achètent le journal, qui ont le droit d’être informés. (…) Donc, il faut essentiellement que le peuple discute avec le peuple.» Nous voulons créer un lien de proximité, faire exister la parole de ceux qui sont rendus invisibles et délaissés par les médias traditionnels, rendre intéressant ce qui est important, plutôt que de rendre important ce qui n’a aucun intérêt, comme le divorce de deux stars multimillionnaires. La liberté d’information n’est pas celle qui défend l’information utile au statu quo des plus nantis. 

En définitive, c’est sans doute cela que les défenseurs du « vrai » journalisme empêchent, malgré eux pour certains: que le peuple soit informé. Et que le changement, enfin, prenne corps… 

Cher Monsieur Linard, si tous les journalistes faisaient vraiment et correctement leur boulot, il n’y aurait point de lanceurs d’alerte, de WikiLeaks, il n’y aurait pas Kairos, Zin TV et Sans Papiers TV… ou même le collectif Krasnyi, radio Panik,… il n’y aurait pas de journalisme citoyen ! 

Vendredi 7 octobre 2016. 

Signataires: journal Kairos, ZIN TV, Sans Papiers TV, collectif Krasnyi, radio Panik 

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LE SYSTÈME « LIBRE » CADENASSÉ

Comme « marque » du groupe IPM (avec, dans les médias, également la DH/Les Sports, DH Radio, Paris Match Belgique, 13% de participation de l’agence Belga), La Libre Belgique peut-elle laisser les journalistes qui croient encore à la presse libre, écrire ce
qu’ils pensent juste, vrai et nécessaire ?

Imaginez la chaîne de contrôle : 

1|  On débute par le boss d’IPM : Denis Pierrard, ingénieur commercial de formation, a débuté sa carrière chez Solvay aux États-Unis puis chez McKinsey, société multinationale spécialisée dans le conseil stratégique aux entreprises. Il semble que pour atteindre les hautes sphères médiatiques, passer par le secteur du commerce et de la finance soit porteur : son pendant, Bernard Marchant, CEO du groupe Rossel (Le Soir, Vlan, Metro (49%), etc.), était lui un ancien conseiller fiscal cher Arthur Andersen, vice-présidence Europe du groupe informatique Olivetti, plus tard directeur général de Beckaert, leader mondial du métal. Par après, Denis Pierrard intègre IPM, qu’il quitte pour rejoindre Ackermans et Van Haaren (AvH), qui se définit comme créatrice de « valeur pour l’actionnaire en investissant à long terme dans un nombre limité de participations stratégiques avec un potentiel de croissance internationale »[note]. Pour la petite info, Luc Bertrand est Président de AvH et sa fille, Alexia Bertrand, en est une des administratrices mais aussi cheffe de cabinet du vice-premier ministre Didier Reynders. C’est à ce titre qu’on avait dénoncé un conflit d’intérêts dans un dossier du cabinet portant sur l’éolien offshore censé être attribué à Deme, filiale à 100% d’AvH. Soit, cela ne nous regarde pas, ni La Libre, il pourrait là aussi y avoir conflit d’intérêt… Donc, Denis Pierrard rejoint Libération, dont François le Hodey, l’un des propriétaires d’IPM, détient 8%, et où il pourra « surtout s’occuper de la gestion opérationnelle »[note].

2|  Bertrand de Meeûs : rédacteur en chef de LaLibre.be depuis 2012, prend les rênes du papier en 2018. Également enseignant à l’Ihecs, la position de rédacteur en chef n’implique pas d’être passé par les Business school et d’avoir travaillé dans des grands bureaux de conseil fiscal, il suffit d’avoir intégré le logiciel de La Libre, de savoir qui sont ses vrais patrons et ce qu’ils veulent, en somme d’obéir et d’assurer un regard-contrôle de ce qui peut ou non se dire. Mais il faut aussi que ce contenu assuré, on se focalise uniquement sur le contenant, en allant vers ce que ceux qui le plus souvent ne veulent pas entendre parler de révolution (la vraie) appellent la « révolution numérique » : « Au cours de ces dernières années, nous avons été de succès en succès avec LaLibre.be et ses applications, la marque La Libre a trouvé sa place dans ce nouvel environnement social et technologique, grâce en grande partie à la vision et au dynamisme de son rédacteur en chef[note]. »

3|  La rédaction : entre les « sous », les « vices », etc., qui assurent le relais de la chaîne de commandement, on retrouve les journalistes et les pigistes. Les derniers, en gros, n’ont aucun droit et surtout pas celui de proposer un contenu qui déplairait à celui qui le paie. Les autres, s’ils ont encore des velléités de liberté, sont tenus par quelques considérations matérielles, comme ces jeunes recrues de médias de masse qui, dégoûtées du dégoûtant des rédactions, avaient refusé de témoigner : « J’espère qu’elles te contacteront. Elles sont tout de même un peu hésitantes car elles craignent pour leur emploi qu’elles ont eu tant de mal à trouver. Je les vois prochainement, j’en discuterai encore avec elles »[note].

Après ça, que reste-t-il ? Dans ce cas, la censure directe est de peu d’utilité, l’autocensure fera le travail. Et, le plus souvent, quand la censure se manifestera, elle prendra l’allure habillée de la raison et de la rigueur : ils diront qu’on « n’étaye pas », qu’il n’y a « pas assez d’explications », qu’il faut trouver quelque chose de « plus pertinent », évoqueront « quelque chose d’un peu simpliste » ; ils feindront de vous suggérer « ce qui est plus correct sur le plan journalistique », ne disant jamais quel est leur plan journalistique, surtout quand c’est une petite main qui œuvre, sous-fifre qui répercute les ordres d’en haut en échange de quelques gratifications honorifiques et de quelques faux-semblants de pouvoir suffisant à l’infatuer. Et quand votre information paraîtra imparable, ils vous diront que vos propos sont « excessifs », vous accusant de faire le jeu du populisme et de la démagogie, surtout quand vous parlez de révolution et expliquez la cohérence de la classe patronale, sans même qu’il arrive à leur esprit que c’est leur propension à ne pas en parler, reléguant la gauche aux luttes identitaires et sociétales, qui a fait le jeu de l’extrême droite. 

AU-DELÀ DE LA RÉDACTION…

IPM est la propriété de la famille Le Hodey, 410ème fortune belge (35.841.000€), qui détient diverses « marques » : outre La Libre, la DH, Paris Match Belgique, elle vous a fait vivre le football pendant la coupe du monde, engrangeant ses bénéfices via BetFirst qu’elle possède et qui occupe à lui seul un onglet sur le site de la DH ; Whitefox (marketing digital) ; IPM Advertising, commercialisant notamment « l’ensemble des sites de la RTBF : l’info, le sport, l’offre audio & vidéo sur Auvio, mais aussi la TV, les radios, etc. ». IPM a des participations dans RTL Belgium, l’agence Belga, Evosys (société de vente de logiciels de courtage immobilier). Quel lien entre le journalisme et la plupart de ces investissements, demanderez-vous ? Aucun. C’est pour cela qu’IPM s’assure que les pages de La Libre établiront ce lien avec leurs intérêts, plaçant Denis Pierrard comme directeur général des rédactions, mais aussi fidélisant un Conseil d’administration, dont IPM renouvelle une partie en 2015[note] et dans lequel on retrouve : 

- Pierre Rion : ingénieur civil diplômé de l’ULg, il se définit comme un « serial entrepreneur », un « business angel ». Il est président du Cercle de Wallonie, de l’Association des Vignerons wallons et de nombreux organismes et sociétés. Il a été « Leader économique de l’année » (Lobby Awards 2016). C’est lui qui dira : « Un bon citoyen doit être une pompe à argent qui fait tourner l’économie »[note]. Tout un programme… 

- Bruno Lesouef : décédé en 2018, avait été directeur des Affaires Publiques du Groupe Lagardère et gérant d’Hachette Filippacchi Associés. 

- Denis Steisel : « serial entrepreneur belge », est patron et investisseur dans de multiples entreprises liées aux technologies digitales. Il est «managing partner de Eezee-It, spécialisée dans la transformation digitale, a cofondé Emakina Group, agence digitale, est membre du comité d’investissement de WING (Wallonia Innovation and Growth), fonds d’investissement pour les start-up wallonnes. Sa fonction chez IPM ? « Aider le groupe à faire face aux nouveaux défis de l’économie digitale’ » »[note].

- Alain Siaens : Président du CA d’IPM, docteur en sciences économiques, ancien professeur extraordinaire à l’Université catholique de Louvain, passe successivement par la banque JP Morgan, le Groupe Bruxelles Lambert puis chez Prominvest, rejoint la banque Degroof en 1990 pour y prendre la direction de l’activité holding, où il s’occupera dès 1993 des activités d’« investment banking » : financement des entreprises, conseil en fusions/acquisitions, placements privés, introductions en Bourse… Occupant le siège du comité de direction depuis 1998, il cède sa place en 2006 à Regnier Haegelsteen. Il quitte mais ne part pas puisqu’il prend la présidence du conseil d’administration de la banque. On comprend mieux pourquoi, lorsque le rédacteur en chef de Financité évoquera l’évasion fiscale de 221 milliards, il lui écrira, sans même se présenter et avec la morgue du banquier : « Je vous félicite et voudrais savoir la source statistique des 221 milliards des 563 entreprises, virées vers des paradis fiscaux ». Pas de bol, la source était le SPF Finances… 

Ces nouveaux mousquetaires rejoignent ainsi Patrice le Hodey (Vice-Président), François le Hodey, Philippe le Hodey, Marguerite le Hodey, « l’esprit de famille à toute épreuve » (L’Echo, 27/07/2012).

AUTOPSIE DU GROUPE

Le Groupe Le Hodey est composé de 16 sociétés[note]:

1| 99,99% du groupe Maja (le reste, une part infime, appartient, résultat de montages occultes, à Axemedia et IPM Press Print NV), qui lui-même a des participations dans : 

- IPM Group NV (99,8%)- Traxxeo (47,37%)- Ipartner (99,7%)- European Telematics (100%) — Axemedia (50,4%)

2| RNA qui possède Alfabyte (12,57%) et HI Invest (41,7%)

3| IPM Presse Print NV, dont l’actionnaire principal est IPM Group NV (détenu à 99,8 % par la famille Le Hodey), a des participations dans Axemedia (0,4%), Maja (proche des 0%) et IPM Group NV (0,1%).

4| IPM Group NV : son actionnaire principal est le groupe Maja (99,8%), dont IPM Press Print NV possède 0,1%. Il a des participations dans : 

- PX Holding (9,61%)- Sagevas (+ de 50%)- RTL Belgium (6,99%) — IPM Press (100%)- Twizz Radio (99,82%)

5| La famille Le Hodey détient 100% des parts de Traxxeo (dont 47,37% sont la propriété du groupe Maja qui appartient à la famille Le Hodey aussi), Traxxeo qui elle-même possède 100% de Mobiliteit et 100% de Ipartner. Traxxeo (http://www.traxxeo.fr) est le spécialiste de l’internet des objets dans le secteur BTP, gérant des ressources via des nouvelles technologies qui collectent des données et contrôlent à distance l’activité des ouvriers, les machines, les véhicules, les équipements. Elle est, si on en lit sa description, l’élément probant de la perte d’autonomie inscrite dans les nouvelles technologies, et la perte de contrôle sur soi qu’elle provoque : « Traxxeo vous propose une plateforme logicielle ouverte qui permet de collecter des données depuis de nombreux équipements connectés : black box véhicule, pointeuse de chantier, étiquette RF, téléphones, tablettes, objets connectés… ». N’attendez donc pas de La Libre qu’elle consacre dans une liberté éditoriale totale un dossier sur les nouvelles technologies…
Traxxeo collabore avec :

- Eiffage (http://www.eiffage.com): entreprise impliquée dans la construction, les infrastructures, l’énergie et les concessions, qui est notamment impliquée dans le LGV Bretagne-Pays de la Loire, le prolongement de la ligne 14 du métro parisien, la fondation Luma à Arles9 : une « Luma Arles, une tour d’argent aux mille reflets, avec sa rotonde de verre et ses milliers de blocs en inox qui créeront autant de reflets argentés, la tour de la Fondation Luma à Arles (Bouches-du-Rhône) marquera l’entrée d’un parc public de 6 hectares. Eiffage Métal réalise en groupement l’enveloppe de l’édifice, signé de l’architecte Frank Gehry, qui atteindra 56 mètres de hauteur. 50.000 heures d’études ont été nécessaires pour orchestrer la mise en place des 10.000 m² de façades, eux-mêmes composés de 300 panneaux métalliques, 11.000 blocs en inox, 50 « boîtes vitrées » et une rotonde de 5.000 m² » ; 

- Veolia (https://www.veolia.com), qui accompagne la surproduction avec des technologies énergivores qui réduisent la consommation dans le secteur du pétrole, du gaz, de l’alimentation industrielle ; 

- Engie-Electrabel : fournisseur de gaz et d’électricité ;

- Besix (https://www.besix.com): « le Groupe BESIX est devenu une entreprise multidisciplinaire occupant une position phare sur ses marchés d’activité : construction, promotion immobilière et concessions. BESIX Contracting est spécialisée dans la réalisation d’ouvrages de construction, infrastructurels et maritimes qui se distinguent souvent par leur complexité ». Le groupe Besix est représenté en Belgique par 17 filiales: Belemco, Besix Concessions et Assets, Besix Infra, Besix Park, Besix Red, Be Wind, Cobelba, Franki Foundations, HBS, Isofoam, Jacques Delens, Lux TP, Vanhout, Socogetra, Van Den Berg, West Construct, Wust. Au Benelux et en France, le Groupe est représenté en force par les filiales régionales BESIX Infra, Belemco, Vanhout, Wust, Cobelba, Jacques Delens et Lux TP, garantes d’une approche locale. En collaboration avec les entités Franki Foundations, West Construct, Socogetra, Sanotec et Van den Berg, le Groupe propose des solutions de niches spécialisées telles que les fondations profondes, la géo-ingénierie, les travaux routiers, le traitement de l’eau ainsi que la pose de câbles et conduites. C’est Besix qui en Belgique s’occupe notamment de la construction du siège social de BNP Paribas Fortis, du parking « promenade » à Nieuport, de City Dox, de Ijzerlaan, le quartier général de la KBC, le viaduc d’Hertsal, de Docks Bruxsel, de la R4 à Ghent. 

- Bam : marché belge de la construction regroupant de nombreuses sociétés belges et luxembourgeoises ; 

- CFE (http://fr.cfe.be): coté sur Euronext Brussels, CFE est un groupe industriel belge, actif dans les secteurs du Dragage, la construction maritime et environnement, le Contracting et la Promotion immobilière. Le groupe est présent dans le monde entier. CFE c’est le projet Green Hill à Dommeldange, l’école européenne à Bruxelles, la tour Up site le long du canal, le nouvel hôtel de police à Charleroi, le projet Eupen Schule à Eupen, le projet Belview… ): coté sur Euronext Brussels, CFE est un groupe industriel belge, actif dans les secteurs du Dragage, la construction maritime et environnement, le Contracting et la Promotion immobilière. Le groupe est présent dans le monde entier. CFE c’est le projet Green Hill à Dommeldange, l’école européenne à Bruxelles, la tour Up site le long du canal, le nouvel hôtel de police à Charleroi, le projet Eupen Schule à Eupen, le projet Belview… 

6| Sagevas détenu par la famille Le Hodey via IPM Group NV, détient 100% des parts de Turf Belgium. 

7| Twizz radio, dont les actionnaires sont IPM Group NV (99,82%) et Konecto (0,18%).

8| I Partner, détenu par Traxxeo (100%) et le Groupe Maja (99,7%).

9| Hyode, dont les actionnaires sont la Famille Le Hodey (50%) et DNA, a des participations dans : 

- Curador (25%) : pharmacie belge en ligne.- De Rouck Holding (90%)- Europublidis (3,13%) leader belge du développement et de la commercialisation de produits cartographiques sur supports papiers et digitaux.- Multiroad (26%) : secteur de l’édition

10| De Rouck Holding, qui possède 2,71% de Europublidis. 

11| European Telematics, avec comme actionnaire unique Maja. 

12| DNA qui a des participations dans Hyode.

13| Turf Belgium, dont les actionnaires sont Sagevas (100%) et IPM Group NV (49,9%).

14| Axemedia, dont les actionnaires sont IMP Press Print NV (0,4%), Maja (50,4%) et IPM Group NV (50%), et qui a des participations dans Maja (montant non disponible). 

15| Sport Groupe Development qui a des participations dans X‑Free Sport Management. 

16| Mobiliteit, dont l’actionnaire unique est Traxxeo. 

Souriez, vous êtes cernés, entre actionnariats croisés, avocats fiscalistes, le groupe IPM a su placer au sein des rédactions ceux-là mêmes qui conseillent ou conseillaient les entreprises qu’ils possèdent, s’assurant par là même de ne jamais être vraiment embêtés.

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FLAGRANT DÉLIT DE CENSURE À LA LIBRE

En mars 2018, la collaboration entre le magazine Financité et La Libre prenait subitement fin, après 12 années pendant lesquelles le premier fut trimestriellement encarté dans le second. Retour sur un cas de censure avéré, typique d’un contrôle de la pensée, généralement plus insidieux, propre à nos sociétés « modernes ». 

Kairos : Décris-nous en quelques mots ce qu’est
le magazine Financité ?

Julien Collinet : Financité magazine naît il y a 12 ans. À la base, Financité était une association qui informait uniquement le public sur tout ce qui a trait à l’investissement solidaire. Elle est ensuite devenue une association d’éducation permanente avec une mission d’information et de sensibilisation par rapport à la finance en général. Ensuite, il y a eu une évolution vers des thématiques beaucoup plus larges et un intérêt pour davantage de choses. Du coup, ce magazine qui au départ était consacré uniquement à l’investissement solidaire s’est transformé en quelque chose de plus critique autour de la finance, de sujets économiques globaux et leurs implications sur les gens, en travaillant par exemple sur la spéculation alimentaire. Il faut savoir que dès le deuxième numéro, le magazine était encarté dans La Libre Belgique mais nous le distribuions aussi dans 400/500 lieux de dépôt en Wallonie et à Bruxelles : des cafés, des CPAS, des Maisons médicales, etc., plus nos abonnés qui le reçoivent par la Poste. 

Quelles ont été vos relations avec La Libre au
départ et par la suite ?

C’était vraiment très bien. On avait nos rendez-vous annuels, j’échangeais toujours avec eux. Il faut savoir qu’ils avaient en charge l’impression du magazine, ils étaient très contents, avaient de très bons retours de leurs lecteurs. Les gens pensaient même souvent que c’était un supplément de La Libre Belgique. On m’a toujours dit que ça les arrangeait, leur faisant un contenu rédactionnel de qualité en plus. Il n’y a donc jamais eu aucun reproche, jusqu’à un numéro de septembre 2017. 

Donc aucun rappel, même quand vous traitiez
des sujets un peu « délicats » ?

Jusque-là ils ne nous ont jamais rien dit. Il n’y a jamais eu un petit reproche ou une simple discussion sur le contenu. On se sentait vraiment libre de publier ce qu’on voulait. 

La collaboration s’arrête brusquement il y a
quelques semaines, explique-nous comment
cela s’est passé ?

Comme je disais, jusqu’en septembre 2017, il n’y a pas eu de problèmes, ça allait chaque fois de mieux en mieux. Ils nous offraient plus d’opportunités, étaient dans une démarche pour qu’on continue et qu’on renforce le partenariat. Puis il y a ce numéro en 2017 qui portait sur les inégalités, avec une photo d’Albert Frère en couverture. Mon choix alors était de traiter les inégalités et de les incarner, pas de dire « les inégalités dans le monde », mais montrer qui sont ses représentants. Ainsi, en ouverture du dossier il y a notamment les 8 hommes les plus riches du monde, ce qui ne posait pas de problème du tout à La Libre. Mais c’est une semaine après la parution qu’on reçoit un mail qui nous indique que ça a fait beaucoup de remous au sein de La Libre… 

Petite précision ici, ils ne contrôlent donc pas
ce qui va sortir, c’est après qu’ils réagissent en
fonction des retours qu’ils ont eus.

Il faut savoir qu’on envoyait le magazine pour impression le mardi et en général il était imprimé le mardi après-midi. Mais vu qu’ils nous faisaient totalement confiance, il n’y avait pas de relectures. Bref, on reçoit un mail de la personne qui s’occupe du partenariat, qui nous dit que ça fait beaucoup de remous et qui veut qu’on se rencontre, notamment avec le directeur général d’IPM, Denis Pierrard, ancien directeur général de Libération en France. 

Donc, vous allez à cette réunion…

On va à cette réunion qui a lieu deux ou trois semaines après. Je m’y rends avec le directeur de Financité, pour retrouver la personne qui gère le partenariat ainsi que Denis Pierrard. En gros, ils nous expliquent qu’ils ont eu des coups de fil, que son conseil d’administration s’est levé contre cette Une, qu’on aurait dit un tract du PTB, que c’est vraiment démagogique, que nos infos n’étaient pas solides, qu’on mettait des gens en cause qui sont proches de La Libre, que ça, ce n’est pas acceptable, etc. Nous citions notamment dans le dossier des grandes familles au patrimoine important en Belgique, la famille Emsens par exemple, qui s’enrichit grâce au commerce de l’amiante. À ce sujet, ils nous disent que ce n’est pas solide[note].

« La famille Emsens (3,3 milliards € de patrimoine) s’est enrichie grâce au commerce de l’amiante, via sa société Eternit. Ces gens ont tué des milliers de personnes à cause de leurs produits nocifs et on laisse leur fortune prospérer » (Financité, septembre 2017) 

Qu’est-ce que vous leur répondez ?

Sur le fait, on l’a laissé parler, j’ai vraiment trouvé ça ubuesque, assez violent qu’on remette notre travail en cause comme ça. Ils ajoutent aussi que c’est malhonnête de pointer du doigt Albert Frère comme ça, alors que c’est quelqu’un de très généreux. 

C’est un mécène.

Oui, un philanthrope… Ils ajoutent que même s’il avait fait de l’évasion fiscale (sic), ce n’est pas illégal. C’est peut-être immoral mais, bon, on n’a pas le droit d’en parler. Déjà avant, dans le mail, ils nous demandaient, évoquant le logo de La Libre inscrit sur le site de Financité et sur le magazine, de retirer tout cela immédiatement, ne voulant plus y être associés de près ou de loin. 

À ce moment, ils nous posent plusieurs conditions. Outre de retirer le logo, ils veulent qu’à l’avenir, si on continue le partenariat, on indique que nos propos n’engagent nullement la rédaction de La Libre. On n’avait pas de soucis par rapport à cela, ça nous paraissait même honnête. Mais ils nous obligèrent aussi à ce que le journal soit relu avant publication et qu’ils puissent exiger des modifications. Cela nous engageait donc à fournir le matériel une semaine avant. Qu’il y ait un délai, pas de soucis, on pouvait s’arranger, le journal paraît tous les trois mois. 

Malgré que vous indiquiez que les propos du
magazine Financité n’engageaient nullement
La Libre, ils demandent un droit de regard et de
modification ?

Oui, et nous avons à ce moment réfléchi à cela, car premièrement, ça nous poserait un problème s’ils devaient un jour nous demander d’enlever une information et, deuxièmement, il y a quand même implicitement dans ce cas une forme d’autocensure qui apparaît car on sait qu’on peut se faire retoquer si on écrit quelque chose qui ne leur plaît pas. Mais on va finalement accepter car cela nous permettait quand même d’avoir une distribution énorme pour un petit journal comme ça. 

60.000…

Oui, le samedi ils en impriment 60.000. Cela nous permet d’avoir une audience qu’on ne pourrait avoir nous-mêmes par nos petits moyens. On a donc continué, tout en réfléchissant à ce qui pourrait se passer. 

Puis, le numéro de décembre arrive.

Oui, le numéro de décembre arrive, qui ne porte pas du tout sur un sujet polémique, puisqu’il traite des coopératives comme réponse à l’uberisation, pour laquelle je prends l’exemple des livreurs à vélo, Delivero, etc. Mais en fait, il y a un autre article, qui se trouve dans les « pages zoom » que publie Financité [L’association] et que moi je vulgarise un peu. Là, j’essaie quand même de les tester et je remets une petite référence à Albert Frère, dans un article qui porte sur la façon dont les riches sont, forcément, ceux qui utilisent le plus les paradis fiscaux. Donc, rappelant les inégalités, je fais une petite phrase sur Albert Frère pour rappeler comment celles-ci sont fortes et j’indique combien pèse son patrimoine par rapport à celui des Belges. Et là, ça ne rate pas, ils me demandent de l’enlever, directement. 

Mais le papier montre également que les riches belges font plus d’évasion fiscale que la moyenne européenne, justifiant que je titre « Les riches belges aiment les paradis fiscaux ». Et là, pareil, on me demande d’enlever « belge ». C’est pas grand-chose, mais… 

C’est pas grand-chose, mais ça veut dire beaucoup de choses. 

Ça veut dire qu’on peut taper sur les riches globalement mais pas sur les familles belges (et ça on va l’apprendre après, le comprenant clairement quand ils annuleront le numéro de mars 2018) parce que les conseils d’administration des groupes de presse sont composés de personnes défendant les intérêts de ces familles. Dans ce cas, ils nous préviennent deux heures avant le bouclage, on avait bossé deux mois dessus, on n’allait pas dire : « On annule tout ». 

Donc à contre cœur…

… on l’enlève au final.

C’est violent. Et donc après ?

Le numéro de mars aborde la question du service
public. À nouveau, le sujet est relu. Dans le premier
mail qu’on m’envoie, on me dit : « Dorian [Dorian de
Meeûs] a relu ».

Le rédacteur en chef de La Libre Belgique.

Oui. Ce qui est intéressant, c’est que quand nous avons par après décidé de rendre publique cette affaire en publiant un communiqué de presse, Belga interviewe Denis Pierrard, directeur d’IPM, qui dit : « La rédaction n’avait aucun lien avec ça, elle n’est jamais intervenue dans le contenu », alors que c’est le directeur de la rédaction de La Libre qui a vérifié et ensuite demandé des modifications dans ce numéro-là. 

Tu penses donc que le directeur de rédaction
vérifie et ne demande pas l’avis de quelqu’un
d’autre. Il sait lui-même ce qu’il faut censurer,
ce qui ne va pas plaire aux actionnaires ?

Oui, tout à fait. La personne qui gère les partenariats, écrit dans son mail : « Dorian a relu, il a trouvé le dossier super », etc. Elle brosse un peu dans le sens du poil, ajoutant toutefois : « Mais il y a deux choses qu’on ne peut pas accepter, notamment dans le courrier des lecteurs où on parle des inégalités et quelqu’un qui se dit écœuré de voir l’écart entre les revenus des patrons et ceux des travailleurs », ce qui en soi, même si on peut trouver ça démagogique et tout ce qu’on veut, est vrai. 

Mais surtout, il y a une brève qui pose problème, qui porte sur un rapport publié par une ONG islandaise montrant que certaines banques belges ont des investissements dans l’armement nucléaire. J’y cite des banques, dont Degroof Petercam, ce qui se révélera important plus tard. Je sais que Degroof est au CA de La Libre… En gros, il m’explique que c’est vraiment trop simple, qu’on ne peut pas résumer un sujet aussi compliqué en une brève, que ça demanderait beaucoup d’explications.

C’est de Meeûs qui dit cela ?

Non, c’est l’intermédiaire mais j’imagine que les ordres viennent d’en haut. Bref, il y a des échanges de coup de fil. Moi je me défends, dis que c’est factuel, etc. Je sais donc que c’est cela qui pose problème. Après plusieurs échanges de mails, on m’envoie un message : « Ok, on a discuté avec Denis Pierrard et avec Dorian [de Meeûs] », m’indiquant par après au téléphone : « Ce n’est pas possible, on vous fait une proposition ». Et là il m’envoie par mail une proposition : « Enlevons Degroof Petercam qui fait partie de notre conseil d’administration, ça pose problème ». 

Parce qu’il y a le fameux Alain Siaens qui est au
CA ?

C’est ça. Ils disent « Siaens fait partie de notre
conseil d’administration ».

À ce moment-là, que leur dis-tu ?

Je dis que ce n’est pas acceptable et je refuse leur demande. À ce moment, je sais qu’on ne va pas être publié. Le lendemain, normalement jour de la publication, ils m’appellent et là je suis obligé de les pousser pour qu’ils me disent eux-mêmes : « En l’état, on refuse de publier ça », et là on me dit « C’est Patrice le Hodey, patron d’IPM (voir l’article dans ce dossier : « La galaxie le Hodey »), qui a tranché ». C’est carrément le patron d’IPM qui a tranché pour une petite publication et une histoire de brève ! Donc là on a refusé. Ils ont quand même accepté d’imprimer le journal mais pas de l’encarter.

La Libre voulait donc que vous réécriviez le journal ? 

Ils ont accepté en fait qu’on publie cette brève, après négociation, mais à condition d’enlever la Banque Degroof, qui est proche de La Libre Belgique, parce qu’un des administrateurs de Degroof est administrateur d’IPM.

Ce qui est fantastique, c’est que par un effet un peu de miroir, ça donne une idée de ce qu’ils peuvent dire et ne pas dire dans La Libre. Nous, avec Kairos, ça fait des années qu’on fait une critique des médias, et donc de La Libre, ils nous ont toujours dit qu’ils étaient libres de faire ce qu’ils voulaient, cette fameuse « liberté de la presse » qu’on sait totalement fausse. Cela montre que le plus important pour les Belges, pour les lecteurs, n’est pas dit : les écarts de richesse, la manière dont l’argent part dans les paradis fiscaux… 

Je n’irais pas jusque-là parce que La Libre publie des articles sur l’évasion fiscale, fait peut-être le minimum, mais… 

Alors c’est tout à fait schizophrène ?

Disons que le coup de fil de l’actionnaire dans une rédaction, ça n’existe pas. La censure est implicite. J’ai bossé 5 ans avant à Canal+ à Paris. Jamais, avant Bolloré, Vivendi n’a appelé pour dire « Ne faites pas ça », mais la censure est implicite, j’ai plein d’exemples.

Ce qui est intéressant, c’est qu’il n’y a eu aucune
censure avant septembre 2017.

Au fait, c’est simple : je pense qu’ils ne le lisaient pas. Mais un jour, les gens qui sont importants à La Libre reçoivent le journal du samedi et voient la tête d’Albert Frère, avec un article et un titre un peu provocateur. Alors ils regardent ce qu’il y a dedans. Et c’est ce qu’il s’est passé : ils m’ont dit au rendez-vous que j’avais eu avec Pierrard, qu’ils ont reçu des coups de fil, qu’il y a des gens importants qui se sont plaints. Par après, il y a eu un excès de zèle par rapport à notre publication qu’ils ont relue à trois fois afin d’éviter tous problèmes. Car des brèves comme ça, on a pu en faire 10 avant et ça passait à travers les mailles du filet. L’excès de zèle s’explique aussi parce que les gens qui sont très haut placés dans un journal sont payés pour ça : leur employeur ce sont les actionnaires et, à un moment, ils veulent sauver leur place. 

Sans doute donc que ces gens importants ne
lisaient pas Financité et s’y sont intéressés en
voyant la couverture, mais en attendant ils lisent
sans doute La Libre ?

Oui, effectivement (rire).

Est-ce que cet événement a changé ta perception des médias dominants, même si tu étais sans doute lucide là-dessus ? Est-ce que tu t’es dit : « Là, je ne pensais quand même pas qu’ils pouvaient aller aussi loin » ? 

J’ai un certain parcours: j’ai fait une école de journalisme en France, j’ai travaillé dans des rédactions où la critique des médias n’était pas présente et où j’ai compris, parce qu’il y avait des problèmes, à quel point cette critique était pourtant importante. J’avais trouvé une certaine liberté ici chez Financité. Je trouvais que c’était le bon compromis : ça me permettait d’être embauché par une asbl, bien sûr ce n’est pas totalement indépendant mais au moins je n’ai pas d’actionnaires importants derrière moi, je trouvais que tout passait à l’époque. Ça n’a pas changé fondamentalement ma perception
parce que c’est quelque chose que je savais.

Mais quand ça te tombe dessus…

Par contre oui, c’est violent. J’avoue que ça a été 6
mois assez durs au fait, personnellement.

On peut imaginer ce qu’il se passe dans ces rédactions-là quand on croit encore à la presse libre. Des gens comme de Meeûs et tous, ce sont des gestionnaires plus que des rédac-chefs, ce sont des tampons entre les groupes de presse et le journal, ils savent ce qu’on peut dire, ne pas dire, ce que tu ne connaissais pas à Financité. 

Effectivement. On ne va pas dans le bon sens aujourd’hui, quand tu vois le statut des journalistes. Il n’y a pratiquement que des indépendants, mais ce sont des faux indépendants, des gens qui sont sur des sièges éjectables. Donc ils n’ont pas intérêt à aller contre leur direction. 

LES – ABSENCES DE – RÉACTIONS DES AUTRES MÉDIAS 

Ce qui est intéressant aussi, c’est la manière dont les autres médias ont réagi. À part la RTBF, quels autres médias ont réagi ? Est-ce que Le Soir, qui est tout à fait dans la même situation par rapport à ces actionnaires, la famille Hurbain, a dit quelque chose là-dessus ? 

Dans un premier temps, il faut savoir qu’on a hésité avant de sortir l’information. Moi, j’avais vraiment envie de le faire. 

Vous avez eu des menaces pour ne pas le sortir ? 

Non. Ils m’ont appelé. Ils voulaient qu’on prenne un rendez-vous, un peu qu’on se rabiboche. J’ai un peu fait traîner et on les a eus par surprise… Je pense qu’ils ne croyaient pas qu’on le sortirait. Je voulais le sortir parce que c’est important, ça en dit beaucoup sur ce qu’est l’indépendance de la presse en Belgique. Après, on avait peur de se tirer une balle dans le pied, d’être boycottés. Ça pouvait être dangereux : l’association a besoin de relais de presse quand on sort certaines infos. On savait en le sortant que ce ne serait pas repris dans la presse. On était bien lucide là-dessus. 

Donc, à part la RTBF, personne n’a parlé ?

On a contacté Medor qui a sorti [une partie de] l’info, le lendemain de notre communiqué de presse ; Belga a fait une dépêche également. Ce qu’il faut savoir, c’est que normalement quand Belga sort une de nos infos, elle est reprise sur tous les sites, qui ont leur compte, que ce soit 7 sur 7, Le Soir, La Libre… et là, juste la RTBF. Pour ma part, j’étais même surpris que la RTBF le passe. Je ne pensais pas qu’il le relaierait. Pourtant, c’est évident qu’énormément de journalistes ont lu le communiqué et qu’il a beaucoup tourné dans les rédactions, parce que c’est un sujet qui touche les journalistes. Je crois qu’on a jamais eu un communiqué de presse qui a autant circulé mais qui n’a pas été relayé sur les autres sites web des médias. 

Est-ce que vous connaissiez la composition du Conseil d’administration de La Libre (voir p.12) ?

Non, pas du tout. Je me suis rendu compte que la Banque Degroof était au CA, parce que j’ai reçu un mail sur ma boîte, juste après l’histoire d’Albert Frère où l’on m’avait appelé pour me dire que le contenu n’était pas bien passé auprès de La Libre, d’un certain Alain Siaens, qui ne se présente pas, qui ne dit pas qui il est et qui demande « Telle info, j’aimerais bien avoir votre source, ça me paraît bizarre ». 

Manque de chance, la source s’était le SPF économie. Donc, bref, pas de nouvelles mais je googlise ce type et je me rends compte qu’il est au CA de La Libre. Donc c’est là que je l’ai découvert. Par contre, il y a une chose un peu insidieuse que je découvre sur la presse en Belgique : je pensais que ça allait un peu mieux ici qu’en France où les médias appartiennent à de gros industriels alors qu’en Belgique on a plutôt des groupes de presse : Rossel, IPM, etc. Mais au fait, quand tu creuses un peu, tu découvres la composition du CA, tu vois que tous les groupes de presse appartiennent à des grandes fortunes belges mais, qu’en plus, tu retrouves dans les conseils d’administration toute l’oligarchie belge financière et industrielle. Ils sont liés comme ça. 

Mais en France il y a une forte critique de la presse. Le Monde diplomatique a fait un gros travail là-dessus, Acrimed, des types comme Halimi, Accardo, Ruffin, alors qu’ici, excepté Geoffrey Geuens qui avait un peu travaillé là-dessus, il n’y a quasiment personne, ce qui fait qu’il y a encore cette ignorance. Quand vous avez sorti l’info, un internaute réagissait : « Moi qui pensais que La Libre était un des derniers bastions d’une presse encore respectable ». 

Sur la question d’une presse respectable, je n’irais
pas jusque-là. La majorité des journalistes sont des
gens qui font bien leur boulot. La Libre, Le Soir, sur
les questions d’évasion fiscale par exemple.

Mais plus on est dérangeant, moins on parlera
de nous. Est-ce que maintenant dans Financité,
vous vous dites que vous allez laisser une place,
ou bien vous pensez que ce n’est pas votre rôle,
à une critique de la presse de masse et aussi du
lien entre la finance et la presse.

Oui, la question se posera et on fera un dossier là-dessus, c’est important. C’était au fait prévu dans ce numéro. Je devais interviewer Aude Lancelin, auteure de Le Monde Libre mais ça n’a pas pu se faire niveau timing. J’aurais bien aimé voir leur réaction, c’est dommage. 

Comment tu vois l’avenir d’un magazine qui avait
la chance, entre guillemets, de pouvoir toucher
60.000 personnes. Ça change tout maintenant ?

Ça change tout, il faut vraiment repenser le truc. On vient de boucler le numéro précédent mais tout s’est fait dans l’urgence. On savait qu’en sortant l’info, ça ne serait pas relayé par la presse, par contre, on comptait sur la société civile et on a eu pas mal de soutiens de citoyens, d’associations et on va compter sur ces relais-là pour diffuser le journal maintenant. 

Propos recueillis par Alexandre Penasse le 21 juin 2018

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LE SOIR … LA RUBRIQUE POUR S’ENDORMIR (Kairos 36)

SURTOUT NE PAS TOUCHER
AUX « GENS D’EN HAUT »

« On peut ne pas être d’accord avec la lutte des classes, juger le concept d’un autre âge, le trouver extrême voire dangereux à l’usage, il est contestable, mais il n’est pas démagogique. En revanche, l’incrimination à tout va de l’élite, l’establishment, les gens d’en haut, ça… C’est du Salvini, du Cinq Étoiles au mieux, du Trump, du Marine au pire. Le PTB a très envie de faire des voix ? Attention à perdre la sienne. » (22/08/2018). Ah oui, ça ils n’aiment pas les médias qu’on fustige les riches, l’establishment. C’est que ce sont aussi leurs patrons, comme l’épisode Financité nous le démontre encore (voir le dossier dans ce numéro). Ils ne veulent pas qu’on incarne la domination, préfèrent parler des riches de manière générale (mais pas des « riches belges », voir page 8 de ce numéro). Souvenons-nous de ce que disait Francis Van de Woestyne, ancien rédacteur en chef de La Libre, dans un éditorial (6 janvier 2014), suite à la visite bruxelloise organisée par les syndicats pour montrer les lieux où résident les grosses fortunes fiscalement protégées : « À la veille du week-end, les responsables syndicaux ont réalisé un “safari” dans Bruxelles, un minitrip destiné à pointer du doigt les “espèces fiscales protégées” de Bruxelles. Amusant? Plutôt navrant… (…) La stigmatisation systématique des “riches”, telle que la pratiquent les syndicats, est déplorable. Alors quoi, il suffit d’être pauvre pour être honnête…? Un pays a besoin de riches. Pour investir, pour prendre des risques. Le système devrait d’ailleurs faire en sorte que les grosses fortunes, et les autres, trouvent un intérêt à placer leur argent dans l’économie réelle du pays plutôt qu’à chercher des rendements élevés ailleurs. Ce ne sont pas les riches qui sont responsables de la crise, mais bien ces apprentis sorciers qui ont profité des failles d’un système pour le faire déraper ». […] 

Pas étonnant dès lors que, lorsque Raoul Heddebouw dit : « Je propose de diminuer de moitié le salaire du bourgmestre, 10.000€, aujourd’hui. Si Willy Demeyer entend… Ada Colau, de Podemos, a fait ça à Barcelone… », le journaliste lui réponde : « C’est démagogique. » Réflexe pavlovien… 

LE RÔLE DE L’ÉCOLE :
PENSER [INFORMATIQUE]

« Vers la pensée informatique à l’école » titrait Le Soir ce 28 août. Sous la photo d’une classe de début de primaire, avec dans le fond un enfant sur une escabelle tapotant sur le TBI (tableau blanc interactif) : « Les technologies informatiques récentes ont encore du mal à trouver leur place dans de nombreuses écoles ». C’est sûr, et Le Soir fera son œuvre pour convaincre de la nécessité qu’elles s’imposent. On parle de S.T.E.M., pour Science, Technology Engineering, et Math. « Le but ? Décloisonner les matières à caractère scientifique, numérique et technique, explique le professeur. Pendant deux heures, on profite d’un projet, proposé par l’élève, pour enseigner lesdites matières. Parmi les idées des enfants pour cette première rentrée : la robotique — sous la forme du combat de robots — ou la fabrication d’un hélicoptère modèle réduit… ». Chouette, comme ça les petits seront prêts quand leur instituteur sera remplacé par un robot ! 

LE SEIN ET L’ÉCRAN

Dans la même veine, la contre-offensive médiatico-technocratique s’amorce, les tenants de la pensée « progressiste » ayant pris la mesure de l’importante diffusion des dangers sanitaires de la surconsommation d’écrans. Elle organise donc son « grand débat » le 16 octobre à Bruxelles, sponsorisé par Le Soir qui, dans son édition du 5 septembre, interviewait un des orateurs prévus, Marcel Rufo. Ce dernier, expert patenté, du genre qui avance avec son temps, même si c’est pour aller vers le gouffre, n’hésitait pas à dire : « L’écran fait partie du quotidien de l’enfant comme le sein et le biberon. » Dont acte. La présence de l’objet se suffit à elle-même et justifie sa légitimité, sans jamais poser la question du lobby des multinationales et de l’argent en cause, évoquant plutôt le risque de son absence, lorsqu’à la question suggérant la réponse, du journaliste : « Un gosse qui se désintéresserait complètement des écrans, ce serait une source d’inquiétude ? », le psychiatre répondra : « Sûrement ». Ça promet, le débat ! 

Alexandre Penasse

DORMIR OU VOMIR,
IL FAUT CHOISIR ?

La « perle » médiatique sélectionnée ici implique des risques de vomissements plutôt que d’endormissement. Le 7 août dernier, Le Soir a publié un article sur les nouvelles sanctions du gouvernement Trump sur l’Iran[note]. Le texte s’attaque intelligemment à ces sanctions. Il critique cependant aussi l’Iran, ce qui est légitime en soi. Mais il le fait d’une manière totalement caricaturale, qui annule sans doute une bonne partie des effets positifs de l’article en question, voire les transforme en leur contraire. Le passage concerné : « L’Iran des ayatollahs est bel et bien un régime abominable où les droits de l’homme sont foulés aux pieds. Ses interventions extérieures, à commencer par son soutien fidèle au sanguinaire Bachar el-Assad, attestent d’un cynisme sans limites. Le fait de se targuer d’appartenir à un camp anti-impérialiste auto-proclamé (…) n’excuse rien ». Certes, le pouvoir iranien, comme la plupart des gouvernements, mérite de très fortes critiques, en particulier pour sa pratique de la peine de mort (il fait partie des champions, dans ce domaine, avec les USA et l’Arabie Saoudite notamment[note]). Mais se limiter aux côtés négatifs et les exagérer est non seulement injuste mais aussi particulièrement irresponsable quand il s’agit ici d’un pays qui se trouve dans le viseur de plusieurs puissances, qui ont amplement montré leurs capacités destructrices, à commencer par les USA. Mais il y a des petits « oublis » car, quand on critique l’Iran, il est très indiqué de rappeler aussi quelques faits comme ceux-ci : malgré tout ce qu’on peut lui reprocher, la révolution iranienne a aussi permis des progrès sociaux très importants. Par exemple, avant celle-ci, seuls 28% des femmes entre 15 et 49 ans étaient alphabétisées. En 2008, 87% d’entre elles le sont, et leur scolarité est de 9 ans en moyenne, contre 2 ans avant la révolution[note]. Les femmes sont présentes, au parlement iranien. Et si elles y sont minoritaires, leur nombre a doublé, en 2016[note]. La communauté juive iranienne est la plus nombreuse du Moyen-Orient (après celle d’Israël, bien sûr). Et elle est représentée au parlement[note].

Le président iranien actuel tente de dialoguer même avec les régimes les plus hostiles à son pays, comme l’Arabie Saoudite qui, par contre, reste dans l’agressivité et la provocation[note]. Le camp occident-pétromonarchies a des responsabilités écrasantes dans la guerre en Syrie[note]. Le Moyen-Orient, entre autres, est constellé de bases militaires étatsuniennes. L’Iran est un des seuls pays où il n’y en a pas[note]. Son appartenance à un camp anti-impérialiste n’est donc pas seulement « proclamée ». Ce dernier point devrait d’ailleurs nous dissuader de trop accuser ce pays, tant que nos gouvernements, soit, ne critiquent que mollement les USA, soit se comportent comme leurs dociles vassaux… 

Daniel Zink

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LE STORYTELLING DU JOURNAL LE SOIR

Dans le cadre d’un cycle de conférences autour de la question des médias à Bruxelles, nous avions eu l’occasion de nous rendre au débat de clôture « Quels médias pour Bruxelles », organisé par la Brussels Academy. Béatrice Delvaux, l’inénarrable éditorialiste en chef du journal Le Soir, était de la partie. L’occasion de lui poser une question, dont la réponse, véritable storytelling du Soir, sonne comme toutes les fables de ces managers qui veulent nous convaincre que « ce n’est pas parfait, mais tout va bien »[note].

Alors que les intervenants débattent autour de « comment médiatiser Bruxelles », vaste programme… la parole est donnée à la salle. 

A.P. : C’est intéressant de savoir si l’on parle aux Bruxellois ou pas, mais j’ai l’impression qu’il est plus intéressant de se demander qui leur parle, d’où on leur parle. La plupart des médias dominants appartiennent à des grandes familles et traitent les informations d’une manière qui n’est pas très intéressante pour les classes populaires, quand on sait qu’à Bruxelles la pauvreté ne fait qu’augmenter. Alors, Madame Delvaux, je ne vais pas vous demander si la famille Hurbain, qui est votre patron, 117ème fortune belge avec 169.471 millions d’euros, a une influence sur votre ligne éditoriale, parce que vous me direz que non, comme tous le disent. Mais je vais vous demander pourquoi vous pensez que de telles familles acquièrent les médias, se les approprient? 

Modérateur : Excusez-moi, mais je ne vois pas le
rapport ?

A.P. : Écoutez, peut-être que des gens le voient, je
ne sais pas…

Béatrice Delvaux : Je vais peut-être vous raconter une histoire, parce que l’histoire est toujours vertueuse. Cette fameuse famille Hurbain, qui s’appelait Rossel au début, a créé le journal Le Soir il y a 130 ans. Savez-vous pourquoi elle l’a fait ? Parce qu’à l’époque tous les titres de presse appartenaient à des groupes politiques ou à des groupes financiers. Il y a un gars, qui gagnait beaucoup d’argent avec la publicité, qui estimait que l’information n’était pas accessible au plus grand nombre. Il a donc créé le journal Le Soir, à l’époque comme un journal gratuit avec pour vocation d’être neutre. C’était l’équivalent d’internet gratuit ou de Métro (sic), bien avant la lettre. La seule chose qu’on payait, c’était quelques centimes pour les étages que faisait le livreur pour apporter le journal. Le Soir a été créé pour être lu de la concierge à l’homme d’affaires, avec une volonté d’être extrêmement pratique pour tout le monde. 

C’est à ce point vrai que les Allemands, quand ils sont arrivés en 40, ont décidé de prendre possession du journal, parce que c’était bien plus utile de le prendre que de créer un propre organe de propagande. Les Bruxellois ne pouvaient en effet pas se passer du Soir, s’ils voulaient savoir où acheter des pommes de terre, du charbon, un vélo… ils devaient le faire via Le Soir. 

Je vous raconte ça parce que la famille Hurbain ne s’est pas enrichie et n’a pas pris possession d’un média, la famille Rossel a créé un média démocratique et s’est engagée à suivre la ligne rédactionnelle qui est, aujourd’hui, toujours la sienne. Et ce n’est pas la famille Hurbain-Rossel qui en est défenderesse, bien que je vous le dise, comme vous vous attendiez à me l’entendre dire, mais je ne peux que le dire parce que c’est une vérité qui me concerne depuis plus de trente ans : je ne subis pas d’influence et on écrit ce qu’on veut. Je pense que, sur nombre de sujets, si mon patron devait écrire, il n’écrirait pas ce que j’écris, je peux vous l’assurer. Et je le remercie tous les jours de me laisser faire. Et par ailleurs, s’il lui prenait l’envie de venir guider ma plume, il y a ce qu’on appelle une société de journalistes au Soir, qui a montré à de nombreuses reprises qu’elle était la meilleure défenseure de la ligne éditoriale. Nous ne sommes pas parfaits, mais je pense vraiment que l’intérêt pour les luttes, pour les égalités… On est un journal progressiste (…) avec toutes les imperfections qu’on peut avoir, mais je ne pense pas qu’on peut dire que le projet rédactionnel soit influencé par une famille de riches qui a décidé de claquer son pognon avec une danseuse, mais qui au contraire a mis l’information au centre de son activité (…) En tous cas, je ne peux pas laisser le procès d’intention s’installer, et je vous dis qu’en fait ce n’est pas juste : « Ce n’est pas nécessairement parce qu’une famille est riche qu’elle influence la ligne éditoriale ». 

L’HISTOIRE « VERTUEUSE »,
POUR CERTAINS…

La communicante connaît son texte. Il en ressort des éléments qui illustrent parfaitement quelques principes fondamentaux de la pensée libérale-capitaliste. 

- Le ton est solennel, plein de certitudes. Elle raconte l’Histoire, qui serait « toujours vertueuse ». C’est la grande histoire, celle du journal qui naît comme force d’opposition, origine qui ne pourrait que se refléter dans son fonctionnement actuel. C’est le mythe du bon, du brave, qui a contesté pour le bien commun, avec ses deux grands moments : la fondation héroïque et la mainmise des forces totalitaires qui s’emparent de l’outil de liberté ; 

- La comparaison de l’audace du Soir historique avec celle du Métro actuel, véritable sac à pubs qui n’est gratuit que par l’absence concrète de transaction financière directe, en dit long sur ce que sont les principes d’un journal libre pour Béatrice Delvaux ; 

- Le journal lu autant par la concierge que par l’homme d’affaires, pensée propre à cette idéologie de l’unité qui exclut toutes notions de classes sociales et d’exploitation ;

- Cette tendance à feindre l’imperfection, à affecter le doute : « Nous ne sommes pas parfaits », « Nous essayons de faire le mieux qu’on peut », pour mieux souligner implicitement une forme de neutralité et de recherche de la perfection, mettant à l’abri de tout soupçon ; 

- Et enfin, le point le plus important : la confirmation
que parler d’influence du propriétaire d’un média
sur son fonctionnement ne serait qu’une forme de
procès d’intention.

Superbe performance, au cours de laquelle la représentante du quotidien aura réussi une chose : ne pas répondre à la question « pourquoi pensez-vous que de telles familles acquièrent les médias ? » 

Alexandre Penasse

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RÉPONSE AU JOURNALISTE DU SOIR

Le 19 septembre, Kairos publiait un article, «Kairos et Didier Reynders. Quand Le soir parlait de Kairos »[note], dans lequel nous rappelions ce que nous faisons depuis plus de 7 ans et le rôle de chiens de garde des médias dominants. Le journaliste, Louis Colart, y a répondu, mais refuse que son courrier soit rendu public. Nous réagissons à ses principales allégations.

« Bonjour M. Colart,

Merci pour votre mail.

Je répondrai point par point aux remarques contenues dans celui-ci, en présentant succinctement chacune de celles-ci, pour la clarté du propos, notamment pour les lecteurs de Kairos qui ont découvert mon premier courrier et voudraient comprendre. Vous considérez que votre réponse n’engage pas la rédaction du Soir et n’a donc pas vocation à se retrouver publiée sur le site de Kairos, ne souhaitant pas « alimenter une polémique stérile », selon vos mots. Nous n’avons pas la même définition de la « stérilité ».

- VOLONTÉ DE « FAIRE UN COUP »

Vous introduisez votre réponse en doutant d’emblée de ma volonté de débattre avec vous, voyant dans l’envoi du courrier que je vous ai adressé le 19 septembre ainsi qu’à l’ensemble des abonnés de la newsletter de Kairos, la volonté de « faire un coup », de « chercher le buzz ». Si user des seuls moyens que l’on a pour faire connaître nos publications, la newsletter étant l’un de ceux-ci, participe de la recherche du scoop, j’y vois pourtant tout à fait autre chose. Nous pensons en effet que la question du rôle des médias de masse, à savoir celui de « fabriquer le consentement », dépasse le seul débat entre deux personnes et doit avoir lieu publiquement. C’est le principe d’une lettre ouverte. Vous avez touché quelques « 639.450 lecteurs » jeudi dernier, et vous allez me reprocher d’envoyer notre article à quelques milliers d’abonnés à la newsletter… C’est une plaisanterie ? Demandez-vous qui cherche le buzz quotidiennement. Mais si toutefois vous considérez que faire un travail d’information et de diffusion sur des sujets essentiels, comme nous le faisons depuis plus de 7 ans (nucléaire, électromagnétique, enseignement, géopolitique, etc.), relève du scoop, nous l’admettons volontiers.

Par ailleurs, merci de vous excuser « pour le mot « blog » » et d’avoir corrigé l’orthographe de Kairos. Ça n’enlève toutefois rien à l’étonnement quant à cette « paresse » journalistique, endémique dans nos contrées « développées », qui conduit à ces « erreurs ».

- « ATTAQUE AD HOMINEM » ET « PROCÈS D’INTENTION»

Monsieur Colart, j’aurais dû, il est vrai, faire une précision en préambule : bien que je m’adresse à vous dans le courrier, ma critique dépasse votre seule personne, vous considérant comme un outil d’un système médiatique. Quand je m’adresse à vous, c’est donc plus en tant que représentant de cet ordre médiatique que comme « Louis Colart ».

Votre réponse confirme l’aveuglement qui est celui des « petits soldats du journalisme », vos étonnements établissant la frontière de votre perception critique. Vous me dites que je cite « pêle-mêle », une « interview du CEO de Rossel, de [votre] consœur Béatrice Delvaux et de l’un de [mes] sujets relatifs à La Libre », terminant par un laconique « Que dire, si ce n’est que je ne vois pas le rapport ? » Vous ne voyez pas le rapport, M. Colart ? Laissez-moi vous éclairer : votre patron, Bernard Marchant, est un ancien conseiller fiscal de chez Arthur Andersen. Arthur Andersen est une société d’audit qui était parmi les « Big five » comme on les appelait à l’époque, liée au scandale de la multinationale Enron pour laquelle elle réalisait des audits. Aujourd’hui, les plus importants cabinets de conseil sont une dizaine, dont fait partie… Mc Kinsey. En citant Bernard Marchant, j’indique donc que celui qui est aussi passé par Olivetti (vice-présidence Europe du groupe informatique), Beckaert (leader mondial du métal), 9Telecom (président directeur général)…, tend plus l’oreille au privé qu’au public. Ainsi, malgré les délirantes dénégations des journalistes de médias dominants, le pedigree des « CEO » des groupes de presse et, en Belgique, des grandes familles qui en sont propriétaires (Famille Hurbain pour Le Soir, qui malgré qu’elle ait perdu 32 places par rapport à l’article que nous écrivions en 2016[note], a depuis augmenté son patrimoine de quelques 14 millions avec une fortune estimée à 169.471.000€), est évident. Voudront-ils dès lors déplaire à Mc Kinsey qui dirige le pacte d’excellence en Belgique, lorsqu’ils devront l’évoquer ? Selon vous, « L’effort rédactionnel sur ce sujet [me] semble, au contraire, tout à fait « significatif » ». On pourrait en dire autant de votre aveuglement. Comme le disait Aude Lancelin à propos du fonctionnement mental des journalistes dans le processus de décadence médiatique : « Le travail d’usinage idéologique nécessaire pour dissimuler l’ampleur de la forfaiture était de plus en plus malaisé, demandant des individus puissamment clivés, dotés d’un système nerveux très particulier »[note]. Quant à votre consœur Béatrice Delvaux, je la cite tout simplement pour appuyer le fait que votre quotidien a connaissance de notre existence, mais que l’autocensure fait son travail et occulte les informations qui dérangent. Je continue ainsi dans mon courrier ma démonstration en évoquant la scandaleuse rupture de collaboration avec le magazine Financité parce que le rédacteur en chef de ce dernier avait refusé de retirer le nom de la banque Degroof Petercam dont faisait partie Alain Siaens, par ailleurs membre du conseil d’administration du groupe IPM qui édite La Libre. Comme disait cyniquement le financier Xavier Niel, un des propriétaires du Monde : « Quand les journalistes m’emmerdent, je prends une participation dans leur canard et ensuite ils me foutent la paix ». Pas trop de remous, dès lors. Mais vous l’avez saisi, je pense.

Avec tout le respect que je vous dois, vous ne faites pas exception et, paradoxalement, je n’imaginais pas avec mon premier courrier une soudaine prise de conscience de votre part, embourbé dans les méandres de la dissonance cognitive. Pièce du rouage, vous concourez à la perpétuation de ce monde, persuadé en vous persuadant que tout ne va pas si mal et que Le Soir fait quand même un bon travail. C’est bien pourtant du fait aussi de toutes ces petites acceptations que rien ne change significativement : l’auto-contentement égoïste et aveugle fait aussi partie de la catastrophe.

- LES PRESSIONS

Je vous ferais un procès d’intention en évoquant votre enquête et les pressions que vous subissez. Certes, on en revient à ce qui était dit avant : des années dans une presse comme Le Soir obligent à une forme d’autocensure si l’on veut continuer à toucher son salaire. Certes, le conformisme ambiant y concourt et, avec le temps, les velléités de faire véritablement son travail s’estompent devant la nécessité de dire ce qu’il faut. Je ne vous demande donc pas de vous « justifier de pouvoir travailler librement », dès lors que l’aphorisme « Celui qui ne bouge pas ne sent pas ses chaînes » se révèle sans doute celui qui définit le mieux l’œuvre d’autodiscipline du journaliste.

Dans votre aveuglement, vous réalisez donc cette superbe projection en nous accusant de plagiat, nous disant que : « Le Soir, et d’autres « médias dominants » que vous pourfendez, sont à la base de la plupart des révélations sur ce dossier (mais aussi Nethys/Publifin, le Samusocial, un récent projet de loi anti-lanceurs d’alerte…). Vos enquêtes sont tellement « inédites » qu’elles paraphrasent en long et en large les nôtres, sans jamais nous citer ». « Sans jamais vous citer » ? Dans notre long article sur le Kazakhgate, Le Soir est cité 8 fois en notes de bas de page ! Certes, certaines informations reprises par l’ensemble des médias, qui s’alimentent le plus souvent aux mêmes mangeoires que sont les agences de presse, sont parfois citées dans nos articles sans nommer de source, vu qu’elles sont multiples. Nous ne souhaitons pas ignorer Le Soir et ne pas le nommer comme source lorsque c’est le cas.

Pour conclure, je vous inviterais à lire Kairos, car vous semblez ne pas bien savoir ce que nous faisons. Vous accusez : « Le sens de la nuance et un véritable travail d’enquête nous font manifestement défaut », nous devrions « jeter nos oeillères idéologiques », nous inspirer d’Acrimed (avec qui nous avons un échange de presse…). Au Soir, au contraire de nous, vous « n’exprimez pas vos opinions », alors que nous serions bercés par l’idéologie… Il y a trop à rattraper pour instiller un début d’esprit critique vis-à-vis de médias dominants qui depuis des décennies façonnent les opinions derrière le spectacle de l’objectivité, invectivant les plus faibles et glorifiant les puissants, les épisodes de grèves prouvant de quel côté ils sont, et quelles sont leurs opinions…[note]

Mais tout semble aller bien, et mes écrits ne sont que gesticulations paranoïaques : « Les rédactions belges sont traversées de débats importants sur leur modèle éditorial, leur indépendance financière ou encore leur approche des débats de société ». Amen.

À deux jours du débat au parlement européen qui verra Didier Reynders, ou non, devenir Commissaire européen, je suis sûr que vous vous empresserez de diffuser la vidéo inédite de Nicolas Ullens de Schooten, n’est-ce pas[note] ?

Au plaisir de vous voir rejoindre les rangs de la critique et fuir un système qui, si vous avez encore des velléités de liberté, vous broiera un jour. »

Alexandre Penasse

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Articles

L’ogre terroriste viendra tous nous manger ce soir

Il était une fois, dans un monde pacifiste, un ogre terroriste qui aimait faire le mal autour de lui. Nomade, cet ogre affreux n’est attaché à aucun territoire particulier. Il se déplace au gré des régions acceptant de l’accueillir, d’où il fomente de sanglantes attaques pour frapper, par surprise, les populations qu’il déteste. Particulièrement dangereux, ce monstre est également insaisissable tant est grande sa faculté à se cacher partout, y compris au sein de la population. Ce qui justifie, pour les autorités, la mise en œuvre de politiques liberticides particulièrement poussées…
La vie privée a longtemps été considérée comme un droit fondamental. Pourtant, depuis de nombreuses années, les autorités multiplient la surveillance et les contrôles invisibles de la population. Ainsi, lorsque les pays européens prirent la décision de créer un marché commun entraînant une libre-circulation des capitaux, des marchandises et des personnes, une question se posa très vite: comment allait-on faire pour contrôler les gens? L’une des réponses apportées fut de collecter toutes sortes de données privées, pour les conserver sur des serveurs informatiques et les mettre à disposition des «personnes autorisées» (les forces de l’ordre, par exemple). Si cette politique a commencé modestement (avec un nombre de données collectées restreint et encadré légalement), elle n’a cessé de gagner en ampleur depuis. Pour ne prendre qu’un exemple, en 2006, une Directive européenne imposa à tous les Etats-membres d’adopter des législations visant à collecter et conserver toutes les métadonnées liées à nos communications (téléphonie fixe, téléphonie mobile, internet, courrier électronique). En gros, il s’agit de savoir qui a appelé qui, quand et durant combien de temps, avec quelle forme de technologie et depuis quelle localisation (pour l’internet).

la PhiloSoPhie liberTiCide de l’anTi-TerroriSme
Bien que directement liée à l’avènement de la « libre-circulation » des marchandises et des personnes, cette politique a cependant été justifiée au nom de la répression antiterroriste. Et comme l’ogre terroriste est un grand nomade, il convient de pouvoir faire circuler toutes ces informations entre pays amis. C’est pourquoi l’Europe a passé de nombreux accords avec les Etats-Unis, acceptant notamment d’y transférer les données Swift (comptes bancaires) et « PNR » (données en possession des compagnies d’aviation lorsque nous prenons un avion susceptible de survoler les Etats-Unis)[note]. Mais les coopérations (européennes comme transatlantiques) sécuritaires vont nettement plus loin.
L’ogre terroriste étant un monstre particulièrement dangereux, les gouvernements ont estimé nécessaire de développer des méthodes d’enquête, de traque et de répression exceptionnelles. Par exceptionnelles, on entend ici: «qui sort du cadre démocratique». Variables d’un pays à l’autre, ces méthodes autorisent, par exemple, le recours à des pièces judiciaires classées «secret défense» lors d’un procès pour terrorisme: ces pièces peuvent être utilisées par l’accusation mais ne sont pas consultables par la défense: De même, des forces de police (comme Europol, la force de police européenne) peuvent établir des listes secrètes de gens suspectés de terrorisme: leur vie privée sera alors allègrement violée (placement de caméras, interception de courriers…) sans devoir passer par le filtre, démocratique, d’un juge d’instruction. Bien qu’un peu plus contrôlées, de telles intrusions sont également possibles vis-à-vis d’avocats, médecins, journalistes… Aux Etats-Unis, le Président a carrément le droit de détenir sans preuve et en secret une personne suspectée de terrorisme qui ne peut guère bénéficier des services d’un avocat.
Ici encore, les coopérations internationales battent leur plein. L’Oncle Sam et l’Europe ont noué des accords transatlantiques d’extradition et de coopération sécuritaires. Entrés en vigueur en 2010, ceux-ci autorisent des équipes policières américaines à venir travailler sur le sol européen, et légalisent l’utilisation de la vidéoconférence pour récolter des témoignages (ou des aveux) dans le cadre de procédures judiciaires. Surtout, ils facilitent grandement l’extradition (de l’Europe vers les Etats-Unis) de personnes recherchées par les autorités américaines[note]. Cette coopération sécuritaire transatlantique se situe dans le prolongement d’accords européens répondant à la même logique. Ainsi, dans le cadre de l’Espace de liberté, de sécurité et de justice européen (créé en 1997), un mandat d’arrêt européen a vu le jour en 2004. Partant de l’hypothèse que tous les pays membres de l’Europe sont des démocraties, le mandat d’arrêt européen met pratiquement fin au droit d’asile (par exemple pour persécution politique) entre pays européens. Pour autant qu’elles répondent à certains critères minimum, comme le fait de pouvoir donner lieu à une peine de prison d’au moins trois ans, les demandes d’extradition doivent être avalisées entre pays européens. En outre, un pays A peut réclamer l’extradition d’une personne à un pays B au nom d’une loi qui n’est en vigueur que dans le pays A. Autrement dit, le mandat d’arrêt européen organise une sorte de «libre-circulation» du droit pénal national partout en Europe. 

le reTour d’anCienS CauChemarS TranSaTlanTiQueS ?
Bien entendu, les autorités se veulent rassurantes: toutes ces mesures liberticides (espionnage, recueil de données, méthodes d’enquête et de répression exceptionnelles) visent à assurer notre sécurité. Elles n’ont qu’une ambition: repérer au plus vite, pour le mettre hors d’état de nuire, tout ogre terroriste caché dans la population. Pour le reste, «les gens qui n’ont rien à se reprocher» n’ont rien à craindre: nous sommes en démocratie, et ils peuvent continuer à vivre tranquille. Un discours officiel qui cadre mal avec les révélations d’Edward Snowden dénonçant un espionnage américain, généralisé au point de ne pas épargner ses amis (cf. page 9). Un message officiel, surtout, qui cache mal la nature subjective des nouvelles formes de répression anti-terroristes.
Comment les autorités définissent-elles ce qu’est un acte terroriste? Est-ce recourir à la violence et à la terreur plutôt qu’au débat politique? Pas du tout: Au niveau de l’Union européenne, la liste légale des actes terroristes englobe aussi bien des délits criminels (comme prendre un otage ou tuer une personne) que des faits relevant davantage du droit de manifester. Par exemple, la «capture d’aéronefs et de navires ou d’autres moyens de transports de droit commun» est une infraction potentiellement terroriste. Or, c’est pour un acte quasi similaire (l’abordage sans violence d’une plateforme pétrolière en construction dans l’Arctique) que des militants de Greenpeace viennent d’être poursuivis, par la justice russe, pour «piraterie en bande organisée». En Europe, la «provocation publique à commettre une infraction terroriste», par exemple en distribuant des tracts pour une association jugée terroriste, ou la «menace de commettre l’un des comportements » considérés comme terroristes, relèvent également du terrorisme. Ainsi, une personne distribuant des tracts, appelant à résister face à une intervention militaire atlantique dans un pays étranger, est tout à fait susceptible d’être qualifiée de terroriste.
Cependant, pour distinguer un délit de droit commun d’un acte terroriste, c’est finalement l’intention des auteurs qui compte. Ce que l’Europe formule comme suit: l’ogre terroriste se reconnaît par le fait qu’il tente de «gravement intimider une population» ou de «contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque»[note]. Oui mais… comment distinguer une contrainte démocratique (comme le droit de grève) d’une contrainte «indue» (donc terroriste)? La réponse fait froid dans le dos: ce sont les autorités, les forces de police et les services secrets qui sont juges et partie. C’est sur leur bienveillance qu’il faut compter pour distinguer, dans la population, un mouvement social critiquant en toute légalité leur politique, d’un ogre terroriste maltraitant injustement le gouvernement.
Le principe de séparation des pouvoirs est donc largement bafoué. Une décision d’autant plus grave que le passé transatlantique est lourd de dérives sécuritaires profondément antidémocratiques. Ainsi, au lendemain du 11 septembre 2001, les services secrets américains ont enlevé, sur le sol européen et en toute illégalité, plus d’une centaine de personnes afin de les expatrier discrètement vers des pays «amis», où il était possible de recourir à la torture pour les interroger[note]. Un bras d’honneur à la démocratie nullement exceptionnel. Durant toute la guerre froide, dans leur combat acharné contre l’ogre communiste, l’Europe de l’Ouest et les EtatsUnis mirent en place un réseau d’armées nationales clandestines. Créées avec l’aide de la CIA et coordonnées par l’OTAN, ces armées de l’ombre étaient censées résister, de l’intérieur, à une éventuelle invasion du territoire européen. Cependant, un seul ennemi étranger potentiel fut identifié: l’ogre communiste. Du coup, les Parlements (composés partiellement de communistes) n’ont jamais entendu parler de ces armées secrètes, connues de rares initiés (quelques hauts responsables politiques et militaires, services secrets…). Pire: les anciens nazis et militants d’extrême-droite ont été très sollicités pour le recrutement des soldats de l’ombre.
Partout, ces armées clandestines de l’OTAN ont été utilisées à des fins liberticides: espionnage des mouvements pacifistes, diffusion d’une propagande électorale anti-communiste… Dans les dictatures de Turquie ou d’Espagne (du temps de Franco), ces armées de l’ombre étaient carrément intégrées aux forces répressives des régimes en place. Ailleurs aussi, les armées de l’ombre furent impliquées dans des actes de terreur, comme le renversement de la démocratie grecque en 1967, ou la participation au terrorisme des « années de plomb » en Italie. De 1969 à 1987, environ 15 000 actes de violence politique furent commis sur le sol italien, tuant 491 personnes et faisant plus de mille mutilés. Systématiquement associés à l’extrême-gauche, ces attentats étaient parfois… l’œuvre de l’Etat et des services secrets militaires italiens qui recouraient à la terreur pour en accuser la gauche, pratiquant ensuite des arrestations massives dans les milieux communistes et socialistes. C’est d’ailleurs grâce au travail d’enquête minutieux d’un juge italien, cherchant à faire toute la lumière sur un attentat à la voiture piégée remontant à 1972, que fut découverte, en 1990, l’existence de l’armée de l’ombre italienne.… et de ses petites «sœurs» similaires dans tous les pays membres de l’OTAN.
Etrangement, la lumière n’a jamais été faite sur la hiérarchie des responsabilités dans ces actes de terreur transatlantique. Ainsi, les Etats-Unis en sont toujours à la thèse du «nous n’infirmons ni ne confirmons cette hypothèse». Certains pays européens mirent en place des commissions d’enquête parlementaire, qui finirent toutes par s’enliser sous l’inertie de majorités politiques trop mouillées dans cette histoire. Quant à l’Europe, après une déclaration courageuse du Parlement européen en 1990, elle ne fit rien qui puisse déplaire aux Etats-Unis. Comme on l’a vu, des coopérations sécuritaires transatlantiques sont même nées, mettant en œuvre des législations de plus en plus liberticides. 

liberTéS marChandeS eT PoliTiQueS SéCuriTaireS
Loin de viser exclusivement (voire principalement) l’ogre terroriste, ce cadre pénal renforcé suit en fait de très près les politiques de « libre-échange ». Dans un cas comme dans l’autre, il est question de faciliter la mobilité internationale des biens, des services, des lieux de production et du capital, mais aussi du droit pénal, des forces de police, des décisions judiciaires, des personnes recherchées par les autorités et des informations (parfois très personnelles) concernant des objets et des personnes, emmagasinées dans des banques de données. Le second trait commun (entre marché et espace sécuritaire internationaux) réside dans la volonté politique : qu’elle soit pénale ou commerciale, la « libre-circulation» créée n’a rien de spontanée, mais résulte d’un long processus de négociation internationale. Certains gouvernements, variant selon les thématiques, s’accordent pour adopter des normes communes, harmoniser des législations, reconnaître le bien-fondé de leurs décisions respectives (qu’il s’agisse de lancer un nouveau produit sur les marchés, ou d’extraire de la circulation un individu jugé suspect). Chemin faisant, des institutions naissent, les coopérations se multiplient, et tels deux fils entrelacés, les mondes marchands et sécuritaires se nouent progressivement l’un à l’autre pour devenir inextricables.
Dans le cas du marché transatlantique, les coopérations sécuritaires ont de l’avance sur les négociations commerciales (débutées à l’été 2013). Et si l’objectif officiel reste de mettre l’ogre communiste hors d’état de nuire, celles et ceux qui se rebellent contre l’ordre établi peuvent s’attendre à vivre de futurs cauchemars. En 2012, l’Espagne a ainsi réformé son Code pénal. Surpris par les fortes mobilisations des Indignés refusant qu’on coupe les moyens de vivre aux gens modestes (jeunes comme vieux), le gouvernement espagnol a trahi cet élan populaire en le décrivant à l’aide de mots qui font peur: des «collectifs anti-système» auraient utilisé des «techniques de guérilla urbaine» pour mettre en place une «spirale de la violence» que le gouvernement s’est proposé de stopper à l’aide de réformes législatives musclées. Désormais, occuper un bâtiment contre la volonté de son propriétaire (même dans le cadre d’une manifestation) est passible de trois à six mois de prison. De même, opposer une résistance à l’autorité (par exemple en s’enchaînant les uns aux autres pour éviter une expulsion policière) est assimilé à une forme d’attentat, pouvant mener à une condamnation allant jusqu’à quatre ans de prison. Enfin, relayer un appel à manifester pour une mobilisation n’ayant pas reçu les autorisations officielles peut également être sanctionné d’une peine (maximum) d’un an de prison!
Comme quoi, dans l’évolution contemporaine du droit pénal, distinguer les ogres terroristes des politiques oppressives de l’Etat n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire…
B.P.

il y a 23 anS…
« Le Parlement européen,
A. considérant les révélations par plusieurs gouvernements européens de l’existence, depuis quarante ans, d’une structure parallèle de renseignement et d’action armée clandestine dans plusieurs États membres de la communauté.
B. considérant que cette structure a échappé pendant plus de quarante ans à tout contrôle démocratique et qu’elle était pilotée par les services secrets des états concernés, en relation avec l’OTAN.
[…]
D. considérant par ailleurs que, dans certains pays membres, des services secrets militaires (ou des branches non contrôlées de ces services) ont été mêlés à de graves phénomènes de terrorisme et de criminalité, comme il a été révélé au cours de différentes enquêtes judiciaires.
[…]
1. condamne la mise en place de réseaux d’influence et d’action clandestins et demande que toute la lumière soit faite sur le caractère, l’organisation, les finalités et tout autre aspect de telles structures clandestines et sur les éventuelles déviations, ainsi que sur leur utilisation pour des interventions illégales dans la vie politique interne des pays concernés, le phénomène terroriste en Europe et les éventuelles complicités de services secrets des États membres ou des pays tiers;
2. proteste vigoureusement contre le fait que certains milieux militaires américains du Shape et de l’Otan se soient arrogé le droit de pousser à l’installation en Europe d’une structure clandestine de renseignement et d’action;
3. demande aux gouvernements des États membres de démanteler toutes les structures clandestines militaires et paramilitaires;
4. demande à la magistrature des pays dans lesquels on a décelé la présence de structures militaires de ce type de faire toute la lumière sur leur réalité et sur leurs agissements et invite la justice à élucider particulièrement le rôle qu’elles pourraient avoir joué dans la déstabilisation des structures démocratiques des États membres;
8. charge son Président de transmettre la présente résolution à la Commission, au Conseil, au Secrétaire général de l’Otan, ainsi qu’aux gouvernements des États membres et des États-Unis. »
Résolution du Parlement européen sur l’affaire Gladio, 22 novembre 1990.
Source : http://eur-lex.europa.eu/

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Débat entre le soir et Kairos

On avait été invité à un débat à l’Ihecs, avec Philippe Laloux, vice-rédacteur en chef du Soir et Digital Media Manager… En une vingtaine de minutes, on aura eu le temps de mesurer toute la morgue des journalistes du pouvoir, mais surtout leur malaise, la conscience de leur contradiction revenant toujours à un moment ou l’autre… Enfin, on n’est pas rancunier, on accepte donc les bras tendus la proposition de Philippe Laloux de « venir participer à une réunion de rédaction » au Soir*. D’ici là, lire la retranscription de notre rencontre du 8 mai vous permettra sans doute de comprendre pourquoi la mise en contact de la presse libre avec la presse industrielle est, comment dire ? Difficile…[note].

Animateur (Sylvain Anciaux) : Comment est-ce qu’on crée l’information chez Le Soir, comment est-ce qu’on crée un article, quels sont vos sources ?

Philippe Laloux : le terme est peut-être mal choisi : on ne crée jamais de l’information, on va la chercher, on va chercher l’information avec les dents, c’est la règle dans ce métier. On ne se lève pas le matin en disant « oh tiens, sur quoi je vais écrire aujourd’hui, qu’est ce que je vais commenter »; l’information c’est une denrée rare, de plus en plus complexe à aller dénicher, et c’est ça le principal métier et le rôle de la presse aujourd’hui, c’est d’aller chercher cette information, de la décrypter, de l’analyser, de la mettre en perspective.

Chez Kairos, comment on traite l’info alors ?

AP : je suis assez d’accord avec le fait que l’on ne crée pas de l’information ; à la fois on va la chercher mais à la fois on ne la suscite pas, on ne la génère pas en pensant si elle va plaire ou si elle ne va pas plaire. On part souvent d’un doute, d’une question, d’une interrogation… je peux donner un exemple très simple : le prochain dossier va porter sur la richesse. Cela part d’un questionnement qui est celui où l’on entend souvent parler de lutte contre la pauvreté, mais on attend rarement parler de lutte contre la richesse par exemple, où de mettre des limites à la richesse. Donc on part de là, on fait de l’investigation et tout ce qui suit.

Il y a 5 [6] numéros de Kairos par an, il y en a 365 chez Le Soir…

PL : … beaucoup plus…

… voir même beaucoup plus… Pensez-vous que la fréquence de publication impacte la qualité de l’information dans vos journaux. Au fond, quel est votre rapport avec le temps en tant que journaliste ?

AP : il y a deux points : d’abord c’est tout simplement impossible pour nous de créer un journal tous les jours ; deuxièmement, la périodicité [quotidienne] d’un journal n’est faite que pour une seule chose : un journal qui sort tous les jours, c’est fait pour plaire aux annonceurs, c’est évident. Il faut que ça sorte tous les jours pour qu’on puisse y mettre des publicités, qu’on puisse être en concordance avec les annonceurs qui nous subsidient.

Monsieur Laloux, vous êtes d’accord.

PL : Je vais d’abord répondre à la question avant de dire si je suis d’accord ou pas, puisque on ne crée évidemment pas un journal pour la publicité puisqu’on peut évidemment faire à ce moment-là un toutes-boîtes, qui s’appelle par exemple Vlan et répond à cette règle-là. Ce qui est important, ce n’est pas nécessairement le rythme de parution mais le temps que l’on met pour faire son métier avec rigueur et les moyens que l’on y met. Donc si on a la capacité de fournir de l’information validée, rigoureuse 5 fois par an, il faut le faire, c’est très important. Il y a des hebdomadaires qui le font 52 fois par an et qui ont aussi de la publicité… nous on le fait beaucoup plus que 365 fois par ans parce que Le Soir n’est pas qu’un journal papier, c’est aussi un site internet. C’est donc cela la principale rupture qu’il y a eu avec la manière dont les gens consomment de l’information aujourd’hui, je n’aime pas le mot « consommer » mais en tous cas lisent ou prennent connaissance de l’information, c’est qu’ils le font tout le temps : on n’est plus dans un modèle de média où je suis sur mon pied d’estale et je diffuse un même message (…) les gens consomment de l’information quand ils le souhaitent, au moment où ils le souhaitent, sur le support de leur choix. Et la principale rupture dans ce métier elle est là, à savoir que la deadline, la limite de publication est devenue totalement accessoire, même le support est devenu totalement accessoire, ce qui est important c’est de donner une information quand elle est validée. Par exemple hier [le 7 mai], des médias sortent à 15h30 une information en donnant le nom du futur président de la République française : eh bien, c’est zéro mérite, parce que fatalement c’est sur base de sondage, ce n’est pas recoupé (…)

Mais souvent dans Le Soir on retrouve la nouvelle du jour, l’info chaude, est-ce que c’est possible en même pas 24 heures de recouper toutes les sources et de publier quelque chose qui soit fiable ?

PL : Le Soir est un journal d’actualité, et, pour être un peu dans la caricature vous avez le résultat du match, mais vous avez aussi et j’espère que vous le lisez, une enquête sur les football leaks qui permet de démonter touta la mécanique des transferts du Mercato, où pourquoi Ronaldo a détourné 150 millions. Ça ce n’est pas une nouvelle qui tombe du ciel, c’est une info qu’on va chercher, qu’on recoupe et qui met des mois à être validée.

Monsieur Penassse, vous voulez réagir ?

AP : en dehors de la publicité, évidemment que le journal de marché, le journal qui appartient aux dominants, est fait aussi pour formater une certaine opinion publique et lui donner certaines idées. Donc on ne retrouvera jamais dans Le Soir, ou La Libre, ça a été montré, des idées qui sortent d’un cadre. Alors Macron, on fait croire que tout d’un coup on avalise le résultat d’élections libres et démocratiques alors que tous les médias ont travaillé activement depuis des mois, surtout dans ce cas-là les médias français, à créer le candidat Macron et à faire qu’il soit le candidat qui passe (…). C’est évidemment difficile d’obtenir d’un journaliste qui travaille dans une grande presse l’aveu que ses patrons sont le groupe Rossel qui appartient à la famille Hurbain, qui est la 100 ème famille la plus riche de Belgique[note], et qui ne s’intéresse évidemment pas pour rien au Soir. Ce n’est pas du hasard.

PL : Je pense qu’on a ici la différence entre des personnes, et je n’ai rien contre Kairos et je salue ce travail ainsi que l’existence de presse alternative comme vous l’avez appelée… évidemment qu’ici on est loin d’un travail journalistique ; ici c’est une opinion, on est dans le fantasme…

AP : je l’attendais celle-là…

PL : … oui, vraiment dans le fantasme, on lâche de manière péremptoire…

« Jamais Monsieur Penasse n’a pris son téléphone et n’a pris la peine de téléphoner à Béatrice Delvaux ! Jamais ! J’invite Monsieur Penasse à venir participer à une réunion de rédaction, vivre quelques jours, de faire un vrai travail journalistique, pour recouper toutes ces sources »

Vous faites justement ma transition, c’est parfait. Dans la première introduction de son premier numéro, Monsieur Penasse, vous écrivez : « notre époque manque cruellement de radicalité qui fait ici figure en réalité de simple cohérence ». C’est vrai que comme M. Laloux vient de le dire, chez Kairos on retrouve souvent un parti-pris dans les articles, on ne peut pas se le cacher, alors quelle relation doit entretenir le journaliste avec ce qu’il produit : est-ce qu’il doit être tout à fait neutre ?

AP : il n’y a que ceux qui se disent les moins engagés qui le sont le plus. Des journaux comme Le Soir, La Libre, Le Monde et les autres, sont très engagés : ils sont engagés tout simplement en faveur du capital. Je vais vous lire un petit extrait de notre chère amie Béatrice Delvaux qui, en 1999, écrivait : « le non radical à la mondialisation est intenable dans un monde où le consommateur pose tous les jours des gestes qui font sortir les entreprises des frontières. Le marché reste le mode d’organisation le plus efficace de la vie économique, notamment parce que tous les autres ont montré leur limite. Il faut favoriser la construction d’un capitalisme fort et conquérant, permettant d’assurer la pérennité d’entreprises qui conservent leur centre de décision au pays ». Faut-il rappeler que Béatrice Delvaux a préfacé le livre sur Albert Frère…

PL : … et elle a fait son stage au FMI, pour déjà anticiper…

AP : Albert Frère, c’est une des plus grosses fortunes. Évidemment, on est raillé quand on dit ça comme si c’était quelque chose qui n’était pas grave dans la façon dont on aborde la réalité et la vérité de certains sujets (…).

PL : J’ai le plus grand respect pour les opinions de Monsieur Penasse, mais ça reste des opinions. Jamais Monsieur Penasse n’a pris son téléphone et n’a pris la peine de téléphoner à Béatrice Delvaux ! Jamais ! J’invite Monsieur Penasse à venir participer à une réunion de rédaction, vivre quelques jours, de faire un vrai travail journalistique, pour recouper toutes ces sources.

PL : parce qu’évidemment…

AP : c’est noté !

PL : …mais bien entendu, et je peux vous ouvrir mon carnet d’adresse, il n’y a aucun souci, faites votre travail. Parce que ce n’est pas parce qu’on a une opinion ou un fantasme où on entretient une certaine théorie du complot… basé sur quoi ? Parce que Béatrice Delvaux a fait son stage au FMI, moi qui suis journaliste au Soir je serais évidemment un suppôt du capitalisme ? Évidemment que je me lèverais le matin en me disant « tiens, comment je vais pouvoir servir les intérêt du Bel20 ? », ça n’a pas de sens. On est dans l’idéologie, on est dans la théorie du complot, on est dans le fantasme le plus complet, et l’engagement en journalisme, la première chose qui compte c’est de s’engager à aller chercher de l’info, c’est la seule chose qui compte.

Justement, on va parler des journaux qui pourraient servir le capital, comme Monsieur Penasse le disait, et comme vous vous en défendez Monsieur Laloux…

AP : je voudrais quand même rajouter que quand on discute, c’est marrant parce qu’il y a toujours ce « je respecte les journaux alternatifs, mais ce sont des opinions sans valeur, c’est fait par des gars qui discutent juste comme ça… »…

PL : j’ai dit ça ?

AP : « Ce sont des opinions, c’est pas vraiment du journalisme »…

PL : faites du journalisme, étayez vos propos !

AP : faut quand même savoir que dans notre rédaction, on a Paul Lannoye, député honoraire européen… [note] 

PL : (me coupe), il est journaliste !?

AP : mais il n’y a pas besoin d’être journaliste pour faire du journalisme…

PL : à partir du moment où on aura un homme politique qui est journaliste au Soir, eh bien Le Soir met la clé sous le paillasson, parce qu’on ne ferait plus du journalisme, on ne pourrait plus…

AP : mais il a quitté le parti écolo…

PL : oui, bien sûr !

AP : argumentez, c’est ridicule.

PL : j’argumente : il est militant, il est militant !

Vous dite que Monsieur Penasse ne fait pas de journalisme, il a été à la recherche ici d’informations [évoque le dossier Seriez-vous libres ce Soir], de citations, il a a fait un travail de recherche, donc je pense qu’il a fait du journalisme, mais du journalisme critique.

PL : Je l’ai lu avec beaucoup d’attention : toutes les données qui sont là-dedans sont publiques. J’aime beaucoup lire des articles qui parlent des articles des autres… encore une fois, je ne retrouve pas un travail d’enquête où on aurait révélé, ô grande surprise, que Rossel appartient à la famille Hurbain, que Bernard Marchant est l’administrateur délégué qui dans une autre vie a travaillé chez Arthur Andersen… c’est là qu’on quitte le terrain du journalisme et qu’on commence à fantasmer dans la théorie du complot, englué un peu dans des oeillères et un prisme par lequel on analyse tout ça, on est dans le critique : sous prétexte qu’on a travaillé chez Arthur Andersen, on aurait fait allégeance au grand capitalisme et que quand je me lève le matin je ne pense pas au lecteur où à l’information mais je pense à soigner des annonceurs. Moi personnellement, je n’en ai rien à cirer. Je rappelle quand même qu’en Belgique on a la chance d’avoir des groupes de presse qui précisément n’appartiennent pas à des marchands d’arme ou justement des partis politiques ; plus que ça, on a la chance aussi, et là je parle pour Le Soir, d’être dans un journal où l’indépendance n’est pas un vain mot : ça fait 130 ans qu’on la brandit et qu’on s’en nargue même. Mais fatalement, ce sont des entreprises de presse qui ont besoin d’atteindre l’équilibre économique à la fin du mois. Donc je veux bien travailler gratuitement, mais ce n’est pas le modèle de société que nous défendons, sous prétexte qu’une entreprise gagne de l’argent elle serait inévitablement néfaste, évidemment que non ; pour faire du journalisme de qualité il faut que l’entreprise de presse soit à l’équilibre.

AP : je n’ai pas dit que sous prétexte qu’elle gagnait de l’argent, elle n’était pas libre. Non, on le sait très bien, et on le sait peut-être beaucoup mieux que les autres presses, que pour pouvoir survivre il faut des rentrées d’argent (…).

« L’emprise des élites sur les médias et la marginalisation des dissidents découlent si naturellementdu fonctionnement même de ces filtres que les gens de médias, qui travaillent bien souvent avecintégrité et bonne foi, peuvent se convaincre qu’ils choisissent et interprètent « objectivement » lesinformations sur la base de valeurs strictement professionnelles. Ils sont effectivement souventobjectifs, mais dans les limites que leur impose le fonctionnement de ces filtres ».Noam Chomsky et Edward Herman, La fabrication du Consentement.

Est-ce qu’il y a une forme de censure par rapport à la publicité ? Est-ce qu’on est vraiment libre chez Le Soir ?

PL : Imaginez : je veux écrire un article et tout de suite j’ai la régie publicitaire qui descend dans la rédaction : « dis, tu n’as pas le droit d’écrire cet article ». Imaginez une seule seconde un pays, une démocratie où ça se passerait comme ça, ce serait atroce. Il y a un mur de Berlin…

AP : mais évidemment qu’il n’y en a pas ! C’est fou parce que ça a été écrit il y a trente ans : Chomsky et Edwards ont fait un fabuleux livre là-dessus, évidemment qu’il n’y a pas un type qui descend de la régie publicitaire et qui va dire « Eh coco, stop ! ». On le sait très bien, que c’est une forme d’autocensure qui est intégrée, et qui est intégrée bien avant les écoles de journalisme, dans les écoles secondaires, primaires, dans le fait que nous-mêmes nous avons été des lecteurs et des auditeurs des médias tels qu’ils sont. Évidemment qu’il n’y a pas un type qui vient avec un flingue. Ils prennent toujours la comparaison avec des pays qui sont sous des dictatures, où là la résistance est réelle.

PL : moi je n’ai pas les connaissances de Monsieur Penasse en neuropsychologie, je pense qu’il a certainement raison…

AP : c’est peut-être parce que j’ai fait psychologie, mais…

PL : tout à fait, mais je pense vous avez raison, que la publicité évidemment utilise des codes et des techniques qui permettent de toucher – j’ai trois enfants et j’essaie de les préserver de tout ça, et on a certainement Monsieur Penasse et moi les mêmes valeurs par rapport à ça… – je veux simplement dire qu’il y a une part d’intention dans l’autocensure, mais pas que par rapport à la publicité. Mais en tous cas, on est pas dogmatisé par rapport à ça. Et je peux vous sortir des pages où en pleine affaire Fortis révélée par Le Soir, où il y avait sur une même page des articles qui dénonçaient le conseil d’administration et une publicité Fortis.

Pour terminer, qu’est ce que c’est que pour vous du journalisme de qualité ?

PL : c’est un journalisme rigoureux, et de la rigueur c’est être indépendant, évidemment de toute pression économique, politique mais aussi de tout dogme, de tout idéologie… je ne suis pas là le matin pour servir une idéologie.

« J’argumente : il est militant, il est militant ! »

Monsieur Penasse, pour clore le débat ?

AP : La question, je voudrais quand même rebondir, n’est pas celle que les gens se lèvent le matin en se disant « on va servir une idéologie », c’est uniquement qu’il y a certaines informations qui peuvent être dites et d’autres non. Pour nous, un journalisme de qualité, c’est ne se mettre aucune limite au travail de vérité. Alors, il faut quand même se rendre compte où on en est : on est en 2017, dans une situation environnementale, politique, financière qui est catastrophique, énormément de chercheurs disent que si l’homme continue comme ça, dans 100 ans c’est terminus, alors la récré elle est terminée. Et donc ça, c’est un journalisme de qualité, il faut le dire.

PL : moi je vous invite à lire Le Soir tous les jours pour prendre connaissance…

AP : … mais je n’arrive plus Monsieur, je n’arrive plus…

PL : mais je ne vous parle pas à vous, je parle aux lecteurs ! … de lire tous les jours pour avoir justement des informations, parce que les premiers à faire un travail d’enquête sur…

AP : moi je vous conseille vraiment de ne pas le lire !

PL : mais alors vous parlez de choses que vous ne connaissez pas, ce n’est pas journalistique !

AP : mais je n’arrive plus…

PL : mais vous n’êtes pas journaliste !

Pour info, quand des étudiants, hors micro, demanderont à Monsieur Laloux s’il compte rester pour la fin de l’émission, il répondra : « non, j’ai du travail, j’ai un métier moi ». CQFD.

* ON ATTEND TOUJOURS…

On l’a donc recontacté… le 11 mai, je lui envoyais un mail :

Bonjour Monsieur Laloux,

Suite à notre débat de ce lundi 8 mai, des plus intéressants, j’accepte volontiers votre invitation à venir participer à une réunion de rédaction, vivre quelques jours, de faire un vrai travail journalistique, pour recouper toutes ces sources.

Comment pourrions-nous organiser cela au mieux? Comment pensiez-vous procéder?

Au plaisir de vous lire,

Cordialement,

Alexandre Penasse

Le même jour, il me répondait :

Bonsoir,

Christophe Berti, rédacteur en chef, prendra contact avec vous pour répondre à toutes vos questions. Au moins, vous aurez la source la plus directe pour organiser la suite de votre enquête. Je me suis permis de lui transférer votre mail et de lui en toucher un mot.

Merci pour votre intérêt.

Cordialement

Philippe Laloux 

Au passage, l’invitation à participer à une réunion de rédaction se mue en « répondre à toutes vos questions »… On n’a évidemment plus eu de réponse, alors on l’a appellé, pour finalement l’avoir au téléphone en juin, nous disant qu’il était très occupé avec le nouveau site du soir et allait reprendre contact avec nous. On a réessayé en septembre, pas de réponse. On attend toujours. Évidemment.

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LA FIN DU MARCHÉ LIBRE ET DES LOIS DE L’HISTOIRE ? REMARqUES SUR LA DIALECTIqUE

« Des philosophes comme Condorcet, Marx, Hegel, Comte, n’ont pas compris que le devenir historique “se déroule mais ne progresse pas”, qu’il est au pire un enchaînement de catastrophes, au mieux “un défilé d’impasses, une succession de situations bloquées, une immobilité en marche” ».Frédéric Schiffter, à propos de Cioran[note]

Parmi les arguments que l’on oppose aux objecteurs de croissance, deux reviennent avec régularité : primo, la décroissance aurait une connotation «négative» qui ferait office de repoussoir; secundo, elle se contenterait de paresseusement prendre le contrepied de la croissance et resterait ainsi prisonnière d’un schéma économiste qu’elle prétend récuser. Ici, nous allons en étudier une troisième, venant des marxistes : la décroissance serait dépourvue d’une dimension dialectique, ou du moins n’en tiendrait pas assez compte dans ses démonstrations. Pour rappel, la dialectique, au sens moderne du terme, se résume comme ceci: rien n’est figé une fois pour toute, tout est en devenir, mais selon une loi déterminée: du mal accouchera le bien, l’humanité marche vers la réalisation de l’Esprit (i.e. la Raison), ce n’est qu’une question de temps, alors soyons patients, nous les révolutionnaires, comme le recommandait Lénine. 

Je vais tenter de montrer que les limites écologiques, ou l’enfermement planétaire[note], de plus en plus manifestes, invalident tant la théorie de la main invisible du marché[note] que le matérialisme dialectique. Car, hormis la propriété des moyens de production — la principale ligne de fracture entre marxistes orthodoxes et libéraux —, les points communs sont plus nombreux que les uns et les autres sont prêts à le reconnaître: croyance en la société d’abondance qui anesthésiera les passions mauvaises des hommes et adviendra par l’omnipotence de la science et de la technique[note] ; bureaucratisation de la vie (quoiqu’en disent les libéraux anti-étatistes); expansion illimitée de la maîtrise rationnelle, de l’économie et de l’industrie; anthropocentrisme ; prométhéisme ; goût pour le gigantisme ; universalisme; arrachement à toutes les traditions, au temps, à l’espace et à la nature ; volonté de bouleverser tout ordre social qui aurait tendance à se stabiliser, bref, croyance au Progrès, cette métaphysique de l’histoire[note], ce processus déterministe sans fin et toujours plus complexe où la science découvre, la technique exécute et l’homme s’adapte; au bout du compte, il est censé amener l’humanité au bonheur sur Terre, le présent imparfait n’étant qu’une suite de crises passagères (1914–18, 1929, 1939–45, 1968, 1973, 1995, 2002, 2008, jusqu’à la prochaine) préparant l’harmonie future. Autrement dit, nous avons affaire à une nouvelle religion séculière cachée derrière « un discours techno-historiciste», selon l’expression d’Alain Gras[note]. Si certains veulent à tout prix refonder l’idée de progrès, il faut alors reprendre à grands frais sa conception héritée des Lumières, du saint-simonisme et de la cybernétique, puis « dégraisser » là où c’est nécessaire. Vaste programme! 

Aujourd’hui, la question écologique s’invite dans l’économie politique, pour la prendre de plein fouet. Inutile de décliner ses multiples facettes ici, que tout citoyen digne de ce nom est censé connaître. Après l’avoir longtemps refoulée, l’oligarchie capitaliste semble enfin la prendre en considération, mais pour la récupérer aussitôt dans l’éco-blanchiment et, à un stade plus sérieux, dans le «capitalisme du désastre» (Naomi Klein, 2008)[note] ou le «capitalisme biocidaire» (Michel Weber, 2013)[note]. Plutôt que celui de la société sans classes, le XXIème siècle pourrait bien être celui de l’hyper-capitalisme vert qui adaptera de force les habitants de la planète à la raréfaction des ressources sans toucher aux privilèges des riches, cet éco-fascisme que Serge Latouche a vu venir il y a dix ans déjà. Cependant, remarquons aussi que la réapparition[note] de cette « crise » écologique ne fait pas l’affaire des capitalistes, car elle vient troubler leur scénario du «business as usual ». Autrement, comment expliquer l’acharnement de leurs affidés, ceux que je nomme les «rassuristes»[note], à minorer ou démentir les menaces globales? Leurs manœuvres relèvent à la fois du déni, de la dissonance cognitive et de l’optimisme irréaliste, l’enfumage de l’électeur-consommateur en étant l’objectif intermédiaire, et la paralysie des décisions politiques, l’objectif final. Hélas, les médias les chérissant, on suppose qu’ils atteignent souvent leur but: administrer une dose de tranquillisants à l’individu atomisé qui n’a nulle intention de renoncer à la consommation, passeport pour son intégration dans la dissociété. 

Pourquoi la réalité géophysique actuelle vientelle profondément remettre en cause les théories économiques élaborées depuis les Lumières? La vision organiciste de la Renaissance concevait la nature comme une mère nourricière qu’il convenait de respecter. Puis les découvertes, aux XVIème et XVIIème siècles, de Copernic, Kepler, Bruno, Galilée et Newton ont changé la donne. Le cosmos clos hérité des Grecs a fait place au cosmos infini, la vision naturaliste et mécaniciste s’est installée: l’homme est désormais séparé de son milieu, sur lequel il prend de l’ascendant. Bacon, Descartes et Boyle lançaient le plus ambitieux programme pour l’humanité: par la connaissance scientifique et la rationalité instrumentale débridée, l’homme allait étendre ses pouvoirs à l’infini sur la nature, la soumettre à ses désirs et ses fantasmes[note]. Or ladite nature a toujours été un partenaire incontournable de l’humanité. Pour les sociétés traditionnelles, c’était une évidence. Au siècle des Lumières, on l’a refoulée (sauf Rousseau); au XIXème siècle, le souci de la protection de la nature a accompagné la Science triomphante, sans toutefois parvenir à freiner son avancée[note] ; aujourd’hui l’état très préoccupant de la biosphère devient obvie, sans toutefois être totalement intégré au logiciel mental de la plupart de nos contemporains. 

« Aucun dieu, aucune main invisible du marché ni aucune ruse de l’Histoire (ou de la Raison) n’interviendra pour nous sauver » 

Le marché libre suppose un monde potentiellement illimité où il existe toujours quelque part une «arrière-cour» capable d’absorber et de satisfaire la volonté des producteurs et la demande des consommateurs. Naguère, cette arrière-cour était constituée par les colonies regorgeant de matières premières et de main‑d’œuvre corvéable; aujourd’hui, c’est par la technoscience, via les projets de maîtrise du vivant (génie génétique, nanotechnologies, biologie de synthèse, nouvelles techniques de reproduction, transhumanisme, etc.), des cycles naturels (géo-ingénierie), ainsi que la conquête spatiale qui reprend des couleurs. L’être humain veut à tout prix avoir le dernier mot sur la nature, mais le volontarisme technologique — ou technoptimisme — est condamné dans son principe, la biosphère étant plus complexe que l’intelligence humaine qu’elle a engendrée. N’en déplaise à mes amis marxistes, il en va de même pour la dialectique telle qu’ils l’entendent : pour se résoudre dans la synthèse — résultant d’un dépassement de la thèse et l’antithèse —, elle a besoin de l’existence d’une « réserve » que les écosystèmes finis, de surcroît irréversiblement dégradés pour certains par la praxis de l’homme, ne sont plus en mesure de fournir. Bertrand Méheust l’a compris et s’en inquiète: «Il peut se faire, après tout, que la destruction de la biosphère soit tellement “radicale” qu’aucune “vérité supérieure” n’en sorte et qu’elle ne laisse aux êtres humains d’autre perspective que celle d’une vie crépusculaire dans un monde à jamais dévasté. »[note] Cette perspective, angoissante mais plausible, est évoquée dans des œuvres cinématographiques ou littéraires visionnaires comme Danse avec le diable, Soleil vert, Malevil, Mad Max et La route. Quand bien même le matérialisme historique pourrait fonctionner dans son principe, un autre facteur l’entrave: le temps vient à manquer. Dérangée par notre frénésie productiviste, la nature nous impose dorénavant son agenda. Pour compliquer les choses, il ne s’agit pas du temps linéaire, prévisible de la science expérimentale et de la technique, mais bien celui, chaotique, fait de boucles de rétroactions positives. Le lecteur dubitatif peut compulser le dernier rapport du GIEC, lire le philosophe Clive Hamilton[note] ou écouter le professeur Guy McPherson (Université d’Arizona), qui distingue vingt-cinq de ces boucles, irréversibles à l’échelle du temps humain…[note] Le temps est venu de cesser d’attendre un deus ex machina. Aucun dieu, aucune main invisible du marché ni aucune ruse de l’Histoire (ou de la Raison) n’interviendra pour nous sauver. Ne comptons plus sur une providence inexistante. Là réside le vrai athéisme — athéisme dont se targuent les marxistes et les libéraux. Comptons seulement sur nous-mêmes… bien que cela ne nous offre aucune garantie de succès! Accepter l’incertitude représente une nouvelle forme de sagesse et de lucidité. 

En substituant son radicalisme épistémologique au positivisme ordinaire, la décroissance propose, elle, un mode opératoire bien mieux adapté à la situation présente, inédite dans l’histoire de l’humanité, que ni Adam Smith ni Karl Marx n’avaient prévue. Le discours libéral et le discours marxiste (dans sa forme dogmatique) sont dépassés. Chez les premiers, comment croire que leur modèle représenterait une « fin de l’histoire » ? Quelle vanité ! Chez les seconds, prétendre bifurquer dans une autre direction unidimensionnelle et universelle — le communisme — est une idée (devenue) irréalisable. La décroissance suggère plutôt de susciter le «buissonnement» d’alternatives résistantes au productivisme et au capitalisme partout où cela est possible[note], sans passer par la prise du pouvoir d’État[note]. Ce buissonnement s’inscrit bien dans la continuité de l’histoire, avec la limite rappelée par Jean-Pierre Dupuy : « […] s’il est vrai que nous faisons notre histoire, nous ne savons pas quelle histoire nous faisons»[note]. Repousser la catastrophe — s’il en est encore temps —, empêcher que le monde ne se défasse, selon les mots d’Albert Camus, voilà des objectifs plus clairvoyants que l’illusoire Grand Soir, aujourd’hui privé de son sujet historique, le prolétariat[note]. Ne parlons même pas des «démocraties de contrainte» libérales et consuméristes, condamnées à terme dans leur principe. Plus modestement, les objecteurs de croissance visent «un nouvel idéal frugal, égalitaire et démocratique de coexistence conviviale» (Christian Arnsperger, 2008). À l’instar d’Orwell, ils redonnent de l’importance à l’intuition morale et au sens commun, cette faculté à mi-chemin entre la raison et le sentiment. S’ils estiment avoir une mission révolutionnaire, ils sont également conservateurs, dans le sens où conserver les structures (économiques, sociales, agricoles, symboliques, etc.) et les écosystèmes que le capitalisme détruit pour étendre son emprise, est devenu une question de vie ou de mort. Ils cherchent à recréer les conditions de l’autonomie individuelle et collective. Comme Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, ils font le choix délibéré de la non-puissance, préfèrent le qualitatif au quantitatif. La décroissance est une étape transitoire et nécessaire pour notre survie qui nous fera passer d’un monde écologiquement et anthropologiquement insoutenable à une société qui se recomposera à partir d’une empreinte écologique redevenue soutenable, qu’elle se promettra de ne plus dépasser. «Le sens de l’histoire n’est pas le progrès, comme on l’a cru depuis le XVIIIème siècle, mais bien plutôt la puissance toujours accrue exercée sur la nature et contre elle»[note], remarque le philosophe Christian Godin. Il est temps que cela change ! 

Arrivons-en maintenant à la conclusion: la décroissance elle aussi est dialectique, puisqu’elle adopte un schéma thèse (la croissance)-antithèse (la décroissance)-synthèse (société d’a‑croissance stable, démocratique, écologique et conviviale) ». Cependant les différences avec le matérialisme dialectique d’Engels sautent aussi aux yeux : primo, les voies pour y parvenir sont multiples (cf. supra) et n’ont rien à voir avec l’idée d’un Progrès linéaire ; secundo, l’importance du rôle de la nature est prise en compte pour constater aussitôt qu’une fois détruite, elle ne pourrait plus fournir le substrat qui «sert de base à toute vie, toute pensée, toute invention» (Peter Sloterdjik, 2003); tertio, il n’est pas garanti que cela se passe comme nous le souhaitons, car il n’y a aucune nécessité historique pour passer de la croissance à la décroissance; nous pourrions échouer et l’aventure humaine prendre fin dans un cataclysme inimaginable. Terminons sur une note positive: sans tomber dans le messianisme, avançons que la décroissance est un nouvel universel concret. Une chance à saisir. 

Bernard Legros 

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« ON NE VOUS RÉPONDRA PAS, CE N’EST PAS LE SUJET DE LA SOIRÉE »

La « démocratie participative », souvent brandie comme une évidence dans les discours politiques, n’est jamais réellement définie et très rarement transcrite dans des dispositifs légaux. Heureusement, de Namur à Bruxelles, elle peut compter sur des élus qui la défendent avec ardeur… 

La consultation populaire est une procédure, prévue par le Code de la Démocratie Locale et de la Décentralisation, permettant à la population de faire entendre sa voix sur des questions spécifiques. À Namur, un collectif citoyen a ainsi récolté plus de 13 400 signatures, obligeant la ville de Namur à demander l’avis de sa population sur le choix de raser le Parc Léopold pour y construire un centre commercial. Ainsi contrainte à un grand saut dans l’inconnu démocratique, la ville prit tout le monde de cours et lança sa propre consultation populaire sur le sujet ! Ce qui lui permit de choisir elle-même la formulation des questions à poser à ses concitoyens. Pas folle, la guêpe. 

Dans cet élan démocratique sans précédent, la ville mit fissa la main au portefeuille public et lança une campagne (38 000€) permettant d’informer les Namurois sur… les raisons de voter oui aux trois questions alambiquées qui leur étaient posées le 8 février dernier. Pendant ce temps, les défenseurs du Parc Léopold, dont le travail patient a permis d’initier la consultation populaire, faisaient du bénévolat et du crowdfunding pour faire entendre leurs arguments… 

géométrie variable 

Il s’est heureusement trouvé un parti d’opposition qui a eu le courage de dénoncer ce « déséquilibre », cette « outrance ». Un parti qui sait débusquer les manœuvres du pouvoir et n’hésite pas à cogner ni à dénoncer. «À force d’orienter à ce point le résultat, ce n’est plus une consultation populaire mais un plébiscite qu’organise la majorité», s’offusque-t-il, allant jusqu’à demander au Bourgmestre de partager le budget de la campagne d’information avec les partisans du non… 

Quel est donc ce parti si prompt à dénoncer le «vol» d’une initiative populaire et son «détournement» en opération marketing en faveur du projet d’un promoteur privé côté en bourse ? Je vous le donne en mille. Le PTB? Nan. Ecolo, ce fervent défenseur de la participation ? Non plus : membre de la majorité namuroise, il porte à bout de bras cette mascarade qui a dénaturé la demande de 13 400 Namurois. Le CDH, alors, ce parti qui déclarait il y a peu à la Région wallonne que «Mettre la procédure (de la consultation populaire) dans les mains des politiques dénaturerait la dimension populaire de la démarche” et la “transformerait vite en une forme d’instrumentalisation politique du débat»? Encore raté, le Bourgmestre de Namur, Maxime Prévot, est CDH et malgré le désaveu cinglant que lui ont infligé les Namurois en répondant majoritairement non aux trois questions posées, il en retient pour sa part « une volonté partagée par toutes les parties de favoriser la création d’un centre commercial au square Léopold ». 

Mais vous chauffez… Ce parti frondeur, terré dans l’opposition d’où il forge des contestataires aguerris et pour qui le contrat avec l’électeur est un lien sacré se méritant à chaque instant, c’est le PS. Celui-là même qui, lorsqu’il disposait de la majorité absolue à Huy, s’était assis sur le résultat d’une consultation populaire où 95% des votants avaient refusé, là encore, qu’on rase un parc pour réaliser un projet immobilier fumeux. Qu’importe ce score a priori sans discussion, la Bourgmestre Anne-Marie Lizin avait estimé que seuls 27% des électeurs s’étant déplacés, cela signifiait que 73% de la population soutenaient implicitement son projet ! 

circulez… 

À Bruxelles, au même moment où son parti dénonçait la mascarade namuroise, le Bourgmestre PS Yvan Mayeur se prévalait lui aussi d’un «soutien massif» de la population à son projet de piétonniser les boulevards centraux, claironnant que 73% des personnes interrogées dans le cadre de ses « ateliers participatifs » y sont favorables. Un chiffre identique et tout aussi farfelu que celui de son excollègue hutoise. Car le bourgmestre oublie de préciser que ses “ateliers”, sous-traités à un bureau d’études, se sont plutôt apparentés à un simple questionnaire soumis à 600 badauds passant sur le trottoir de la Bourse, et qui dans leur grande majorité n’habitent pas le quartier. Les questions posées n’insistaient pas sur le fait que le réaménagement des boulevards va créer une série de places destinées à accueillir de l’événementiel tout au long de l’année, transformer la place De Brouckère en « Times Square », enclencher la transformation sociale et commerciale des lieux pour attirer «des enseignes de qualité» et davantage de touristes… 

Pas un mot non plus, dans les «ateliers participatifs », sur le plan de circulation accompagnant ce réaménagement, avec son détournement des bus, son mini-ring qui va encercler le piétonnier et asphyxier des artères étroites et habitées, et ses quatre parkings souterrains que la ville veut construire sous des places historiques du centre… Puisqu’on parle de piétonnier, pas la peine de perturber les esprits en expliquant en même temps qu’on va créer 1 600 nouvelles places de stationnement pour « compenser» les 600 places de stationnement supprimées, alors que le taux d’occupation des 19 000 places de parking « publics » (c’est-à-dire payants et privés) du Pentagone ne dépasse déjà pas les 60% ! Les «ateliers participatifs» sur la piétonisation des boulevards centraux se sont d’ailleurs déroulés avant que le plan de circulation soit divulgué, histoire de ne pas polluer la participation avec des débats inutiles. Et quand l’échevine bruxelloise de la Mobilité Els Ampe (OpenVLD) a organisé des réunions d’information pour les habitants, c’est après que la décision a été votée (sans aucune concertation ni enquête publique préalables), histoire de bien montrer qu’il ne servait à rien de contester. 

Pourtant, la contestation a pris comme une traînée de poudre dès l’annonce du projet. D’abord sur les réseaux sociaux et internet, puis dans la rue. Le 1er décembre 2014, plus de 300 personnes se sont réunies spontanément pour exprimer leur colère à la séance du Conseil communal qui votait ces mesures et qui a dû être suspendue. Des collectifs et des plateformes se sont constitués, lançant actions, pétitions et recours. En trois semaines, plus de 23 000 personnes ont ainsi signé contre la création d’un parking sous la place du Jeu de Balle. Pour toute réponse, la ville a voté un budget de 100 000€ pour faire campagne en faveur de son plan. Et le bourgmestre a continué à promouvoir son piétonnier comme si de rien n’était. 

Le 22 janvier dernier, il organisait à l’Ancienne Belgique la deuxième «grande assemblée générale» pour présenter le résultat de son vaste «processus participatif», au cours duquel 60 participants, tirés au sort et répartis en plusieurs groupes, furent invités à se prononcer sur des sujets bien encadrés comme la forme des bancs et autres éléments de mobilier urbain. Sur scène, des membres de bureaux d’études et de l’administration communale ont exposé à un public incrédule le “top 24” des propositions retenues à l’issue de ces groupes de travail. Sur l’écran, ça fleurait bon la novlangue et le catalogue JCDecaux®… Annoncé en tête d’affiche de la soirée, le bourgmestre resta finalement cloîtré dans son fauteuil au premier rang, entouré de ses échevins, muets, offrant l’image d’une cour royale qui tourne le dos à sa populace. “Yvan” ne broncha pas quand le public, énervé, scanda son prénom pour qu’il daigne répondre aux questions. Il était trop occupé à donner des indications par petits gestes aux larbins envoyés au casse-pipe à sa place. Cela donna lieu à des scènes dignes d’un congrès soviétique, où ceux-ci restèrent figés et muets par exemple quand la salle demandait avec insistance «Où sont les études de mobilité et de pollution, pourquoi ne sont-elles pas publiques ? » Seule réponse sèche de la modératrice : « On ne vous répondra pas, ce n’est pas le sujet de la soirée»… 

Mais le public ne s’est pas déplacé pour rien : un concours de slogans et de logos a été annoncé ce soir-là. Il se murmure qu’il serait financé sur le budget de la participation. 

La participation, c’est tout un art. 

Gwenaël Breës 

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Vidéo

Merci à Fabrice Eulry pour son soutien!

Ce soir encore, nous avons pu réaliser que ce qui n’est pas essentiel pour le pouvoir politique est, au fond, indispensable.

Merci à Fabrice Eulry pour son soutien!Merci au public!

N’ayons plus peur de penser.Vive la presse libre! Soutenez Kairos

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Articles

Introduction d’Alexandre PENASSE à la table ronde DÉMOCRATIE*

Si nous sommes réunis ici aujourd’hui, c’est que la politique, au sens noble du terme, celui de l’organisation de la cité, donc de nos vies, nous intéresse. Pourtant, nos vies sont la plupart du temps régentées par d’autres, qu’on élit et à qui l’on délègue le soin de décider pour nous, troquant pour un confort illusoire notre liberté et notre souveraineté. Ce sont eux qui décident des médias qu’ils subventionnent, qui « aménagent » le territoire, préconisent un type d’énergie plutôt qu’un autre, usent de l’argent public pour envoyer en Ukraine des armes, confinent une population entière, ou imposent une injection expérimentale comme seule et unique remède. Au delà de tout soupçon.

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VU, LU, ENTENDU

Le covidisme a substitué un autre point Godwin — « complotiste » — à celui qui prévalait dans les années 2000 et 2010 : « populiste », un « terme élastique et sans consistance » que décortique Antoine Chollet. L’anti-populisme qui régnait alors dans les médias provenait d’une élite culturelle (sic) qui considère que le peuple est irrationnel et psychologiquement incompétent pour prendre son destin politique en main, devant dès lors remettre celui-ci et les décisions y afférant à un cénacle d’experts et de représentants. Or cela va à l’encontre du sens commun : la pratique démocratique pose que « toute démocratie repose sur une participation aussi intense que possible du corps civique » et que le peuple est souverain. Se plaçant en surplomb, ces politologues et sociologues libéraux ont beau vilipender les extrêmes du spectre politique, ils ne font que veiller au statu quo du régime néolibéral en place « en légitimant les plus vieux arguments utilisés contre [la démocratie] ». Historiquement, c’est aux populistes nord-américains du XIXe siècle, attachés à l’idée d’égalité, que l’on doit de grandes avancées démocratiques. Mais « […] [les anti-populistes] sont incapables de reconnaître l’écart gigantesque qui existe entre des acteurs politiques qui vouent un attachement sincère à la démocratie et qui militent pour un accès réel du peuple au pouvoir, un projet césariste ne flattant le peuple que dans l’objectif de gagner davantage de votes lors des élections suivantes, et un pouvoir fasciste pour lequel le peuple n’est qu’un mot manipulable de toutes les manières possibles ». Chollet appelle à la « démocratisation de la démocratie » pour faire pièce à l’« État de droit oligarchique », selon la belle expression de son prédécesseur Jacques Rancière (cf. La haine de la démocratie, La Fabrique, 2005). Il reste dans un ancrage progressiste en opposant le populisme de Lawrence Goodwin à celui de Christopher Lasch et d’Ernesto Laclau. 

Antoine Chollet, L’anti-populisme ou la nouvelle haine de la démocratie, Textuel, 2023, 155 pages.B. L. 

Historien, enseignant, membre de l’Union des progressistes juifs de Belgique (UPJB), Michel Staszewski milite aussi depuis plus de cinquante ans pour une paix juste entre Palestiniens et Israéliens. En 2023, l’État d’Israël commémore ses 75 ans d’existence et la toute-puissance de l’idéologie sioniste. 75 ans de (crimes de) guerres, de violences, d’apartheid, d’impunité, de destruction de la société et de la culture du peuple palestinien, de complicité et de lâcheté de l’auto-proclamée « communauté internationale », de mensonges, de nondits, de deux poids et deux mesures des médias chiens de garde occidentaux, culminant avec le 7 octobre 2023… Et pourtant, comme M. Staszewski le démontre, le long conflit opposant Palestiniens et Israéliens est tout à fait explicable. Pour y voir clair, il est nécessaire d’en parcourir l’histoire, d’en revenir aux faits et de démonter les mythes et préjugés qui empêchent de comprendre l’impasse dans laquelle les protagonistes restent enfermés. En lisant son livre, on imagine bien quel prof M.S. a été et pourquoi il a laissé tant de bons souvenirs aux jeunes qui ont eu la chance de l’avoir comme prof d’histoire. Son ouvrage est clair, précis, étayé, écrit sans ce jargon philosophico-scientifique à la mode aujourd’hui, qui masque souvent une pensée indigente. Deux petites interrogations, cependant : 1° Sur le terme « antisémitisme ». Qu’est-ce qu’un sémite ? Une « personne appartenant à un groupe ethnique originaire d’Asie occidentale, hébreux, arabes, assyriens, etc., de langues apparentées, abusivement seulement juif », selon le dictionnaire Robert. Donc devrait être considéré comme antisémite celui qui appelle à l’éradication des Palestiniens, et le pays le plus antisémite du monde, comme en son temps l’Allemagne nazie, est aujourd’hui Israël. 2° L’auteur s’identifie comme juif, or il le dit : le peuple juif est un mythe, il n’y a pas de peuple juif, pas de culture juive universelle exceptée la religion, mais de nombreux juifs, dont lui-même, ne sont pas croyants. Alors pourquoi encore se définir « juif » ? Je n’ai jamais compris… 

Michel Staszewski, Palestiniens et Israéliens. Dire l’histoire, déconstruire mythes et préjugés, entrevoir demain, Le Cerisier, 2023, 344 pages. Annie Thonon 

L’ouvrage de Vanina est à la fois un essai et un outil. Partant d’un point de vue féministe et communiste libertaire, qu’elle a développé dans d’autres ouvrages, Vanina nous propulse dans l’arène des luttes autour du genre, telles qu’elles évoluent sous l’effet des théories postmodernes. Critiquant la « théorie queer » et les analyses intersectionnelles auxquelles elles aboutissent actuellement, Vanina montre en quoi ces théories s’opposent au mouvement antipatriarcal et anticapitaliste. Le « trouble dans le genre », selon le titre du livre de Judith Butler paru en 1990, s’invite en effet dans le débat politique par des biais auxquels nous ne savons pas toujours répondre ou auxquels nous répondons de manière maladroite. Pourtant, comme le montre Vanina, les théories postmodernes s’assimilent largement au néolibéralisme, et nous avons besoin d’outils pour démonter des discours qui se retournent contre les femmes en lutte contre l’ensemble du système viriliste. Il fallait un ouvrage tel que celui-ci, très abondamment documenté, d’un sérieux absolu, sans volonté polémique, pour qu’enfin nous puissions sortir de l’ornière dans laquelle nous risquons de nous enfoncer si nous n’y prenons garde. Vanina ne perd jamais de vue que l’adversaire, ce n’est pas celui qui crie aujourd’hui le plus fort, mais bien ce système qui avance souvent de façon insidieuse et renforce chaque jour l’oppression des femmes, de toutes celles et de tous ceux qui luttent pour un avenir vivable, pour l’émancipation. 

Vanina, Les Leurres postmodernes contre la réalité sociale des femmes, Acratie, 2023, 326 pages, 18 €.Philippe Godard. 

Il nous le prédit dans la 4ème de couverture : « L’économie n’est ni une science ni une croyance. Elle navigue entre les deux. Mais elle sait nous abreuver de promesses d’un monde meilleur, qui ne se réalisent pas souvent… ». S’il ne s’agissait que d’une sorte de tract politique, teinté de mauvaise foi et de beaucoup d’attaques souvent arbitraires, notre esprit en fut sorti galvanisé et prêt à se battre contre l’économie capitaliste tendance illibérale. L’objectif assumé de ce livre ? Démonter le système de pensée et de fonctionnement de l’économie actuelle. Sacrée gageure, mais Philippe Godard, qui sait y faire (les lecteurs et lectrices de Kairos le connaissent bien), échappe aux deux écueils du genre. D’abord, il nourrit sa/notre réflexion de multiples références, citées in extenso, qu’il contextualise et critique âprement mais aussi d’une manière juste et équilibrée. Cela donne de la crédibilité à son propos, qui se veut à la fois historique, psychologique, sociologique, littéraire même. La diversité de ses sources lui donne du crédit (on ne peut jamais mieux critiquer quelque chose que quand on s’est penché sérieusement sur le sujet). L’autre avantage de cet ouvrage est que l’auteur sait écrire. Il manie la plume et l’épée avec brio, les figures de style avec beaucoup d’art et une délectation qui nous donnerait presque envie de plonger dans l’œuvre de Marx ou de Malthus. Témoin de cette belle compétence, le titre, très bien trouvé et qui procède d’une antithèse aussi violente que réaliste et pertinente. Il démontre aussi une dilection particulière pour les mots précis, les formules percutantes et les termes les plus évocateurs possibles. Cela évite une simplification extrême, polémique et toxique de la critique. On ne saurait terminer cette recension sans mentionner le formidable dessinateur Vincent Odin (avec lequel Godard a déjà œuvré au Calicot pour deux livres). L’art d’Odin est, sans aucune malice ni jeu de mot de notre part, de taper avec son marteau figuratif sur l’enclume du point qui fait rire et réfléchir à la fois, avec facétie et sans vulgarité. Bien vu, les artistes ! Et un livre qu’on recommande chaleureusement. 

Philippe Godard, Une bande de riches, des milliards de pauvres, Le Calicot, 188 pages.D. T. 

Pour Hélène Banoun, le biopouvoir ment. Il censure les avis qui critiquent la politique sanitaire menée depuis l’éclatement de la pandémie de Covid19. Des scientifiques contribuent à cette désinformation. On continue à faire des recherches sur les gains de fonction et à justifier l’utilisation de vaccins à l’ARNm, qui fabriquent une protéine pour inciter l’organisme à fabriquer des anticorps artificiels, mais qui affaiblissent l’organisme à cause de leur inadaptation. On a fabriqué cette crise sanitaire pour accroître le contrôle de la population et pour faire d’immenses profits et on s’apprête à recommencer. Au début du livre, l’auteure fait l’historique de la crise. En 2013, Moderna est subsidié par l’armée américaine (DARPA), qui a pour objectif de mettre au point rapidement un vaccin. Un certain Ralph Baric (UCN) et Peter Daszac (EHA) se mettent à faire des recherches sur les gains de fonction. Ils sont également financés par l’armée. Ces recherches elles-mêmes risquent d’avoir un impact sur la santé et Obama impose un moratoire. Mais Anthony Fauci délocalise en Chine la recherche sur les coronavirus, et Donald Trump lève le moratoire. Au cours des années 2018 et 2019, des ONG américaines et Bill Gates imaginent des scénarios de pandémie. Des scientifiques lancent l’alarme, demandent qu’un moratoire soit à nouveau imposé. Mais une crise sanitaire éclate en Chine. Les médias amplifient fortement la situation. Un chapitre porte sur l’histoire du biopouvoir. Le reste du livre résume les recherches réalisées sur les anticorps, les gains de fonction, les vaccins, et analyse le biopouvoir qui interdit de recourir à des thérapies existantes, qui confine les gens, impose couvre-feux et port du masque. Qui désorganise l’économie et les services de santé pour faire croire à la létalité du virus et justifier le recours à la vaccination qui exonère les sociétés pharmaceutiques des contrôles de sécurité réglementaires, met en circulation un passe sanitaire et ensuite un passe vaccinal… 

Hélène Banoun, La science face au pouvoir. Ce que révèle la crise Covid-19 sur la biopolitique du XXIe siècle, Talma, 278 pages, 19,90€.Paul Willems 

Avec son style inimitable fait de données scientifiques alternant avec des coups de gueule ; avec son goût des recherches étymologiques ; avec son ironie mordante, Yannick Blanc ne peut plus cacher qu’il est l’auteur de La vie dans les restes ainsi que plusieurs documents signés Pièces et mains d’œuvre, comme le livre bien connu Manifeste de chimpanzés du futur (qui vient de voir publiée une seconde édition). Ici, une partie importante du livre est écrite comme si c’était un techno-furieux qui tenait la plume. Sont recensées toutes les illusoires technologies censées éviter les catastrophes qui menacent l’humanité, mais en en créant de nouvelles. Si nous allons vers une Vie dans les restes, c’est parce que l’empire de la destruction n’a cessé de se renforcer depuis le néolithique, accroissant sans cesse sa puissance matérielle pour se lancer, à l’aube du XIXe siècle, dans une offensive générale contre le vivant. Deux siècles de foi dans les technologies ne laissent que des restes, déjà fort réduits par rapport à la vie sans technologisme. Ils se raréfieront encore si nos sociétés poursuivent leur volonté de consommer toujours plus. Aujourd’hui, le transhumanisme est le danger le plus grand qui menacerait l’humanité. Y. Blanc évoque souvent ce péril majeur, mais il en aborde bien d’autres : eugénisme, procréation médicalement assistée, géo-ingénierie… Tout un chapitre évoque en détail le heurt entre les loups sauvages et les moutons domestiqués. On est surpris de la connaissance pointue que l’auteur a de ce dossier, avant qu’il ne nous révèle que, depuis des décennies, il se passionne pour la vie des loups et qu’il a amassé tous les articles et ouvrages qui parlent de ces canidés libres et autonomes. Et il affirme « Moi je hurle avec les loups ». 

Yannick Blanc, La vie dans les restes, Service compris, 2023, 195 pages, 15€.A. A. 

« Cheminons vers notre révolution intérieure ». Une phrase qui pourrait résumer cet ouvrage s’il ne foisonnait pas de nombreuses questions et d’explications judicieuses quant à notre manière de subir notre vie. Gilles Petit-Gats balaye d’un regard aiguisé, et surtout approprié, notre façon de « tourner en rond » dans nos vies de consommateurs, de travailleurs, de sédentaires, et aussi bien sûr « paniqueurs », rien qu’à de l’idée de quitter notre intime zone de confort. Parlons de cette zone de confort ! Que ce soit par mimétisme, par peur de nous émanciper, par cristallisation de nos propres croyances, par notre côté grégaire, par victimisation, par habitude aussi, nous vivons dans des prisons. Prisons que nous construisons nous-mêmes et dont nous détenons les clés puisque ce sont exactement les mêmes que celles avec lesquelles nous nous sommes enfermés ! Alors pourquoi n’osons-nous pas sortir ? La majorité des gens ressentent une sensation de séquestration dans un quotidien qui les décourage et les désespère, voire les empoisonne, mais ils ne risquent pas un pas en dehors du cercle qui les limite. L’auteur nous parle  d’« égoïsme sacré», de certitudes, de convictions, de révélations, de traditions, de prises de conscience, de dressage, d’injustice sociale, de vie et de survie. Il nous donne des pistes pour nous délivrer du carcan sociétal, familial, professionnel et pour nous construire un nouvel environnement. Un guide d’existence que chacun devrait placer au-dessus de la pile de livres à dévorer de toute urgence. 

Gilles Petit-Gats, Ce qui nous empêche ou la vie subie, Libre et solidaire, 183 pages, 18,50€.Marie-Ange Herman 

Au printemps dernier, Aurélien Bernier avait accordé un entretien passionnant à Kairos à propos de l’explosion des prix de l’énergie. Aujourd’hui, ce livre analyse de manière précise les raisons structurelles de la situation aberrante actuelle. À rebours de la doxa libérale, ce n’est pas l’invasion de l’Ukraine qui a déclenché cette crise, tout simplement parce que l’augmentation des prix de l’électricité et du gaz est antérieure à février 2022 et à la décision de l’Union européenne de se passer du gaz russe. Il démontre de manière impeccable que les vrais responsables ne se trouvent pas au Kremlin, mais dans les conseils d’administration des industries de l’énergie et dans la politique de libéralisation engagée par la Commission européenne depuis les années 1990. En dépit de la résistance molle de certains pays, cette privatisation menée de manière obstinée par les apôtres du tout-marché — inspirés par le modèle chilien du régime Pinochet ! — a démantelé le service public et « généré ce qu’elle génère toujours : des logiques de rentabilité à court terme, des plans d’économie, des baisses de l’investissement et de la qualité du service pour offrir un maximum de dividendes aux actionnaires ». En outre, « ce qui est présenté comme une stratégie industrielle par nos dirigeants politiques est en fait un agrégat de demandes des groupes privés les plus puissants, qui persuadent sans difficulté les élus que l’avenir est dans l’hydrogène, dans les réseaux communicants, les objets connectés, le véhicule autonome ou autre délire technophile » présenté comme vecteur de « croissance verte ». Plutôt que ces lubies au bilan environnemental désastreux, mais sources de profits privés, il convient de mettre l’accent sur la sobriété, la filière bois énergie, le solaire thermique — et non électrique —, l’isolation et les transports en commun. En conclusion, l’auteur plaide en faveur d’une sortie du carcan européen et d’une nationalisation de tous les moyens de production et de distribution. Sans quoi, face à la paupérisation et à la révolte des citoyens, le néolibéralisme à bout de souffle risque fort d’être remplacé par un libéralisme autoritaire et identitaire tel qu’on le voit surgir un peu partout en Europe. 

Aurélien Bernier, L’énergie hors de prix. Les dessous de la crise, Les éditions de l’Atelier, 2023, 173 pages, 19€.F. M. 

Alors que l’actualité met de plus en plus la décroissance (dévoyée) au centre des débats, voici un ouvrage collectif à placer au pied du sapin (Ndlr : en 2024). D’inspiration plus scientifique que philosophique, il n’est pas pour autant désagréable de feuilleter les pages de ce livre qui replace la décroissance dans le contexte historique qui est le sien (le concept a fêté ses 20 ans en 2022). Les moins : 1. l’optimisme quelque peu candide de certains articles au sujet des prétendus bienfaits d’une réelle participation citoyenne aux décisions politiques quant au niveau d’absorption frénétique de marchandises (comme s’il était évident que l’individu ordinaire serait instinctivement désireux de réduire sa consommation) ; 2. L’article du philosophe Fabrice Flipo (« Les faux-amis de la décroissance ») qui amalgame d’une manière trop simpliste les critiques légitimes du « wokisme » et l’extrême droite ultra-conservatrice (voici encore un intellectuel qui fait preuve de psittacisme en rabâchant les leitmotives imbéciles les plus en vogue de la bien-pensance dominante). Les plus : les articles du géographe Guillaume Faburel (« La ville, antre de la croissance ») et celui de Pierre Thiesset, journaliste à La Décroissance (« Contre la sobriété technocratique »). Nous remercions par ailleurs l’économiste Serge Latouche pour sa mention du journal Kairos. 

François Jarrige et Hélène Tordjman (dir.), Décroissances, Le Passager clandestin, 2023, 250 pages, 20€.K. C. 

Deux journalistes françaises viennent d’enquêter sur le wokisme. Après Sébastien Bourdon, auteur de Une vie de lutte plutôt qu’une minute de silence. Enquête sur les antifas (cf. Kairos n° 61), c’est à leurs cousins wokes que Nora Bussigny (Le Point) s’est intéressée. Contrairement au précédent qui annonçait la couleur, elle a opté pour la méthode de l’infiltration, ce qui lui a demandé des efforts particuliers et a occasionné de l’anxiété et des interrogations sur les stratégies à suivre, confiées à son psychanalyste, notamment celle d’apparaître entièrement « déconstruite » aux yeux de ses coreligionnaires. Heureusement, elle a obtenu des résultats. Pour observer de près et obtenir des informations, il fallait aller sur le terrain : se faire intégrer dans l’équipe de sécurité de la Pride radicale, dans l’équipe des collages féministes, parvenir à s’inscrire à la fac de sociologie en élève libre… sans être démasquée. L’auteure livre un témoignage personnel sur « l’enfer du décor, un fascisme défendu par de nouveaux inquisiteurs » qui ne voient le monde que « par le prisme de l’intersectionnalité », visent la « pureté militante » et titillent la culpabilité collective. De safe places en manifestations scindées (« racisés » à l’avant, blancs à l’arrière), la mixité et le vivre-ensemble passent à la trappe, sauf dans certains collectifs régionaux que Bussigny a rencontrés. Elle reste une féministe républicaine, universaliste et laïque qui essaie par ce livre de « faire rentrer le fleuve en crue dans son lit ». Un abécédaire est placé à la fin (âgisme, cancel culture, fragilité blanche, hétéro-normatif, micro-agressions, non-binaire, privilège blanc, TERF, culture du viol, en passant par toutes les phobies, etc.). Unique en son genre en francophonie, ce livre laissera néanmoins la lectrice sur sa faim en matière de réflexion philosophique sur le phénomène. En complément, on se référera à l’ouvrage de Jean-François Braunstein La religion woke (Grasset, 2022). 

Sylvie Perez, elle, a documenté tous les actes de résistance au wokisme dans le monde anglosaxon. Pour autant son essai ne se réduit pas à une simple dénonciation du phénomène, mais en observe tous les aspects et ressorts, de l’intersectionnalité à l’écriture inclusive, en passant par le décolonialisme, la théorie critique de la race et la théorie du genre. Les militants wokes ont des stratégies : la première est de réfuter la réalité même du wokisme — cette réfutation étant relayée dans les médias dominants (cf. Le Soir, 13/01/2024) ; « étouffer les questions politiques complexes [racisme, féminisme, immigration, avortement, islam, conflit israélo-palestinien, conservatisme, genre] sous le poids d’une certitude morale aveugle » qui peut devenir brutale et autoritaire, faute d’arguments ; faire croire qu’ils ont déjà gagné la bataille des idées et que seuls quelques réfractaires d’extrême droite donneraient encore de la voix contre ce qui est présenté comme un progrès indéniable dans l’émancipation. La « […] singularité du wokisme [fait que] on en constate les effets avant d’en avoir identifié le projet » et qu’il « progresse avec la bénédiction des sociétés qu’il veut renverser ». Sauf chez des opposants organisant des contre-stratégies que l’auteure dévoile ici : les conférences à succès du psychologue canadien Jordan Peterson ; la fronde des universitaires américains James Lindsay, Helen Pluckrose et Peter Boghossian en faveur de la liberté académique ; Academic Freedom Alliance et The Free Speach Union chez leurs homologues britanniques ; l’Intellectual Dark Web où on « respecte son interlocuteur tout en n’éludant aucun sujet sensible » ; The Common Sense Group au parlement britannique ; intellectuels afro-américains critiquant Black Lives Matter et l’anti-racisme revu par le wokisme, etc. À noter que le chapitre « La croisière transgenre » est particulièrement captivant, où l’on lit ceci : « Garantir aux transgenres les droits qui leur sont dus et leur faciliter l’existence, évidemment. Réformer la société, nier la biologie, restreindre la liberté d’expression, en aucun cas ». 

Nora Bussigny, Les nouveaux inquisiteurs. L’enquête d’une infiltrée en terres wokes, Albin Michel, 2023, 231 pages, 19,90€. 

Sylvie Perez, En finir avec le wokisme. Chronique de la contre-offensive anglo-saxonne, Le Cerf, 2023, 361 pages, 24,50€.B. L. 

Dégingandé, légèrement hagard, le Saint-Nicolas de Thierry Van Hasselt est un clochard céleste qui chemine à travers un paysage apocalyptique de champs de céréales sillonnés par des armées de moissonneuses-batteuses, de forêts rongées par les pluies acides, de centrales nucléaires aux fumerolles inquiétantes, d’échangeurs suffoqués de bagnoles, de centres commerciaux dont les publicités criardes s’accordent de manière obscène avec les rebuts en plastique qui en jonchent le sol. Dans ce monde consumériste qui part à vaul’eau, les policiers en uniformes de robocop sont partout. Équipés d’hélicos, de drones, d’une nuée de cars de police et de véhicules blindés munis de canons, ils font la traque aux enfants. Malheur à ceux qui ne portent pas le masque de rigueur en cette période de délire sanitaire ! Malheur aux gosses de migrants chassés dans la forêt ! Cet univers apocalyptique, c’est le nôtre. Que ce soit les lycéens de Mantes-la-Jolie forcés par des flics à s’agenouiller pour se tenir bien sages ou le saccage des tentes de migrants dans la jungle de Calais, Van Hasselt s’inspire de photos-choc qui ont marqué notre actualité récente pour dessiner les contours d’un monde féroce et invivable. Lorsque Saint-Nicolas se rend compte que les ultra-riches festoient et mangent les enfants — littéralement —, il est saisi d’une sainte fureur. Dans un grand feu de joie, il massacre puissants en smokings et cuisiniers à hachoir, répare les enfants, leur redonne la vie et les emmène dans une farandole enchantée au milieu des bois, à la recherche d’un lieu de paix et de douceur. Mais un tel havre existe-t-il encore ? Il est temps de prendre le large ! Tout à la fois violentes et merveilleusement belles et poétiques, chacune des aquarelles qui composent cet ouvrage incite tant à la révolte qu’à la rêverie. Le contraste entre l’horreur de notre monde et la féérie de légendes médiévales qui ne peuvent être saisies que par un regard d’enfant est saisissant. Dédié aux enfants, aux invisibles, aux sans-papiers, aux rebelles, aux décroissants, aux soulèvements, à la terre, à l’eau, à l’air et au feu, ce roman graphique est un chef d’œuvre. 

Thierry Van Hasselt, La Véritable histoire de Saint-Nicolas, éditions FRMK, 2023, 168 pages, 29Є.F. M. 

Mark Hunyadi, professeur de philosophie à l’ULouvain, est un des théoriciens francophones les plus passionnants en matière de critique du libéralisme et des changements sociétaux sous l’angle politique et moral, tels les modes de vie (La tyrannie des modes de vie. Sur le paradoxe moral de notre temps, 2015), le post-humanisme (Le temps du post-humanisme. Un diagnostic d’époque, 2018), ou encore, comme ici, les avatars de l’individualisme. Il fait retour sur la source de l’individualisme moderne : la révolution nominaliste du XIVe siècle, moment où la liberté négative — échapper aux contraintes des pouvoirs temporels et religieux — et la volonté débridée de chacun d’agir à sa guise deviennent le nouveau cadre anthropologique, ce qu’il appelle « l’éthique des droits », dont nous payons le prix fort aujourd’hui et dont il conviendrait de sortir, à cause de son « effet réversif » : « sa défense de l’individu se retourne mécaniquement en emprise du système sur lui ». Cette éthique basée sur le contrat (anti-)social, il la repère dans le libéralisme, le minimalisme, le libertarianisme, et aujourd’hui le wokisme qu’il voit non comme une déconstruction de la modernité, mais au contraire comme l’aboutissement de l’idéologie libérale. L’emprise numérique pousse à son comble le nominalisme en fabriquant le sujet libidinal résolu à assouvir immédiatement d’un clic ses volontés et désirs consuméristes, et met la société en pilotage automatique. Il y a une autre manière de s’émanciper, nous dit l’auteur : par « l’épreuve qualitative du monde », par un « commun de conviction capable d’orienter l’action », par le sens des limites, sans oublier les changements venant de la motivation personnelle, de l’éducation et de l’institution. Au bout, la déclaration de l’esprit comme « patrimoine commun de l’humanité », étape pour entrer dans le second âge, post-nominaliste, de l’individu. 

Mark Hunyadi, Le second âge de l’individu. Pour une nouvelle émancipation, PUF, 2023, 187 pages, 16€.B. L. 

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Culture de l’annulation : solution finale pour les débats gênants ?

[note]

QUAND L’ANTIFASCISME GLISSE VERS SON CONTRAIRE

Pour peu qu’on mette en cause certaines visions dominantes, il devient difficile de trouver des espaces d’expression et de débat. C’est en particulier le cas à Liège, où le monde associatif subit les pressions et influences d’un milieu se disant antifasciste, mais qui, malgré certaines analyses correctes, confond très souvent extrémisme et critiques sociales essentielles. Tout en tombant lui-même dans ce qu’il se veut combattre. L’occasion de pointer ces dérives, mais aussi de réfléchir sur la question de l’attitude vis-à-vis de l’extrême droite.

Plusieurs événements ont déjà été ciblés par les activistes concernés : entre autres une conférence-débat de Michel Weber — qui, en 2021, avait failli être empêchée —, une autre de Bernard Legros, qui, en septembre dernier, a dû, elle, être annulée, tout comme un autre événement réflexif, deux mois plus tard.[note] Deux de ces événements étaient des initiatives de Liège-Décroissance.

Concernant l’annulation de la conférence de Bernard Legros, elle a eu lieu suite à des pressions et menaces sur l’association invitante, Attac-Liège. Pressions exercées sur une dame de 76 ans, d’abord par téléphone, puis en face-à-face. Cette « action » n’a été exécutée que par quelques individus, mais, comme en ce qui concerne les autres événements évoqués, les responsabilités vont bien au-delà. Elles remontent surtout à l’association Front Antifasciste Liège 2.0. Celle-ci n’a pas revendiqué les choses, mais ses publications sont très susceptibles de promouvoir de tels actes. En effet, sans les accuser heureusement d’appartenance à l’extrême droite (ce qu’ont par contre fait les énergumènes évoqués), ces publications présentent les essayistes cités, ainsi que Kairos, comme notamment confusionnistes, conspirationnistes, réactionnaires et, dans le même sens, comme banalisant les mouvements fascistes, ou encore (concernant Kairos) comme relayant leurs discours[note]. Sont visés en particulier le traitement des politiques sanitaires, de ce qu’on nomme le wokisme, ainsi que la critique de l’utilisation de l’extrême droite par les pouvoirs néolibéraux.

Or, comme nous allons l’évoquer brièvement et comme cela ressort de nombreuses publications de Kairos, maintes critiques des politiques autour du covid n’ont rien de conspirationnistes, et mettre en cause le wokisme comme l’instrumentalisation de l’extrême droite peut se faire depuis des points de vue tout autres que ceux des réactionnaires. Liège-Décroissance n’a trouvé pour ses événements qu’une solution provisoire, une salle de concert dont le propriétaire prendra bientôt sa retraite. À noter que celui-ci est justement l’un des fondateurs du mouvement antifasciste liégeois. Cet homme a ainsi sauvé l’honneur de ce courant, dans cette affaire, puisque l’antifascisme devrait évidemment, par nature, défendre le débat et la libre recherche.

JUSTIFICATION D’UN VRAI ANTIFASCISME

Cela nous mène à une précision importante : il ne s’agit pas ici de mettre en cause la légitimité et l’importance d’un véritable antifascisme — point de vue que les essayistes mentionnés partagent pleinement (comme j’ai pu le constater lors d’une série d’échanges avec eux). Certes, des politiques hautement criminelles ou fascistes peuvent pleinement émaner des pouvoirs dits démocratiques, par exemple quand des puissances occidentales renversent ou déstabilisent des gouvernements qui les gênent, en soutenant des rebelles meurtriers ou en plaçant des dictateurs à leur solde, ou encore quand ils imposent des vaccins OGM bricolés à la hâte. Mais une différence importante demeure : puisque ces pouvoirs se disant démocratiques ne se revendiquent pas d’idéologies totalitaires, une partie de leurs représentants ou partisans, soit n’est pas vraiment consciente des crimes concernés — qui sont en général habilement camouflés —, soit les désapprouve. De sorte que l’État de droit est tout de même plus ou moins respecté une partie du temps et à certains niveaux, dans ces systèmes-là. Cela concerne notamment une liberté d’expression, droit précieux. Tandis que dans les régimes ouvertement fascistes, l’État de droit et la personne humaine sont bafoués systématiquement. Pour ces raisons, il est manifestement important de considérer les mouvements ouvertement fascistes, ultranationalistes, racistes, etc., comme des adversaires par excellence.

ANALYSES ET NON-ANALYSES

Voyons d’un peu plus près sur quoi se basent les accusations formulées par Front Antifasciste Liège 2.0., nous limitant à quelques points essentiels. Au sujet des politiques sanitaires, on s’aperçoit vite que ses membres n’ont pas mené d’étude sérieuse de ce sujet. Dans leurs articles qui l’abordent, on lit par exemple : « Ce qui explique les réserves de la gauche par rapport aux “mobilisations covid” est d’abord son attachement à la rationalité et aux sciences ». Et un peu plus loin, on lit qu’il n’y a pas de « doute […] sur l’efficacité des vaccins ».[note] Ces propos impliquent l’idée qu’il y aurait eu un consensus scientifique au sujet des politiques concernées. Ce qui implique à son tour la négation des travaux d’un grand nombre de scientifiques qui, jusqu’à ce qu’ils critiquent les politiques sanitaires autour du covid, étaient soit reconnus, soit très estimés. Comme cela ressort d’une série d’appels et de déclarations[note], ces scientifiques se comptent par dizaines de milliers. Or, dans un autre article de la même association, ils sont réduits à une poignée de personnes et considérés, là aussi, soit comme proches de l’extrême droite, soit comme avides d’argent.[note] Ces scientifiques ne s’accordent certes pas sur tous les points, et certains ont pu faire dire à leurs appels des choses qu’ils ne disaient pas ; mais les chercheurs et signataires concernés se rejoignent sur beaucoup déjà, en particulier la forte exagération de la virulence du virus et, par conséquent, la non-justification de confinements généralisés — avec tout ce que cela implique quant à l’imposition des vaccins.

Au sujet de l’extrême droite et du confusionnisme, les choses sont plus complexes, et, à côté d’une série d’erreurs, les publications concernées contiennent certaines réflexions pertinentes, par exemple : « Ce n’est pas parce que la droite et la gauche acquise au néolibéralisme utilisent le danger de l’extrême droite comme une excuse pour que la population continue de voter pour elles, que l’extrême droite n’existe pas ou qu’elle n’est pas un danger. » Ou encore : « Les extrêmes droites n’arrêtent pas de prétendre qu’elles se lèvent contre le libéralisme (…), alors qu’à chaque fois qu’elles sont au pouvoir elles appliquent les mêmes politiques, mais en pire[note]. » (l’article cite alors plusieurs politiciens, dont Jair Bolsonaro).

La première réflexion semble une évidence, notamment car, à une personne saine d’esprit, le fascisme peut apparaître comme malsain et dangereux d’une manière si patente qu’il peut sembler inutile d’expliciter qu’on le considère effectivement comme tel. Mais il faut se souvenir que des personnalités intelligentes, douées et porteuses d’une certaine forme d’idéalisme, sont déjà pleinement tombées dans les pièges du courant en question, comme le grand poète Ezra Pound, partisan de Mussolini notamment. Ainsi, des explicitations ont souvent tout leur sens. Dans cet esprit, au-delà des événements dont il s’agit ici, le reproche de confusionnisme peut être justifié dans certains cas. Mais il faut être très prudent avec un tel reproche, sans quoi on en arriverait finalement à vouloir proscrire les ouvrages et conférences politiques de la quasi-totalité des philosophes notamment, en débutant avec les plus célèbres, vu la complexité que présentent bien souvent leurs pensées.

LE COURAGE DE LA NUANCE

L’observation qui précède s’applique aussi ici : en effet, un des efforts des essayistes mentionnés est précisément de contribuer à des clarifications ; cela concerne effectivement, entre autres, diverses instrumentalisations de l’extrême droite par les partis classiques (notamment pour détourner l’attention de leurs faillites et méfaits). Et ce n’est pas parce que l’extrême droite constitue un vrai danger (dans le présent ou le futur, en cas par exemple de crise économique plus grave encore) qu’il ne faudrait pas dénoncer ces instrumentalisations. On peut faire une réflexion proche à l’égard de la critique du wokisme : ce n’est pas parce que le respect de toute communauté est essentiel qu’il n’est pas important, également, de dénoncer l’instrumentalisation des revendications légitimes des minorités discriminées, ou encore de critiquer certaines idéologies qui gagnent une partie des mouvements qui militent contre ces discriminations. Plus précisément, des idéologies qui banalisent notamment l’instabilité des orientations sexuelles ou affectives. Défendre la tolérance vis-à-vis de toutes ces orientations et de leurs changements ne nécessite pas d’accepter leur banalisation, voire leur promotion.

Plus généralement, tenter d’introduire nuances et lumière dans les débats politiques et philosophiques est un effort essentiel. En effet, la complexité de notre époque peut notamment faire que des tendances très diverses coexistent chez une même personne ou un même mouvement ; de sorte qu’il peut être important de prendre conscience de chacune de ces tendances, mais aussi de ne pas réduire à certaines d’entre elles la personne ou le mouvement en question. Ce, d’autant plus que c’est très souvent par de telles réductions que les promoteurs d’une pensée unique s’efforcent de disqualifier ceux qui développent de vraies critiques des politiques dominantes. Les clarifications dont il s’agit ne sont donc pas un jeu intellectuel. Bien souvent, c’est d’elles que peuvent dépendre des enjeux essentiels, en particulier celui que des lanceurs d’alertes puissent être entendus et non neutralisés médiatiquement.

Bien sûr, prendre conscience des tendances problématiques des divers courants et mouvements, y compris quand ceux-ci se veulent alternatifs, cela aussi est un enjeu important. Et il est vrai que celui qui lutte contre les méfaits des divers pouvoirs peut l’oublier. Plus largement, celui qui tente d’introduire de la nuance et de la lumière dans la complexité peut commettre des erreurs, mais cela n’ôte rien à l’importance de son effort. Et plutôt que de se braquer sur ses erreurs éventuelles, il convient bien plus de le soutenir, puisque très souvent il s’attire l’hostilité des milieux dominants.

« Le principe de la liberté d’expression a quelque chose de très élémentaire : ou on le défend dans le cas d’opinions qu’on déteste, ou on ne le défend pas du tout. »
Noam Chomsky

ASSAINIR ET PACIFIER PAR LE DÉBAT

Pour en venir à Kairos en général, une des critiques que Front AntiFasciste Liège 2.0 adresse au journal est d’avoir donné la parole à quelques personnes qui, effectivement, sont soit proches de l’extrême droite, soit en font partie[note]. Déduire de cela une proximité avec ce courant est, là encore, inacceptable. Il suffit, pour s’en rendre compte, de considérer le nombre de personnes interviewées par Kairos n’ayant aucun lien avec de telles tendances et, très souvent, leur étant pleinement opposées. Il suffit aussi de considérer les tendances qui se manifestent chez la totalité des rédacteurs de Kairos, et qui, s’il fallait donner une étiquette politique, vont en général dans le sens de l’anarcho-écologie ou de l’anarcho-socialisme, avec une très claire revendication de la justice pour tous les peuples.

Simplement, Kairos ne partage pas le principe de « cordon sanitaire », principe contesté également par des gens comme Noam Chomsky, qui, malgré des erreurs, compte parmi les humanistes au meilleur sens du mot. Celui-ci met en avant le fait que si chacun est intégré au débat public, les positions problématiques ou erronées peuvent être bien plus facilement réfutées[note]. En outre, exclure du débat accroît en général la violence. Tandis qu’écouter réellement, non seulement pour réfuter, mais aussi pour prendre en compte ce qui peut être juste dans tout discours, exerce bien souvent un effet pacificateur. C’est sans doute aussi le meilleur moyen d’affaiblir les mouvements extrémistes (ainsi la meilleure façon de saper les bases du nazisme aurait été de cesser d’imputer à l’Allemagne et ses alliés la totalité des responsabilités de la Première Guerre mondiale, ce qui impliquait le paiement extrêmement lourd des dommages. En effet, les responsabilités en question étaient partagées par l’ensemble des puissances impliquées. Cette injustice était ainsi la plus efficace base d’argumentation des nazis). Sur ces enjeux, Chomsky a dit cette belle phrase : « Le principe de la liberté d’expression a quelque chose de très élémentaire : ou on le défend dans le cas d’opinions qu’on déteste, ou on ne le défend pas du tout. Même Hitler et Staline admettaient la liberté d’expression de ceux qui partageaient leur point de vue…[note] »

À la lumière de tout cela, au lieu de promouvoir l’annulation de conférences-débats, les activistes dont il s’agit ici feraient mieux de venir participer aux échanges concernés. S’ils le faisaient avec un vrai esprit de dialogue, cela pourrait même être intéressant pour les deux côtés. Mais pour cela, la « prétention à l’objectivité intellectuelle », qu’ils reprochent justement à B. Legros, est sans doute trop forte chez eux…

À LA DEGRELLE ?

Pour revenir justement à ces annulations, il est intéressant de faire quelques observations en lien avec une des personnes que, selon les activistes en question, Kairos n’aurait pas dû interviewer — et qui, en l’occurrence, fait effectivement pleinement partie de ce qu’on nomme l’extrême droite : Alain Escada, président de Civitas. Sous des dehors affables, cet homme a en effet manifesté des sympathies extrêmement problématiques, sans les avoir remises en cause jusqu’ici. Précisons au passage que si nous en avions eu connaissance au moment de l’entretien, il est évident que la chose aurait été traitée de la manière la plus insistante. Beaucoup nous reprocheront de ne pas nous être informés davantage ; mais faut-il mener des enquêtes policières sur chaque personne interviewée ? C’est en tout cas maintenant l’occasion d’apporter des compléments d’infos essentiels.

Ce dont il s’agit : en 2016, Escada a donné une conférence apologétique sur Léon Degrelle (1906–1994)[note]. Escada luimême n’est visiblement pas néonazi, mais il est d’une indulgence exorbitante vis-à-vis de personnes qui ont pleinement fait partie du courant politique concerné. En effet, Degrelle était le fondateur du mouvement ultra-catholique Rex. Durant la Seconde Guerre mondiale, il a créé la Légion wallonne, milice fasciste intégrée aux SS, où Degrelle est devenu officier supérieur. Il a ensuite été décoré par Adolf Hitler lui-même[note]. Dans cette conférence, Escada présente le fondateur de Rex comme un homme de foi, de probité et de grande culture, se distinguant soi-disant des nazis car catholique et non paganiste ; le tout, sans dire un seul mot sur son engagement pour le régime hitlérien, comme si c’était un détail qu’il était inutile de rappeler.

À l’intention des personnes qui doutent de ce qu’on nous a enseigné sur les événements de la Seconde Guerre mondiale, comme l’existence des chambres à gaz, il suffit de renvoyer au livre Mein Kampf, de Hitler. À sa lecture, rien de ce que rapportent les historiens classiques sur ce sujet n’étonne. Et mes recherches ne m’ont permis de trouver aucune mise en cause, y compris de la part des néo-nazis, de l’authenticité des éditions de ce livre qui nous sont parvenues. La même réflexion peut être faite à l’égard des ouvrages de Degrelle luimême, d’autant qu’il en a écrit beaucoup, dont certains titres sont déjà très significatifs : Hitler pour mille ans, Le fascinant Hitler, Le Hitler de la paix, etc.[note]

Tout récemment, l’association Artemus s’est entretenue avec Escada[note] en lui posant des questions claires sur ces sujets. L’interviewé se limite à une évocation évasive de l’engagement nazi de Degrelle, exhortant surtout à ne pas juger les gens du passé à partir des connaissances plus étendues dont nous disposons aujourd’hui. C’est juste en partie, maisne change que très peu concernant les partisans du nazisme ; car là encore, pour savoir globalement à qui ils avaient à faire, avec le pouvoir hitlérien, ceux-ci n’avaient qu’à lire Mein Kampf et écouter les discours officiels. Mais au cas où les auteurs des pressions dont il s’agit ici ne l’ont pas encore fait, il serait intéressant qu’ils écoutent cette conférence d’Escada. Ce dernier évoque en effet une pratique de Degrelle qui devrait les faire réfléchir : le fait, précisément, d’empêcher des conférences. En l’occurrence, une série de tentatives de présentations émanant d’un ancien prêtre, critique sur l’Église catholique. Degrelle et ses sbires ont systématiquement saboté ces conférences (là aussi par des pressions et menaces), ce qu’Escada approuve avec enthousiasme, dans son exposé.

AGIR PAR L’EXEMPLE ET LA CONSCIENCE

Donner la parole à tous, y compris à ceux qui approuvent de telles répressions, n’est-ce pas justement ce qui incarne au mieux le refus le plus radical de tels actes ? Et, dans l’esprit de la fameuse exhortation de Gandhi à être soi-même le changement qu’on veut apporter dans le monde, incarner ainsi l’idéal de la libre expression, n’est-ce pas ce qui donne le plus de chance de pouvoir peut-être, par la force de l’exemple, agir sur les extrémistes concernés, favoriser chez eux des remises en question ? Mais les plus extrémistes parmi les prétendus antifascistes concernés ont déjà probablement placé toute une partie de leurs adversaires dans des catégories autres que celle d’êtres humains. À ce propos, ils feraient bien de lire le texte ci-dessous, où Leonard Cohen parle d’Adolf Eichmann, un des grands criminels du régime nazi. Rappelons qu’il serait bien difficile d’accuser Cohen de relativisation de l’horreur de ce régime, car il était juif et, qui plus est, se revendiquait du judaïsme[note]. Et en effet, le texte en question ne vise pas à relativiser au mauvais sens du mot, mais à nous rappeler ce qui sommeille en nous tous (y compris en les activistes mentionnés).

TOUT CE QU’IL FAUT SAVOIR SUR ADOLF EICHMANN[note]

Vue : moyenne. Longueur des cheveux : moyenne. Poids : moyen. Taille : moyenne. Signes distinctifs : aucun. Nombre de doigts : dix. Nombre d’orteils : dix. Intelligence : moyenne.

Qu’attendiez-vous ? Des incisives surdimensionnées ? De la salive verte ?

La folie ?

Daniel Zink

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Le peuple palestinien a le droit d’être protégé contre des actes de génocide

Les 17 membres de la Cour de Justice Internationale (CIJ) ont rendu leur verdict provisoire ce 26 janvier 2024. Après avoir décidé que la demande de l’Afrique du Sud était recevable, contrairement à la demande d’Israël, elle a statué. 

LA COUR, Indique les mesures conservatoires suivantes :

*L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention, en particulier les actes suivants :

a) meurtre de membres du groupe ;

b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et

d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

*L’État d’Israël doit veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette aucun des actes visés au point 1 ci-dessus ;

*L’État d’Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ;

*L’État d’Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ;

*L’État d’Israël doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application des articles II et III de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide commis contre les membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ;

*L’État d’Israël doit soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à la présente ordonnance dans un délai d’un mois à compter de la date de celle-ci.

La décision provisoire de la Cour Internationale de Justice, une instance de l’ONU, est sévère pour Israël. Certains auraient préféré plus, mais compte tenu de sa composition, on se trouve devant des compromis. En effet, la Cour n’a pas ordonné de cessez-le-feu immédiat à Gaza.

Néanmoins, les bases d’un jugement de fond sur l’existence d’un génocide sont posées :

* La Cour Internationale de Justice n’a pas rejeté la demande de l’Afrique du Sud comme le demandait Israël.

* Elle a qualifié, dans le préambule, l’intention génocidaire en reprenant l’expression : « des animaux humains ».

* Elle a posé les fondations d’un jugement de fond sur l’existence d’un génocide.

Cependant, si l’arrêt des bombardements indiscriminés, du ciblage des universités, des écoles, des lieux cultuels, et des journalistes, …, semblent implicite au jugement provisoire (protéger le « groupe palestinien » d’un génocide), cela reste implicite et la vraie mesure, l’exigence d’un cessez-le-feu, manque.

La décision de la Cour n’est donc pas complète, c’est évident, néanmoins soyons positif : la décision provisoire est exceptionnelle. Elle dénonce clairement les actes d’Israël comme pouvant avoir un caractère génocidaire et que cela doit cesser. À ce titre, je suis persuadé que cette décision sera saluée par l’ensemble de ce qu’on appelle le sud global et que chez nous, nos « élites » dirigeantes seront mi-figue mi-raisin. Elles s’en remettront vite ! Quant au gouvernement d’Israël, il rejettera cette décision provisoire, s’appuyant sempiternellement sur son droit à se défendre et sur la Shoah.

Soulignons que c’est un premier pas important pour arrêter cette folie meurtrière dont nous sommes complices, que nous le voulions ou non. Non pas que cette décision sera suivie d’une accalmie, probablement l’inverse avec l’intensification des combats au nord d’Israël et l’impasse américaine en Syrie, en Irak et au Yémen. Mais cette décision est une fissure profonde dans la posture victimaire du gouvernement israélien actuel : car, avant la décision, c’était en résumé : c’est parce que nous sommes des victimes, que nous vous colonisons, nous vous dépouillons, nous vous tuons . Ceci avait été parfaitement résumé par Gideon Levy : « Nous sommes les seules victimes ».

Si pour la Russie, cette position victimaire ne fait pas grand sens face à leurs 25 millions de morts pour nous délivrer du nazisme, il en va autrement pour nous. Cette décision est donc lourde de signification et se diffusera progressivement dans nos consciences, malgré le peu d’empressement de nos médias mainstreams, c’est un euphémisme : les victimes sont devenus bourreaux.

Par contre, l’écho de cette décision provisoire est énorme dans les pays du sud global, eux qui ont subi guerre, colonisation, exploitation, apartheid, tuerie de notre part. Il y a là comme une éclatante revanche morale. Cette décision provisoire fera date, d’autant qu’elle ouvre la voie vers d’autres décisions et pas seulement à la CIJ ou dans d’autres Cours internationales, mais aussi et probablement surtout dans des Cours nationales qui reçoivent avec ceci une légitimation à leurs propres actes portant sur cet objet.

Plutôt que jouer à l’autruche, nous ferions mieux de nous regarder en face, sortir de cette culpabilisation bien confortable et prendre enfin les bonnes décisions.

Christophe de Brouwer

Full-professeur honoraire et ancien président de l’École de Santé publique de l’Université libre de Bruxelles. (26 janvier 2024)

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Articles

N’oublions pas la 5G

Dans les soubresauts actuels, il ne faudrait pas oublier la 5G. Nous publions ci-dessous un résumé du communiqué de l’association Procès 5G France, suivi d’un article publié en son temps dans le hors-série n° 5, « 5G, face au conte de fée, le compte des faits ».

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[SERIE] Hebdo #24: Subsidier avec vos impôts les instruments de votre soumission

Tout va bien en 2024, on espère en tous cas, ce sont les premiers jours… Dans le réel pourtant, le souhait n’a pas sa place. Car pendant qu’on espère, ceux qui agissent sont à Davos, vous préparant le futur. Et leurs plans feront couler du sang et des larmes. Certains diront : quel pessimisme, il fait advenir le réel qu’il présage. Faux. Il est déjà là. Qu’est-ce qui ferait en effet que la mère maquerelle de la Commission, se dirait en 2024 : « tiens, cette année, j’ai décidé de penser autrement, d’être une femme de valeur et de défendre le bien commun, de révéler mes petites frasques avec Bourla ». VDB aussi, en 2024, révélera-t-il le contenu de ses mails, ce qui permettra peut-être de comprendre pourquoi le mot vaccin était devenu itératif dans sa bouche dès 2020. Et en même temps, pourquoi ne pas rêver ? Soyons positif, 2024 serait l’année des révélations sur l’Affaire Dutroux, les tueurs du Brabant, etc., celle où ceux qui nous mentent, nous volent, nous culpabilisent… avoueront toutes leurs manigances.Ah, croire ! Espérer… Alors qu’il suffit de refuser d’obéir à tous ceux-là, qui occultent, censurent, tuent, et vous voilà libres ! Le pessimisme, c’est l’espoir du pauvre ; pour l’intellectuel non biberonné aux idéologies universitaires, le pessimisme, c’est un optimisme éclairé. C’est ce qu’il reste, quand tout est bouché, quand on a l’impression de crier dans le désert, quand on vous dit de voir le positif dans une décharge, alors que ceux qui profitent de la pourriture ne veulent qu’une chose : que vous focalisiez votre attention sur ces petites mesures cosmétiques, pendant qu’eux continuent leur destruction de masse. Bill Gates à la pompe à bière avec De Croo à la Belgium House à Davos, pendant qu’en coulisse DEME, Fluxys ou Syensqo signent des contrats, et qu’ils vous préparent la fin du cash, la prochaine pandémie ou le crédit social. Et tout ce qu’ils veulent, c’est que vous reteniez Gates à la pompe à bière, surtout pas que vous vous demandiez ce qui se passe dans les coulisses.

Relativise certains me diront ! C’est vrai que quand je m’endors dans une chambre à plus de 15 degrés, dans des draps propres, sentant la chaleur réconfortante de ceux que j’aime… tout n’est pas si mal. Foutue empathie non, que de s’imaginer que tous ne vivent pas la même chose, que meurent à l’instant femmes, hommes, enfants à Gaza, sous les bombes fascistes. Heureusement, la France accueille deux enfants palestiniens. Certains diront qu’il faut être positifs, c’est déjà ça non, deux c’est plus que zéro ou un. Mais la France, en février 2023, comptait plus de 100.000 réfugiés ukrainiens sur son territoire. « Oh oh oh, tu insinues quoi ? Quelle comparaison !», me dira-t-on ? C’est clair, non : les gouvernements ne sont pas solidaires, mais sélectionnent leurs réfugiés de manière partiale, donc pas nécessairement ceux qui sont le plus dans le besoin, mais ceux qui constituent le plus une arme ou un levier politique. Demandez aux médecins ou infirmiers d’un hôpital public bruxellois la différence de niveau socio-économique entre des réfugiés syriens et des réfugiés ukrainiens.Soit, le fascisme n’est pas à droite, il est dans nos gouvernements. Gouverne et ment, et tu réussiras en politique, seras reçu par les médias du pouvoir. Si, en plus, tu traites de complotistes ceux qui ne pensent pas comme toi, gramophone du discours politico-médiatique, alors sois assuré d’avoir la gloriole. Et tu pourras te mentir, te dire tous les soirs en t’endormant : « nous sommes tout de même dans le moins pire des mondes ».Et la masse, elle s’engraisse, c’est son principe. Pendant ce temps, d’aucuns attendent le sauveur : Trump… Trump… Trump… qui fera tout basculer. Le messie. Ils n’ont pas vu que le pouvoir était en eux, que d’accepter de sacrifier quelque peu leur vie pour leurs idées pourraient en réveiller d’autres. Les possibilités de changement véritable ne se mesurent qu’à la capacité qu’un nombre suffisant d’individus choisissent de dire non, même si chacun pense être seul à le dire.Les premiers qui crièrent « Kairos, Kairos, Kairos… », en manif, une fois le coup d’état sanitaire provisoirement passé, ont pour beaucoup repris le cours de leur vie. C’est normal. Mais dites-moi que vous n’étiez pas uniquement là pour vos droits ? Il y avait bien un sentiment de révolte, une envie de s’unir contre la folie de ceux qui sous prétexte de nous gouverner nous conduisent au chaos en se goinfrant. Il y avait bien un instinct de survie, mais aussi un instinct altruiste de sauver autre chose que soi, non ?Ceux qui haïssent la vérité nous ont traités d’extrême droite, d’antisémites, de transphobes. Ils nous ont privés de l’argent public qui nous permettait de payer presque deux temps plein pour vous informer. Maintenant, ne nous donnant plus rien, ils ont augmenté l’enveloppe des autres Wilfried, Médor, Imagine… Ils ont fermé notre chaîne YouTube parce que, selon leurs dires, nous mettions la vie des utilisateurs en danger, alors que des chaînes ultra-violentes ou d’une bêtise grandiose demeuraient ouvertes.On pouvait dire que les insultes ne nous touchaient pas directement, que je pouvais me regarder dans la glace, regarder mes enfants, sachant que j’œuvrais pour le bien. Évidemment, je sais qui je suis, j’exècre le racisme, l’intolérance, l’injustice et la bêtise, tout comme tous ceux qui travaillent chez Kairos. Mais ces mensonges ne sont pas sans effet : « médisez, médisez, il en restera toujours quelques chose »… des correcteurs de Kairos ont arrêté parce que nous avions été couvrir la 100ème du Conseil supérieur indépendant à Saintes, et que des gens leur disaient que c’était un rassemblement d’extrême droite. Que dire alors de l’effet de ces diffamations sur les lecteurs de Kairos ? Il suffit de stigmatiser, mentir, pour jeter l’opprobre, même si c’est un mensonge, pour que des gens prennent peur. Peur d’être assimilé à Kairos. Mais vous n’avez pas compris ? Pourquoi pensez-vous qu’ils usent et abusent du terme « complotiste », si ce n’est pour décrédibiliser l’adversaire ?Et c’est vous qui payez, avec vos impôts, ceux qui vous désinforment et vous dénigrent chaque jour.L’humanité continuera sans Kairos, évidemment, mais que ce soit pour nous ou d’autres pourfendeurs du réel que la caste médiatico-politique nous impose, si cela continue, il n’y aura un jour plus de cailloux dans leur chaussure. Se passera alors certainement ce qu’Orwell avait prédit dans 1984 : « « Si vous désirez une image de l’avenir, imaginez une botte piétinant un visage humain… éternellement. »

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Entretien de Thierry Meyssan avec Monika Berchvok

Les détracteurs de tout ce qui ne sort pas de la matrice médiatique officielle, s’arrêteront sans doute de suite sur l’auteur de l’article, lui trouvant certainement dans une forme de réflexe pavlovien quelques qualificatifs peu élogieux pour, comme à l’habitude, faire une seule chose: stopper la capacité de penser. Pourtant, pour ceux qui en auront le « courage », l’interview de Thierry Meyssan que nous reproduisons ici est d’un grand intérêt, à différents niveaux: l’attaque du 7 octobre, qui était connue du gouvernement Netanyahou depuis au moins un an; la division du Hamas en deux branches, l’une islamique et bénéficiant du soutien du premier ministre israélien, l’autre ayant rejoint la résistance palestinienne; l’origine de la Confrérie des Frères musulmans et le soutien que l’Occident lui apporte; enfin, des propos clairs et factuels sur la politique de Trump et l’avenir l’Occident.

Thierry Meyssan, qui accorde des interviews à tous ceux qui le lui demandent sans discrimination, a expliqué à Monika Berchvok son analyse de l’affrontement à Gaza.

Monika Berchvok : Pour vous, la thèse d’une attaque surprise le 7 octobre est difficile à croire. Quelles sont les incohérences qui vous font penser à un scénario à la 11 septembre ?

Thierry Meyssan : Le gouvernement de coalition de Benjamin Netanyahu avait été alerté par un rapport des services de Renseignement militaires un an auparavant, ainsi que l’a relaté le New York Times. Il n’a pas réagi. Lorsque, cet été, son ministre de la Défense l’a rappelé à l’ordre en Conseil des ministres, il l’a révoqué, ainsi que l’a révélé Haaretz. Cependant, sous la pression de son parti, il l’a réintégré peu après.

Par la suite des rapports se sont entassés sur son bureau. Parmi ceux-ci un des Renseignements, qu’il a retourné à son auteur comme peu crédible, et qui lui a été renvoyé deux autres fois avec des introductions d’officiers différents.

Ou encore deux rapports de la CIA. Et encore une démarche d’un de ses amis personnels, le directeur du Memri. Et comme si cela ne suffisait pas, un appel téléphonique du ministre du Renseignement égyptien.

Non seulement, le Premier ministre n’a rien fait, mais il a agi pour rendre cette attaque plus facile : il a pris l’initiative de démobiliser les gardes-frontières de sorte que personne n’a pu intervenir lorsque l’attaque a débuté.

Notez bien que j’ai la même lecture des événements que le pape François : lors de son message de Noël, le Saint-Père a qualifié, par deux fois, la guerre à Gaza de « folie sans excuses ». Pourtant, peu après, il a évoqué l’« odieuse attaque du 7 octobre », signifiant qu’il ne pensait pas que la guerre israélienne était une riposte à cette attaque. Il a alors demandé un arrêt des combats et la résolution de la question palestinienne.

MB : Au sein du pouvoir israélien, il y aurait donc une fracture aussi importante ? Le clan Netanyahu aurait quel but dans cette opération ?

TM : Durant les mois qui ont précédé l’attaque de la Résistance palestinienne, Israël a été le théâtre d’un coup d’État. Ce pays n’a pas de Constitution, mais des lois fondamentales. Elles régissent un équilibre des pouvoirs en confiant à la Justice la capacité de neutraliser les rivalités entre le gouvernement et la Knesset.

Sous l’impulsion du Law and Liberty Forum, financé par le straussien états-uno-israélien Elliott Abrams, la commission des Lois de la Knesset, présidée par Simtcha Rothman, par ailleurs président du Law and Liberty Forum, a détricoté les institutions israéliennes. Durant l’été, les manifestations monstres se sont multipliées. Mais rien n’y a fait. L’équipe Netanyahu a modifié les règles d’adoption des lois, éliminé la clause de « raisonnabilité » des décisions judiciaires, renforcé le pouvoir de nomination du Premier ministre, et affaibli le rôle des conseillers juridiques des ministères. En définitive, la Loi fondamentale sur la Dignité humaine et la Liberté est devenue un simple règlement. Le racisme est devenu une opinion comme une autre. Et les ultra-orthodoxes ont pu se goinfrer de subventions et privilèges divers.

Israël aujourd’hui n’est plus du tout le même pays qu’il y a six mois.

MB : La société civile israélienne est divisée et semble à bout de souffle. Pensez-vous que le modèle sioniste est mort ?

TM : Le sionisme est une idéologie d’un autre siècle. Il s’agit d’un nationalisme juif au service de l’Empire britannique. Durant des siècles, les juifs s’y sont opposés avant que Theodor Hertzl n’en fasse l’idéal de certains d’entre eux.

MB : La situation à Gaza est en train de virer à l’épuration ethnique. Tsahal, est-il capable de prendre totalement le contrôle de ce territoire et de le vider de sa population ?

TM : L’idée d’une épuration ethnique n’est pas neuve. Elle s’enracine dans les positions de l’Ukrainien Vladimir Jabotinsky dont, en Israël, Menahem Begin, Yitzhak Shamir et la famille Netanyahu se réclamaient comme, aux États-Unis, Leo Strauss et Elliott Abrams. Ce groupe, suprémaciste juif, affirme que la Palestine est « Une terre sans peuple, pour un peuple sans terre ». Dans ces conditions, les autochtones palestiniens n’existent pas. Ils doivent partir ou être massacrés.

C’est, à ma connaissance, aujourd’hui, le seul groupe au monde qui préconise publiquement un génocide.

MB : Côté Palestinien, le Hamas semble aussi divisé entre deux tendances antagonistes ?

TM : Le Hamas est la branche palestinienne de la Confrérie des Frères musulmans. Son nom est l’acronyme de « Mouvement de la Résistance islamique », ce qui correspond au mot arabe « zèle ». Son idéologie n’a rien à voir avec la libération de la Palestine, mais avec l’établissement d’un Califat. Son slogan est : « Dieu est son objectif, le Prophète est son modèle, le Coran sa constitution : le jihad est son chemin et la mort pour l’amour de Dieu est le plus élevé de ses souhaits. » Depuis sa création, il bénéficie de toute l’aide de la famille Natanyahu qui voyait en lui une alternative au Fatah laïque de Yasser Arafat. Le prince de Galles et actuel Charles III a été un des protecteurs de la Confrérie. Barack Obama, a placé un agent de liaison de la Confrérie au sein du Conseil national de sécurité états-unien. Un dirigeant de la Confrérie a même été reçu à la Maison-Blanche en juin 2013.

Cependant, au vu de l’échec des Frères musulmans durant le prétendu « printemps arabe », une faction du Hamas a pris ses distances avec la Confrérie. Il n’y a donc plus un Hamas, mais deux. Le Hamas historique est gouverné par Mahmoud Al-Zahar, Guide la Confrérie à Gaza. Sous ses ordres, le milliardaire Khaled Mechaal au Qatar et Yahya Sinwar à Gaza. Au contraire, la branche du Hamas ayant rejoint la Résistance palestinienne est dirigée par Khalil Hayya.

Cette division du Hamas n’est pas couverte par les médias occidentaux, mais uniquement par certains médias arabes. Le président Bachar el-Assad s’est réconcilié, en octobre 2022, avec Khalil Hayya alors qu’il a refusé de recevoir Khaled Mechaal. À ses yeux, et aux miens, le Premier ministre de Gaza, Ismaïl Haniyyeh, a organisé l’attaque de la ville de réfugiés palestiniens en Syrie, Yarmouk, en 2012. À l’époque, les combattants du Hamas et ceux d’Al-Qaïda étaient entrés dans la ville pour éliminer les « ennemis de Dieu ». Ils étaient encadrés par des officiers du Mossad israélien et se sont dirigés vers les demeures des cadres du FPLP, qu’ils ont assassinés. Parmi eux, un de mes amis. Le président Bachar el-Assad vient, il y a quelques jours, de prononcer un discours contre le Hamas historique et pour celui qui a rejoint la Résistance palestinienne.

MB : Que représente l’authentique résistance palestinienne pour vous ?

TM : La Résistance palestinienne n’a rien à voir avec l’obscurantisme des Frères musulmans, ni avec l’opportunisme des milliardaires du Hamas. C’est un mouvement de libération nationale face au colonialisme des suprémacistes juifs.

MB : Pouvez-vous revenir sur l’histoire de la Confrérie des Frères Musulmans. Cette société secrète tente-t-elle de revenir dans le jeu après ses défaites en Syrie et en Egypte ?

TM : La Confrérie a été fondée, en 1928, par Hassan el-Banna, en Égypte. J’ai consacré une partie de mon dernier livre à son histoire internationale. Cependant, je ne suis pas parvenu à éclaircir les soutiens dont elle a bénéficiés à ses débuts. Toujours est-il qu’après la Seconde Guerre mondiale, elle est devenue un outil au service du MI6 britannique et bientôt de la CIA états-unienne. Elle s’est dotée d’un « Appareil secret » qui s’est spécialisé dans les assassinats politiques en Égypte. Un franc-maçon égyptien, Sayyed Qutob, est devenu son théoricien du jihad. L’organisation de la Confrérie a été copiée sur celle de la Grande Loge Unie d’Angleterre. La Confrérie s’est étendue au Pakistan avec le gendre d’Al-Banna, Saïd Ramadan, le père de Tariq Ramadan, et le philosophe Sayyid Abul Ala Maududi.

Par la suite, Ramadan est allé travailler à Munich pour la CIA, à Radio Free Europe, aux côtés de l’Ukrainien Stepan Bandera, grand massacreur de juifs.

La Confrérie a débuté son action militaire lors de la guerre du Yémen du Nord, dans les années 60, contre les nationalistes arabes de Gamal Abdel Nasser. Mais c’est avec Zbigniew Brzezinski qu’elle est devenue un acteur indispensable de la stratégie états-unienne en Afghanistan. Ce dernier a placé au pouvoir au Pakistan la dictature frériste du général Zia-ul-Haq et a lancé en Afghanistan, contre les Soviétiques, les combattants du milliardaire frériste saoudien Oussama Ben Laden.

Dans cette période, l’Arabie saoudite utilisait la Ligue islamique mondiale pour armer la Confrérie avec un budget plus important que celui consacré à sa propre armée nationale.

La Confrérie a tenté, en vain, de prendre le pouvoir dans plusieurs Etats, notamment en Syrie avec l’opération de Hama. Elle s’est impliquée dans la guerre de Bosnie Herzégovine, où elle a créé la Légion arabe. Oussama Ben Laden est devenu conseiller militaire du président Alija Izetbegovic, dont le straussien états-unien Richard Perle est devenu le conseiller diplomatique et le Français Bernard-Henri Lévy, le conseiller en communication.

Mais le grand œuvre de la Confrérie n’est arrivé qu’avec Al-Qaïda et Daesh. Ces organisations jihadistes, en tout point comparables au Hamas historique, ont été utilisées par la CIA et le Pentagone, principalement en Algérie, en Iraq, en Libye, en Syrie en Égypte et en Tunisie, pour détruire des capacités de résistance des pays arabes,

La France, qui avait donné asile à leurs dirigeants durant la Guerre froide, les a combattus avec l’alliance entre François Mitterrand et Charles Pasqua. Elle a réalisé que le Groupe islamique armé (GIA) n’était qu’une manœuvre britannique pour l’exclure du Maghreb.

Cependant aujourd’hui, personne ne comprend que la Confrérie n’est qu’un outil de manipulation des masses. Nos dirigeants, d’Emmanuel Macron à Jean-Luc Mélenchon, se laissent berner par son discours qu’ils prennent au pied de la lettre. Ils la traitent comme une organisation religieuse, ce qu’elle n’est pas du tout.

MB : Le Qatar à un rôle plus que trouble. Quelle est sa place dans la conspiration ?

TM : Au début, le Qatar s’est placé comme une puissance neutre, apportant ses bons offices. Mais beaucoup se sont inquiétés du fait qu’il héberge la branche politique du Hamas, que certains sont des amis personnels de l’émir et qu’il rémunère les fonctionnaires du Hamas à Gaza.

Le Qatar a répondu qu’il faisait tout cela à la demande des Etats-Unis comme il l’avait fait pour les Talibans.

En réalité, après qu’Abdel Fattah al-Sissi eut renversé la dictature de Mohamed Morsi, à la demande du peuple égyptien, dont 40 millions de citoyens ont défilé, il a informé l’Arabie saoudite que les Frères préparaient un coup d’Etat contre le roi Salman. Brusquement la Confrérie, qui avait été choyée durant des années, est devenue l’ennemie du Royaume. Le Qatar a alors publiquement assumé son rôle de parrain de l’islamisme, tandis que le prince héritier MBS tentaient d’ouvrir son pays.

Lorsque Donald Trump a prononcé son discours contre le terrorisme à Riyad, en 2017, l’Arabie saoudite a mis en garde le Qatar de cesser immédiatement ses relations avec la Confrérie et ses milices, Al-Qaëda et Daesh. Ce fut la crise du Golfe.

Les choses se sont éclaircies ces jours-ci : l’émir Al-Thani a envoyé une de ses ministres, Lolwah Al-Khater, à Tel-Aviv. Elle a participé au conseil de guerre israélien pour aplanir les difficultés dans l’accord de libération des otages. Mais elle n’a pas compris que le cabinet de guerre comprenait des opposants à la dictature de Benjamin Netanyahu, dont le général Benny Gantz. Elle s’est montrée pour ce qu’elle est : non pas une négociatrice neutre, mais une autorité capable de prendre des décisions au nom du Hamas. C’est pourquoi, à la sortie de cette réunion, Joshua Zarka, directeur général adjoint des Affaires stratégiques du ministère des Affaires étrangères, a déclaré qu’Israël « réglera ses comptes avec le Qatar » dès qu’il aura terminé son rôle de médiateur.

Au sein du cabinet de guerre, l’opposition à Netanyahu a commencé à se demander si tout cela, le coup d’Etat cet été et l’attaque du 7 octobre, n’était pas une mise en scène de l’administration Biden.

MB : Les États-Unis seraient donc à la manœuvre. Quelle serait la stratégie de Biden dans la région ?

TM : Joe Biden n’a pas toutes ses capacités. Aux États-Unis, il y a même une émission de télévision hebdomadaire sur ses problèmes de santé et ses absences intellectuelles. Dans son ombre, un petit groupe a relancé la stratégie de George W. Bush et Barack Obama : détruire toutes les structures politiques du « Moyen-Orient élargi » à l’exception de celles d’Israël.

C’est ce qui se passe en Libye, au Soudan, à Gaza et que l’on poursuit au Yémen.

L’administration Biden assure vouloir faire cesser le massacre à Gaza, mais poursuit ses livraisons d’obus et de bombes pour qu’il continue. Il prétend vouloir maintenir la liberté de circulation en mer Rouge, mais forme une coalition internationale contre Ansar Allah qu’il qualifie à tort d’antisémite et qu’il affuble du sobriquet de « Houthis » (c’est-à-dire de « bande la famille al-Houthis »). Washington vient de faire annuler la signature du traité de paix au Yémen, sous les auspices des Nations unies. Il relance une guerre qui avait déjà pris fin.

MB : Au regard de ce chaos, quel est le bilan de Trump dans la géopolitique du Proche-Orient ? Son retour pourrait amener une autre voie pour sortir de ce conflit ?

TM : Donald Trump est un ovni politique. Il se réclame de l’ancien président Andrew Jackson (1829–1837) et n’a aucun rapport avec les idéologies républicaine et démocrate. Sa première décision lorsqu’il est arrivé à la Maison-Blanche a été de priver le directeur de la CIA de son siège au Conseil national de Sécurité. Cela a provoqué ses premiers ennuis et la démission forcée du général Mike Flynn.

Donald Trump souhaitait résoudre les problèmes internationaux par le commerce et non par les armes. On peut considérer que c’est une voie illusoire, mais il est le seul président US qui n’a jamais déclenché de guerre. Il a interrompu brutalement l’usage par Washington de proxys terroristes, notamment Al-Qaëda et Daesh. Il a mis en cause le rôle de l’Otan ; une alliance militaire qui vise selon les mots de son premier secrétaire général à « Garder les Américains à l’intérieur, les Russes à l’extérieur et les Allemands sous tutelle ».

S’il était au pouvoir, il aiderait la majorité des citoyens israéliens à se débarrasser des « sionistes révisionnistes », c’est-à-dire le groupe de Benjamin Netanyahu ; il poursuivrait la mise en application des Accords d’Abraham et mettrait fin au soutien occidental à la Confrérie des Frères musulmans ; il aiderait la majorité des Ukrainiens à se débarrasser de Volodymyr Zelensky et ferait la paix avec la Russie. Etc.

Toutefois, Donald Trump n’est pas encore élu et l’équipe au pouvoir actuellement tente de le contraindre à renoncer à son programme pour pouvoir accéder à la Maison-Blanche.

MB : À terme, l’Occident incarnée par l’axe américano-sioniste est-il condamné à mourir ?

TM : Vous qualifiez d’« américano-sioniste » le groupe qui dirigea actuellement l’Occident politique. C’est une manière de voir. Je pense cependant qu’elle n’est pas liée à un État. Il se trouve que ces gens sont au pouvoir aux États-Unis et en Israël, mais ils pourraient l’être ailleurs. Il se trouve qu’ils se réclament du nationalisme juif, mais ils ne sont pas nationalistes. Ces gens sont des suprémacistes. Ils récusent l’égalité entre les personnes humaines et considèrent comme insignifiant de massacrer des masses humaines. Pour eux, « On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs ».

C’est cette manière de penser qui a provoqué la Seconde Guerre mondiale et ses gigantesques massacres de civils.

Aujourd’hui, de nombreux dirigeants du monde réalisent qu’ils ne sont pas différents des nazis et apportent les mêmes horreurs. Le Tiers-Monde est désormais éduqué et membre des Nations unies. Il ne peut plus supporter le pouvoir de ces gens-là. La Russie aspire à rétablir le Droit international que le tsar Nicolas II avait créé avec le Prix Nobel français Léon Bourgeois lors de la conférence de La Haye, en 1899. La Chine aspire à la Justice et ne tolérera plus de « traités inégaux ».

Il me semble que ce système de gouvernance est déjà mort. Aux Nations unies, la résolution annuelle exigeant la fin du blocus de Cuba a été adoptée par 197 Etats contre 2 (les États-Unis et Israël). La résolution pour un cessez-le-feu immédiat et durable à Gaza a été adoptée par 153 États, c’est un peu moins, mais l’enjeu est bien plus grand. Quoi qu’il en soit, nous voyons bien qu’une majorité se dégage contre la politique de ces gens. Lorsque la digue cédera, et nous sommes proches de ce moment, l’Occident politique s’effondrera. Nous devons absolument nous détacher de ce radeau avant qu’il ne coule.

Thierry Meyssan

Source: https://www.voltairenet.org/article220213.html

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BRÈVES

L’ÉLECTRO HYPER-SENSIBILITÉ SUR PELLICULE 

Remembering Nearfield, un film d’animation sur l’électro-hypersensibilité (EHS) réalisé par Sean A. Carney, a remporté le prix du meilleur film sur la santé au Festival des films du monde de Cannes en juillet. À l’heure actuelle, l’EHS est un handicap toujours négligé par les pouvoirs publics et la majeure partie du monde scientifique, qui compromet la capacité des patients à mener à bien leurs activités quotidiennes. Une piste de solution est le maintien ou la création de « zones blanches » où le rayonnement électromagnétique est faible ou nul. En attendant la solution radicale d’« éteindre le moteur de la civilisation thermique », comme le suggère le scientifique Guy McPherson 

B. L. 

IMPOSSIBLE MONDE SANS ORDIPHONE 

Le Soir du 3 octobre 2023 consacre 2 pages à la gloire du smartphone. Le journaliste Philippe Laloux ne porte apparemment aucun jugement de valeur, se cantonne au factuel, mais va jusqu’au prophétique : « La transformation du smartphone en portefeuille électronique est inscrite dans les astres ». Nous voilà prévenus. C’est comme ça ! Le 10 octobre, un publi-reportage : « Le nouveau smartphone, plutôt Apple ou Google ? ». Les médias dominants sont les vecteurs enthousiastes du monde tel qu’il va. Pour (essayer de) le faire aller autrement, lisez aussi nos confrères de Suisse, Moins !, et de France, La décroissance. 

B. L. 

MINES DE RIEN… 

Le mardi 19 septembre dernier à Namur, les DoMineurs, des citoyens opposés à la réouverture des mines en Belgique, ont rencontré pour la deuxième fois la Ministre Céline Tellier au sujet du Code de gestion des ressources du sous-sol wallon, actuellement proche de sa finalisation et devant bientôt être voté au Parlement wallon. Une action a été entreprise auprès des députés. Pour eux, voici un dossier à creuser ! 

B. L. 

URSULA VON DER LEYEN ET LES RECORDS DE DÉBILITÉ PROFONDE 

On aurait pu croire que la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen n’allait pas pouvoir ajouter grandchose encore à son palmarès d’idioties et de malfaisances (collabo en chef du pouvoir étasunien, collusion avec Pfizer, alimentation zélée de la guerre en Ukraine, etc.). Elle vient de prouver le contraire en s’attaquant au statut d’espèce protégée dont le loup bénéficie dans l’UE (in Le Soir, 04/09/2023). Elle n’atteindra sans doute pas son but, mais ça n’ôte pas à la chose sa gravité. On repense à la formule d’un personnage de L’homme à l’envers de Fred Vargas sur les ennemis du loup : elle les qualifie en effet de « vieux cons arriérés », expression s’appliquant tellement bien, dans le cas présent… 

D.Z. 

ESPÈCE EN VOIE DE RÉAPPARITION 

Une bonne nouvelle (ça arrive) : elle concerne le takahé, oiseau qui avait vécu en Australie durant 12.000 ans au moins, avant qu’on le considère comme éteint depuis 1898, suite à l’introduction par les colons de prédateurs de cet animal. On avait cependant découvert quelques survivants au milieu du XXe siècle. Ceux-ci ont pu se reproduire en captivité. Et en août 2023, pour la première fois, des takahés ont été relâchés dans des zones naturelles, où leurs prédateurs avaient été capturés. En outre, cette réintroduction est l’aboutissement d’un long combat juridique d’une communauté indigène, les Ngāi Tahu, pour lesquels cet oiseau est une part de leurs terres ancestrales. (in Reporterre, 04/09/2023). 

D.Z. 

DÉMOCRATURE 

« La démocratie était l’idéal de tous les États dans le monde, et aujourd’hui, au contraire, il y a une demande d’autoritarisme, y compris parfois chez nous, une défiance vis-à-vis de la démocratie avec l’impression qu’elle ne protège pas assez les citoyens », se plaint Georges Dallemagne, député fédéral des Engagés, dans Le Soir du 26 septembre 2023. Rappelons-nous que c’est le même qui avait réclamé la vaccination « automatique » pour le personnel soignant. C’est pas de l’autoritarisme, ça ? À moins que ce ne soit un acte « démocratique » pour « protéger les citoyens »… 

B.L.

AUX RIA, L’OUBLI D’UN « A »… 

En juillet dernier à Saint-Imier (Suisse), les rencontres internationales (anti ?)-autoritaires (RIA) ont réuni 5.000 anarchistes. Ce n’est pas peu dire qu’elles ont tourné à la pagaille, et au cauchemar pour l’historique Fédération anarchiste (lire le compte-rendu circonstancié par Tomjo et Mitou sur www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/ pdf/mes_vacances_a_saint-imier.pdf). Tout n’est évidemment pas pourri au royaume de l’anarchie, loin de là ! On visitera avec intérêt la revue libertaire en ligne Divergences, qui garde la tête froide en ces temps troublés (dans le genre). 

B. L. 

PARIS TROTINETTISÉ, PARIS SMARTPHONISÉ, PARIS NUMÉRISÉ, MAIS PARIS LIBÉRÉ ! 

Nous saluons la venue d’un tout nouveau confrère français engagé dans la résistance, Stop ! Le Paris débranché, à destination des citadins qui n’ont « pas encore totalement abdiqué de [leur] côté humain pour se fondre dans les cohortes de zombies électro-trotinettisés au cerveau piloté par un smartphone », lit-on à la Une du n° 1 (octobre/novembre 2023). Nous leur souhaitons déjà longue vie. En toute cohérence, pas de courriel ni de site, seulement une adresse où s’abonner : 7 bis, rue Jules Parent – F‑92500 Rueil Malmaison. 

B. L. 

VROUM VROUM, ÇA CHAUFFE ! 

Le Soir du 29 septembre 2023 se demande s’il faut continuer à promouvoir la Formule 1 dans le contexte du réchauffement climatique. Même en l’absence de celui-ci, la F1 devrait être supprimée, déjà parce qu’elle encourage le gaspillage des ressources métalliques et fossiles, le comportement agressif des « hommautos », qu’elle exalte la « virilité », la vitesse, la frénésie, le vacarme, toutes choses qui vont à l’encontre d’une société décente et respectueuse du bien commun. Seulement, « quant à savoir pourquoi on continue : parce que cela marche. Après plusieurs années de déclin, la Formule 1 a connu une seconde jeunesse […] En Belgique, le circuit de Spa-Francorchamps a ainsi vu son chiffre d’affaires augmenter de près de 40 % en 2023 ». Désolé de vous annoncer une mauvaise nouvelle de plus. 

B. L. 

CANARD BOITEUX ET GENTIL CHIEN 

L’ère Covid-19 nous aura permis de distinguer avec une évidence rare les conformistes qui se donnaient des airs de libre-penseur, déversant désormais sans plus aucune vergogne leur mépris sur quelques intransigeants qui ne pensent pas comme eux. Ainsi du Canard enchaîné, qui titre une de ses brèves « Des doigts et du souffre à LFI » (30 août 2023), usant des méthodes de la « grande presse » pour stigmatiser Alexis Poulin : « Cet ancien du “Média” Insoumis était invité à débattre […] de la liberté de la presse, “entre algorithmes et oligarques” (sic). Un véritable expert ! Cet habitué des canaux préférés de l’extrême droite conspirationniste (Boulevard Voltaire, TV Liberté) et de RT France, la télé favorite de Poutine, avait qualifié Gabriel Attal de “[jeune] leader passé au Bilderberg”* […] ; « Dans une interview au très obscur canal Tribunal populaire » […] ; « Sans oublier quelques saillies répétées sur les “politiques fascistes” telles que l’obligation vaccinale pour les soignants ». Florilège des méthodes dénigrantes (en gras) de la « presse libre »… Il ne nous en faudra pas plus pour comprendre comment Le Canard Enchaîné, malgré les apparences, est, comme le toutou Médor, au service de son maître. *Ce qui s’avère vrai. 

A. P. 

MUSK-ZELENSKY, PIPI-CACA

La Libre Belgique publiait le 2 octobre une information captivante : Elon Musk, propriétaire de X a diffusé un « mème » (élément de communication se diffusant largement sur Internet, notamment sur les réseaux sociaux) afin de se moquer de Volodymyr Zelensky. L’image était accompagnée de la phrase suivante : « Quand cela fait 5 minutes que vous n’avez pas demandé un milliard de dollars d’aide ». Le parlement ukrainien ne tarda pas à riposter en publiant à son tour un mème accompagné du texte suivant : « Quand cela fait 5 minutes que vous n’avez pas diffusé de propagande russe ». Ou quand les hommes les plus influents du monde jouent à pipicaca dans le bac à sable des réseaux sociaux. Soit dit en passant, ceci en dit long sur la néantisation de la société, d’autant plus que, selon la RTBF, le francophone absorberait en moyenne 5 h 37 de vidéo par jour ! 

K. C. 

IN MEMORIAM HUBERT REEVES, ET PLUS ENCORE ALBERT JACQUARD 

Hubert Reeves est mort le 13 octobre, à l’âge de 91 ans. Célèbre astrophysicien franco-québécois engagé dans la cause écologique depuis une vingtaine d’années avec son essai Mal de Terre (2003), il refusait pourtant avec obstination d’envisager l’hypothèse de la décroissance, contrairement à son collègue Albert Jacquard (19252013), qui, lui, avait montré de l’intérêt envers elle. 

B. L. 

IL N’EST TOUJOURS PAS L’HEURE DE CESSER DE CHANGER D’HEURE… 

Cela fait maintenant plusieurs années que l’Union européenne a annoncé l’abandon du changement d’heure, et la résolution n’est toujours pas « implémentée ». On peut se demander les raisons de tels atermoiements quand on a vu que les « autorités » sont, quand elles le veulent, très rapides pour prendre des décisions autrement lourdes de conséquences (confinement, couvre-feu, injection de la population, financement de l’effort de guerre de l’Ukraine…). 

B. L. 

ACCOUPLEMENT MAGIQUE 

Yves Coppieters, docteur médiatiquement inconnu avant la crise du covid-19 devenu une star pendant la pandémie, sera candidat aux prochaines élections fédérales pour les Engagés. Maxime Prévot, pour qui cette nouvelle recrue est « un gage incontestable de sérénité, de crédibilité et de bienveillance », est content. Et jure qu’il n’y a aucune collusion entre le monde scientifique et politique (comme il n’y en a bien entendu aucune entre le monde du journalisme et la politique, n’est-ce pas, Hadja Lahbib — ancienne présentatrice de télévision et ministre des affaires étrangères) ? 

K.C.

DISCOURS DE POLITIQUE GÉNÉRALE DU PREMIER MINISTRE 

Discours de politique général du Premier ministre Alexander De Croo du 11 octobre 2023 : 

« La guerre en Europe relègue peut-être au second plan la lutte contre les changements climatiques mais elle n’en atténue pas pour autant l’urgence ». 

« Nous sommes la première génération à ressentir les effets de la crise climatique, mais aussi la dernière génération capable de la contenir ». C’est sûr qu’en reléguant au second plan la lutte contre les changements climatiques à cause de la guerre, on va y arriver. 

« Un État qui se veut protecteur des générations futures et défenseurs des libertés, doit reposer sur des fondements solides. Pour notre pays, cela veut dire des pouvoirs publics plus performants, plus de gens au travail et des carrières plus longues ». Ou quand la liberté, c’est la multiplication du travail aliéné. 

« Si nous voulons que les investissements soient rentables, nous devons oser rationaliser ». N’est-ce pas la rationalisation osée qui provoque un effondrement sans précédent du système des soins de santé ? 

« Nous ne vous laisserons pas tomber. L’Ukraine gagnera cette guerre ». 

« S’il y a bien une leçon à tirer de la guerre en Ukraine, c’est qu’à vouloir à tout prix avoir raison, on finit par la perdre ». La guerre, la raison, ou les deux ? 

Heureusement que nous n’avons recueilli que certains propos énoncés en français ; autrement, cette brève aurait été certes deux fois plus remplie, mais aussi deux fois plus vide. Bref, elle aurait été à l’image du discours du Premier : paradoxale. 

K. C. 

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Santé publique et hôpitaux : 6 jours à Gaza

Alors que le discours politique semble prendre un tournant dans le contexte du génocide palestinien, comme les mots de Petra De Sutter, vive-premier ministre belge (« Il est temps d’imposer des sanctions contre Israël. Les bombardements sont inhumains. […] Alors que des crimes de guerre sont commis à Gaza, Israël ignore la demande internationale d’un cessez-le-feu » (8 novembre), il est permis de douter de l’objectif désintéressé de ceux plus habitués à flatter pour attirer des voix qu’à défendre des valeurs. Soit, derrière les discours feutrés contre les actes d’Israël, le carnage continue. 

Le Commissaire-général de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), Philippe Lazzarini, a appelé à l’arrêt du « carnage » dans la bande de Gaza. Il rajoute « Leurs craintes sont exacerbées lorsqu’ils entendent un homme politique israélien qualifier les Gazaouis d’ ‘animaux humains’ – un langage déshumanisant que je ne pensais pas entendre au 21e siècle. » (9 novembre)

L’absence d’empathie et de compassion, que montrent les pays occidentaux, en ce compris Israël, pour ce drame absolu qu’est la situation à Gaza ne plaide pas pour nous. Quoi, nous serions des pays civilisés ? Permettez-moi d’en douter.

Sortir de l’idéologie, revenir au réel est notre urgence pour décrisper les tensions qui montent aussi chez nous. Petitement, pour ma partie, j’essaye. Ici par des porte-paroles du ministère palestinien de la santé et d’autres sources. Et si, pour cette fois, nous les écoutions, non ? Et encore, seulement quelques extraits concernant les hôpitaux et surtout actuellement l’hôpital Al Shifa, le plus grand complexe hospitalier de la Bande de Gaza (au nord) qui subit une lente agonie à la face du monde.

« Entre-temps, l’hôpital pour enfants Al-Nasr est pris pour cible à plusieurs reprises, et la vie des enfants, du personnel et des personnes déplacées est menacée. Les ambulances ne peuvent pas atteindre l’hôpital pour enfants Al-Nasr pour évacuer les blessés en raison du ciblage. Nous appelons les Nations Unies et le Comité international à être présents dans les hôpitaux pour enfants Al-Rantisi et Al-Nasr, à les protéger et à faire de la place aux ambulances pour évacuer les blessés. […] « L’Association des banques de sang de la ville de Gaza est hors service à la suite de cette attaque. » (10 novembre, porte-parole ministère)

« 38 enfants souffrant d’insuffisance rénale sont privés de services de dialyse dans le seul centre destiné aux enfants de la bande de Gaza, après l’arrêt de l’hôpital spécialisé pour enfants de Rantisi en raison d’une panne de carburant. […] L’occupation israélienne assiège les hôpitaux pour enfants d’Al-Rantisi et d’Al-Nasr, ferme les stations d’oxygène et les enfants malades sont exposés à la mort. (10 novembre) […] Décès d’un deuxième enfant dans la crèche du complexe médical d’Al-Shifa après l’arrêt du générateur électrique et la mise hors service du complexe. » […] Nous renouvelons notre appel à toutes les institutions internationales à se rendre immédiatement au complexe médical d’Al-Shifa et aux hôpitaux du nord de Gaza pour protéger le système de santé et lui permettre de mener à bien ses tâches purement humanitaires. (11 novembre, porte-parole ministère)

« La deuxième attaque de l’armée israélienne de la journée a causé d’importants dégâts au bâtiment de l’unité de soins intensifs. […] Le ministère de la Santé a officiellement annoncé le décès de tous les patients des soins intensifs de l’hôpital d’Al-Shifa en raison de pannes d’électricité et d’oxygène. » (12 novembre, porte-parole ministère)

Un journaliste de l’hôpital Al-Shifa de Gaza : « La situation est indescriptible. Nous cherchons un morceau de pain à manger et les corps des martyrs éparpillés dans les cours du complexe sont mangés par des chiens errants sans que personne ne puisse les chasser. » Ceci semble être confirmé par un porte-parole du ministère palestinien de la Santé qui a déclaré à Al Jazeera que les chiens errants ont commencé à manger les corps des morts s’entassant dans les rues. (Aussi choquant que cela puisse être, ayant travaillé en Afrique, la problématique des chiens errants dans la ville, souvent en bande, est une réalité : donc je pense l’information plausible.)

Le ministère de la Santé déclare qu’il n’est plus en mesure de compter le nombre de morts et de blessés, en raison des attaques israéliennes incessantes. (13 novembre) Effectivement, les derniers chiffres fournis officiellement concernent le 9 novembre. Quelques chiffres circulent depuis, mais aucun ne semble avoir été validé par le ministère, je ne les reprends donc pas.

« Le personnel médical de l’hôpital Al-Shifa n’a reçu ni nourriture ni boissons depuis 6 jours. » (Ministère de la santé) […] La ministre a passé en revue la situation sanitaire catastrophique dans la bande de Gaza, et les attaques dont le système de santé a été témoin, où 23 hôpitaux sur 35 ont complètement cessé de fonctionner. (13 novembre)

« Vivre à l’hôpital Al Shifa est plus difficile que la mort elle-même. Il n’y a ni vie, ni eau, ni électricité. Nous survivions grâce à quelques sacs de farine laissés sur place par ceux qui ont évacué avant nous. » (14 novembre, patiente)

« Aujourd’hui, l’unique groupe électrogène de l’hôpital Al-Amal, affilié à la Société du Croissant-Rouge palestinien à Khan Yunis, a cessé de fonctionner. Cela menace la vie de 90 patients soignés à l’hôpital, dont 25 patients du service de réadaptation médicale qui courent désormais un risque de mort à tout moment » (14 novembre, Croissant Rouge)

Sous-secrétaire du ministère palestinien de la Santé à Gaza : « Nous essayons de creuser une fosse commune pour enterrer les centaines de cadavres éparpillés dans les cours de l’hôpital Al-Shifa. » Une source journalistique parle de 170 corps en décomposition déjà enterrés dans la cour principale de l’hôpital transformé en fosse commune. (14 novembre)

« L’eau pleut en ce moment. » Un enfant palestinien déplacé exprime sa joie alors que la saison des pluies commence à un moment où des centaines de milliers de Palestiniens ne peuvent pas trouver d’eau potable. (14 novembre) Cela réglera certains problèmes et en posera de redoutables aussi. N’oublions pas que la majorité de la population sont des déplacés internes, vivant dans une extrême précarité.

« Transfert de prématurés du service de crèche du complexe médical d’Al-Shifa vers un autre endroit. Là où l’électricité est disponible. » […] « Nous confirmons la poursuite des services de maternité au complexe Al-Sahaba à Gaza. » […] « L’occupation israélienne place toutes les personnes présentes dans le complexe médical d’Al-Shifa dans le cercle de la mort après l’avoir encerclé de tous côtés et poursuivi les violents bombardements et les tirs nourris pendant deux heures. » (14 novembre, porte-parole du ministère).

(source Al Jazeera) « Hier soir, les forces d’occupation ont pris d’assaut le complexe médical d’Al-Shifa après l’avoir entouré de chars. Il avait coupé le carburant et l’électricité pendant des jours, ce qui a entraîné la mort de nombreux patients en soins intensifs et de bébés prématurés » (Dr Zaqout, directeur général des hôpitaux de la Bande de Gaza) […] Ahmad Mikhallalati, chef du service des brûlés de l’hôpital Al Shifa : « Nous ne savons pas si l’armée israélienne va nous tuer ou si elle veut simplement nous terroriser … Tous ceux qui ont tenté de quitter l’hôpital ces derniers jours ont été abattus. » Dr Zaqout : « Cette nuit, l’armée d’occupation est entrée dans le service des urgences du complexe Shifa et fouille actuellement le sous-sol de l’hôpital. Pas une seule balle n’a été tirée depuis l’intérieur de l’hôpital lors de l’assaut du complexe par les forces d’occupation. L’occupation a ouvert le feu sur ceux qui ont quitté le couloir qu’ils prétendaient être en toute sécurité pour sortir du complexe Al-Shifa. Les forces d’occupation ont pris d’assaut les bâtiments chirurgicaux et d’urgence du complexe Al-Shifa. »

Médecin sans frontière, Dr Obeid : « Un sniper a blessé quatre patients dans l’hôpital. L’un d’entre eux a été blessé au cou, c’est un patient tétraplégique. Un autre a été touché à l’abdomen. […] L’équipe médicale a accepté de quitter l’hôpital à condition que les patients soient évacués en premier. Nous ne voulons pas les laisser. » (15 novembre matin)

Le complexe Al-Shifa était le plus grand complexe médical de la bande de Gaza. Il se compose de 3 hôpitaux spécialisés et a été créé en 1946 pendant le mandat britannique. Il y aurait actuellement 1500 membres du personnel médical, 650 patients et environ 7000 civils déplacés dans le complexe.

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Nous vivons aujourd’hui sous une pluie de déclarations d’aide, de cessez-le feu temporaires, de couloirs humanitaires, de pauses, de condamnations, etc., etc. La bonne conscience de nos « élites » inondent de plus en plus nos chaînes mainstreams, MAIS la terrible réalité des images et des témoignages montre que l’horreur pèse toujours aussi fortement sur un quotidien des Gazaouis, construit de terreurs. La montagne de nos mots creux détruit tout autant l’avenir, tant des Palestiniens que des Israéliens, sinon plus, et quelque part aussi le nôtre. Car la perversité consiste à faire croire qu’on n’a pas les moyens d’agir (Michèle Syboni). Il faut que le massacre s’arrête immédiatement mais pour cela il faut du courage politique.

Graphiques construits à partir des données publiées par le Ministère de la santé de l’Autorité palestinienne et de l’OCHA (United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs) jusqu’au 9 novembre. Ensuite je propose une projection simple calculée sur les données des 11 derniers jours où les chiffres ont été fournis. Entendons-nous bien, les producteurs de ces chiffres disent que c’est « au moins », c’est-à-dire uniquement celles et ceux qui ont pu être comptabilisés.

Christophe de Brouwer

Full-professeur honoraire et ancien président de l’École de Santé publique de l’Université libre de Bruxelles. (15 novembre 2023)

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Nos valeurs se consument…

La revue de presse de Jérôme Delforge

Ce samedi matin, je vais chercher mon pain et mes yeux se perdent entre les journaux du comptoir et les gâteaux du jour. Le journal La Meuse titre ce jour, en une : « L’En-Vie, un bar libertin, a ouvert ses portes à Floreffe : “J’avais besoin de combler un manque et je me suis plongée dans cet univers” ». Je rentre à la maison et un ami taquin m’adresse un article à lire : « Les défunts wallons pourront être inhumés avec leurs animaux de compagnie ».Quelle merveilleuse perspective d’avenir : jouir en public pour être finalement inhumé à côté de son chien. Tel pourrait être le projet de vie du Belge en 2023.

Notre État est en totale déliquescence, il est mal géré et n’a de cesse de gaspiller les deniers publics, alors que des pans entiers manquent de ressources. Je vous parle de l’école, de l’hôpital, des oubliés du capitalisme qui vivotent entre les perfusions de l’État et des boulots indigents, de la classe moyenne qui se voit de plus en plus sans moyen, de nos vieux oubliés et poussés vers la sortie finale. La trame de fond, le sentiment qui prédomine est le suivant : « Ce sont toujours les mêmes qui paient ». Un peu de nuance !, me direz-vous, soit … Je vais vous apporter cette nuance dans ce qui suit. 

Il y a un peu plus d’un an, au début de la crise du prix de l’énergie, nous faisions une interview de M. Samuel Furfari. Il nous avait expliqué la supercherie totale de l’énergie renouvelable dans le cadre du marché européen de l’énergie. Nous avions alors pris conscience de la manne financière, à revenu garanti, que représentait ce secteur. Des voix s’étaient élevées contre des profiteurs de crise qui passent de « subventionnés à tort et à travers avec vos impôts » à « vainqueurs d’un win for life de la transition écologique ».

De la justice fiscale aurait été de bon ton, mais cette information vient tuer nos espoirs dans l’œuf.

« Le projet est tout simplement abandonné » : la Wallonie renonce à taxer les surprofits éventuels sur le renouvelable.

Comme d’habitude, les pertes sont à charge de la collectivité et les profits très vites privatisés, afin de sustenter toujours les mêmes portefeuilles. Les fonds d’investissement et l’industrie allemande de l’éolienne peuvent dormir sur leurs deux oreilles, l’État veille au grain. Un cas isolé dois-je me dire ?

Mille milliards $, soit près de 950 milliards €. La somme est vertigineuse, équivalente au produit intérieur brut du Danemark et de la Belgique réunis. Elle correspond aux profits que les grandes entreprises de la planète ont transférés vers les paradis fiscaux sur la seule année 2022, selon le rapport sur l’évasion fiscale mondiale, publié lundi 23 octobre par l’Observatoire européen de la fiscalité. 

Il s’agit d’un passage d’un article du Monde du 22/10/2023. « De la sobriété consentie, nous vous le demandons », tel était le mot d’ordre de fin 2022. On peut constater que les gueux doivent toujours courber l’échine pendant que les grands, les valeureux capitaines d’industries, déboutonnent les chemises et pantalons avant le repas, grâce à un gavage libéral, débridés. Entendons-nous bien, donner un avenir, un travail, participer aux tissus économiques d’un pays est un honneur, un privilège, mais cela devient une honte quand ces grands patrons ne jouent plus le jeu du marché. 

Il faudrait peut-être leur rappeler qu’au début du XXe siècle, les grands industriels avaient compris que sans classe moyenne, il n’y avait pas de marché, et donc pas de débouché pour leur production. Jouer le jeu veut dire produire, vendre, faire vivre une communauté et participer aux frais de l’État qui permet au marché d’exister. L’évasion fiscale tolérée et légiférée que nous connaissons en Europe fait plus penser à des seigneurs, bandits de grands chemins qu’à des capitaines d’industrie respectables, ceux-ci étant toujours dédouanés par les « médias de grand chemin » pour reprendre l’expression de Slobodan Despot. Les chiffres évoqués ne concernent évidemment pas que l’Europe, mais cela permet de humer une masse d’argent sale dont personne ne parle jamais. Sur ce même thème, vous verrez que dans quelques semaines, quelques mois, la répression fiscale sera utilisée comme arme politique pour faire taire ou écarter certaines entreprises qui ne consentent pas à agir dans le sens de la doxa. Nous pensons spécialement à la société X d’Elon Musk qui s’est lancée dans un bras de fer avec le commissaire européen Thierry Breton.

« Israël-Palestine : entre Elon Musk et Thierry Breton, un différend public sur la modération de Twitter ».Ce titre est intéressant car les mots ont leur importance, surtout quand il s’agit d’identifier les maux d’une société en perte de repère.Quand le réel ne colle plus avec leur réalité, quand les espaces de libertés gênent les gendarmes de la pensée, reste la seule et vraie solution : la censure, la mise en place d’un « Ministère européen de la Vérité ». En écrivant 1984, George Orwell avait déjà compris où allait notre civilisation « occidentale ».

Ce gros mot que personne ne veut prononcer en Europe « démocratique » est bien celui qui se cache derrière la « modération » souhaitée.

Cette censure intervient a posteriori en supprimant des comptes et des contenus. N’oubliez pas que X (ex-Twitter), avant son rachat, a massivement censuré la parole de scientifiques et médecins durant la pandémie, ceci sur ordre du FBI et d’autres agences. La censure 2024 qui a déjà commencé se place « a priori ». Comme expliqué par les différents ministres de la Macronie, les manifestations pour la paix, en soutien à la Palestine, ont été interdites afin d’éviter de possibles troubles à l’ordre public, ou tout simplement pour ne pas qu’un soutien nécessaire et trans-parti, trans-ethnique, puisse se matérialiser en plein Paris. « Cacher à mes yeux ce que je ne pourrais voir » doit sûrement se dire une frange de l’« élite » européenne.

Que vont-ils dire quand ce seront des juifs qui manifestent leur désapprobation quant à la politique de terreur en cours à Gaza ? Ils les rendront certainement invisibles, tout comme ils tentent de rendre invisible tous les médias citoyens. L’Arcom veillera au grain et convoquera les grands médias afin de s’assurer du bon traitement du conflit après certains dérapages signalés cette semaine : « Guerre Israël-Hamas : l’Arcom convoque télés et radios après de nombreux dérapages ». La liberté d’expression, oui, mais ! Vous avez bien compris que cette dernière est à géométrie variable et ne concerne que certaines parties de notre société. La satire, même quand elle vient du service public qui a pour habitude d’adouber plutôt que critiquer, n’est plus tolérée.

Pour résumer, vous devrez penser ce que l’on vous demande impose, sans questionnement, abreuvés par des médias traitant l’information conformément aux directives reçues de l’État.

Elle est belle, notre démocratie.

Ce qui ressort de ces semaines sanguinaires, c’est que les citoyens du monde ne sont pas pour un côté ou l’autre, ils demandent simplement la paix. Il n’y a aucune caution derrière ce message, mais une réalité intemporelle, car à toute guerre a toujours succédé la paix depuis la nuit des temps, alors autant œuvrer pour que cette dernière arrive le plutôt possible. Et pourtant, cette paix tant souhaitée n’est de toute évidence pas au centre des discussions des exécutifs au pouvoir en Europe, tant la majorité suit aveuglément la ligne directrice du pouvoir d’extrême droite israélien, lui-même soutenu totalement par les États-Unis ; ceci avec une nuance de taille, que ce soit en Europe, aux États-Unis ou ailleurs dans le monde : il ne s’agit pas de la volonté de l’écrasante majorité des citoyens, mais bien de l’infime minorité de l’élite dirigeante.

Dans cet océan de mauvaise foi et de parti pris, d’anciennes figures politiques émergent avec un discours empreint d’expérience et de bon sens. Dominique de Villepin intervenant chez Apolline de Malherbe, nous dit ceci : « Nous voilà réduits avec Israël, sur ce socle occidental. Qui aujourd’hui est mis en cause par l’essentiel de la communauté internationale. L’occidentalisme, c’est l’idée que l’Occident, qui a pendant 5 siècles géré les affaires du monde, va pouvoir tranquillement continuer à le faire. Et l’on voit bien, y compris dans les débats de la classe politique française, que face à ce qui se passe au Moyen Orient, poursuivre encore davantage le combat de qui pourrait ressembler à une guerre de religion, de civilisation, c’est-à-dire nous isoler encore plus sur la scène internationale ».

Il continue en dénonçant le « deux poids, deux mesures » entre le traitement de la guerre en Ukraine et ce qui se passe dans la bande de Gaza. D. de Villepin affirme une forme de neutralité, prônant l’action dans le dialogue à la recherche de la paix. « Je suis, par formation, diplomate. La question de la faute, elle sera traitée par les historiens et par les philosophes ». Son expérience permet de donner des lignes forces réalistes : « La guerre contre le terrorisme n’a jamais été gagnée nulle part, la loi du talion est un engrenage sans issue ».

J’entends l’état-major israélien souhaiter éradiquer le Hamas. Tsahal pourrait tuer ou désarmer l’ensemble de la bande de Gaza que cela ne servirait à rien. Le Hamas est avant tout une idéologie politique et militaire qui existe et grandit sur fond de malheur et d’injustice depuis 70 ans, ce malgré les condamnations internationales et les résolutions multiples de l’ONU non suivies par Israël. Les combattants du Hamas de demain sont les proches des victimes récentes, l’ensemble des enfants du monde arabe, vivant heure par heure le massacre en cours. Une idéologie se combat avec les idées et non les armes. L’histoire récente nous l’a encore prouvé, l’exemple afghan en tête.« À genoux, torturés et numérotés : des milliers de travailleurs palestiniens renvoyés à Gaza sous les bombes ». Le titre se suffit à lui-même (voir le lien ci-dessous). Les suppliciés d’hier sont les parents des bourreaux d’aujourd’hui. Cette semaine, nous apprenons la nomination de l’Iranien Ali Barheini, à la tête du Forum social du Conseil des droits de l’homme. Des dizaines d’articles dans la presse occidentale se sont offusqués de cette dernière, arguant que c’était l’hôpital qui se foutait de la charité. Il est évident que ce monsieur défend un régime, connu pour ses exécutions et emprisonnements arbitraires. Les bases incontestables sont là, pourtant il n’y pas plus de légitimité d’y mettre à la tête un Américain qui pratique une politique similaire mais détournée. Les exemples sont légions et passent de Julian Assange aux prisons secrètes, aux soutiens inconditionnels et sans nuance à Israël.

Dézoomons un peu. L’ONU est devenu l’alibi des uns quand cela les sert, et l’institution à abattre des autres quand les résolutions ne vont pas dans leur sens. Attention à ne pas oublier l’histoire récente, où l’échec de la Société des Nations a poussé le monde à l’embrasement généralisé.

Changeons d’air et passons à l’industrie cinématographique, étant aussi réduite à sa fonction d’appui de la propagande. Verrais-je le mal partout ?

« Sound of Freedom: un thriller douteux sur la pédo-criminalité aux accents conspirationnistes, surprise du box-office

Nous retrouvons nos confrères de La Libre Belgique empreints de nuances, qui, plutôt que de souligner le travail et la mise en lumière d’un fléau, justifient un carton au box-office par des accents conspirationnistes. Ce film sera-t-il bientôt interdit ? Regardez-le et avant de vous faire une opinion imposée par les médias. 

Pour terminer, cette revue de presse, rien de tel que le bâton et la carotte. La carotte restera la petite jouissance d’achat de votre voiture électrique à 100.000€ où vous pourrez faire la file pour la recharger, un jour de canicule, tous les 300 km et vos vacances annuelles à Ténérife, dans un club « all in », permettant d’entretenir votre hyperglycémie, payables en trois fois sans frais bien sûr. Le bâton sera là pour vous ramener sur le droit chemin en cas d’égarement à une manifestation autorisée.

Vous serez accueillis par le Centaure, ce nouveau blindé de la gendarmerie français de 14,5 t et 300 CV. Je vous assure qu’il vous balayera tel un moustique sur le pare-brise de votre voiture. Le collègue vous achèvera au sol, à moins de 3 mètres avec un tir non létal mais mutilant à l’aide d’un LBD. « Le ministère de l’intérieur réduit la distance de tir des LBD, malgré leur dangerosité ». Afin de coller au récit et en bon antisémite que je ne suis pas, je termine cette revue de presse en visionnant Rabbi Jacob.

Vive 2023, où l’absurde devient raison. L’histoire n’étant qu’un éternel recommencement, regarder dans le rétro permet parfois de comprendre le monde de demain.

À méditer.

« La guerre, c’est le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent et ne se massacrent pas ». Paul Valéry

J. D.

Sources :

https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/28/interdites-ou-autorisees-des-manifestations-pour-la-palestine-ont-eu-lieu-dans-plusieurs-villes-de-france_6197055_3224.html

https://www.i24news.tv/fr/actu/international/1698499539-nouveau-week-end-de-manifestations-pro-palestiniennes-a-travers-le-monde

https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20231029-manifestations-%C3%A0-londres-paris-ou-new-york-en-soutien-aux-palestiniens

https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/10/22/entreprises-la-grande-evasion-fiscale-continue_6196011_3234.html

https://www.lalibre.be/belgique/politique-belge/2023/10/19/le-projet-est-tout-simplement-abandonne-la-wallonie-renonce-a-taxer-les-surprofits-eventuels-sur-le-renouvelable-5KE4P6XKOZGEBLEG7G4TUYLMBY/

https://www.sudinfo.be/id736986/article/2023–10-28/len-vie-un-bar-libertin-ouvert-ses-portes-floreffe-javais-besoin-de-combler-un

https://www.lesoir.be/545813/article/2023–10-26/les-defunts-wallons-pourront-etre-inhumes-avec-leurs-animaux-de-compagnie

https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/10/11/israel-palestine-bras-de-fer-entre-elon-musk-et-thierry-breton-sur-la-moderation-de-twitter_6193845_4408996.html

https://www.youtube.com/watch?v=Mpq5IxdDeqA

https://www.youtube.com/watch?v=hx8HR63BAPk

https://www.telerama.fr/television/guerre-israel-hamas-l-arcom-convoque-teles-et-radios-apres-de-nombreux-derapages-7017911.php

https://www.7sur7.be/monde/a‑genoux-tortures-et-numerotes-des-milliers-de-travailleurs-palestiniens-renvoyes-a-gaza-sous-les-bombes~a078de4e/

https://www.lefigaro.fr/vox/monde/nomination-de-l-iranien-ali-barheini-l-onu-jouet-de-ses-ennemis-20231102

https://www.lalibre.be/culture/cinema/films/2023/11/01/sound-of-freedom-un-thriller-douteux-sur-la-pedocriminalite-aux-accents-conspirationnistes-surprise-du-box-office-HWJAU3NYPRBV3F5GMJEEQOFSXY/

https://www.youtube.com/watch?v=bScIXMy_wTc

https://www.mediapart.fr/journal/france/271023/le-ministere-de-l-interieur-reduit-la-distance-de-tir-des-lbd-malgre-leur-dangerosite#:~:text=Auparavant%2C%20pour%20tirer%2C%20un%20policier,gendarmerie%20nationale%20d%C3%A9conseille%20de%20suivre.

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Gaza, la catastrophe est là, sous nos yeux

Depuis le dernier billet, la situation dans la bande de Gaza ne fait qu’empirer. Les données sont difficiles à recueillir, néanmoins le ministère palestinien de la santé publie, pas tous les jours, des chiffres qui ne sont qu’un pâle reflet des réalités.

Au 12 octobre, 724 enfants ont été tués. Combien aujourd’hui ? Ne faisons pas de prédiction macabre, car elles sont certainement mauvaises, très mauvaises. Le ministère estime à 1200 les personnes ensevelies sous les gravas provoqués par les bombardements, dont 500 enfants.

« Les enfants victimes de la crise de Gaza meurent par centaines » titre ce jour l’UNICEF[note], ajoutant « Depuis un peu plus d’une semaine, plusieurs centaines d’enfants et de jeunes ont été tués ou blessés. Et leur nombre ne cesse d’augmenter… La situation est alarmante. L’UNICEF appelle à une pause humanitaire immédiate et à un accès sûr pour étendre et maintenir les services vitaux pour les enfants dans la bande de Gaza. Chaque minute compte. »

Ces chiffres et appels à l’aide des organismes internationaux ne sont que la surface émergée de l’iceberg des souffrances et de la mortalité infligées à toute la population, c’est-à-dire aux 2 200 000 habitants entassés dans cette maudite bande. Ce 17 octobre, nous apprenons que l’hôpital d’Al Karama à Gaza nord (un de ces hôpitaux qui avait reçu l’ordre de fermer) a apparemment dû finalement fermer, non pas pour avoir fait l’objet d’un bombardement direct, c’est interdit par les lois internationales, mais parce que les bâtiments adjacents à l’hôpital ont été ciblés et se sont effondrés sur lui… De toute façon, les « hôpitaux meurent » , la situation est catastrophique.

Et, à peine avais-je poussé sur la touche envoi, que la nouvelle tombe : l’hôpital Ahli Arab (Baptiste), également de Gaza nord a été frappé de plein fouet ce soir par un bombardement : plus de 500 morts selon le ministère palestinien de la santé (rapporté par le journal Anadolu Ajansi), entre 200 et 300 morts selon la publication du Times of Israel. Les deux parties s’en rejettent la responsabilité. L’actualité s’enchaîne d’horreur en horreur.

Pas d’eau, pas d’électricité, pas de nourriture, pas de médicaments, déjà à peu près la moitié de la population déplacée (1 million de personnes) et ce dans le plus grand dénuement, subissant une situation désespérée affirme l’OCHA[note]. L’accès à la bande de Gaza est une priorité des Nations Unies. Les dernières réserves sont engagées npus explique l’UNRWA[note] dans son dernier rapport du 16 octobre, organisme qui a perdu toute capacité d’agir au nord de la bande de Gaza, où leurs refuges, des écoles, restent cependant bondés et bombardés. Au sud la situation s’aggrave tout autant, la ville de Khan Yunis subit également les bombardements, alors que Israël avait ordonné à la population du nord de s’y rendre (c’est l’UNRWA qui l’affirme, pas moi), … La dernière usine de désalinisation de l’eau vient de s’arrêter, les réserves de carburant sont épuisés. Les populations commencent à utiliser l’eau malpropre qu’ils trouvent, les maladies hydriques redoutables, notamment pour les enfants, sont là : combien de décès en plus ?

Ah oui, disons-le, l’occupant a ouvert une canalisation d’eau pour 14 % seulement de la population durant 3 heures …

La promesse d’ouvrir le poste frontière de Rafah avec l’Égypte – entrée des convois de secours qui attendent contre sortie des étrangers‑, reste jusqu’à présent lettre morte. Pourtant parait-il, les Américains avaient mis tout leur poids pour que cela se fasse. La balance était certainement déréglée.

Enfin, Médecins sans Frontière, présent dans la bande de Gaza, se fait enfin entendre et appelle à l’aide. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, mais quand même. La situation est donc vraiment grave.

Je suis désolé de cette litanie, je ne vois pas comment faire autrement. La catastrophe de santé publique est là, sous nos yeux, et nous ne faisons rien, enfin pas grand-chose. Nous devons arrêter ce cycle de la haine.

Christophe de Brouwer

Full-professeur honoraire et ancien président de l’École de Santé publique de l’Université libre de Bruxelles. (17 octobre 2023)

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Le retour du Droit ?

ENTREVUE AVEC LE JURISTE THIERRY VANDERLINDEN*

Kairos : Il semble que le droit ait repris ses prérogatives depuis quelque temps, après avoir été escamoté par l’exécutif pendant deux années de pandémie, non ? 

Thierry Vanderlinden : Je ne serais pas aussi optimiste ! Car il faut quand-même constater que la Cour constitutionnelle a entièrement débouté les requérants concernant le recours introduit contre la « loi pandémie » : celle-ci est considérée comme constitutionnelle et applicable dans son intégralité. Toutes les mesures prévues par cette loi ont été avalisées par la Cour constitutionnelle, qui a fait une pirouette juridique en renvoyant la responsabilité de leur application concrète aux bourgmestres et gouverneurs de province. Autrement dit, lorsque ces derniers prendront effectivement des mesures concrètes (confinement, port du masque, interdiction de rassemblement, etc.) lors d’une nouvelle pandémie, les citoyens devront alors introduire des recours devant les Tribunaux ordinaires et/ou le Conseil d’État : on ne peut que constater que la Cour s’est débarrassée de cette question en la renvoyant à d’autres ! La conséquence est qu’il appartiendra à chaque citoyen d’agir individuellement dès le moment où il estimera que les mesures décrétées violent les droits fondamentaux, ce qui risque d’entraîner une dispersion des énergies et une augmentation des coûts… De manière générale, on peut dire que le Conseil d’État et la Cour constitutionnelle ont bien rempli leur rôle de service après-vente du gouvernement : ces juridictions ont accepté la réclamation, mais ont indiqué : « Désolé, mais en vertu de tel et tel article et de tel et tel principe, on ne peut donner suite à votre recours. » Le Conseil d’État, en 2020–21, a signé tous les arrêtés du gouvernement, quels qu’ils soient, a donné des avis positifs, à tel point que de mauvaises langues disent que le Conseil d’État s’est transformé en Conseil de l’État, ce qui n’est pas exagéré. Ils ont presque dit au gouvernement comment il fallait procéder pour que les arrêtés soient acceptables. Concernant les législations « pandémie », des recours contre le Décret wallon et contre l’Ordonnance bruxelloise ont également été introduits. Le Décret wallon, en particulier, est tout à fait ahurissant puisqu’il autorise les inspecteurs de l’Agence pour une vie de qualité (AViQ), qui ne sont même pas des médecins, à obliger quelqu’un à rester chez lui ou suivre un traitement médical, mais sans préciser de quel traitement il s’agit : on peut penser évidemment à la vaccination ! Ils peuvent aussi saisir les animaux domestiques et les exterminer s’ils l’estiment nécessaire. La cerise sur le gâteau est la troisième option en cas de désaccord avec ces mesures-là : vous devez rejoindre un « lieu destiné à cet effet » (sic !) sans autre précision : on peut penser aux camps d’internement comme il y en a eu, semble-t-il, au Canada et en Australie. 

Concrètement, ça veut dire que si demain le gouvernement wallon décrète qu’on entre dans une pandémie, les mesures inscrites dans le Décret peuvent être appliquées ? 

Attendons l’arrêt de la Cour, prévu au mois de septembre. Je ne peux pas le prévoir, mais tout porte à croire que ce sera négatif, car il y a une tendance générale dans les instances supérieures – Cour de cassation, Conseil d’État, Cour constitutionnelle – à entériner l’ensemble des législations et des arrêtés pris par le gouvernement depuis le début de la crise sanitaire. Prenons un exemple. Le Tribunal correctionnel de Courtrai, statuant en degré d’appel d’un Tribunal de police, avait considéré que les mesures relatives au port du masque étaient illégales, ou en tout cas contraire aux principes fondamentaux tels qu’édictés dans la Constitution et dans la Convention européenne des droits de l’homme. Malheureusement, le Parquet général est allé en cassation et a gagné… Il reste un recours possible devant la Cour européenne des Droits de l’homme à Strasbourg, mais dans ce cas-ci le délai est évidemment expiré. Pour l’avenir, on pourrait l’envisager, par exemple pour le Décret wallon, mais ça nécessite un important travail de réflexion juridique (et donc un coût !), et il n’est pas certain qu’on obtienne gain de cause. 

Peut-on passer aux bonnes nouvelles ? D’abord l’arrêt de la Cour d’appel de Liège concernant la prolongation du Covid Safe Ticket. 

Oui, une victoire ! C’est un arrêt de la Cour d’Appel de Liège qui a été rendu au printemps dernier. Le Tribunal de première instance de Namur avait déjà donné raison aux requérants qui estimaient que la décision de prolonger le CST par la Région wallonne n’était pas suffisamment fondée. Celle-ci, après quelques hésitations, est finalement allée en appel, et mal lui en a pris puisque la décision du Tribunal de Namur a été confirmée par la Cour d’Appel de Liège dans un arrêt assez long et bien motivé. Il faut préciser que ces juridictions statuaient en référé, ce qui signifie qu’elles rendent des décisions provisoires et se contentent de dire qu’à première vue, il semble que les arguments présentés sont pertinents. Il faut donc recommencer le débat devant un autre tribunal qui va vraiment creuser la question et dire si les arguments sont fondés ou non. Cette instance-là est en cours et on n’aura sans doute pas de décision avant un « certain » temps. 

Une demi-victoire, alors ? 

Oui et non, c’est quand même une victoire de principe. Voilà deux instances judiciaires qui confirment la position de l’asbl Notre bon droit et qui donnent tort à la Région wallonne. La confirmation en appel est importante car elle montre que le discours des autorités officielles n’est pas infaillible et surtout n’est pas irréfragable, c’està-dire qu’on peut en apporter la preuve contraire. C’est une défaite pour la doxa, qui se veut être la seule vérité acceptable. Cela montre aussi que les pouvoirs publics sont tenus de prendre des décisions justifiées et fondées, c’est donc une consécration de l’Etat de droit : on n’est plus sous l’Ancien régime ! C’est le rôle du pouvoir judiciaire – le troisième pouvoir – de contrôler les actes du pouvoir législatif et exécutif, de vérifier la conformité de leurs décisions avec les lois et la Constitution. Ici, il faut bien se rendre à l’évidence que ça n’avait pas été le cas. La presse dominante a d’ailleurs relayé l’information, Le Soir l’a même mis à sa Une du 19 avril 2023. Cela devrait encourager les citoyens et les associations à ne jamais courber l’échine. Même si la chronologie exacte de cette affaire-ci n’était pas idéale — puisque la mesure avait été levée entretemps — au niveau des principes fondamentaux, ça reste une belle victoire. 

La Région wallonne peut-elle aller en cassation ? 

Oui, mais elle a intérêt à bien réfléchir, car elle s’est déjà plantée deux fois, sa crédibilité est en jeu. Un pourvoi en cassation prend du temps, coûte cher, nécessite un travail d’analyse juridique assez approfondi et il n’est pas recommandé de le déposer à tort et à travers. À ma connaissance, il semble que la Région wallonne n’ait pas introduit de pourvoi, ce qui laisse supposer qu’il n’y avait pas suffisamment d’arguments juridiques pour le faire. Dans ce cas, on aboutirait à un jugement définitif « coulé en force de chose jugée », c’est-à-dire qu’il n’est plus susceptible d’être frappé d’un recours et qu’il est opposable à tout un chacun : il devient « parole d’évangile », en quelque sorte. 

Y a‑t-il une deuxième bonne nouvelle ? 

Oui, un autre arrêt de la Cour d’appel, de Bruxelles cette fois, toujours dans le contexte sanitaire. Le collectif Zone libre avait édité des flyers qui reprenaient le visuel des flyers de l’AViQ qui faisaient la promotion de la bonne santé des Wallons grâce à la vaccination. Sur leurs visuels figuraient des citoyens lambda souriants et enchantés de se faire vacciner. À Bruxelles, il y avait la même campagne « Je me vaccine.be ». Zone Libre l’a retraduite en « Est-ce que je me vaccine ? », expliquant sur son site que se faire vacciner n’était peutêtre pas aussi évident, présentait des dangers, des risques d’effets secondaires, et que surtout il y avait des alternatives à la vaccination – étayées scientifiquement –, ce dont aucun pouvoir public n’a jamais parlé. Ceci est une violation de la loi de 2002 sur le Droit des patients qui dit clairement que le médecin a l’obligation d’informer le patient de toutes les solutions médicales possibles pour que celui-ci puisse donner son consentement libre et éclairé sur le traitement qu’on va lui proposer. Dans la crise sanitaire, le discours officiel répétait qu’il n’y avait qu’une seule solution, la vaccination, alors que celle-ci n’est qu’une possibilité. Il y en a d’autres, non seulement plus efficaces, mais surtout beaucoup moins invasives, comme le disait Zone libre en reprenant à peu près le même visuel que celui de l’AViQ. Celle-ci s’est opposée et a assigné l’éditeur responsable des flyers devant le Tribunal de première instance pour non-respect des droits d’auteur ! Celui-ci a donné raison à l’AViQ, mais heureusement Zone libre a interjeté appel, et bien lui en a pris parce que la Cour lui a donné raison à 100% : il n’y a pas lieu d’évoquer la notion de droits d’auteur parce que les flyers de l’AViQ n’ont rien de particulier et que le visuel a été récupéré à partir d’Internet. Deuxièmement, a dit la Cour, le flyer de Zone libre exprime une opinion différente, mais sur le ton de l’humour et de la dérision, ce qui fait partie de la liberté d’expression. La Cour ajoute : « Est ce que je me vaccine ? Oui, c’est une question qu’on peut se poser ». Le citoyen a des raisons de se poser des questions et donc « est ce que je me vaccine ? » correspond à l’état d’esprit d’une partie de la population. Cet arrêt, qui statue sur le fond, montre deux choses importantes : d’abord, le discours officiel n’est pas invincible, ensuite l’humour est une arme extrêmement efficace. 

Est-il envisageable de porter plainte par exemple contre la RTBF, qui a participé activement, avec d’autres, à la désinformation ou la mésinformation, alors qu’elle relève du domaine public ? 

Il y aurait un travail important à faire, d’abord recenser toutes les affirmations fantaisistes : là, Kairos est bien placé ! Ensuite, il faudrait confronter celles-ci à la réalité et aux thèses scientifiques qui viennent contredire ces affirmations fantaisistes. Il y a sans doute plusieurs avocats qui seraient ravis de pouvoir entamer des actions dans le domaine de la propagande… 

Ce qui est intéressant aussi, c’est que les médias ne reviennent pas sur ce qu’ils ont dit… 

En effet, ils sont enferrés dans leur propre logique, et c’est quelque part une arme pour nous. Jusqu’au dernier moment, ils affirmeront qu’on est tous des complotistes, que leur discours est le seul valable. Il n’est pas pensable pour le pouvoir politique ni pour les médias, jusqu’à preuve du contraire en tout cas, de changer de point de vue. Ça devrait jouer en notre faveur parce qu’il y a quelques magistrats qui seraient certainement sensibles à cet argumentaire-là. Mais ça nécessite une étude plus approfondie, il faudrait réfléchir à ça posément. 

Terminons en « apothéose » avec EVRAS ! 

C’est l’acronyme de Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle, un programme qui a démarré au début des années 2000 de manière discrète au niveau de l’OMS, et en Belgique à partir de 2011-12. Comme un banc d’essai, quelques animations ont été faites dans les écoles, sporadiquement. Ça ne faisait pas l’objet d’un programme obligatoire en Fédération Wallonie-Bruxelles. Puis les années ont passé, les mentalités ont prétendument évolué. Le mouvement LGTBQIA+ – vis-à-vis duquel je n’ai pas d’opinion particulière – a pris de l’ampleur dans les discours officiels, officieux, associatifs et autres. Des subsides semblent avoir été alloués à gauche et à droite, et les ministres wallons de la Santé et de l’Enseignement ont cru bon de mandater le monde associatif pour rédiger un guide, sorti il y a déjà deux ans, une brique de 200 pages dont les éditeurs responsables sont l’Asbl O’ Yes et la Fédération des centres de plannings familiaux. L’objectif est de sensibiliser les élèves à partir de cinq ans aux concepts de la vie relationnelle, affective et sexuelle. Il est certainement opportun de sensibiliser les jeunes aux relations affectives, à la tolérance vis-à-vis de différents types de relations, comme l’homosexualité, qui sont parfois en dehors des normes traditionnelles telles qu’elles sont notamment transmises par le milieu familial. Personnellement, je pense que c’est une bonne chose : dans le domaine affectif et relationnel, c’est la tolérance et l’ouverture d’esprit qui doivent prévaloir. Une tout autre affaire est la sexualité, bien présente dans le guide, jusqu’à parler en toutes lettres de la masturbation, de l’orgasme, de la taille des seins, de l’utérus, des sextos, de la pornographie, dont on liste les avantages et les inconvénients ! Alors quel est le problème qui se pose ? J’entends les professionnels de la santé des enfants, pédopsychiatres et psychologues, nous dire que proposer un discours relatif à la sexualité à partir de cinq ans relève d’une effraction du psychisme[note]. Les sites Sauvons Nos Enfants et Innocence En Danger donnent des informations à ce sujet. L’effraction est une notion de pédopsychiatrie qui, apparemment, a été totalement absente des considérations des rédacteurs du guide, ce qui est très préoccupant. Parmi ceux-ci, aucun représentant des milieux scientifiques, pas de pédopsychiatres ni de psychologues spécialisés dans la matière. C’est quand même assez singulier et interpellant. Donc, on peut se demander si le choix des pouvoirs publics n’a pas été d’ordre idéologique en donnant une place aussi importante à des associations qui défendent certains points de vue dans le domaine de la sexualité. Mais que dit la loi ? Le législateur ne s’y est pas trompé, ce côté « effractant » est repris textuellement dans le code pénal. Il s’agit de l’article 417 qui, par bonheur, a été entièrement revu il y a un an et demi à peine par le ministre de la Justice, que l’on peut saluer ici au passage, qui a jugé opportun de remanier complètement le concept, notamment par rapport à la vague inquiétante des sextos et « nudes », qui consistent en la représentation de l’intimité de partenaires ou d’anciens partenaires et qui sont évidemment contraires à la notion générale de bonnes mœurs. Cette matière a été rigoureusement réglementée et deux principes ressortent de l’article 417. Le tout premier et le plus important est qu’il n’y a pas de majorité pénale en dessous de l’âge de 16 ans, ce qui veut dire que tout enfant jusqu’à l’âge de 16 ans est légalement incapable de donner son consentement dans les matières relatives à la sexualité. Or imposer un enseignement standardisé dans le domaine sexuel est en contradiction avec ce principe ! Les pédopsychiatres diront que c’est un abus au niveau du psychisme : un mineur est psychiquement incapable de donner un consentement valable, et c’est confirmé par le code pénal qui prononce des peines aggravées dès le moment où ces animations sont données en classe par des animateurs qui sont dans un rapport d’autorité avec les enfants. Je signale au passage que, jusqu’à présent, toutes les animations se sont faites en dehors de la présence du professeur ou de l’instituteur en charge des enfants, sous prétexte qu’il ne faut pas que les enfants soient influencés par leur enseignant ; il s’agit là d’une atteinte à l’intégrité sexuelle, second principe de l’article 417. On veut que les enfants soient isolés de tout contexte adulte et qu’ils puissent s’exprimer valablement (?) sur des sujets qui les dépassent[note]. Il y a déjà de nombreux témoignages rapportant que les enfants sont passablement traumatisés, perturbés. Des campagnes de plainte sont envisagées, notamment par une lettre-type[note] que les parents peuvent adresser à la Direction de l’école de leurs enfants pour demander que ceux-ci soient dispensés de ces animations. Apparemment, à en croire le discours officiel de la ministre, EVRAS sera obligatoire à partir de la rentrée 2023, avec la priorité mise sur les classes de sixième primaire et quatrième secondaire. Les documents officiels sont en train d’être votés au Parlement wallon. Ils ont fait l’objet d’un premier vote en commission restreinte par les partis membres de la majorité qui, en vertu de la discipline de parti, n’ont pu faire qu’une seule chose, voter en faveur de cette disposition. Mais théoriquement, tant que le Parlement ne l’a pas voté, le Décret n’est pas d’application. 

Et ce débat sera public ? 

Le débat devant le Parlement est public, par définition (c’est à huis clos seulement s’il y a des personnes en cause). Tout citoyen peut les suivre ou simplement être présent à l’entrée du Parlement pour sensibiliser les parlementaires à la problématique de ce projet de décret. Tant que le décret n’est pas voté, il est impossible, politiquement parlant, aux ministres, d’imposer le guide EVRAS en milieu scolaire. Pour conclure, plus que jamais il est important de déposer des recours, des plaintes, de ne pas se laisser faire. Une plainte déposée au commissariat de police locale peut aboutir à la police judiciaire qui sera certainement sensible à cette situation et la transmettra au Parquet. Et on peut espérer qu’au sein du Parquet, il y ait des magistrats qui réagissent. 

Propos recueillis en direct par Bernard Legros et Alexandre Penasse, août 2023. 

*Thierry Vanderlinden est juriste et a été avocat au Bar- reau de Bruxelles pendant 10 ans ; il a ensuite coordonné l’Opération de rénovation urbaine du Quartier Botanique à Bruxelles, et a dirigé pendant près de 15 ans l’équipe de l’Aide locative de Mons au sein du Fonds du logement wallon. Il pratique aussi professionnellement la ferronnerie d’art depuis 35 ans

Cassou

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École du masque : fermeture définitive

« La culpabilité est action, poussant le coupable à trouver une issue à sa mauvaise conscience, à tout faire pour se sentir mieux, quitte à se soumettre, à arrêter de se battre, à renoncer à sa liberté […] si on est occupé à se battre pour survivre à sa propre conscience, il ne devient plus possible de se tourner vers l’autre, de construire le monde. »[note]Elsa Godart

Ben quoi, le masque?! Ça vous tuerait de mettre un petit bout de tissu sur votre visage ? Par contre, ne pas le faire tuerait d’autres personnes ! » ; « Moi, je respire aussi bien avec un masque que sans ! » ; « Donner cours avec un masque n’a posé aucun problème, ni à moi ni à mes élèves ! ». Voilà le genre d’assertions entendues pendant ou depuis l’épisode covidien. À l’entame de celui-ci, Aurélien Barrau, astrophysicien engagé dans l’écologie, s’était lancé dans un plaidoyer à coloration plus morale que scientifique, en 14 points, pour le port du masque[note], une grosse déception venant de la part d’un esprit que l’on avait d’emblée considéré comme brillant et critique. Il ne fut bien sûr pas le seul dans le cas parmi les « people » ; Pierre Palmade avait aussi prononcé sa petite leçon d’hygiénisme masqué, avant de provoquer un accident mortel. Comme quoi… 

Alors que la liberté individuelle chérie par les « hommes économiques »[note] sous le néolibéralisme consistait jusque-là à rejeter tout ce qui pouvait apparaître comme une contrainte, subitement, quasi du jour au lendemain, par l’effet de la propagande, une écrasante majorité d’électeurs-consommateurs a accepté de bonne grâce de s’amputer le visage et de s’auto-asphyxier, à l’intérieur comme en plein air, « pour soulager le personnel des soins intensifs et sauver des vies ». Si la culpabilité ex ante était le sentiment dominant, émanait également de certains de ces muselés cet « orgueil d’obéir » que pointait Cioran. Lors d’une manifestation contre Ali Baba à Liège à l’automne 2020, tous les participants avaient la bouche et le nez couverts, à l’exception de trois personnes[note], aussitôt mal vues des autres. Combattre la tyrannie économique chinoise en reprenant sans sourciller un de ses codes du moment… étrange, n’est-il pas ? 

« Est-ce vraiment utile et nécessaire de revenir sur le masque en 2023 ? », nous dira-t-on aussi. Eh bien, oui ! Kaarle Joonas Parikka a lancé les amabilités dans Kairos n° 60, et son article « La banalité du masque » aurait pu faire partie de ce dossier. La presse fonctionne parfois à contretemps ! Le masque est, phénoménologiquement parlant, pour le moins devenu un des symboles de la société disciplinaire telle que l’avait décrite Michel Foucault. Mais probablement est-il bien plus que cela : un cheval de Troie parmi d’autres vers les étapes suivantes, la société de contrôle (Gilles Deleuze), et pire encore la société de contrainte telle que l’avait annoncée Pièces et Main d’œuvre il y a une dizaine d’années[note]. Pendant deux ans, il fut l’élément visible, quotidien, omniprésent de la guerre psychologique menée aux populations par la classe dominante et relayée par les médias serviles. Il fut le nouvel accessoire chic et choc du conformisme pour « une foule complexée qui cherche à plaire par la quête du consensus, coûte que coûte[note] ». En résumé, le masque sanitaire est un instrument de la biopolitique. Prophétisons un peu : il est presque certain que les autorités chercheront à nous le réimposer[note] dans un futur indéterminé, le premier galop d’essai ayant été très concluant. Mais alors ne nous y laissons plus prendre ! L’autonomie que nous revendiquons en tant qu’anti-productivistes a comme condition nécessaire, et non suffisante, de vivre sans masque-muselière, en sujets politiques libres et identifiables par leurs pairs, pas en zombies à maintenir en survie connectée. 

Nous reconnaissons à quiconque le droit de voir d’un bon œil l’État thérapeutique « qui a augmenté notre espérance de vie à travers les progrès de la médecine ». C’est aussi notre droit d’estimer que son extension sans fin, sous la forme du psychobiopouvoir – pouvoir totalitaire sur les esprits et les corps –, n’est pas une option anthropologiquement désirable ni socialement viable. Notre dossier ne se limite évidemment pas à la défense d’une liberté individuelle, mais prend la hauteur nécessaire pour resituer le masque dans un contexte large, à la fois scientifique (avec Louis Fouché et Carole Cassagne), politique (avec Philippe Godard), psychosocial (avec Kenny Cadinu), philosophique et spirituel (avec Martin Steffens). Soyons anti-masques, plus que jamais ! 

Dossier coordonné par Alexandre Penasse et Bernard Legros 

Addendum : à l’heure de mettre sous presse, le narratif covidien fait son retour dans les médias dominants. Nous les avions pourtant exhortés à faire leur examen de conscience et à rectifier le tir, en vain. 

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Kairos 60

Formés à dire oui

S’il fallait tirer un unique enseignement des trois années qui viennent de passer, ce serait celui de la spectaculaire soumission des masses. Cette période nous donne l’état des lieux de la pensée et de la façon dont les esprits furent manipulés pendant des décennies et donc prêts à obéir. Car il est évident qu’on n’ avale pas le discours médiatique et les solutions des multinationales sans avoir subi des attaques récurrentes qui ont altéré notre esprit critique et notre faculté à discerner le vrai du faux. 

Ce qu’on appelle communément la culture, dans le sens de l’état des connaissances d’un individu, ne fut nullement corrélé positivement avec le degré de désobéissance. Universitaires bac + 6, écrivains, philosophes, sociologues… récitèrent la grand messe, réduits à l’état de gramophone, comme aurait dit George Orwell. Les esprits qui semblaient les plus éclairés auparavant éructèrent en choeur, tenant des propos qui auraient parfaitement pu accompagner les pires régimes : « Je pense que la réponse à apporter aux personnes qui refusent les vaccins n’est pas de les y contraindre, mais plutôt d’insister pour qu’elles soient isolées. Si les gens décident qu’ils sont prêts à représenter un danger pour la communauté en refusant de se faire vacciner, ils devraient alors dire qu’ils ont aussi la décence de s’isoler. Je ne veux pas de vaccin, mais je n’ ai pas le droit de faire du mal aux autres. Cela devrait être une convention[note] », dixit Noam Chomsky, linguiste et critique célèbre de la société américaine, notamment des médias mainstream. Certains psychanalystes, brillants dans l’analyse des délires identitaires modernes, comme Charles Melman, ne firent pas mieux : « « Vous avez été frappé comme moi par le fait que, durant cette pandémie, il y en a qui manifestement, et comme si c’était un geste bravache, un geste de bravoure, de défi, témoignaient qu’ils n’entendaient pas choisir le parti de la vie, c’est-à-dire ce qui se résume banalement dans les gestes de protection et dans la vaccination, mais qu’ils choisissaient délibérément l’aspiration vers la mort. C’est quand même un phénomène surprenant de voir qu’aient pu se tenir, grâce aux réseaux sociaux, des réunions de milliers de personnes… pour venir provoquer des contaminations massives, venues ensuite encombrer les hôpitaux »[note]. 

Même les psychologues, nourris au biberon de théories psychosociales qui ouvrent la conscience sur les processus de manipulation de masse (comme Stanley Milgram, Solomon Ash), qu’on aurait pu penser les plus habiles à s’en protéger, se sont couchés face à ceux mis en place par les gouvernements. Ils ont même fait plus que de se soumettre, en participant activement et conseillant les gouvernements pour mieux manipuler les foules: « Le suivi des mesures nécessite un effort particulier de la population. Les mesures constituent une rupture dans notre mode de vie actuel et nous devons les observer pendant longtemps. Bien que le suivi des mesures ait d’ abord semblé être un problème temporaire, il devient maintenant clair que nous entrons dans une phase de changement de comportement permanent. Le nouveau comportement va devenir un comportement habituel. Le changement de comportement doit donc conduire à un comportement habituel. Le comportement d’habituation découle principalement de la planification et des répétitions fréquentes, il est donc envoyé dans le cerveau différemment du comportement dirigé consciemment : il n’ est plus rendu conscient pour atteindre un objectif et il est en grande partie automatique ou sans réflexion. Différents piliers sont importants pour faciliter cette formation d’habitudes »[note]. 

Peut-on penser qu’ il s’agit là seulement d’une erreur ? Que la peur de la mort, car c’est toujours de celle-là qu’il s’agit en dernière instance a inhibé toute rationalité ? Ce serait réducteur de se limiter à cette explication. Déjà dans les années 1960, Stanley Milgram se demandait, suite à ses expérimentations sur la soumission à l’autorité[note] : « Quels mécanismes de la personnalité permettent à quelqu’un de transférer la responsabilité sur l’autorité ? Quels motifs trouve-t-on derrière les comportements d’obéissance et de désobéissance ? La tendance à pencher du côté de l’autorité provoque-t-elle un court-circuit du système honte-culpabilité ? Quelles défenses cognitives et émotionnelles entrent en jeu chez les sujets obéissants et rebelles ? »[note]. Même si le contexte empirique de Milgram fut différent de l’expérimentation Covid-19 à grande échelle, les questions que se posait le psychologue au terme de ses recherches sont tout à fait pertinentes pour interroger la situation actuelle. 

Qu’est-ce qui fait qu’on obéit, ou pas ? Une première variable qui semble essentielle se situe dans le niveau de crédibilité que le sujet accorde aux institutions et aux gouvernements. Certains avalent littéralement et régurgitent en actes ce que leur crachent les officines officielles via leurs porte-parole, j’ai nommé les médias de masse : « Une part importante de la population fait ce qu’on lui dit de faire, quelle que soit la nature de l’action et sans que sa conscience y oppose des limites, tant qu’elle a le sentiment que l’ordre émane d’une autorité légitime. Si, dans cette étude, un expérimentateur anonyme a pu avec succès ordonner à des adultes de soumettre par la contrainte un homme d’une cinquantaine d’années et de l’électrocuter de force malgré ses protestations… on ne peut qu’imaginer ce qu’un gouvernement, avec une autorité et un prestige bien supérieurs, pourrait obtenir de ses sujets[note] ». En 2023, on fait plus qu’imaginer… 

Ainsi, ce sont les sujets qui acceptent de se confiner, de se masquer, de présenter ou contrôler le « Covid Safe Ticket », de se faire piquer, créant par la mise en commun de leurs actes individuels l’effet collectif. Et c’est en usant nos culottes sur les bancs d’école que nous avons été formés à dire oui. Les institutions officielles sont programmées à refuser leur remise en question par les individus qu’elles instruisent, alors qu’elles devraient l’être pour – ce qui dans un premier temps peut sembler paradoxal – exercer les gens à la critique de ceux qui les ont formés, donc de ces institutions mêmes. Mais « quelle institution réclamerait de ses employés qu’ils érigent leur conscience en une instance critique, à tout instant susceptible de discuter, de contester, voire de refuser ce qu’elle exige d’eux ? Un tel droit de critique, de contrôle, voire de désobéissance est au cœur de l’idée démocratique d’une société juste et décente[note] ». La figure de « l’ adulte » (enseignant, policier, patron…) qu’on n’interrompt pas, qu’on ne contredit pas, qui a toujours raison, qui brime et humilie, fige le rapport dans un déséquilibre, une disharmonie constante qui marquera l’ensemble des rapports ultérieurs du sujet à l’ Autre. Le système autoritaire, au fil des années et depuis la naissance, aura été introjecté dans la conscience, devenant un élément intangible, « naturel », comme s’il avait toujours été là, déterminant tous les actes : « La décision d’administrer les chocs à l’élève ne dépend ni des volontés exprimées par celui-ci ni des impulsions bienveillantes ou hostiles du sujet, mais du degré d’engagement que ce dernier estime avoir contracté en s’insérant dans le système d’autorité[note] ». 

Illustration : Philippe Debongnie

Le système est inscrit en eux, le refuser, dire non, c’est mettre à plat toute cette introjection d’une vie ; c’est reconnaître toutes ces occasions où ils ont dit oui alors qu’ils auraient dû/ pu désobéir. Le faire maintenant alors qu’ils ne l’ont jamais fait, c’est donc aussi mettre en lumière leur servitude pérenne, cette obéissance qui les a toujours guidés et permis d’être là où ils en sont[note]. 

On est donc, avec ces obéissants, en présence d’une armée de serviteurs dont La Boétie nous avait déjà prévenus qu’il aurait suffi qu’ils arrêtent de servir pour que les maîtres soient détrônés : « Pour ce coup, je ne voudrais sinon entendre comme il se peut faire que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’ a puissance que celle qu’ils lui donnent ; qui n’ a pouvoir de leur nuire, sinon qu’ils ont pouvoir de l’endurer ; qui ne saurait leur faire mal aucun, sinon lorsqu’ils aiment mieux le souffrir que lui contredire »[note] (…) « Ce sont donc les peuples mêmes qui se laissent ou plutôt se font gourmander, puisqu’en cessant de servir ils en seraient quittes ; c’est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix ou d’être serf ou d’être libre, quitte la franchise et prend le joug, qui consent à son mal, ou plutôt le pourchasse »[note]. 

Mais pourquoi faire « compliqué » quand on peut faire « simple » : « Obéir est le choix le plus simple, le moins « coûteux », celui qui, paradoxalement, répond au besoin psychique de protection de soi, quoiqu’il se paye au prix d’un renoncement à sa propre identité »[note]. Pour un confort personnel et provisoire, la personne perd sa liberté, son libre arbitre, son humanité. Si le conformisme explique aussi la soumission, la faculté de remettre en question les ordres est sans aucun doute corrélée avec le niveau d’adaptation du sujet au système, la manière dont il tire profit de l’ordre existant, et à quel point la désacralisation de l’autorité impliquerait pour lui une remise en question globale de ce qu’il est[note]. Le cadre supérieur, bien payé, intégré parfaitement à l’ordre existant, a moins de probabilité de le mettre en doute que celui qui en est déjà exclu[note]. Milgram l’avait bien compris, quand il cite un passage de l’article de Harold J. Laski, « Les dangers de l’obéissance : « La condition de la liberté passe, partout et toujours, par un scepticisme constant et généralisé à l’encontre des règles que le pouvoir veut imposer »[note]. Or, dans un jeu pervers par excellence, le pouvoir a fait croire au sujet qu’il allait devenir libre en obéissant. 

Une fois « la guerre » passée, ceux qui avaient répondu aux injonctions gouvernementales admettront rarement que quand les fusils étaient en joue, ils laissaient les coups partir ou, même, tiraient avec. Ainsi, en temps d’accalmie, tous deviennent « résistants ». « À beau mentir qui vient de loin », dans le temps ou dans l’espace.… Il est en effet facile de se dire résistant en période de paix, plus compliqué quand la gestapo sonne à la porte. Certains voient comme un signe positif, en période d’accalmie covidienne, stratégie du pouvoir, le fait que nombreux déclarent aujourd’hui qu’ils ne se feront plus piquer. C’est oublier qu’un contexte coercitif revenu pourrait chasser les velléités libertaires de certains : « L’histoire prouve combien il est rare que les hommes soient à la hauteur de l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes la façon dont ils pensaient qu’ils agiraient étant souvent démentie par leur conduite effective[note] ». Mais aussi oublier cette curieuse dissociation entre les mots et les gestes dont parlait Milgram : « Malgré les protestations véhémentes et répétées qui accompagnèrent chacune de ses actions, le sujet obéit infailliblement à l’expérimentateur et alluma tous les interrupteurs du générateur jusqu’au plus élevé. Il fit preuve d’une curieuse dissociation entre ses paroles et ses actes. Bien qu’il ait décidé au niveau verbal de ne pas continuer l’expérience, ses actions demeurèrent parfaitement en accord avec les ordres de l’expérimentateur. Ce sujet ne voulait pas électrocuter la victime et cette tâche lui fut extrêmement pénible, mais il fut incapable d’inventer une réponse qui l’aurait libéré de l’autorité de l’expérimentateur. De nombreux sujets n’arrivent pas à trouver la formule verbale qui leur permettrait de rejeter le rôle qui leur est assigné par l’expérimentateur. Peut-être notre culture n’offre-t-elle pas de modèles adéquats pour la désobéissance »[note]. 

Certainement… nous sommes pris dans un moule qui, depuis l’enfance, nous force à obéir. Mais à côté de ceux qui avalisent sans aucun filtre, une minorité doute, désobéit, permettant de casser le spectacle ; refuse de dire « oui » juste parce que l’ordre émane du gouvernement, du chef, du patron, de la science. C’est d’elle qu’on peut espérer le changement véritable. 

Alexandre Penasse 

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