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Retour sur l’affaire Dutroux : maître Xavier Magnée témoigne

Kairos : Ce qu’on a appelé l’affaire Dutroux n’a pas seulement défrayé la chronique, elle a surtout littéralement bouleversé la Belgique des années 1990. Vingt ans après le procès d’Arlon, le couvercle qu’on avait essayé de refermer sur cette affaire est en train de sauter, avec notamment le livre d’Aimé Bille Dutroux, l’enquête assassinée. Maître Xavier Magnée, si l’affaire Dutroux est une défense qui vous reste en mémoire précisément, ce n’est pas pour rien. Le 13 octobre 2003, vous recevez un courrier très particulier. Vous ne vous y attendiez pas ?

Xavier Magnée : Non. C’était une lettre d’un certain Marc Dutroux, bien connu, qui cherchait un avocat. Il s’était adressé à un ami à moi, maître Jacques Vergès, qui était pris par une autre affaire et l’avait renvoyé vers moi. J’ai accepté de le défendre, considérant que tout le monde a le droit d’être représenté en justice pour la défense, qui n’est pas nécessairement la justification.

Oui, on confond souvent les deux choses. Est-ce que vous vous rendez compte, à l’époque en acceptant ce dossier, dans quoi vous mettez les pieds, ou découvrez-vous par après l’énormité de ce que ça représente ?

Peut-être pas l’énormité, mais j’avais le sentiment d’accepter la « défense » d’un homme quasi indéfendable sur le plan moral, car ce qui avait été commis était impardonnable.

Dans votre livre Marc Dutroux, un pervers isolé ?, écrit en 2004 pendant le procès, vous soulevez la question de la vérité judiciaire…

Je parle de cela en 2004, l’année même où le procès se termine d’une façon insuffisante et décevante. J’avais écrit qu’il y avait un réseau, et que la vérité avait été étouffée. C’est ce qui sort aujourd’hui.

Donc, pour vous, la vérité judiciaire qui résultera du procès d’Arlon n’était pas conforme à la vérité. En cherchant celle-ci, ne défendez-vous pas autant, d’une certaine manière, les familles des victimes, autant que votre client ?

J’étais bien considéré par les parents des victimes, qui comprenaient mon combat pour la vérité. Ce combat a été étouffé dans l’œuf malgré mes avertissements au jury, lui disant que s’il faisait confiance à la solution que la justice lui proposait, on n’arriverait plus jamais à rien. Et la solution, c’était de confier le restant de l’enquête à un dossier « bis ». Ce dossier bis, ai-je averti, serait classé sans suite très rapidement, ce qui fut le cas 4 mois plus tard, par la cour d’appel de Liège. Et l’affaire est classée pour toujours, sauf si maintenant, grâce à l’initiative de différents policiers brimés, une commission d’enquête parlementaire s’empare de ce silence inadmissible.

Le dossier comporte 450.000 pages. L’avez-vous parcouru entièrement ?

Oui, j’ai tout commandé et tout obtenu. J’ai aussi obtenu que le dossier se trouve sur ordinateur et que Dutroux puisse le consulter en prison.

Est-ce que vous vous souvenez de votre première rencontre avec Marc Dutroux ?

Oui, à la prison d’Arlon. Au moment où on m’annonce « Monsieur Dutroux », je vois arriver une pile de dossiers dans les bras d’un homme dont je ne vois pas le visage, seulement les jambes, et c’est la pile de dossiers qui se pose sur la table. Puis derrière apparaît Dutroux qui me demande « Avez-vous fait bon voyage ? », parce que je venais de Bruxelles en train pour le voir. C’est comme ça que tout a commencé. Dutroux lui-même gardait un certain silence. Il ne tenait qu’à lui de donner les noms de ses commanditaires, mais il ne s’est pas prononcé. C’est récemment qu’il a pris contact avec certains de vos confrères pour déclarer qu’il y avait effectivement un réseau et qu’il en était simplement « l’ouvrier ».

Votre livre, écrit en 2004, soulève plus de questions qu’il n’apporte des réponses. Page 154 : « Pourquoi n’a‑t-on réalité rien expliqué sur l’enlèvement de Julie et Mélissa ? Qui les a enlevées? Comment ? Pour qui ? Pourquoi ? Qui les a violées ? Qui les a assassinées ? Quand sont-elles décédées ? Selon beaucoup d’observateurs, on aurait clôturé l’instruction sans que la justice ait apporté une réponse sérieuse à ces questions. Une soudaine hâte, alors que l’analyse de cheveux prélevés cinq ans plus tôt commençait à donner des résultats. Pourquoi la reconstitution de l’enlèvement à Grâce-Hollogne n’a‑t-elle eu lieu qu’en juin 2000 ? 4 ans après l’arrestation de ceux qu’on a présentés à la cour d’assises d’Arlon comme les auteurs uniques isolés, pourquoi a‑t-il fallu 5 ans pour qu’on commence enfin l’analyse des micros-traces relevées dans la maison de Marc Dutroux, essentiellement dans la cave ? Pourquoi a‑t-on, en novembre 2004, annulé leur analyse ? Pourquoi les parties civiles ont-elles été tenues dans l’ignorance d’une liste de devoirs que le procureur Michel Bourlet réclamait à la Chambre des mises en accusation de Liège ? » Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?

Ce sont des questions que j’avais posées lors de l’audience. J’avertis le jury qu’il sera pris dans ce drame mental s’il s’abstient de juger Dutroux et qu’on le renvoie ; alors les parents des victimes vont considérer cela comme un échec, car ils avaient besoin d’une condamnation. Je peux le comprendre, tout comme je peux comprendre que le jury ait craqué de ce côté-là, parce que dans le cas contraire, le grand public le lui aurait sans doute reproché. On cherchait plus à punir ce coupable évident qu’à chercher un réseau, ce qui aurait déclenché une grave crise politique.

On peut dire que Dutroux était un coupable idéal. On touche aussi à une réalité sociale, celle du milieu de Charleroi. Vous dites qu’il faut « situer ces faits incroyables dans leur cadre. L’enquête elle-même a ressemblé aux crimes dont elle se mêlait. Il est à Charleroi un milieu de gens bien, dignes, travailleurs, courageux, pauvres ou riches, mais dignes de respect. Ils ne sont pas en cause. Ici nous sommes en plein délire. Dans un monde de paumés, de combinards, de trafiquants, de malfaiteurs, milieux auxquels se mêlent les policiers, les enquêteurs de tout bord, police communale, police judiciaire, gendarmerie, même certains magistrats. Le tout dans une implication générale qu’excusent les principes policiers de l’infiltration, mais en définitive, du milieu et des forces de l’ordre, qui infiltre qui ? Et comment un enquêteur peut-il mériter les tuyaux qu’on lui passe autrement qu’en fermant les yeux de temps à autre ? Et comment le marlou se fait-il oublier sans peut-être accorder des conditions exceptionnelles à l’achat d’une voiture ou rendre des grands services en révélant quelques honteux secrets d’un puissant ». On est aussi dans un milieu pauvre et interlope, un milieu mafieux où la police et les voyous se confondent parfois. On ne cherche pas à excuser Dutroux, mais constatons qu’il est issu de ce milieu?

Il est issu d’un milieu qui fait que son activité, si horrible soit elle, rentre parfaitement dans le cadre des combines, choses que j’ai dénoncées dans mes plaidoiries. J’ai d’ailleurs eu le bonheur de lire les critiques des journalistes. Par exemple, Jean-Claude Matgen, votre confrère de La Libre Belgique : « Même si la gendarmerie méritait les boulets rouges que maître Magnée a tirés sur elle, même s’il était de bon droit d’évoquer les ombres qui traversent encore la salle d’audience, le baroud d’honneur du Cyrano de Bergerac bruxellois n’a pas convaincu tout le monde, et c’est un euphémisme ». Mais dans Le Soir, Jean-Pierre Borloo dit : « Soit l’instruction a simplement renoncé à certaines pistes, soit encore l’instruction a été victime de négligences, de manquements, de carences, de lourdeurs de l’appareil. Qui sait ? Quoi qu’il en soit, les jurés doivent être plus amplement informés sur ce sujet ».

C’est très important, parce qu’il dit que vous ne demandez pas de circonstances atténuantes pour Dutroux. Vous voulez juste qu’on creuse…

Tout savoir sur tout le monde !

Il faut parler du dispositif POSA — peloton d’observation, de surveillance et d’arrestation — qui est mis en place devant la maison de Dutroux, où sont supposément enfermées Julie et Mélissa. Pendant des mois, c’est le dispositif qu’on appellera l’opération Othello, à l’insu des juges d’instruction et du parquet. Ça consistait en quoi ?

Observer qui entrait et qui sortait, entre juillet 1995 et août 1996. Sachons aussi que quand on a perquisitionné, sans retrouver les filles, on a saisi sur place plus de 80 cassettes pornographiques, qui n’ont jamais été montrées au procès. Certaines ont été visionnées sur place, on voyait des scènes de viols. Elles n’ont pas été saisies, et certaines ont été rendues à Marc Dutroux quand il est sorti en 1996 de ses trois mois de détention. Sur ces cassettes, il y a les violés et bien sûr les violeurs. On ne saura jamais qui c’était. C’est ce que René Michaux, le gendarme, appelle une perquisition négative.

On se demande même parfois si tout n’a pas été fait pour que ça rate. Comme quand Michaux va dans la cave avec le serrurier…

Le serrurier va déclarer avoir entendu clairement des petites voix, des chuchotis. À ce moment-là, Michaux crie « Taisez vous ! », et les voix se taisent, évidemment. Il en conclura qu’il n’y a personne et que ce sont des enfants qui jouent dans la rue un matin en semaine. Alors qu’on n’est pas en vacances !

Qu’est-ce que vous en pensez ?

Que Michaux avait pour mission de ne pas trouver les filles, parce que certains savaient bien qu’elles s’y trouvaient. Ayant commencé le jour de l’enlèvement de Julie et Mélissa en juillet 1995 et achevée en août 1996, l’opération Othello sans doute pouvait démontrer que les petites s’y trouvaient, sans compter qu’elle pouvait aussi dire qui fréquentait la maison, qui violait les petites, qui étaient les clients de Dutroux… Certains témoins disent aussi avoir vu une petite fille devant une boîte à partouzes qui se trouvait à proximité et qu’elle y serait rentrée. Une autre dame avait vu une petite, les lèvres tremblantes, sur le pas de la porte, que Michèle Martin est venue rechercher pour lui dire assez fermement de rentrer dans la maison. Donc on se demande à quoi sert cette opération. Il y a des petites filles qui sortent, qui rentrent, mais on ne les délivre pas, au contraire on continue à filmer la maison pour savoir qui la fréquente. La gendarmerie détenait le dossier Othello, qui n’a jamais été produit. Existe-t-il toujours ? Il a sans doute été détruit.

Donc votre thèse est que tout a été fait pour qu’on voie Dutroux comme un pervers isolé, alors que même des experts américains des tueurs en série ont dit qu’il ne correspond pas du tout au profil du psychopathe isolé. Il était plutôt l’exécutant d’un réseau.

Étant un modeste travailleur, il était pourtant propriétaire de quatre maisons. Voulez-vous me dire comment il les a payées ?

On voit aussi qu’à chaque enlèvement, il y a des transferts d’argent sur le compte de Dutroux. Aimé Bille s’en rend compte avec une note de l’inspecteur des impôts où il est dit que justement toutes les possessions relèvent de l’achat de bâtiments. Et de nouveau, quand Bille prévient, on le bloque.

Je n’ai pas été très informé du blocage dont Bille a été victime. À l’époque, je savais qu’il était très déçu, mais pas beaucoup plus. Pour ma thèse du pervers non isolé, je me suis senti très seul à cette audience. On disait qu’il y avait les croyants et les incroyants, les croyants étant ceux qui inventaient toutes sortes de circonstances pour compliquer l’affaire. Or, je ne voulais pas la compliquer, je voulais au contraire l’éclaircir. Mais je n’ai pas été suivi, puisque Dutroux a été condamné au maximum de la peine. Peut-être va-t-il faire des révélations, je n’en sais rien, je n’ai aucune opinion à propos de sa stratégie actuelle.

En 2004, dans un état des lieux, vous écrivez : « On trouve clairement dans le dossier la preuve matérielle péremptoire que d’autres personnes que les accusés ici présents ont fréquenté la cache de la rue de Philippeville en même temps que la victime. On y a découvert en faisant soigneusement des prélèvements, les 15 et 16 août 1996, des taches biologiques humaines en mélange ou superposition avec les traces biologiques des petites victimes. Il s’agit bien de deux ou trois inconnus au moins. Sachant à l’ouverture du procès que Marc Dutroux est en toute hypothèse maintenu en détention préventive et qu’il peut s’attendre aux travaux forcés à perpétuité, voulez-vous nous dire quelle était brusquement l’urgence, au bout de 7 ans, de le juger seul ou quasi seul, de se contenter d’évidences ? »

Le procès d’assises à Arlon, c’était les évidences, et rien d’autre. Et laisser planer un doute sur mon attitude, parce que moi, l’avocat d’un monstre, comment pouvais-je encore donner des leçons à la police ?

… Alors que la recherche de la vérité est dans le principe du droit, comme le droit de tout justiciable à la défense.

Dans La dernière heure, Christian Hubert, après ma plaidoirie, a écrit : « En démontrant la médiocrité de l’instruction, en mettant le doigt sur ses immenses lacunes, il a porté l’estocade finale. Peut-on, dans ces conditions déplorables, juger Dutroux ? Il ne demande pas de circonstances atténuantes pour son client, il suggère simplement qu’il ne puisse pas être jugé sans un supplément d’enquête. Cela, il fallait oser y penser. Et par là, par contre, il ne risque pas de rencontrer l’assentiment du procureur ».

Aux Assises d’Arlon, en juin 2004, les avocats de Dutroux ont plaidé qu’il était difficile, sinon impossible, de le juger dans des conditions pareilles, en ignorant les complices, les protections, les filières. Pourrait-on dire en fin de compte que ce procès était une manière d’enterrer l’affaire ?

Non, ce n’était pas une manière d’en finir, c’était une manière de commencer la vérité ! D’en finir avec ce procédé d’occultation. Le jury a eu un courage extraordinaire, alors que le magistrat de presse l’a publiquement menacé de poursuites pénales au cas où il suivrait mon avis, car il commettrait une infraction, ce qui est faux ! J’ai dit que ce fait était sans précédent et constituait une atteinte à la liberté du jury et une violation du procès équitable. J’ai ajouté que la régularité du procès était menacée dans ces conditions. Un magistrat ne peut pas délibérément poursuivre dans cette voie sans se rendre coupable de forfaiture.

Incroyable ! L’avocat général qui menace le jury de poursuites pénales s’il ne juge pas l’inculpé !

C’est une menace mal fondée, car le jury est parfaitement apte à déclarer que l’affaire n’est pas en état et demander par conséquent que l’instruction se poursuive. D’ailleurs en plaidoirie, j’ai réclamé plus de 80 devoirs complémentaires, cités à l’audience et refusés par le juge.

Pourrait-on penser qu’un juge soit corrompu, ou est-ce de la bêtise ?

On peut penser qu’un juge obéit au désir de sauvegarder la sécurité et la paix du pays.

Et le juge Jean-Marc Connerotte ?

Il était libre et courageux. Il a été viré au prétexte d’avoir participé à un dîner spaghetti organisé par les parents des victimes, alors qu’il avait l’accord du procureur du roi Michel Bourlet. Par contre, Hubert Massa, qui était l’avocat général de Liège qui a mené cette instruction incomplète, s’est suicidé, et personne ne sait pourquoi.

Énormément de gens ont souffert dans cette affaire, évidemment. On pense d’abord aux petites filles dont le calvaire fut innommable, mais aussi à ceux qui ont dû se taire. Venons-en à la juge d’instruction Martine Doutrèwe, qui est tenue totalement dans l’ignorance de ce que fait la gendarmerie de Charleroi dans l’opération Othello, ainsi que le parquet ! Bourlet se demandait si les graves lacunes de l’enquête ne s’expliquaient pas par une protection policière et judiciaire dont bénéficiait Dutroux…

Bourlet disait qu’il chercherait la vérité, « pour peu qu’on le laisse faire ». Il a été en quelque sorte pris en otage au procès d’assises et il était chargé de faire croire aux jurés que le dossier bis apporterait des réponses.

Donc il y a plein d’incohérences, c’est un euphémisme ! Rappelons-nous de Pirot, patron d’une boîte échangiste, qui est assassiné alors qu’il allait faire des révélations. Son club était probablement fréquenté par Nihoul, Dutroux, Martin et Lelièvre. Parlons de Michel Nihoul…

Il a été acquitté d’être la cheville ouvrière entre le commerce des petites filles et le milieu. Il n’était considéré ni auteur, ni complice.

Le jury a‑t-il été mis sous pression et influence ?

Je ne crois pas, car il s’agissait d’être prudent. Dans un tel cas, il aurait suffi qu’un seul d’entre eux parle pour que ça explose. On l’a laissé Dutroux être puni.

Quelle est votre intime conviction à propos des réseaux ?

C’est qu’il y en a ! Dutroux n’a pas gagné l’argent pour s’acheter quatre maisons sans avoir des clients pour les petites.

Y aurait-il aussi des orgies et des rituels sataniques avec des enfants ?

Les témoins X ont parlé d’un réseau sataniste, mais ces informations ont été rangées dans le dossier bis. À mon avis, on n’en entend plus parler.

Une de ces témoins, Regina Louf, n’a pas été interviewée au procès d’Arlon, on a refusé de la recevoir en la qualifiant de demeurée, contrairement aux dires d’un psychiatre réputé indiquant qu’elle disposait de toutes ses facultés mentales. Encore des lacunes. Les Belges croyaient à la thèse des réseaux. À l’époque, la marmite risquait d’exploser, avec la conjonction d’une solidarité nationale, qui atteint son acmé avec le dessaisissement du juge Connerotte. Avec plus de 300.000 personnes à la marche blanche, ça aurait pu basculer. Pensez-vous qu’on a raté quelque chose ?

Je crois que les vérités qu’on soupçonne sont à ce point terribles que des responsables politiques ont pu avoir peur pour la survie de l’État belge. La personnalité de gens soupçonnés était à ce point impressionnante qu’il y avait un grand danger d’explosion populaire. Cette raison d’État aura sans doute inspiré les responsables de la cour d’appel de Liège de classer sans suite ce dossier bis.

J’ai demandé à me constituer partie civile dans le dossier bis et ça m’a été refusé, tout comme l’accès au dossier. Ce que j’expliquais et dénonçais en 2004 vaut toujours en 2024.

Votre livre a fait l’objet d’une omerta ?

Je le crois. Le titre, Marc Dutroux, un pervers isolé ?, est parlant. 

Qu’est-ce que Dutroux vous a dit à propos des réseaux ? Et est-ce qu’il vous a donné des noms ?

Rien n’est jamais sorti, en une centaine d’heures d’entretien. Il était muet comme une carpe, à ce sujet en tout cas.

Pourquoi ?

Pour être conforme à lui-même. Sa logique, c’est qu’il était un prédateur isolé et un déficient mental, un déséquilibré. Il ne le disait pas franchement, mais le laissait entendre.

Aviez-vous l’impression d’être en face d’un déséquilibré ?

Moi, je le trouvais très rationnel, comme il le fut à l’audience, sauf qu’il était particulièrement désinvolte et apparemment désintéressé par ce qui se passait. Il ne m’a jamais soutenu qu’il fut condamné injustement. Aujourd’hui, il joue à « libérez-moi ou je dis tout ! ».

Pourrait-il être libéré un jour ?

Je n’ai pas à faire ce genre de pari.

Pour évoquer à nouveau les perquisitions qui ont eu lieu, « cette information de Michaux par rapport aux voix était-elle sincère ? Les voix n’ont-elles pas été inventées ? L’incompétence de René Michaux est une hypothèse trop courte, bien qu’elle soit de nature à sauver l’honneur, parce qu’on a toujours dit que c’était un incompétent ». Il était facile de faire sauter un lampiste…

Voilà ! Je maintiens cette appréciation. L’échec de Michaux à ces deux perquisitions est injustifiable et inexplicable, sauf si on découvre qu’il était stratégique de ne pas trouver les filles.

La Belgique est en ébullition, on met en place une commission parlementaire. Était-ce pour calmer la population, ou est-ce que véritablement on lui donne des pouvoirs pour aller plus loin ?

La commission a dénoncé des incompétences, des irrégularités, des imprudences, des manques, mais pas de mauvaise foi ou de complot coupable. Elle a été très sévère à l’égard d’une gendarmerie décrite comme de bonne volonté, mais maladroite. Elle a simplement fait part de sa perplexité. J’ai demandé à la cour d’assises de faire témoigner Marc Verwilghen, le président de la commission, mais cela m’a été refusé. Le procureur général s’y est opposé et la cour a suivi.

La commission a quand même dit que trop de dysfonctionnements, d’occasions manquées et d’erreurs avaient été constatés pour qu’il puisse s’agir d’un malheureux concours de circonstances. Donc, à demi-mot…

… la voie était ouverte pour l’explication d’une fraude, quelque part. Ou d’un complot stratégique, mais pas en termes formels. Mais rendez-vous compte que la cour d’assises a refusé au président de la commission parlementaire de témoigner !?

Des témoignages arrivés plus tard confortent la thèse d’un prédateur isolé…

Oui. A‑t-on voulu sauver l’État ? Je ne sais pas. Je m’empresse de dire que je ne sais pas qui sont les sommités qui auraient été mises à l’abri.

Il manque quatre cheveux d’inconnues et deux copies de cassettes vidéo, saisies au moment des perquisitions…

Sur ces cassettes porno, on aurait certainement vu les pauvres victimes, mais aussi les auteurs.

Et pendant ce temps-là, on enquête sur les enquêteurs, comme avec Aimé Bille, des policiers enquêtent sur des policiers qui font bien leur travail.

Oui, sous prétexte que ce seraient des meneurs de désordre, ce qui ne serait pas souhaitable.

Pensez-vous que si l’affaire Dutroux avait lieu aujourd’hui, cela se passerait de la même façon ? Ou bien qu’est-ce qui a changé ?

On en connaît peu de ce style. Ça dépend de ce qu’on cache. Parce que l’ampleur des manœuvres pour cacher le fond est telle qu’on peut se dire que ce qu’on cache est important. Et ce qui est extraordinaire aujourd’hui, c’est que Dutroux lui-même dit « encore un mot et je dis tout ! ».

Le père d’An a dit qu’il y a des personnes haut placées qu’on cherche à protéger…

Peut-être. J’ajoute que Dutroux ne m’a jamais encouragé à, ni empêché de plaider ce que je plaidais, comme si mes menaces d’un côté et son silence de l’autre constituaient une balance utilisable.

Comme si vous disiez ce que lui ne pouvait pas dire. À côté de ça, tous les autres vous discréditaient, uniquement parce que vous étiez l’avocat d’un monstre. Vos paroles n’avaient pas vraiment d’importance…

J’ai été très mal vu par la bonne société parce que je défendais un individu méprisable dont la cause ne méritait pas d’être défendue.

Encore une piste qui n’a pas été creusée, c’est celle de la secte Abrasax, puisqu’en allant perquisitionner chez Bernard Weinstein, un complice de Dutroux, on découvre une note assez curieuse où on parle de « cadeaux pour Anubis » ; on ne sait pas si c’est une fausse piste, ou pas.

C’est une question de tempérament personnel, mais moi les sectes sataniques ne m’intéressent pas beaucoup. Je ne vois pas de grands personnages tremper dans des diableries de ce style, avec la protection de la gendarmerie.

C’est pourtant défendu par certains. Ce qui s’est passé à la Champignonnière à Bruxelles avec cette jeune fille sacrifiée fait quand même penser à des rituels sataniques…

C’est la piste des témoins X, qui ouvre un horizon immense auquel je ne connais rien. J’ai lu comme vous tout ce qui a été publié sur cette affaire Dutroux et sur des pistes parallèles. Moi, je me suis attaché au contenu de mon dossier et du procès. Je ne pars pas sur des pistes que je ne connais pas.

Il y a pas mal d’ironie dans votre livre, d’insinuations, de nondits. Qu’est-ce que vous ressentez aujourd’hui et quelle a été l’importance de ce dossier dans votre vie privée et professionnelle ?

Je crois que l’ironie est un trait de caractère qui ressort. Mais il faut d’abord penser juste. Je ne suis pas d’humeur à plaisanter et je veux bien qu’on y trouve de l’ironie, si c’est de l’ironie dans le jugement, et que ce jugement témoigne de l’objectivité et du réalisme.

Avez-vous souffert pendant ce procès ? Et après ?

Oui, ma vie familiale a explosé. Toute ma vie a été changée aussi. Je n’ai pas conservé beaucoup d’amis. Et je n’ai sans doute pas amélioré ma position en laissant entendre que Dutroux n’était pas tout seul. Tant pis, car ce qui compte, c’est la vérité. Je suis assez heureux que, 20 ans plus tard, plusieurs auteurs me rejoignent sans me citer.

Comme disait Gino Russo, « j’en veux moins à Marc Dutroux qu’à ceux qui n’ont pas cherché ».

Pour un père qui a perdu sa fille dans ces circonstances, c’est un jugement d’une rare objectivité, parce qu’il ne s’attarde pas au réel et au visible immédiat, il va chercher plus loin. Il est objectif.

Après 20 ans, plein de questions restent en suspens…

Oui, et je les avais annoncées.

On peut dire que ceux qui maintenant se réveillent peuvent vous rendre hommage. Votre livre est horrible, mais passionnant. On préférerait que ce soit un roman policier, mais la vérité dépasse la fiction. Avez-vous subi des menaces ?

Non, aucune, autrement je l’aurais dit, moins pour être protégé que par souci de la vérité. Le métier d’avocat est fondamental, il faut le vivre au service de la vérité, quoi que l’on risque personnellement. Mais comme je n’étais qu’un rouage dans un système, que la plupart de ce que j’ai demandé n’a pas été obtenu, j’ai le sentiment de n’avoir servi à rien. Pourtant, à refaire, je me comporterais de la même manière.

Propos recueillis par Alexandre Penasse en juin 2024, retranscrits par Bernard Legros.

Noir & Clair

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Brèves

À BAS TOUS LES PATRONS DE LA BIG TECH ! 

Ce n’est pas nous qui ferons dans ces « nuances », contrairement aux médias qui tirent à boulets rouges sur l’un d’entre eux, Elon Musk, parce qu’il soutient ouvertement Donald Trump. Et Zuckerberg le censeur ? Gates le vaccinateur ? Schmidt le numériseur du monde ? Bezos le distributeur universel de marchandises ? Pas (trop) de soucis avec eux pour les médias de grands chemins. Censurer, vacciner, numériser, faire consommer ? Mais bien sûr !

B. L.

OMBRES ET LUMIÈRES AUX USA

Concernant le pouvoir et l’administration des USA, il est particulièrement rare qu’on puisse signaler un fait positif. Ces derniers mois, une série de diplomates étatsuniens ont démissionné pour protester contre la politique meurtrière et hypocrite de Joe Biden en Palestine (Le Soir, 24/06/2024), celui-ci, tout en faisant mine de critiquer le pouvoir israélien, poursuivant en parallèle l’armement massif de ce même pouvoir, pourtant au paroxysme des massacres commis à Gaza. D’un côté, cette information fait apparaître spécialement à quel point les présidents étatsuniens, même plébiscités par nos médias classiques, sont le plus souvent des criminels (et la criminalité de Biden date d’avant sa présidence : soutien à l’invasion de l’Irak, à la déstabilisation de la Libye, à la guerre civile en Syrie,…). Mais d’un autre côté, ces démissions nous rappellent que même des membres assez haut placés des classes dirigeantes peuvent faire des choix éthiques et courageux.

D. Z.

ON EST MAL BARRÉ

Alors que le niveau général des universitaires dégringole depuis quelques temps, une dernière enquête en date signée par Le Figaro indique que le phénomène touche également Sciences Po, institutions formatrices d’« élites ». Comme quoi il est possible d’avoir dans le futur des gouvernants encore plus médiocres que ceux que nous avons actuellement. Ça promet…

K. C.

LA FRAAP FRAPPE FORT

Comme Kairos, Le Guide de la FRAAP (Fédération régionale des actions d’autonomie et de paix) est une publication « 0% pub, 0% sub », qui vient de Corse. Elle met l’accent sur les initiatives concrètes et positives : monnaies locales, presse libre, low-tech, sociocratie, l’école autrement, les conférences gesticulées, etc. On peut le commander via leguidedelafraap@ proton.me.

B. L.

GREENWASHING

La RTBF nous apprend, dans l’introduction de l’un de ces articles « Au Brésil, une application comme “arme” contre la pollution des océans », que le pays de la Samba est le huitième plus gros pollueur de la planète, tout en faisant figure de modèle en ce qui concerne les énergies renouvelables. Ou comment avouer à demi-mot que le développement durable est une supercherie (car il devrait en fait être évident que si on tente de réduire la pollution avec des smartphones dont les coûts de production sont de grands vecteurs de pollution, le monde ne se portera pas mieux).

K. C.

HYMNE À LA JOIE ?

Une fois n’est pas coutume, une excellente nouvelle : dès cette rentrée scolaire, les autorités éducatives interdisent le smartphone dans 373 écoles wallonnes, de la maternelle à la fin du secondaire. Du moins son usage « récréatif » ; ce qui laisse suggérer qu’un usage « professionnel » sera autorisé pour les enfants de 3 à 18 ans. Cet objectif figure par ailleurs dans la déclaration de politique communautaire de la nouvelle majorité MR/Engagés. Un bon point pour elle. Le seul ?

K. C. & B. L.

DAVID CLARINVAL ARROSÉ

Pour avoir simplement donné un conseil de lecture par un tweet, le vice-premier ministre David Clarinval (MR) a eu l’honneur d’une demi-page de récriminations et d’indignation dans Le Soir (07/08/24). Il se fait que le livre en question — recommandable et qui n’a rien de haineux — est Transmania. Enquête sur les dérives de l’idéologie transgenre (Magnus), écrit par les militantes féministes Marguerite Stern et Dora Moutot. Autant dire un sujet tabou. Comme à Kairos nous critiquons le MR et le wokisme, sommes-nous alors « confusionnistes », libres, ou inclassables ?

B. L.

ÉLITES ET ÉCUMES

Le roi, modèle à suivre ? 4 vols ont en tout cas été nécessaires pour que le souverain, alors en vacances en France avec sa famille, assiste à une seule réunion. Il s’agissait qui plus est de s’entretenir avec Bart De Wever dans le cadre de la formation du nouveau gouvernement. Heureusement que nos élites indiquent aux abrutis que nous sommes la voie à suivre.

K. C.

VOLODYMYR LE CONQUÉRANT

L’incursion de l’armée ukrainienne en Russie a fait sauter de joie les rédactions européennes, qui se prennent à rêver de la voir marcher sur Moscou et destituer Poutine, sous les vivas du peuple russe libéré. Allez courage, M. Zelensky, plus que 1.000 kilomètres à parcourir jusqu’à la place Rouge, plus que 17.232.783 km² à conquérir !

B. L.

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D’une cage à l’autre

Aurélie Garnier

Mardi 23 juillet 2024, J‑3 de l’ouverture des jeux olympiques de Paris. Je longe la « zone grise », surnom familier du périmètre « Silt » (pour « Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme ») décrété par le très autoritaire préfet Laurent Nuñez, étroite bande située en plein cœur de la capitale et qui borde la Seine. Le franchissement des barrières hermétiquement gardées par des policiers et des gendarmes n’y est autorisé que sur présentation d’un QR Code. Privilège dont très peu de personnes semblent bénéficier au vu des rues, des trottoirs et des places de la zone grise, presque entièrement vides d’humains. Quelques organisateurs du Grand Évènement, une poignée de riverains et c’est tout. Longeant le Louvre, l’avenue de Rivoli est totalement déserte et les touristes qui errent, mi-interloqués, mi-agacés, se hissent sur la pointe des pieds pour photographier le musée par-dessus les grilles. Des grilles qui dessinent un labyrinthe sinueux dans lequel les piétons se bousculent et se marchent sur les pieds. À Paris, les rats d’égout pullulent et s’égaillent librement, tandis que les promeneurs s’entassent dans des cages. Comme une vision de zoo humain. Oserais-je qualifier ces jeux de zoolympiques ? La suite des évènements fut plus banale. À part la pluie, la cérémonie d’ouverture n’aura été troublée par aucun attentat islamique provoqué par une bombe cachée dans une boîte de bouquiniste, ni par la main de Moscou qu’on avait pourtant imaginée se glisser partout, et jusque dans la culotte du zouave du pont de l’Alma. Le seul intérêt des JO est d’offrir un miroir grossissant de l’idéologie du pays qui les accueille. Les JO 2024 furent donc oligarchiques – les gueux, ces « gens qui ne sont rien » selon l’infecte terminologie présidentielle se virent tenus à distance, tandis que « ceux qui ont réussi » se pavanèrent au premier rang des tribunes – et woke, servilité sociétale vis-à-vis du maître étatsunien oblige. Puis vinrent les épreuves à proprement parler, et la France brilla, mais, à considérer l’Histoire, doit-on vraiment se réjouir qu’un pays devienne sportif ? Toutefois, malgré les déferlements d’enthousiasme surjoué des médias, quelque chose sonnait un peu faux dans leurs trépidations frénétiques. Comme un air de déjà vu et de lassitude. À croire que les JO n’étaient que la dernière étape assez molle d’un cycle où bien d’autres joutes avaient longuement tenu les foules en haleine. Le Tour de France ? Peut-être, mais il faut bien avouer que (presque) tout le monde a déjà oublié le nom de son vainqueur. L’Euro de football ? D’accord, mais dès que la France en fut éliminée, on s’en détourna. À y regarder de plus près, si les JO parurent fades, c’est probablement parce qu’ils ne purent – et de loin – atteindre le niveau de suspens et de rebondissements de l’incroyable série de compétitions électorales que le pays avait connu en l’espace de 4 semaines, entre début juin et début juillet.

Dès la première manche que constituèrent les européennes, les commentateurs politiques, qui n’ont rien à envier à leurs homologues sportifs – ceux-ci allant jusqu’à être interchangeables entre eux – donnèrent de la voix. Le RN du sémillant, bien qu’un peu bas du front, Jordan Bardella, allait rafler la mise, et même si on regrettait ce lamentable prurit « populiste » des masses, aucun doute n’était possible et il fallait tant bien que mal s’en accommoder. Nos fins journalistes et consultants de cour étant polyglottes, ils entamèrent donc en chœur le slogan The show must go on ! La médaille d’or étant courue d’avance, il s’agissait de savoir qui allait rafler l’argent. Et c’est là que les médias de l’oligarchie (qu’en France, on peut sans aucun risque de caricature ni d’omission, nommer « les médias ») se surpassèrent. Ou tout du moins s’égalèrent, si on remontait 8 années en arrière. 2016 vit la mise sur le marché d’une créature fabriquée de toutes pièces par le système de prédation économique et financière en la personne d’Emmanuel Macron. 2024 fut l’année de la récidive où, par la grâce d’un hoquet régurgiteur, le même système engendra Raphaël Glucksmann. Magie de l’épiphanie, un nouvel Élu était apparu et tous devaient fêter son avènement ! Qu’importe que, sur ses affiches où claquait le slogan martial « Réveiller l’Europe », l’individu eut l’air d’avoir été surpris au saut du lit, et que ses apparitions télévisées révélèrent un germanopratin raide, arrogant et cassant, toute la caste médiatique n’avait d’yeux que pour lui. Allait-il passer devant la candidate macroniste, Valérie Hayer, dont le charisme aurait fait passer l’ancien Premier ministre Jean Castex pour Che Guevara ? En tous cas, les gazettes et les lucarnes firent tout pour, à l’instar de Libération qui titra en Une « Le petit vote qui monte », au-dessus du crâne déjà dégarni, probablement pour cause de cogitations excessives, du philosophe par héritage. Et, comme toute prophétie autoréalisatrice, celle-ci se réalisa. Le parti socialiste, qui n’était plus qu’un objet de moqueries associant pêle-mêle le règne présidentiel calamiteux du comique troupier de sous-préfecture François Hollande et les gaffes à répétition de la mairesse de Paris Anne Hidalgo, et dont le secrétaire général, Olivier Faure, n’avait toujours pas réussi à se faire un prénom, son patronyme évoquant – dans le meilleur des cas et chez les plus anciens – son homonyme Edgard (disparu en 1988) et, dans le pire, absolument personne, était re-né de ses cendres pourtant très, très, froides. Le pari fut gagné par M. Glucksmann, mais pas grand monde ne fit la remarque que celui-ci avait été truqué. Car le nouveau champion avait été dopé au-delà de toute mesure. Certes, pas à l’EPO comme le premier Lance Armstrong venu, mais avec la plus redoutable de toutes les méthodes de tricherie : la propagande massive. Propagande dont les commanditaires étaient ouvertement les néoconservateurs de Washington, qui n’auraient pu rêver d’un supplétif aussi zélé. Otanolâtre fanatique et radicalisé, va-t-en-guerre exalté contre la Russie et la Chine (à condition, bien entendu, que ce soient les autres qui aillent au cassepipe), celui qui, enfant, sautait sur les genoux de BHL surpassa son maître dans ses outrances faussement droit-de‑l’hommistes et réellement néo-impérialistes. Contrairement au vieux « nouveau philosophe », usurpateur multi-entarté par le génial agitateur belge Noël Godin, dit « le Gloupier », et familier des postures éphémères enflammées lourdement médiatisées à chaque fois qu’un conflit opposant le Bien (occidental) au Mal (le reste du monde) éclate, avec M. Glucksmann on pénétrait dans une catégorie supérieure, le haut du panier, du premium, et du vrai. Car, contrairement à BHL, magicien du verbe creux, M. Glucksmann avait prouvé qu’il savait mouiller sa chemise, dont le modèle blanc immaculé avec les trois boutons du haut ouverts avait de toute façon été préempté par son mentor. Il fut ainsi de 2009 à 2021 « conseiller spécial » du président géorgien Mikhail Saakachvili, installé au pouvoir à l’issue d’une énième « révolution de couleur » – cuvée dite « des Roses » dans le cas présent –, dénomination trompeuse qui présente comme de faux soulèvements populaires des coups d’État de la CIA en version soft power. Aux temps de la Françafrique, il était de bon ton de se gausser que l’ancien colonisateur choisit aussi bien les dirigeants que leurs (faux) opposants. Devenue à son tour une colonie étatsunienne, la France subit désormais le même sort. Sans que cela n’émeuve outre mesure nos « indigénistes » et autres « décolonisateurs », que l’on avait naguère connus plus chatouilleux.

Le soir du 9 juin, les résultats des élections européennes, à l’occasion desquelles on avait parlé de tout et de rien, en fait surtout de rien et surtout pas d’Europe, furent totalement conformes aux sondages qui, une fois n’est pas coutume, ne s’étaient pas trompés. Les médias s’apprêtaient à passer en mode estival et à assaisonner les masses au décervelage olympique lorsque le président prit la parole pour annoncer la dissolution de l’Assemblée et la tenue d’élections législatives expresses. Nos commentateurs reprirent immédiatement du service, dans un déchaînement inédit. Macron était-il devenu fou (révélation apparemment fort tardive), son narcissisme l’aurait-il perdu (à vrai dire, rien de neuf ici, non plus) ou bien l’ancien « Mozart de la Finance » était-il un joueur de poker invétéré (cette supposition émanant, quant à elle, de son dernier carré de courtisans) ? On n’avait pas connu un tel flot de supputations depuis le coup de tête assené par Zidane à l’Italien Materazzi lors de la finale du Mondial 2006. L’issue du premier tour, qui se tint le 30 juin, ne donna lieu à aucune surprise et le RN arriva en tête. La semaine qui suivit fut celle de toutes les hystéries. Il n’y était question que du péril des « extrêmes », les médias collaborationnistes amalgamant sans vergogne de courageux dénonciateurs du génocide palestinien, qu’ils traînaient dans la fange depuis des mois, et des zélateurs béats du régime sanguinaire de M. Netanyahou. Le mauvais score, tout relatif, des seconds siffla la fin de l’ultime scrutin du 7 juillet. Au bout du compte, comme dans la vieille émission de Jacques Martin où celui-ci faisait chanter des enfants, tout le monde se déclara vainqueur. En oubliant, ou en essayant de nous faire oublier que, là aussi, toutes ces excitations n’avaient été qu’un jeu de dupes et que le vrai gagnant, en l’occurrence une gagnante, avait été désignée d’avance. Son nom : Ursula von de Leyen, impératrice de l’Europe exigeant l’obéissance de tous sans être élue par aucun scrutin démocratique, qui a bien dû s’amuser de ces pantalonnades si délicieusement französisch, au même titre que les toilettes à la turque des vieux bistrots parisiens et de leurs supports de rouleaux de papier hygiénique qui n’en dispensent plus que le cylindre de carton. Car, que des politiciens d’opérette se soient écharpés à propos du choix de la couleur destinée à repeindre les barreaux de la cage Europe – rouge, rose, vert ou bleu marine, c’était selon – n’y changerait rien. C’est bien Mme von der Leyen qui en garderait jalousement la clef que lui ont précieusement confiée les maîtres de l’Occident. Si nos « extrêmes » avaient été dotés d’un tant soit peu de mémoire (mais peut-être feignirent-ils l’amnésie ?), ils se seraient souvenus que l’UE n’est ni réformable ni aménageable. L’extrême de gauche aurait dû retenir la leçon infligée à la Grèce, fusillée pour l’exemple dans les années 2010 par la « troïka », joli petit nom de baptême du club de philanthropes associant la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international, après que son jeune premier ministre Alexis Tsipras avait eu l’effronterie de solliciter un aménagement de la dette de son pays. S’ensuivit une véritable curée : salaires bradés, retraites massacrées, système de santé vandalisé et richesses économiques et touristiques du pays cédées pour des noyaux d’olive aux complices du triumvirat. La liste fut infinie des avanies subies par la Grèce, dont l’espérance de vie des habitants chuta bien plus sûrement que par l’effet d’un virus respiratoire banal, qui, quelques années plus tard, acquit une célébrité bien plus grande, quoiqu’imméritée. Alors, le programme du NFP (Nouveau front populaire) – pourtant déjà si tiède qu’en comparaison celui des présidentielles de 1974 du gaulliste Jacques Chaban-Delmas aurait été à ranger sur la même étagère que le Petit Livre rouge de Mao –, avec sa retraite à 60 ans et sa taxation des superprofits des multinationales, ce serait nein, nein et encore nein ! Quant à l’extrême de droite, ses efforts de mémoire se seraient avérés plus faciles encore, ne demandant qu’un modeste retour de 2 années dans le passé. Lors de son accession au pouvoir en 2022, la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni, les médias unanimes avaient démasqué une authentique réincarnation de Benito Mussolini, lequel aurait juste troqué son ridicule béret à plume contre un impeccable lissage brésilien. On allait voir ce qu’on allait voir : les immigrés seraient renvoyés chez eux en masse et l’Italie se transformerait en forteresse étanche. Deux ans plus tard, le pays a vu doubler son nombre de migrants et Giorgia étreint sa nouvelle meilleure amie Ursula sur des selfies où les deux femmes pouffent comme des adolescentes.

Le dissident soviétique réfugié en Grande-Bretagne, Vladimir Boukovski, qui avait subi au plus profond de sa chair la violence d’un totalitarisme de plomb, prophétisa il y a 20 ans : « J’ai vécu dans votre futur et ça n’a pas marché. » Ce futur est désormais notre présent. Qu’il ne « marche pas » s’agissant de la démocratie et les libertés civiques est une évidence pour quiconque daigne encore s’intéresser à la question. Que le système soit un échec pour les oligarchies financières et les intérêts étatsuniens ne saute, en revanche, pas immédiatement aux yeux. Établissement pénitentiaire de haute sécurité idéologique, politique et économique, l’UE ne cesse de bâtir de nouvelles cages pour y séquestrer ses peuples. Celles-ci s’appellent confinements à prétexte sanitaire, restrictions de liberté par QR codes ou nassages policiers des manifestations citoyennes, et certaines incarcèrent même des cobayes humains utilisés dans des expérimentations pharmaceutiques. Mais reste-t-il encore quelqu’un qui veuille ouvrir la porte de la cage ?

Pascal Halary

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Articles

L’arbre qui cache la forêt

Pieter Timmermans, l’administrateur-délégué de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) nous gratifie de ses analyses sur la situation post-électorale de notre pays et de ses prévisions socio-économiques.

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VU, LU, ENTENDU

Dans une époque troublée, sans repères intellectuels bien clairs, ce livre semble bien réjouissant. PMO part d’un sujet traité à coups d’articles et de cartes blanches dithyrambiques : le transhumanisme, l’idée de dépasser le « simple » humain et ses limitations. Impossible, direz-vous ? Peut-être, mais réel et présent, sûrement. Cet exercice de critique pertinent ne serait pas très intéressant s’il n’offrait de lumineuses qualités. Primo, une rigueur dans le raisonnement, un fil rouge de réflexion, sans digressions inutiles. Il y a bien un peu de mauvaise foi et des critiques trop massives contre le mouvement queer et certaines revendications actuelles, mais cela n’enlève rien au centre de l’argumentation, qui est révolutionnaire, au bon sens du terme. La mauvaise foi, ici, n’est jamais qu’une réaction à une mauvaise foi encore plus crasse de la part des tenants de l’idéologie transhumaniste/posthumaniste. Secundo, le lecteur trouvera une abondance de ressources bibliographiques qui offre une vitrine digne du musée des horreurs, dans le genre « le meilleur du pire ». Annexes copieuses, contenant des repères chronologiques, liste de « personnalités » et références in extenso de merveilles langagières complètent le corps du manifeste. Tertio, les auteurs disposent d’un incontestable art narratif à l’allure d’enquête policière passionnante (même si le suspense est dissous assez vite, au sujet des crimes en question). Cela se lit comme un roman, mais tout est vrai, comme le prétendrait un Lucien de Samosate moderne ! Quarto, l’amateur trouvera un sens de la formule qui fait mouche, de l’ironie qui touche, à la Desproges ou Jean-Louis Fournier, sans oublier un talent particulier pour dresser des portraits à charge ou à décharge (mais on admettra que les plus savoureux sont à charge : Luc Ferry, Aubrey du Grey et Laurent Alexandre, sans oublier Gérald Bronner). L’essai est une totale réussite, en même temps qu’un appel solennel et urgent : revenons à la raison, grâce — entre autres — à cette 8e édition revue et augmentée. 

Pièces et main d’œuvre, Manifeste des chimpanzés du futur, nouvelle édition, Service compris, 2023, 375 pages, 25€.Jean-Guy Divers 

On connaissait le médecin, on découvre l’écrivain. Et quel écrivain ! C’est d’une plume poétique et néanmoins précise que Louis Fouché nous fait traverser cette peur qui nous colle aux basques dès notre naissance. En quittant le cocon maternel, naître c’est entrer dans la peur. Cette anxiété permanente nous conduit tout droit dans « le principe de précaution et dans l’hyper contrôle ». Le docteur Fouché analyse avec pertinence et sensibilité, sans aucun jugement, nos comportements grégaires face aux images, aux informations anxiogènes déversées sans cesse par les médias. Il revient bien sûr sur la crise sanitaire générée par le covid, sur le port obligatoire du masque, sur le pass sanitaire et l’injection massive du « vaccin ». Il insiste sur le besoin de se conformer à la majorité, sur le besoin de se créer des rituels, des rengaines, des figures d’attachement. Il aborde tous les sujets : la religion, l’histoire, le wokisme, la pornographie, l’argent, la manipulation des masses… L’auteur nous confie aussi quelques parcelles de son intimité et de son parcours au sein de sa profession d’anesthésiste-réanimateur. Avec son Odyssée, il nous donne des pistes pour revenir à Ithaque avec courage, détermination et surtout comment vivre vaillamment notre peur. Cet ouvrage est une lumière dans la nuit qui nous entoure.Louis Fouché, Traverser la peur. L’Odyssée du réel, Guy Trédaniel, 2023, 321 pages. 

Marie-Ange Herman 

Voici à coup sûr un livre atypique qui propose (c’est plutôt rare) une critique radicale du capitalisme. L’auteur, philosophe et fervent défenseur de l’abolition de l’argent et de l’État, s’inscrit dans le prolongement de la pensée de Hegel, Engels et Marx, et n’aura de cesse de blâmer l’imposture « coronavirale » et écologique actuelle dans laquelle il perçoit l’agonie de l’expansion infinie de la valeur. Tout le monde recevra au travers d’une plume acerbe une cinglante réprimande, de l’extrême gauche à l’extrême droite incluses (mais aussi, malheureusement et d’une manière peu compréhensible, des penseurs aussi importants à nos yeux qu’Ellul, Schopenhauer ou encore Anders qui viennent, selon l’auteur « névrotiquement et insipidement mettre leur grain de sel imbécile pour relativiser à tout prix la loi en question ». Il voit en eux des « désespérantistes » qui « sont devenus aujourd’hui les têtes de gondole kafkaïstes les plus courues des supermarchés idéologiques et de ganacherie contre-révolutionnaire obligatoire qui veut casser la volupté révolutionnaire des hommes en les encasernant dans la triste maison passive des cauchemars cinématographiques dont le script nauséeux est toujours le même ; il convient d’avoir de plus en plus peur et surtout de ne point écouter la partie la plus importante de l’œuvre de Marx selon laquelle c’est exclusivement CV qui fonde toutes les révolutions industrialistes de la valeur qui mènent immanquablement à la révolution communiste ». C’est finalement avec un style parfois compliqué à lire que l’auteur entrevoit dans la crise actuelle du « spectacle fétichiste de la marchandise » l’inéluctable ascension du communisme, ce qui place le philosophe dans les dignes successeurs du matérialisme historique, courant de pensée trop déterministe à notre goût dans le sens où il fait fi de l’imprévisibilité fondamentale des significations imaginaires sociales théorisées par Cornelius Castoriadis. 

Francis Cousin, Voyage au bout de la fin du capital (thèses sur la crise terminale achevée de la valeur d’échange et la dialectique de surgissement d’un monde sans argent ni État), Culture et racines, 2023, 22€.K. C. 

Ceux qui dénoncent les menaces sur la survie de nos sociétés se contentent souvent d’évoquer le changement climatique ou des dangers assez vagues. Renaud Duterme, lui, avec une volonté de vulgarisation, aborde les risques de manière précise et argumentée. Ainsi, il dénonce la complexité des divers dangers qui menacent le système très com- plexe qui régit nos civilisations développées. Il décrit les 5 secteurs dont la pénurie altérerait l’ensemble du système déséqui- libré du libre-échange. Jusqu’ici des tensions importantes ont pu être évitées, mais une pénurie durable dans un de ces secteurs aurait des répercussions importantes sur les autres. Il aborde les menaces sur la production d’énergie, les matières premières, les transports, l’alimentation, la santé. Au terme de la lecture de cette partie du livre, un sentiment d’angoisse saisit face aux dan- gers décrits avec précision. Il explique aussi pourquoi le capitalisme, dans sa soif de profit, renonce aux évidentes précautions qu’il faudrait prendre pour éviter ces pénuries. Il faut changer radicalement de logique. Ce revirement passerait inévitablement par une baisse de la production et de la consomma- tion, ce qui est le projet même de la décroissance. Duterme n’est cependant pas collapsologue, mais propose les moyens d’« organiser la pénurie » qui vient. Parmi les multiples propositions de rupture, citons la réduction de consommation de viande qui « diminuerait la pression sur les ressources hydriques, les forêts et les sols, mais aurait aussi un impact positif sur le réchauffement de la planète, la santé humaine et le bien-être animal ». En conclusion, un livre indispensable pour ceux qui veulent dépasser les slogans et analyser les pénuries qui obligeront à modifier profondément nos modes de vie gaspilleurs. 

Renaud Duterme, Pénuries. Quand tout vient à manquer, Payot, 2024, 219 pages, 20€.A. A. 

Le lecteur se souviendra peut-être que, suite au décès de Theodore Kaczynski, survenu en juin 2023, Kairos a consacré un article à la pensée de ce philosophe atypique, prophète armé de la révolution contre la technologie. Frappé lui aussi par la puissance et l’actualité du manifeste de 1995 d’Unabomber, Rémi Tell en propose aujourd’hui une nouvelle traduction qu’il présente ainsi : « du wokisme au capitalisme de surveillance, du transhumanisme au totalitarisme sanitaire, de l’ubérisation du travail à l’éclatement des structures familiales, aucun phénomène contemporain n’avait échappé à ses anticipations ». Avec une prescience extraordinaire, La Société industrielle et son avenir annonce la domestication de l’homme moderne et la mort de la liberté. C’est ainsi, par exemple, que selon le schéma décrit par Kaczynski, le système industriel détruit les frontières, favorisant la propagation d’épidémies. Puis, lorsque celles-ci surviennent, il suspend les droits les plus naturels afin de permettre la poursuite de son fonctionnement : « la liberté devient donc une variable d’ajustement du système ». La conclusion de Kaczynski est implacable : puisque la société industrielle détruit l’homme, l’homme doit détruire la société industrielle. S’il adhère intellectuellement à cette thèse, Tell reconnaît à quel point il est difficile, voire impossible, pour chacun d’entre nous, de vivre en accord avec elle et, à l’instar du philosophe, de vivre dans une cabane sans eau ni électricité au cœur de la forêt. De plus, le phénomène décrit par Kaczynski est essentiellement occidental, et le fait que nos sociétés sombrent rapidement dans l’horreur de la surveillance de masse, leur exemple pourrait servir de repoussoir au reste du monde. L’auteur suggère aussi d’œuvrer à un découplage entre technologie et blocs de pouvoir afin de privilégier les technologies décentralisées. Sans s’accorder avec le pessimisme radical d’Unabomber, une telle voie représente, malgré tout, un mode de résistance et une lueur d’espoir. 

On peut classer Rémi Tell dans la catégorie des moralistes conservateurs. Avec un tel(l) patronyme, le jeune homme de 27 ans était programmé pour la résistance ! Très bien écrit, son pamphlet oscille entre constats d’une lucidité désespérée et invitation au sursaut citoyen et patriotique, avec des accents messianiques. L’auteur évoque les scandales et turpitudes de l’épisode covid pour déplorer que son pays la France, et l’Occident en général, soit tombé sous la coupe d’une oligarchie perverse transnationale, dont Macron est un VRP roué et sans scrupules. Cependant, Les Républicains, alliés à LREM au parlement, ne sont pas non plus épargnés. Le chapitre sur l’euthanasie (pp. 59–67) apporte de l’eau au moulin du débat et nous apprend que le royaume de Belgique a légalisé l’aide active à mourir pour dépression, y compris chez les enfants ! En lecteur passionné de Georges Bernanos (La France contre les robots) et de Theodore Kaczynski (L’avenir de la société industrielle), l’auteur condamne le transhumanisme à travers son porte-étendard Elon Musk, et en général la fuite en avant technologique du « capitalisme prométhéen ». Même la (non-)existence de Dieu est abordée. Cette ode au recouvrement de la liberté du peuple français envisage, comme réponse à la hauteur de la violence de l’État, la grève fiscale, la guérilla, les sabotages, à condition de ne jamais s’en prendre aux personnes. Mais lisons d’abord ces pages écrites à l’encre du néant pour se mettre en marche, pas à la façon macroniste, bien sûr, mais souverainiste. 

Theodore Kaczynski, La société industrielle et son avenir, Le Verbe haut, 2023, 128 pages, 12€.F. M. 

Rémi Tell, À l’encre du néant, Le Verbe Haut, 2024, 122 pages, 16€. B. L. 

Selon ces deux chercheurs marxiens du Québec, le capitalisme, depuis la crise financière de 2008, est entré dans un nouveau mode de développement : le capital algorithmique (plutôt que numérique). Triomphe de « l’idéologie californienne », ce nouveau modèle n’évince pas totalement le néolibéralisme en vogue depuis 40 ans, mais le reconfigure d’une manière encore plus dangereuse pour la démocratie et les libertés. Il a été stimulé par l’épidémie de covid. Avec la « datification généralisée des activités humaines » et la « plateformisation de l’économie », toutes deux en pleine accélération, un seuil est franchi. « Le capital algoritmique est [ainsi] une nouvelle façon de produire, d’échanger et d’accumuler de la valeur, via l’extraction massive de données, l’exploitation du travail digital et le développement accéléré de machines algorithmiques ». Il impacte tous les aspects de la vie des individus et des collectivités, forge un autre rapport à soi, aux autres, au travail, à la nature, à la géopolitique, au temps et à l’espace, notamment à travers l’addiction comportementale aux écrans, l’(auto-)contrôle permanent des conduites, l’automatisation et la marchandisation de tout. Intelligence artificielle et robotisation creusent un fossé entre la minorité qui les produit et en maîtrise plus ou moins les rouages et la majorité qui les subit sans comprendre. Dépendant des GAFAM, l’État devient lui-même algorithmique. La Chine et les États-Unis se disputent la suprématie dans ce domaine. Le propos des auteurs est la fois nuancé — ni technophile, ni technophobe — et engagé — ils revitalisent l’anti-capitalisme et proposent des pistes d’émancipation, sans attendre la condamnation à terme du capital algorithmique en raison de sa logique extractiviste intenable sur un plan écologique. Après la critique de l’ordre social, retrouver une souveraineté numérique, planifier démocratiquement les algorithmes, lutter contre les injustices et les vices algorithmiques et rétrécir le monde numérique, voilà des propositions plus ou moins réalistes qui n’attendent que leur mise en œuvre. Leur position sur le solutionnisme technologique n’est toutefois pas claire : ils semblent tantôt ne pas y croire, tantôt y font appel, par exemple pour les imprimantes 3D. 

Jonathan Durand Folco, Jonathan Martineau, Le capital algorithmique. Accumulation, pouvoir et résistance à l’ère de l’intelligence artificielle, Écosociété, 2023, 489 pages, 29€.B. L. 

Dans cet ouvrage réalisé sous forme d’interview, l’économiste Serge Latouche, figure emblématique de la théorie de la décroissance, dénonce l’orthodoxie économique qui règne dans un monde où la globalisation avance à grand pas. Il décrit comment la rationalité occidentale a entraîné une pensée économiciste qui a mené à une sorte de tyrannie des marchés financiers devenue si commune que l’on ne perçoit plus cette « banalité du mal » (on trouve cet économisme derrière les termes qui constituent la langue de bois d’aujourd’hui : globalisation, mondialisation, développement durable, etc.). Ce que l’on nomme désormais tout simplement « développement » se fait aux dépens du social, de la culture, du bien-être physique et psychique de l’humain et de l’environnement. Il est de fait urgent de se débarrasser de ce marteau économique qui est dans nos têtes pour favoriser plutôt l’épanouissement et le bienêtre commun (des concepts que l’on retrouve dans des cultures ancestrales) en basculant dans l’après-développement. S. Latouche parle de la décroissance qui, malgré ses apparences, n’est pas un terme qui signifie une croissance négative, mais bien une forme de sobriété heureuse. Loin d’une utopie (même s’il reconnaît la nécessité du rêve), il s’agit par exemple de s’inspirer de la charte « Consommation et styles de vie » du Forum des ONG de Rio, synthétisée par les 8 R : réévaluer, reconceptualiser, restructurer, relocaliser, redistribuer, réduire, réutiliser, recycler. Si l’auteur reconnaît que la déséconomisation des esprits est une tâche ardue, cela ne la rend pas moins nécessaire et peut se faire graduellement par des initiatives alternatives comme les entreprises coopératives en autogestion et les associations locales. Il s’agit, in fine, de concevoir et de promouvoir la résistance et la dissidence contre cette mégamachine qui nous dévore. Décoloniser l’imaginaire est un ouvrage d’une clarté rare avec des propositions simples et d’actualité ! 

Serge Latouche, Décoloniser l’imaginaire. La pensée créative contre l’économie de l’absurde, Libre et solidaire, 2023, 236 pages, 19,90€.K. J. P. 

Le schéma du nouveau livre de Jean-Pierre Gicquel est le même que celui de son ouvrage précédent. Les parties du livre sont par contre cette fois bien intégrées les unes aux autres. L’ouvrage peut même se lire comme une démonstration philosophique. L’effort poursuivi est notable. Dans la première partie, l’auteur reprend l’histoire de sa sœur, Bernadette, confrontée aux médecins-conseils. Il s’interroge sur les institutions et, en particulier, sur la médecine conseil, la médecine du travail. Il élabore une hypothèse au sujet du système de santé. Dans la seconde partie, il décrit ce système, autrement dit l’industrie médicale, le système assurantiel et ses implications médicales et politiques. Répétitions, nuances, exemples se succèdent, jusqu’au moment où il établit un fait, un élément de sa démonstration, jusqu’à ce que l’idée voulue, qu’il s’agit d’extraire soi-même du contenu, soit exprimée. Style un peu touffu, donc. Épais, parfois redondant. Mais efficace. Dans l’avant-dernier chapitre, il explique que toute une partie de la médecine a tendance à fonctionner comme un mythe, en prenant la vaccination comme exemple. L’industrialisation de la médecine, en particulier la vaccination de masse, transforme ce mythe en un mythe de l’homme nouveau, bref en une idéologie. Cette fabrication ne tient pas compte de toutes sortes de dimensions de l’être humain. La médecine industrielle abuse des corps. Elle ment, également, notamment à propos de l’efficacité de certains vaccins. Dans la dernière partie, il fait le lien entre le libéralisme et cette idéologie. Non seulement, le libéralisme, ou plutôt ses conséquences, comme la malbouffe, engendre des maladies, mais il transforme le mythe fabriqué à partir de la médecine et de son industrialisation en prédation pure et simple. Conclusion : une culture polyvalente permet d’éviter les pièges qu’une société fonctionnant à partir de principes sème sur le chemin de la vie. 

Jean-Pierre Gicquel, La fin des médecins, Vérone, 2024, 360 pages, 26€. Paul Willems 

Comme toujours dans ses livres, le psychanalyste Jean-Pierre Lebrun nous livre une analyse magistrale du social au travers de cette toute nouvelle édition des Couleurs de l’inceste. Loin de se renfermer sur le lieu unique du divan, l’auteur se montre toujours soucieux d’articuler la clinique individuelle et l’analyse plus globale d’une société qui vit une importante crise de l’humanisation. Il reste difficile de résumer en si peu de mots une œuvre aussi riche pour la pensée. Retenons donc simplement le principal constat dressé par le psychanalyste : quoi qu’en dise certains, le patriarcat n’est plus — il ne s’agit pas de regretter cet état de fait, mais de prendre la mesure de ce que ce changement anthropologique implique sur la construction psychique des sujets —, mais ce n’est pas pour autant que nous vivons sous le joug du matriarcat. Disons que nous vivons dans une société du maternel et que lorsqu’il devient difficile de se dépendre du maternel, on entre dans l’incestuel (il s’agit d’un climat familial voire social dans lequel les limites ne sont pas reconnues, où les différences générationnelles et sexuelles sont poreuses, et où l’inceste finalement est réalisé sans être mis en acte). Ici, le lien avec le capitalisme de la consommation est frappant, dans le sens où ce modèle promeut la Jouissance au travers de la marchandise, tout en infantilisant le plus possible la population afin de faire appel aux pulsions de régression. D’ailleurs, l’auteur éreinte à plus d’un titre la société néolibérale (dommage que le capitalisme ne soit jamais ou très peu nommé, comme s’il s’agissait d’un mot devenu tabou), ainsi que l’idéologie de l’illustration qui lui est propre. Bref, l’œuvre de J.-P. Lebrun, bien que de prime abord éloignée de la décroissance, devrait être mise entre toutes les mains des penseurs et acteurs de ce mouvement.Jean-Pierre Lebrun, Les couleurs de l’inceste : se dépendre du maternel, Érès, 368 pages, 17€. 

K. C. 

Une lecture originale de l’histoire du XXe siècle à nos jours, voilà ce que Michel Weber propose ici. On aura beau dire qu’il a tendance à se répéter au fil de ses essais, celui-ci fera aussi bien l’affaire que les autres. Le propos est à la fois synthétique et érudit. Les aveugles et les sots le traiteront à nouveau de « complotiste », car il ose parler des groupes réels mais discrets qui indéniablement influencent le devenir de l’humanité qu’il voit comme totalitaire, sauf hypothétique sursaut de la communauté humaine. Hors « complotisme », son angle de vue est aussi sociologique et anthropologique. Entre optimisme de la volonté et pessimisme de la raison, attachement envers et contre tout au clivage gauche/droite, liberté de pensée et démocratisme radical, M. Weber tisse une broderie contrastée de l’état de notre monde. Cette fois, remarquons que l’écriture philosophique est plus accessible que d’habitude. 

Michel Weber, Les fins de l’histoire. Clinique du totalitarisme contemporain, Chromatika, 2023, 231 pages, 21€.B. L. 

Voici un essai qui tombe à point nommé. Car à Kairos nous nous inquiétons depuis quelques temps de la dégradation du débat public en matière de politique et de mœurs. Sans échange ni écoute, ce qui tient lieu actuellement de « débat » n’a plus pour but que de condamner, disqualifier et tenter de faire taire, tout en affirmant « des “vérités” antagonistes qui ne se discutent pas ». Sont surtout montrés du doigt comme responsables les réseaux (a)sociaux et les chaînes d’information en continu, celles-ci étant peuplées de « pundits », c’est-à-dire des professionnels des joutes oratoires, spécialistes des « punchlines ». Opinions et émotions règnent en maître dans un jeu de « pif-paf », soit des « face à face opposant un pour et un contre », d’où toute nuance est évacuée. 4 journalistes et 2 historiens échangent leurs points de vue sur la situation, avec des anecdotes significatives, mais aussi des réflexions philosophiques. On peut considérer ce livre comme une introduction à ce problème spécifique, et, pourquoi pas, le début d’une salutaire réaction. 

Olivier Christin & Henri-Pierre Mottironi (dir.), Taisez-vous ! Le débat démocratique est-il mort ?, Le Bord de l’eau, 2024, 114 pages, 12€. B. L. 

Dès l’introduction, l’auteur de cet ouvrage aiguisa notre intérêt en annonçant une critique radicale d’un capitalisme qui serait en crise terminale : « L’érosion de nos libertés par l’asservissement au matériel, la réification de nos êtres et la destruction de nos esprits sera le thème principal de cet ouvrage ». Il voit également dans la crise du Covid-19 une conséquence de la crise économique et non une cause, crise qui fut le déclencheur de la rédaction de ce livre. Néanmoins, malgré la radicalité initiale de la critique, nous devons avouer que nous n’avons pas été en mesure de terminer la lecture du bouquin ; le style de P. Quadens étant non pas compliqué, mais tout simplement très moche d’un point de vue purement esthétique. Si l’ouvrage n’avait eu que ce défaut, nous aurions encore pu faire un effort et continuer notre route. Malheureusement, il contient qui plus est une quantité non négligeable de grossières coquilles (mots manquants, syntaxe et ponctuations oubliées, notes de bas de page mal placées) qui rendent la lecture indigeste une bonne fois pour toute. Tout simplement dommage. Pol Quadens. Philosophie de la soustraction. Pour une vie de liberté et d’épanouissement dans la soustraction des biens contre le dogme de la soumission à la société de l’addition, Les impliqués, 2024, 406 pages, 40 euros. 

K. C. 

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BRÈVES

HAREN DÉÇOIT 

Malgré la mobilisation des défenseurs d’un des derniers espaces verts de la région bruxelloise, la méga-prison de Haren a été construite. Cette prison moderne est d’une froideur telle que les prisonniers préfèrent encore les vieilles prisons surpeuplées. Et voici que faute de personnel, des sections entières restent vides et les prisonniers ont dû être renvoyés à Saint-Gilles. Si elle existait encore, l’émission Les grands travaux inutiles aurait un sujet en or. 

A.A. 

POUR LIMITER LES DESTRUCTIONS DUES AUX ÉOLIENNES 

Les risques liés aux éoliennes sont sans commune mesure avec ceux du nucléaire, surtout. Elles sont cependant loin d’être inoffensives. Les signaux d’alarme se multiplient, comme, tout récemment, celui de la Société des oiseaux de la Nouvelle-Écosse (Radio Canada, 17/05/2024). Selon une étude, une éolienne tue en moyenne 7 oiseaux par an (Reporterre, 21/04/2023). C’est d’autant plus grave du fait de la multiplication de ces engins (10.000 en France), et que les victimes sont notamment des espèces menacées, comme les grands rapaces. La seule vraie solution énergétique est l’arrêt du productivisme, mais vu la puissance de ses promoteurs, il s’agit aussi entre-temps de limiter les dégâts. La plupart des dispositifs pour diminuer ceux dus aux éoliennes sont inefficaces (ibid.), mais, selon une étude de 2020, une démarche permet de diminuer de 70% le nombre d’oiseaux tués : peindre une des pales en noir, ce qui augmente la visibilité des engins (Radio France, 29/05/2020). Faisons tout notre possible pour obtenir la généralisation de ce procédé. 

D.Z. 

FIN D’UNE MASCARADE ? 

Une fois encore, La Libre nous surprend positivement en ce qui concerne la transidentité avec le relais d’une opinion de Jean Cor, parent et fondateur du groupe de soutien pour les parents ayant un enfant dysphorique. On apprend dans l’article que le rapport Cass au Royaume-Unis vient d’être publié. 

Celui-ci porte sur 9.000 patients traités dans les services de développement de l’identité sexuelle de la clinique Tavistock à Londres et ses conclusions sont sans appel : il manque de preuves pour justifier le recours à des interventions médicales dans ce type de cas, tandis que « les études ont montré que la dysphorie de genre est généralement une phase transitoire, souvent associée à la neurodiversité, aux problèmes de santé mentale, aux traumatismes de l’enfance et à l’attirance pour le même sexe ». 

K.C. 

FOUTOIR GÉNÉRATIONNEL 

Signe des temps pervers qui sont les nôtres et où les différences sexuelles et générationnelles s’estompent, deux nouveaux mots font leur entrée dans le dictionnaire Novlangue. Il s’agit de l’âgisme et de l’infantisme. Comme Adeline de Wilde l’explique au travers des colonnes du journal La Libre, « il consiste à déconsidérer la catégorie de personnes de 0 à 18 ans, à ne pas la prendre en compte ou au sérieux au même niveau que les adultes ». Manquerait plus qu’on soit obligé de prendre au sérieux toutes les envies des enfants-rois du système libéral en y répondant favorablement par le Marché de la consommation… Oups, c’est déjà le cas. 

K.C. 

FOUTOIR DES ESPÈCES 

Le transhumanisme vient de franchir une nouvelle étape : un rein de porc a été greffé sur un patient. Interviewé dans Le Soir (11 & 12/05/24), le chirurgien-vedette précise que « toute l’équipe réalisait un rêve ». C’est une question de point de vue, Docteur ! Voyons‑y plutôt un cauchemar et attendons de pied ferme l’accusation de « bioconservatisme » ou d’« essentialisme ». 

B.L. 

ASTRAZENECA®, MON AMOUR 

Doit-on s’en étonner ? Le Soir du 10/05/24 vole au secours de la firme pharmaceutique, suite au retrait du marché de 

son « vaccin » anti-covid, répétant à 3 reprises que les effets secondaires — en ce cas les thromboses — sont seulement « très rares » et que le ratio bénéfice/risque était très favorable à la vaccination. Les zélateurs des injections n’ont pas de regret, ils ont eu « tout bon ». 

B.L. 

L’(IN)TOUCHABLE URSULA VON DER LEYEN 

Le 17 mai, avec son copain Albert Bourla, la présidente de la Commission était convoquée au tribunal de Liège, suite à l’affaire du Pfizergate, dite aussi SMSgate. Elle est accusée d’atteinte aux droits fondamentaux des citoyens de l’UE. Tous deux étaient absents (évidemment), mais c’est une première qui devrait au moins aboutir à l’impossibilité de sa réélection. La prochaine audience est fixée en décembre 2024. 

B.L. 

LES CHEMINS DE L’EAU 

L’asblVivre…SpublieLescheminsdel’eau.Matribud’adoption, le tome 4 de la biographie de Luce Minet, qui militait dans la gauche quand elle était encore la gauche. L’histoire repart de 1976 jusqu’à 2021, en pleine covidémence. Pour commander le livre (283 pages) : lmn4102@gmail.com. 

B.L. 

TECHNOPTIMISTE COVIDISTE 

Professeur d’informatique à l’ULB, Hugues Bersini évangélise les lecteurs du Soir (21/05/24). Il y défend l’intelligence artificielle bec et ongles, veut la mettre au service du bien commun (sic) et reprend l’exemple du covid : « La première réalisation qu’on [Ndlr : l’Institut Fari qu’il dirige] a voulu mettre en place, c’était la campagne de vaccination avec la Cocom. Cinq de mes chercheurs ont bossé jour et nuit pour créer une application ». C’est fou de voir comment certains ont pu prendre la covidiotie au sérieux ! 

B.L. 

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Kairos 65

Comme s’il fallait toujours trouver une « case » dans laquelle Kairos devait entrer, la question « quel genre de journal est Kairos » trouvait chez moi souvent la même réponse, un peu confuse : « C’est un journal sans publicités, libre, qui traite de divers sujets : politique, géopolitique, philosophie, sociologie, écologie… ». J’ai plus tard réduit ma définition, considérant que le fondement de notre média était d’être en adéquation avec la Charte de Munich sur les droits et les devoirs des journalistes, particulièrement l’un des ses droits : « Respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité ». 

Le plus important pour dire qui nous étions n’était plus dès lors dans les sujets que nous traitions, le rythme de parution, mais dans la manière dont nous le faisions. À une époque où les médias du pouvoir se servaient des réseaux publicitaires publics et privés pour nous dire ce qu’il fallait penser et qui disait vrai (eux), qui disait faux (tous les autres qui énoncent ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre), en omettant sciemment : que ceux qui faisaient la leçon publicitaire -, les « marques » signataires (Le Soir, La Libre, L’Avenir, L’Echo…) étaient la propriété de IPM et Rossel, deux des grands groupes de presse appartenant aux familles Le Hodey et Rossel, respectivement, grosses fortunes belges[note] ; qu’une organisation supranationale, l’OMS, mettait en garde contre la « désinformation », alors qu’elle en avait été la principale pourvoyeuse, financée majoritairement par le privé et notamment Bill Gates ; que la liberté d’expression était attaquée par les gouvernements alors que ce qui était de leur initiative frappé du sceau de la « désinformation » était de plus en plus fréquemment associé au terrorisme… 

Pour toutes ces raisons, il est primordial de rappeler l’importance que constitue la recherche de la vérité pour nous. Si beaucoup ne voit pas passer d’autres informations que celles produites par les médias dominants, que d’autres font semblant de ne pas voir qu’il existe autre chose que le carcan du journal télévisé et de la presse du pouvoir, c’est aussi parce que la vérité est confrontante, remet en question des croyances ancrées et peut s’avérer douloureuse, s’articulant avec les notions de réel, de liberté et d’information, formant une condition essentielle de la démocratie. 

LE RÉEL 

Au contraire des animaux, nous ne sommes pas pris dans la réalité, directement, nous la représentons. Il y a entre le monde et nous les mots, la conscience, ce qui fait que nous sommes toujours quelque part des spectateurs de l’existence. Nous construisons donc le réel, il ne nous est pas donné. 

L’INFORMATION 

Une grande partie de la réalité n’est pas directement appréhendable, car seul est prégnant (et encore pas tout à fait, car nous ne le percevons le plus souvent qu’à partir de nos croyances[note]) ce qui est directement perceptible par nos sens autour de nous. La plupart des pays du monde n’ont par exemple jamais été visités par de nombreuses personnes, mais elles en ont des représentations, se font des idées sur certains ou la plupart d’entre eux ; de même, nous nous faisons également des représentations d’individus que nous n’avons jamais rencontrés, ce qui peut d’ailleurs présager, par anticipation, de la suite heureuse ou malheureuse de la relation[note]. Nous sommes donc constamment « mis au courant » de ce que nous ne savons pas et n’avons jamais vu. 

Le choix dans ce que les médias décident de montrer est donc primordial dans la construction de nos représentations du monde. Alors que j’étais dans un taxi pour aller à une conférence de presse de l’épouse du détenu politique Julian Assange, Stella Assange, je réalisai que le chauffeur ne savait pas qui il était. Sans doute qu’en quelques mois de détention en Iran, les Belges auront été plus nombreux à savoir qui était Olivier Vandecasteele, exposé dans tous les médias, sur les frontons de maisons communales, défendu par des ministres, appelant sa famille à Noël depuis sa cellule iranienne, les médias publiant des photos de lui en pleurs. Il y a des prisonniers politiquement plus intéressants que d’autres… et mettre certains en avant constitue une forme de communication sur ce qui peut se dire ou pas (notamment l’abomination que constitue l’emprisonnement de Julian Assange depuis 12 ans, pour avoir révélé les crimes de l’armée américaine notamment). 

Au-delà de la sélection des faits, l’information peut être une réécriture complète de ce qu’il s’est réellement passé, ainsi que le remarquait George Orwell de retour de la guerre d’Espagne : 

« J’ai vu, en fait, l’histoire s’écrire non pas en fonction de ce qui s’était passé, mais en fonction de ce qui aurait dû se passer selon les diverses lignes de parti […]. Ce genre de chose m’effraie, car cela me donne souvent le sentiment que la notion même de vérité objective est en train de disparaître de notre monde. Après tout, le risque est grand que ces mensonges, ou des mensonges semblables, finissent par tenir lieu de vérité historique. […] Si le chef dit de tel événement qu’il ne s’est jamais produit – eh bien, il ne s’est jamais produit. S’il dit que deux et deux font cinq – eh bien, deux et deux font cinq ». 

LA VÉRITÉ 

La vérité se définit comme la qualité de ce qui est vrai ; la connaissance conforme à ce qui est réel, à la réalité ; l’expression de cette connaissance. Nous construisons donc aussi la vérité, elle n’est jamais donnée, le vrai n’est pas quelque chose de directement accessible. 

LA LIBERTÉ 

Tout cela implique évidemment qu’il n’y a pas de liberté sans information, puisqu’on ne peut être libre et ignorant — « La liberté commence où l’ignorance finit » (Victor Hugo). Le paradoxe étant ici que l’information ne libère pas, c’est le désir d’être libre, même si ce désir est minime, presque imperceptible, qui mène à celui de vouloir s’informer par une autre voie que celle des officines médiatiques du pouvoir. 

PAS DE POUVOIR SANS CONTRÔLE DE L’INFORMATION 

Le réel, la vérité, la liberté, l’information, posent inévitablement la question du pouvoir. En somme, le pouvoir n’a aucun intérêt à ce que le peuple soit informé par diverses sources contradictoires, qui permettront au débat de se faire, d’où émergera la vérité. Il a tout intérêt à ce que le peuple accepte sa servitude tout en étant persuadé de sa liberté. 

Il n’y a donc pas de pouvoir sans contrôle de l’information. À ce titre, je suis persuadé que nous sommes dans un véritable « Truman show », où « l’image construite et choisie par quelqu’un d’autre est devenue le principal rapport de l’individu au monde qu’auparavant il regardait par lui-même[note] ». 

Dans ce système, les médias sont une marque comme une autre, propriété des familles belges les plus fortunées et contrôlés politiquement par les subsides des gouvernements. 

L’ARME DES FAKE NEWS 

Pour anticiper les critiques, puisqu’il ment en permanence sur ce qu’il est et ce qu’il fait, le pouvoir politico-médiatique doit constamment se trouver dans une position contre-offensive. Déjà en 1988[note], Debord percevait dans ce mot du pouvoir qui n’avait pas encore été anglicisé – désinformation – l’intérêt qu’il représentait pour assurer la continuité du système en place et le désamorçage de toutes critiques. 

Maintenir ce qui est établi par le règne de la « vérité officielle » : « Le concept est toujours hautement employé par un pouvoir, ou corollairement par des gens qui détiennent un fragment d’autorité économique ou politique, pour maintenir ce qui est établi ». 

Société imparfaite mais «juste» pour qui lui fait confiance : La désinformation, « c’est tout ce qui est obscur et risquerait de vouloir s’opposer à l’extraordinaire bonheur dont cette société, on le sait bien, fait bénéficier ceux qui lui ont fait confiance ». 

La désignation comme preuve de l’innocence : 

« L’autre avantage que l’on trouve à dénoncer, en l’expliquant ainsi, une désinformation bien particulière, c’est qu’en conséquence le discours global du spectacle ne saurait être soupçonné d’en contenir ». 

Contre-attaque permanente : « Le concept de désinformation n’est bon que dans la contre-attaque. Il faut le maintenir en deuxième ligne, puis le jeter instantanément en avant pour repousser toute vérité qui viendrait à surgir ». 

CONCLUSION 

L’information, dans un système de censure structurelle dans lequel le pouvoir possède les médias qui ont le loisir de propager leurs mensonges officiels, tout en ayant le privilège et le loisir de nommer ce qui les contredit comme fake news, de façon préventive et constante afin de faire taire toutes critiques, cette information ne peut qu’être circulaire, tourner dans un cercle fermé, centripète au lieu d’être centrifuge. 

Nous parlons entre nous. Informer n’est donc plus du tout suffisant. Il faut à court terme outrepasser les diverses organisations du silence, pour à long terme les démanteler. Nos lecteurs ne doivent pas tout attendre de nous et dès à présent oser la parrhêsia, c’est-à-dire s’exprimer avec sincérité et franchise, ce qui n’est pas un trait psychologique mais une véritable valeur politique qui réintroduit le rapport entre démocratie et vérité, afin de casser le spectacle des fausses unanimités et de ce conformisme ambiant si délétère. 

Il le faudra, car nous ne sommes pas loin de ce point qu’identifiait Gunther Anders où nous aurons été « privé si entièrement de liberté qu’il ne nous resterait même plus la liberté de savoir que nous ne sommes pas libres ». 

Alexandre Penasse 

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Prélude au capitalisme maternel Axel(le) au pays de l’a‑pensée

Cassou

« Toute pensée est une interrogation sur la frustration. »
Wilfred Bion (psychanalyste britannique)

L’histoire que nous allons conter est celle de Tout!, un généreux pays où rien n’est pensé. Il y suffit de vouloir pour que la Chose advienne. Ses habitants (les Toutsuites!) prennent donc leurs envies pour la réalité ; d’ailleurs, leur adage est : « Je veux donc je suis ». 

Cette loi a depuis longtemps été votée par les élus du TPT (Toutparti!) afin de restreindre les limites contraignant la pleine émancipation de l’humain. 

Axel(le) dort paisiblement. Soudain, son réveil retentit avec fracas, l’obligeant de décliner les dernières avances de Morphée. Axel(le) se dirige alors, entièrement nu(e), vers la chambre de ses enfants pour les réveiller. Après s’être douché ensemble, chaque membre de la famille enfile un jeans H&M en coton bio® cousu main par des gamins du Bengladesh pour aller au Café citoyen(ne). Grâce à une puce implantée dans le cerveau, technologie mise en place par Google, il suffit d’un mot pour se déplacer à l’endroit voulu. À l’estaminet, Axel(le) commande un café Fairtrade® produit au Kenya. Ses enfants réclament quant à eux un jus de tomates espagnoles. Bios® les tomates ! Il s’agit simplement de prononcer « café et jus de tomates » pour que les boissons affluent sur la table, si bien qu’Axel(le) et ses bambins s’illusionnent, convaincus d’avoir créé, par leur envie, les produits à consommer. Ils ne peuvent de fait pas imaginer que ce qu’ils s’apprêtent à enfourner dans leur gosier a été cultivé loin d’eux, à l’autre bout de la chaîne, par des Kenyans et des Espagnols. 

Hector ressent une pression au niveau de sa vessie. Le temps des couches n’étant qu’un lointain souvenir, il se rend aux toilettes. Afin d’éviter de pénétrer dans un cabinet occupé (ce qui serait considéré comme très fâcheux), il a été décidé qu’on ne puisse pas déambuler dans ce genre de lieu par la simple pensée. Le petit Hector doit par conséquent exploiter toute la force motrice de ses jambes pour s’y déplacer. « Ceci est bien malheureux », se dit-il avec dépit. Sur la porte de la cabine, il distingue une affiche qui figure un homme et une femme dans un rond bleu. Plus bas, l’illustration d’un bonhomme urinant debout dans un rond rouge barré. On aperçoit en dessous des logos un écriteau : « Plustous contre la plusmoins sex ! ». Tout! a en effet depuis longtemps le projet d’enrayer les disparités perçues comme dangereuses pour le bien-être de l’espèce humaine. Ce sont les mouvements féministes 2.0 et LGBTQI+++ qui ont initié cette quête émancipatrice. Ceci eut pour effet d’enclencher petit à petit dans les psychismes le déni de la différence des sexes dans le but d’aboutir à la suppression de toutes singularités. Progressistes, les habitants de Tout! aspirent à vivre dans un monde encore plus merveilleux qu’il ne l’est actuellement. Axel(le) est un de ces premiers êtres authentiquement androgyne. Père et mère non-binaire, __ rempli(e) tous les rôles[note]. 

Après avoir suçoté leur jus, les enfants d’Axel(le) s’acheminent en un éclair vers l’école. Hector, 12 ans, est en première année de secondaire. Sa petit sœur, Edith, 5 ans, est quant à elle en dernière année de maternelle[note]. Elle y apprend la novlangue. La particularité des écoles de Tout! est que les élèves doivent être moyens dans toutes les matières enseignées pour valider leur cursus ; ceux qui se situent au-dessus du seuil sont qualifiés d’intellos et envoyés en camps de réadaptation ; en dessous, c’est l’étiquette d’handicapé mental qui colle à la peau avec le camp d’extermination en point de mire. Les génies en philosophie ou en art sont donc de moins en moins légions (les seules singularités encore admises dans la culture Toutsuite! sont les Stars de télé-réalité afin que les nouvelles générations s’identifient à elles et arrivent à un stade d’a‑pensée optimal). Dans la mesure en effet où toute pensée constitue une insupportable interrogation sur la frustration, les Toutstuites! se sentent constamment envieux, ce qui représente une aubaine pour la société de consommation qui prit jadis son envol suite aux ingénieuses visions de Maître Ford. 

Le travail est néanmoins tout aussi important pour le bon fonctionnement de la machinerie. Il est admis que plus on travaille, moins on pense. Et vu que la pensée entraîne son lot de pesantes douleurs à l’âme, les individus de Tout! s’abrutissent de travaux en tous genres. De là, ils se transforment toujours plus en Choses et, contrairement à leurs stupides ancêtres, ils sont contents car, s’ils deviennent purechoses pensentils, ils ne penseront bientôt plus du tout. Tout est fait à Tout! pour bannir le sujet afin de rendre le monde plus juste, plus égalitaire, plus humain. 

Axel(le) se rend sur son lieu d’émancipation personnel. __ bosse dans le milieu de la psychiatrie. Cette discipline a quelque peu évolué depuis l’ancien temps et l’odieuse percée de la psychothérapie institutionnelle. À cette époque ténébreuse, même les fous étaient considérés comme des êtres singuliers. On les percevait en effet comme des individus doués de parole et donc d’une pensée qu’il fallait prendre la peine d’écouter. Heureusement, le philosophe Michel Onfray a autrefois ouvert une brèche dans le démon. Suite à l’écriture de son pamphlet Le crépuscule d’une idole, tout le monde s’est rendu à l’évidence : Sigmund Freud était un cocaïnomane avéré et un misogyne sans scrupule. S’ensuivirent les débuts de la lente agonie de la psychanalyse. « Âge plusmoins bien », pensa Axel(le), tout en ressentant quelques frissons dans son dos. Les choses sont de nos jours heureusement bien plus simples grâce à la Toutirationalisation. Que cela soit en médecine ou en psychothérapie (les deux disciplines tendent par ailleurs à se confondre afin de favoriser le bien-être du client[note]), le thérapeute recueille une somme considérable de données au travers de testings réalisés derrière son ordinateur. Il peut dès lors accumuler une masse d’informations objectives afin de favoriser un diagnostic efficient. Le client est ensuite dirigé vers le protocole de soin conçu pour la guérison. Il est vrai qu’il existe encore des cas quelque peu rétifs – ceux que l’on catalogue dans le DSM 8 d’IREALs (individus récalcitrants encore à lobotomiser). Ceux-ci sont envoyés pour une durée indéterminée dans de petites pièces qui répondent au nom ronflant de « lieu de ressourcement » afin d’aérer leur esprit. Résumer de la sorte le client à un chiffre a un but ô combien louable : le délester de sa subjectivité. Ce sont des thérapeutes d’un genre nouveau, appelés « coaches », qui furent les précurseurs de ce mouvement. Il n’était plus question de prendre en considération ces absurdités de concepts que sont le psychisme et l’inconscient. Abolition de l’âme, étouffement du narcissisme. « Répétez après moi », martèlent en chœur les coaches à leur clientèle depuis des temps ancestraux : « Je n’ai pas d’ego ». 

Après sa journée pendant laquelle __ aura rationnalisé 47 IREALs, Axel(le) rentre chez __ afin d’y faire ses courses pour le dîner du soir. Les grandes chaînes de distribution alimentaire n’existent plus physiquement à Tout! et ont depuis longtemps été remplacées par les « paniers bios® » vendus dans les « Virtual Farms® ». On se rendit compte en effet que procéder de la sorte permettait de réduire drastiquement les déplacements qui polluent et donc de sauver la planète. Et oui ! Oh Oui ! Tout est gagnant au pays de Tout!, le climat et le capital marchent main dans la main pour le bonheur de tous(tes) ! Allumant son ordinateur par la prononciation des premières lettres du mot « O‑R-D‑I» (car procéder de la sorte prend moins de temps que de cliquer sur un bouton ou que de prononcer l’entièreté du mot « ordinateur »), Axel(le) sélectionne, à l’aide d’un casque Google, les ingrédients du menu du soir, à savoir : des spaghettis italiens, du haché argentin, des tomates espagnoles et des carottes péruviennes. En moins de temps qu’il n’en fallut pour les penser, les ingrédients arrivèrent sur la table sous la forme d’un spaghetti bolognaise d’une fraîcheur sans pareil. 

C’est en jouissant de son plat de pâtes qu’Axel(le) visionne une émission retransmise sur Internet. Il s’agit d’un reportage centré sur les derniers soubresauts du racisme et, à l’instar des féministes, il faut dire que les antifascistes ont été très loin dans leurs revendications. Désireux de brasser indéfiniment les différentes cultures du globe, ils ont participé à leur inéluctable déclin. Bien que certains peuples résistent (notamment les Espagnols, les Bengalis, les Péruviens, les Kenyans, les Argentins et les Italiens), ceux-ci sont sur le point de se faire gober par l’irrépressible village planétaire Toutsuite!. Le programme de détection des racistes créés par la branche antifasciste de la gauche progressiste constitue un précieux outil pour l’avènement d’une société où tout le monde est semblable. La fin du reportage se termine par ces paroles clamées par des manifestants antifa : «Plusblanc c’est plusmoinsblanc, plusmoinsblanc c’est plusblanc ! Plusun contre les plusmoinsmême ! Plusmoins aux plusracistes, plusplus aux plusmoinsracistes !». « Plusbien ces prog », pensa Axel(le), tout en aspirant par la bouche un spaghetti italien récalcitrant. 

Parler est une activité qui requiert du temps. Il n’est guère étonnant dès lors de constater que tout le monde à Tout! communique par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Les journalistes ont depuis longtemps disparu afin que l’Ultime Vérité puisse circuler sans entrave. Sur l’Internet Toutsuite!, chacun a le droit d’accoucher d’une parole dans un brouhaha que personne n’écoute. C’est un homme qui se nommait Mark Zuckerberg qui est à l’origine de ce mode-à-être. Ce petit génie de l’informatique eut en son temps la lumineuse idée de créer un réseau social dénommé Facebook qui allait révolutionner la vie des individus. La multinationale participa grandement à l’élévation toujours plus prodigieuse de la vitesse de partage des informations ainsi qu’à la dégénérescence du langage. Tout a commencé par un (dé)clic ; les fameux boutons « j’aime » et « j’aime pas ». On pouvait dorénavant partager en un clic un sentiment sur une publication, sans prendre la peine d’écrire ni d’expliciter son point de vue. Plus besoin de paroles ou de la plume fastidieuse ; les amours et les emmerdes devinrent formulables à la terre entière en quelques secondes. Tandis que chaque individu se promenait avec un smartphone dans sa poche, le langage s’appauvrit peu à peu. C’est ainsi que les plus beaux mots de la langue avaient naturellement disparu et qu’on privilégia les termes les plus simples. Suppression de la poésie, les livres dissous par la vague déferlante. Disparition des métaphores, des tautologies et d’autres subtilités langagières. Moins il en faut pour s’exprimer, mieux c’est. Étant donné qu’il existait moins de mots, il fallait moins penser. Et moins on pensait, moins on utilisait de mots ; les rouages parfaits d’un mécanisme de destruction des subjectivités. 

Comme tous les vendredis soirs après le repas, Axel(le) et ses enfant(e)s se rendent à l’assemblée afin d’y discuter de l’organisation du pays. À l’instar des féministes et des antifascistes, les démocrates ont été très loin dans leurs revendications. Ils ont de fait favorisé l’implémentation des enfants dans la sphère politique dans le but de parachever l’égalité absolue entre les générations. Ces assemblées se résumaient à un passage fugace d’une vague de gens prononçant un « oui » ou un « non » collégial sur des propositions de lois capitales. Point de débat donc. On n’en avait pas besoin, étant donné que tout le monde à Tout! est d’accord sur tout. 

Après avoir été guidés par l’intransigeance du Dieu des religions, après avoir cru au matérialisme historique des marxistes et après avoir été éclairés par les incorruptibles préceptes de l’économie financière, les Toutsuites! s’en remirent au Toutisme!. Plus d’argent (Tout! est une société profondément capitaliste enjolivée d’un vert joyeux permettant de préserver la planète tout en s’en mettant plein les poches). Plus de biens, plus de jouir et plus de « tout tout de suite ». Plus de paraître finalement car l’être, ayant perdu sa boussole, devint trop encombrant à force de demander à la conscience son chemin. 

À la fin de l’assemblée, les Toutsuites! se réunissent dans un vaste bâtiment afin d’y célébrer la messe hebdomadaire. On pouvait apercevoir, inscrit en façade de celui-ci, les lettres C‑A-R-R-E-F-O-U‑R, vestige des temps où l’on devait encore se déplacer avec la force motrice des voitures électriques pour acheter des biens de consommation. Axel(le), Hector, Edith et les autres Toutsuites! écoutent, bienheureux, le discours cérémonial : « Le pluscroire en un plusdetout rend plusmieux les choses en les plusmoinnant de cogito plusmoinsléger à porter. Il nous pluspousse d’être plussûr des plusmieux de notre plusgroupe. Si le plussûr est du domaine du plusplus, le plusmoinssûr est du domaine du plusmoins ; il est le plusmoinsdodo de la plusmoinspure, une plusmoinslibre que nous quittons. Si le plusblanc plusmal les yeux, le plusmoinsblanc rend plusmoinsvoir. Dans le unplusun, c’est plusmême. Nous y voyons plusdetout et c’est plusmieux. AMEN». 

Soudain, un enfant en bas âge se réveille et se met à pleurer. Ressentant dans son abdomen de désagréables tiraillements irreprésentables pour son jeune psychisme, il ne peut mettre de mots sur ces étranges sensations qui sont en fait de l’ordre de la faim. Seuls les cris lui permettent d’évacuer comme il se peut la douloureuse angoisse éprouvée. La mère n’arrive pas tout de suite, elle ne répond pas dans la seconde aux plaintes, favorisant dès lors, sans réellement en avoir conscience, un espace qui permettra au petit être naissant de reconnaître que l’autre n’est pas soi et que soi n’est pas l’autre. C’est cet espace, ce trou, qui permettra au désir d’émerger et à la subjectivité de prendre forme afin qu’advienne un individu à part entière. Tout n’arrive pas tout de suite, que cela est éprouvant ! Les choses ne sont pas créées par l’envie, même si les désirs et les fantasmes sont les moteurs de la création. Douloureuse réalité qu’est celle de la perte en la croyance en son omnipotence. Prenant acte de ceci, émerge alors à sa conscience la première véritable pensée du très jeune Axel : « Et merde ! ». 

Kenny Cadinu 

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Belgique, terre mafieuse

ENTREVUE AVEC CLAUDE ARCHER, FONDATEUR DE TRANSPARENCIA.BE

En Belgique, si les fonctions politiques se lèguent souvent par héritage chez les filles et fils de politiciens, la noblesse place également ses pions, assurant le maintien d’un système inique et indécent dont on peut se demander comment ceux qui le subissent peuvent encore le supporter. Témoin de cette particratie nauséabonde : Valentine Delwart, échevine des finances de la commune d’Uccle, qui a commis un faux en écriture lui permettant de dépasser allégrement le plafond de rémunération publique fixé.

K : Claude Archer, vous venez de dénicher une bombe, une affaire de corruption qui est un cas d’école du fonctionnement du système belge. C’est le cas de Valentine Delwart. 

Claude Archer : Ce n’est pas n’importe qui, c’est la secrétaire générale du deuxième parti francophone, le MR (Mouvement réformateur). C’est elle qui connaît toutes les règles, qui doit vérifier que tous les mandataires de son parti les respectent. 

Sauf qu’elle aussi doit les respecter… 

Comme échevine des Finances d’Uccle, elle ne respectait ni les règles des mandataires ni les règles des finances de sa commune. Elle a, à l’insu de son plein gré comme on dit, détourné une somme qui avoisinait 200.000€ des finances de sa commune. 160.000€ ont été versés en trop, certainement. Et qui devait contrôler ça à la commune ? L’échevine des Finances, elle-même juge et partie. 

Allez, on démarre ! Valentine Delwart touche beaucoup d’émoluments, comme échevine des Finances, secrétaire générale du MR, administratrice à Fluxys, ça se monte à quelques centaines de milliers d’euros. 

Ça c’est juste la rémunération publique. Il ne faut pas oublier que Mme Delwart gère aussi l’héritage des familles Solvay. Certains de ses parents étaient présidents de l’Union wallonne des entreprises. Sa famille est proche de la finance, appartient aux grandes dynasties bourgeoises de la Belgique du XIXe siècle. Donc, c’est assez paradoxal qu’une personne de ce calibre se trouvant au sommet de l’État et de la haute bourgeoisie pensait que ça allait passer inaperçu de violer la loi et de détourner des sommes pareilles. Comment est-ce possible ? C’est en fait qu’elle est considérée comme « intouchable », car héritière de la haute bourgeoisie placée au sommet d’un des premiers partis politiques du pays. De plus, elle connaît les familles qui possèdent les groupes de presse, que ce soit IPM ou Rossel. Alors d’où vient son erreur ? Après les grands scandales politiques en Belgique — les affaires Publifin et le Samu social, avec des rémunérations particulièrement indécentes —, des plafonds de rémunérations publiques maximales ont été fixés à 200.000€, ce qui correspond à une fois et demi le salaire d’un député fédéral. Delwart le dépassait allègrement, mais il fallait trouver une astuce. Ce fut le faux en écriture, flagrant aussi, mais dont beaucoup de journalistes n’osent pas parler. Dans sa déclaration de mandat obligatoire à la Cour des comptes, à la Région bruxelloise et à sa commune, elle a fait trois fois un faux en écriture en déclarant que son mandat de secrétaire général du MR lui était payé 106.000€, alors qu’en réalité ce contrat n’existe pas. C’est l’argent public du Parlement qui lui avait octroyé un poste de collaborateur parlementaire qu’elle n’a peut-être pas presté. 

Un emploi fictif ? 

C’est la question. Peut-on imaginer que quelqu’un soit à la fois collaboratrice parlementaire, secrétaire générale d’un parti et échevine, le tout à temps plein, plus encore administratrice d’une entreprise ? C’est impossible, évidemment. Confrontée à sa fiche de paie, la première réaction de Mme Delwart fut de dire qu’elle ne s’était pas rendue compte qu’elle n’était pas payée par le MR, alors qu’elle est la dirigeante du parti ! Recevoir 106.000€ d’argent public par an depuis onze ans serait une « confusion administrative ». Elle se posait la question. En fait, c’est simplement un faux en écriture. 

Qui pourrait ou devrait l’amener devant la justice ? 

La justice pénale, oui. Bien sûr, mais si on regarde sa déclaration, elle dit clairement que la somme provient du MR, ce qui est donc un faux en écriture qui lui permet d’échapper au plafond de rémunérations publiques, puisque le MR est une organisation privée. 

On pourrait dire, en fait, que les 200.000€ qui lui sont réclamés, c’est le dépassement. Mais dans une société décente, c’est les 106.000€ par an qu’elle devrait rembourser, non ? 

Effectivement, il y a deux problèmes. Primo, le dépassement du montant maximal, et secundo son emploi du temps impossible. Donc effectivement, c’est 106.000€ multipliés par onze années qu’elle devrait rembourser. Et là on dépasse le million d’euros, plus évidemment l’amende pour le faux en écriture. Donc ça doublerait même la somme. Tout « intouchable » qu’elle est, elle va devoir rembourser une partie. Ajoutons les soupçons d’emplois fictifs. Mais là l’infraction de dépassement ne porte que sur les six dernières années, à partir du moment où on a plafonné les rémunérations publiques en y incluant non seulement des mandats mais aussi des fonctions dans des cabinets ministériels. La question de l’emploi fictif nous autorise-t-elle à penser que d’autres personnes payées par le Parlement en fait n’y travaillent jamais ? La première personne concernée que je suis allé voir avant de passer à la télévision, c’est Georges-Louis Bouchez, « GLB », le président du parti, qui m’a répondu que c’était tout à fait légal, qu’une clause dans le contrat de Mme Delwart lui permettait de ne jamais venir à la Chambre. Bizarre qu’un employeur fasse un contrat de travail disant « vous ne devez jamais venir travailler chez moi », non ? J’ai demandé à Bouchez à plusieurs reprises une copie du contrat de Delwart. Il m’a répondu qu’il ne me le donnerait pas, mais que je pouvais voir le sien, car lui-même a été collaborateur parlementaire par le passé et prétend qu’il n’était pas obligé de venir à la Chambre. Donc, en fait, le système d’emplois fictifs a l’air plus important que prévu. Un article paru dans L’ Echo montre que la dotation publique des partis politiques en Belgique est la plus importante par habitant dans l’Union européenne. Par exemple, si en France un électeur rapporte à un parti 1,50€, en Belgique, il en rapporte 6 ! Les partis politiques sont très bien dotés. Et bien l’argent des collaborateurs parlementaires — qui ne sont pas tous fictifs bien sûr — fait que le total pour les partis arrive à 85 millions d’’euros, davantage que leur dotation. Comment voudrait-on que de nouveaux partis se créent et entrent en compétition avec des organisations qui disposent de telles masses d’argent et d’un accès privilégié aux médias ? Il leur est impossible de percer le mur de l’argent. Donc, on a un double financement des partis avec des collaborateurs qui travaillent vraiment et, de plus en plus, des emplois fictifs dans les parlements, à propos desquels les témoignages affluent. Des gens travaillent pour le parti directement et ne font pas leur travail parlementaire. 

Quel est le problème ? GLB répond que le groupe politique au parlement est une extension du parti, et vice versa. Donc c’est kif kif. Alors que le rôle d’un parlementaire est de contrôler l’activité du gouvernement, ses décisions et ses dépenses. Pas de travailler dans un parti politique. Si ces gens comme Valentine Delwart ne viennent jamais au parlement et en fait travaillent pour des campagnes électorales, là c’est illégal. 

Mais on est rassurés, il y a bien une commission de déontologie qui existe. 

Oui, c’est un deuxième chapitre, les complicités et les organes de contrôle. Il y a sept ans a été instaurée une commission de déontologie. Les choses allaient enfin changer. Elle pourrait sanctionner les mandataires qui dépassent le plafond de rémunération. Eh bien, elle n’a jamais été nommée à ce jour ! Chaque année, on se rendait compte qu’il n’y avait aucun candidat pour un poste quasiment gratuit dont les conditions d’accès étaient extrêmement strictes : il fallait un magistrat qui fait ceci et cela, qui soit domicilié à Bruxelles et accepte de travailler presque gratuitement. Donc… Ces critères ont évidemment été décidés à dessein, tellement exigeants qu’aucun candidat ne se présente. Et surprise, en 2024, quelqu’un vient enfin d’être nommé, mais les élus peuvent être rassurés : on propose que la commission se réunisse pour la première fois après les élections. Blanche-Neige se réveille de son sommeil de sept ans et elle va se saisir d’un premier dossier. Mais avant ça, on lui demande comme première tâche de rédiger un code de déontologie, ce qui va prendre encore du temps. Les choses sont très drôles. Devinez qui a été nommé à la tête de cette commission ? La personne qui, au parlement, devait depuis sept ans contrôler Valentine Delwart, et ne l’a pas fait. Ce gestionnaire de la cellule « transparence » des rémunérations s’appelle Jean-Luc Robert. Il va devoir faire un rapport pour comprendre pourquoi lui-même n’a pas sanctionné Delwart. Il est pensionné, dorénavant, et on a estimé qu’il avait toutes les qualités pour occuper ce poste. Il va devoir demander des comptes à la cellule de contrôle des rémunérations. Comme il est pensionné, on doit nommer quelqu’un d’autre à celle-ci. Luimême, avant d’y siéger, était également échevin et membre du MR… qui n’a pas voulu pendant ce temps sanctionner un autre échevin du MR. Ça doit être un hasard ! Maintenant qu’il part à la commission de déontologie, miracle, on fait des appels à candidatures pour trouver les candidats les plus compétents pour le remplacer à la cellule transparence et contrôle des rémunérations. Et là, roulement de tambour, qui est le candidat le plus compétent dans une ville d’un million d’habitants ? Son fils ! Le père va demander des comptes à son fils qui a pris sa relève à la cellule de contrôle. C’est pas beau ça ? Alors on peut aussi regarder les complicités ailleurs avec la commune d’Uccle, où l’échevine des Finances Valentine Delwart ne s’est pas contrôlée elle-même. Mais un fonctionnaire lampiste servira de fusible. Il y a encore mieux. La main sur le cœur, elle a juré de rembourser, en demandant à la commune d’Uccle d’élaborer un échéancier de paiement via l’échevin des Finances, donc elle-même. Autre chose d’anormal, il est un peu étonnant que la chambre du parlement ne contrôle pas les gens qu’elle paie. 

Je rappelle que le MR a fait pression pour qu’on m’enlève ma carte de presse parce que j’avais deux fonctions, journaliste et directeur de PMS, dont une n’était pas rémunérée. J’ai été sanctionné de n’avoir pas cumulé 2 salaires. 

Il faut savoir qu’en Wallonie, les seuls mandataires qui ont été condamnés ou sanctionnés pour des dépassements de revenus sont des conseillers communaux, des lampistes qui gagnaient 120€ par mois. Revenons au financement occulte des partis politiques belges par le parlement. En réalité, toute une série de collaborateurs parlementaires ne travaillent pas au parlement pour contrôler le gouvernement, mais dans les partis. Voilà tout. 

C’est fantastique. Mais heureusement, il y a le quatrième pouvoir, la presse. 

Pour résumer, il n’y a aucune institution à Bruxelles qui contrôle de manière indépendante les dépassements de rémunérations. Ni le parlement, ni les cellules régionales, ni la commune, ni les commissions de déontologie. Précisons que le pouvoir exécutif aurait pu trancher cela. Il reste le pouvoir judiciaire. On verra bien ce qu’il fera. On connaît sa capacité à laisser traîner des affaires très longtemps. Le juge Michel Claise me disait récemment que la durée moyenne d’un procès pour une grande fraude fiscale, c’est 16 ans, parce que les plaignants, généralement fortunés, font toujours appel. Donc c’est une forme d’immunité. Heureusement, on va compter sur la presse, cet outil de la démocratie. Qu’a‑t-elle fait ? Il faut saluer Gauvain dos Santos qui a osé aller contre ces intouchables dans la Dernière Heure, info reprise assez vite par BX1 et par la chaîne Bruzz. Par contre rien à la RTBF, à RTL, dans Sud-Presse et dans La Libre Belgique. À BX1, le journaliste Michel Geyer me dit, après avoir parlé avec Mme Delwart, qu’il était aussi tout à fait d’accord que c’était la faute du fonctionnaire qui aurait dû lui retirer son salaire. Et là je lui dis que je refuserai de colporter ses paroles incriminant un fonctionnaire innocent ; ce faisant, la discussion est interrompue par un événement divin : un pigeon chie sur sa tête ! 

Comme quoi il y a des signes. C’était une interview de merde ! 

On recommence l’interview après nettoyage. Et là je lui dis ma version des faits : il s’agit d’un faux en écriture, c’est un fait pénal. M. Geyer me répond que Mme Delwart pourrait me faire un procès en diffamation. Il est quand même étonnant que le journaliste se fasse l’avocat de l’accusée pendant l’interview. En termes de déontologie journalistique, j’ai un peu du mal ! Et là, il me dit : « Il ne faudra pas venir pleurer quand vous aurez un procès aux basques ! ». Je lui rappelle alors que je l’avais croisé quelques années plus tôt après les élections dans une soirée privée du MR où se trouvait aussi Mme Delwart. Que faisait-il là ? Moi j’y étais pour faire signer des promesses de transparence à Delwart, promesses qu’elle n’a jamais tenues. Je tiens bon, poursuis l’interview, annonçant que nous avons décidé de créer un parti « transparence » et une liste aux élections qui permettrait un contrôle citoyen. Au montage, tout est coupé ! Il garde juste le faux en écriture parce que je l’avais menacé de dévoiler sa présence à une soirée privée du MR. Quand je regarde la vidéo après, à la fin de l’interview, Geyer me dit qu’il va recontacter Mme Delwart. Pourquoi ? Veut-il la mettre au courant ? Sur le site de BX1, la vidéo de la première interview de Delwart disparaît et est remplacée par une deuxième interview beaucoup plus calme où elle pose dans son bureau de secrétaire du MR, expliquant qu’il ne s’agit que d’un petit problème d’ambiguïté administrative, qu’elle s’engage à rembourser et que son travail est tout à fait justifié au siège du MR. La première version en début de journée est « Je n’étais pas au courant que j’ai été payée ». La deuxième version c’est « Il y a eu une confusion administrative » ; et la troisième version, « C’est tout à fait normal, je vais rembourser ». 

Cela confirme que la plupart des médias sont des outils de propagande politique. 

En tout cas les médias publics. J’ai introduit une demande de droit de réponse et il me fut d’abord répondu que c’était une interview qui n’existait pas encore en ligne. J’avais quand même téléchargé la vidéo ! Mais bon, honnêtement, BX1 a au moins réagi. Ils ont essayé de m’intimider, mais j’ai tenu bon. Finalement, la version de Mme Delwart occupe presque tout le temps et moi j’ai 30 secondes pendant lesquelles j’ai quand même pu prononcer les mots « faux en écriture ». Dans les autres médias, c’est bien pire. Le lendemain, la RTBF m’appelle et me propose de passer dans le JT de 13 h pour raconter cette énorme affaire. J’accepte. C’est le journal télévisé de Sacha Daout. L’équipe arrive, se met en place et Daout me dit que, suite à un coup de fil de la direction, il devra traiter d’un autre sujet. L’équipe fait demi-tour et l’interview n’aura jamais lieu. 

N’y aurait-il pas quelques liens sociologiques avec le MR, par hasard ? 

On a découvert que l’oncle de Daout est l’avocat de Didier Reynders, est lui-même élu à Uccle et a promu la carrière de Valentine Delwart. Tout ça doit être un hasard, bien sûr. Daout est assez mal à l’aise, il faut le reconnaître, que sa production lui demande d’arrêter le sujet. Il me recontacte le lendemain. Je reviens avec des informations complémentaires, non publiées dans les autres médias. Je lui explique l’histoire de cette commission de déontologie où le père contrôle le travail du fils, etc. Eh bien la RTBF n’en parlera quasiment plus, juste un petit article en ligne qui noie le poisson dans une immense explication législative que personne ne lira, probablement. 

RTL-TVi ? 

Silence radio. Quand vous voyez le nombre de présentateurs de RTL qui sont devenus députés du MR, on l’appelle à raison la chaîne Télé-MR. Eh bien Télé-MR n’a rien publié. De la dirigeante du premier parti francophone qui détourne 200.000€, on n’en parle pas. Il faut dire que les pauvres journalistes qui cracheraient dans la soupe auraient du mal à devenir députés. Du côté de La Libre, c’est assez discret, juste un entrefilet. Alors Le Soir, c’est magnifique ! Là, je contacte le journaliste Julien Thomas qui couvre l’actualité politique bruxelloise. Il a fait très fort. Il a juste écrit dans une colonne sur le bord de la page qu’une échevine devait rembourser, suite à une erreur administrative qu’elle avait spontanément déclarée. J’étais fort étonné. En fait, cette version dans Le Soir est un message qui était envoyé à toutes les rédactions par Delwart, dont j’ai eu une copie grâce à des amis journalistes. En substance elle y dit qu’il ne faut pas citer Transparencia.be, que c’est elle qui a spontanément déclaré l’irrégularité. Thomas a recopié cette version, qui était aussi celle de GLB. C’est catastrophique, mais on a trouvé encore mieux. La palme revient au journal La capitale, dont le rédacteur en chef me garantit que l’affaire sera traitée. Cinq jours après, il n’y avait toujours rien, alors que c’était de l’info locale, sa spécialité. Par contre, dans les semaines précédentes, il y avait une double page sur GLB. Après réflexion, je me rends compte que, juste avant les élections, il y a quelques mois, le rédacteur en chef de La Capitale a changé. Il s’agit de Moustapha Er, qui n’est personne d’autre que le porte-parole de la bourgmestre MR de Molenbeek d’alors, Françoise Schepmans, qui est aujourd’hui première échevine. Son porte-parole est donc devenu simplement le directeur de la section 

bruxelloise du premier quotidien de presse locale belge. Résumons-nous. Il y a quelques journalistes courageux. Et moi, ce n’est pas la première fois que je me fais intimider pour ce genre de déclaration. Au moment du Samu social, Transparencia.be avait sorti d’autres irrégularités, des rémunérations indues de mandataires à Woluwe-Saint-Pierre et à Schaerbeek. Dans la demi-heure, après l’avoir dit à la radio sur Vivacité, le chef de l’info bruxelloise, Yves Thiran, m’appelle sur mon GSM pour m’avertir que je risquais un procès en diffamation ! Et non pas pour faire un scoop avec l’info que je lui donnerais. Il me parle d’une jurisprudence de la Cour de Luxembourg qui n’est pas d’accord sur ce terme-ci. Qu’est-ce que ça a à voir ? J’envoie à l’époque un email à Jean-Pierre Jacqmin, directeur de l’info, en lui demandant que ses journalistes cessent de m’intimider et en lui signalant que je continuerai à parler de « rémunérations indues ». Là, directement, mon téléphone sonne, c’est Jean-Pierre Jacqmin ! L’ayant contacté par écrit, je refuse de lui répondre au téléphone. Après de multiples tentatives téléphoniques, il finit par me répondre par retour de courriel « on voit qu’on ne peut pas collaborer avec vous ! ». Ça s’est terminé comme cela. Donc il faut savoir que beaucoup de lanceurs d’alerte sont intimidés directement par des rédacteurs en chef ; même pas besoin que l’individu accusé le fasse lui-même, il a ses amis dans toutes les rédactions, qui vous rappelleront à l’ordre : « Attention, vous risquez un procès en diffamation ! ». Voilà comment ce quatrième pouvoir ne joue pas son rôle. Une presse indépendante et des institutions citoyennes indépendantes sont la seule solution pour contrôler notre État, notre classe politique et l’argent public, qui représente un tiers du PIB de la Belgique. 

Propos recueillis en direct par Alexandre Penasse en mars 2024, retranscrits par Bernard Legros. 

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Si seul on va plus vite, ensemble on va plus loin

Durant des générations, nous avons tous été programmés pour un monde de consommation du « toujours plus ». Mais face à ces temps amenés à se dégrader, si nous devions vraiment être en difficulté durant les prochaines décennies, nous aurons besoin de connaître nos voisins en nous rebranchant sur le vivre ensemble et le service des autres. Nous allons devoir mutualiser nos talents, nos savoirs et savoir-faire pour construire des réseaux de partage et entraide, en essayant de voir nos voisins comme des tremplins et non des obstacles. Nous sommes tous interdépendants et la seule chose qui nous reste à faire, c’est créer des liens, tout comme dans la nature et le vivant. C’est aussi la possibilité d’entreprendre à plusieurs ce que l’on n’aurait pas imaginé entreprendre seul. Ne devrions-nous pas prendre l’exemple des abeilles, où l’échange et le partage concourent à l’équilibre de la ruche ? Les abeilles ont pris conscience de leur unité. À nous de créer des liens similaires, une économie d’échange où les gens se connaissent, coopèrent en visant des objectifs qui profitent au plus grand nombre. Que celui qui sait couper du bois le coupe pour celui qui n’en a plus la force physique, et celui qui n’en a plus la force coupe les légumes pour la soupe. Ce qu’il nous faut, c’est refaire naître en nous l’envie de nous battre tous ensemble. Ainsi, depuis pas mal de temps déjà on constate l’apparition de plus en plus d’initiatives créatrices de nouvelles solidarités. Certains pensent à réduire leurs espaces habitables en les partageant avec d’autres, en habitats participatifs ou groupés. Cela permet entre autres et par exemple de s’accoler en maisons mitoyennes à ses voisins en se réchauffant les uns les autres. Voilà donc une solution bien dans l’esprit « bioclimatique ». D’autres imagineront des groupements d’achat, des services d’échanges locaux (SEL) et diverses autres associations comme Solaris[note], un réseau d’entraide. Ces contacts humains, échanges et rencontres entraîneront du bonheur, mais tout cela n’ira pas sans souplesse et tolérance. 

CHANGEONS DE PARADIGME 

Notre modèle s’effrite, tous les chiffres sont affolants et ce qui nous pend au nez est la disparition de la vie sur Terre. Face à cela, il est temps d’explorer d’autres pistes en vue du monde de demain. Notre civilisation de la combustion énergétique n’a pas arrêté de produire des déchets, contrairement à la nature. Aussi pourquoi n’imiterions-nous pas, nous aussi, la nature en transformant nos déchets en ressources ? L’usage des toilettes sèches est un bon exemple. Elles évitent d’utiliser de l’eau potable pour évacuer la matière fécale, laquelle servira ensuite de compost. Tout dans la nature est en relation, en interaction, et si on ne va pas rapidement vers une prise de conscience collective, on va droit à la catastrophe. Cela demande de cerner et définir nos objectifs, de voir ce dont on a réellement besoin ici et maintenant afin de nous offrir un imaginaire plus agréable que l’actuel. Pour changer et faire face à ce nouveau monde, il faut apprendre à quitter sa petite zone de confort. La question à se poser est celle de savoir ce que nous sommes prêts à abandonner. 

Malheureusement, aujourd’hui, rien ne nous pousse ou ne nous invite à construire le changement dans la sobriété. Notre société globalisée et interconnectée rend les changements très difficiles. Si on souhaite que « cela bouge », il faut parfois établir des rapports de force avec les institutions qui ont le pouvoir, car naturellement elles ne bougeront pas. Aussi, il serait parfois légitime d’oser dire non à ce qu’on ne veut pas, pour faire changer la ligne de ce qu’on nous impose arbitrairement. Face à certaines réglementations absurdes, la désobéissance est le seul moyen de fragiliser l’oppression. Un exemple : l’architecture qui se construit est trop souvent une architecture de façade, qui se montre, doit se voir de l’extérieur. C’est trop souvent de l’architecture de l’oppression qui contredit l’habitat léger, la « cabanisation ». Aussi pourquoi ne pas oser demander des dérogations afin de sortir de tous ces diktats de l’urbanisme ? La clé étant de ne plus accepter ce qui va à l’encontre du changement. Comme ce changement ne viendra pas d’un gouvernement qui prône la croissance et refuse de prendre les mesures qui s’imposent, c’est à nous de montrer la direction à suivre, de changer nos comportements et d’opérer la transition. Pour exemple, prendre des auto-stoppeurs aura pour conséquence de désengorger les embouteillages du matin et du soir. Nous disposons peut-être d’un certain pouvoir de changer le système, comme la grève générale des achats. C’est ce que nous disait Coluche à sa façon : « Quand on pense qu’il suffirait que les gens n’achètent plus pour que ça ne se vende pas ! ». Aujourd’hui nous avons besoin de solutions radicalement nouvelles, adaptées aux défis présents. Dans un monde de biodiversité, il faut une biodiversité de solutions, ce ne sera pas l’unique solution, mais des éléments de solution. Encore une fois, ce n’est qu’ensemble qu’on pourra s’en sortir. Il nous reste à nous adapter[note] en mettant une autre société en place, une société de partage responsable et solidaire. Orientons-nous donc vers une forme de simplicité sans croissance, en créant des systèmes faits de petites structures locales, souples, faciles à gérer et en en revenant à une échelle qui permet de passer à l’action rapidement. 

PENSONS « AUTONOMIE » 

Comme nos ressources ne sont pas inépuisables, il s’agit d’apprendre à vivre avec un minimum de celles-ci, un minimum de gaspillage et un maximum d’ingéniosité. Ne serions-nous pas plus libres et indépendants, notamment dans les domaines alimentaires, en acquérant quelques bonnes terres ? Faute de celles-ci, il reste l’alternative de se tourner vers les magasins locaux. Ce pourrait aussi être le plaisir de s’enrichir en créant de bonnes relations, non monétarisées en utilisant la June, une monnaie libre3 . Imaginons une diversité d’approches, et interconnectons-nous localement en réseaux intimement liés. Concrètement, cela pourrait consister à apprendre à vivre sans voiture et sans supermarchés, à privilégier le petit, le frugal, le local. Après la nourriture, il faut nous abriter ; une règle élémentaire pour construire pas cher, c’est l’autoconstruction. Construire demande un peu de bon sens, mais on peut aussi se faire aider par des personnes qui s’y connaissent ou mettre en place des chantiers participatifs, où l’on invite des personnes à venir vous aider et à qui vous donnez des conseils, en échange du couvert et du gîte. Si vous manquez de savoirfaire, une seconde règle consiste à vous faire aider par des corps de métier qui travaillent en régie et se font payer selon les heures prestées et non sur base de devis sur lesquels ils 

auront pris une marche de sécurité. Une troisième règle est de se servir des matériaux qu’on a à portée de main ou des matériaux de récupération. À titre d’exemple, il y a la possibilité de construire ses fondations au départ de vieux pneus. S’il est également un matériau facile à trouver, c’est bien de la terre. Si votre terrain est argileux, prélevez-en donc de l’argile pour construire vos murs. Il suffira de tester la quantité d’argile que contient le sol. Si vous êtes proche d’une forêt, essayez d’utiliser un maximum de bois pour la construction. N’oubliez pas cet autre matériau isolant qu’est la paille. Pour le toit, il n’est pas bien difficile de récupérer des tuiles. Les toitures végétales sont également assez « tendance » et apportent une très bonne isolation. Une fois le gros du chantier réalisé, il faut encore penser à l’énergie. Comment aménager son intérieur avec peu d’appareils électriques. Il est possible d’installer des panneaux solaires. Concernant l’eau, on compte environ 60 m³ d’eau par personne et par an. Il faudra donc installer des cuves de récupération d’eau de pluie de taille adaptée. Le meilleur matériau de stockage de l’eau est la pierre calcaire ou le béton. Le béton (basique) permet de neutraliser l’acidité de l’eau de pluie et donc de la rendre potable. Mais avant tout, commencez par éviter de gaspiller l’eau, notamment dans les chasses. Pour cela, adoptez la toilette sèche. Le traitement des eaux usées n’en sera que plus simple. Il pourra se faire par deux fosses septiques successives, facilement constructibles par vous-même en raison de sa simplicité (voir le système Traiselect [note]). Vous pouvez l’accompagner d’une petite station de phytoépuration, le traitement de l’eau par des plantes. Vous pouvez chauffer votre eau via des panneaux thermiques, mais aussi en bricoler un en déroulant un bon vieux socarex (tuyau en polyéthylène noir), éventuellement sous une vitre. Avant de chauffer votre maison, commencez par bien l’isoler, puis pensez à une chaudière à bois qui vous permettra peut-être également de cuisiner. D’autres techniques existent également, comme le mur Trombe[note]. La gestion des déchets est aussi primordiale pour vivre en autonomie. La solution simple est d’en produire le moins possible, en privilégiant par exemple des produits sans emballage. Pour conclure, je rappellerais qu’on vit bien plus facilement l’autonomie ensemble que seul. À ce propos, l’habitat groupé pourrait être un prochain sujet. 

Christian La Grange 

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Brèves

POUR LA LUMIÈRE SUR LES DÉGÂTS DES VACCINS 

Concernant les effets graves des vaccins contre le covid-19, un enjeu important est la possibilité d’autopsies. Plusieurs obstacles peuvent se présenter : même si la victime aurait souhaité que son corps soit soumis à ce procédé, la famille peut s’y opposer, car pas conscientisée ou réticente à l’idée que le corps du proche soit abîmé, ce qui est bien sûr compréhensible et respectable. Mais l’enjeu d’éclairer les causes l’est aussi (voir notamment, dans ce numéro, l’article sur les problèmes cardiaques et les vaccins à ARNm, avec des infos sur un des remèdes possibles). À cet égard, un avocat engagé et connaisseur de la problématique m’a formulé cette idée très pertinente : celle d’une lettre d’intention d’autopsie, en cas de décès soupçonnable d’être une suite des vaccinations, sur le modèle de la déclaration anticipée relative à l’euthanasie. 

D. Z. 

NÉCROLOGIE NÉOLIBÉRALE 

Ça dégage chez les néolibéraux « canal historique ». Après le Chilien Sebastian Piñera, mort à 74 ans le 6 février dernier aux commandes de son hélicoptère, le Canadien Brian Mulroney s’est lui éteint paisiblement à 84 ans, le 29 février. Ces deux hommes, qui furent un temps à la tête de leur État respectif, représentaient à merveille les noces incestueuses de la politique et des affaires. Leur sourire flamboyant manquera aux marchés. L’équipe de Kairos adresse à ceux-ci ses sincères et néanmoins satisfaites condoléances. 

B. L. 

VACCINS GÉNÉTIQUES ET SANG CONTAMINÉ 

Des scientifiques japonais publient sur preprints.org (voir https://www.preprints.org/manuscript/202403.0881/v1) un appel urgent à déterminer des lignes directrices internationales en ce qui concerne le traitement du sang issu de donneurs vaccinés (ARNm ou ADNm) ou atteints de covid long. Leur revue, qui compile et référencie les nombreux problèmes rencontrés depuis cette vaccination massive, tente d’une part de lister les différents risques possibles lors d’une transfusion, mais également transplantation d’organe en cas de donneur vacciné ou atteint de covid long, et d’autre part de donner des solutions afin de ne pas revivre les situations du sida ou de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (maladie à prion), toutes deux transmissibles par le sang. La revue n’a pas été encore évaluée par les pairs, mais les interrogations et hypothèses scientifiques sourcées semblent solides. Une information donc, à ne pas perdre de vue. 

M.F. 

JE VEUX, DONC JE SUIS ! 

Peu de temps après avoir envisagé la possibilité d’envoyer des troupes de l’OTAN en Ukraine, Emmanuel Macron s’apprête à demander à la Russie un cessez le feu lors des prochains Jeux Olympiques qui auront lieu à Paris. Il fallait oser, surtout quand on sait que le CIO a autorisé la participation des athlètes russes au JO à la stricte condition que ceux-ci concourent sous bannière neutre et qu’ils n’aient pas soutenu la guerre. 

DEUX POIDS DEUX MESURES 

Pendant ce temps, le CIO accuse la Russie de politiser le sport (cette dernière envisage en effet de créer un concurrent aux JO sous la forme des « jeux de l’amitié »), là où ce comité a lui-même confondu l’aspect politique et sportif au travers de la décision citée ci-dessus. 

K. C. 

TECHNOCRITIQUE INCLUSIVE 

Curseurs est un nouveau semestriel bruxellois d’une cinquantaine de pages, consacré à la critique de la technique. Il vient de sortir son n° 2, qui examine la pression numérique dans l’éducation, avec des articles approfondis. En soi, c’est une très bonne nouvelle. Hélas, la rédaction a fait le choix de l’écriture inclusive dans toutes ses déclinaisons, y compris les glyphes (représentations graphiques d’un signe typographique) qui rendent la lecture encore plus pénible. Un certain Emmanuel s’en explique en faisant appel à la linguistique (p. 5). Sûr qu’un linguiste comme Jean Szlamowicz (cf. Les moutons de la pensée. Nouveaux conformismes idéologiques, Le Cerf, 2022) ne serait pas d’accord… 

B. L. 

ET LA CORRUPTION ? 

Dans Le Soir du 8 mars, les présidents des partis francophones discutent de leurs recettes pour lutter contre l’extrême droite : aller sur le terrain, réguler les dépenses des partis, revitaliser la démocratie, faire ce que l’on dit, et même oser les sujets qui fâchent. Tous les sujets ? Non, pas la corruption, mot qui n’apparaît pas une seule fois dans leurs propos. Cette corruption est systémique. Ainsi, ceux qui se présentent comme ses ennemis pour se faire élire en sont eux-mêmes accusés : Marine Le Pen, son père et 26 autres membres du Rassemblement national sont poursuivis pour détournement de fonds et complicité. La classe politique actuelle est désespérante. Allez les politiques, encore un effort… dans la direction opposée ! 

B. L. 

COVIDISME PAS MORT 

À l’occasion du 4ème anniversaire de la « crise sanitaire », Le Soir des 16 & 17 mars ravive le storytelling covidiste, avec le concours de 4 Deus ex Big Pharma : nous sommes priés de comprendre que les experts avaient bien tout compris dès le départ, que la politique sanitaire menée fut sensée, équilibrée, efficace. Si « plus personne ne conteste l’utilité du masque pour freiner la transmission des virus respiratoires » (ah bon ?), les journalistes admettent quand même la réalité d’effets secondaires des vaccins (sic), seulement de « rares » cas de myocardite chez les jeunes. Lecteurs du Soir, vous voilà mentalement prêts pour la prochaine plandémie, déjà annoncée, mais qui ne sera plus due à « un descendant du sars-cov‑2 », affirme Marius Gilbert. Ça va innover dans les labos ! 

B. L. 

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Kairos 64

Censurer en coulisse pendant qu’on fait le spectacle de la liberté d’expression

Le 21 mars, j’étais invité au centre culturel de Perwez pour un apéro-débat qui devait avoir lieu suite à la projection d’un documentaire sur Julian Assange, « Hacking justice ». Quelques jours avant celui-ci, et alors que le responsable de projet du centre avait publié l’affiche de l’événement, ce dernier m’appelle : « Les membres du Conseil d’administration ont découvert que vous étiez invité et ont refusé votre présence ». Raison invoquée : je serais « transphobe » et « extrémiste ». C’est en particulier un des partenaires, la Ligue des droits humains, via son représentant Olivier Boutry, qui a fait pression pour empêcher ma présence. 

Croyez-vous toutefois que ces courageux humanistes aient donné officiellement une quelconque raison à ce refus ? Bien évidemment que non. L’annulation s’est faite en bonne et due forme, dans le secret des conseils d’administration, empruntant les habituelles et viles pratiques des partis politiques. Qu’ont-ils pourtant à cacher ? Ne font-ils pas que le bien en interdisant à ce dangereux militant d’extrême droite qu’est le rédacteur en chef de Kairos, bientôt prêt à rejoindre les rangs des skinheads en combat shoes, de venir parler ? Pourquoi ne supportent-ils pas publiquement leur décision ? La réponse est assez simple : ils n’ont aucunement les moyens d’étayer leur refus et les qualificatifs qu’ils m’accolent. Ceux-ci ne sont que le reflet d’un mimétisme niais et d’un conformisme inclusif qui leur assurent qu’ils ne seront pas exclus des instances officielles dont ils dépendent pour leur survie économique et mentale. 

Dans ce combat pour un confort personnel bien relatif, ils ne réalisent pas qu’ils sacrifient les valeurs qu’ils disent pourtant défendre : ils ostracisent le sujet et bafouent la liberté d’expression[note]. Aucune perception du flagrant délit de contradiction quand ils indiquent sur l’affiche de la soirée une citation d’Assange : « Qui suis-je ? Je me suis battu pour la liberté et j’ai été privé de toute liberté. Je me suis battu pour la liberté d’expression et on m’a refusé toute expression. Je me suis battu pour la vérité et je suis devenu l’objet de mille mensonges ». Un comble dès lors, quand on lit l’intitulé de la soirée : « Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté ». La Ligue des droits humains s’est donc dotée de représentants qui exécutent pendant qu’ils disent défendre ? 

J’ai donc écrit à Olivier Boutry, de la LDH (voir ci-dessous). Pensez-vous qu’il ait eu la décence de me répondre ? On ostracise, vilipende, assassine… mais silencieusement. 

Tout cela est-il si étonnant, au fond ? À une époque où : 

L’on commémore la Shoah, veille de huit décennies, alors qu’on massacre sous nos yeux les Palestiniens, qu’on affame et torture, et que dénoncer cela nous range comme « antisémites » – au point qu’on sait que la focalisation excessive sur le passé ne sert au fond qu’à effacer le présent. 

Évoquer l’usine à enfants qu’était par exemple l’Ukraine peu avant le début de la guerre, fournissant en enfants les couples occidentaux stériles ou homosexuels, dénoncer la marchandisation des femmes et de leur corps utilisés à seule fin de fournir une progéniture qu’elles ont bien voulu voir grandir en leur sein pour une contrepartie financière, et que ces propos nous réduisent à n’être que des « homophobes ». 

Dénoncer le business du changement de sexe comme n’étant pas la réponse à une demande soudainement en expansion, mais plus souvent la création d’un problème chez des enfants en mal d’identification, perdus dans un monde sans repère, où on les illusionne d’une solution toute faite, leur faisant croire qu’il est possible de changer de sexe, alors qu’une prise en charge thérapeutique apporte le plus souvent la solution[note], et que cela nous voue aux gémonies, frappés du stigmate de « transphobes ». 

Le sens commun disparaît, alors que l’intérêt privé est appelé bien commun et le vol « confusion administrative[note] ». Dès lors que tout est mensonge, il est inévitable que les politiques s’affairent à l’organisation médiatique d’une vérité fictive. Ils déguisent leurs mensonges, leurs perpétuelles corruptions qui en font un mode opératoire politique plus qu’un accident de parcours, confirmant qu’ils ne travaillent que pour leurs biens, qui n’ont de communs que le partage du butin entre eux, devant donc inévitablement parer leurs forfaitures des habits de la bienveillance. 

Mais il y a pire que tout cela, c’est que nous sommes entrés dans une sorte de réalité virtuelle où même la vérité révélée n’a plus aucune incidence sur le récit collectif, ce dernier étant phagocyté par des groupes médiatiques qui ont le monopole de parler pour tous les autres.. Le roi est nu, nombreux le savent, mais les gramophones médiatiques, la RTBF, RTL-TVi, La Libre Belgique… répètent qu’il est superbement habillé. Parfois, s’ils ne peuvent faire autrement, ils disent qu’il a un petit accroc dans son costume, mais rien de grave… On se sent donc parfois comme lesté par une force dont la puissance est tel l’écho d’une voix résonnant dans le désert. Une sorte de vide. 

Il faut alors du courage à notre époque pour oser la parrhêsia ou ce fait de «Tout dire», ce qui peut signifier sans doute dire n’importe quoi, sans faire de tri, sans retenue ni entraves, mais aussi, et peut-être surtout, oser dire ce que notre lâcheté ou notre honte nous retiennent immédiatement de délivrer – ou encore plus simplement : s’exprimer avec sincérité et franchise. Parler sans pudeur et sans peur. On peut donc traduire par : “franc-parler”, “dire vrai”, “courage de la vérité”, “liberté de parole” »[note]. Ceci peut donner l’impression « d’une notion recouvrant avant tout une caractérisation psychologique », alors qu’il revêt au fond « une valeur politique centrale permettant de réévaluer le rapport entre démocratie et vérité, une valeur éthique décisive pour problématiser la relation entre le sujet et la vérité, une valeur philosophique pour dessiner une généalogie de l’attitude critique ». 

C’est une condition indispensable pour sortir de notre condition d’esclave, contrastant avec cette obéissance conformiste majoritairement répandue : « Le franc-parler démocratique se distingue donc du parler craintif et soumis de l’esclave, il ose introduire le risque de l’inégalité et de la rupture des unanimités passive. Il se distingue encore de deux autres régimes de parole. Il s’oppose d’abord au discours des flatteurs. Le parrèsiaste (…) est celui qui, à l’inverse des démagogues ne cherchant à faire entendre au peuple que les opinions que ce dernier prend plaisir à écouter, prend sur lui de proclamer des vérités désagréables à entendre, faisant dissensus et entraînant le risque d’une réaction populaire hostile ». On retrouve ici le principe premier de George Orwell, qui écrivait « La véritable liberté d’expression, c’est de dire aux autres ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre ». Non pas pour un plaisir vicieux de déplaire, mais parce que la vérité, la plupart du temps, ça déplaît ! « La parrêsia dit vrai, elle est donc le droit de dire vrai, en face de celui qui est fou, de celui qui ne détient pas la vérité. Et [quelle] plus grande douleur que se trouver dans une situation d’esclave, soumis à la folie des autres, alors que l’on pourrait dire la vérité et que l’on ne peut pas »[note]. 

Le sujet qui a le courage de dire vrai devant les autres doit s’attendre à être exposé publiquement et lynché médiatiquement, d’autant plus s’il avait déjà une certaine notoriété publique. Comme l’écrivait Guy Debord : « Là où personne n’a plus que la renommée qui lui a été attribuée comme une faveur par la bienveillance d’une Cour spectaculaire, la disgrâce peut suivre instantanément. Une notoriété anti-spectaculaire est devenue quelque chose d’extrêmement rare […] Être connu en dehors des relations spectaculaires, cela équivaut déjà à être connu comme ennemi de la société[note] ». Sans cette anticipation, il risque de vivre très difficilement la destruction subjective dont il sera l’objet, un peu comme un boxeur qui enfilerait ses gants mais oublierait le casque, ingénieusement confiant que la vérité sera acceptée par des sujets qui « tout de même, ne peuvent l’ignorer ». 

La parrhêsia authentique doit toutefois se distinguer d’un mode de « tout dire déréglé, altéré, dénoncé par Platon dans le livre VIII de sa République, et qui serait finalement le droit reconnu à tous de dire tout et n’importe quoi, qu’on fait valoir comme preuve du bon fonctionnement démocratique »[note]. Cela nous rappelle Nuit debout, ou les sempiternels commentaires sur les réseaux sociaux. 

On retrouve dans le concept de parrhêsia, aussi l’idée de changement social : « La parrhêsia est une parole de vérité certes, mais sa fonction principale est de faire bouger les lignes de force des existences plutôt que de nourrir l’écriture de traités »[note]. Nous touchons ici à la question de la pensée libre, de penser par soi-même, en se nourrissant de l’apport des autres, évidemment, car le langage et la pensée nous viennent toujours des autres. La parole parrhèsiastique est définie par « le tissage de nœud serré entre vérité, liberté, courage et subjectivité[note] ». 

FAIRE SEMBLANT DE FAIRE UN DÉBAT… DÉJÀ ANNULÉ 

Des représentants du comité Free Assange Belgique devaient, sur ma proposition, m’accompagner pour le débat. Leurs réactions à l’interdiction que je sois présent, fut digne : 

« Je suis choquée de cette exclusion qui n’a aucun sens, encore moins dans un débat sur la liberté d’expression ! Si Alexandre ne peut pas y aller, je ne comprends pas comment nous pourrions tenir un débat serein ?Je ne comprends pas non plus comment la Ligue des droits humains peut cautionner cette exclusion. Ces personnes ont-elles lu ce qui a été écrit dans Kairos à propos d’Assange ? Ont-elles écouté les émissions sur Assange ? C’est bien de cela que l’on aurait dû parler, d’Assange, de WikiLeaks, de la nécessité de pouvoir continuer à dénoncer les crimes de guerre.C’est bien de cela que l’on aurait dû parler, de la façon dont les États-Unis veulent détourner le projecteur braqué sur eux par Assange vers Assange lui-même pour qu’on oublie leurs crimes. Le débat ne peut pas avoir lieu. C’est désolant ». 

Un autre orateur attendu pour le débat réagira : 

« Bonjour, est-ce que ces braves gens te donnent une raison pour ce Berufsverbot ? Comme ça au moins on pourrait réagir. Personnellement je trouve qu’on ne peut pas participer à un débat sur le journaliste Assange en excluant un autre journaliste du débat ». 

Après leur excommunication silencieuse, les libres esprits du centre culturel de Perwez auraient voulu que des représentants du comité Free Assange Belgique soient tout de même présents et participent au débat, ce que ces derniers ont refusé[note] : 

« Bonjour,Je prévoyais un peu cette «solution». Une solution sans doute de compromis pour que le ciné-club de Perwez puisse continuer. Elle n’est cependant pas bonne ! D’abord l’interdiction de la venue d’Alexandre Penasse pour le débat reste inadmissible.Interdire la venue d’un journaliste pour un débat sur la liberté de la presse et les enjeux qu’elle représente en démocratie, c’est la réponse par la censure à cette question importante de la liberté d’informer et d’être informé. Elle en dit long sur ce que pensent les partenaires de l’organisateur. Deuxièmement c’est priver le public du débat annoncé et qui j’en suis certaine aurait été nécessaire.Le film est très bon mais pour des personnes non informées, il est nécessaire de le remettre dans le contexte et surtout une mise au point sur la situation actuelle aurait été importante. Le film s’arrête en 2021. (…) Troisièmement, le Comité ne sera pas présent. Il est cependant dommage que si des personnes sont intéressées, elles ne puissent pas entrer en contact avec nous. Je proposerais donc une table près de l’entrée avec des tracts qui donnent les contacts, des autocollants, une liste de livres pour approfondir le sujet et… pourquoi pas quelques journaux Kairos contenant des articles sur Assange. Il n’y a pas tant de journaux qui traitent de l’affaire Assange et de ses enjeux.Tout cela est regrettable. Je continue de penser que les foyers culturels sont importants et que le public reste le plus important. Éducation populaire ? Oui éducation populaire, nous continuerons à essayer d’y apporter notre part. Merci à ceux qui essayent aussi ». 

N’est-ce pas ce qu’ils font en permanence : créer de faux débat ; censurer ; ne pas évoquer les opinions qui n’entrent pas dans leur case ; minimiser l’ampleur de l’opposition ; ostraciser celui qui pense autrement ? Les médias aux ordres adorent les scoops, les « investigations exclusives » : Pandora Papers, Panama Papers, Cambridge Analytica… les révélations explosives, faisant penser que ce sont des accidents, refusant donc d’en voir l’origine dans l’indécence structurelle de nos sociétés. Ce n’est donc pas un paradoxe si la caste médiatico-politique laisse crever dans une prison le journaliste qui a contribué à lever le secret sur les pratiques nauséabondes des gouvernements alors qu’il a permis que s’écrivent leurs articles édulcorés. Julian Assange. Leur silence est ignoble et, parfois, même s’ils en parlent, c’est pour mieux faire de l’homme une icône leur permettant d’occulter cette omniprésence idéologique où leur censure réflexe se vit comme liberté. Julian comme nouveau symbole de l’omerta. C’est un comble. 

Pour conclure, je soulèverais quelques points qui me semblent aujourd’hui fondamentaux : 

- Les gouvernements veulent, via leur service de propagande, instaurer la terreur dans les esprits, terreur dont le premier objectif est d’empêcher que s’exprime publiquement un narratif s’opposant à celui qu’ils propagent. Si certains discours subversifs se propagent toutefois – comme celui de Kairos –, ils usent des armes traditionnelles : censure, ostracisme, mesures de rétorsion économique. 

- Les élus politiques craignent plus que tout la véritable démocratie. De ce fait découle qu’ils doivent continuellement et conjointement faire deux choses : feindre sans cesse que nous sommes dans une véritable démocratie et cacher tout ce qui prouve le contraire. 

- La situation nécessite de créer de fausses dissidences afin de générer l’illusion d’une possible et démocratique opposition. Dans cette configuration, de faux révoltés apparaissent, qui ne s’attaquent pas en profondeur au système, mais illusionnent le sujet d’un changement possible, sous l’angle réformiste, prenant forme dans une grande union des contraires. 

- Les gens n’ont que très peu d’incidence sur les choix importants de société. On peut penser que des individus informés qui devraient en toute connaissance de cause prendre une décision sur le génocide à Gaza, la guerre en Ukraine, les salaires du personnel politique, la généralisation de la voiture électrique, les paradis fiscaux, les grands projets immobiliers, le référendum… iraient dans un tout autre sens que celui des gouvernements. 

Soyez assurés que la caste médiatico-politique fera tout pour empêcher de sains débats et une participation démocratique dans la gestion de la cité. 

Tirons-en les conclusions nécessaires. 

Alexandre Penasse 

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Élections et démocratie. De quel couple parle-t-on ?

Entrevue avec Michel Bureau,médecin, philosophe et fondateur de Reprise en main citoyenne, et Pierre Verjans, politologue à l’ULiège. 

Kairos : On voit que le suffrage est insuffisant ou même impropre à faire advenir une vraie démocratie, comme nous l’avait appris, au siècle dernier déjà, le journaliste Walter Lippman, qui estimait qu’une nation est politiquement stable quand les élections n’ont aucune conséquence radicale. Faut-il renoncer aux élections ? Peuvent-elles encore sauver à elles seules l’idéal démocratique ? Sinon, par quoi les remplacer ou du moins par quoi les compléter ? 

Pierre Verjans : Quand on a mis en place le système électoral en Amérique en 1776 puis en France en 1789, il s’agissait pour les pères fondateurs d’éviter de faire advenir une vraie démocratie, dans le sens du pouvoir au peuple. Le système représentatif devait par contre créer un corps intermédiaire de citoyens qui se spécialiserait dans la gestion publique en lieu et place des citoyens ordinaires. Car il fallait se méfier des foules peu instruites et instables. On postulait que les représentants se comporteraient, eux, de manière plus sage. L’intervalle des élections était calculé pour qu’il y ait non une complète reddition de comptes, mais en tout cas une possibilité pour le peuple de renverser un pouvoir qui lui serait trop hostile. Les élections ont ensuite été modifiées par les rapports de force dans la seconde moitié du XIXe siècle, quand les masses ouvrières ont exigé de participer aux élections. Le régime serait devenu intenable si on n’avait pas tenu compte de leurs revendications. C’est à partir de leur acquis qu’on commence à parler de démocratie, les représentants doivent échanger des points de vue et délibérer. Mais cette délibération s’appuie sur des rapports de force électoraux et non sur de simples arguments logiques. Comme dans le monde scientifique, il y a un entremêlement de rapports de force et de persuasion argumentative. Ainsi, ce qui est frappant dans la crise du covid, c’est que les décideurs politiques, face à l’encombrement des services d’urgences des hôpitaux et l’absence d’unanimité parmi les épidémiologistes, ont dû opter pour une manière de faire, en une absence de débat scientifique, impossible à organiser, faute de temps. Entre les épidémiologistes et virologues, dans le courant majoritaire ou dans le courant minoritaire, il s’agissait de discréditer la parole de l’autre. On a eu un vrai problème lié à l’urgence et à la panique. 

Michel Bureau : Parlons aussi de l’interaction entre le libéralisme et la démocratie représentative. Une intervention intéressante est celle d’Abraham Lincoln, qui disait que la démocratie est le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple, une formule qui amène un correctif à la démocratie représentative, mais à laquelle on objectait que pourraient arriver au pouvoir des gens incompétents. Lincoln répond que c’est l’honneur d’un pays que de former ses habitants pour occuper le pouvoir politique. Chez nous aujourd’hui, la qualité de l’enseignement est en chute libre et aboutit à l’inverse des conditions d’une démocratie réelle. Pourquoi cette démocratie représentative a‑t-elle permis que toute forme de démocratie soit annulée, au point d’en arriver pendant le covid à des tentations totalitaires, à partir du moment où l’on interdit le débat, quand on vient de voter en France une loi qui interdit que l’on discute de la science, allant à l’encontre de son principe même qui est la réfutabilité. Au Forum économique mondial (WEF), une dame a dit « la science, c’est nous » ! Le pouvoir économique s’arroge maintenant le droit de diriger nos valeurs et la science… 

P. V. : … aidé en cela par le pouvoir politique !M. B. : Oui. Le comble est que le WEF invite les présidents des meilleures universités mondiales. Toute la science et la connaissance se mettent ainsi au service de l’économie. C’est extrêmement grave. La distinction entre la science, le pouvoir et l’argent est un principe qui remonte aux anciens Grecs. Comment se fait-il qu’on arrive à une telle corruption des valeurs ? Parce que le libéralisme historique a été entre-temps transformé en néolibéralisme, avec la possibilité dorénavant pour les plus riches de prendre le pas sur les États, qui sont maintenant démissionnaires. Les tentatives keynésiennes n’ont pas fonctionné. En 2008, quand les États ont sauvé les banques, on a pensé à tort que le néolibéralisme était mort. Mais il s’est renforcé, notamment au moyen des technologies de la communication et de l’information pour mieux contrôler les populations. S’il n’y a rien en face de ce pouvoir néolibéral, c’est qu’il n’existe pas de démocratie citoyenne. Il y a des démocraties représentatives qui sont démissionnaires face aux pouvoirs économiques. Alors quelles sont les alternatives, au-delà du clivage gauche/droite ? Il faut donc changer de paradigme. 

P. V. : Le néolibéralisme s’impose à la suite du dérapage des années 1970. Après la conjonction d’un chômage massif avec une inflation à deux chiffres, la situation est devenue incompréhensible pour les économistes. Face à un mur de dettes, les dirigeants européens craignent que les banques cessent leurs prêts. Chez nous, le Premier ministre Wilfried Martens change de camp politique en s’alliant au parti libéral de Jean Gol avec un discours qui veut en priorité diminuer la hauteur de la dette. Les keynésiens n’ont pas été remplacés par des néolibéraux, ils se sont transformés en néolibéraux ! Les théories monétaristes de Friedrich Hayek submergent tout car elles paraissent adaptées à la situation. Puis, dans les années 1980/90, on déplace les dépenses de l’État du social vers l’aide aux entreprises. Inversion voulue de la logique : pour avoir de l’emploi, il faut aider les entreprises à créer de l’emploi. Dans ce but, les responsables politiques occidentaux, devenus « gestionnaires de territoire » sont en concurrence pour attirer les capitaux internationaux chez eux, et se convainquent les uns les autres d’être « dans le bon ». Est-ce qu’un système de démocratie participative aurait pu empêcher cela, j’en doute. Prenons le cas de la Suisse, où la protection sociale est majoritairement privatisée. Le peuple étant conservateur, il a accueilli les propositions néolibérales avec enthousiasme. 

M. B. : La politique de Thatcher et Reagan était une réduction des impôts et de privatisation qui a eu pour but d’augmenter la dette. Cette politique étant un échec, la troisième voie de Tony Blair et Bill Clinton est apparue. Ensuite, il y a eu une privatisation des biens communs, telle la santé, en croyant que le système allait mieux fonctionner, que cela coûterait moins cher à l’État, ce qui est faux, bien sûr. Par exemple, les firmes pharmaceutiques travaillent en flux tendu pour faire du bénéfice, et il y a fréquemment rupture du stock de médicaments, au détriment des populations. Le programme One Health est très dangereux. S’il est concrétisé, c’est l’OMS qui décidera d’à peu près tout dans les politiques de santé nationales, tout cela assorti de mesures autoritaires. Revenons à la Suisse et à la démocratie participative, dont vous parliez. Je ne la considère pas comme un exemple valable, car ce pays fonctionne grâce à un vol considérable des biens communs de l’humanité. Il héberge des firmes qui ne paient pas d’impôts. La démocratie participative ne régule rien. Au Luxembourg, JeanClaude Juncker a bien dit qu’aucun traité européen ne pouvait faire l’objet d’une discussion démocratique. Il n’est donc pas pertinent de prendre ces deux pays comme des exemples de démocratie participative. 

P. V. : Certes, mais le débat politique en Suisse reste plus vivace dans la population qu’ici. 

M. B. : C’est vrai, mais cela ne garantit nullement une politique souhaitable. Ainsi, les Suisses ont voté contre l’indépendance des juges face au politique. C’est donc toujours un régime représentatif avec toutes ses failles. 

K : Les élections ne sont-elles pas aussi une des expressions de l’individualisme méthodologique ? Peut-on refaire du commun avec elles ? 

M. B. : Non à la première question. Dans la mesure où l’être qui sort des élections a été formaté par les partis, qui à leur tour nomment les ministres. La particratie contrôle totalement la démocratie depuis le citoyen jusqu’au sommet. Non à la seconde question aussi ; Simone Weil explique en quoi les partis sont autoritaires par essence. Ce n’est pas un hasard si la démocratie représentative vend ses biens communs ! Tandis que le bien commun est la finalité d’une démocratie participative, qui pourrait toujours fonctionner avec des partis, à condition que ceux-ci soient privés des influences néfastes qui nuisent à la démocratie, comme le clientélisme, voué à diminuer. Leur influence serait limitée. 

P. V. : Pas tout à fait d’accord. Il y a des partis qui ont été créés avec une vision du bien commun et qui ont modifié la manière d’agir de l’État. Par contre, il y a eu une évolution interne avec l’alignement des partis sur la financiarisation. Le juriste Hans Kelsen proposait que le programme des partis soit élaboré par tous ses membres et que le parti ait la mainmise sur le comportement de ses élus, choses qui n’ont jamais été réalisées complètement. Kelsen misait aussi sur la diversité des partis, avec leurs visions différentes. 

M. B. : Ce que vous dites est une des mesures-phares de la démocratie semi-directe. Montesquieu rappelle que dans la démocratie antique, après tirage au sort des citoyens, c’est leur probité qui était vérifiée, par leurs compétences. Leur mandat était limité à un an puis évalué devant un comité. S’il avait été mal exécuté, les élus devaient payer sur leurs biens personnels. Il y avait une responsabilité à l’entrée et à la sortie. Ce système fonctionnait bien. 

P. V. : Mais comme les citoyens étaient tirés au sort parmi ceux qui avaient pris le risque de mettre leur nom dans l’urne du tirage au sort et qu’ils savaient qu’ils risquaient fort de devoir payer en cas de mauvaise décision, ça n’en faisait pas nécessairement une émanation de la collectivité… 

M. B. : Si on tire au sort, la diversité s’y retrouve nécessairement. Ce qui est important n’est pas tant qui va exercer le pouvoir, mais comment celui-ci va être contrôlé. Ce qui est problématique dans les partis, c’est que le contrôle du pouvoir est biaisé parce que la diversité est incomplète. C’est pour cela que Weil dit que les partis sont dans leur essence totalitaires. 

P. V. : Chez Weil, le terme totalitaire ne s’applique pas à tous les partis, mais à ceux qui déshumanisent leurs adversaires. Pour construire une vision de la société, un parti doit avoir une vision globale, « totale ». Cela ne veut pas dire que l’individu disparaît systématiquement dans cette vision. 

M. B. : C’est exact sur le versant économique, mais moi je me place sur le versant philosophique. Totalitaire signifie, comme Arendt l’a montré, que l’État s’occupe de la sphère publique et de la sphère privée. 

P. V. : Chez Arendt, la question de la vie privée est finalement secondaire, elle pointe plutôt le fait qu’une décision politique s’impose à tous. Et que le totalitarisme considère les adversaires du pouvoir comme des non-humains. 

M. B. : C’est la différence entre autoritaire — concernant l’espace public — et totalitaire — concernant la sphère privée, en plus. 

P. V. : Autre chose m’interpelle. Le tirage au sort est une expression de la diversité sociale, mais ce n’est pas pour la cause une représentation de pensées collectives, or toute la logique du débat comme manière de fabriquer une décision collective démocratique est fondamentale. La façon dont on façonne les débats est plus importante que la diversité du tirage au sort. 

M. B. : C’est exactement à cela qu’ont réfléchi les régimes qui ontadoptéladémocratiesemi-directe. Le système bicaméral associe une chambre de citoyens tirés au sort avec une chambre de ce qu’on pourrait appeler des « experts », si bien que la première chambre a à sa disposition toutes les compétences requises. Celles-ci ne sont pas déterminées par les partis ou la richesse, c’est un tirage au sort de compétences, si bien que l’État apporte la diversité sociale et la diversité technicienne. 

P. V. : Je me méfie des experts. Le plus grand danger ne vient pas des partis, mais des conflits d’intérêt. La plupart des experts viennent d’institutions ou d’entreprises où ils ont travaillé pendant des années et il est difficile pour eux de penser autrement que le milieu dont ils sont issus. Comment désigne-t-on les experts ? Comment savoir si leurs avis sont pertinents au regard des intérêts collectifs ? 

M. B. : Deux anecdotes. Lors de la crise sanitaire, aucun avertissement, dans les médias, n’annonçait les conflits d’intérêts des experts. Pourtant lors de la crise précédente du H1N1, les autorités belges avaient voté une loi obligeant les experts à déclarer leurs conflits d’intérêts. Cette fois-ci, les médias dominants n’ont pas vérifié cela. Or leurs conflits d’intérêts sont assez visibles. Leur impunité est telle qu’ils ne s’en cachent même plus ! Ceux qui briguent le pouvoir ont des conflits d’intérêts. Et vice versa. L’avantage du tirage au sort dans ce domaine est de diminuer le risque de se retrouver avec des experts stipendiés. 

P. V. : D’accord sur le constat : dans le domaine de la recherche, qui a les moyens d’embaucher des grosses équipes de chercheurs ? Ceux qui sont payés par des grandes firmes. Seule une petite partie des experts échappe à cette logique, sans compter que la doxa dit, par exemple, qu’on ne peut plus soigner le cancer qu’avec des médicaments. Par contre, je ne suis pas d’accord avec votre prescription, Michel : les experts sont situés dans la réalité sociale et ne peuvent facilement échapper aux cadres d’analyse de leur milieu de formation. Il est indispensable de s’adresser à eux, mais leur intervention provient forcément d’un point de vue. 

M. B. : Ce qui n’est pas normal est que le bénéfice dégagé dans le secteur privé par des chercheurs formés par le secteur public ne reviennent pas à la collectivité. Il y a un déséquilibre. 

K : Les élections approchent en Belgique. Avec 27,8% des intentions de vote, il y a un risque de voir le Vlaams Belang (VB) faire une percée et s’installer confortablement au parlement flamand. Selon Carl Devos, le cordon sanitaire a créé une situation paradoxale en Flandre : « À cause du cordon sanitaire, les adversaires du VB sont, par principe, contre sa participation au pouvoir. Mais pourquoi au juste ? Pourquoi le VB n’a‑t-il pas le droit de gouverner ? Quelles sont les raisons spécifiques ? Quels sont les points du programme, les propositions, les actions qui font que ce parti ne doit jamais être autorisé à gouverner et doit être très ouvertement combattu ? 

Beaucoup d’opposants au VB ne peuvent pas répondre à ces questions, parce que le cordon sanitaire les a rendus intellectuellement paresseux, alors que le VB, lui, mène une bataille d’idées féroce depuis des années… » (Le Soir, 6 mars 2024). Si une droite dure arrive au pouvoir exécutif, la Belgique unitaire peut-elle disparaître ? L’UE laisserait-elle faire ? 

P. V. : La montée de l’extrême droite est typiquement l’expression de la grande difficulté de faire un travail de réflexion approfondi. Devos a raison de dire qu’il y a du confort intellectuel. Plutôt que de se contenter de dire qu’eux sont les mauvais, mieux vaudrait analyser leurs actions qui révèlent un danger réel. Cela montrerait leur intolérance radicale, notamment au principe même du débat et, notamment à celui concernant l’immigration. Il y a un paradoxe énorme dans tous les vieux pays industrialisés, c’est que les entreprises ont besoin de main d’œuvre en masse, alors que les partis qui montent électoralement refusent l’immigration. Leurs systèmes économiques pourraient s’effondrer en une génération faute de main d’œuvre. Cette logique de destruction interne est plus inquiétante encore que la logique de guerre. À ce besoin économique, ajoutons le besoin social. Les pensions sont menacées si de nouveaux travailleurs n’arrivent pas. 

M. B. : D’accord avec vous. Si on observe l’apogée des États au cours de l’histoire, ça correspond toujours à des pays qui ont favorisé une immigration massive. L’arrêt du flux de celle-ci par le nationalisme signe le processus inverse. C’est ce que la Flandre est en train de faire. Les États-Unis, puissance économique s’il en est, est un pays d’immigration massive. 

P. V. : En Chine, c’est une immigration interne, celle des paysans qui vont travailler en ville. 

M. B. : Oui. Quand un parti d’extrême droite monte électoralement, il faut se poser deux questions. Primo, ce parti a‑t-il quelque chose d’intéressant à dire ? Secundo, en face d’eux, n’y a‑t-il pas quelque chose qui fait qu’il monte ? Autrement dit on peut devenir fort par soi-même, ou à cause de la faiblesse de l’adversaire. En Europe, les deux éléments doivent être pris en compte. L’absence de projet de société d’avenir pour les jeunes favorise le repli identitaire vers le vote d’extrême droite. 

K : Et les néolibéraux continuent à se présenter comme le meilleur rempart contre l’extrême droite… 

P. V. : C’est faux, évidemment. Les néolibéraux représentent le milieu économique. Dans le politique, ils sont perdus, ne savent plus qui ils sont ni ce qu’ils font. Ainsi Emmanuel Macron est un bricoleur idéologique, comme Mussolini, il n’a pas de ligne, il change tout le temps en fonction des circonstances. Il est certes néolibéral dans son fonctionnement fondamental, mais ce n’est pas grâce à cela qu’il a été élu, c’est en proposant un projet qui apparaissait comme une rupture « ni de gauche ni de droite ». 

M. B. : Par essence, le néolibéralisme est apolitique, ou en tout cas tend vers l’apolitisme, parce que le politique en tant qu’expression d’une diversité est inutile pour l’économie qui ne cherche qu’à imposer ce que le consommateur doit acheter. Le maintien d’une politique, quelle qu’elle soit, est un inconvénient pour les néolibéraux. Seul doit rester le consommateur formaté par la publicité et bientôt par les neurosciences, comme Joe Biden l’a annoncé récemment. Le néolibéralisme veut normaliser les populations dans ce sens. De plus, il veut concentrer le capital dans des entreprises non plus nationales mais transnationales. 

P. V. : Les grandes institutions capitalistes comme le Groupe Bilderberg, la Trilatérale ou le Forum de Davos ou, de façon plus officielle, l’OCDE, essaient de fabriquer un commun de points de vue à partir de divergences entre les grands centres de décisions, puis à l’imposer. La montée du Vlaams Belang est finalement secondaire par rapport à ce problème, même s’il est le premier parti de Belgique ! Il oblige les francophones à se positionner sur cette question finalement fédérale : que dire aux électeurs du VB ? Ne pas les insulter, mais essayer de rentrer en contact avec eux. Le VB veut la fin de la Belgique unifiée, mais l’Union européenne ne l’acceptera jamais. Si la Flandre décide de « s’en aller », elle n’ira pas loin ! Donc la Flandre mise sur une augmentation de son autonomie par transfert des compétences. 

M. B. : C’est la mise en place du confédéralisme. 

P. V. : Exact. Ce n’est pas une logique séparatiste, c’est une logique centrifuge, que l’on retrouve autant à la N‑VA qu’au VB, depuis environ le tournant du millénaire. 

K : L’appel de Thierry Bodson, secrétaire général de la FGTB, à une coalition PS/PTB/Écolo pour gouverner la Wallonie s’inscrit-il dans cette logique centrifuge ? 

P. V. : Parlons des structures de la FGTB. Un chef de l’interprofessionnelle n’y a pas de pouvoir, car les caisses de grève se trouvent dans les centrales professionnelles. C’est l’inverse à la CSC. Ce que Bodson essaie de faire est de garder une place symbolique pour ses militants en faisant entendre que là où ils se trouvent ils ont le droit d’y être ; en parlant d’une unité possible, il leur adresse le message « restez bien tous à l’intérieur du syndicat ». Il admet d’ailleurs que la probabilité de cette coalition est faible, c’est une sorte de vœu pieux… terme qu’il pourrait mal prendre ! [rires]… 

M. B. : … ou qu’il prêche pour sa chapelle ! [rires bis].

Propos recueillis en direct par Bernard Legros, mars 2024. 

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Merci à Fabrice Eulry pour son soutien!

Ce soir encore, nous avons pu réaliser que ce qui n’est pas essentiel pour le pouvoir politique est, au fond, indispensable.

Merci à Fabrice Eulry pour son soutien!Merci au public!

N’ayons plus peur de penser.Vive la presse libre! Soutenez Kairos

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Articles

Introduction d’Alexandre PENASSE à la table ronde DÉMOCRATIE*

Si nous sommes réunis ici aujourd’hui, c’est que la politique, au sens noble du terme, celui de l’organisation de la cité, donc de nos vies, nous intéresse. Pourtant, nos vies sont la plupart du temps régentées par d’autres, qu’on élit et à qui l’on délègue le soin de décider pour nous, troquant pour un confort illusoire notre liberté et notre souveraineté. Ce sont eux qui décident des médias qu’ils subventionnent, qui « aménagent » le territoire, préconisent un type d’énergie plutôt qu’un autre, usent de l’argent public pour envoyer en Ukraine des armes, confinent une population entière, ou imposent une injection expérimentale comme seule et unique remède. Au delà de tout soupçon.

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VU, LU, ENTENDU

Le covidisme a substitué un autre point Godwin — « complotiste » — à celui qui prévalait dans les années 2000 et 2010 : « populiste », un « terme élastique et sans consistance » que décortique Antoine Chollet. L’anti-populisme qui régnait alors dans les médias provenait d’une élite culturelle (sic) qui considère que le peuple est irrationnel et psychologiquement incompétent pour prendre son destin politique en main, devant dès lors remettre celui-ci et les décisions y afférant à un cénacle d’experts et de représentants. Or cela va à l’encontre du sens commun : la pratique démocratique pose que « toute démocratie repose sur une participation aussi intense que possible du corps civique » et que le peuple est souverain. Se plaçant en surplomb, ces politologues et sociologues libéraux ont beau vilipender les extrêmes du spectre politique, ils ne font que veiller au statu quo du régime néolibéral en place « en légitimant les plus vieux arguments utilisés contre [la démocratie] ». Historiquement, c’est aux populistes nord-américains du XIXe siècle, attachés à l’idée d’égalité, que l’on doit de grandes avancées démocratiques. Mais « […] [les anti-populistes] sont incapables de reconnaître l’écart gigantesque qui existe entre des acteurs politiques qui vouent un attachement sincère à la démocratie et qui militent pour un accès réel du peuple au pouvoir, un projet césariste ne flattant le peuple que dans l’objectif de gagner davantage de votes lors des élections suivantes, et un pouvoir fasciste pour lequel le peuple n’est qu’un mot manipulable de toutes les manières possibles ». Chollet appelle à la « démocratisation de la démocratie » pour faire pièce à l’« État de droit oligarchique », selon la belle expression de son prédécesseur Jacques Rancière (cf. La haine de la démocratie, La Fabrique, 2005). Il reste dans un ancrage progressiste en opposant le populisme de Lawrence Goodwin à celui de Christopher Lasch et d’Ernesto Laclau. 

Antoine Chollet, L’anti-populisme ou la nouvelle haine de la démocratie, Textuel, 2023, 155 pages.B. L. 

Historien, enseignant, membre de l’Union des progressistes juifs de Belgique (UPJB), Michel Staszewski milite aussi depuis plus de cinquante ans pour une paix juste entre Palestiniens et Israéliens. En 2023, l’État d’Israël commémore ses 75 ans d’existence et la toute-puissance de l’idéologie sioniste. 75 ans de (crimes de) guerres, de violences, d’apartheid, d’impunité, de destruction de la société et de la culture du peuple palestinien, de complicité et de lâcheté de l’auto-proclamée « communauté internationale », de mensonges, de nondits, de deux poids et deux mesures des médias chiens de garde occidentaux, culminant avec le 7 octobre 2023… Et pourtant, comme M. Staszewski le démontre, le long conflit opposant Palestiniens et Israéliens est tout à fait explicable. Pour y voir clair, il est nécessaire d’en parcourir l’histoire, d’en revenir aux faits et de démonter les mythes et préjugés qui empêchent de comprendre l’impasse dans laquelle les protagonistes restent enfermés. En lisant son livre, on imagine bien quel prof M.S. a été et pourquoi il a laissé tant de bons souvenirs aux jeunes qui ont eu la chance de l’avoir comme prof d’histoire. Son ouvrage est clair, précis, étayé, écrit sans ce jargon philosophico-scientifique à la mode aujourd’hui, qui masque souvent une pensée indigente. Deux petites interrogations, cependant : 1° Sur le terme « antisémitisme ». Qu’est-ce qu’un sémite ? Une « personne appartenant à un groupe ethnique originaire d’Asie occidentale, hébreux, arabes, assyriens, etc., de langues apparentées, abusivement seulement juif », selon le dictionnaire Robert. Donc devrait être considéré comme antisémite celui qui appelle à l’éradication des Palestiniens, et le pays le plus antisémite du monde, comme en son temps l’Allemagne nazie, est aujourd’hui Israël. 2° L’auteur s’identifie comme juif, or il le dit : le peuple juif est un mythe, il n’y a pas de peuple juif, pas de culture juive universelle exceptée la religion, mais de nombreux juifs, dont lui-même, ne sont pas croyants. Alors pourquoi encore se définir « juif » ? Je n’ai jamais compris… 

Michel Staszewski, Palestiniens et Israéliens. Dire l’histoire, déconstruire mythes et préjugés, entrevoir demain, Le Cerisier, 2023, 344 pages. Annie Thonon 

L’ouvrage de Vanina est à la fois un essai et un outil. Partant d’un point de vue féministe et communiste libertaire, qu’elle a développé dans d’autres ouvrages, Vanina nous propulse dans l’arène des luttes autour du genre, telles qu’elles évoluent sous l’effet des théories postmodernes. Critiquant la « théorie queer » et les analyses intersectionnelles auxquelles elles aboutissent actuellement, Vanina montre en quoi ces théories s’opposent au mouvement antipatriarcal et anticapitaliste. Le « trouble dans le genre », selon le titre du livre de Judith Butler paru en 1990, s’invite en effet dans le débat politique par des biais auxquels nous ne savons pas toujours répondre ou auxquels nous répondons de manière maladroite. Pourtant, comme le montre Vanina, les théories postmodernes s’assimilent largement au néolibéralisme, et nous avons besoin d’outils pour démonter des discours qui se retournent contre les femmes en lutte contre l’ensemble du système viriliste. Il fallait un ouvrage tel que celui-ci, très abondamment documenté, d’un sérieux absolu, sans volonté polémique, pour qu’enfin nous puissions sortir de l’ornière dans laquelle nous risquons de nous enfoncer si nous n’y prenons garde. Vanina ne perd jamais de vue que l’adversaire, ce n’est pas celui qui crie aujourd’hui le plus fort, mais bien ce système qui avance souvent de façon insidieuse et renforce chaque jour l’oppression des femmes, de toutes celles et de tous ceux qui luttent pour un avenir vivable, pour l’émancipation. 

Vanina, Les Leurres postmodernes contre la réalité sociale des femmes, Acratie, 2023, 326 pages, 18 €.Philippe Godard. 

Il nous le prédit dans la 4ème de couverture : « L’économie n’est ni une science ni une croyance. Elle navigue entre les deux. Mais elle sait nous abreuver de promesses d’un monde meilleur, qui ne se réalisent pas souvent… ». S’il ne s’agissait que d’une sorte de tract politique, teinté de mauvaise foi et de beaucoup d’attaques souvent arbitraires, notre esprit en fut sorti galvanisé et prêt à se battre contre l’économie capitaliste tendance illibérale. L’objectif assumé de ce livre ? Démonter le système de pensée et de fonctionnement de l’économie actuelle. Sacrée gageure, mais Philippe Godard, qui sait y faire (les lecteurs et lectrices de Kairos le connaissent bien), échappe aux deux écueils du genre. D’abord, il nourrit sa/notre réflexion de multiples références, citées in extenso, qu’il contextualise et critique âprement mais aussi d’une manière juste et équilibrée. Cela donne de la crédibilité à son propos, qui se veut à la fois historique, psychologique, sociologique, littéraire même. La diversité de ses sources lui donne du crédit (on ne peut jamais mieux critiquer quelque chose que quand on s’est penché sérieusement sur le sujet). L’autre avantage de cet ouvrage est que l’auteur sait écrire. Il manie la plume et l’épée avec brio, les figures de style avec beaucoup d’art et une délectation qui nous donnerait presque envie de plonger dans l’œuvre de Marx ou de Malthus. Témoin de cette belle compétence, le titre, très bien trouvé et qui procède d’une antithèse aussi violente que réaliste et pertinente. Il démontre aussi une dilection particulière pour les mots précis, les formules percutantes et les termes les plus évocateurs possibles. Cela évite une simplification extrême, polémique et toxique de la critique. On ne saurait terminer cette recension sans mentionner le formidable dessinateur Vincent Odin (avec lequel Godard a déjà œuvré au Calicot pour deux livres). L’art d’Odin est, sans aucune malice ni jeu de mot de notre part, de taper avec son marteau figuratif sur l’enclume du point qui fait rire et réfléchir à la fois, avec facétie et sans vulgarité. Bien vu, les artistes ! Et un livre qu’on recommande chaleureusement. 

Philippe Godard, Une bande de riches, des milliards de pauvres, Le Calicot, 188 pages.D. T. 

Pour Hélène Banoun, le biopouvoir ment. Il censure les avis qui critiquent la politique sanitaire menée depuis l’éclatement de la pandémie de Covid19. Des scientifiques contribuent à cette désinformation. On continue à faire des recherches sur les gains de fonction et à justifier l’utilisation de vaccins à l’ARNm, qui fabriquent une protéine pour inciter l’organisme à fabriquer des anticorps artificiels, mais qui affaiblissent l’organisme à cause de leur inadaptation. On a fabriqué cette crise sanitaire pour accroître le contrôle de la population et pour faire d’immenses profits et on s’apprête à recommencer. Au début du livre, l’auteure fait l’historique de la crise. En 2013, Moderna est subsidié par l’armée américaine (DARPA), qui a pour objectif de mettre au point rapidement un vaccin. Un certain Ralph Baric (UCN) et Peter Daszac (EHA) se mettent à faire des recherches sur les gains de fonction. Ils sont également financés par l’armée. Ces recherches elles-mêmes risquent d’avoir un impact sur la santé et Obama impose un moratoire. Mais Anthony Fauci délocalise en Chine la recherche sur les coronavirus, et Donald Trump lève le moratoire. Au cours des années 2018 et 2019, des ONG américaines et Bill Gates imaginent des scénarios de pandémie. Des scientifiques lancent l’alarme, demandent qu’un moratoire soit à nouveau imposé. Mais une crise sanitaire éclate en Chine. Les médias amplifient fortement la situation. Un chapitre porte sur l’histoire du biopouvoir. Le reste du livre résume les recherches réalisées sur les anticorps, les gains de fonction, les vaccins, et analyse le biopouvoir qui interdit de recourir à des thérapies existantes, qui confine les gens, impose couvre-feux et port du masque. Qui désorganise l’économie et les services de santé pour faire croire à la létalité du virus et justifier le recours à la vaccination qui exonère les sociétés pharmaceutiques des contrôles de sécurité réglementaires, met en circulation un passe sanitaire et ensuite un passe vaccinal… 

Hélène Banoun, La science face au pouvoir. Ce que révèle la crise Covid-19 sur la biopolitique du XXIe siècle, Talma, 278 pages, 19,90€.Paul Willems 

Avec son style inimitable fait de données scientifiques alternant avec des coups de gueule ; avec son goût des recherches étymologiques ; avec son ironie mordante, Yannick Blanc ne peut plus cacher qu’il est l’auteur de La vie dans les restes ainsi que plusieurs documents signés Pièces et mains d’œuvre, comme le livre bien connu Manifeste de chimpanzés du futur (qui vient de voir publiée une seconde édition). Ici, une partie importante du livre est écrite comme si c’était un techno-furieux qui tenait la plume. Sont recensées toutes les illusoires technologies censées éviter les catastrophes qui menacent l’humanité, mais en en créant de nouvelles. Si nous allons vers une Vie dans les restes, c’est parce que l’empire de la destruction n’a cessé de se renforcer depuis le néolithique, accroissant sans cesse sa puissance matérielle pour se lancer, à l’aube du XIXe siècle, dans une offensive générale contre le vivant. Deux siècles de foi dans les technologies ne laissent que des restes, déjà fort réduits par rapport à la vie sans technologisme. Ils se raréfieront encore si nos sociétés poursuivent leur volonté de consommer toujours plus. Aujourd’hui, le transhumanisme est le danger le plus grand qui menacerait l’humanité. Y. Blanc évoque souvent ce péril majeur, mais il en aborde bien d’autres : eugénisme, procréation médicalement assistée, géo-ingénierie… Tout un chapitre évoque en détail le heurt entre les loups sauvages et les moutons domestiqués. On est surpris de la connaissance pointue que l’auteur a de ce dossier, avant qu’il ne nous révèle que, depuis des décennies, il se passionne pour la vie des loups et qu’il a amassé tous les articles et ouvrages qui parlent de ces canidés libres et autonomes. Et il affirme « Moi je hurle avec les loups ». 

Yannick Blanc, La vie dans les restes, Service compris, 2023, 195 pages, 15€.A. A. 

« Cheminons vers notre révolution intérieure ». Une phrase qui pourrait résumer cet ouvrage s’il ne foisonnait pas de nombreuses questions et d’explications judicieuses quant à notre manière de subir notre vie. Gilles Petit-Gats balaye d’un regard aiguisé, et surtout approprié, notre façon de « tourner en rond » dans nos vies de consommateurs, de travailleurs, de sédentaires, et aussi bien sûr « paniqueurs », rien qu’à de l’idée de quitter notre intime zone de confort. Parlons de cette zone de confort ! Que ce soit par mimétisme, par peur de nous émanciper, par cristallisation de nos propres croyances, par notre côté grégaire, par victimisation, par habitude aussi, nous vivons dans des prisons. Prisons que nous construisons nous-mêmes et dont nous détenons les clés puisque ce sont exactement les mêmes que celles avec lesquelles nous nous sommes enfermés ! Alors pourquoi n’osons-nous pas sortir ? La majorité des gens ressentent une sensation de séquestration dans un quotidien qui les décourage et les désespère, voire les empoisonne, mais ils ne risquent pas un pas en dehors du cercle qui les limite. L’auteur nous parle  d’« égoïsme sacré», de certitudes, de convictions, de révélations, de traditions, de prises de conscience, de dressage, d’injustice sociale, de vie et de survie. Il nous donne des pistes pour nous délivrer du carcan sociétal, familial, professionnel et pour nous construire un nouvel environnement. Un guide d’existence que chacun devrait placer au-dessus de la pile de livres à dévorer de toute urgence. 

Gilles Petit-Gats, Ce qui nous empêche ou la vie subie, Libre et solidaire, 183 pages, 18,50€.Marie-Ange Herman 

Au printemps dernier, Aurélien Bernier avait accordé un entretien passionnant à Kairos à propos de l’explosion des prix de l’énergie. Aujourd’hui, ce livre analyse de manière précise les raisons structurelles de la situation aberrante actuelle. À rebours de la doxa libérale, ce n’est pas l’invasion de l’Ukraine qui a déclenché cette crise, tout simplement parce que l’augmentation des prix de l’électricité et du gaz est antérieure à février 2022 et à la décision de l’Union européenne de se passer du gaz russe. Il démontre de manière impeccable que les vrais responsables ne se trouvent pas au Kremlin, mais dans les conseils d’administration des industries de l’énergie et dans la politique de libéralisation engagée par la Commission européenne depuis les années 1990. En dépit de la résistance molle de certains pays, cette privatisation menée de manière obstinée par les apôtres du tout-marché — inspirés par le modèle chilien du régime Pinochet ! — a démantelé le service public et « généré ce qu’elle génère toujours : des logiques de rentabilité à court terme, des plans d’économie, des baisses de l’investissement et de la qualité du service pour offrir un maximum de dividendes aux actionnaires ». En outre, « ce qui est présenté comme une stratégie industrielle par nos dirigeants politiques est en fait un agrégat de demandes des groupes privés les plus puissants, qui persuadent sans difficulté les élus que l’avenir est dans l’hydrogène, dans les réseaux communicants, les objets connectés, le véhicule autonome ou autre délire technophile » présenté comme vecteur de « croissance verte ». Plutôt que ces lubies au bilan environnemental désastreux, mais sources de profits privés, il convient de mettre l’accent sur la sobriété, la filière bois énergie, le solaire thermique — et non électrique —, l’isolation et les transports en commun. En conclusion, l’auteur plaide en faveur d’une sortie du carcan européen et d’une nationalisation de tous les moyens de production et de distribution. Sans quoi, face à la paupérisation et à la révolte des citoyens, le néolibéralisme à bout de souffle risque fort d’être remplacé par un libéralisme autoritaire et identitaire tel qu’on le voit surgir un peu partout en Europe. 

Aurélien Bernier, L’énergie hors de prix. Les dessous de la crise, Les éditions de l’Atelier, 2023, 173 pages, 19€.F. M. 

Alors que l’actualité met de plus en plus la décroissance (dévoyée) au centre des débats, voici un ouvrage collectif à placer au pied du sapin (Ndlr : en 2024). D’inspiration plus scientifique que philosophique, il n’est pas pour autant désagréable de feuilleter les pages de ce livre qui replace la décroissance dans le contexte historique qui est le sien (le concept a fêté ses 20 ans en 2022). Les moins : 1. l’optimisme quelque peu candide de certains articles au sujet des prétendus bienfaits d’une réelle participation citoyenne aux décisions politiques quant au niveau d’absorption frénétique de marchandises (comme s’il était évident que l’individu ordinaire serait instinctivement désireux de réduire sa consommation) ; 2. L’article du philosophe Fabrice Flipo (« Les faux-amis de la décroissance ») qui amalgame d’une manière trop simpliste les critiques légitimes du « wokisme » et l’extrême droite ultra-conservatrice (voici encore un intellectuel qui fait preuve de psittacisme en rabâchant les leitmotives imbéciles les plus en vogue de la bien-pensance dominante). Les plus : les articles du géographe Guillaume Faburel (« La ville, antre de la croissance ») et celui de Pierre Thiesset, journaliste à La Décroissance (« Contre la sobriété technocratique »). Nous remercions par ailleurs l’économiste Serge Latouche pour sa mention du journal Kairos. 

François Jarrige et Hélène Tordjman (dir.), Décroissances, Le Passager clandestin, 2023, 250 pages, 20€.K. C. 

Deux journalistes françaises viennent d’enquêter sur le wokisme. Après Sébastien Bourdon, auteur de Une vie de lutte plutôt qu’une minute de silence. Enquête sur les antifas (cf. Kairos n° 61), c’est à leurs cousins wokes que Nora Bussigny (Le Point) s’est intéressée. Contrairement au précédent qui annonçait la couleur, elle a opté pour la méthode de l’infiltration, ce qui lui a demandé des efforts particuliers et a occasionné de l’anxiété et des interrogations sur les stratégies à suivre, confiées à son psychanalyste, notamment celle d’apparaître entièrement « déconstruite » aux yeux de ses coreligionnaires. Heureusement, elle a obtenu des résultats. Pour observer de près et obtenir des informations, il fallait aller sur le terrain : se faire intégrer dans l’équipe de sécurité de la Pride radicale, dans l’équipe des collages féministes, parvenir à s’inscrire à la fac de sociologie en élève libre… sans être démasquée. L’auteure livre un témoignage personnel sur « l’enfer du décor, un fascisme défendu par de nouveaux inquisiteurs » qui ne voient le monde que « par le prisme de l’intersectionnalité », visent la « pureté militante » et titillent la culpabilité collective. De safe places en manifestations scindées (« racisés » à l’avant, blancs à l’arrière), la mixité et le vivre-ensemble passent à la trappe, sauf dans certains collectifs régionaux que Bussigny a rencontrés. Elle reste une féministe républicaine, universaliste et laïque qui essaie par ce livre de « faire rentrer le fleuve en crue dans son lit ». Un abécédaire est placé à la fin (âgisme, cancel culture, fragilité blanche, hétéro-normatif, micro-agressions, non-binaire, privilège blanc, TERF, culture du viol, en passant par toutes les phobies, etc.). Unique en son genre en francophonie, ce livre laissera néanmoins la lectrice sur sa faim en matière de réflexion philosophique sur le phénomène. En complément, on se référera à l’ouvrage de Jean-François Braunstein La religion woke (Grasset, 2022). 

Sylvie Perez, elle, a documenté tous les actes de résistance au wokisme dans le monde anglosaxon. Pour autant son essai ne se réduit pas à une simple dénonciation du phénomène, mais en observe tous les aspects et ressorts, de l’intersectionnalité à l’écriture inclusive, en passant par le décolonialisme, la théorie critique de la race et la théorie du genre. Les militants wokes ont des stratégies : la première est de réfuter la réalité même du wokisme — cette réfutation étant relayée dans les médias dominants (cf. Le Soir, 13/01/2024) ; « étouffer les questions politiques complexes [racisme, féminisme, immigration, avortement, islam, conflit israélo-palestinien, conservatisme, genre] sous le poids d’une certitude morale aveugle » qui peut devenir brutale et autoritaire, faute d’arguments ; faire croire qu’ils ont déjà gagné la bataille des idées et que seuls quelques réfractaires d’extrême droite donneraient encore de la voix contre ce qui est présenté comme un progrès indéniable dans l’émancipation. La « […] singularité du wokisme [fait que] on en constate les effets avant d’en avoir identifié le projet » et qu’il « progresse avec la bénédiction des sociétés qu’il veut renverser ». Sauf chez des opposants organisant des contre-stratégies que l’auteure dévoile ici : les conférences à succès du psychologue canadien Jordan Peterson ; la fronde des universitaires américains James Lindsay, Helen Pluckrose et Peter Boghossian en faveur de la liberté académique ; Academic Freedom Alliance et The Free Speach Union chez leurs homologues britanniques ; l’Intellectual Dark Web où on « respecte son interlocuteur tout en n’éludant aucun sujet sensible » ; The Common Sense Group au parlement britannique ; intellectuels afro-américains critiquant Black Lives Matter et l’anti-racisme revu par le wokisme, etc. À noter que le chapitre « La croisière transgenre » est particulièrement captivant, où l’on lit ceci : « Garantir aux transgenres les droits qui leur sont dus et leur faciliter l’existence, évidemment. Réformer la société, nier la biologie, restreindre la liberté d’expression, en aucun cas ». 

Nora Bussigny, Les nouveaux inquisiteurs. L’enquête d’une infiltrée en terres wokes, Albin Michel, 2023, 231 pages, 19,90€. 

Sylvie Perez, En finir avec le wokisme. Chronique de la contre-offensive anglo-saxonne, Le Cerf, 2023, 361 pages, 24,50€.B. L. 

Dégingandé, légèrement hagard, le Saint-Nicolas de Thierry Van Hasselt est un clochard céleste qui chemine à travers un paysage apocalyptique de champs de céréales sillonnés par des armées de moissonneuses-batteuses, de forêts rongées par les pluies acides, de centrales nucléaires aux fumerolles inquiétantes, d’échangeurs suffoqués de bagnoles, de centres commerciaux dont les publicités criardes s’accordent de manière obscène avec les rebuts en plastique qui en jonchent le sol. Dans ce monde consumériste qui part à vaul’eau, les policiers en uniformes de robocop sont partout. Équipés d’hélicos, de drones, d’une nuée de cars de police et de véhicules blindés munis de canons, ils font la traque aux enfants. Malheur à ceux qui ne portent pas le masque de rigueur en cette période de délire sanitaire ! Malheur aux gosses de migrants chassés dans la forêt ! Cet univers apocalyptique, c’est le nôtre. Que ce soit les lycéens de Mantes-la-Jolie forcés par des flics à s’agenouiller pour se tenir bien sages ou le saccage des tentes de migrants dans la jungle de Calais, Van Hasselt s’inspire de photos-choc qui ont marqué notre actualité récente pour dessiner les contours d’un monde féroce et invivable. Lorsque Saint-Nicolas se rend compte que les ultra-riches festoient et mangent les enfants — littéralement —, il est saisi d’une sainte fureur. Dans un grand feu de joie, il massacre puissants en smokings et cuisiniers à hachoir, répare les enfants, leur redonne la vie et les emmène dans une farandole enchantée au milieu des bois, à la recherche d’un lieu de paix et de douceur. Mais un tel havre existe-t-il encore ? Il est temps de prendre le large ! Tout à la fois violentes et merveilleusement belles et poétiques, chacune des aquarelles qui composent cet ouvrage incite tant à la révolte qu’à la rêverie. Le contraste entre l’horreur de notre monde et la féérie de légendes médiévales qui ne peuvent être saisies que par un regard d’enfant est saisissant. Dédié aux enfants, aux invisibles, aux sans-papiers, aux rebelles, aux décroissants, aux soulèvements, à la terre, à l’eau, à l’air et au feu, ce roman graphique est un chef d’œuvre. 

Thierry Van Hasselt, La Véritable histoire de Saint-Nicolas, éditions FRMK, 2023, 168 pages, 29Є.F. M. 

Mark Hunyadi, professeur de philosophie à l’ULouvain, est un des théoriciens francophones les plus passionnants en matière de critique du libéralisme et des changements sociétaux sous l’angle politique et moral, tels les modes de vie (La tyrannie des modes de vie. Sur le paradoxe moral de notre temps, 2015), le post-humanisme (Le temps du post-humanisme. Un diagnostic d’époque, 2018), ou encore, comme ici, les avatars de l’individualisme. Il fait retour sur la source de l’individualisme moderne : la révolution nominaliste du XIVe siècle, moment où la liberté négative — échapper aux contraintes des pouvoirs temporels et religieux — et la volonté débridée de chacun d’agir à sa guise deviennent le nouveau cadre anthropologique, ce qu’il appelle « l’éthique des droits », dont nous payons le prix fort aujourd’hui et dont il conviendrait de sortir, à cause de son « effet réversif » : « sa défense de l’individu se retourne mécaniquement en emprise du système sur lui ». Cette éthique basée sur le contrat (anti-)social, il la repère dans le libéralisme, le minimalisme, le libertarianisme, et aujourd’hui le wokisme qu’il voit non comme une déconstruction de la modernité, mais au contraire comme l’aboutissement de l’idéologie libérale. L’emprise numérique pousse à son comble le nominalisme en fabriquant le sujet libidinal résolu à assouvir immédiatement d’un clic ses volontés et désirs consuméristes, et met la société en pilotage automatique. Il y a une autre manière de s’émanciper, nous dit l’auteur : par « l’épreuve qualitative du monde », par un « commun de conviction capable d’orienter l’action », par le sens des limites, sans oublier les changements venant de la motivation personnelle, de l’éducation et de l’institution. Au bout, la déclaration de l’esprit comme « patrimoine commun de l’humanité », étape pour entrer dans le second âge, post-nominaliste, de l’individu. 

Mark Hunyadi, Le second âge de l’individu. Pour une nouvelle émancipation, PUF, 2023, 187 pages, 16€.B. L. 

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Culture de l’annulation : solution finale pour les débats gênants ?

[note]

QUAND L’ANTIFASCISME GLISSE VERS SON CONTRAIRE

Pour peu qu’on mette en cause certaines visions dominantes, il devient difficile de trouver des espaces d’expression et de débat. C’est en particulier le cas à Liège, où le monde associatif subit les pressions et influences d’un milieu se disant antifasciste, mais qui, malgré certaines analyses correctes, confond très souvent extrémisme et critiques sociales essentielles. Tout en tombant lui-même dans ce qu’il se veut combattre. L’occasion de pointer ces dérives, mais aussi de réfléchir sur la question de l’attitude vis-à-vis de l’extrême droite.

Plusieurs événements ont déjà été ciblés par les activistes concernés : entre autres une conférence-débat de Michel Weber — qui, en 2021, avait failli être empêchée —, une autre de Bernard Legros, qui, en septembre dernier, a dû, elle, être annulée, tout comme un autre événement réflexif, deux mois plus tard.[note] Deux de ces événements étaient des initiatives de Liège-Décroissance.

Concernant l’annulation de la conférence de Bernard Legros, elle a eu lieu suite à des pressions et menaces sur l’association invitante, Attac-Liège. Pressions exercées sur une dame de 76 ans, d’abord par téléphone, puis en face-à-face. Cette « action » n’a été exécutée que par quelques individus, mais, comme en ce qui concerne les autres événements évoqués, les responsabilités vont bien au-delà. Elles remontent surtout à l’association Front Antifasciste Liège 2.0. Celle-ci n’a pas revendiqué les choses, mais ses publications sont très susceptibles de promouvoir de tels actes. En effet, sans les accuser heureusement d’appartenance à l’extrême droite (ce qu’ont par contre fait les énergumènes évoqués), ces publications présentent les essayistes cités, ainsi que Kairos, comme notamment confusionnistes, conspirationnistes, réactionnaires et, dans le même sens, comme banalisant les mouvements fascistes, ou encore (concernant Kairos) comme relayant leurs discours[note]. Sont visés en particulier le traitement des politiques sanitaires, de ce qu’on nomme le wokisme, ainsi que la critique de l’utilisation de l’extrême droite par les pouvoirs néolibéraux.

Or, comme nous allons l’évoquer brièvement et comme cela ressort de nombreuses publications de Kairos, maintes critiques des politiques autour du covid n’ont rien de conspirationnistes, et mettre en cause le wokisme comme l’instrumentalisation de l’extrême droite peut se faire depuis des points de vue tout autres que ceux des réactionnaires. Liège-Décroissance n’a trouvé pour ses événements qu’une solution provisoire, une salle de concert dont le propriétaire prendra bientôt sa retraite. À noter que celui-ci est justement l’un des fondateurs du mouvement antifasciste liégeois. Cet homme a ainsi sauvé l’honneur de ce courant, dans cette affaire, puisque l’antifascisme devrait évidemment, par nature, défendre le débat et la libre recherche.

JUSTIFICATION D’UN VRAI ANTIFASCISME

Cela nous mène à une précision importante : il ne s’agit pas ici de mettre en cause la légitimité et l’importance d’un véritable antifascisme — point de vue que les essayistes mentionnés partagent pleinement (comme j’ai pu le constater lors d’une série d’échanges avec eux). Certes, des politiques hautement criminelles ou fascistes peuvent pleinement émaner des pouvoirs dits démocratiques, par exemple quand des puissances occidentales renversent ou déstabilisent des gouvernements qui les gênent, en soutenant des rebelles meurtriers ou en plaçant des dictateurs à leur solde, ou encore quand ils imposent des vaccins OGM bricolés à la hâte. Mais une différence importante demeure : puisque ces pouvoirs se disant démocratiques ne se revendiquent pas d’idéologies totalitaires, une partie de leurs représentants ou partisans, soit n’est pas vraiment consciente des crimes concernés — qui sont en général habilement camouflés —, soit les désapprouve. De sorte que l’État de droit est tout de même plus ou moins respecté une partie du temps et à certains niveaux, dans ces systèmes-là. Cela concerne notamment une liberté d’expression, droit précieux. Tandis que dans les régimes ouvertement fascistes, l’État de droit et la personne humaine sont bafoués systématiquement. Pour ces raisons, il est manifestement important de considérer les mouvements ouvertement fascistes, ultranationalistes, racistes, etc., comme des adversaires par excellence.

ANALYSES ET NON-ANALYSES

Voyons d’un peu plus près sur quoi se basent les accusations formulées par Front Antifasciste Liège 2.0., nous limitant à quelques points essentiels. Au sujet des politiques sanitaires, on s’aperçoit vite que ses membres n’ont pas mené d’étude sérieuse de ce sujet. Dans leurs articles qui l’abordent, on lit par exemple : « Ce qui explique les réserves de la gauche par rapport aux “mobilisations covid” est d’abord son attachement à la rationalité et aux sciences ». Et un peu plus loin, on lit qu’il n’y a pas de « doute […] sur l’efficacité des vaccins ».[note] Ces propos impliquent l’idée qu’il y aurait eu un consensus scientifique au sujet des politiques concernées. Ce qui implique à son tour la négation des travaux d’un grand nombre de scientifiques qui, jusqu’à ce qu’ils critiquent les politiques sanitaires autour du covid, étaient soit reconnus, soit très estimés. Comme cela ressort d’une série d’appels et de déclarations[note], ces scientifiques se comptent par dizaines de milliers. Or, dans un autre article de la même association, ils sont réduits à une poignée de personnes et considérés, là aussi, soit comme proches de l’extrême droite, soit comme avides d’argent.[note] Ces scientifiques ne s’accordent certes pas sur tous les points, et certains ont pu faire dire à leurs appels des choses qu’ils ne disaient pas ; mais les chercheurs et signataires concernés se rejoignent sur beaucoup déjà, en particulier la forte exagération de la virulence du virus et, par conséquent, la non-justification de confinements généralisés — avec tout ce que cela implique quant à l’imposition des vaccins.

Au sujet de l’extrême droite et du confusionnisme, les choses sont plus complexes, et, à côté d’une série d’erreurs, les publications concernées contiennent certaines réflexions pertinentes, par exemple : « Ce n’est pas parce que la droite et la gauche acquise au néolibéralisme utilisent le danger de l’extrême droite comme une excuse pour que la population continue de voter pour elles, que l’extrême droite n’existe pas ou qu’elle n’est pas un danger. » Ou encore : « Les extrêmes droites n’arrêtent pas de prétendre qu’elles se lèvent contre le libéralisme (…), alors qu’à chaque fois qu’elles sont au pouvoir elles appliquent les mêmes politiques, mais en pire[note]. » (l’article cite alors plusieurs politiciens, dont Jair Bolsonaro).

La première réflexion semble une évidence, notamment car, à une personne saine d’esprit, le fascisme peut apparaître comme malsain et dangereux d’une manière si patente qu’il peut sembler inutile d’expliciter qu’on le considère effectivement comme tel. Mais il faut se souvenir que des personnalités intelligentes, douées et porteuses d’une certaine forme d’idéalisme, sont déjà pleinement tombées dans les pièges du courant en question, comme le grand poète Ezra Pound, partisan de Mussolini notamment. Ainsi, des explicitations ont souvent tout leur sens. Dans cet esprit, au-delà des événements dont il s’agit ici, le reproche de confusionnisme peut être justifié dans certains cas. Mais il faut être très prudent avec un tel reproche, sans quoi on en arriverait finalement à vouloir proscrire les ouvrages et conférences politiques de la quasi-totalité des philosophes notamment, en débutant avec les plus célèbres, vu la complexité que présentent bien souvent leurs pensées.

LE COURAGE DE LA NUANCE

L’observation qui précède s’applique aussi ici : en effet, un des efforts des essayistes mentionnés est précisément de contribuer à des clarifications ; cela concerne effectivement, entre autres, diverses instrumentalisations de l’extrême droite par les partis classiques (notamment pour détourner l’attention de leurs faillites et méfaits). Et ce n’est pas parce que l’extrême droite constitue un vrai danger (dans le présent ou le futur, en cas par exemple de crise économique plus grave encore) qu’il ne faudrait pas dénoncer ces instrumentalisations. On peut faire une réflexion proche à l’égard de la critique du wokisme : ce n’est pas parce que le respect de toute communauté est essentiel qu’il n’est pas important, également, de dénoncer l’instrumentalisation des revendications légitimes des minorités discriminées, ou encore de critiquer certaines idéologies qui gagnent une partie des mouvements qui militent contre ces discriminations. Plus précisément, des idéologies qui banalisent notamment l’instabilité des orientations sexuelles ou affectives. Défendre la tolérance vis-à-vis de toutes ces orientations et de leurs changements ne nécessite pas d’accepter leur banalisation, voire leur promotion.

Plus généralement, tenter d’introduire nuances et lumière dans les débats politiques et philosophiques est un effort essentiel. En effet, la complexité de notre époque peut notamment faire que des tendances très diverses coexistent chez une même personne ou un même mouvement ; de sorte qu’il peut être important de prendre conscience de chacune de ces tendances, mais aussi de ne pas réduire à certaines d’entre elles la personne ou le mouvement en question. Ce, d’autant plus que c’est très souvent par de telles réductions que les promoteurs d’une pensée unique s’efforcent de disqualifier ceux qui développent de vraies critiques des politiques dominantes. Les clarifications dont il s’agit ne sont donc pas un jeu intellectuel. Bien souvent, c’est d’elles que peuvent dépendre des enjeux essentiels, en particulier celui que des lanceurs d’alertes puissent être entendus et non neutralisés médiatiquement.

Bien sûr, prendre conscience des tendances problématiques des divers courants et mouvements, y compris quand ceux-ci se veulent alternatifs, cela aussi est un enjeu important. Et il est vrai que celui qui lutte contre les méfaits des divers pouvoirs peut l’oublier. Plus largement, celui qui tente d’introduire de la nuance et de la lumière dans la complexité peut commettre des erreurs, mais cela n’ôte rien à l’importance de son effort. Et plutôt que de se braquer sur ses erreurs éventuelles, il convient bien plus de le soutenir, puisque très souvent il s’attire l’hostilité des milieux dominants.

« Le principe de la liberté d’expression a quelque chose de très élémentaire : ou on le défend dans le cas d’opinions qu’on déteste, ou on ne le défend pas du tout. »
Noam Chomsky

ASSAINIR ET PACIFIER PAR LE DÉBAT

Pour en venir à Kairos en général, une des critiques que Front AntiFasciste Liège 2.0 adresse au journal est d’avoir donné la parole à quelques personnes qui, effectivement, sont soit proches de l’extrême droite, soit en font partie[note]. Déduire de cela une proximité avec ce courant est, là encore, inacceptable. Il suffit, pour s’en rendre compte, de considérer le nombre de personnes interviewées par Kairos n’ayant aucun lien avec de telles tendances et, très souvent, leur étant pleinement opposées. Il suffit aussi de considérer les tendances qui se manifestent chez la totalité des rédacteurs de Kairos, et qui, s’il fallait donner une étiquette politique, vont en général dans le sens de l’anarcho-écologie ou de l’anarcho-socialisme, avec une très claire revendication de la justice pour tous les peuples.

Simplement, Kairos ne partage pas le principe de « cordon sanitaire », principe contesté également par des gens comme Noam Chomsky, qui, malgré des erreurs, compte parmi les humanistes au meilleur sens du mot. Celui-ci met en avant le fait que si chacun est intégré au débat public, les positions problématiques ou erronées peuvent être bien plus facilement réfutées[note]. En outre, exclure du débat accroît en général la violence. Tandis qu’écouter réellement, non seulement pour réfuter, mais aussi pour prendre en compte ce qui peut être juste dans tout discours, exerce bien souvent un effet pacificateur. C’est sans doute aussi le meilleur moyen d’affaiblir les mouvements extrémistes (ainsi la meilleure façon de saper les bases du nazisme aurait été de cesser d’imputer à l’Allemagne et ses alliés la totalité des responsabilités de la Première Guerre mondiale, ce qui impliquait le paiement extrêmement lourd des dommages. En effet, les responsabilités en question étaient partagées par l’ensemble des puissances impliquées. Cette injustice était ainsi la plus efficace base d’argumentation des nazis). Sur ces enjeux, Chomsky a dit cette belle phrase : « Le principe de la liberté d’expression a quelque chose de très élémentaire : ou on le défend dans le cas d’opinions qu’on déteste, ou on ne le défend pas du tout. Même Hitler et Staline admettaient la liberté d’expression de ceux qui partageaient leur point de vue…[note] »

À la lumière de tout cela, au lieu de promouvoir l’annulation de conférences-débats, les activistes dont il s’agit ici feraient mieux de venir participer aux échanges concernés. S’ils le faisaient avec un vrai esprit de dialogue, cela pourrait même être intéressant pour les deux côtés. Mais pour cela, la « prétention à l’objectivité intellectuelle », qu’ils reprochent justement à B. Legros, est sans doute trop forte chez eux…

À LA DEGRELLE ?

Pour revenir justement à ces annulations, il est intéressant de faire quelques observations en lien avec une des personnes que, selon les activistes en question, Kairos n’aurait pas dû interviewer — et qui, en l’occurrence, fait effectivement pleinement partie de ce qu’on nomme l’extrême droite : Alain Escada, président de Civitas. Sous des dehors affables, cet homme a en effet manifesté des sympathies extrêmement problématiques, sans les avoir remises en cause jusqu’ici. Précisons au passage que si nous en avions eu connaissance au moment de l’entretien, il est évident que la chose aurait été traitée de la manière la plus insistante. Beaucoup nous reprocheront de ne pas nous être informés davantage ; mais faut-il mener des enquêtes policières sur chaque personne interviewée ? C’est en tout cas maintenant l’occasion d’apporter des compléments d’infos essentiels.

Ce dont il s’agit : en 2016, Escada a donné une conférence apologétique sur Léon Degrelle (1906–1994)[note]. Escada luimême n’est visiblement pas néonazi, mais il est d’une indulgence exorbitante vis-à-vis de personnes qui ont pleinement fait partie du courant politique concerné. En effet, Degrelle était le fondateur du mouvement ultra-catholique Rex. Durant la Seconde Guerre mondiale, il a créé la Légion wallonne, milice fasciste intégrée aux SS, où Degrelle est devenu officier supérieur. Il a ensuite été décoré par Adolf Hitler lui-même[note]. Dans cette conférence, Escada présente le fondateur de Rex comme un homme de foi, de probité et de grande culture, se distinguant soi-disant des nazis car catholique et non paganiste ; le tout, sans dire un seul mot sur son engagement pour le régime hitlérien, comme si c’était un détail qu’il était inutile de rappeler.

À l’intention des personnes qui doutent de ce qu’on nous a enseigné sur les événements de la Seconde Guerre mondiale, comme l’existence des chambres à gaz, il suffit de renvoyer au livre Mein Kampf, de Hitler. À sa lecture, rien de ce que rapportent les historiens classiques sur ce sujet n’étonne. Et mes recherches ne m’ont permis de trouver aucune mise en cause, y compris de la part des néo-nazis, de l’authenticité des éditions de ce livre qui nous sont parvenues. La même réflexion peut être faite à l’égard des ouvrages de Degrelle luimême, d’autant qu’il en a écrit beaucoup, dont certains titres sont déjà très significatifs : Hitler pour mille ans, Le fascinant Hitler, Le Hitler de la paix, etc.[note]

Tout récemment, l’association Artemus s’est entretenue avec Escada[note] en lui posant des questions claires sur ces sujets. L’interviewé se limite à une évocation évasive de l’engagement nazi de Degrelle, exhortant surtout à ne pas juger les gens du passé à partir des connaissances plus étendues dont nous disposons aujourd’hui. C’est juste en partie, maisne change que très peu concernant les partisans du nazisme ; car là encore, pour savoir globalement à qui ils avaient à faire, avec le pouvoir hitlérien, ceux-ci n’avaient qu’à lire Mein Kampf et écouter les discours officiels. Mais au cas où les auteurs des pressions dont il s’agit ici ne l’ont pas encore fait, il serait intéressant qu’ils écoutent cette conférence d’Escada. Ce dernier évoque en effet une pratique de Degrelle qui devrait les faire réfléchir : le fait, précisément, d’empêcher des conférences. En l’occurrence, une série de tentatives de présentations émanant d’un ancien prêtre, critique sur l’Église catholique. Degrelle et ses sbires ont systématiquement saboté ces conférences (là aussi par des pressions et menaces), ce qu’Escada approuve avec enthousiasme, dans son exposé.

AGIR PAR L’EXEMPLE ET LA CONSCIENCE

Donner la parole à tous, y compris à ceux qui approuvent de telles répressions, n’est-ce pas justement ce qui incarne au mieux le refus le plus radical de tels actes ? Et, dans l’esprit de la fameuse exhortation de Gandhi à être soi-même le changement qu’on veut apporter dans le monde, incarner ainsi l’idéal de la libre expression, n’est-ce pas ce qui donne le plus de chance de pouvoir peut-être, par la force de l’exemple, agir sur les extrémistes concernés, favoriser chez eux des remises en question ? Mais les plus extrémistes parmi les prétendus antifascistes concernés ont déjà probablement placé toute une partie de leurs adversaires dans des catégories autres que celle d’êtres humains. À ce propos, ils feraient bien de lire le texte ci-dessous, où Leonard Cohen parle d’Adolf Eichmann, un des grands criminels du régime nazi. Rappelons qu’il serait bien difficile d’accuser Cohen de relativisation de l’horreur de ce régime, car il était juif et, qui plus est, se revendiquait du judaïsme[note]. Et en effet, le texte en question ne vise pas à relativiser au mauvais sens du mot, mais à nous rappeler ce qui sommeille en nous tous (y compris en les activistes mentionnés).

TOUT CE QU’IL FAUT SAVOIR SUR ADOLF EICHMANN[note]

Vue : moyenne. Longueur des cheveux : moyenne. Poids : moyen. Taille : moyenne. Signes distinctifs : aucun. Nombre de doigts : dix. Nombre d’orteils : dix. Intelligence : moyenne.

Qu’attendiez-vous ? Des incisives surdimensionnées ? De la salive verte ?

La folie ?

Daniel Zink

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Le peuple palestinien a le droit d’être protégé contre des actes de génocide

Les 17 membres de la Cour de Justice Internationale (CIJ) ont rendu leur verdict provisoire ce 26 janvier 2024. Après avoir décidé que la demande de l’Afrique du Sud était recevable, contrairement à la demande d’Israël, elle a statué. 

LA COUR, Indique les mesures conservatoires suivantes :

*L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention, en particulier les actes suivants :

a) meurtre de membres du groupe ;

b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et

d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

*L’État d’Israël doit veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette aucun des actes visés au point 1 ci-dessus ;

*L’État d’Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ;

*L’État d’Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ;

*L’État d’Israël doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application des articles II et III de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide commis contre les membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ;

*L’État d’Israël doit soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à la présente ordonnance dans un délai d’un mois à compter de la date de celle-ci.

La décision provisoire de la Cour Internationale de Justice, une instance de l’ONU, est sévère pour Israël. Certains auraient préféré plus, mais compte tenu de sa composition, on se trouve devant des compromis. En effet, la Cour n’a pas ordonné de cessez-le-feu immédiat à Gaza.

Néanmoins, les bases d’un jugement de fond sur l’existence d’un génocide sont posées :

* La Cour Internationale de Justice n’a pas rejeté la demande de l’Afrique du Sud comme le demandait Israël.

* Elle a qualifié, dans le préambule, l’intention génocidaire en reprenant l’expression : « des animaux humains ».

* Elle a posé les fondations d’un jugement de fond sur l’existence d’un génocide.

Cependant, si l’arrêt des bombardements indiscriminés, du ciblage des universités, des écoles, des lieux cultuels, et des journalistes, …, semblent implicite au jugement provisoire (protéger le « groupe palestinien » d’un génocide), cela reste implicite et la vraie mesure, l’exigence d’un cessez-le-feu, manque.

La décision de la Cour n’est donc pas complète, c’est évident, néanmoins soyons positif : la décision provisoire est exceptionnelle. Elle dénonce clairement les actes d’Israël comme pouvant avoir un caractère génocidaire et que cela doit cesser. À ce titre, je suis persuadé que cette décision sera saluée par l’ensemble de ce qu’on appelle le sud global et que chez nous, nos « élites » dirigeantes seront mi-figue mi-raisin. Elles s’en remettront vite ! Quant au gouvernement d’Israël, il rejettera cette décision provisoire, s’appuyant sempiternellement sur son droit à se défendre et sur la Shoah.

Soulignons que c’est un premier pas important pour arrêter cette folie meurtrière dont nous sommes complices, que nous le voulions ou non. Non pas que cette décision sera suivie d’une accalmie, probablement l’inverse avec l’intensification des combats au nord d’Israël et l’impasse américaine en Syrie, en Irak et au Yémen. Mais cette décision est une fissure profonde dans la posture victimaire du gouvernement israélien actuel : car, avant la décision, c’était en résumé : c’est parce que nous sommes des victimes, que nous vous colonisons, nous vous dépouillons, nous vous tuons . Ceci avait été parfaitement résumé par Gideon Levy : « Nous sommes les seules victimes ».

Si pour la Russie, cette position victimaire ne fait pas grand sens face à leurs 25 millions de morts pour nous délivrer du nazisme, il en va autrement pour nous. Cette décision est donc lourde de signification et se diffusera progressivement dans nos consciences, malgré le peu d’empressement de nos médias mainstreams, c’est un euphémisme : les victimes sont devenus bourreaux.

Par contre, l’écho de cette décision provisoire est énorme dans les pays du sud global, eux qui ont subi guerre, colonisation, exploitation, apartheid, tuerie de notre part. Il y a là comme une éclatante revanche morale. Cette décision provisoire fera date, d’autant qu’elle ouvre la voie vers d’autres décisions et pas seulement à la CIJ ou dans d’autres Cours internationales, mais aussi et probablement surtout dans des Cours nationales qui reçoivent avec ceci une légitimation à leurs propres actes portant sur cet objet.

Plutôt que jouer à l’autruche, nous ferions mieux de nous regarder en face, sortir de cette culpabilisation bien confortable et prendre enfin les bonnes décisions.

Christophe de Brouwer

Full-professeur honoraire et ancien président de l’École de Santé publique de l’Université libre de Bruxelles. (26 janvier 2024)

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Articles

N’oublions pas la 5G

Dans les soubresauts actuels, il ne faudrait pas oublier la 5G. Nous publions ci-dessous un résumé du communiqué de l’association Procès 5G France, suivi d’un article publié en son temps dans le hors-série n° 5, « 5G, face au conte de fée, le compte des faits ».

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[SERIE] Hebdo #24: Subsidier avec vos impôts les instruments de votre soumission

Tout va bien en 2024, on espère en tous cas, ce sont les premiers jours… Dans le réel pourtant, le souhait n’a pas sa place. Car pendant qu’on espère, ceux qui agissent sont à Davos, vous préparant le futur. Et leurs plans feront couler du sang et des larmes. Certains diront : quel pessimisme, il fait advenir le réel qu’il présage. Faux. Il est déjà là. Qu’est-ce qui ferait en effet que la mère maquerelle de la Commission, se dirait en 2024 : « tiens, cette année, j’ai décidé de penser autrement, d’être une femme de valeur et de défendre le bien commun, de révéler mes petites frasques avec Bourla ». VDB aussi, en 2024, révélera-t-il le contenu de ses mails, ce qui permettra peut-être de comprendre pourquoi le mot vaccin était devenu itératif dans sa bouche dès 2020. Et en même temps, pourquoi ne pas rêver ? Soyons positif, 2024 serait l’année des révélations sur l’Affaire Dutroux, les tueurs du Brabant, etc., celle où ceux qui nous mentent, nous volent, nous culpabilisent… avoueront toutes leurs manigances.Ah, croire ! Espérer… Alors qu’il suffit de refuser d’obéir à tous ceux-là, qui occultent, censurent, tuent, et vous voilà libres ! Le pessimisme, c’est l’espoir du pauvre ; pour l’intellectuel non biberonné aux idéologies universitaires, le pessimisme, c’est un optimisme éclairé. C’est ce qu’il reste, quand tout est bouché, quand on a l’impression de crier dans le désert, quand on vous dit de voir le positif dans une décharge, alors que ceux qui profitent de la pourriture ne veulent qu’une chose : que vous focalisiez votre attention sur ces petites mesures cosmétiques, pendant qu’eux continuent leur destruction de masse. Bill Gates à la pompe à bière avec De Croo à la Belgium House à Davos, pendant qu’en coulisse DEME, Fluxys ou Syensqo signent des contrats, et qu’ils vous préparent la fin du cash, la prochaine pandémie ou le crédit social. Et tout ce qu’ils veulent, c’est que vous reteniez Gates à la pompe à bière, surtout pas que vous vous demandiez ce qui se passe dans les coulisses.

Relativise certains me diront ! C’est vrai que quand je m’endors dans une chambre à plus de 15 degrés, dans des draps propres, sentant la chaleur réconfortante de ceux que j’aime… tout n’est pas si mal. Foutue empathie non, que de s’imaginer que tous ne vivent pas la même chose, que meurent à l’instant femmes, hommes, enfants à Gaza, sous les bombes fascistes. Heureusement, la France accueille deux enfants palestiniens. Certains diront qu’il faut être positifs, c’est déjà ça non, deux c’est plus que zéro ou un. Mais la France, en février 2023, comptait plus de 100.000 réfugiés ukrainiens sur son territoire. « Oh oh oh, tu insinues quoi ? Quelle comparaison !», me dira-t-on ? C’est clair, non : les gouvernements ne sont pas solidaires, mais sélectionnent leurs réfugiés de manière partiale, donc pas nécessairement ceux qui sont le plus dans le besoin, mais ceux qui constituent le plus une arme ou un levier politique. Demandez aux médecins ou infirmiers d’un hôpital public bruxellois la différence de niveau socio-économique entre des réfugiés syriens et des réfugiés ukrainiens.Soit, le fascisme n’est pas à droite, il est dans nos gouvernements. Gouverne et ment, et tu réussiras en politique, seras reçu par les médias du pouvoir. Si, en plus, tu traites de complotistes ceux qui ne pensent pas comme toi, gramophone du discours politico-médiatique, alors sois assuré d’avoir la gloriole. Et tu pourras te mentir, te dire tous les soirs en t’endormant : « nous sommes tout de même dans le moins pire des mondes ».Et la masse, elle s’engraisse, c’est son principe. Pendant ce temps, d’aucuns attendent le sauveur : Trump… Trump… Trump… qui fera tout basculer. Le messie. Ils n’ont pas vu que le pouvoir était en eux, que d’accepter de sacrifier quelque peu leur vie pour leurs idées pourraient en réveiller d’autres. Les possibilités de changement véritable ne se mesurent qu’à la capacité qu’un nombre suffisant d’individus choisissent de dire non, même si chacun pense être seul à le dire.Les premiers qui crièrent « Kairos, Kairos, Kairos… », en manif, une fois le coup d’état sanitaire provisoirement passé, ont pour beaucoup repris le cours de leur vie. C’est normal. Mais dites-moi que vous n’étiez pas uniquement là pour vos droits ? Il y avait bien un sentiment de révolte, une envie de s’unir contre la folie de ceux qui sous prétexte de nous gouverner nous conduisent au chaos en se goinfrant. Il y avait bien un instinct de survie, mais aussi un instinct altruiste de sauver autre chose que soi, non ?Ceux qui haïssent la vérité nous ont traités d’extrême droite, d’antisémites, de transphobes. Ils nous ont privés de l’argent public qui nous permettait de payer presque deux temps plein pour vous informer. Maintenant, ne nous donnant plus rien, ils ont augmenté l’enveloppe des autres Wilfried, Médor, Imagine… Ils ont fermé notre chaîne YouTube parce que, selon leurs dires, nous mettions la vie des utilisateurs en danger, alors que des chaînes ultra-violentes ou d’une bêtise grandiose demeuraient ouvertes.On pouvait dire que les insultes ne nous touchaient pas directement, que je pouvais me regarder dans la glace, regarder mes enfants, sachant que j’œuvrais pour le bien. Évidemment, je sais qui je suis, j’exècre le racisme, l’intolérance, l’injustice et la bêtise, tout comme tous ceux qui travaillent chez Kairos. Mais ces mensonges ne sont pas sans effet : « médisez, médisez, il en restera toujours quelques chose »… des correcteurs de Kairos ont arrêté parce que nous avions été couvrir la 100ème du Conseil supérieur indépendant à Saintes, et que des gens leur disaient que c’était un rassemblement d’extrême droite. Que dire alors de l’effet de ces diffamations sur les lecteurs de Kairos ? Il suffit de stigmatiser, mentir, pour jeter l’opprobre, même si c’est un mensonge, pour que des gens prennent peur. Peur d’être assimilé à Kairos. Mais vous n’avez pas compris ? Pourquoi pensez-vous qu’ils usent et abusent du terme « complotiste », si ce n’est pour décrédibiliser l’adversaire ?Et c’est vous qui payez, avec vos impôts, ceux qui vous désinforment et vous dénigrent chaque jour.L’humanité continuera sans Kairos, évidemment, mais que ce soit pour nous ou d’autres pourfendeurs du réel que la caste médiatico-politique nous impose, si cela continue, il n’y aura un jour plus de cailloux dans leur chaussure. Se passera alors certainement ce qu’Orwell avait prédit dans 1984 : « « Si vous désirez une image de l’avenir, imaginez une botte piétinant un visage humain… éternellement. »

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Articles

Entretien de Thierry Meyssan avec Monika Berchvok

Les détracteurs de tout ce qui ne sort pas de la matrice médiatique officielle, s’arrêteront sans doute de suite sur l’auteur de l’article, lui trouvant certainement dans une forme de réflexe pavlovien quelques qualificatifs peu élogieux pour, comme à l’habitude, faire une seule chose: stopper la capacité de penser. Pourtant, pour ceux qui en auront le « courage », l’interview de Thierry Meyssan que nous reproduisons ici est d’un grand intérêt, à différents niveaux: l’attaque du 7 octobre, qui était connue du gouvernement Netanyahou depuis au moins un an; la division du Hamas en deux branches, l’une islamique et bénéficiant du soutien du premier ministre israélien, l’autre ayant rejoint la résistance palestinienne; l’origine de la Confrérie des Frères musulmans et le soutien que l’Occident lui apporte; enfin, des propos clairs et factuels sur la politique de Trump et l’avenir l’Occident.

Thierry Meyssan, qui accorde des interviews à tous ceux qui le lui demandent sans discrimination, a expliqué à Monika Berchvok son analyse de l’affrontement à Gaza.

Monika Berchvok : Pour vous, la thèse d’une attaque surprise le 7 octobre est difficile à croire. Quelles sont les incohérences qui vous font penser à un scénario à la 11 septembre ?

Thierry Meyssan : Le gouvernement de coalition de Benjamin Netanyahu avait été alerté par un rapport des services de Renseignement militaires un an auparavant, ainsi que l’a relaté le New York Times. Il n’a pas réagi. Lorsque, cet été, son ministre de la Défense l’a rappelé à l’ordre en Conseil des ministres, il l’a révoqué, ainsi que l’a révélé Haaretz. Cependant, sous la pression de son parti, il l’a réintégré peu après.

Par la suite des rapports se sont entassés sur son bureau. Parmi ceux-ci un des Renseignements, qu’il a retourné à son auteur comme peu crédible, et qui lui a été renvoyé deux autres fois avec des introductions d’officiers différents.

Ou encore deux rapports de la CIA. Et encore une démarche d’un de ses amis personnels, le directeur du Memri. Et comme si cela ne suffisait pas, un appel téléphonique du ministre du Renseignement égyptien.

Non seulement, le Premier ministre n’a rien fait, mais il a agi pour rendre cette attaque plus facile : il a pris l’initiative de démobiliser les gardes-frontières de sorte que personne n’a pu intervenir lorsque l’attaque a débuté.

Notez bien que j’ai la même lecture des événements que le pape François : lors de son message de Noël, le Saint-Père a qualifié, par deux fois, la guerre à Gaza de « folie sans excuses ». Pourtant, peu après, il a évoqué l’« odieuse attaque du 7 octobre », signifiant qu’il ne pensait pas que la guerre israélienne était une riposte à cette attaque. Il a alors demandé un arrêt des combats et la résolution de la question palestinienne.

MB : Au sein du pouvoir israélien, il y aurait donc une fracture aussi importante ? Le clan Netanyahu aurait quel but dans cette opération ?

TM : Durant les mois qui ont précédé l’attaque de la Résistance palestinienne, Israël a été le théâtre d’un coup d’État. Ce pays n’a pas de Constitution, mais des lois fondamentales. Elles régissent un équilibre des pouvoirs en confiant à la Justice la capacité de neutraliser les rivalités entre le gouvernement et la Knesset.

Sous l’impulsion du Law and Liberty Forum, financé par le straussien états-uno-israélien Elliott Abrams, la commission des Lois de la Knesset, présidée par Simtcha Rothman, par ailleurs président du Law and Liberty Forum, a détricoté les institutions israéliennes. Durant l’été, les manifestations monstres se sont multipliées. Mais rien n’y a fait. L’équipe Netanyahu a modifié les règles d’adoption des lois, éliminé la clause de « raisonnabilité » des décisions judiciaires, renforcé le pouvoir de nomination du Premier ministre, et affaibli le rôle des conseillers juridiques des ministères. En définitive, la Loi fondamentale sur la Dignité humaine et la Liberté est devenue un simple règlement. Le racisme est devenu une opinion comme une autre. Et les ultra-orthodoxes ont pu se goinfrer de subventions et privilèges divers.

Israël aujourd’hui n’est plus du tout le même pays qu’il y a six mois.

MB : La société civile israélienne est divisée et semble à bout de souffle. Pensez-vous que le modèle sioniste est mort ?

TM : Le sionisme est une idéologie d’un autre siècle. Il s’agit d’un nationalisme juif au service de l’Empire britannique. Durant des siècles, les juifs s’y sont opposés avant que Theodor Hertzl n’en fasse l’idéal de certains d’entre eux.

MB : La situation à Gaza est en train de virer à l’épuration ethnique. Tsahal, est-il capable de prendre totalement le contrôle de ce territoire et de le vider de sa population ?

TM : L’idée d’une épuration ethnique n’est pas neuve. Elle s’enracine dans les positions de l’Ukrainien Vladimir Jabotinsky dont, en Israël, Menahem Begin, Yitzhak Shamir et la famille Netanyahu se réclamaient comme, aux États-Unis, Leo Strauss et Elliott Abrams. Ce groupe, suprémaciste juif, affirme que la Palestine est « Une terre sans peuple, pour un peuple sans terre ». Dans ces conditions, les autochtones palestiniens n’existent pas. Ils doivent partir ou être massacrés.

C’est, à ma connaissance, aujourd’hui, le seul groupe au monde qui préconise publiquement un génocide.

MB : Côté Palestinien, le Hamas semble aussi divisé entre deux tendances antagonistes ?

TM : Le Hamas est la branche palestinienne de la Confrérie des Frères musulmans. Son nom est l’acronyme de « Mouvement de la Résistance islamique », ce qui correspond au mot arabe « zèle ». Son idéologie n’a rien à voir avec la libération de la Palestine, mais avec l’établissement d’un Califat. Son slogan est : « Dieu est son objectif, le Prophète est son modèle, le Coran sa constitution : le jihad est son chemin et la mort pour l’amour de Dieu est le plus élevé de ses souhaits. » Depuis sa création, il bénéficie de toute l’aide de la famille Natanyahu qui voyait en lui une alternative au Fatah laïque de Yasser Arafat. Le prince de Galles et actuel Charles III a été un des protecteurs de la Confrérie. Barack Obama, a placé un agent de liaison de la Confrérie au sein du Conseil national de sécurité états-unien. Un dirigeant de la Confrérie a même été reçu à la Maison-Blanche en juin 2013.

Cependant, au vu de l’échec des Frères musulmans durant le prétendu « printemps arabe », une faction du Hamas a pris ses distances avec la Confrérie. Il n’y a donc plus un Hamas, mais deux. Le Hamas historique est gouverné par Mahmoud Al-Zahar, Guide la Confrérie à Gaza. Sous ses ordres, le milliardaire Khaled Mechaal au Qatar et Yahya Sinwar à Gaza. Au contraire, la branche du Hamas ayant rejoint la Résistance palestinienne est dirigée par Khalil Hayya.

Cette division du Hamas n’est pas couverte par les médias occidentaux, mais uniquement par certains médias arabes. Le président Bachar el-Assad s’est réconcilié, en octobre 2022, avec Khalil Hayya alors qu’il a refusé de recevoir Khaled Mechaal. À ses yeux, et aux miens, le Premier ministre de Gaza, Ismaïl Haniyyeh, a organisé l’attaque de la ville de réfugiés palestiniens en Syrie, Yarmouk, en 2012. À l’époque, les combattants du Hamas et ceux d’Al-Qaïda étaient entrés dans la ville pour éliminer les « ennemis de Dieu ». Ils étaient encadrés par des officiers du Mossad israélien et se sont dirigés vers les demeures des cadres du FPLP, qu’ils ont assassinés. Parmi eux, un de mes amis. Le président Bachar el-Assad vient, il y a quelques jours, de prononcer un discours contre le Hamas historique et pour celui qui a rejoint la Résistance palestinienne.

MB : Que représente l’authentique résistance palestinienne pour vous ?

TM : La Résistance palestinienne n’a rien à voir avec l’obscurantisme des Frères musulmans, ni avec l’opportunisme des milliardaires du Hamas. C’est un mouvement de libération nationale face au colonialisme des suprémacistes juifs.

MB : Pouvez-vous revenir sur l’histoire de la Confrérie des Frères Musulmans. Cette société secrète tente-t-elle de revenir dans le jeu après ses défaites en Syrie et en Egypte ?

TM : La Confrérie a été fondée, en 1928, par Hassan el-Banna, en Égypte. J’ai consacré une partie de mon dernier livre à son histoire internationale. Cependant, je ne suis pas parvenu à éclaircir les soutiens dont elle a bénéficiés à ses débuts. Toujours est-il qu’après la Seconde Guerre mondiale, elle est devenue un outil au service du MI6 britannique et bientôt de la CIA états-unienne. Elle s’est dotée d’un « Appareil secret » qui s’est spécialisé dans les assassinats politiques en Égypte. Un franc-maçon égyptien, Sayyed Qutob, est devenu son théoricien du jihad. L’organisation de la Confrérie a été copiée sur celle de la Grande Loge Unie d’Angleterre. La Confrérie s’est étendue au Pakistan avec le gendre d’Al-Banna, Saïd Ramadan, le père de Tariq Ramadan, et le philosophe Sayyid Abul Ala Maududi.

Par la suite, Ramadan est allé travailler à Munich pour la CIA, à Radio Free Europe, aux côtés de l’Ukrainien Stepan Bandera, grand massacreur de juifs.

La Confrérie a débuté son action militaire lors de la guerre du Yémen du Nord, dans les années 60, contre les nationalistes arabes de Gamal Abdel Nasser. Mais c’est avec Zbigniew Brzezinski qu’elle est devenue un acteur indispensable de la stratégie états-unienne en Afghanistan. Ce dernier a placé au pouvoir au Pakistan la dictature frériste du général Zia-ul-Haq et a lancé en Afghanistan, contre les Soviétiques, les combattants du milliardaire frériste saoudien Oussama Ben Laden.

Dans cette période, l’Arabie saoudite utilisait la Ligue islamique mondiale pour armer la Confrérie avec un budget plus important que celui consacré à sa propre armée nationale.

La Confrérie a tenté, en vain, de prendre le pouvoir dans plusieurs Etats, notamment en Syrie avec l’opération de Hama. Elle s’est impliquée dans la guerre de Bosnie Herzégovine, où elle a créé la Légion arabe. Oussama Ben Laden est devenu conseiller militaire du président Alija Izetbegovic, dont le straussien états-unien Richard Perle est devenu le conseiller diplomatique et le Français Bernard-Henri Lévy, le conseiller en communication.

Mais le grand œuvre de la Confrérie n’est arrivé qu’avec Al-Qaïda et Daesh. Ces organisations jihadistes, en tout point comparables au Hamas historique, ont été utilisées par la CIA et le Pentagone, principalement en Algérie, en Iraq, en Libye, en Syrie en Égypte et en Tunisie, pour détruire des capacités de résistance des pays arabes,

La France, qui avait donné asile à leurs dirigeants durant la Guerre froide, les a combattus avec l’alliance entre François Mitterrand et Charles Pasqua. Elle a réalisé que le Groupe islamique armé (GIA) n’était qu’une manœuvre britannique pour l’exclure du Maghreb.

Cependant aujourd’hui, personne ne comprend que la Confrérie n’est qu’un outil de manipulation des masses. Nos dirigeants, d’Emmanuel Macron à Jean-Luc Mélenchon, se laissent berner par son discours qu’ils prennent au pied de la lettre. Ils la traitent comme une organisation religieuse, ce qu’elle n’est pas du tout.

MB : Le Qatar à un rôle plus que trouble. Quelle est sa place dans la conspiration ?

TM : Au début, le Qatar s’est placé comme une puissance neutre, apportant ses bons offices. Mais beaucoup se sont inquiétés du fait qu’il héberge la branche politique du Hamas, que certains sont des amis personnels de l’émir et qu’il rémunère les fonctionnaires du Hamas à Gaza.

Le Qatar a répondu qu’il faisait tout cela à la demande des Etats-Unis comme il l’avait fait pour les Talibans.

En réalité, après qu’Abdel Fattah al-Sissi eut renversé la dictature de Mohamed Morsi, à la demande du peuple égyptien, dont 40 millions de citoyens ont défilé, il a informé l’Arabie saoudite que les Frères préparaient un coup d’Etat contre le roi Salman. Brusquement la Confrérie, qui avait été choyée durant des années, est devenue l’ennemie du Royaume. Le Qatar a alors publiquement assumé son rôle de parrain de l’islamisme, tandis que le prince héritier MBS tentaient d’ouvrir son pays.

Lorsque Donald Trump a prononcé son discours contre le terrorisme à Riyad, en 2017, l’Arabie saoudite a mis en garde le Qatar de cesser immédiatement ses relations avec la Confrérie et ses milices, Al-Qaëda et Daesh. Ce fut la crise du Golfe.

Les choses se sont éclaircies ces jours-ci : l’émir Al-Thani a envoyé une de ses ministres, Lolwah Al-Khater, à Tel-Aviv. Elle a participé au conseil de guerre israélien pour aplanir les difficultés dans l’accord de libération des otages. Mais elle n’a pas compris que le cabinet de guerre comprenait des opposants à la dictature de Benjamin Netanyahu, dont le général Benny Gantz. Elle s’est montrée pour ce qu’elle est : non pas une négociatrice neutre, mais une autorité capable de prendre des décisions au nom du Hamas. C’est pourquoi, à la sortie de cette réunion, Joshua Zarka, directeur général adjoint des Affaires stratégiques du ministère des Affaires étrangères, a déclaré qu’Israël « réglera ses comptes avec le Qatar » dès qu’il aura terminé son rôle de médiateur.

Au sein du cabinet de guerre, l’opposition à Netanyahu a commencé à se demander si tout cela, le coup d’Etat cet été et l’attaque du 7 octobre, n’était pas une mise en scène de l’administration Biden.

MB : Les États-Unis seraient donc à la manœuvre. Quelle serait la stratégie de Biden dans la région ?

TM : Joe Biden n’a pas toutes ses capacités. Aux États-Unis, il y a même une émission de télévision hebdomadaire sur ses problèmes de santé et ses absences intellectuelles. Dans son ombre, un petit groupe a relancé la stratégie de George W. Bush et Barack Obama : détruire toutes les structures politiques du « Moyen-Orient élargi » à l’exception de celles d’Israël.

C’est ce qui se passe en Libye, au Soudan, à Gaza et que l’on poursuit au Yémen.

L’administration Biden assure vouloir faire cesser le massacre à Gaza, mais poursuit ses livraisons d’obus et de bombes pour qu’il continue. Il prétend vouloir maintenir la liberté de circulation en mer Rouge, mais forme une coalition internationale contre Ansar Allah qu’il qualifie à tort d’antisémite et qu’il affuble du sobriquet de « Houthis » (c’est-à-dire de « bande la famille al-Houthis »). Washington vient de faire annuler la signature du traité de paix au Yémen, sous les auspices des Nations unies. Il relance une guerre qui avait déjà pris fin.

MB : Au regard de ce chaos, quel est le bilan de Trump dans la géopolitique du Proche-Orient ? Son retour pourrait amener une autre voie pour sortir de ce conflit ?

TM : Donald Trump est un ovni politique. Il se réclame de l’ancien président Andrew Jackson (1829–1837) et n’a aucun rapport avec les idéologies républicaine et démocrate. Sa première décision lorsqu’il est arrivé à la Maison-Blanche a été de priver le directeur de la CIA de son siège au Conseil national de Sécurité. Cela a provoqué ses premiers ennuis et la démission forcée du général Mike Flynn.

Donald Trump souhaitait résoudre les problèmes internationaux par le commerce et non par les armes. On peut considérer que c’est une voie illusoire, mais il est le seul président US qui n’a jamais déclenché de guerre. Il a interrompu brutalement l’usage par Washington de proxys terroristes, notamment Al-Qaëda et Daesh. Il a mis en cause le rôle de l’Otan ; une alliance militaire qui vise selon les mots de son premier secrétaire général à « Garder les Américains à l’intérieur, les Russes à l’extérieur et les Allemands sous tutelle ».

S’il était au pouvoir, il aiderait la majorité des citoyens israéliens à se débarrasser des « sionistes révisionnistes », c’est-à-dire le groupe de Benjamin Netanyahu ; il poursuivrait la mise en application des Accords d’Abraham et mettrait fin au soutien occidental à la Confrérie des Frères musulmans ; il aiderait la majorité des Ukrainiens à se débarrasser de Volodymyr Zelensky et ferait la paix avec la Russie. Etc.

Toutefois, Donald Trump n’est pas encore élu et l’équipe au pouvoir actuellement tente de le contraindre à renoncer à son programme pour pouvoir accéder à la Maison-Blanche.

MB : À terme, l’Occident incarnée par l’axe américano-sioniste est-il condamné à mourir ?

TM : Vous qualifiez d’« américano-sioniste » le groupe qui dirigea actuellement l’Occident politique. C’est une manière de voir. Je pense cependant qu’elle n’est pas liée à un État. Il se trouve que ces gens sont au pouvoir aux États-Unis et en Israël, mais ils pourraient l’être ailleurs. Il se trouve qu’ils se réclament du nationalisme juif, mais ils ne sont pas nationalistes. Ces gens sont des suprémacistes. Ils récusent l’égalité entre les personnes humaines et considèrent comme insignifiant de massacrer des masses humaines. Pour eux, « On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs ».

C’est cette manière de penser qui a provoqué la Seconde Guerre mondiale et ses gigantesques massacres de civils.

Aujourd’hui, de nombreux dirigeants du monde réalisent qu’ils ne sont pas différents des nazis et apportent les mêmes horreurs. Le Tiers-Monde est désormais éduqué et membre des Nations unies. Il ne peut plus supporter le pouvoir de ces gens-là. La Russie aspire à rétablir le Droit international que le tsar Nicolas II avait créé avec le Prix Nobel français Léon Bourgeois lors de la conférence de La Haye, en 1899. La Chine aspire à la Justice et ne tolérera plus de « traités inégaux ».

Il me semble que ce système de gouvernance est déjà mort. Aux Nations unies, la résolution annuelle exigeant la fin du blocus de Cuba a été adoptée par 197 Etats contre 2 (les États-Unis et Israël). La résolution pour un cessez-le-feu immédiat et durable à Gaza a été adoptée par 153 États, c’est un peu moins, mais l’enjeu est bien plus grand. Quoi qu’il en soit, nous voyons bien qu’une majorité se dégage contre la politique de ces gens. Lorsque la digue cédera, et nous sommes proches de ce moment, l’Occident politique s’effondrera. Nous devons absolument nous détacher de ce radeau avant qu’il ne coule.

Thierry Meyssan

Source: https://www.voltairenet.org/article220213.html

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BRÈVES

L’ÉLECTRO HYPER-SENSIBILITÉ SUR PELLICULE 

Remembering Nearfield, un film d’animation sur l’électro-hypersensibilité (EHS) réalisé par Sean A. Carney, a remporté le prix du meilleur film sur la santé au Festival des films du monde de Cannes en juillet. À l’heure actuelle, l’EHS est un handicap toujours négligé par les pouvoirs publics et la majeure partie du monde scientifique, qui compromet la capacité des patients à mener à bien leurs activités quotidiennes. Une piste de solution est le maintien ou la création de « zones blanches » où le rayonnement électromagnétique est faible ou nul. En attendant la solution radicale d’« éteindre le moteur de la civilisation thermique », comme le suggère le scientifique Guy McPherson 

B. L. 

IMPOSSIBLE MONDE SANS ORDIPHONE 

Le Soir du 3 octobre 2023 consacre 2 pages à la gloire du smartphone. Le journaliste Philippe Laloux ne porte apparemment aucun jugement de valeur, se cantonne au factuel, mais va jusqu’au prophétique : « La transformation du smartphone en portefeuille électronique est inscrite dans les astres ». Nous voilà prévenus. C’est comme ça ! Le 10 octobre, un publi-reportage : « Le nouveau smartphone, plutôt Apple ou Google ? ». Les médias dominants sont les vecteurs enthousiastes du monde tel qu’il va. Pour (essayer de) le faire aller autrement, lisez aussi nos confrères de Suisse, Moins !, et de France, La décroissance. 

B. L. 

MINES DE RIEN… 

Le mardi 19 septembre dernier à Namur, les DoMineurs, des citoyens opposés à la réouverture des mines en Belgique, ont rencontré pour la deuxième fois la Ministre Céline Tellier au sujet du Code de gestion des ressources du sous-sol wallon, actuellement proche de sa finalisation et devant bientôt être voté au Parlement wallon. Une action a été entreprise auprès des députés. Pour eux, voici un dossier à creuser ! 

B. L. 

URSULA VON DER LEYEN ET LES RECORDS DE DÉBILITÉ PROFONDE 

On aurait pu croire que la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen n’allait pas pouvoir ajouter grandchose encore à son palmarès d’idioties et de malfaisances (collabo en chef du pouvoir étasunien, collusion avec Pfizer, alimentation zélée de la guerre en Ukraine, etc.). Elle vient de prouver le contraire en s’attaquant au statut d’espèce protégée dont le loup bénéficie dans l’UE (in Le Soir, 04/09/2023). Elle n’atteindra sans doute pas son but, mais ça n’ôte pas à la chose sa gravité. On repense à la formule d’un personnage de L’homme à l’envers de Fred Vargas sur les ennemis du loup : elle les qualifie en effet de « vieux cons arriérés », expression s’appliquant tellement bien, dans le cas présent… 

D.Z. 

ESPÈCE EN VOIE DE RÉAPPARITION 

Une bonne nouvelle (ça arrive) : elle concerne le takahé, oiseau qui avait vécu en Australie durant 12.000 ans au moins, avant qu’on le considère comme éteint depuis 1898, suite à l’introduction par les colons de prédateurs de cet animal. On avait cependant découvert quelques survivants au milieu du XXe siècle. Ceux-ci ont pu se reproduire en captivité. Et en août 2023, pour la première fois, des takahés ont été relâchés dans des zones naturelles, où leurs prédateurs avaient été capturés. En outre, cette réintroduction est l’aboutissement d’un long combat juridique d’une communauté indigène, les Ngāi Tahu, pour lesquels cet oiseau est une part de leurs terres ancestrales. (in Reporterre, 04/09/2023). 

D.Z. 

DÉMOCRATURE 

« La démocratie était l’idéal de tous les États dans le monde, et aujourd’hui, au contraire, il y a une demande d’autoritarisme, y compris parfois chez nous, une défiance vis-à-vis de la démocratie avec l’impression qu’elle ne protège pas assez les citoyens », se plaint Georges Dallemagne, député fédéral des Engagés, dans Le Soir du 26 septembre 2023. Rappelons-nous que c’est le même qui avait réclamé la vaccination « automatique » pour le personnel soignant. C’est pas de l’autoritarisme, ça ? À moins que ce ne soit un acte « démocratique » pour « protéger les citoyens »… 

B.L.

AUX RIA, L’OUBLI D’UN « A »… 

En juillet dernier à Saint-Imier (Suisse), les rencontres internationales (anti ?)-autoritaires (RIA) ont réuni 5.000 anarchistes. Ce n’est pas peu dire qu’elles ont tourné à la pagaille, et au cauchemar pour l’historique Fédération anarchiste (lire le compte-rendu circonstancié par Tomjo et Mitou sur www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/ pdf/mes_vacances_a_saint-imier.pdf). Tout n’est évidemment pas pourri au royaume de l’anarchie, loin de là ! On visitera avec intérêt la revue libertaire en ligne Divergences, qui garde la tête froide en ces temps troublés (dans le genre). 

B. L. 

PARIS TROTINETTISÉ, PARIS SMARTPHONISÉ, PARIS NUMÉRISÉ, MAIS PARIS LIBÉRÉ ! 

Nous saluons la venue d’un tout nouveau confrère français engagé dans la résistance, Stop ! Le Paris débranché, à destination des citadins qui n’ont « pas encore totalement abdiqué de [leur] côté humain pour se fondre dans les cohortes de zombies électro-trotinettisés au cerveau piloté par un smartphone », lit-on à la Une du n° 1 (octobre/novembre 2023). Nous leur souhaitons déjà longue vie. En toute cohérence, pas de courriel ni de site, seulement une adresse où s’abonner : 7 bis, rue Jules Parent – F‑92500 Rueil Malmaison. 

B. L. 

VROUM VROUM, ÇA CHAUFFE ! 

Le Soir du 29 septembre 2023 se demande s’il faut continuer à promouvoir la Formule 1 dans le contexte du réchauffement climatique. Même en l’absence de celui-ci, la F1 devrait être supprimée, déjà parce qu’elle encourage le gaspillage des ressources métalliques et fossiles, le comportement agressif des « hommautos », qu’elle exalte la « virilité », la vitesse, la frénésie, le vacarme, toutes choses qui vont à l’encontre d’une société décente et respectueuse du bien commun. Seulement, « quant à savoir pourquoi on continue : parce que cela marche. Après plusieurs années de déclin, la Formule 1 a connu une seconde jeunesse […] En Belgique, le circuit de Spa-Francorchamps a ainsi vu son chiffre d’affaires augmenter de près de 40 % en 2023 ». Désolé de vous annoncer une mauvaise nouvelle de plus. 

B. L. 

CANARD BOITEUX ET GENTIL CHIEN 

L’ère Covid-19 nous aura permis de distinguer avec une évidence rare les conformistes qui se donnaient des airs de libre-penseur, déversant désormais sans plus aucune vergogne leur mépris sur quelques intransigeants qui ne pensent pas comme eux. Ainsi du Canard enchaîné, qui titre une de ses brèves « Des doigts et du souffre à LFI » (30 août 2023), usant des méthodes de la « grande presse » pour stigmatiser Alexis Poulin : « Cet ancien du “Média” Insoumis était invité à débattre […] de la liberté de la presse, “entre algorithmes et oligarques” (sic). Un véritable expert ! Cet habitué des canaux préférés de l’extrême droite conspirationniste (Boulevard Voltaire, TV Liberté) et de RT France, la télé favorite de Poutine, avait qualifié Gabriel Attal de “[jeune] leader passé au Bilderberg”* […] ; « Dans une interview au très obscur canal Tribunal populaire » […] ; « Sans oublier quelques saillies répétées sur les “politiques fascistes” telles que l’obligation vaccinale pour les soignants ». Florilège des méthodes dénigrantes (en gras) de la « presse libre »… Il ne nous en faudra pas plus pour comprendre comment Le Canard Enchaîné, malgré les apparences, est, comme le toutou Médor, au service de son maître. *Ce qui s’avère vrai. 

A. P. 

MUSK-ZELENSKY, PIPI-CACA

La Libre Belgique publiait le 2 octobre une information captivante : Elon Musk, propriétaire de X a diffusé un « mème » (élément de communication se diffusant largement sur Internet, notamment sur les réseaux sociaux) afin de se moquer de Volodymyr Zelensky. L’image était accompagnée de la phrase suivante : « Quand cela fait 5 minutes que vous n’avez pas demandé un milliard de dollars d’aide ». Le parlement ukrainien ne tarda pas à riposter en publiant à son tour un mème accompagné du texte suivant : « Quand cela fait 5 minutes que vous n’avez pas diffusé de propagande russe ». Ou quand les hommes les plus influents du monde jouent à pipicaca dans le bac à sable des réseaux sociaux. Soit dit en passant, ceci en dit long sur la néantisation de la société, d’autant plus que, selon la RTBF, le francophone absorberait en moyenne 5 h 37 de vidéo par jour ! 

K. C. 

IN MEMORIAM HUBERT REEVES, ET PLUS ENCORE ALBERT JACQUARD 

Hubert Reeves est mort le 13 octobre, à l’âge de 91 ans. Célèbre astrophysicien franco-québécois engagé dans la cause écologique depuis une vingtaine d’années avec son essai Mal de Terre (2003), il refusait pourtant avec obstination d’envisager l’hypothèse de la décroissance, contrairement à son collègue Albert Jacquard (19252013), qui, lui, avait montré de l’intérêt envers elle. 

B. L. 

IL N’EST TOUJOURS PAS L’HEURE DE CESSER DE CHANGER D’HEURE… 

Cela fait maintenant plusieurs années que l’Union européenne a annoncé l’abandon du changement d’heure, et la résolution n’est toujours pas « implémentée ». On peut se demander les raisons de tels atermoiements quand on a vu que les « autorités » sont, quand elles le veulent, très rapides pour prendre des décisions autrement lourdes de conséquences (confinement, couvre-feu, injection de la population, financement de l’effort de guerre de l’Ukraine…). 

B. L. 

ACCOUPLEMENT MAGIQUE 

Yves Coppieters, docteur médiatiquement inconnu avant la crise du covid-19 devenu une star pendant la pandémie, sera candidat aux prochaines élections fédérales pour les Engagés. Maxime Prévot, pour qui cette nouvelle recrue est « un gage incontestable de sérénité, de crédibilité et de bienveillance », est content. Et jure qu’il n’y a aucune collusion entre le monde scientifique et politique (comme il n’y en a bien entendu aucune entre le monde du journalisme et la politique, n’est-ce pas, Hadja Lahbib — ancienne présentatrice de télévision et ministre des affaires étrangères) ? 

K.C.

DISCOURS DE POLITIQUE GÉNÉRALE DU PREMIER MINISTRE 

Discours de politique général du Premier ministre Alexander De Croo du 11 octobre 2023 : 

« La guerre en Europe relègue peut-être au second plan la lutte contre les changements climatiques mais elle n’en atténue pas pour autant l’urgence ». 

« Nous sommes la première génération à ressentir les effets de la crise climatique, mais aussi la dernière génération capable de la contenir ». C’est sûr qu’en reléguant au second plan la lutte contre les changements climatiques à cause de la guerre, on va y arriver. 

« Un État qui se veut protecteur des générations futures et défenseurs des libertés, doit reposer sur des fondements solides. Pour notre pays, cela veut dire des pouvoirs publics plus performants, plus de gens au travail et des carrières plus longues ». Ou quand la liberté, c’est la multiplication du travail aliéné. 

« Si nous voulons que les investissements soient rentables, nous devons oser rationaliser ». N’est-ce pas la rationalisation osée qui provoque un effondrement sans précédent du système des soins de santé ? 

« Nous ne vous laisserons pas tomber. L’Ukraine gagnera cette guerre ». 

« S’il y a bien une leçon à tirer de la guerre en Ukraine, c’est qu’à vouloir à tout prix avoir raison, on finit par la perdre ». La guerre, la raison, ou les deux ? 

Heureusement que nous n’avons recueilli que certains propos énoncés en français ; autrement, cette brève aurait été certes deux fois plus remplie, mais aussi deux fois plus vide. Bref, elle aurait été à l’image du discours du Premier : paradoxale. 

K. C. 

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Santé publique et hôpitaux : 6 jours à Gaza

Alors que le discours politique semble prendre un tournant dans le contexte du génocide palestinien, comme les mots de Petra De Sutter, vive-premier ministre belge (« Il est temps d’imposer des sanctions contre Israël. Les bombardements sont inhumains. […] Alors que des crimes de guerre sont commis à Gaza, Israël ignore la demande internationale d’un cessez-le-feu » (8 novembre), il est permis de douter de l’objectif désintéressé de ceux plus habitués à flatter pour attirer des voix qu’à défendre des valeurs. Soit, derrière les discours feutrés contre les actes d’Israël, le carnage continue. 

Le Commissaire-général de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), Philippe Lazzarini, a appelé à l’arrêt du « carnage » dans la bande de Gaza. Il rajoute « Leurs craintes sont exacerbées lorsqu’ils entendent un homme politique israélien qualifier les Gazaouis d’ ‘animaux humains’ – un langage déshumanisant que je ne pensais pas entendre au 21e siècle. » (9 novembre)

L’absence d’empathie et de compassion, que montrent les pays occidentaux, en ce compris Israël, pour ce drame absolu qu’est la situation à Gaza ne plaide pas pour nous. Quoi, nous serions des pays civilisés ? Permettez-moi d’en douter.

Sortir de l’idéologie, revenir au réel est notre urgence pour décrisper les tensions qui montent aussi chez nous. Petitement, pour ma partie, j’essaye. Ici par des porte-paroles du ministère palestinien de la santé et d’autres sources. Et si, pour cette fois, nous les écoutions, non ? Et encore, seulement quelques extraits concernant les hôpitaux et surtout actuellement l’hôpital Al Shifa, le plus grand complexe hospitalier de la Bande de Gaza (au nord) qui subit une lente agonie à la face du monde.

« Entre-temps, l’hôpital pour enfants Al-Nasr est pris pour cible à plusieurs reprises, et la vie des enfants, du personnel et des personnes déplacées est menacée. Les ambulances ne peuvent pas atteindre l’hôpital pour enfants Al-Nasr pour évacuer les blessés en raison du ciblage. Nous appelons les Nations Unies et le Comité international à être présents dans les hôpitaux pour enfants Al-Rantisi et Al-Nasr, à les protéger et à faire de la place aux ambulances pour évacuer les blessés. […] « L’Association des banques de sang de la ville de Gaza est hors service à la suite de cette attaque. » (10 novembre, porte-parole ministère)

« 38 enfants souffrant d’insuffisance rénale sont privés de services de dialyse dans le seul centre destiné aux enfants de la bande de Gaza, après l’arrêt de l’hôpital spécialisé pour enfants de Rantisi en raison d’une panne de carburant. […] L’occupation israélienne assiège les hôpitaux pour enfants d’Al-Rantisi et d’Al-Nasr, ferme les stations d’oxygène et les enfants malades sont exposés à la mort. (10 novembre) […] Décès d’un deuxième enfant dans la crèche du complexe médical d’Al-Shifa après l’arrêt du générateur électrique et la mise hors service du complexe. » […] Nous renouvelons notre appel à toutes les institutions internationales à se rendre immédiatement au complexe médical d’Al-Shifa et aux hôpitaux du nord de Gaza pour protéger le système de santé et lui permettre de mener à bien ses tâches purement humanitaires. (11 novembre, porte-parole ministère)

« La deuxième attaque de l’armée israélienne de la journée a causé d’importants dégâts au bâtiment de l’unité de soins intensifs. […] Le ministère de la Santé a officiellement annoncé le décès de tous les patients des soins intensifs de l’hôpital d’Al-Shifa en raison de pannes d’électricité et d’oxygène. » (12 novembre, porte-parole ministère)

Un journaliste de l’hôpital Al-Shifa de Gaza : « La situation est indescriptible. Nous cherchons un morceau de pain à manger et les corps des martyrs éparpillés dans les cours du complexe sont mangés par des chiens errants sans que personne ne puisse les chasser. » Ceci semble être confirmé par un porte-parole du ministère palestinien de la Santé qui a déclaré à Al Jazeera que les chiens errants ont commencé à manger les corps des morts s’entassant dans les rues. (Aussi choquant que cela puisse être, ayant travaillé en Afrique, la problématique des chiens errants dans la ville, souvent en bande, est une réalité : donc je pense l’information plausible.)

Le ministère de la Santé déclare qu’il n’est plus en mesure de compter le nombre de morts et de blessés, en raison des attaques israéliennes incessantes. (13 novembre) Effectivement, les derniers chiffres fournis officiellement concernent le 9 novembre. Quelques chiffres circulent depuis, mais aucun ne semble avoir été validé par le ministère, je ne les reprends donc pas.

« Le personnel médical de l’hôpital Al-Shifa n’a reçu ni nourriture ni boissons depuis 6 jours. » (Ministère de la santé) […] La ministre a passé en revue la situation sanitaire catastrophique dans la bande de Gaza, et les attaques dont le système de santé a été témoin, où 23 hôpitaux sur 35 ont complètement cessé de fonctionner. (13 novembre)

« Vivre à l’hôpital Al Shifa est plus difficile que la mort elle-même. Il n’y a ni vie, ni eau, ni électricité. Nous survivions grâce à quelques sacs de farine laissés sur place par ceux qui ont évacué avant nous. » (14 novembre, patiente)

« Aujourd’hui, l’unique groupe électrogène de l’hôpital Al-Amal, affilié à la Société du Croissant-Rouge palestinien à Khan Yunis, a cessé de fonctionner. Cela menace la vie de 90 patients soignés à l’hôpital, dont 25 patients du service de réadaptation médicale qui courent désormais un risque de mort à tout moment » (14 novembre, Croissant Rouge)

Sous-secrétaire du ministère palestinien de la Santé à Gaza : « Nous essayons de creuser une fosse commune pour enterrer les centaines de cadavres éparpillés dans les cours de l’hôpital Al-Shifa. » Une source journalistique parle de 170 corps en décomposition déjà enterrés dans la cour principale de l’hôpital transformé en fosse commune. (14 novembre)

« L’eau pleut en ce moment. » Un enfant palestinien déplacé exprime sa joie alors que la saison des pluies commence à un moment où des centaines de milliers de Palestiniens ne peuvent pas trouver d’eau potable. (14 novembre) Cela réglera certains problèmes et en posera de redoutables aussi. N’oublions pas que la majorité de la population sont des déplacés internes, vivant dans une extrême précarité.

« Transfert de prématurés du service de crèche du complexe médical d’Al-Shifa vers un autre endroit. Là où l’électricité est disponible. » […] « Nous confirmons la poursuite des services de maternité au complexe Al-Sahaba à Gaza. » […] « L’occupation israélienne place toutes les personnes présentes dans le complexe médical d’Al-Shifa dans le cercle de la mort après l’avoir encerclé de tous côtés et poursuivi les violents bombardements et les tirs nourris pendant deux heures. » (14 novembre, porte-parole du ministère).

(source Al Jazeera) « Hier soir, les forces d’occupation ont pris d’assaut le complexe médical d’Al-Shifa après l’avoir entouré de chars. Il avait coupé le carburant et l’électricité pendant des jours, ce qui a entraîné la mort de nombreux patients en soins intensifs et de bébés prématurés » (Dr Zaqout, directeur général des hôpitaux de la Bande de Gaza) […] Ahmad Mikhallalati, chef du service des brûlés de l’hôpital Al Shifa : « Nous ne savons pas si l’armée israélienne va nous tuer ou si elle veut simplement nous terroriser … Tous ceux qui ont tenté de quitter l’hôpital ces derniers jours ont été abattus. » Dr Zaqout : « Cette nuit, l’armée d’occupation est entrée dans le service des urgences du complexe Shifa et fouille actuellement le sous-sol de l’hôpital. Pas une seule balle n’a été tirée depuis l’intérieur de l’hôpital lors de l’assaut du complexe par les forces d’occupation. L’occupation a ouvert le feu sur ceux qui ont quitté le couloir qu’ils prétendaient être en toute sécurité pour sortir du complexe Al-Shifa. Les forces d’occupation ont pris d’assaut les bâtiments chirurgicaux et d’urgence du complexe Al-Shifa. »

Médecin sans frontière, Dr Obeid : « Un sniper a blessé quatre patients dans l’hôpital. L’un d’entre eux a été blessé au cou, c’est un patient tétraplégique. Un autre a été touché à l’abdomen. […] L’équipe médicale a accepté de quitter l’hôpital à condition que les patients soient évacués en premier. Nous ne voulons pas les laisser. » (15 novembre matin)

Le complexe Al-Shifa était le plus grand complexe médical de la bande de Gaza. Il se compose de 3 hôpitaux spécialisés et a été créé en 1946 pendant le mandat britannique. Il y aurait actuellement 1500 membres du personnel médical, 650 patients et environ 7000 civils déplacés dans le complexe.

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Nous vivons aujourd’hui sous une pluie de déclarations d’aide, de cessez-le feu temporaires, de couloirs humanitaires, de pauses, de condamnations, etc., etc. La bonne conscience de nos « élites » inondent de plus en plus nos chaînes mainstreams, MAIS la terrible réalité des images et des témoignages montre que l’horreur pèse toujours aussi fortement sur un quotidien des Gazaouis, construit de terreurs. La montagne de nos mots creux détruit tout autant l’avenir, tant des Palestiniens que des Israéliens, sinon plus, et quelque part aussi le nôtre. Car la perversité consiste à faire croire qu’on n’a pas les moyens d’agir (Michèle Syboni). Il faut que le massacre s’arrête immédiatement mais pour cela il faut du courage politique.

Graphiques construits à partir des données publiées par le Ministère de la santé de l’Autorité palestinienne et de l’OCHA (United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs) jusqu’au 9 novembre. Ensuite je propose une projection simple calculée sur les données des 11 derniers jours où les chiffres ont été fournis. Entendons-nous bien, les producteurs de ces chiffres disent que c’est « au moins », c’est-à-dire uniquement celles et ceux qui ont pu être comptabilisés.

Christophe de Brouwer

Full-professeur honoraire et ancien président de l’École de Santé publique de l’Université libre de Bruxelles. (15 novembre 2023)

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Nos valeurs se consument…

La revue de presse de Jérôme Delforge

Ce samedi matin, je vais chercher mon pain et mes yeux se perdent entre les journaux du comptoir et les gâteaux du jour. Le journal La Meuse titre ce jour, en une : « L’En-Vie, un bar libertin, a ouvert ses portes à Floreffe : “J’avais besoin de combler un manque et je me suis plongée dans cet univers” ». Je rentre à la maison et un ami taquin m’adresse un article à lire : « Les défunts wallons pourront être inhumés avec leurs animaux de compagnie ».Quelle merveilleuse perspective d’avenir : jouir en public pour être finalement inhumé à côté de son chien. Tel pourrait être le projet de vie du Belge en 2023.

Notre État est en totale déliquescence, il est mal géré et n’a de cesse de gaspiller les deniers publics, alors que des pans entiers manquent de ressources. Je vous parle de l’école, de l’hôpital, des oubliés du capitalisme qui vivotent entre les perfusions de l’État et des boulots indigents, de la classe moyenne qui se voit de plus en plus sans moyen, de nos vieux oubliés et poussés vers la sortie finale. La trame de fond, le sentiment qui prédomine est le suivant : « Ce sont toujours les mêmes qui paient ». Un peu de nuance !, me direz-vous, soit … Je vais vous apporter cette nuance dans ce qui suit. 

Il y a un peu plus d’un an, au début de la crise du prix de l’énergie, nous faisions une interview de M. Samuel Furfari. Il nous avait expliqué la supercherie totale de l’énergie renouvelable dans le cadre du marché européen de l’énergie. Nous avions alors pris conscience de la manne financière, à revenu garanti, que représentait ce secteur. Des voix s’étaient élevées contre des profiteurs de crise qui passent de « subventionnés à tort et à travers avec vos impôts » à « vainqueurs d’un win for life de la transition écologique ».

De la justice fiscale aurait été de bon ton, mais cette information vient tuer nos espoirs dans l’œuf.

« Le projet est tout simplement abandonné » : la Wallonie renonce à taxer les surprofits éventuels sur le renouvelable.

Comme d’habitude, les pertes sont à charge de la collectivité et les profits très vites privatisés, afin de sustenter toujours les mêmes portefeuilles. Les fonds d’investissement et l’industrie allemande de l’éolienne peuvent dormir sur leurs deux oreilles, l’État veille au grain. Un cas isolé dois-je me dire ?

Mille milliards $, soit près de 950 milliards €. La somme est vertigineuse, équivalente au produit intérieur brut du Danemark et de la Belgique réunis. Elle correspond aux profits que les grandes entreprises de la planète ont transférés vers les paradis fiscaux sur la seule année 2022, selon le rapport sur l’évasion fiscale mondiale, publié lundi 23 octobre par l’Observatoire européen de la fiscalité. 

Il s’agit d’un passage d’un article du Monde du 22/10/2023. « De la sobriété consentie, nous vous le demandons », tel était le mot d’ordre de fin 2022. On peut constater que les gueux doivent toujours courber l’échine pendant que les grands, les valeureux capitaines d’industries, déboutonnent les chemises et pantalons avant le repas, grâce à un gavage libéral, débridés. Entendons-nous bien, donner un avenir, un travail, participer aux tissus économiques d’un pays est un honneur, un privilège, mais cela devient une honte quand ces grands patrons ne jouent plus le jeu du marché. 

Il faudrait peut-être leur rappeler qu’au début du XXe siècle, les grands industriels avaient compris que sans classe moyenne, il n’y avait pas de marché, et donc pas de débouché pour leur production. Jouer le jeu veut dire produire, vendre, faire vivre une communauté et participer aux frais de l’État qui permet au marché d’exister. L’évasion fiscale tolérée et légiférée que nous connaissons en Europe fait plus penser à des seigneurs, bandits de grands chemins qu’à des capitaines d’industrie respectables, ceux-ci étant toujours dédouanés par les « médias de grand chemin » pour reprendre l’expression de Slobodan Despot. Les chiffres évoqués ne concernent évidemment pas que l’Europe, mais cela permet de humer une masse d’argent sale dont personne ne parle jamais. Sur ce même thème, vous verrez que dans quelques semaines, quelques mois, la répression fiscale sera utilisée comme arme politique pour faire taire ou écarter certaines entreprises qui ne consentent pas à agir dans le sens de la doxa. Nous pensons spécialement à la société X d’Elon Musk qui s’est lancée dans un bras de fer avec le commissaire européen Thierry Breton.

« Israël-Palestine : entre Elon Musk et Thierry Breton, un différend public sur la modération de Twitter ».Ce titre est intéressant car les mots ont leur importance, surtout quand il s’agit d’identifier les maux d’une société en perte de repère.Quand le réel ne colle plus avec leur réalité, quand les espaces de libertés gênent les gendarmes de la pensée, reste la seule et vraie solution : la censure, la mise en place d’un « Ministère européen de la Vérité ». En écrivant 1984, George Orwell avait déjà compris où allait notre civilisation « occidentale ».

Ce gros mot que personne ne veut prononcer en Europe « démocratique » est bien celui qui se cache derrière la « modération » souhaitée.

Cette censure intervient a posteriori en supprimant des comptes et des contenus. N’oubliez pas que X (ex-Twitter), avant son rachat, a massivement censuré la parole de scientifiques et médecins durant la pandémie, ceci sur ordre du FBI et d’autres agences. La censure 2024 qui a déjà commencé se place « a priori ». Comme expliqué par les différents ministres de la Macronie, les manifestations pour la paix, en soutien à la Palestine, ont été interdites afin d’éviter de possibles troubles à l’ordre public, ou tout simplement pour ne pas qu’un soutien nécessaire et trans-parti, trans-ethnique, puisse se matérialiser en plein Paris. « Cacher à mes yeux ce que je ne pourrais voir » doit sûrement se dire une frange de l’« élite » européenne.

Que vont-ils dire quand ce seront des juifs qui manifestent leur désapprobation quant à la politique de terreur en cours à Gaza ? Ils les rendront certainement invisibles, tout comme ils tentent de rendre invisible tous les médias citoyens. L’Arcom veillera au grain et convoquera les grands médias afin de s’assurer du bon traitement du conflit après certains dérapages signalés cette semaine : « Guerre Israël-Hamas : l’Arcom convoque télés et radios après de nombreux dérapages ». La liberté d’expression, oui, mais ! Vous avez bien compris que cette dernière est à géométrie variable et ne concerne que certaines parties de notre société. La satire, même quand elle vient du service public qui a pour habitude d’adouber plutôt que critiquer, n’est plus tolérée.

Pour résumer, vous devrez penser ce que l’on vous demande impose, sans questionnement, abreuvés par des médias traitant l’information conformément aux directives reçues de l’État.

Elle est belle, notre démocratie.

Ce qui ressort de ces semaines sanguinaires, c’est que les citoyens du monde ne sont pas pour un côté ou l’autre, ils demandent simplement la paix. Il n’y a aucune caution derrière ce message, mais une réalité intemporelle, car à toute guerre a toujours succédé la paix depuis la nuit des temps, alors autant œuvrer pour que cette dernière arrive le plutôt possible. Et pourtant, cette paix tant souhaitée n’est de toute évidence pas au centre des discussions des exécutifs au pouvoir en Europe, tant la majorité suit aveuglément la ligne directrice du pouvoir d’extrême droite israélien, lui-même soutenu totalement par les États-Unis ; ceci avec une nuance de taille, que ce soit en Europe, aux États-Unis ou ailleurs dans le monde : il ne s’agit pas de la volonté de l’écrasante majorité des citoyens, mais bien de l’infime minorité de l’élite dirigeante.

Dans cet océan de mauvaise foi et de parti pris, d’anciennes figures politiques émergent avec un discours empreint d’expérience et de bon sens. Dominique de Villepin intervenant chez Apolline de Malherbe, nous dit ceci : « Nous voilà réduits avec Israël, sur ce socle occidental. Qui aujourd’hui est mis en cause par l’essentiel de la communauté internationale. L’occidentalisme, c’est l’idée que l’Occident, qui a pendant 5 siècles géré les affaires du monde, va pouvoir tranquillement continuer à le faire. Et l’on voit bien, y compris dans les débats de la classe politique française, que face à ce qui se passe au Moyen Orient, poursuivre encore davantage le combat de qui pourrait ressembler à une guerre de religion, de civilisation, c’est-à-dire nous isoler encore plus sur la scène internationale ».

Il continue en dénonçant le « deux poids, deux mesures » entre le traitement de la guerre en Ukraine et ce qui se passe dans la bande de Gaza. D. de Villepin affirme une forme de neutralité, prônant l’action dans le dialogue à la recherche de la paix. « Je suis, par formation, diplomate. La question de la faute, elle sera traitée par les historiens et par les philosophes ». Son expérience permet de donner des lignes forces réalistes : « La guerre contre le terrorisme n’a jamais été gagnée nulle part, la loi du talion est un engrenage sans issue ».

J’entends l’état-major israélien souhaiter éradiquer le Hamas. Tsahal pourrait tuer ou désarmer l’ensemble de la bande de Gaza que cela ne servirait à rien. Le Hamas est avant tout une idéologie politique et militaire qui existe et grandit sur fond de malheur et d’injustice depuis 70 ans, ce malgré les condamnations internationales et les résolutions multiples de l’ONU non suivies par Israël. Les combattants du Hamas de demain sont les proches des victimes récentes, l’ensemble des enfants du monde arabe, vivant heure par heure le massacre en cours. Une idéologie se combat avec les idées et non les armes. L’histoire récente nous l’a encore prouvé, l’exemple afghan en tête.« À genoux, torturés et numérotés : des milliers de travailleurs palestiniens renvoyés à Gaza sous les bombes ». Le titre se suffit à lui-même (voir le lien ci-dessous). Les suppliciés d’hier sont les parents des bourreaux d’aujourd’hui. Cette semaine, nous apprenons la nomination de l’Iranien Ali Barheini, à la tête du Forum social du Conseil des droits de l’homme. Des dizaines d’articles dans la presse occidentale se sont offusqués de cette dernière, arguant que c’était l’hôpital qui se foutait de la charité. Il est évident que ce monsieur défend un régime, connu pour ses exécutions et emprisonnements arbitraires. Les bases incontestables sont là, pourtant il n’y pas plus de légitimité d’y mettre à la tête un Américain qui pratique une politique similaire mais détournée. Les exemples sont légions et passent de Julian Assange aux prisons secrètes, aux soutiens inconditionnels et sans nuance à Israël.

Dézoomons un peu. L’ONU est devenu l’alibi des uns quand cela les sert, et l’institution à abattre des autres quand les résolutions ne vont pas dans leur sens. Attention à ne pas oublier l’histoire récente, où l’échec de la Société des Nations a poussé le monde à l’embrasement généralisé.

Changeons d’air et passons à l’industrie cinématographique, étant aussi réduite à sa fonction d’appui de la propagande. Verrais-je le mal partout ?

« Sound of Freedom: un thriller douteux sur la pédo-criminalité aux accents conspirationnistes, surprise du box-office

Nous retrouvons nos confrères de La Libre Belgique empreints de nuances, qui, plutôt que de souligner le travail et la mise en lumière d’un fléau, justifient un carton au box-office par des accents conspirationnistes. Ce film sera-t-il bientôt interdit ? Regardez-le et avant de vous faire une opinion imposée par les médias. 

Pour terminer, cette revue de presse, rien de tel que le bâton et la carotte. La carotte restera la petite jouissance d’achat de votre voiture électrique à 100.000€ où vous pourrez faire la file pour la recharger, un jour de canicule, tous les 300 km et vos vacances annuelles à Ténérife, dans un club « all in », permettant d’entretenir votre hyperglycémie, payables en trois fois sans frais bien sûr. Le bâton sera là pour vous ramener sur le droit chemin en cas d’égarement à une manifestation autorisée.

Vous serez accueillis par le Centaure, ce nouveau blindé de la gendarmerie français de 14,5 t et 300 CV. Je vous assure qu’il vous balayera tel un moustique sur le pare-brise de votre voiture. Le collègue vous achèvera au sol, à moins de 3 mètres avec un tir non létal mais mutilant à l’aide d’un LBD. « Le ministère de l’intérieur réduit la distance de tir des LBD, malgré leur dangerosité ». Afin de coller au récit et en bon antisémite que je ne suis pas, je termine cette revue de presse en visionnant Rabbi Jacob.

Vive 2023, où l’absurde devient raison. L’histoire n’étant qu’un éternel recommencement, regarder dans le rétro permet parfois de comprendre le monde de demain.

À méditer.

« La guerre, c’est le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent et ne se massacrent pas ». Paul Valéry

J. D.

Sources :

https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/28/interdites-ou-autorisees-des-manifestations-pour-la-palestine-ont-eu-lieu-dans-plusieurs-villes-de-france_6197055_3224.html

https://www.i24news.tv/fr/actu/international/1698499539-nouveau-week-end-de-manifestations-pro-palestiniennes-a-travers-le-monde

https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20231029-manifestations-%C3%A0-londres-paris-ou-new-york-en-soutien-aux-palestiniens

https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/10/22/entreprises-la-grande-evasion-fiscale-continue_6196011_3234.html

https://www.lalibre.be/belgique/politique-belge/2023/10/19/le-projet-est-tout-simplement-abandonne-la-wallonie-renonce-a-taxer-les-surprofits-eventuels-sur-le-renouvelable-5KE4P6XKOZGEBLEG7G4TUYLMBY/

https://www.sudinfo.be/id736986/article/2023–10-28/len-vie-un-bar-libertin-ouvert-ses-portes-floreffe-javais-besoin-de-combler-un

https://www.lesoir.be/545813/article/2023–10-26/les-defunts-wallons-pourront-etre-inhumes-avec-leurs-animaux-de-compagnie

https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/10/11/israel-palestine-bras-de-fer-entre-elon-musk-et-thierry-breton-sur-la-moderation-de-twitter_6193845_4408996.html

https://www.youtube.com/watch?v=Mpq5IxdDeqA

https://www.youtube.com/watch?v=hx8HR63BAPk

https://www.telerama.fr/television/guerre-israel-hamas-l-arcom-convoque-teles-et-radios-apres-de-nombreux-derapages-7017911.php

https://www.7sur7.be/monde/a‑genoux-tortures-et-numerotes-des-milliers-de-travailleurs-palestiniens-renvoyes-a-gaza-sous-les-bombes~a078de4e/

https://www.lefigaro.fr/vox/monde/nomination-de-l-iranien-ali-barheini-l-onu-jouet-de-ses-ennemis-20231102

https://www.lalibre.be/culture/cinema/films/2023/11/01/sound-of-freedom-un-thriller-douteux-sur-la-pedocriminalite-aux-accents-conspirationnistes-surprise-du-box-office-HWJAU3NYPRBV3F5GMJEEQOFSXY/

https://www.youtube.com/watch?v=bScIXMy_wTc

https://www.mediapart.fr/journal/france/271023/le-ministere-de-l-interieur-reduit-la-distance-de-tir-des-lbd-malgre-leur-dangerosite#:~:text=Auparavant%2C%20pour%20tirer%2C%20un%20policier,gendarmerie%20nationale%20d%C3%A9conseille%20de%20suivre.

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Gaza, la catastrophe est là, sous nos yeux

Depuis le dernier billet, la situation dans la bande de Gaza ne fait qu’empirer. Les données sont difficiles à recueillir, néanmoins le ministère palestinien de la santé publie, pas tous les jours, des chiffres qui ne sont qu’un pâle reflet des réalités.

Au 12 octobre, 724 enfants ont été tués. Combien aujourd’hui ? Ne faisons pas de prédiction macabre, car elles sont certainement mauvaises, très mauvaises. Le ministère estime à 1200 les personnes ensevelies sous les gravas provoqués par les bombardements, dont 500 enfants.

« Les enfants victimes de la crise de Gaza meurent par centaines » titre ce jour l’UNICEF[note], ajoutant « Depuis un peu plus d’une semaine, plusieurs centaines d’enfants et de jeunes ont été tués ou blessés. Et leur nombre ne cesse d’augmenter… La situation est alarmante. L’UNICEF appelle à une pause humanitaire immédiate et à un accès sûr pour étendre et maintenir les services vitaux pour les enfants dans la bande de Gaza. Chaque minute compte. »

Ces chiffres et appels à l’aide des organismes internationaux ne sont que la surface émergée de l’iceberg des souffrances et de la mortalité infligées à toute la population, c’est-à-dire aux 2 200 000 habitants entassés dans cette maudite bande. Ce 17 octobre, nous apprenons que l’hôpital d’Al Karama à Gaza nord (un de ces hôpitaux qui avait reçu l’ordre de fermer) a apparemment dû finalement fermer, non pas pour avoir fait l’objet d’un bombardement direct, c’est interdit par les lois internationales, mais parce que les bâtiments adjacents à l’hôpital ont été ciblés et se sont effondrés sur lui… De toute façon, les « hôpitaux meurent » , la situation est catastrophique.

Et, à peine avais-je poussé sur la touche envoi, que la nouvelle tombe : l’hôpital Ahli Arab (Baptiste), également de Gaza nord a été frappé de plein fouet ce soir par un bombardement : plus de 500 morts selon le ministère palestinien de la santé (rapporté par le journal Anadolu Ajansi), entre 200 et 300 morts selon la publication du Times of Israel. Les deux parties s’en rejettent la responsabilité. L’actualité s’enchaîne d’horreur en horreur.

Pas d’eau, pas d’électricité, pas de nourriture, pas de médicaments, déjà à peu près la moitié de la population déplacée (1 million de personnes) et ce dans le plus grand dénuement, subissant une situation désespérée affirme l’OCHA[note]. L’accès à la bande de Gaza est une priorité des Nations Unies. Les dernières réserves sont engagées npus explique l’UNRWA[note] dans son dernier rapport du 16 octobre, organisme qui a perdu toute capacité d’agir au nord de la bande de Gaza, où leurs refuges, des écoles, restent cependant bondés et bombardés. Au sud la situation s’aggrave tout autant, la ville de Khan Yunis subit également les bombardements, alors que Israël avait ordonné à la population du nord de s’y rendre (c’est l’UNRWA qui l’affirme, pas moi), … La dernière usine de désalinisation de l’eau vient de s’arrêter, les réserves de carburant sont épuisés. Les populations commencent à utiliser l’eau malpropre qu’ils trouvent, les maladies hydriques redoutables, notamment pour les enfants, sont là : combien de décès en plus ?

Ah oui, disons-le, l’occupant a ouvert une canalisation d’eau pour 14 % seulement de la population durant 3 heures …

La promesse d’ouvrir le poste frontière de Rafah avec l’Égypte – entrée des convois de secours qui attendent contre sortie des étrangers‑, reste jusqu’à présent lettre morte. Pourtant parait-il, les Américains avaient mis tout leur poids pour que cela se fasse. La balance était certainement déréglée.

Enfin, Médecins sans Frontière, présent dans la bande de Gaza, se fait enfin entendre et appelle à l’aide. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, mais quand même. La situation est donc vraiment grave.

Je suis désolé de cette litanie, je ne vois pas comment faire autrement. La catastrophe de santé publique est là, sous nos yeux, et nous ne faisons rien, enfin pas grand-chose. Nous devons arrêter ce cycle de la haine.

Christophe de Brouwer

Full-professeur honoraire et ancien président de l’École de Santé publique de l’Université libre de Bruxelles. (17 octobre 2023)

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Le retour du Droit ?

ENTREVUE AVEC LE JURISTE THIERRY VANDERLINDEN*

Kairos : Il semble que le droit ait repris ses prérogatives depuis quelque temps, après avoir été escamoté par l’exécutif pendant deux années de pandémie, non ? 

Thierry Vanderlinden : Je ne serais pas aussi optimiste ! Car il faut quand-même constater que la Cour constitutionnelle a entièrement débouté les requérants concernant le recours introduit contre la « loi pandémie » : celle-ci est considérée comme constitutionnelle et applicable dans son intégralité. Toutes les mesures prévues par cette loi ont été avalisées par la Cour constitutionnelle, qui a fait une pirouette juridique en renvoyant la responsabilité de leur application concrète aux bourgmestres et gouverneurs de province. Autrement dit, lorsque ces derniers prendront effectivement des mesures concrètes (confinement, port du masque, interdiction de rassemblement, etc.) lors d’une nouvelle pandémie, les citoyens devront alors introduire des recours devant les Tribunaux ordinaires et/ou le Conseil d’État : on ne peut que constater que la Cour s’est débarrassée de cette question en la renvoyant à d’autres ! La conséquence est qu’il appartiendra à chaque citoyen d’agir individuellement dès le moment où il estimera que les mesures décrétées violent les droits fondamentaux, ce qui risque d’entraîner une dispersion des énergies et une augmentation des coûts… De manière générale, on peut dire que le Conseil d’État et la Cour constitutionnelle ont bien rempli leur rôle de service après-vente du gouvernement : ces juridictions ont accepté la réclamation, mais ont indiqué : « Désolé, mais en vertu de tel et tel article et de tel et tel principe, on ne peut donner suite à votre recours. » Le Conseil d’État, en 2020–21, a signé tous les arrêtés du gouvernement, quels qu’ils soient, a donné des avis positifs, à tel point que de mauvaises langues disent que le Conseil d’État s’est transformé en Conseil de l’État, ce qui n’est pas exagéré. Ils ont presque dit au gouvernement comment il fallait procéder pour que les arrêtés soient acceptables. Concernant les législations « pandémie », des recours contre le Décret wallon et contre l’Ordonnance bruxelloise ont également été introduits. Le Décret wallon, en particulier, est tout à fait ahurissant puisqu’il autorise les inspecteurs de l’Agence pour une vie de qualité (AViQ), qui ne sont même pas des médecins, à obliger quelqu’un à rester chez lui ou suivre un traitement médical, mais sans préciser de quel traitement il s’agit : on peut penser évidemment à la vaccination ! Ils peuvent aussi saisir les animaux domestiques et les exterminer s’ils l’estiment nécessaire. La cerise sur le gâteau est la troisième option en cas de désaccord avec ces mesures-là : vous devez rejoindre un « lieu destiné à cet effet » (sic !) sans autre précision : on peut penser aux camps d’internement comme il y en a eu, semble-t-il, au Canada et en Australie. 

Concrètement, ça veut dire que si demain le gouvernement wallon décrète qu’on entre dans une pandémie, les mesures inscrites dans le Décret peuvent être appliquées ? 

Attendons l’arrêt de la Cour, prévu au mois de septembre. Je ne peux pas le prévoir, mais tout porte à croire que ce sera négatif, car il y a une tendance générale dans les instances supérieures – Cour de cassation, Conseil d’État, Cour constitutionnelle – à entériner l’ensemble des législations et des arrêtés pris par le gouvernement depuis le début de la crise sanitaire. Prenons un exemple. Le Tribunal correctionnel de Courtrai, statuant en degré d’appel d’un Tribunal de police, avait considéré que les mesures relatives au port du masque étaient illégales, ou en tout cas contraire aux principes fondamentaux tels qu’édictés dans la Constitution et dans la Convention européenne des droits de l’homme. Malheureusement, le Parquet général est allé en cassation et a gagné… Il reste un recours possible devant la Cour européenne des Droits de l’homme à Strasbourg, mais dans ce cas-ci le délai est évidemment expiré. Pour l’avenir, on pourrait l’envisager, par exemple pour le Décret wallon, mais ça nécessite un important travail de réflexion juridique (et donc un coût !), et il n’est pas certain qu’on obtienne gain de cause. 

Peut-on passer aux bonnes nouvelles ? D’abord l’arrêt de la Cour d’appel de Liège concernant la prolongation du Covid Safe Ticket. 

Oui, une victoire ! C’est un arrêt de la Cour d’Appel de Liège qui a été rendu au printemps dernier. Le Tribunal de première instance de Namur avait déjà donné raison aux requérants qui estimaient que la décision de prolonger le CST par la Région wallonne n’était pas suffisamment fondée. Celle-ci, après quelques hésitations, est finalement allée en appel, et mal lui en a pris puisque la décision du Tribunal de Namur a été confirmée par la Cour d’Appel de Liège dans un arrêt assez long et bien motivé. Il faut préciser que ces juridictions statuaient en référé, ce qui signifie qu’elles rendent des décisions provisoires et se contentent de dire qu’à première vue, il semble que les arguments présentés sont pertinents. Il faut donc recommencer le débat devant un autre tribunal qui va vraiment creuser la question et dire si les arguments sont fondés ou non. Cette instance-là est en cours et on n’aura sans doute pas de décision avant un « certain » temps. 

Une demi-victoire, alors ? 

Oui et non, c’est quand même une victoire de principe. Voilà deux instances judiciaires qui confirment la position de l’asbl Notre bon droit et qui donnent tort à la Région wallonne. La confirmation en appel est importante car elle montre que le discours des autorités officielles n’est pas infaillible et surtout n’est pas irréfragable, c’està-dire qu’on peut en apporter la preuve contraire. C’est une défaite pour la doxa, qui se veut être la seule vérité acceptable. Cela montre aussi que les pouvoirs publics sont tenus de prendre des décisions justifiées et fondées, c’est donc une consécration de l’Etat de droit : on n’est plus sous l’Ancien régime ! C’est le rôle du pouvoir judiciaire – le troisième pouvoir – de contrôler les actes du pouvoir législatif et exécutif, de vérifier la conformité de leurs décisions avec les lois et la Constitution. Ici, il faut bien se rendre à l’évidence que ça n’avait pas été le cas. La presse dominante a d’ailleurs relayé l’information, Le Soir l’a même mis à sa Une du 19 avril 2023. Cela devrait encourager les citoyens et les associations à ne jamais courber l’échine. Même si la chronologie exacte de cette affaire-ci n’était pas idéale — puisque la mesure avait été levée entretemps — au niveau des principes fondamentaux, ça reste une belle victoire. 

La Région wallonne peut-elle aller en cassation ? 

Oui, mais elle a intérêt à bien réfléchir, car elle s’est déjà plantée deux fois, sa crédibilité est en jeu. Un pourvoi en cassation prend du temps, coûte cher, nécessite un travail d’analyse juridique assez approfondi et il n’est pas recommandé de le déposer à tort et à travers. À ma connaissance, il semble que la Région wallonne n’ait pas introduit de pourvoi, ce qui laisse supposer qu’il n’y avait pas suffisamment d’arguments juridiques pour le faire. Dans ce cas, on aboutirait à un jugement définitif « coulé en force de chose jugée », c’est-à-dire qu’il n’est plus susceptible d’être frappé d’un recours et qu’il est opposable à tout un chacun : il devient « parole d’évangile », en quelque sorte. 

Y a‑t-il une deuxième bonne nouvelle ? 

Oui, un autre arrêt de la Cour d’appel, de Bruxelles cette fois, toujours dans le contexte sanitaire. Le collectif Zone libre avait édité des flyers qui reprenaient le visuel des flyers de l’AViQ qui faisaient la promotion de la bonne santé des Wallons grâce à la vaccination. Sur leurs visuels figuraient des citoyens lambda souriants et enchantés de se faire vacciner. À Bruxelles, il y avait la même campagne « Je me vaccine.be ». Zone Libre l’a retraduite en « Est-ce que je me vaccine ? », expliquant sur son site que se faire vacciner n’était peutêtre pas aussi évident, présentait des dangers, des risques d’effets secondaires, et que surtout il y avait des alternatives à la vaccination – étayées scientifiquement –, ce dont aucun pouvoir public n’a jamais parlé. Ceci est une violation de la loi de 2002 sur le Droit des patients qui dit clairement que le médecin a l’obligation d’informer le patient de toutes les solutions médicales possibles pour que celui-ci puisse donner son consentement libre et éclairé sur le traitement qu’on va lui proposer. Dans la crise sanitaire, le discours officiel répétait qu’il n’y avait qu’une seule solution, la vaccination, alors que celle-ci n’est qu’une possibilité. Il y en a d’autres, non seulement plus efficaces, mais surtout beaucoup moins invasives, comme le disait Zone libre en reprenant à peu près le même visuel que celui de l’AViQ. Celle-ci s’est opposée et a assigné l’éditeur responsable des flyers devant le Tribunal de première instance pour non-respect des droits d’auteur ! Celui-ci a donné raison à l’AViQ, mais heureusement Zone libre a interjeté appel, et bien lui en a pris parce que la Cour lui a donné raison à 100% : il n’y a pas lieu d’évoquer la notion de droits d’auteur parce que les flyers de l’AViQ n’ont rien de particulier et que le visuel a été récupéré à partir d’Internet. Deuxièmement, a dit la Cour, le flyer de Zone libre exprime une opinion différente, mais sur le ton de l’humour et de la dérision, ce qui fait partie de la liberté d’expression. La Cour ajoute : « Est ce que je me vaccine ? Oui, c’est une question qu’on peut se poser ». Le citoyen a des raisons de se poser des questions et donc « est ce que je me vaccine ? » correspond à l’état d’esprit d’une partie de la population. Cet arrêt, qui statue sur le fond, montre deux choses importantes : d’abord, le discours officiel n’est pas invincible, ensuite l’humour est une arme extrêmement efficace. 

Est-il envisageable de porter plainte par exemple contre la RTBF, qui a participé activement, avec d’autres, à la désinformation ou la mésinformation, alors qu’elle relève du domaine public ? 

Il y aurait un travail important à faire, d’abord recenser toutes les affirmations fantaisistes : là, Kairos est bien placé ! Ensuite, il faudrait confronter celles-ci à la réalité et aux thèses scientifiques qui viennent contredire ces affirmations fantaisistes. Il y a sans doute plusieurs avocats qui seraient ravis de pouvoir entamer des actions dans le domaine de la propagande… 

Ce qui est intéressant aussi, c’est que les médias ne reviennent pas sur ce qu’ils ont dit… 

En effet, ils sont enferrés dans leur propre logique, et c’est quelque part une arme pour nous. Jusqu’au dernier moment, ils affirmeront qu’on est tous des complotistes, que leur discours est le seul valable. Il n’est pas pensable pour le pouvoir politique ni pour les médias, jusqu’à preuve du contraire en tout cas, de changer de point de vue. Ça devrait jouer en notre faveur parce qu’il y a quelques magistrats qui seraient certainement sensibles à cet argumentaire-là. Mais ça nécessite une étude plus approfondie, il faudrait réfléchir à ça posément. 

Terminons en « apothéose » avec EVRAS ! 

C’est l’acronyme de Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle, un programme qui a démarré au début des années 2000 de manière discrète au niveau de l’OMS, et en Belgique à partir de 2011-12. Comme un banc d’essai, quelques animations ont été faites dans les écoles, sporadiquement. Ça ne faisait pas l’objet d’un programme obligatoire en Fédération Wallonie-Bruxelles. Puis les années ont passé, les mentalités ont prétendument évolué. Le mouvement LGTBQIA+ – vis-à-vis duquel je n’ai pas d’opinion particulière – a pris de l’ampleur dans les discours officiels, officieux, associatifs et autres. Des subsides semblent avoir été alloués à gauche et à droite, et les ministres wallons de la Santé et de l’Enseignement ont cru bon de mandater le monde associatif pour rédiger un guide, sorti il y a déjà deux ans, une brique de 200 pages dont les éditeurs responsables sont l’Asbl O’ Yes et la Fédération des centres de plannings familiaux. L’objectif est de sensibiliser les élèves à partir de cinq ans aux concepts de la vie relationnelle, affective et sexuelle. Il est certainement opportun de sensibiliser les jeunes aux relations affectives, à la tolérance vis-à-vis de différents types de relations, comme l’homosexualité, qui sont parfois en dehors des normes traditionnelles telles qu’elles sont notamment transmises par le milieu familial. Personnellement, je pense que c’est une bonne chose : dans le domaine affectif et relationnel, c’est la tolérance et l’ouverture d’esprit qui doivent prévaloir. Une tout autre affaire est la sexualité, bien présente dans le guide, jusqu’à parler en toutes lettres de la masturbation, de l’orgasme, de la taille des seins, de l’utérus, des sextos, de la pornographie, dont on liste les avantages et les inconvénients ! Alors quel est le problème qui se pose ? J’entends les professionnels de la santé des enfants, pédopsychiatres et psychologues, nous dire que proposer un discours relatif à la sexualité à partir de cinq ans relève d’une effraction du psychisme[note]. Les sites Sauvons Nos Enfants et Innocence En Danger donnent des informations à ce sujet. L’effraction est une notion de pédopsychiatrie qui, apparemment, a été totalement absente des considérations des rédacteurs du guide, ce qui est très préoccupant. Parmi ceux-ci, aucun représentant des milieux scientifiques, pas de pédopsychiatres ni de psychologues spécialisés dans la matière. C’est quand même assez singulier et interpellant. Donc, on peut se demander si le choix des pouvoirs publics n’a pas été d’ordre idéologique en donnant une place aussi importante à des associations qui défendent certains points de vue dans le domaine de la sexualité. Mais que dit la loi ? Le législateur ne s’y est pas trompé, ce côté « effractant » est repris textuellement dans le code pénal. Il s’agit de l’article 417 qui, par bonheur, a été entièrement revu il y a un an et demi à peine par le ministre de la Justice, que l’on peut saluer ici au passage, qui a jugé opportun de remanier complètement le concept, notamment par rapport à la vague inquiétante des sextos et « nudes », qui consistent en la représentation de l’intimité de partenaires ou d’anciens partenaires et qui sont évidemment contraires à la notion générale de bonnes mœurs. Cette matière a été rigoureusement réglementée et deux principes ressortent de l’article 417. Le tout premier et le plus important est qu’il n’y a pas de majorité pénale en dessous de l’âge de 16 ans, ce qui veut dire que tout enfant jusqu’à l’âge de 16 ans est légalement incapable de donner son consentement dans les matières relatives à la sexualité. Or imposer un enseignement standardisé dans le domaine sexuel est en contradiction avec ce principe ! Les pédopsychiatres diront que c’est un abus au niveau du psychisme : un mineur est psychiquement incapable de donner un consentement valable, et c’est confirmé par le code pénal qui prononce des peines aggravées dès le moment où ces animations sont données en classe par des animateurs qui sont dans un rapport d’autorité avec les enfants. Je signale au passage que, jusqu’à présent, toutes les animations se sont faites en dehors de la présence du professeur ou de l’instituteur en charge des enfants, sous prétexte qu’il ne faut pas que les enfants soient influencés par leur enseignant ; il s’agit là d’une atteinte à l’intégrité sexuelle, second principe de l’article 417. On veut que les enfants soient isolés de tout contexte adulte et qu’ils puissent s’exprimer valablement (?) sur des sujets qui les dépassent[note]. Il y a déjà de nombreux témoignages rapportant que les enfants sont passablement traumatisés, perturbés. Des campagnes de plainte sont envisagées, notamment par une lettre-type[note] que les parents peuvent adresser à la Direction de l’école de leurs enfants pour demander que ceux-ci soient dispensés de ces animations. Apparemment, à en croire le discours officiel de la ministre, EVRAS sera obligatoire à partir de la rentrée 2023, avec la priorité mise sur les classes de sixième primaire et quatrième secondaire. Les documents officiels sont en train d’être votés au Parlement wallon. Ils ont fait l’objet d’un premier vote en commission restreinte par les partis membres de la majorité qui, en vertu de la discipline de parti, n’ont pu faire qu’une seule chose, voter en faveur de cette disposition. Mais théoriquement, tant que le Parlement ne l’a pas voté, le Décret n’est pas d’application. 

Et ce débat sera public ? 

Le débat devant le Parlement est public, par définition (c’est à huis clos seulement s’il y a des personnes en cause). Tout citoyen peut les suivre ou simplement être présent à l’entrée du Parlement pour sensibiliser les parlementaires à la problématique de ce projet de décret. Tant que le décret n’est pas voté, il est impossible, politiquement parlant, aux ministres, d’imposer le guide EVRAS en milieu scolaire. Pour conclure, plus que jamais il est important de déposer des recours, des plaintes, de ne pas se laisser faire. Une plainte déposée au commissariat de police locale peut aboutir à la police judiciaire qui sera certainement sensible à cette situation et la transmettra au Parquet. Et on peut espérer qu’au sein du Parquet, il y ait des magistrats qui réagissent. 

Propos recueillis en direct par Bernard Legros et Alexandre Penasse, août 2023. 

*Thierry Vanderlinden est juriste et a été avocat au Bar- reau de Bruxelles pendant 10 ans ; il a ensuite coordonné l’Opération de rénovation urbaine du Quartier Botanique à Bruxelles, et a dirigé pendant près de 15 ans l’équipe de l’Aide locative de Mons au sein du Fonds du logement wallon. Il pratique aussi professionnellement la ferronnerie d’art depuis 35 ans

Cassou

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École du masque : fermeture définitive

« La culpabilité est action, poussant le coupable à trouver une issue à sa mauvaise conscience, à tout faire pour se sentir mieux, quitte à se soumettre, à arrêter de se battre, à renoncer à sa liberté […] si on est occupé à se battre pour survivre à sa propre conscience, il ne devient plus possible de se tourner vers l’autre, de construire le monde. »[note]Elsa Godart

Ben quoi, le masque?! Ça vous tuerait de mettre un petit bout de tissu sur votre visage ? Par contre, ne pas le faire tuerait d’autres personnes ! » ; « Moi, je respire aussi bien avec un masque que sans ! » ; « Donner cours avec un masque n’a posé aucun problème, ni à moi ni à mes élèves ! ». Voilà le genre d’assertions entendues pendant ou depuis l’épisode covidien. À l’entame de celui-ci, Aurélien Barrau, astrophysicien engagé dans l’écologie, s’était lancé dans un plaidoyer à coloration plus morale que scientifique, en 14 points, pour le port du masque[note], une grosse déception venant de la part d’un esprit que l’on avait d’emblée considéré comme brillant et critique. Il ne fut bien sûr pas le seul dans le cas parmi les « people » ; Pierre Palmade avait aussi prononcé sa petite leçon d’hygiénisme masqué, avant de provoquer un accident mortel. Comme quoi… 

Alors que la liberté individuelle chérie par les « hommes économiques »[note] sous le néolibéralisme consistait jusque-là à rejeter tout ce qui pouvait apparaître comme une contrainte, subitement, quasi du jour au lendemain, par l’effet de la propagande, une écrasante majorité d’électeurs-consommateurs a accepté de bonne grâce de s’amputer le visage et de s’auto-asphyxier, à l’intérieur comme en plein air, « pour soulager le personnel des soins intensifs et sauver des vies ». Si la culpabilité ex ante était le sentiment dominant, émanait également de certains de ces muselés cet « orgueil d’obéir » que pointait Cioran. Lors d’une manifestation contre Ali Baba à Liège à l’automne 2020, tous les participants avaient la bouche et le nez couverts, à l’exception de trois personnes[note], aussitôt mal vues des autres. Combattre la tyrannie économique chinoise en reprenant sans sourciller un de ses codes du moment… étrange, n’est-il pas ? 

« Est-ce vraiment utile et nécessaire de revenir sur le masque en 2023 ? », nous dira-t-on aussi. Eh bien, oui ! Kaarle Joonas Parikka a lancé les amabilités dans Kairos n° 60, et son article « La banalité du masque » aurait pu faire partie de ce dossier. La presse fonctionne parfois à contretemps ! Le masque est, phénoménologiquement parlant, pour le moins devenu un des symboles de la société disciplinaire telle que l’avait décrite Michel Foucault. Mais probablement est-il bien plus que cela : un cheval de Troie parmi d’autres vers les étapes suivantes, la société de contrôle (Gilles Deleuze), et pire encore la société de contrainte telle que l’avait annoncée Pièces et Main d’œuvre il y a une dizaine d’années[note]. Pendant deux ans, il fut l’élément visible, quotidien, omniprésent de la guerre psychologique menée aux populations par la classe dominante et relayée par les médias serviles. Il fut le nouvel accessoire chic et choc du conformisme pour « une foule complexée qui cherche à plaire par la quête du consensus, coûte que coûte[note] ». En résumé, le masque sanitaire est un instrument de la biopolitique. Prophétisons un peu : il est presque certain que les autorités chercheront à nous le réimposer[note] dans un futur indéterminé, le premier galop d’essai ayant été très concluant. Mais alors ne nous y laissons plus prendre ! L’autonomie que nous revendiquons en tant qu’anti-productivistes a comme condition nécessaire, et non suffisante, de vivre sans masque-muselière, en sujets politiques libres et identifiables par leurs pairs, pas en zombies à maintenir en survie connectée. 

Nous reconnaissons à quiconque le droit de voir d’un bon œil l’État thérapeutique « qui a augmenté notre espérance de vie à travers les progrès de la médecine ». C’est aussi notre droit d’estimer que son extension sans fin, sous la forme du psychobiopouvoir – pouvoir totalitaire sur les esprits et les corps –, n’est pas une option anthropologiquement désirable ni socialement viable. Notre dossier ne se limite évidemment pas à la défense d’une liberté individuelle, mais prend la hauteur nécessaire pour resituer le masque dans un contexte large, à la fois scientifique (avec Louis Fouché et Carole Cassagne), politique (avec Philippe Godard), psychosocial (avec Kenny Cadinu), philosophique et spirituel (avec Martin Steffens). Soyons anti-masques, plus que jamais ! 

Dossier coordonné par Alexandre Penasse et Bernard Legros 

Addendum : à l’heure de mettre sous presse, le narratif covidien fait son retour dans les médias dominants. Nous les avions pourtant exhortés à faire leur examen de conscience et à rectifier le tir, en vain. 

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Kairos 60

Formés à dire oui

S’il fallait tirer un unique enseignement des trois années qui viennent de passer, ce serait celui de la spectaculaire soumission des masses. Cette période nous donne l’état des lieux de la pensée et de la façon dont les esprits furent manipulés pendant des décennies et donc prêts à obéir. Car il est évident qu’on n’ avale pas le discours médiatique et les solutions des multinationales sans avoir subi des attaques récurrentes qui ont altéré notre esprit critique et notre faculté à discerner le vrai du faux. 

Ce qu’on appelle communément la culture, dans le sens de l’état des connaissances d’un individu, ne fut nullement corrélé positivement avec le degré de désobéissance. Universitaires bac + 6, écrivains, philosophes, sociologues… récitèrent la grand messe, réduits à l’état de gramophone, comme aurait dit George Orwell. Les esprits qui semblaient les plus éclairés auparavant éructèrent en choeur, tenant des propos qui auraient parfaitement pu accompagner les pires régimes : « Je pense que la réponse à apporter aux personnes qui refusent les vaccins n’est pas de les y contraindre, mais plutôt d’insister pour qu’elles soient isolées. Si les gens décident qu’ils sont prêts à représenter un danger pour la communauté en refusant de se faire vacciner, ils devraient alors dire qu’ils ont aussi la décence de s’isoler. Je ne veux pas de vaccin, mais je n’ ai pas le droit de faire du mal aux autres. Cela devrait être une convention[note] », dixit Noam Chomsky, linguiste et critique célèbre de la société américaine, notamment des médias mainstream. Certains psychanalystes, brillants dans l’analyse des délires identitaires modernes, comme Charles Melman, ne firent pas mieux : « « Vous avez été frappé comme moi par le fait que, durant cette pandémie, il y en a qui manifestement, et comme si c’était un geste bravache, un geste de bravoure, de défi, témoignaient qu’ils n’entendaient pas choisir le parti de la vie, c’est-à-dire ce qui se résume banalement dans les gestes de protection et dans la vaccination, mais qu’ils choisissaient délibérément l’aspiration vers la mort. C’est quand même un phénomène surprenant de voir qu’aient pu se tenir, grâce aux réseaux sociaux, des réunions de milliers de personnes… pour venir provoquer des contaminations massives, venues ensuite encombrer les hôpitaux »[note]. 

Même les psychologues, nourris au biberon de théories psychosociales qui ouvrent la conscience sur les processus de manipulation de masse (comme Stanley Milgram, Solomon Ash), qu’on aurait pu penser les plus habiles à s’en protéger, se sont couchés face à ceux mis en place par les gouvernements. Ils ont même fait plus que de se soumettre, en participant activement et conseillant les gouvernements pour mieux manipuler les foules: « Le suivi des mesures nécessite un effort particulier de la population. Les mesures constituent une rupture dans notre mode de vie actuel et nous devons les observer pendant longtemps. Bien que le suivi des mesures ait d’ abord semblé être un problème temporaire, il devient maintenant clair que nous entrons dans une phase de changement de comportement permanent. Le nouveau comportement va devenir un comportement habituel. Le changement de comportement doit donc conduire à un comportement habituel. Le comportement d’habituation découle principalement de la planification et des répétitions fréquentes, il est donc envoyé dans le cerveau différemment du comportement dirigé consciemment : il n’ est plus rendu conscient pour atteindre un objectif et il est en grande partie automatique ou sans réflexion. Différents piliers sont importants pour faciliter cette formation d’habitudes »[note]. 

Peut-on penser qu’ il s’agit là seulement d’une erreur ? Que la peur de la mort, car c’est toujours de celle-là qu’il s’agit en dernière instance a inhibé toute rationalité ? Ce serait réducteur de se limiter à cette explication. Déjà dans les années 1960, Stanley Milgram se demandait, suite à ses expérimentations sur la soumission à l’autorité[note] : « Quels mécanismes de la personnalité permettent à quelqu’un de transférer la responsabilité sur l’autorité ? Quels motifs trouve-t-on derrière les comportements d’obéissance et de désobéissance ? La tendance à pencher du côté de l’autorité provoque-t-elle un court-circuit du système honte-culpabilité ? Quelles défenses cognitives et émotionnelles entrent en jeu chez les sujets obéissants et rebelles ? »[note]. Même si le contexte empirique de Milgram fut différent de l’expérimentation Covid-19 à grande échelle, les questions que se posait le psychologue au terme de ses recherches sont tout à fait pertinentes pour interroger la situation actuelle. 

Qu’est-ce qui fait qu’on obéit, ou pas ? Une première variable qui semble essentielle se situe dans le niveau de crédibilité que le sujet accorde aux institutions et aux gouvernements. Certains avalent littéralement et régurgitent en actes ce que leur crachent les officines officielles via leurs porte-parole, j’ai nommé les médias de masse : « Une part importante de la population fait ce qu’on lui dit de faire, quelle que soit la nature de l’action et sans que sa conscience y oppose des limites, tant qu’elle a le sentiment que l’ordre émane d’une autorité légitime. Si, dans cette étude, un expérimentateur anonyme a pu avec succès ordonner à des adultes de soumettre par la contrainte un homme d’une cinquantaine d’années et de l’électrocuter de force malgré ses protestations… on ne peut qu’imaginer ce qu’un gouvernement, avec une autorité et un prestige bien supérieurs, pourrait obtenir de ses sujets[note] ». En 2023, on fait plus qu’imaginer… 

Ainsi, ce sont les sujets qui acceptent de se confiner, de se masquer, de présenter ou contrôler le « Covid Safe Ticket », de se faire piquer, créant par la mise en commun de leurs actes individuels l’effet collectif. Et c’est en usant nos culottes sur les bancs d’école que nous avons été formés à dire oui. Les institutions officielles sont programmées à refuser leur remise en question par les individus qu’elles instruisent, alors qu’elles devraient l’être pour – ce qui dans un premier temps peut sembler paradoxal – exercer les gens à la critique de ceux qui les ont formés, donc de ces institutions mêmes. Mais « quelle institution réclamerait de ses employés qu’ils érigent leur conscience en une instance critique, à tout instant susceptible de discuter, de contester, voire de refuser ce qu’elle exige d’eux ? Un tel droit de critique, de contrôle, voire de désobéissance est au cœur de l’idée démocratique d’une société juste et décente[note] ». La figure de « l’ adulte » (enseignant, policier, patron…) qu’on n’interrompt pas, qu’on ne contredit pas, qui a toujours raison, qui brime et humilie, fige le rapport dans un déséquilibre, une disharmonie constante qui marquera l’ensemble des rapports ultérieurs du sujet à l’ Autre. Le système autoritaire, au fil des années et depuis la naissance, aura été introjecté dans la conscience, devenant un élément intangible, « naturel », comme s’il avait toujours été là, déterminant tous les actes : « La décision d’administrer les chocs à l’élève ne dépend ni des volontés exprimées par celui-ci ni des impulsions bienveillantes ou hostiles du sujet, mais du degré d’engagement que ce dernier estime avoir contracté en s’insérant dans le système d’autorité[note] ». 

Illustration : Philippe Debongnie

Le système est inscrit en eux, le refuser, dire non, c’est mettre à plat toute cette introjection d’une vie ; c’est reconnaître toutes ces occasions où ils ont dit oui alors qu’ils auraient dû/ pu désobéir. Le faire maintenant alors qu’ils ne l’ont jamais fait, c’est donc aussi mettre en lumière leur servitude pérenne, cette obéissance qui les a toujours guidés et permis d’être là où ils en sont[note]. 

On est donc, avec ces obéissants, en présence d’une armée de serviteurs dont La Boétie nous avait déjà prévenus qu’il aurait suffi qu’ils arrêtent de servir pour que les maîtres soient détrônés : « Pour ce coup, je ne voudrais sinon entendre comme il se peut faire que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’ a puissance que celle qu’ils lui donnent ; qui n’ a pouvoir de leur nuire, sinon qu’ils ont pouvoir de l’endurer ; qui ne saurait leur faire mal aucun, sinon lorsqu’ils aiment mieux le souffrir que lui contredire »[note] (…) « Ce sont donc les peuples mêmes qui se laissent ou plutôt se font gourmander, puisqu’en cessant de servir ils en seraient quittes ; c’est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix ou d’être serf ou d’être libre, quitte la franchise et prend le joug, qui consent à son mal, ou plutôt le pourchasse »[note]. 

Mais pourquoi faire « compliqué » quand on peut faire « simple » : « Obéir est le choix le plus simple, le moins « coûteux », celui qui, paradoxalement, répond au besoin psychique de protection de soi, quoiqu’il se paye au prix d’un renoncement à sa propre identité »[note]. Pour un confort personnel et provisoire, la personne perd sa liberté, son libre arbitre, son humanité. Si le conformisme explique aussi la soumission, la faculté de remettre en question les ordres est sans aucun doute corrélée avec le niveau d’adaptation du sujet au système, la manière dont il tire profit de l’ordre existant, et à quel point la désacralisation de l’autorité impliquerait pour lui une remise en question globale de ce qu’il est[note]. Le cadre supérieur, bien payé, intégré parfaitement à l’ordre existant, a moins de probabilité de le mettre en doute que celui qui en est déjà exclu[note]. Milgram l’avait bien compris, quand il cite un passage de l’article de Harold J. Laski, « Les dangers de l’obéissance : « La condition de la liberté passe, partout et toujours, par un scepticisme constant et généralisé à l’encontre des règles que le pouvoir veut imposer »[note]. Or, dans un jeu pervers par excellence, le pouvoir a fait croire au sujet qu’il allait devenir libre en obéissant. 

Une fois « la guerre » passée, ceux qui avaient répondu aux injonctions gouvernementales admettront rarement que quand les fusils étaient en joue, ils laissaient les coups partir ou, même, tiraient avec. Ainsi, en temps d’accalmie, tous deviennent « résistants ». « À beau mentir qui vient de loin », dans le temps ou dans l’espace.… Il est en effet facile de se dire résistant en période de paix, plus compliqué quand la gestapo sonne à la porte. Certains voient comme un signe positif, en période d’accalmie covidienne, stratégie du pouvoir, le fait que nombreux déclarent aujourd’hui qu’ils ne se feront plus piquer. C’est oublier qu’un contexte coercitif revenu pourrait chasser les velléités libertaires de certains : « L’histoire prouve combien il est rare que les hommes soient à la hauteur de l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes la façon dont ils pensaient qu’ils agiraient étant souvent démentie par leur conduite effective[note] ». Mais aussi oublier cette curieuse dissociation entre les mots et les gestes dont parlait Milgram : « Malgré les protestations véhémentes et répétées qui accompagnèrent chacune de ses actions, le sujet obéit infailliblement à l’expérimentateur et alluma tous les interrupteurs du générateur jusqu’au plus élevé. Il fit preuve d’une curieuse dissociation entre ses paroles et ses actes. Bien qu’il ait décidé au niveau verbal de ne pas continuer l’expérience, ses actions demeurèrent parfaitement en accord avec les ordres de l’expérimentateur. Ce sujet ne voulait pas électrocuter la victime et cette tâche lui fut extrêmement pénible, mais il fut incapable d’inventer une réponse qui l’aurait libéré de l’autorité de l’expérimentateur. De nombreux sujets n’arrivent pas à trouver la formule verbale qui leur permettrait de rejeter le rôle qui leur est assigné par l’expérimentateur. Peut-être notre culture n’offre-t-elle pas de modèles adéquats pour la désobéissance »[note]. 

Certainement… nous sommes pris dans un moule qui, depuis l’enfance, nous force à obéir. Mais à côté de ceux qui avalisent sans aucun filtre, une minorité doute, désobéit, permettant de casser le spectacle ; refuse de dire « oui » juste parce que l’ordre émane du gouvernement, du chef, du patron, de la science. C’est d’elle qu’on peut espérer le changement véritable. 

Alexandre Penasse 

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Kairos 60

Formés à dire oui

S’il fallait tirer un unique enseignement des trois années qui viennent de passer, ce serait celui de la spectaculaire soumission des masses. Cette période nous donne l’état des lieux de la pensée et de la façon dont les esprits furent manipulés pendant des décennies et donc prêts à obéir. Car il est évident qu’on n’ avale pas le discours médiatique et les solutions des multinationales sans avoir subi des attaques récurrentes qui ont altéré notre esprit critique et notre faculté à discerner le vrai du faux. 

Ce qu’on appelle communément la culture, dans le sens de l’état des connaissances d’un individu, ne fut nullement corrélé positivement avec le degré de désobéissance. Universitaires bac + 6, écrivains, philosophes, sociologues… récitèrent la grand messe, réduits à l’état de gramophone, comme aurait dit George Orwell. Les esprits qui semblaient les plus éclairés auparavant éructèrent en choeur, tenant des propos qui auraient parfaitement pu accompagner les pires régimes : « Je pense que la réponse à apporter aux personnes qui refusent les vaccins n’est pas de les y contraindre, mais plutôt d’insister pour qu’elles soient isolées. Si les gens décident qu’ils sont prêts à représenter un danger pour la communauté en refusant de se faire vacciner, ils devraient alors dire qu’ils ont aussi la décence de s’isoler. Je ne veux pas de vaccin, mais je n’ ai pas le droit de faire du mal aux autres. Cela devrait être une convention[note] », dixit Noam Chomsky, linguiste et critique célèbre de la société américaine, notamment des médias mainstream. Certains psychanalystes, brillants dans l’analyse des délires identitaires modernes, comme Charles Melman, ne firent pas mieux : « « Vous avez été frappé comme moi par le fait que, durant cette pandémie, il y en a qui manifestement, et comme si c’était un geste bravache, un geste de bravoure, de défi, témoignaient qu’ils n’entendaient pas choisir le parti de la vie, c’est-à-dire ce qui se résume banalement dans les gestes de protection et dans la vaccination, mais qu’ils choisissaient délibérément l’aspiration vers la mort. C’est quand même un phénomène surprenant de voir qu’aient pu se tenir, grâce aux réseaux sociaux, des réunions de milliers de personnes… pour venir provoquer des contaminations massives, venues ensuite encombrer les hôpitaux »[note]. 

Même les psychologues, nourris au biberon de théories psychosociales qui ouvrent la conscience sur les processus de manipulation de masse (comme Stanley Milgram, Solomon Ash), qu’on aurait pu penser les plus habiles à s’en protéger, se sont couchés face à ceux mis en place par les gouvernements. Ils ont même fait plus que de se soumettre, en participant activement et conseillant les gouvernements pour mieux manipuler les foules: « Le suivi des mesures nécessite un effort particulier de la population. Les mesures constituent une rupture dans notre mode de vie actuel et nous devons les observer pendant longtemps. Bien que le suivi des mesures ait d’ abord semblé être un problème temporaire, il devient maintenant clair que nous entrons dans une phase de changement de comportement permanent. Le nouveau comportement va devenir un comportement habituel. Le changement de comportement doit donc conduire à un comportement habituel. Le comportement d’habituation découle principalement de la planification et des répétitions fréquentes, il est donc envoyé dans le cerveau différemment du comportement dirigé consciemment : il n’ est plus rendu conscient pour atteindre un objectif et il est en grande partie automatique ou sans réflexion. Différents piliers sont importants pour faciliter cette formation d’habitudes »[note]. 

Peut-on penser qu’ il s’agit là seulement d’une erreur ? Que la peur de la mort, car c’est toujours de celle-là qu’il s’agit en dernière instance a inhibé toute rationalité ? Ce serait réducteur de se limiter à cette explication. Déjà dans les années 1960, Stanley Milgram se demandait, suite à ses expérimentations sur la soumission à l’autorité[note] : « Quels mécanismes de la personnalité permettent à quelqu’un de transférer la responsabilité sur l’autorité ? Quels motifs trouve-t-on derrière les comportements d’obéissance et de désobéissance ? La tendance à pencher du côté de l’autorité provoque-t-elle un court-circuit du système honte-culpabilité ? Quelles défenses cognitives et émotionnelles entrent en jeu chez les sujets obéissants et rebelles ? »[note]. Même si le contexte empirique de Milgram fut différent de l’expérimentation Covid-19 à grande échelle, les questions que se posait le psychologue au terme de ses recherches sont tout à fait pertinentes pour interroger la situation actuelle. 

Qu’est-ce qui fait qu’on obéit, ou pas ? Une première variable qui semble essentielle se situe dans le niveau de crédibilité que le sujet accorde aux institutions et aux gouvernements. Certains avalent littéralement et régurgitent en actes ce que leur crachent les officines officielles via leurs porte-parole, j’ai nommé les médias de masse : « Une part importante de la population fait ce qu’on lui dit de faire, quelle que soit la nature de l’action et sans que sa conscience y oppose des limites, tant qu’elle a le sentiment que l’ordre émane d’une autorité légitime. Si, dans cette étude, un expérimentateur anonyme a pu avec succès ordonner à des adultes de soumettre par la contrainte un homme d’une cinquantaine d’années et de l’électrocuter de force malgré ses protestations… on ne peut qu’imaginer ce qu’un gouvernement, avec une autorité et un prestige bien supérieurs, pourrait obtenir de ses sujets[note] ». En 2023, on fait plus qu’imaginer… 

Ainsi, ce sont les sujets qui acceptent de se confiner, de se masquer, de présenter ou contrôler le « Covid Safe Ticket », de se faire piquer, créant par la mise en commun de leurs actes individuels l’effet collectif. Et c’est en usant nos culottes sur les bancs d’école que nous avons été formés à dire oui. Les institutions officielles sont programmées à refuser leur remise en question par les individus qu’elles instruisent, alors qu’elles devraient l’être pour – ce qui dans un premier temps peut sembler paradoxal – exercer les gens à la critique de ceux qui les ont formés, donc de ces institutions mêmes. Mais « quelle institution réclamerait de ses employés qu’ils érigent leur conscience en une instance critique, à tout instant susceptible de discuter, de contester, voire de refuser ce qu’elle exige d’eux ? Un tel droit de critique, de contrôle, voire de désobéissance est au cœur de l’idée démocratique d’une société juste et décente[note] ». La figure de « l’ adulte » (enseignant, policier, patron…) qu’on n’interrompt pas, qu’on ne contredit pas, qui a toujours raison, qui brime et humilie, fige le rapport dans un déséquilibre, une disharmonie constante qui marquera l’ensemble des rapports ultérieurs du sujet à l’ Autre. Le système autoritaire, au fil des années et depuis la naissance, aura été introjecté dans la conscience, devenant un élément intangible, « naturel », comme s’il avait toujours été là, déterminant tous les actes : « La décision d’administrer les chocs à l’élève ne dépend ni des volontés exprimées par celui-ci ni des impulsions bienveillantes ou hostiles du sujet, mais du degré d’engagement que ce dernier estime avoir contracté en s’insérant dans le système d’autorité[note] ». 

Illustration : Philippe Debongnie

Le système est inscrit en eux, le refuser, dire non, c’est mettre à plat toute cette introjection d’une vie ; c’est reconnaître toutes ces occasions où ils ont dit oui alors qu’ils auraient dû/ pu désobéir. Le faire maintenant alors qu’ils ne l’ont jamais fait, c’est donc aussi mettre en lumière leur servitude pérenne, cette obéissance qui les a toujours guidés et permis d’être là où ils en sont[note]. 

On est donc, avec ces obéissants, en présence d’une armée de serviteurs dont La Boétie nous avait déjà prévenus qu’il aurait suffi qu’ils arrêtent de servir pour que les maîtres soient détrônés : « Pour ce coup, je ne voudrais sinon entendre comme il se peut faire que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’ a puissance que celle qu’ils lui donnent ; qui n’ a pouvoir de leur nuire, sinon qu’ils ont pouvoir de l’endurer ; qui ne saurait leur faire mal aucun, sinon lorsqu’ils aiment mieux le souffrir que lui contredire »[note] (…) « Ce sont donc les peuples mêmes qui se laissent ou plutôt se font gourmander, puisqu’en cessant de servir ils en seraient quittes ; c’est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix ou d’être serf ou d’être libre, quitte la franchise et prend le joug, qui consent à son mal, ou plutôt le pourchasse »[note]. 

Mais pourquoi faire « compliqué » quand on peut faire « simple » : « Obéir est le choix le plus simple, le moins « coûteux », celui qui, paradoxalement, répond au besoin psychique de protection de soi, quoiqu’il se paye au prix d’un renoncement à sa propre identité »[note]. Pour un confort personnel et provisoire, la personne perd sa liberté, son libre arbitre, son humanité. Si le conformisme explique aussi la soumission, la faculté de remettre en question les ordres est sans aucun doute corrélée avec le niveau d’adaptation du sujet au système, la manière dont il tire profit de l’ordre existant, et à quel point la désacralisation de l’autorité impliquerait pour lui une remise en question globale de ce qu’il est[note]. Le cadre supérieur, bien payé, intégré parfaitement à l’ordre existant, a moins de probabilité de le mettre en doute que celui qui en est déjà exclu[note]. Milgram l’avait bien compris, quand il cite un passage de l’article de Harold J. Laski, « Les dangers de l’obéissance : « La condition de la liberté passe, partout et toujours, par un scepticisme constant et généralisé à l’encontre des règles que le pouvoir veut imposer »[note]. Or, dans un jeu pervers par excellence, le pouvoir a fait croire au sujet qu’il allait devenir libre en obéissant. 

Une fois « la guerre » passée, ceux qui avaient répondu aux injonctions gouvernementales admettront rarement que quand les fusils étaient en joue, ils laissaient les coups partir ou, même, tiraient avec. Ainsi, en temps d’accalmie, tous deviennent « résistants ». « À beau mentir qui vient de loin », dans le temps ou dans l’espace.… Il est en effet facile de se dire résistant en période de paix, plus compliqué quand la gestapo sonne à la porte. Certains voient comme un signe positif, en période d’accalmie covidienne, stratégie du pouvoir, le fait que nombreux déclarent aujourd’hui qu’ils ne se feront plus piquer. C’est oublier qu’un contexte coercitif revenu pourrait chasser les velléités libertaires de certains : « L’histoire prouve combien il est rare que les hommes soient à la hauteur de l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes la façon dont ils pensaient qu’ils agiraient étant souvent démentie par leur conduite effective[note] ». Mais aussi oublier cette curieuse dissociation entre les mots et les gestes dont parlait Milgram : « Malgré les protestations véhémentes et répétées qui accompagnèrent chacune de ses actions, le sujet obéit infailliblement à l’expérimentateur et alluma tous les interrupteurs du générateur jusqu’au plus élevé. Il fit preuve d’une curieuse dissociation entre ses paroles et ses actes. Bien qu’il ait décidé au niveau verbal de ne pas continuer l’expérience, ses actions demeurèrent parfaitement en accord avec les ordres de l’expérimentateur. Ce sujet ne voulait pas électrocuter la victime et cette tâche lui fut extrêmement pénible, mais il fut incapable d’inventer une réponse qui l’aurait libéré de l’autorité de l’expérimentateur. De nombreux sujets n’arrivent pas à trouver la formule verbale qui leur permettrait de rejeter le rôle qui leur est assigné par l’expérimentateur. Peut-être notre culture n’offre-t-elle pas de modèles adéquats pour la désobéissance »[note]. 

Certainement… nous sommes pris dans un moule qui, depuis l’enfance, nous force à obéir. Mais à côté de ceux qui avalisent sans aucun filtre, une minorité doute, désobéit, permettant de casser le spectacle ; refuse de dire « oui » juste parce que l’ordre émane du gouvernement, du chef, du patron, de la science. C’est d’elle qu’on peut espérer le changement véritable. 

Alexandre Penasse 

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Le phénomène trans. Le regard d’un philosophe

INTERVIEW DE DANY-ROBERT DUFOUR* AUTOUR DE SON OUVRAGE

Du « je parle donc je suis » au « je dis donc je suis »

Nicolas Drochmans

Dans votre ouvrage, vous évoquez votre expérience de découverte de la différence des sexes lors de votre petite enfance, et montrez comment elle fut structurante. Peut-on dire que cette division demeure fondamentale ? Il est incroyable qu’il faille le rappeler. Cela en dit long sur une époque ? 

Oui, il est incroyable qu’il faille rappeler que l’être humain est, dans son être même, marqué par la différence des sexes. Il naît en effet sexué, c’est-à-dire d’un sexe ou de l’autre, avant même qu’il ne se pose la question. Il a donc fallu attendre le XXIe siècle, que l’on dit caractérisé par un accès immédiat à l’information, pour remettre en cause ce fait majeur, inaugural de toute vie. C’est pourquoi je mets les activistes trans dans le même sac que les terraplanistes et autres créationnistes. Ces activistes s’activent donc à nier la réalité. Ils disent que le sexe des bébés est assigné à la naissance… par le médecin. Alors que, depuis la nuit des temps, dans toutes les cultures, la première nouvelle qui se répand à la suite d’une naissance procède d’un constat partagé par tous les protagonistes (parents, famille, amis…) : « C’est un garçon ! » ou « C’est une fille ! ». Certes, il existe des accidents génétiques, mais ils sont très rares, ne concernant qu’une naissance sur environ trente mille. Bref, il ne faut pas confondre la règle et l’exception. Pour ma part, le déni de la différence des sexes s’est effondré quand j’avais 5 ans lorsque j’ai voulu montrer aux petites filles de ma rue qu’elles avaient elles aussi un zizi et qu’elles pouvaient faire pipi debout. Sauf que, parti avec les meilleures intentions du monde à la recherche de leur zizi, c’est… le mien qui s’est manifesté. J’ai donc découvert cette loi, gaillardement consignée par Brassens, dès 5 ans : la bandaison, papa, ça ne se commande pas. Il en résultait que j’étais un garçon et qu’elles étaient des filles. Pas pareil. Or, force est de constater que l’expérience fondatrice que j’ai faite à 5 ans, comme pratiquement tous ceux de ma génération, tend aujourd’hui à se faire plus rare. Par exemple, les activistes trans l’ignorent car, chez eux, ce déni de la réalité de la différence sexuelle perdure. Quelle force s’oppose donc à cette évidence ? Je compte, cher Alexandre, sur votre opiniâtreté pour que vous me rameniez bientôt à cette question. Mais je voudrais auparavant souligner que nous voici avec un déni qui en dit long sur notre époque. Je formulerais ainsi ce tournant : on se retrouve avec un « parti trans » qui veut prendre le pouvoir. Ce n’est pas la première fois que de tels dénis arrivent dans l’Histoire. Il suffit en effet de remonter d’une centaine d’années en arrière pour s’apercevoir que les nazis ont cherché à prendre le pouvoir en imposant des vues défiant le sens commun : il existe, disaient-ils, une race supérieure et il faut tout lui sacrifier. Pour accréditer cette thèse délirante, ils ont entrepris de changer la perception de la réalité en changeant la langue allemande. Le philologue Victor Klemperer, juif de son état, s’est fait le scribe douloureux de cette transformation de la langue allemande. C’est ainsi que, dans son journal personnel, il a noté jour après jour toutes les manipulations que les nazis ont fait subir à la langue allemande. Cette langue du Troisième Reich, Klemperer l’appelle la Lingua Tertii Imperii[note]. La LTI, écrivait Klemperer, est une langue dont la « pauvreté » était la « qualité foncière ». Les mots y étaient martelés. Tout en elle « devait être harangue, sommation, galvanisation ». Klemperer relève dans la LTI les mots dont la fréquence augmente : « spontané », « instinct », « fanatique », « aveuglément », « éternel », « étranger à l’espèce » et, par-dessus tout, le mot « total », désigné par Klemperer comme le « mot clé du nazisme »[note]. Je rappelle ceci parce que c’est aussi une novlangue que le parti trans est en train d’essayer d’inventer. Voyez par exemple le nouveau « lexique trans » que le Planning Familial diffuse désormais auprès des familles. On y lit que certains termes ou expressions doivent désormais être proscrits ― comme « mâle/ femelle » ― et que d’autres doivent être promus ― comme « Les hommes peuvent avoir un vagin ». Vous m’objecterez peut-être que le parti trans est infiniment moins dangereux que le parti nazi. Pour l’instant, oui. Mais, sur le fond, je dirais que le projet est le même car les transactivistes constituent les troupes de choc d’un mouvement bien plus large, le transhumanisme, qui lui aussi, comme le nazisme, cherche à introduire une scission dans la commune humanité : lorsque certains deviendront augmentés, les autres deviendront ipso facto diminués. 

Est-il encore possible de discuter du phénomène trans ? Les médias pratiquent la technique de la Fenêtre d’Overton, rendant progressivement acceptables des idées qui, il y a encore quelques années, auraient été inaudibles, estampillées du sceau du progrès, marquant tous ceux qui oseraient la critique du stigmate de la transphobie. 

En effet, c’est la technique de la fenêtre d’Overton qui a été employée, de façon à rendre progressivement acceptables les idées et projets trans encore très marginaux quelques années auparavant. Cela a si bien marché qu’aujourd’hui, si vous discutez la moindre proposition du transactivisme, vous passez pour un vilain transphobe. Surtout dans les groupes dits de gauche. Du coup, c’est moi qui suis désormais obligé d’« Overtonner » (c’est le cas de le dire) en exprimant ce qui est désormais inaudible. Comme je ne peux pas le dire à gauche (puisque là, justement, c’est inaudible), je suis obligé, moi homme de gauche (mon passé et mes travaux contre le néolibéralisme en témoignent), d’aller dans les médias de droite pour me faire entendre. C’est ce qui m’est arrivé avec ce livre. La presse de droite a vu dans mon essai un bon moyen de titiller la gauche. J’ai accepté d’y répondre, mais je me suis fait un devoir de ne pas dissimuler mes positions, notamment en mettant en avant la responsabilité du Marché dans les dérives trans actuelles. Le Figaro ne s’y est pas trompé puisqu’il a publié, le samedi 8 avril, le long entretien qu’il m’a accordé sous le titre « La gauche contre le mouvement trans ». D’ailleurs, si cela peut vous rassurer, j’ai eu ainsi une bonne recension dans L’Humanité… À vrai dire, on se retrouve dans une confusion telle que la presse de gauche défend, sauf rares exceptions, un néolibéralisme culturel, ce à quoi la presse de droite s’oppose, mais en défendant un néolibéralisme économique. Jean-Claude Michéa a bien rendu compte de ce partage du travail. Bref, tout est confus aujourd’hui : les hommes sont des femmes, la gauche est à droite et la droite donne la parole à une gauche que la gauche proscrit… Bien sûr, si la presse véritablement critique (comme la vôtre) était plus développée, je n’irais pas voir ailleurs. Mais comme cette presse n’a pas, par définition, les moyens de la presse « officielle », il m’apparaît de bonne guerre d’en passer par la presse de droite pour dénoncer le néolibéralisme culturel de la gauche. On n’en serait pas là si la gauche avait fait son travail. Or, elle est loin du compte. Elle n’a pas compris qu’avec le néolibéralisme et le règne du Marché total (qui atteint jusqu’à l’intime), nous étions passés, il y a plus de trente ans déjà, du vieux capitalisme patriarcal à un nouveau capitalisme libidinal. Pire même : cette gauche s’est fait refiler son actuel logiciel woke par le néolibéralisme culturel américain (les GAFAM, Hollywood, Disney, Netflix…) et elle n’y a vu que du feu ! Du coup, cette gauche prend les vessies pour des lanternes et les trans pour des prolos. Lesquels, abandonnés par la gauche, partent de plus en plus du côté de chez Trump aux USA et du côté de chez Marine Le Pen en France… 

Ils parviennent même à insulter des trans qui les contredisent : dans le documentaire Enfants trans, parlons-en, Miranda Yardley, trans-femme, jugé/jugée pour ses propos « transphobiques », dit : « L’auto-déclaration réduit le fait d’être une femme à un sentiment dans la tête d’un homme. Quelle connerie ! ». En outre, ceux qui reviennent de leurs expériences sont vilipendés par les militants. Un homme qui a subi des opérations pour paraître femme, explique dans le documentaire What is a woman : « Je ne me suis jamais adapté (…) Quand des psychologues ou quelqu’un que j’aimais m’ont dit que je n’étais pas dans le bon corps, j’ai commencé à penser que c’était peut-être le cas. Je suis une femme biologique qui a subi une transition médicale pour ressembler à un homme grâce à des hormones synthétiques et à la chirurgie. Je ne serai jamais un homme. Est-ce que c’est transphobe de ma part de dire la vérité ? Pourquoi alors, dans quelques centaines d’années, si vous déterrez mon corps, ils diront : oui, c’était une femme, elle a eu des enfants ». 

Beaucoup de trans qui ont cru au voyage vers l’autre sexe déchantent et parfois « détransent » au sens où ils cherchent à détransitionner lorsqu’ils se retrouvent lost in transition pour s’être laissés embarquer un peu trop vite dans ce mirage. Ils sont alors la cible des transactivistes qui les prennent pour des renégats de la cause. Et, bien sûr, comme dans tous les groupes totalitaires, les « renégats » (c’est-à-dire ceux qui se sont aperçus du délire dans lequel ils étaient embarqués) subissent plus encore les foudres des activistes que ceux qui sont simplement des opposants à la cause. Normal : ils savent dans quoi ils ont été embarqués. En l’occurrence, par rapport à ce que dit Miranda Yardley, le fait d’avoir cru qu’ils allaient devenir femme, voir plus femme qu’une femme. Cette usurpation de l’identité de femme rend évidemment furieuses les vraies femmes (celles qui sont nées femme). Elles se trouvent en quelque sorte expulsées de leur identité féminine en devant accepter des hommes qui se prétendent femmes dans des compétitions sportives, en devant partager avec eux leurs lieux (vestiaires, toilettes, voire prisons). Même chose de l’autre côté, ces femmes qui ont cru qu’elles allaient devenir hommes… 

La tragique beauté de l’être humain est qu’il parle, mais le paradoxe est qu’il a basculé désormais, soutenu par la technoscience, dans le « je dis, donc je suis », inversion prométhéenne. C’est d’ailleurs ce que dit Judith Butler : « Le discours produit les effets qu’il nomme ». Vous dites : « Ses ouailles prononcent des abracadabras, shazam, hocus pocus, biscara-biscara bam-souya et autres bibbity bobbity hou en se regardant dans le miroir et hop, une bite (ou un vagin) apparaît ou disparaît ». Nous en sommes arrivés au stade de la pensée magique ? 

Oui, c’est la conséquence du déni de réalité dont je parlais plus haut. Pour eux, il n’y a pas de réel, il n’y a que du discours. Cela a été « théorisé » par Judith Butler qui a revu et (mal) corrigé la notion de performatif créée dans les années 1960 par le philosophe du langage John Austin qui avait découvert que certains dires sont aussi des faires. Par exemple, si je dis és qualités « je te baptise Untel », ce dire devient un fait puisque vous allez effectivement vous appeler Untel. Butler pousse à bout cette théorie en soutenant que les normes discursives font advenir, dans le réel, ce qu’elles norment, c’est-à-dire les corps sexués. Il suffirait donc, si vous naissez homme, que vous objectiez à cette « construction historique » et que vous vous disiez, à vous-même et aux autres, « je suis une femme » pour que vous deveniez femme ― en butlérien, on appelle cela « resignifier ». C’est aussi simple que cela : avec ce coming out performatif, vous homme, vous deviendrez born again en femme. Dans mon essai, je donne la recette de cette transformation. Il suffit de prendre un tiers de néo-évangélisme (celui qui affirme la possibilité d’une nouvelle naissance permettant une régénération), d’ajouter un tiers de vocabulaire managérial (celui des business schools où l’on clame qu’il faut « Empower your life and your career now ») pour devenir sans délai le manager efficace de sa vie et de sa carrière. Puis on fait revenir le mélange dans un tiers de foucaldisme (avec le concept grec de parrhesia, le dire vrai revu et corrigé par le philosophe puisqu’il ne s’agit plus de dire la vérité, mais sa vérité). On chauffe le tout et, au moment de la fusion, au terme de cette opération alchimique, tout comme le plomb se transforme en or, l’homme se sera performativement changé en femme ou la femme en homme. Ainsi, « iel » aura fait preuve d’une encapacitation (d’une « capacité auto-conférée »), d’un empowerment (d’un « pouvoir auto-octroyé »), d’une agency (d’une « capacité d’agir ») pour devenir femme ou homme. On se croirait chez Harry Potter qui a le pouvoir, en disant « Aguamenti », de faire sortir un jet d’eau de la baguette (quelle baguette?) ou, en disant « Amplificatum », d’augmenter la taille d’un objet (devinez lequel?). 

Nicolas Drochmans

Dans le documentaire What is a woman[note], une femme trans explique : « Pour la première fois dans l’histoire, un groupe marginalisé a un énorme signe de dollar sur le dessus de la tête (…) Nous massacrons une génération d’enfants parce que personne n’est prêt à parler de quoi que ce soit ». La censure et l’omerta sont consubstantielles à l’avancée de la technoscience qui ne peut supporter des débats démocratiques ? 

Oui. Pour les enfants diagnostiqués vers 6 ou 8 ans « dysphoriques de genre », les activistes trans et les médecins qui les soutiennent les engagent dans un cycle au long cours qui commence avec l’administration vers 10 ans d’inhibiteurs de puberté (accompagnés, pourquoi pas, d’un peu de ritaline [NDLR nommée rilatine en Belgique] pour les faire se tenir tranquilles), puis ensuite d’hormones inverses, puis enfin d’une transition qui peut être sociale (changement d’état civil), mais aussi chirurgicale, avec une dizaine d’opérations très lourdes dans l’un et l’autre cas. Ça commence, dans la chirurgie « male to female », avec une castration dite pénectomie (ablation des corps caverneux et d’une partie du corps spongieux du pénis), une préservation de l’autre partie du corps spongieux et d’une partie du gland pour effectuer une clitoridoplastie, la création d’une cavité vaginale (néovagin), des lèvres génitales et d’un néo-clitoris, urétroplastie avec création d’un néo-méat. La chirurgie mammaire est souvent indiquée. Enfin les modifications de la voix sont envisageables (outre les hormones masculines qui changent la voix, des techniques phoniatriques et chirurgicales peuvent être pratiquées). Les complications urinaires, digestives, génitales et hémorragiques ne sont pas rares. Du côté « female to male », on pratique une hystérectomie, une ovariectomie, une colpectomie (c’est-à-dire l’ablation de l’utérus, des annexes et du vagin), la construction d’organes génito-urinaires masculins (lambeaux de peau et de tissu prélevés sur le corps, vascularisés et innervés) et une métaidoioplastie (plastie d’agrandissement du clitoris) pour reconstituer un pénis. Il y a ensuite pose de prothèses cylindriques pour pallier l’absence de corps caverneux (pénis à rigidité constante) ou prothèses gonflables par pompe et réservoir. 

L’uréthroplastie n’est pas systématique car sujette à un taux de complications supérieur à 50 %. Le coût des médicaments peut se monter à plusieurs milliers d’euros par mois et celui des opérations à plusieurs dizaines de milliers. En France, les « soins » liés à la demande de « réassignation sexuelle » peuvent être remboursés à vie par l’Assurance Maladie dans la cadre d’une ALD (affection de longue durée). Les transactivistes recommandent aux candidats de prévoir et de demander le maximum de soins et d’opérations. Ce qui pose une lourde question à quoi il faudra bien répondre un jour : pourquoi, si l’indication n’est plus médicale (comme l’ont demandé et obtenu les associations trans), devrait-elle encore être remboursée par la Sécurité Sociale ? Pourquoi la collectivité devraitelle prendre en charge ces « soins » alors que beaucoup de soins de base ne sont pas ou plus remboursés (le ticket modérateur, les dépassements d’honoraires, la plupart des moyens de contraception et des vaccins, les implants dentaires, la chirurgie réfractive, l’orthodontie adulte, la parodontologie, beaucoup de médicaments comme ceux contre la migraine…). C’est donc un double signe que portent ces personnes : celui du dollar et celui de la souffrance. Tout cela pour quoi ? Pour obtenir des néo-organes non fonctionnels du point de vue des deux grandes affaires humaines : la reproduction et la sexualité. On comprend que le taux de suicidalité (une ou plusieurs tentatives de suicides) des jeunes trans ainsi traités, ou plutôt maltraités, soit à peu près cinq fois supérieur à celui d’une population standard. Si ces jeunes sont victimes, ils le sont d’abord des activistes trans qui les conduisent dans des impasses. C’est pourquoi il faut mettre en place des consultations dédiées pour accueillir ces jeunes qui se sont laisser grisé par les promesses des activistes et des technosciences. 

Je pense, comme je le dis dans mon essai, qu’un jour prochain, on verra dans ces faits des crimes contre l’enfance et l’adolescence dont les responsables auront alors à rendre compte. 

Dans le documentaire Enfants trans, parlons-en, un psychiatre spécialisé dans les dysphories de genre, explique comment il lui a été interdit d’évoquer dans son université le pourcentage important de sujets qui voulaient revenir vers leur sexe d’origine, faire ce qu’on appelle une ré-réassignation ou détransition. Il y a des automutilations, tentatives de suicides et suicides réussis. Ces enquêtes ne sont jamais citées par les militants. La détransition est un tabou. Pourquoi ? Ils ont mordu à l’hameçon, comme vous dites[note] ? 

Ces enquêtes ne sont en effet jamais citées par les activistes, mais elles le sont par ceux qui se rendent compte des dégâts. À cet égard, ça progresse. Par exemple, le système de santé public anglais, le NHS, a décidé de fermer la clinique Tavistock qui s’était reconvertie au début des années 2000 dans la prise en charge des enfants supposément atteints de dysphorie de genre. De surcroît, la clinique se trouve sous le coup d’une action de groupe lancée par plus de 1000 familles s’estimant abusées d’avoir été indûment alertées que l’absence d’accès précoce à un traitement hormonal de leurs enfants pouvait conduire ceux-ci au suicide. En Suède, l’hôpital Karolinska, après quarante ans d’ouverture à ces pratiques, est en train de les réguler beaucoup plus fermement. En France, il y a le travail rigoureux mené par le groupe de La Petite Sirène, composé d’universitaires de toutes disciplines, de médecins, de pédopsychiatres, de psychanalystes. 

La sociologue Heather Brunskell-Evans dit : « Il est désormais quasiment accepté qu’il existe bel et bien des « enfants trans », pourtant aucune preuve médicale ne permet d’affirmer qu’un enfant pourrait être « né dans le mauvais corps ». Les enfants ne devraient pas être contraints par le genre. Engager un enfant dans une voie qui le place en conflit avec son corps alors que la chose la plus émancipatrice, la plus libérale, la plus progressive que l’on devrait faire serait de l’encourager à se sentir bien dans son corps, de faire en sorte que le corps ne soit pas une contrainte pour un petit garçon qui voudrait s’intéresser à des choses considérées comme « féminines », cela ne devrait absolument pas poser problème. Nous menons une expérimentation sur les enfants et leur corps, qu’aucune preuve n’encourage. Nous ignorons les conséquences que cela aura, parce que l’expérience a lieu en ce moment même ». Le présupposé qu’on serait dans le « mauvais corps » n’est-il pas déjà faux ? Et la réponse apportée, propre à nos sociétés, qui réifie le corps pour en faire une matière qu’on modifie à sa guise et qu’on soigne à l’aide de médicaments ? 

Vous savez, rien n’est plus normal que des adolescents soient troublés au moment de la puberté. Des organes sexuels, des poils, des changements physiques apparaissent, des émois nouveaux naissent et ils ne savent que faire de tout cela, jusqu’à sombrer pour certains dans une déréliction qui fait alors d’eux des proies faciles pour ces faiseurs de miracles qui leur font croire (par réseaux sociaux et influenceurs interposés) qu’ils sont tombés dans le mauvais corps et que la solution est dans le changement de sexe. Je cite dans mon livre les conclusions d’une étude récente (2021) faite au Canada qui a l’avantage de porter sur le plus grand échantillon de garçons référés en clinique pour dysphorie de genre. Il se trouve qu’à l’âge de 20 ans, près de 90% de ceux qui avaient été classés à l’âge de 8 ans comme dysphoriques ont naturellement renoncé à toute velléité de réassignation sexuelle. Il ne faut donc pas les aiguiller trop vite vers la transition comme cherchent à le faire les activistes. 

QUI DÉCIDE ? 

Les médias donnent donc l’illusion d’une minorité majoritaire, alors que les enfants et adolescents désirant changer de sexe sont rares. En même temps, en donnant l’illusion d’une possibilité de changer de sexe, le monde politique, médiatique, l’industrie de la chirurgie et de la chimie, font croître les candidats. C’est un jeu vicieux. 

Oui. On présente la loi du marché comme étant celle de l’offre et de la demande. La demande suscitant une offre. Rien n’est plus faux. Car, le marketing le sait bien, c’est toujours l’offre qui suscite la demande. L’offre, elle est faite par les industries culturelles, médicales et chirurgicales. Et, plus l’offre de changement de sexe s’étale, plus la demande se fait pressante… 

Certains psychanalystes sont ouverts au désir de leur patient de changer de sexe et donnent libre cours à ce délire. Dérive ou suite logique de la psychanalyse ? 

Je pense tout d’abord qu’il ne faut pas confondre les lubies du patient avec ses désirs. Les lubies apparaissent tout à trac, au contraire des désirs qui ne s’expriment vraiment qu’après une longue élaboration. Le psychanalyste est celui qui, en principe, sait discerner ces deux plans de façon à ne pas tomber dans les panneaux du sujet. Si le psychanalyste ne sait pas faire cela, alors, ce n’est pas un psychanalyste, mais un coach qui va se mettre en peine d’être ouvert aux « désirs » du patient, jusqu’à l’accompagner pour les réaliser. Pauvre psy qui se place dans cette position. Il devrait alors, pourquoi pas, être ouvert au « désir » de certains de ses patients de tuer leurs père et mère ou qui vous voulez. Ou de devenir le nouvel Hitler souhaitant exterminer la moitié de l’humanité. Or, justement, le psy, à ma connaissance, n’est pas un coach. Si le psychanalyste a mauvaise presse en ce moment où le Marché incite l’individu à demander tout ce qu’il veut, c’est parce qu’il est celui qui rappelle à ceux qui voudraient l’oublier le principe de réalité, en l’occurrence l’existence de deux sexes et l’impossibilité de passer de l’un à l’autre. Principe avec lequel il vaut mieux que le patient se débrouille… sauf à tomber dans le délire. Lequel consisterait à croire qu’en paraissant l’autre sexe, il serait de l’autre sexe. Or, prendre l’apparaître pour l’être serait source de souffrances indicibles car cela repose sur une supercherie, un rapport mensonger à soi-même et aux autres, qui ne manquerait pas de resurgir en drame. En aidant le patient à faire la part des choses (entre celles qui sont possibles et celles qui sont impossibles), celui-ci pourra peut-être découvrir que, s’il ne peut changer de sexe, il lui reste néanmoins la possibilité de changer de genre. Ce qui n’est qu’une mince consolation, mais cela dépend bien sûr de la dynamique de la cure. Et chacune est singulière. 

Ces psychanalystes évacuent totalement la question du Maître, primordiale. Dites-nous en plus… 

Oui, ceux des psychanalystes qui veulent exaucer les lubies de leur patient font comme si la demande de changement de sexe venait de lui. Or, comme je l’ai déjà dit plus haut, cette demande est surdéterminée par l’offre du Marché, ce nouveau Maître qui, en plaçant le sujet en position d’être comblé par l’offre toujours plus large d’objets manufacturés, de services marchands et de fantasmes sur mesure produits par les industries culturelles, met ce dernier en position de tout vouloir, y compris l’impossible, dont changer de sexe. L’ancien Maître, Dieu par exemple, nous tenait par le haut, le nouveau, le Marché, nous tient par le bas. Il nous tient par ce que les Anciens Grecs appelaient « l’âme d’en-bas », l’épithumetikon, siège des passions, aujourd’hui directement exploitées par le Marché. Autrement dit, nous sommes passés de l’ancien Maître qui édictait ses Commandements et jouait franc jeu à un Maître pervers, passé sous la barre, qui fait semblant de nous laisser la bride sur le cou, mais qui nous tient en sous-main. Appelons cela la sous-main invisible du Marché. C’est une main de fer dans un gant de velours… 

On présente au fond comme un choix ce qui est déterminé par la nature. La véritable liberté n’implique-t-elle pas notamment d’admettre une fois pour toutes que certaines choses ne nous appartiennent pas, comme la filiation, l’âge, le sexe, le nom… ? 

Oui. En principe, c’est le droit qui nous renseigne sur ce qui se rapporte à notre état civil en nous rappelant les fondements dogmatiques de notre socialité (cf. Pierre Legendre) qui décrètent disponibles certaines données et indisponibles d’autres. Par exemple, dans nos pays démocratiques notre adresse est en principe disponible, on peut en changer. Mais d’autres, jusqu’à une date récente, étaient indisponibles, comme notre âge, notre filiation, notre sexe. Or, l’état de la personne est de plus en plus « contractualisé », c’est-à-dire remis à la disposition du sujet, pour qu’il en fasse ce que bon lui semble. Ainsi, depuis un arrêté de 2020, on peut en France changer de sexe à l’état civil (sans être opéré). Et peut-être pourra-t-on bientôt changer d’âge, c’est-à-dire de date de naissance, ou de parents, ou de langue maternelle… Ce serait un pas de plus vers l’extension du délire. Cette mutation est bien évidemment à mettre en relation avec le fait (évoqué plus haut) que le nouveau Maître, le Marché, se soit rendu invisible en plaçant le sujet en position de Maître apparent, devant être comblé dans toutes ses appétences. 

Ces victimes du progrès technoscientifique ne sont-ils pas des ennemis, volontaires ou pas, de la nature ? 

Oui. Ennemis de la nature. Et avant tout ennemis de leur propre nature. 

Avec votre ouvrage, vous soulevez une question essentielle qui a trait au processus de construction de la pensée et à l’autonomie par rapport à celui-ci. Certains voient dans le sujet en proie aux idéologies modernes un effet de l’individualisme contemporain. Vous dites au contraire que cet individu « est aujourd’hui placé en position de marionnette d’un Maître qui ventriloque ses demandes. Cet individu est devenu la voix de son maître ». Vous remettez en question que le phénomène trans soit le résultat d’une individualisation forcenée, mais dites plutôt qu’il s’agit du résultat d’un processus de création de besoins, chez un sujet qui croit se penser lui-même mais qui est en fait pensé par un autre. 

Je crains en effet que beaucoup de penseurs contemporains ne soient tombés dans le panneau. Ils disent que nous vivons dans des sociétés individualistes, sans Maître, alors que le Maître n’a fait que se dissimuler en incitant chacun à la satisfaction de toutes ses appétences ― ce dont ce nouveau Maître profite tant au plan économique qu’au plan de l’emprise exercée sur les individus. En fait, j’aspire à ce que nous entrions un jour dans une vraie société d’individus ― ce qui supposerait des êtres pensant et agissant par eux-mêmes, capables de s’auto-limiter. Or on est très loin du compte. On est dans une société marquée par, non pas l’individualisme, mais par l’égoïsme, avec des êtres à la recherche de la satisfaction pulsionnelle ― dussent-ils pour cela consumer (par la consommation effrénée) le monde, jusqu’à sa consomption finale. 

C’est au fond un effet moderne : le sujet est pensé par un autre. Dans le café du coin, les médias imposent les sujets de conversation : on ne parle plus de politique, on parle de « l’affaire Palmade ». [sans évoquer surtout le plus important, les « dessous » de ces affaires]. L’ultime paradoxe est qu’on en arrive à ce que ce soit l’auto-castration qui amène le sujet à prendre conscience qu’il est pensé par un autre. C’est en expérimentant l’impossible que le sujet réalise qu’il est limité et déterminé, malgré lui, et que l’impossible n’est pas possible. Mais c’est souvent trop tard. 

En effet. C’est pourquoi je reprends cette figure tragique de l’Héautontimorouménos, littéralement le « bourreau de soi-même », évoqué par Baudelaire dans un poème des Fleurs du mal. Tout se passe comme si l’absence de limites finissait par revenir sur le sujet en le constituant comme sa propre proie, le poussant vers une subjectivité autophage débouchant sur la transhumanité. 

Nicolas Drochmans

LE DÉLIRE OCCIDENTAL 

Nous sommes arrivés à une époque où la folie est mise en avant, valorisée sur les plateaux télé, norme sociale. La zooanthropie (Homme qui se prend pour un animal) devient presque à la mode, alors qu’il s’agit d’un délire psychotique. La dysphorie de genre elle-même était-elle, encore il y a peu, considérée comme une maladie mentale ? 

J’ai écrit en 1996 un livre intitulé Folie et démocratie. J’y annonçais le déferlement de la folie dans l’histoire, dû à la désuétude de toutes les grandes dichotomies qui soutenaient, tel un fondement, la culture occidentale : logos/pathos, même/autre, bien/ mal, présence/absence, intelligible/sensible, masculin/féminin, nature/culture, sujet/objet, humanité/ animalité, etc. Annonçant cela, j’ai alors moi-même été pris pour un fou. Aujourd’hui, nous y sommes. Le déni de la différence masculin/féminin ― ce qu’on appelle la non-binarité ― fait particulièrement symptôme. Celui qui affirme ce déni aurait été classé comme psychotique il y a quelques années. Aujourd’hui, il est admis, voire encouragé, au point qu’on doit accueillir ce déni pour reconstruire toute la culture, de même que le droit et l’éducation. Bientôt, cet ancien psychotique devient la norme et se met à classer les « normaux » comme dingues. Nous sommes en bonne voie puisque les hétérosexuels sont de plus en plus soupçonnés d’être des psychopathes créés par le « vieux mâle blanc occidental ». 

L’ordre du marché est en train de consumer le monde pour satisfaire le toujours plus, la pléonexie. Pour ce faire, il en passe par la destruction de l’être, son psychisme, sa culture (culture, rappelons-le, « non essentielle » lors de l’événement covid). Ce n’est que la suite du délire occidental ? 

Oui. C’est clairement la suite du délire occidental. Ça atteste qu’on veut toujours plus, dans tous les domaines. Ce qui pose deux questions. Premièrement, à quel point les autres cultures accepteront ce délire, en Afrique, dans le monde arabe, dans le monde slave, en Inde, en Chine…? Deuxièmement, ne serait-ce pas à penser comme les prémices du suicide occidental ? 

Le trans fait partie de la panoplie transhumaniste, avec comme point d’orgue la mort de la mort. Vous citez dans votre ouvrage (p. 106) le pape du transhumanisme, James Hughes, ancien directeur de la World Transhumanist Association, qui a dit des transsexuels qu’ils étaient « les troupes de choc du transhumanisme ». Les deux sont intrinsèquement liés ? 

Oui, et ce n’est pas moi qui le dis. C’est le/la chantre de la transidentité, Paul B. Preciado. Après avoir invoqué, je cite « Internet, la physique quantique, la biotechnologie, la robotisation du travail, l’intelligence artificielle, l’ingénierie génétique, les nouvelles techniques de reproduction assistée, et le voyage extraterrestre [qui] précipitent également des changements sans précédent vers l’invention d’autres modalités d’existence entre l’organisme et la machine, le vivant et le non-vivant, l’humain et le non-humain », « iel » indique, au comble du bonheur, qu’« un bouleversement comparable à celui qu’a impliqué au début du siècle dernier la mécanique quantique et les théories de la relativité en physique se produit aujourd’hui dans le domaine des techniques de reproduction de la vie ainsi que de la production collective de la subjectivité sexuelle et du genre ». 

Nous sommes tous des êtres à qui il manque quelque chose – la violence du transsexuel (quand on lui dit qu’il est impossible de changer de sexe) qu’on met en face de son délire, est peut-être liée à cela, il sait qu’il ne réparera rien ? Qu’il y a un manque fondamental irréparable, mais paradoxalement que ce manque est à l’origine également de la créativité humaine, de sa richesse. 

Belle question. J’ai souvent fait état dans mes travaux de la néoténie de l’homme qui réfère à son état d’inachèvement à la naissance. Un manque originel qui demande à être comblé. Or, il y a deux façons de le faire : par la culture ― ce qui était la voie jusqu’alors choisie, ouvrant à l’infini de la créativité humaine — ou par la réparation de l’« erreur humaine », en intervenant directement sur sa nature moyennant les technosciences. Je constate avec effroi que celles-ci s’imposent de plus en plus au détriment de la créativité humaine, d’autant mieux que ce qui reste de celle-ci est de plus en plus soumis à l’« intelligence artificielle », ChatGPT, Midjourney et autres. 

On punit un enfant de quatre ans parce qu’il regarde sous les jupes des filles, mais on distribue des guides d’éducation à la vie sexuelle et affective où on leur dit qu’à 4 ans ils pourront choisir leur sexe plus tard ; à 9 ans on leur parle de prise hormonale et de bloqueur de puberté. On marche sur la tête ? 

Certes, on marche sur la tête. Mais surtout, on marche sur les têtes. On les écrabouille pour mieux les reconfigurer. Il s’agit en effet qu’elles n’entendent plus l’évidence : il y a des hommes et des femmes. Et qu’elles croient qu’elles peuvent décider de ce qui leur convient. J’y vois un clair encouragement à la psychose sociale ― au sens d’une psychose qui ne résulterait plus de causes internes (dues à l’histoire personnelle), mais externes (dues à l’environnement). 

Le délire occidental, c’est aussi celui de sa supposée supériorité. Derrière la valorisation LGBTQIA+, on a aussi toute la supériorité occidentale, qui fait la leçon aux pays qui pratiquent l’excision, mais charcute ses jeunes pour l’illusoire changement de sexe… 

C’est une des raisons pour laquelle je pense que ce mouvement ne peut pas tenir longtemps. Il est trop plein de contradictions. Pourquoi en effet condamnerait-on l’excision là si l’on admet ici la mutilation sexuelle ? C’est un petit carnaval, pour chauffer les esprits, avant que les choses vraiment sérieuses commencent bientôt : eugénisme, amélioration de l’espèce, hybridations homme/ machine, grand remplacement de l’intelligence naturelle par l’intelligence artificielle, etc. 

À la fin de votre ouvrage, vous notez que le maître antique, celui des monothéismes, a promis aux sujets la vie éternelle. Celui du capitalisme, la richesse. Et le maître post-moderne, celui du néolibéralisme, leur promet maintenant de sortir de leur condition sexuée. 

Oui. J’en ai tiré une loi : le Maître est le Maître parce qu’il propose l’impossible. Il est celui qui réussit à tenir les gens avec des fausses promesses dans lesquelles beaucoup tombent à pieds joints. C’est ainsi qu’il assure son emprise. Je parie que la prochaine fausse promesse ne consistera plus à promettre la vie après la mort, mais la mort de la mort. 

LANGAGE ARTICULÉ 

Revenons au refus de tout dialogue. Il faut déjà accepter le dialogue pour vous entendre. Mais toute cette mouvance ne signe-telle pas déjà la fin du discours articulé ? N’est-ce pas trop tard pour éveiller le sujet LGBTQIA+ ? Vous dites d’ailleurs que face à cela, la seule solution est de « laisser l’autre à son délire en évitant, par compassion pour le genre humain, de continuer à diffuser l’ineptie ». 

Le délire se présente comme un sommeil plus ou moins profond de la raison. Ce qui signifie que, quand quelqu’un est parti dans un délire (de secte, de transidentité…) ― un délire entretenu par beaucoup d’autres, dont les réseaux sociaux ―, les appels à la raison sont vains. Il n’y a alors plus qu’à se mettre dans la peau de Winston, le héros de 1984 d’Orwell, qui répète contre le Parti certaines évidences niées par ce Parti. Il se forge ainsi ce mantra : « L’évidence, le sens commun, la vérité, doivent être défendus. Les truismes sont vrais. Il faut s’appuyer dessus. Le monde matériel existe, ses lois ne changent pas. Les pierres sont dures, l’eau humide, et les objets qu’on laisse tomber se dirigent vers le centre de la terre […]. La liberté, c’est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Lorsque cela est accordé, le reste suit ». Aujourd’hui, c’est pareil avec le Parti trans, il faut répéter que non, les femmes ne possèdent pas de pénis, et que non, les hommes ne possèdent pas de vulve. Il arrive alors parfois que, chez un trans, une petite lueur de raison s’allume et qu’il se rende compte qu’une femme est une femme et qu’un homme est un homme. Alors peut s’engager le douloureux et salvateur processus de détransition que j’ai évoqué plus haut. 

Dans ce processus, l’invective est utilisée, pour catégoriser l’autre et empêcher l’échange. Parmi les sophismes, il y a la confusion volontaire et entretenue entre la crainte de cette promotion du changement de sexe et l’homophobie. 

On entend souvent dire en effet que la transphobie est aujourd’hui ce que l’homophobie était hier. On a fini, dit-on, par accepter la seconde, on finira bien par accepter la première. Eh bien, ce n’est pas comparable. Car l’homosexualité est une option parfaitement possible dans la structure subjective. Elle a d’ailleurs existé de tout temps, dans toutes les sociétés comme en témoignent, par exemple, les Hijra de l’Inde, les Fa’afafine de Polynésie, les Kathoeys de Thaïlande, les Sworn virgin des Balkans, les Akava’iné Maoris, les Burnesha d’Albanie, les Bakla des Philippines, les Winkte Sioux d’Amérique, les Muxe du Mexique et bien d’autres. L’homosexualité correspond à la possibilité effective de choisir son genre, par exemple en présentant 20, 50 ou 200% (par ex. les drag queens) de traits correspondant à l’autre sexe. Rien de tel dans la transidentité qui, elle, se fonde sur un leurre : choisir son sexe. Ce qui est impossible. La preuve : un transsexuel, male to female, après une opération dite de transition vers le sexe femelle, restera avec le gène SRY au fond de ses cellules, qui détermine une fois pour toutes son sexe mâle avec toutes ses implications, notamment qu’il n’aura pas de menstruations et qu’il ne pourra jamais porter un enfant comme une femme. Quant à la transsexuelle femelle réassignée en mâle, elle (ou il) ne disposera pas du gène SRY et ne connaîtra jamais l’érection spontanée qui caractérise la vie et la sexualité d’un homme et sera réduite à actionner une prothèse pénienne avec une pompe dissimulée dans l’un des testicules reconstruits. 

À ce titre, l’insulte transphobe en dit long ? 

Si vous objectez quoi que ce soit au discours trans, alors vous voilà stigmatisé comme transphobe. C’est ainsi que beaucoup, qui n’en pensent pas moins, choisissent de se taire de peur d’être estampillés de l’encombrant attribut et de passer pour des transphobes actifs, ceux qui cherchent à stigmatiser, à enfermer ou à maltraiter l’autre. Cependant, je rappelle que « phobique » a aussi et d’abord un sens passif où l’on se trouve effrayé, sujet à la crainte, comme l’agoraphobe se trouve effrayé devant la foule ou le claustrophobe face à l’enfermement. Bien sûr, les défenseurs de la transidentité jouent sur les deux sens : ils font passer le transphobe passif pour un transphobe actif. C’est totalement abusif. Ainsi, moi, je suis peut-être un transphobe passif au sens où le trans opéré me fait (philosophiquement) peur puisqu’il attente à la condition humaine marquée par la différence sexuelle, mais je ne suis nullement un transphobe actif. Je condamne en effet sans appel tout acte de maltraitance passé, actuel et à venir à l’encontre des trans que je considère comme des personnes en souffrance essentielle, qui se sont laissé berner par une fausse promesse et qui méritent compassion et secours s’ils le demandent. 

La fin du discours et du débat signe le début de l’idéologie et du totalitarisme. L’idéologie LGBTQIA+ a ses représentants, avec des Butler ou des Preciado, ces « non op », dont vous dites qu’il ne serait pas abusif des les considérer comme responsables « de l’envoi sur le Marché boucher du changement de sexe de centaines, voire de milliers de candides candidat.e.s à la réassignation sexuelle ». 

Oui, Butler et Preciado sont dans la position confortable d’intellectuels qui théorisent la transidentité. Des sortes de super influenceurs opérant à partir de positions de pouvoir universitaire. Il leur aurait été possible de prévenir clairement les candides candidats à la réassignation sexuelle par des moyens chirurgicaux que ça ne marche pas très bien. Mais ces deux prestigieux non op n’en ont rien fait, alors qu’elles savaient. L’une et l’autre savent en effet ce qui est arrivé à David Reimer, premier garçon chirurgicalement réassigné en fille sur les conseils du pédopsychiatre John Money, fondateur des Gender Studies, ce mouvement où le sexe a cessé d’être une « réalité anatomique » pour devenir un « construit social ». Le résultat de ces belles théories est que David Reimer s’est suicidé en 2004, date après laquelle Butler est, comme par hasard, subitement sortie de la problématique du genre sans prendre la peine d’expliquer à ces lecteurs pourquoi cet évènement remettait quelque peu en question ses assertions passées. 

LE DROIT ET L’ILLUSION DE RENDRE JUSTICE 

Quid du droit des femmes ? Certains disent que c’est encore, paradoxalement, une victoire d’une forme de patriarcat, de domination masculine ? 

Oui, je comprends parfaitement que les femmes nées biologiquement femmes soient choquées et révulsées quand elles entendent les femmes trans (MtoF) leur dire qu’elles sont les vraies femmes au motif que, « elles », elles ont choisi ce « devenir femme », alors que les femmes biologiques n’ont fait que profiter de la loterie génétique… 

N’en est-il pas de même avec l’écriture inclusive, novlangue qui se donne les atours de l’égalité, alors qu’elle se fonde sur des faux présupposés (notamment que la langue française comporte un genre masculin et féminin), qui en fin de compte, citant le linguiste Jean Szlamowicz, construit « une misogynie imaginaire qui laisse prospérer la misogynie ordinaire ». On feint d’établir justice et égalité pour mieux pérenniser la domination ? 

Oui, l’écriture inclusive se fonde sur de faux présupposés en faisant se recouvrir le genre grammatical dans la langue et le sexe des individus. Or les deux ne se recoupent que très peu. Ou alors il faudrait qu’on m’explique en quoi une chaise est plus féminine qu’un tabouret. Ou pourquoi un escabeau est plus masculin qu’une échelle… 

L’époque a évidemment des effets sur le droit, droit qui lui-même avalise les dires du sujet, réduit à une instance « qui ne se contente plus que d’enregistrer les dires du moment des justiciables ». 

Lorsque le droit admet que les hommes puissent être des femmes et les pères, des mères, ou vice-versa, c’est que nous sommes entrés dans ce que j’appellerais un droit néolibéral sadien, que l’on peut dire incestuel au sens où plus rien n’est à sa place du point de vue des relations d’alliance et de filiation[note]. Cette fin du droit romano-germanique, où chacun était nommé à sa place, avec ses droits et devoirs, est une porte ouverte au surgissement de la perversion, sous toutes ses formes. 

Ces expériences sur les jeunes semblent aller contre le code de Nuremberg, qui interdit les expériences médicales illicites. C’est d’autant plus révoltant quand on sait que « la grande majorité des jeunes adolescents mal à l’aise avec leur identité sexuée ne persistent pas dans leur demande de transformation après la puberté (87,8%) ». 

Oui, je rappelle que le code de Nuremberg a été établi à la suite du procès (1946–47) des médecins nazis qui avaient pratiqué des expériences médicales illicites sur les prisonniers des camps de concentration dans des conditions atroces. Ce code éthique de référence établit comme critère d’acceptabilité la « capacité légale de consentir » du patient. Or, sachant que le traitement par inhibiteurs de puberté peut commencer avant 10 ans, on se retrouve loin de l’âge requis pour consentir stipulé par ce code en vue d’établir des repères solides après l’effondrement moral et civilisationnel du XXe siècle provoqué par le nazisme. 

LE PHÉNOMÈNE TRANS CONTRE L’UNIVERSALISME 

Les hérauts (ce mot pose en lui-même « problème » car il n’a pas de féminin…) du bannissement de la formulation dite genrée (« Bonjour à vous chers lecteurs») ou de l’inclusif avec point médian, se targuent de sortir d’un sexisme primaire en s’exprimant ainsi, mais ils ne font que promouvoir des catégorisations biologiques qui nous empêchent de gagner en universalisme, détruisant le neutre qui garantit la dimension universelle du langage. 

Le grand perdant, c’est l’universalisme (républicain) qui posait des valeurs communes pour lesquelles il valait la peine de se battre comme, par exemple « Liberté, Égalité, Fraternité ». Et le grand gagnant, c’est la ghettoïsation démocratiste, avec l’apparition de groupes identitaires. Chaque ghetto fonctionne au mimétisme avec des identiques qui exhibent le même critère biologique ou intime (homme/femme, noir/blanc, type de sexualité…). Chaque groupe identitaire exige que ses droits particuliers soient inscrits dans le droit, la langue, la culture et l’éducation. Et chacun brandit sa soi-disant morale supérieure, en guerre permanente contre les autres. 

En opposant de plus les femmes aux hommes, on occulte la diversité au sein de chaque groupe. Cette destruction est d’ailleurs visible dans certains supposés combats pour l’égalité des sexes, qui rappellent une réflexion de l’auteur de La Diversité contre l’égalité, évoquant des femmes issues de Wall Street et de Wall Mart marchant ensemble pour le droit des femmes : « Le salaire horaire moyen d’un employé à temps plein de Wal-Mart s’élève à environ 10 dollars. En travaillant quarante heures par semaine, un employé de Wal-Mart gagne donc 400 dollars par semaine, soit presque 21.600 dollars par an. Les femmes, victimes de discrimination, gagnent un peu moins, les hommes un peu plus. La différence, selon Richard Drogin, le statisticien qui a analysé les chiffres lors du procès pour discrimination, est (pour les salariés à l’heure) de 1.100 dollars par an. Disons donc que les femmes salariés de WalMart gagnent environ 20.500 dollars par an. Il leur faudrait par conséquent 60 ans pour amasser ce que les femmes salariées de Wall Street – également victimes de la discrimination – gagnent en un an. Bien entendu, les hommes salariés de Wall-Mart – qui sont les bénéficiaires de cette discrimination , puisqu’ils gagnent 21.600 dollars par an – s’en tirent mieux : il ne leur faudrait qu’environ cinquante-sept ans pour atteindre cette somme. Autrement dit, à Wal-Mart, on a des femmes qui se battent pour obtenir des parts légitimes d’un gâteau si ridiculement petit que, l’obtiendraient-elles, il ne parviendrait même pas à les nourrir. Se représenter les femmes de Wal-Mart comme marchant coude à coude avec leurs camarades de chez Morgan Stanley ou de Harvard pour défendre leurs droits est donc parfaitement grotesque, de même qu’il est parfaitement grotesque de considérer leur problème comme un problème de discrimination sexuelle[note] » 

C’est dans des exemples comme ceux que vous exposez qu’on s’aperçoit qu’on ne peut pas substituer des critères identitaires aux critères de classe. 

La lutte trans est par ailleurs présentée comme progressiste et égalitaire, alors qu’elle est profondément réactionnaire. Pier Paolo Pasolini, que vous citez, écrivait que le pire qui pourrait arriver aux homosexuels [par ailleurs lui-même homosexuel] serait d’être tolérés : « Il est intolérable […] d’être toléré ». Car être toléré, c’est être obligé de rentrer dans la norme et de participer à ce qu’il appelait « la grande bouffe névrotique », la consommation, seul horizon offert par le divin marché. Dans Salo ou les 120 journées de Sodome, il montre que « la soi-disant libération sexuelle réalisée sous l’égide de la société de consommation et du capitalisme est une tromperie obscène où tout s’expose ». 

Oui, aujourd’hui, comme Pasolini l’avait génialement anticipé, au contraire de Foucault, le Marché est devenu total, aux deux sens du terme : il a pénétré dans toutes les activités humaines et il atteint jusqu’à l’intime. Beaucoup de ces groupes qui se croient progressistes ont plusieurs trains de retard, ils combattent encore le vieux capitalisme patriarcal qui n’existe plus guère que comme réminiscence, alors qu’ils ne savent pas qu’ils sont les meilleurs représentants du nouveau capitalisme libidinal qui s’est mis en place. 

Et les politiques, de l’extrême gauche à la droite, tombent à plat ventre dans l’idéologie Trans[note] …alimentant l’extrême droite. Je vous cite : « Plus le gauchisme wokiste butlérien s’imposera en affirmant que toutes nos certitudes élémentaires sont des illusions ne résultant que de la violence du système colonial, patriarcal ou hétéro-binaire, plus il suscitera des retours de bâton venus d’une ultra-droite (para-trumpienne) lasse de cette magie à deux sous et prête à encenser un grand chef autoproclamé distribuant des armes au troupeau[note] ». (p. 133). 

Oui. Il faudrait quand même se rendre compte qu’il n’y a pas besoin d’être d’extrême droite pour combattre ces groupes identitaires. C’est justement un tel espace que j’essaie, avec ce livre et avec d’autres, d’ouvrir à gauche. 

Propos recueillis à distance par Alexandre Penasse, mai 2023. 

* Le philosophe Dany-Robert Dufour (né en 1947) est précédemment l’auteur de plusieurs essais critiques de l’idéologie libérale, entre autres : Le divin marché. La révolution culturelle libérale (Denoël, 2007), La cité perverse. Libéralisme et pornographie (Denoël, 2009), L’individu qui vient… après le libéralisme (Denoël, 2011), Baise ton prochain. Une histoire souterraine du capitalisme, Actes sud, 2019). 

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