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Si seul on va plus vite, ensemble on va plus loin

Durant des générations, nous avons tous été programmés pour un monde de consommation du « toujours plus ». Mais face à ces temps amenés à se dégrader, si nous devions vraiment être en difficulté durant les prochaines décennies, nous aurons besoin de connaître nos voisins en nous rebranchant sur le vivre ensemble et le service des autres. Nous allons devoir mutualiser nos talents, nos savoirs et savoir-faire pour construire des réseaux de partage et entraide, en essayant de voir nos voisins comme des tremplins et non des obstacles. Nous sommes tous interdépendants et la seule chose qui nous reste à faire, c’est créer des liens, tout comme dans la nature et le vivant. C’est aussi la possibilité d’entreprendre à plusieurs ce que l’on n’aurait pas imaginé entreprendre seul. Ne devrions-nous pas prendre l’exemple des abeilles, où l’échange et le partage concourent à l’équilibre de la ruche ? Les abeilles ont pris conscience de leur unité. À nous de créer des liens similaires, une économie d’échange où les gens se connaissent, coopèrent en visant des objectifs qui profitent au plus grand nombre. Que celui qui sait couper du bois le coupe pour celui qui n’en a plus la force physique, et celui qui n’en a plus la force coupe les légumes pour la soupe. Ce qu’il nous faut, c’est refaire naître en nous l’envie de nous battre tous ensemble. Ainsi, depuis pas mal de temps déjà on constate l’apparition de plus en plus d’initiatives créatrices de nouvelles solidarités. Certains pensent à réduire leurs espaces habitables en les partageant avec d’autres, en habitats participatifs ou groupés. Cela permet entre autres et par exemple de s’accoler en maisons mitoyennes à ses voisins en se réchauffant les uns les autres. Voilà donc une solution bien dans l’esprit « bioclimatique ». D’autres imagineront des groupements d’achat, des services d’échanges locaux (SEL) et diverses autres associations comme Solaris[note], un réseau d’entraide. Ces contacts humains, échanges et rencontres entraîneront du bonheur, mais tout cela n’ira pas sans souplesse et tolérance. 

CHANGEONS DE PARADIGME 

Notre modèle s’effrite, tous les chiffres sont affolants et ce qui nous pend au nez est la disparition de la vie sur Terre. Face à cela, il est temps d’explorer d’autres pistes en vue du monde de demain. Notre civilisation de la combustion énergétique n’a pas arrêté de produire des déchets, contrairement à la nature. Aussi pourquoi n’imiterions-nous pas, nous aussi, la nature en transformant nos déchets en ressources ? L’usage des toilettes sèches est un bon exemple. Elles évitent d’utiliser de l’eau potable pour évacuer la matière fécale, laquelle servira ensuite de compost. Tout dans la nature est en relation, en interaction, et si on ne va pas rapidement vers une prise de conscience collective, on va droit à la catastrophe. Cela demande de cerner et définir nos objectifs, de voir ce dont on a réellement besoin ici et maintenant afin de nous offrir un imaginaire plus agréable que l’actuel. Pour changer et faire face à ce nouveau monde, il faut apprendre à quitter sa petite zone de confort. La question à se poser est celle de savoir ce que nous sommes prêts à abandonner. 

Malheureusement, aujourd’hui, rien ne nous pousse ou ne nous invite à construire le changement dans la sobriété. Notre société globalisée et interconnectée rend les changements très difficiles. Si on souhaite que « cela bouge », il faut parfois établir des rapports de force avec les institutions qui ont le pouvoir, car naturellement elles ne bougeront pas. Aussi, il serait parfois légitime d’oser dire non à ce qu’on ne veut pas, pour faire changer la ligne de ce qu’on nous impose arbitrairement. Face à certaines réglementations absurdes, la désobéissance est le seul moyen de fragiliser l’oppression. Un exemple : l’architecture qui se construit est trop souvent une architecture de façade, qui se montre, doit se voir de l’extérieur. C’est trop souvent de l’architecture de l’oppression qui contredit l’habitat léger, la « cabanisation ». Aussi pourquoi ne pas oser demander des dérogations afin de sortir de tous ces diktats de l’urbanisme ? La clé étant de ne plus accepter ce qui va à l’encontre du changement. Comme ce changement ne viendra pas d’un gouvernement qui prône la croissance et refuse de prendre les mesures qui s’imposent, c’est à nous de montrer la direction à suivre, de changer nos comportements et d’opérer la transition. Pour exemple, prendre des auto-stoppeurs aura pour conséquence de désengorger les embouteillages du matin et du soir. Nous disposons peut-être d’un certain pouvoir de changer le système, comme la grève générale des achats. C’est ce que nous disait Coluche à sa façon : « Quand on pense qu’il suffirait que les gens n’achètent plus pour que ça ne se vende pas ! ». Aujourd’hui nous avons besoin de solutions radicalement nouvelles, adaptées aux défis présents. Dans un monde de biodiversité, il faut une biodiversité de solutions, ce ne sera pas l’unique solution, mais des éléments de solution. Encore une fois, ce n’est qu’ensemble qu’on pourra s’en sortir. Il nous reste à nous adapter[note] en mettant une autre société en place, une société de partage responsable et solidaire. Orientons-nous donc vers une forme de simplicité sans croissance, en créant des systèmes faits de petites structures locales, souples, faciles à gérer et en en revenant à une échelle qui permet de passer à l’action rapidement. 

PENSONS « AUTONOMIE » 

Comme nos ressources ne sont pas inépuisables, il s’agit d’apprendre à vivre avec un minimum de celles-ci, un minimum de gaspillage et un maximum d’ingéniosité. Ne serions-nous pas plus libres et indépendants, notamment dans les domaines alimentaires, en acquérant quelques bonnes terres ? Faute de celles-ci, il reste l’alternative de se tourner vers les magasins locaux. Ce pourrait aussi être le plaisir de s’enrichir en créant de bonnes relations, non monétarisées en utilisant la June, une monnaie libre3 . Imaginons une diversité d’approches, et interconnectons-nous localement en réseaux intimement liés. Concrètement, cela pourrait consister à apprendre à vivre sans voiture et sans supermarchés, à privilégier le petit, le frugal, le local. Après la nourriture, il faut nous abriter ; une règle élémentaire pour construire pas cher, c’est l’autoconstruction. Construire demande un peu de bon sens, mais on peut aussi se faire aider par des personnes qui s’y connaissent ou mettre en place des chantiers participatifs, où l’on invite des personnes à venir vous aider et à qui vous donnez des conseils, en échange du couvert et du gîte. Si vous manquez de savoirfaire, une seconde règle consiste à vous faire aider par des corps de métier qui travaillent en régie et se font payer selon les heures prestées et non sur base de devis sur lesquels ils 

auront pris une marche de sécurité. Une troisième règle est de se servir des matériaux qu’on a à portée de main ou des matériaux de récupération. À titre d’exemple, il y a la possibilité de construire ses fondations au départ de vieux pneus. S’il est également un matériau facile à trouver, c’est bien de la terre. Si votre terrain est argileux, prélevez-en donc de l’argile pour construire vos murs. Il suffira de tester la quantité d’argile que contient le sol. Si vous êtes proche d’une forêt, essayez d’utiliser un maximum de bois pour la construction. N’oubliez pas cet autre matériau isolant qu’est la paille. Pour le toit, il n’est pas bien difficile de récupérer des tuiles. Les toitures végétales sont également assez « tendance » et apportent une très bonne isolation. Une fois le gros du chantier réalisé, il faut encore penser à l’énergie. Comment aménager son intérieur avec peu d’appareils électriques. Il est possible d’installer des panneaux solaires. Concernant l’eau, on compte environ 60 m³ d’eau par personne et par an. Il faudra donc installer des cuves de récupération d’eau de pluie de taille adaptée. Le meilleur matériau de stockage de l’eau est la pierre calcaire ou le béton. Le béton (basique) permet de neutraliser l’acidité de l’eau de pluie et donc de la rendre potable. Mais avant tout, commencez par éviter de gaspiller l’eau, notamment dans les chasses. Pour cela, adoptez la toilette sèche. Le traitement des eaux usées n’en sera que plus simple. Il pourra se faire par deux fosses septiques successives, facilement constructibles par vous-même en raison de sa simplicité (voir le système Traiselect [note]). Vous pouvez l’accompagner d’une petite station de phytoépuration, le traitement de l’eau par des plantes. Vous pouvez chauffer votre eau via des panneaux thermiques, mais aussi en bricoler un en déroulant un bon vieux socarex (tuyau en polyéthylène noir), éventuellement sous une vitre. Avant de chauffer votre maison, commencez par bien l’isoler, puis pensez à une chaudière à bois qui vous permettra peut-être également de cuisiner. D’autres techniques existent également, comme le mur Trombe[note]. La gestion des déchets est aussi primordiale pour vivre en autonomie. La solution simple est d’en produire le moins possible, en privilégiant par exemple des produits sans emballage. Pour conclure, je rappellerais qu’on vit bien plus facilement l’autonomie ensemble que seul. À ce propos, l’habitat groupé pourrait être un prochain sujet. 

Christian La Grange 

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Brèves

POUR LA LUMIÈRE SUR LES DÉGÂTS DES VACCINS 

Concernant les effets graves des vaccins contre le covid-19, un enjeu important est la possibilité d’autopsies. Plusieurs obstacles peuvent se présenter : même si la victime aurait souhaité que son corps soit soumis à ce procédé, la famille peut s’y opposer, car pas conscientisée ou réticente à l’idée que le corps du proche soit abîmé, ce qui est bien sûr compréhensible et respectable. Mais l’enjeu d’éclairer les causes l’est aussi (voir notamment, dans ce numéro, l’article sur les problèmes cardiaques et les vaccins à ARNm, avec des infos sur un des remèdes possibles). À cet égard, un avocat engagé et connaisseur de la problématique m’a formulé cette idée très pertinente : celle d’une lettre d’intention d’autopsie, en cas de décès soupçonnable d’être une suite des vaccinations, sur le modèle de la déclaration anticipée relative à l’euthanasie. 

D. Z. 

NÉCROLOGIE NÉOLIBÉRALE 

Ça dégage chez les néolibéraux « canal historique ». Après le Chilien Sebastian Piñera, mort à 74 ans le 6 février dernier aux commandes de son hélicoptère, le Canadien Brian Mulroney s’est lui éteint paisiblement à 84 ans, le 29 février. Ces deux hommes, qui furent un temps à la tête de leur État respectif, représentaient à merveille les noces incestueuses de la politique et des affaires. Leur sourire flamboyant manquera aux marchés. L’équipe de Kairos adresse à ceux-ci ses sincères et néanmoins satisfaites condoléances. 

B. L. 

VACCINS GÉNÉTIQUES ET SANG CONTAMINÉ 

Des scientifiques japonais publient sur preprints.org (voir https://www.preprints.org/manuscript/202403.0881/v1) un appel urgent à déterminer des lignes directrices internationales en ce qui concerne le traitement du sang issu de donneurs vaccinés (ARNm ou ADNm) ou atteints de covid long. Leur revue, qui compile et référencie les nombreux problèmes rencontrés depuis cette vaccination massive, tente d’une part de lister les différents risques possibles lors d’une transfusion, mais également transplantation d’organe en cas de donneur vacciné ou atteint de covid long, et d’autre part de donner des solutions afin de ne pas revivre les situations du sida ou de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (maladie à prion), toutes deux transmissibles par le sang. La revue n’a pas été encore évaluée par les pairs, mais les interrogations et hypothèses scientifiques sourcées semblent solides. Une information donc, à ne pas perdre de vue. 

M.F. 

JE VEUX, DONC JE SUIS ! 

Peu de temps après avoir envisagé la possibilité d’envoyer des troupes de l’OTAN en Ukraine, Emmanuel Macron s’apprête à demander à la Russie un cessez le feu lors des prochains Jeux Olympiques qui auront lieu à Paris. Il fallait oser, surtout quand on sait que le CIO a autorisé la participation des athlètes russes au JO à la stricte condition que ceux-ci concourent sous bannière neutre et qu’ils n’aient pas soutenu la guerre. 

DEUX POIDS DEUX MESURES 

Pendant ce temps, le CIO accuse la Russie de politiser le sport (cette dernière envisage en effet de créer un concurrent aux JO sous la forme des « jeux de l’amitié »), là où ce comité a lui-même confondu l’aspect politique et sportif au travers de la décision citée ci-dessus. 

K. C. 

TECHNOCRITIQUE INCLUSIVE 

Curseurs est un nouveau semestriel bruxellois d’une cinquantaine de pages, consacré à la critique de la technique. Il vient de sortir son n° 2, qui examine la pression numérique dans l’éducation, avec des articles approfondis. En soi, c’est une très bonne nouvelle. Hélas, la rédaction a fait le choix de l’écriture inclusive dans toutes ses déclinaisons, y compris les glyphes (représentations graphiques d’un signe typographique) qui rendent la lecture encore plus pénible. Un certain Emmanuel s’en explique en faisant appel à la linguistique (p. 5). Sûr qu’un linguiste comme Jean Szlamowicz (cf. Les moutons de la pensée. Nouveaux conformismes idéologiques, Le Cerf, 2022) ne serait pas d’accord… 

B. L. 

ET LA CORRUPTION ? 

Dans Le Soir du 8 mars, les présidents des partis francophones discutent de leurs recettes pour lutter contre l’extrême droite : aller sur le terrain, réguler les dépenses des partis, revitaliser la démocratie, faire ce que l’on dit, et même oser les sujets qui fâchent. Tous les sujets ? Non, pas la corruption, mot qui n’apparaît pas une seule fois dans leurs propos. Cette corruption est systémique. Ainsi, ceux qui se présentent comme ses ennemis pour se faire élire en sont eux-mêmes accusés : Marine Le Pen, son père et 26 autres membres du Rassemblement national sont poursuivis pour détournement de fonds et complicité. La classe politique actuelle est désespérante. Allez les politiques, encore un effort… dans la direction opposée ! 

B. L. 

COVIDISME PAS MORT 

À l’occasion du 4ème anniversaire de la « crise sanitaire », Le Soir des 16 & 17 mars ravive le storytelling covidiste, avec le concours de 4 Deus ex Big Pharma : nous sommes priés de comprendre que les experts avaient bien tout compris dès le départ, que la politique sanitaire menée fut sensée, équilibrée, efficace. Si « plus personne ne conteste l’utilité du masque pour freiner la transmission des virus respiratoires » (ah bon ?), les journalistes admettent quand même la réalité d’effets secondaires des vaccins (sic), seulement de « rares » cas de myocardite chez les jeunes. Lecteurs du Soir, vous voilà mentalement prêts pour la prochaine plandémie, déjà annoncée, mais qui ne sera plus due à « un descendant du sars-cov‑2 », affirme Marius Gilbert. Ça va innover dans les labos ! 

B. L. 

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Kairos 64

Censurer en coulisse pendant qu’on fait le spectacle de la liberté d’expression

Le 21 mars, j’étais invité au centre culturel de Perwez pour un apéro-débat qui devait avoir lieu suite à la projection d’un documentaire sur Julian Assange, « Hacking justice ». Quelques jours avant celui-ci, et alors que le responsable de projet du centre avait publié l’affiche de l’événement, ce dernier m’appelle : « Les membres du Conseil d’administration ont découvert que vous étiez invité et ont refusé votre présence ». Raison invoquée : je serais « transphobe » et « extrémiste ». C’est en particulier un des partenaires, la Ligue des droits humains, via son représentant Olivier Boutry, qui a fait pression pour empêcher ma présence. 

Croyez-vous toutefois que ces courageux humanistes aient donné officiellement une quelconque raison à ce refus ? Bien évidemment que non. L’annulation s’est faite en bonne et due forme, dans le secret des conseils d’administration, empruntant les habituelles et viles pratiques des partis politiques. Qu’ont-ils pourtant à cacher ? Ne font-ils pas que le bien en interdisant à ce dangereux militant d’extrême droite qu’est le rédacteur en chef de Kairos, bientôt prêt à rejoindre les rangs des skinheads en combat shoes, de venir parler ? Pourquoi ne supportent-ils pas publiquement leur décision ? La réponse est assez simple : ils n’ont aucunement les moyens d’étayer leur refus et les qualificatifs qu’ils m’accolent. Ceux-ci ne sont que le reflet d’un mimétisme niais et d’un conformisme inclusif qui leur assurent qu’ils ne seront pas exclus des instances officielles dont ils dépendent pour leur survie économique et mentale. 

Dans ce combat pour un confort personnel bien relatif, ils ne réalisent pas qu’ils sacrifient les valeurs qu’ils disent pourtant défendre : ils ostracisent le sujet et bafouent la liberté d’expression[note]. Aucune perception du flagrant délit de contradiction quand ils indiquent sur l’affiche de la soirée une citation d’Assange : « Qui suis-je ? Je me suis battu pour la liberté et j’ai été privé de toute liberté. Je me suis battu pour la liberté d’expression et on m’a refusé toute expression. Je me suis battu pour la vérité et je suis devenu l’objet de mille mensonges ». Un comble dès lors, quand on lit l’intitulé de la soirée : « Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté ». La Ligue des droits humains s’est donc dotée de représentants qui exécutent pendant qu’ils disent défendre ? 

J’ai donc écrit à Olivier Boutry, de la LDH (voir ci-dessous). Pensez-vous qu’il ait eu la décence de me répondre ? On ostracise, vilipende, assassine… mais silencieusement. 

Tout cela est-il si étonnant, au fond ? À une époque où : 

L’on commémore la Shoah, veille de huit décennies, alors qu’on massacre sous nos yeux les Palestiniens, qu’on affame et torture, et que dénoncer cela nous range comme « antisémites » – au point qu’on sait que la focalisation excessive sur le passé ne sert au fond qu’à effacer le présent. 

Évoquer l’usine à enfants qu’était par exemple l’Ukraine peu avant le début de la guerre, fournissant en enfants les couples occidentaux stériles ou homosexuels, dénoncer la marchandisation des femmes et de leur corps utilisés à seule fin de fournir une progéniture qu’elles ont bien voulu voir grandir en leur sein pour une contrepartie financière, et que ces propos nous réduisent à n’être que des « homophobes ». 

Dénoncer le business du changement de sexe comme n’étant pas la réponse à une demande soudainement en expansion, mais plus souvent la création d’un problème chez des enfants en mal d’identification, perdus dans un monde sans repère, où on les illusionne d’une solution toute faite, leur faisant croire qu’il est possible de changer de sexe, alors qu’une prise en charge thérapeutique apporte le plus souvent la solution[note], et que cela nous voue aux gémonies, frappés du stigmate de « transphobes ». 

Le sens commun disparaît, alors que l’intérêt privé est appelé bien commun et le vol « confusion administrative[note] ». Dès lors que tout est mensonge, il est inévitable que les politiques s’affairent à l’organisation médiatique d’une vérité fictive. Ils déguisent leurs mensonges, leurs perpétuelles corruptions qui en font un mode opératoire politique plus qu’un accident de parcours, confirmant qu’ils ne travaillent que pour leurs biens, qui n’ont de communs que le partage du butin entre eux, devant donc inévitablement parer leurs forfaitures des habits de la bienveillance. 

Mais il y a pire que tout cela, c’est que nous sommes entrés dans une sorte de réalité virtuelle où même la vérité révélée n’a plus aucune incidence sur le récit collectif, ce dernier étant phagocyté par des groupes médiatiques qui ont le monopole de parler pour tous les autres.. Le roi est nu, nombreux le savent, mais les gramophones médiatiques, la RTBF, RTL-TVi, La Libre Belgique… répètent qu’il est superbement habillé. Parfois, s’ils ne peuvent faire autrement, ils disent qu’il a un petit accroc dans son costume, mais rien de grave… On se sent donc parfois comme lesté par une force dont la puissance est tel l’écho d’une voix résonnant dans le désert. Une sorte de vide. 

Il faut alors du courage à notre époque pour oser la parrhêsia ou ce fait de «Tout dire», ce qui peut signifier sans doute dire n’importe quoi, sans faire de tri, sans retenue ni entraves, mais aussi, et peut-être surtout, oser dire ce que notre lâcheté ou notre honte nous retiennent immédiatement de délivrer – ou encore plus simplement : s’exprimer avec sincérité et franchise. Parler sans pudeur et sans peur. On peut donc traduire par : “franc-parler”, “dire vrai”, “courage de la vérité”, “liberté de parole” »[note]. Ceci peut donner l’impression « d’une notion recouvrant avant tout une caractérisation psychologique », alors qu’il revêt au fond « une valeur politique centrale permettant de réévaluer le rapport entre démocratie et vérité, une valeur éthique décisive pour problématiser la relation entre le sujet et la vérité, une valeur philosophique pour dessiner une généalogie de l’attitude critique ». 

C’est une condition indispensable pour sortir de notre condition d’esclave, contrastant avec cette obéissance conformiste majoritairement répandue : « Le franc-parler démocratique se distingue donc du parler craintif et soumis de l’esclave, il ose introduire le risque de l’inégalité et de la rupture des unanimités passive. Il se distingue encore de deux autres régimes de parole. Il s’oppose d’abord au discours des flatteurs. Le parrèsiaste (…) est celui qui, à l’inverse des démagogues ne cherchant à faire entendre au peuple que les opinions que ce dernier prend plaisir à écouter, prend sur lui de proclamer des vérités désagréables à entendre, faisant dissensus et entraînant le risque d’une réaction populaire hostile ». On retrouve ici le principe premier de George Orwell, qui écrivait « La véritable liberté d’expression, c’est de dire aux autres ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre ». Non pas pour un plaisir vicieux de déplaire, mais parce que la vérité, la plupart du temps, ça déplaît ! « La parrêsia dit vrai, elle est donc le droit de dire vrai, en face de celui qui est fou, de celui qui ne détient pas la vérité. Et [quelle] plus grande douleur que se trouver dans une situation d’esclave, soumis à la folie des autres, alors que l’on pourrait dire la vérité et que l’on ne peut pas »[note]. 

Le sujet qui a le courage de dire vrai devant les autres doit s’attendre à être exposé publiquement et lynché médiatiquement, d’autant plus s’il avait déjà une certaine notoriété publique. Comme l’écrivait Guy Debord : « Là où personne n’a plus que la renommée qui lui a été attribuée comme une faveur par la bienveillance d’une Cour spectaculaire, la disgrâce peut suivre instantanément. Une notoriété anti-spectaculaire est devenue quelque chose d’extrêmement rare […] Être connu en dehors des relations spectaculaires, cela équivaut déjà à être connu comme ennemi de la société[note] ». Sans cette anticipation, il risque de vivre très difficilement la destruction subjective dont il sera l’objet, un peu comme un boxeur qui enfilerait ses gants mais oublierait le casque, ingénieusement confiant que la vérité sera acceptée par des sujets qui « tout de même, ne peuvent l’ignorer ». 

La parrhêsia authentique doit toutefois se distinguer d’un mode de « tout dire déréglé, altéré, dénoncé par Platon dans le livre VIII de sa République, et qui serait finalement le droit reconnu à tous de dire tout et n’importe quoi, qu’on fait valoir comme preuve du bon fonctionnement démocratique »[note]. Cela nous rappelle Nuit debout, ou les sempiternels commentaires sur les réseaux sociaux. 

On retrouve dans le concept de parrhêsia, aussi l’idée de changement social : « La parrhêsia est une parole de vérité certes, mais sa fonction principale est de faire bouger les lignes de force des existences plutôt que de nourrir l’écriture de traités »[note]. Nous touchons ici à la question de la pensée libre, de penser par soi-même, en se nourrissant de l’apport des autres, évidemment, car le langage et la pensée nous viennent toujours des autres. La parole parrhèsiastique est définie par « le tissage de nœud serré entre vérité, liberté, courage et subjectivité[note] ». 

FAIRE SEMBLANT DE FAIRE UN DÉBAT… DÉJÀ ANNULÉ 

Des représentants du comité Free Assange Belgique devaient, sur ma proposition, m’accompagner pour le débat. Leurs réactions à l’interdiction que je sois présent, fut digne : 

« Je suis choquée de cette exclusion qui n’a aucun sens, encore moins dans un débat sur la liberté d’expression ! Si Alexandre ne peut pas y aller, je ne comprends pas comment nous pourrions tenir un débat serein ?Je ne comprends pas non plus comment la Ligue des droits humains peut cautionner cette exclusion. Ces personnes ont-elles lu ce qui a été écrit dans Kairos à propos d’Assange ? Ont-elles écouté les émissions sur Assange ? C’est bien de cela que l’on aurait dû parler, d’Assange, de WikiLeaks, de la nécessité de pouvoir continuer à dénoncer les crimes de guerre.C’est bien de cela que l’on aurait dû parler, de la façon dont les États-Unis veulent détourner le projecteur braqué sur eux par Assange vers Assange lui-même pour qu’on oublie leurs crimes. Le débat ne peut pas avoir lieu. C’est désolant ». 

Un autre orateur attendu pour le débat réagira : 

« Bonjour, est-ce que ces braves gens te donnent une raison pour ce Berufsverbot ? Comme ça au moins on pourrait réagir. Personnellement je trouve qu’on ne peut pas participer à un débat sur le journaliste Assange en excluant un autre journaliste du débat ». 

Après leur excommunication silencieuse, les libres esprits du centre culturel de Perwez auraient voulu que des représentants du comité Free Assange Belgique soient tout de même présents et participent au débat, ce que ces derniers ont refusé[note] : 

« Bonjour,Je prévoyais un peu cette «solution». Une solution sans doute de compromis pour que le ciné-club de Perwez puisse continuer. Elle n’est cependant pas bonne ! D’abord l’interdiction de la venue d’Alexandre Penasse pour le débat reste inadmissible.Interdire la venue d’un journaliste pour un débat sur la liberté de la presse et les enjeux qu’elle représente en démocratie, c’est la réponse par la censure à cette question importante de la liberté d’informer et d’être informé. Elle en dit long sur ce que pensent les partenaires de l’organisateur. Deuxièmement c’est priver le public du débat annoncé et qui j’en suis certaine aurait été nécessaire.Le film est très bon mais pour des personnes non informées, il est nécessaire de le remettre dans le contexte et surtout une mise au point sur la situation actuelle aurait été importante. Le film s’arrête en 2021. (…) Troisièmement, le Comité ne sera pas présent. Il est cependant dommage que si des personnes sont intéressées, elles ne puissent pas entrer en contact avec nous. Je proposerais donc une table près de l’entrée avec des tracts qui donnent les contacts, des autocollants, une liste de livres pour approfondir le sujet et… pourquoi pas quelques journaux Kairos contenant des articles sur Assange. Il n’y a pas tant de journaux qui traitent de l’affaire Assange et de ses enjeux.Tout cela est regrettable. Je continue de penser que les foyers culturels sont importants et que le public reste le plus important. Éducation populaire ? Oui éducation populaire, nous continuerons à essayer d’y apporter notre part. Merci à ceux qui essayent aussi ». 

N’est-ce pas ce qu’ils font en permanence : créer de faux débat ; censurer ; ne pas évoquer les opinions qui n’entrent pas dans leur case ; minimiser l’ampleur de l’opposition ; ostraciser celui qui pense autrement ? Les médias aux ordres adorent les scoops, les « investigations exclusives » : Pandora Papers, Panama Papers, Cambridge Analytica… les révélations explosives, faisant penser que ce sont des accidents, refusant donc d’en voir l’origine dans l’indécence structurelle de nos sociétés. Ce n’est donc pas un paradoxe si la caste médiatico-politique laisse crever dans une prison le journaliste qui a contribué à lever le secret sur les pratiques nauséabondes des gouvernements alors qu’il a permis que s’écrivent leurs articles édulcorés. Julian Assange. Leur silence est ignoble et, parfois, même s’ils en parlent, c’est pour mieux faire de l’homme une icône leur permettant d’occulter cette omniprésence idéologique où leur censure réflexe se vit comme liberté. Julian comme nouveau symbole de l’omerta. C’est un comble. 

Pour conclure, je soulèverais quelques points qui me semblent aujourd’hui fondamentaux : 

- Les gouvernements veulent, via leur service de propagande, instaurer la terreur dans les esprits, terreur dont le premier objectif est d’empêcher que s’exprime publiquement un narratif s’opposant à celui qu’ils propagent. Si certains discours subversifs se propagent toutefois – comme celui de Kairos –, ils usent des armes traditionnelles : censure, ostracisme, mesures de rétorsion économique. 

- Les élus politiques craignent plus que tout la véritable démocratie. De ce fait découle qu’ils doivent continuellement et conjointement faire deux choses : feindre sans cesse que nous sommes dans une véritable démocratie et cacher tout ce qui prouve le contraire. 

- La situation nécessite de créer de fausses dissidences afin de générer l’illusion d’une possible et démocratique opposition. Dans cette configuration, de faux révoltés apparaissent, qui ne s’attaquent pas en profondeur au système, mais illusionnent le sujet d’un changement possible, sous l’angle réformiste, prenant forme dans une grande union des contraires. 

- Les gens n’ont que très peu d’incidence sur les choix importants de société. On peut penser que des individus informés qui devraient en toute connaissance de cause prendre une décision sur le génocide à Gaza, la guerre en Ukraine, les salaires du personnel politique, la généralisation de la voiture électrique, les paradis fiscaux, les grands projets immobiliers, le référendum… iraient dans un tout autre sens que celui des gouvernements. 

Soyez assurés que la caste médiatico-politique fera tout pour empêcher de sains débats et une participation démocratique dans la gestion de la cité. 

Tirons-en les conclusions nécessaires. 

Alexandre Penasse 

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Élections et démocratie. De quel couple parle-t-on ?

Entrevue avec Michel Bureau,médecin, philosophe et fondateur de Reprise en main citoyenne, et Pierre Verjans, politologue à l’ULiège. 

Kairos : On voit que le suffrage est insuffisant ou même impropre à faire advenir une vraie démocratie, comme nous l’avait appris, au siècle dernier déjà, le journaliste Walter Lippman, qui estimait qu’une nation est politiquement stable quand les élections n’ont aucune conséquence radicale. Faut-il renoncer aux élections ? Peuvent-elles encore sauver à elles seules l’idéal démocratique ? Sinon, par quoi les remplacer ou du moins par quoi les compléter ? 

Pierre Verjans : Quand on a mis en place le système électoral en Amérique en 1776 puis en France en 1789, il s’agissait pour les pères fondateurs d’éviter de faire advenir une vraie démocratie, dans le sens du pouvoir au peuple. Le système représentatif devait par contre créer un corps intermédiaire de citoyens qui se spécialiserait dans la gestion publique en lieu et place des citoyens ordinaires. Car il fallait se méfier des foules peu instruites et instables. On postulait que les représentants se comporteraient, eux, de manière plus sage. L’intervalle des élections était calculé pour qu’il y ait non une complète reddition de comptes, mais en tout cas une possibilité pour le peuple de renverser un pouvoir qui lui serait trop hostile. Les élections ont ensuite été modifiées par les rapports de force dans la seconde moitié du XIXe siècle, quand les masses ouvrières ont exigé de participer aux élections. Le régime serait devenu intenable si on n’avait pas tenu compte de leurs revendications. C’est à partir de leur acquis qu’on commence à parler de démocratie, les représentants doivent échanger des points de vue et délibérer. Mais cette délibération s’appuie sur des rapports de force électoraux et non sur de simples arguments logiques. Comme dans le monde scientifique, il y a un entremêlement de rapports de force et de persuasion argumentative. Ainsi, ce qui est frappant dans la crise du covid, c’est que les décideurs politiques, face à l’encombrement des services d’urgences des hôpitaux et l’absence d’unanimité parmi les épidémiologistes, ont dû opter pour une manière de faire, en une absence de débat scientifique, impossible à organiser, faute de temps. Entre les épidémiologistes et virologues, dans le courant majoritaire ou dans le courant minoritaire, il s’agissait de discréditer la parole de l’autre. On a eu un vrai problème lié à l’urgence et à la panique. 

Michel Bureau : Parlons aussi de l’interaction entre le libéralisme et la démocratie représentative. Une intervention intéressante est celle d’Abraham Lincoln, qui disait que la démocratie est le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple, une formule qui amène un correctif à la démocratie représentative, mais à laquelle on objectait que pourraient arriver au pouvoir des gens incompétents. Lincoln répond que c’est l’honneur d’un pays que de former ses habitants pour occuper le pouvoir politique. Chez nous aujourd’hui, la qualité de l’enseignement est en chute libre et aboutit à l’inverse des conditions d’une démocratie réelle. Pourquoi cette démocratie représentative a‑t-elle permis que toute forme de démocratie soit annulée, au point d’en arriver pendant le covid à des tentations totalitaires, à partir du moment où l’on interdit le débat, quand on vient de voter en France une loi qui interdit que l’on discute de la science, allant à l’encontre de son principe même qui est la réfutabilité. Au Forum économique mondial (WEF), une dame a dit « la science, c’est nous » ! Le pouvoir économique s’arroge maintenant le droit de diriger nos valeurs et la science… 

P. V. : … aidé en cela par le pouvoir politique !M. B. : Oui. Le comble est que le WEF invite les présidents des meilleures universités mondiales. Toute la science et la connaissance se mettent ainsi au service de l’économie. C’est extrêmement grave. La distinction entre la science, le pouvoir et l’argent est un principe qui remonte aux anciens Grecs. Comment se fait-il qu’on arrive à une telle corruption des valeurs ? Parce que le libéralisme historique a été entre-temps transformé en néolibéralisme, avec la possibilité dorénavant pour les plus riches de prendre le pas sur les États, qui sont maintenant démissionnaires. Les tentatives keynésiennes n’ont pas fonctionné. En 2008, quand les États ont sauvé les banques, on a pensé à tort que le néolibéralisme était mort. Mais il s’est renforcé, notamment au moyen des technologies de la communication et de l’information pour mieux contrôler les populations. S’il n’y a rien en face de ce pouvoir néolibéral, c’est qu’il n’existe pas de démocratie citoyenne. Il y a des démocraties représentatives qui sont démissionnaires face aux pouvoirs économiques. Alors quelles sont les alternatives, au-delà du clivage gauche/droite ? Il faut donc changer de paradigme. 

P. V. : Le néolibéralisme s’impose à la suite du dérapage des années 1970. Après la conjonction d’un chômage massif avec une inflation à deux chiffres, la situation est devenue incompréhensible pour les économistes. Face à un mur de dettes, les dirigeants européens craignent que les banques cessent leurs prêts. Chez nous, le Premier ministre Wilfried Martens change de camp politique en s’alliant au parti libéral de Jean Gol avec un discours qui veut en priorité diminuer la hauteur de la dette. Les keynésiens n’ont pas été remplacés par des néolibéraux, ils se sont transformés en néolibéraux ! Les théories monétaristes de Friedrich Hayek submergent tout car elles paraissent adaptées à la situation. Puis, dans les années 1980/90, on déplace les dépenses de l’État du social vers l’aide aux entreprises. Inversion voulue de la logique : pour avoir de l’emploi, il faut aider les entreprises à créer de l’emploi. Dans ce but, les responsables politiques occidentaux, devenus « gestionnaires de territoire » sont en concurrence pour attirer les capitaux internationaux chez eux, et se convainquent les uns les autres d’être « dans le bon ». Est-ce qu’un système de démocratie participative aurait pu empêcher cela, j’en doute. Prenons le cas de la Suisse, où la protection sociale est majoritairement privatisée. Le peuple étant conservateur, il a accueilli les propositions néolibérales avec enthousiasme. 

M. B. : La politique de Thatcher et Reagan était une réduction des impôts et de privatisation qui a eu pour but d’augmenter la dette. Cette politique étant un échec, la troisième voie de Tony Blair et Bill Clinton est apparue. Ensuite, il y a eu une privatisation des biens communs, telle la santé, en croyant que le système allait mieux fonctionner, que cela coûterait moins cher à l’État, ce qui est faux, bien sûr. Par exemple, les firmes pharmaceutiques travaillent en flux tendu pour faire du bénéfice, et il y a fréquemment rupture du stock de médicaments, au détriment des populations. Le programme One Health est très dangereux. S’il est concrétisé, c’est l’OMS qui décidera d’à peu près tout dans les politiques de santé nationales, tout cela assorti de mesures autoritaires. Revenons à la Suisse et à la démocratie participative, dont vous parliez. Je ne la considère pas comme un exemple valable, car ce pays fonctionne grâce à un vol considérable des biens communs de l’humanité. Il héberge des firmes qui ne paient pas d’impôts. La démocratie participative ne régule rien. Au Luxembourg, JeanClaude Juncker a bien dit qu’aucun traité européen ne pouvait faire l’objet d’une discussion démocratique. Il n’est donc pas pertinent de prendre ces deux pays comme des exemples de démocratie participative. 

P. V. : Certes, mais le débat politique en Suisse reste plus vivace dans la population qu’ici. 

M. B. : C’est vrai, mais cela ne garantit nullement une politique souhaitable. Ainsi, les Suisses ont voté contre l’indépendance des juges face au politique. C’est donc toujours un régime représentatif avec toutes ses failles. 

K : Les élections ne sont-elles pas aussi une des expressions de l’individualisme méthodologique ? Peut-on refaire du commun avec elles ? 

M. B. : Non à la première question. Dans la mesure où l’être qui sort des élections a été formaté par les partis, qui à leur tour nomment les ministres. La particratie contrôle totalement la démocratie depuis le citoyen jusqu’au sommet. Non à la seconde question aussi ; Simone Weil explique en quoi les partis sont autoritaires par essence. Ce n’est pas un hasard si la démocratie représentative vend ses biens communs ! Tandis que le bien commun est la finalité d’une démocratie participative, qui pourrait toujours fonctionner avec des partis, à condition que ceux-ci soient privés des influences néfastes qui nuisent à la démocratie, comme le clientélisme, voué à diminuer. Leur influence serait limitée. 

P. V. : Pas tout à fait d’accord. Il y a des partis qui ont été créés avec une vision du bien commun et qui ont modifié la manière d’agir de l’État. Par contre, il y a eu une évolution interne avec l’alignement des partis sur la financiarisation. Le juriste Hans Kelsen proposait que le programme des partis soit élaboré par tous ses membres et que le parti ait la mainmise sur le comportement de ses élus, choses qui n’ont jamais été réalisées complètement. Kelsen misait aussi sur la diversité des partis, avec leurs visions différentes. 

M. B. : Ce que vous dites est une des mesures-phares de la démocratie semi-directe. Montesquieu rappelle que dans la démocratie antique, après tirage au sort des citoyens, c’est leur probité qui était vérifiée, par leurs compétences. Leur mandat était limité à un an puis évalué devant un comité. S’il avait été mal exécuté, les élus devaient payer sur leurs biens personnels. Il y avait une responsabilité à l’entrée et à la sortie. Ce système fonctionnait bien. 

P. V. : Mais comme les citoyens étaient tirés au sort parmi ceux qui avaient pris le risque de mettre leur nom dans l’urne du tirage au sort et qu’ils savaient qu’ils risquaient fort de devoir payer en cas de mauvaise décision, ça n’en faisait pas nécessairement une émanation de la collectivité… 

M. B. : Si on tire au sort, la diversité s’y retrouve nécessairement. Ce qui est important n’est pas tant qui va exercer le pouvoir, mais comment celui-ci va être contrôlé. Ce qui est problématique dans les partis, c’est que le contrôle du pouvoir est biaisé parce que la diversité est incomplète. C’est pour cela que Weil dit que les partis sont dans leur essence totalitaires. 

P. V. : Chez Weil, le terme totalitaire ne s’applique pas à tous les partis, mais à ceux qui déshumanisent leurs adversaires. Pour construire une vision de la société, un parti doit avoir une vision globale, « totale ». Cela ne veut pas dire que l’individu disparaît systématiquement dans cette vision. 

M. B. : C’est exact sur le versant économique, mais moi je me place sur le versant philosophique. Totalitaire signifie, comme Arendt l’a montré, que l’État s’occupe de la sphère publique et de la sphère privée. 

P. V. : Chez Arendt, la question de la vie privée est finalement secondaire, elle pointe plutôt le fait qu’une décision politique s’impose à tous. Et que le totalitarisme considère les adversaires du pouvoir comme des non-humains. 

M. B. : C’est la différence entre autoritaire — concernant l’espace public — et totalitaire — concernant la sphère privée, en plus. 

P. V. : Autre chose m’interpelle. Le tirage au sort est une expression de la diversité sociale, mais ce n’est pas pour la cause une représentation de pensées collectives, or toute la logique du débat comme manière de fabriquer une décision collective démocratique est fondamentale. La façon dont on façonne les débats est plus importante que la diversité du tirage au sort. 

M. B. : C’est exactement à cela qu’ont réfléchi les régimes qui ontadoptéladémocratiesemi-directe. Le système bicaméral associe une chambre de citoyens tirés au sort avec une chambre de ce qu’on pourrait appeler des « experts », si bien que la première chambre a à sa disposition toutes les compétences requises. Celles-ci ne sont pas déterminées par les partis ou la richesse, c’est un tirage au sort de compétences, si bien que l’État apporte la diversité sociale et la diversité technicienne. 

P. V. : Je me méfie des experts. Le plus grand danger ne vient pas des partis, mais des conflits d’intérêt. La plupart des experts viennent d’institutions ou d’entreprises où ils ont travaillé pendant des années et il est difficile pour eux de penser autrement que le milieu dont ils sont issus. Comment désigne-t-on les experts ? Comment savoir si leurs avis sont pertinents au regard des intérêts collectifs ? 

M. B. : Deux anecdotes. Lors de la crise sanitaire, aucun avertissement, dans les médias, n’annonçait les conflits d’intérêts des experts. Pourtant lors de la crise précédente du H1N1, les autorités belges avaient voté une loi obligeant les experts à déclarer leurs conflits d’intérêts. Cette fois-ci, les médias dominants n’ont pas vérifié cela. Or leurs conflits d’intérêts sont assez visibles. Leur impunité est telle qu’ils ne s’en cachent même plus ! Ceux qui briguent le pouvoir ont des conflits d’intérêts. Et vice versa. L’avantage du tirage au sort dans ce domaine est de diminuer le risque de se retrouver avec des experts stipendiés. 

P. V. : D’accord sur le constat : dans le domaine de la recherche, qui a les moyens d’embaucher des grosses équipes de chercheurs ? Ceux qui sont payés par des grandes firmes. Seule une petite partie des experts échappe à cette logique, sans compter que la doxa dit, par exemple, qu’on ne peut plus soigner le cancer qu’avec des médicaments. Par contre, je ne suis pas d’accord avec votre prescription, Michel : les experts sont situés dans la réalité sociale et ne peuvent facilement échapper aux cadres d’analyse de leur milieu de formation. Il est indispensable de s’adresser à eux, mais leur intervention provient forcément d’un point de vue. 

M. B. : Ce qui n’est pas normal est que le bénéfice dégagé dans le secteur privé par des chercheurs formés par le secteur public ne reviennent pas à la collectivité. Il y a un déséquilibre. 

K : Les élections approchent en Belgique. Avec 27,8% des intentions de vote, il y a un risque de voir le Vlaams Belang (VB) faire une percée et s’installer confortablement au parlement flamand. Selon Carl Devos, le cordon sanitaire a créé une situation paradoxale en Flandre : « À cause du cordon sanitaire, les adversaires du VB sont, par principe, contre sa participation au pouvoir. Mais pourquoi au juste ? Pourquoi le VB n’a‑t-il pas le droit de gouverner ? Quelles sont les raisons spécifiques ? Quels sont les points du programme, les propositions, les actions qui font que ce parti ne doit jamais être autorisé à gouverner et doit être très ouvertement combattu ? 

Beaucoup d’opposants au VB ne peuvent pas répondre à ces questions, parce que le cordon sanitaire les a rendus intellectuellement paresseux, alors que le VB, lui, mène une bataille d’idées féroce depuis des années… » (Le Soir, 6 mars 2024). Si une droite dure arrive au pouvoir exécutif, la Belgique unitaire peut-elle disparaître ? L’UE laisserait-elle faire ? 

P. V. : La montée de l’extrême droite est typiquement l’expression de la grande difficulté de faire un travail de réflexion approfondi. Devos a raison de dire qu’il y a du confort intellectuel. Plutôt que de se contenter de dire qu’eux sont les mauvais, mieux vaudrait analyser leurs actions qui révèlent un danger réel. Cela montrerait leur intolérance radicale, notamment au principe même du débat et, notamment à celui concernant l’immigration. Il y a un paradoxe énorme dans tous les vieux pays industrialisés, c’est que les entreprises ont besoin de main d’œuvre en masse, alors que les partis qui montent électoralement refusent l’immigration. Leurs systèmes économiques pourraient s’effondrer en une génération faute de main d’œuvre. Cette logique de destruction interne est plus inquiétante encore que la logique de guerre. À ce besoin économique, ajoutons le besoin social. Les pensions sont menacées si de nouveaux travailleurs n’arrivent pas. 

M. B. : D’accord avec vous. Si on observe l’apogée des États au cours de l’histoire, ça correspond toujours à des pays qui ont favorisé une immigration massive. L’arrêt du flux de celle-ci par le nationalisme signe le processus inverse. C’est ce que la Flandre est en train de faire. Les États-Unis, puissance économique s’il en est, est un pays d’immigration massive. 

P. V. : En Chine, c’est une immigration interne, celle des paysans qui vont travailler en ville. 

M. B. : Oui. Quand un parti d’extrême droite monte électoralement, il faut se poser deux questions. Primo, ce parti a‑t-il quelque chose d’intéressant à dire ? Secundo, en face d’eux, n’y a‑t-il pas quelque chose qui fait qu’il monte ? Autrement dit on peut devenir fort par soi-même, ou à cause de la faiblesse de l’adversaire. En Europe, les deux éléments doivent être pris en compte. L’absence de projet de société d’avenir pour les jeunes favorise le repli identitaire vers le vote d’extrême droite. 

K : Et les néolibéraux continuent à se présenter comme le meilleur rempart contre l’extrême droite… 

P. V. : C’est faux, évidemment. Les néolibéraux représentent le milieu économique. Dans le politique, ils sont perdus, ne savent plus qui ils sont ni ce qu’ils font. Ainsi Emmanuel Macron est un bricoleur idéologique, comme Mussolini, il n’a pas de ligne, il change tout le temps en fonction des circonstances. Il est certes néolibéral dans son fonctionnement fondamental, mais ce n’est pas grâce à cela qu’il a été élu, c’est en proposant un projet qui apparaissait comme une rupture « ni de gauche ni de droite ». 

M. B. : Par essence, le néolibéralisme est apolitique, ou en tout cas tend vers l’apolitisme, parce que le politique en tant qu’expression d’une diversité est inutile pour l’économie qui ne cherche qu’à imposer ce que le consommateur doit acheter. Le maintien d’une politique, quelle qu’elle soit, est un inconvénient pour les néolibéraux. Seul doit rester le consommateur formaté par la publicité et bientôt par les neurosciences, comme Joe Biden l’a annoncé récemment. Le néolibéralisme veut normaliser les populations dans ce sens. De plus, il veut concentrer le capital dans des entreprises non plus nationales mais transnationales. 

P. V. : Les grandes institutions capitalistes comme le Groupe Bilderberg, la Trilatérale ou le Forum de Davos ou, de façon plus officielle, l’OCDE, essaient de fabriquer un commun de points de vue à partir de divergences entre les grands centres de décisions, puis à l’imposer. La montée du Vlaams Belang est finalement secondaire par rapport à ce problème, même s’il est le premier parti de Belgique ! Il oblige les francophones à se positionner sur cette question finalement fédérale : que dire aux électeurs du VB ? Ne pas les insulter, mais essayer de rentrer en contact avec eux. Le VB veut la fin de la Belgique unifiée, mais l’Union européenne ne l’acceptera jamais. Si la Flandre décide de « s’en aller », elle n’ira pas loin ! Donc la Flandre mise sur une augmentation de son autonomie par transfert des compétences. 

M. B. : C’est la mise en place du confédéralisme. 

P. V. : Exact. Ce n’est pas une logique séparatiste, c’est une logique centrifuge, que l’on retrouve autant à la N‑VA qu’au VB, depuis environ le tournant du millénaire. 

K : L’appel de Thierry Bodson, secrétaire général de la FGTB, à une coalition PS/PTB/Écolo pour gouverner la Wallonie s’inscrit-il dans cette logique centrifuge ? 

P. V. : Parlons des structures de la FGTB. Un chef de l’interprofessionnelle n’y a pas de pouvoir, car les caisses de grève se trouvent dans les centrales professionnelles. C’est l’inverse à la CSC. Ce que Bodson essaie de faire est de garder une place symbolique pour ses militants en faisant entendre que là où ils se trouvent ils ont le droit d’y être ; en parlant d’une unité possible, il leur adresse le message « restez bien tous à l’intérieur du syndicat ». Il admet d’ailleurs que la probabilité de cette coalition est faible, c’est une sorte de vœu pieux… terme qu’il pourrait mal prendre ! [rires]… 

M. B. : … ou qu’il prêche pour sa chapelle ! [rires bis].

Propos recueillis en direct par Bernard Legros, mars 2024. 

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Merci à Fabrice Eulry pour son soutien!

Ce soir encore, nous avons pu réaliser que ce qui n’est pas essentiel pour le pouvoir politique est, au fond, indispensable.

Merci à Fabrice Eulry pour son soutien!Merci au public!

N’ayons plus peur de penser.Vive la presse libre! Soutenez Kairos

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Introduction d’Alexandre PENASSE à la table ronde DÉMOCRATIE*

Si nous sommes réunis ici aujourd’hui, c’est que la politique, au sens noble du terme, celui de l’organisation de la cité, donc de nos vies, nous intéresse. Pourtant, nos vies sont la plupart du temps régentées par d’autres, qu’on élit et à qui l’on délègue le soin de décider pour nous, troquant pour un confort illusoire notre liberté et notre souveraineté. Ce sont eux qui décident des médias qu’ils subventionnent, qui « aménagent » le territoire, préconisent un type d’énergie plutôt qu’un autre, usent de l’argent public pour envoyer en Ukraine des armes, confinent une population entière, ou imposent une injection expérimentale comme seule et unique remède. Au delà de tout soupçon.

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VU, LU, ENTENDU

Le covidisme a substitué un autre point Godwin — « complotiste » — à celui qui prévalait dans les années 2000 et 2010 : « populiste », un « terme élastique et sans consistance » que décortique Antoine Chollet. L’anti-populisme qui régnait alors dans les médias provenait d’une élite culturelle (sic) qui considère que le peuple est irrationnel et psychologiquement incompétent pour prendre son destin politique en main, devant dès lors remettre celui-ci et les décisions y afférant à un cénacle d’experts et de représentants. Or cela va à l’encontre du sens commun : la pratique démocratique pose que « toute démocratie repose sur une participation aussi intense que possible du corps civique » et que le peuple est souverain. Se plaçant en surplomb, ces politologues et sociologues libéraux ont beau vilipender les extrêmes du spectre politique, ils ne font que veiller au statu quo du régime néolibéral en place « en légitimant les plus vieux arguments utilisés contre [la démocratie] ». Historiquement, c’est aux populistes nord-américains du XIXe siècle, attachés à l’idée d’égalité, que l’on doit de grandes avancées démocratiques. Mais « […] [les anti-populistes] sont incapables de reconnaître l’écart gigantesque qui existe entre des acteurs politiques qui vouent un attachement sincère à la démocratie et qui militent pour un accès réel du peuple au pouvoir, un projet césariste ne flattant le peuple que dans l’objectif de gagner davantage de votes lors des élections suivantes, et un pouvoir fasciste pour lequel le peuple n’est qu’un mot manipulable de toutes les manières possibles ». Chollet appelle à la « démocratisation de la démocratie » pour faire pièce à l’« État de droit oligarchique », selon la belle expression de son prédécesseur Jacques Rancière (cf. La haine de la démocratie, La Fabrique, 2005). Il reste dans un ancrage progressiste en opposant le populisme de Lawrence Goodwin à celui de Christopher Lasch et d’Ernesto Laclau. 

Antoine Chollet, L’anti-populisme ou la nouvelle haine de la démocratie, Textuel, 2023, 155 pages.B. L. 

Historien, enseignant, membre de l’Union des progressistes juifs de Belgique (UPJB), Michel Staszewski milite aussi depuis plus de cinquante ans pour une paix juste entre Palestiniens et Israéliens. En 2023, l’État d’Israël commémore ses 75 ans d’existence et la toute-puissance de l’idéologie sioniste. 75 ans de (crimes de) guerres, de violences, d’apartheid, d’impunité, de destruction de la société et de la culture du peuple palestinien, de complicité et de lâcheté de l’auto-proclamée « communauté internationale », de mensonges, de nondits, de deux poids et deux mesures des médias chiens de garde occidentaux, culminant avec le 7 octobre 2023… Et pourtant, comme M. Staszewski le démontre, le long conflit opposant Palestiniens et Israéliens est tout à fait explicable. Pour y voir clair, il est nécessaire d’en parcourir l’histoire, d’en revenir aux faits et de démonter les mythes et préjugés qui empêchent de comprendre l’impasse dans laquelle les protagonistes restent enfermés. En lisant son livre, on imagine bien quel prof M.S. a été et pourquoi il a laissé tant de bons souvenirs aux jeunes qui ont eu la chance de l’avoir comme prof d’histoire. Son ouvrage est clair, précis, étayé, écrit sans ce jargon philosophico-scientifique à la mode aujourd’hui, qui masque souvent une pensée indigente. Deux petites interrogations, cependant : 1° Sur le terme « antisémitisme ». Qu’est-ce qu’un sémite ? Une « personne appartenant à un groupe ethnique originaire d’Asie occidentale, hébreux, arabes, assyriens, etc., de langues apparentées, abusivement seulement juif », selon le dictionnaire Robert. Donc devrait être considéré comme antisémite celui qui appelle à l’éradication des Palestiniens, et le pays le plus antisémite du monde, comme en son temps l’Allemagne nazie, est aujourd’hui Israël. 2° L’auteur s’identifie comme juif, or il le dit : le peuple juif est un mythe, il n’y a pas de peuple juif, pas de culture juive universelle exceptée la religion, mais de nombreux juifs, dont lui-même, ne sont pas croyants. Alors pourquoi encore se définir « juif » ? Je n’ai jamais compris… 

Michel Staszewski, Palestiniens et Israéliens. Dire l’histoire, déconstruire mythes et préjugés, entrevoir demain, Le Cerisier, 2023, 344 pages. Annie Thonon 

L’ouvrage de Vanina est à la fois un essai et un outil. Partant d’un point de vue féministe et communiste libertaire, qu’elle a développé dans d’autres ouvrages, Vanina nous propulse dans l’arène des luttes autour du genre, telles qu’elles évoluent sous l’effet des théories postmodernes. Critiquant la « théorie queer » et les analyses intersectionnelles auxquelles elles aboutissent actuellement, Vanina montre en quoi ces théories s’opposent au mouvement antipatriarcal et anticapitaliste. Le « trouble dans le genre », selon le titre du livre de Judith Butler paru en 1990, s’invite en effet dans le débat politique par des biais auxquels nous ne savons pas toujours répondre ou auxquels nous répondons de manière maladroite. Pourtant, comme le montre Vanina, les théories postmodernes s’assimilent largement au néolibéralisme, et nous avons besoin d’outils pour démonter des discours qui se retournent contre les femmes en lutte contre l’ensemble du système viriliste. Il fallait un ouvrage tel que celui-ci, très abondamment documenté, d’un sérieux absolu, sans volonté polémique, pour qu’enfin nous puissions sortir de l’ornière dans laquelle nous risquons de nous enfoncer si nous n’y prenons garde. Vanina ne perd jamais de vue que l’adversaire, ce n’est pas celui qui crie aujourd’hui le plus fort, mais bien ce système qui avance souvent de façon insidieuse et renforce chaque jour l’oppression des femmes, de toutes celles et de tous ceux qui luttent pour un avenir vivable, pour l’émancipation. 

Vanina, Les Leurres postmodernes contre la réalité sociale des femmes, Acratie, 2023, 326 pages, 18 €.Philippe Godard. 

Il nous le prédit dans la 4ème de couverture : « L’économie n’est ni une science ni une croyance. Elle navigue entre les deux. Mais elle sait nous abreuver de promesses d’un monde meilleur, qui ne se réalisent pas souvent… ». S’il ne s’agissait que d’une sorte de tract politique, teinté de mauvaise foi et de beaucoup d’attaques souvent arbitraires, notre esprit en fut sorti galvanisé et prêt à se battre contre l’économie capitaliste tendance illibérale. L’objectif assumé de ce livre ? Démonter le système de pensée et de fonctionnement de l’économie actuelle. Sacrée gageure, mais Philippe Godard, qui sait y faire (les lecteurs et lectrices de Kairos le connaissent bien), échappe aux deux écueils du genre. D’abord, il nourrit sa/notre réflexion de multiples références, citées in extenso, qu’il contextualise et critique âprement mais aussi d’une manière juste et équilibrée. Cela donne de la crédibilité à son propos, qui se veut à la fois historique, psychologique, sociologique, littéraire même. La diversité de ses sources lui donne du crédit (on ne peut jamais mieux critiquer quelque chose que quand on s’est penché sérieusement sur le sujet). L’autre avantage de cet ouvrage est que l’auteur sait écrire. Il manie la plume et l’épée avec brio, les figures de style avec beaucoup d’art et une délectation qui nous donnerait presque envie de plonger dans l’œuvre de Marx ou de Malthus. Témoin de cette belle compétence, le titre, très bien trouvé et qui procède d’une antithèse aussi violente que réaliste et pertinente. Il démontre aussi une dilection particulière pour les mots précis, les formules percutantes et les termes les plus évocateurs possibles. Cela évite une simplification extrême, polémique et toxique de la critique. On ne saurait terminer cette recension sans mentionner le formidable dessinateur Vincent Odin (avec lequel Godard a déjà œuvré au Calicot pour deux livres). L’art d’Odin est, sans aucune malice ni jeu de mot de notre part, de taper avec son marteau figuratif sur l’enclume du point qui fait rire et réfléchir à la fois, avec facétie et sans vulgarité. Bien vu, les artistes ! Et un livre qu’on recommande chaleureusement. 

Philippe Godard, Une bande de riches, des milliards de pauvres, Le Calicot, 188 pages.D. T. 

Pour Hélène Banoun, le biopouvoir ment. Il censure les avis qui critiquent la politique sanitaire menée depuis l’éclatement de la pandémie de Covid19. Des scientifiques contribuent à cette désinformation. On continue à faire des recherches sur les gains de fonction et à justifier l’utilisation de vaccins à l’ARNm, qui fabriquent une protéine pour inciter l’organisme à fabriquer des anticorps artificiels, mais qui affaiblissent l’organisme à cause de leur inadaptation. On a fabriqué cette crise sanitaire pour accroître le contrôle de la population et pour faire d’immenses profits et on s’apprête à recommencer. Au début du livre, l’auteure fait l’historique de la crise. En 2013, Moderna est subsidié par l’armée américaine (DARPA), qui a pour objectif de mettre au point rapidement un vaccin. Un certain Ralph Baric (UCN) et Peter Daszac (EHA) se mettent à faire des recherches sur les gains de fonction. Ils sont également financés par l’armée. Ces recherches elles-mêmes risquent d’avoir un impact sur la santé et Obama impose un moratoire. Mais Anthony Fauci délocalise en Chine la recherche sur les coronavirus, et Donald Trump lève le moratoire. Au cours des années 2018 et 2019, des ONG américaines et Bill Gates imaginent des scénarios de pandémie. Des scientifiques lancent l’alarme, demandent qu’un moratoire soit à nouveau imposé. Mais une crise sanitaire éclate en Chine. Les médias amplifient fortement la situation. Un chapitre porte sur l’histoire du biopouvoir. Le reste du livre résume les recherches réalisées sur les anticorps, les gains de fonction, les vaccins, et analyse le biopouvoir qui interdit de recourir à des thérapies existantes, qui confine les gens, impose couvre-feux et port du masque. Qui désorganise l’économie et les services de santé pour faire croire à la létalité du virus et justifier le recours à la vaccination qui exonère les sociétés pharmaceutiques des contrôles de sécurité réglementaires, met en circulation un passe sanitaire et ensuite un passe vaccinal… 

Hélène Banoun, La science face au pouvoir. Ce que révèle la crise Covid-19 sur la biopolitique du XXIe siècle, Talma, 278 pages, 19,90€.Paul Willems 

Avec son style inimitable fait de données scientifiques alternant avec des coups de gueule ; avec son goût des recherches étymologiques ; avec son ironie mordante, Yannick Blanc ne peut plus cacher qu’il est l’auteur de La vie dans les restes ainsi que plusieurs documents signés Pièces et mains d’œuvre, comme le livre bien connu Manifeste de chimpanzés du futur (qui vient de voir publiée une seconde édition). Ici, une partie importante du livre est écrite comme si c’était un techno-furieux qui tenait la plume. Sont recensées toutes les illusoires technologies censées éviter les catastrophes qui menacent l’humanité, mais en en créant de nouvelles. Si nous allons vers une Vie dans les restes, c’est parce que l’empire de la destruction n’a cessé de se renforcer depuis le néolithique, accroissant sans cesse sa puissance matérielle pour se lancer, à l’aube du XIXe siècle, dans une offensive générale contre le vivant. Deux siècles de foi dans les technologies ne laissent que des restes, déjà fort réduits par rapport à la vie sans technologisme. Ils se raréfieront encore si nos sociétés poursuivent leur volonté de consommer toujours plus. Aujourd’hui, le transhumanisme est le danger le plus grand qui menacerait l’humanité. Y. Blanc évoque souvent ce péril majeur, mais il en aborde bien d’autres : eugénisme, procréation médicalement assistée, géo-ingénierie… Tout un chapitre évoque en détail le heurt entre les loups sauvages et les moutons domestiqués. On est surpris de la connaissance pointue que l’auteur a de ce dossier, avant qu’il ne nous révèle que, depuis des décennies, il se passionne pour la vie des loups et qu’il a amassé tous les articles et ouvrages qui parlent de ces canidés libres et autonomes. Et il affirme « Moi je hurle avec les loups ». 

Yannick Blanc, La vie dans les restes, Service compris, 2023, 195 pages, 15€.A. A. 

« Cheminons vers notre révolution intérieure ». Une phrase qui pourrait résumer cet ouvrage s’il ne foisonnait pas de nombreuses questions et d’explications judicieuses quant à notre manière de subir notre vie. Gilles Petit-Gats balaye d’un regard aiguisé, et surtout approprié, notre façon de « tourner en rond » dans nos vies de consommateurs, de travailleurs, de sédentaires, et aussi bien sûr « paniqueurs », rien qu’à de l’idée de quitter notre intime zone de confort. Parlons de cette zone de confort ! Que ce soit par mimétisme, par peur de nous émanciper, par cristallisation de nos propres croyances, par notre côté grégaire, par victimisation, par habitude aussi, nous vivons dans des prisons. Prisons que nous construisons nous-mêmes et dont nous détenons les clés puisque ce sont exactement les mêmes que celles avec lesquelles nous nous sommes enfermés ! Alors pourquoi n’osons-nous pas sortir ? La majorité des gens ressentent une sensation de séquestration dans un quotidien qui les décourage et les désespère, voire les empoisonne, mais ils ne risquent pas un pas en dehors du cercle qui les limite. L’auteur nous parle  d’« égoïsme sacré», de certitudes, de convictions, de révélations, de traditions, de prises de conscience, de dressage, d’injustice sociale, de vie et de survie. Il nous donne des pistes pour nous délivrer du carcan sociétal, familial, professionnel et pour nous construire un nouvel environnement. Un guide d’existence que chacun devrait placer au-dessus de la pile de livres à dévorer de toute urgence. 

Gilles Petit-Gats, Ce qui nous empêche ou la vie subie, Libre et solidaire, 183 pages, 18,50€.Marie-Ange Herman 

Au printemps dernier, Aurélien Bernier avait accordé un entretien passionnant à Kairos à propos de l’explosion des prix de l’énergie. Aujourd’hui, ce livre analyse de manière précise les raisons structurelles de la situation aberrante actuelle. À rebours de la doxa libérale, ce n’est pas l’invasion de l’Ukraine qui a déclenché cette crise, tout simplement parce que l’augmentation des prix de l’électricité et du gaz est antérieure à février 2022 et à la décision de l’Union européenne de se passer du gaz russe. Il démontre de manière impeccable que les vrais responsables ne se trouvent pas au Kremlin, mais dans les conseils d’administration des industries de l’énergie et dans la politique de libéralisation engagée par la Commission européenne depuis les années 1990. En dépit de la résistance molle de certains pays, cette privatisation menée de manière obstinée par les apôtres du tout-marché — inspirés par le modèle chilien du régime Pinochet ! — a démantelé le service public et « généré ce qu’elle génère toujours : des logiques de rentabilité à court terme, des plans d’économie, des baisses de l’investissement et de la qualité du service pour offrir un maximum de dividendes aux actionnaires ». En outre, « ce qui est présenté comme une stratégie industrielle par nos dirigeants politiques est en fait un agrégat de demandes des groupes privés les plus puissants, qui persuadent sans difficulté les élus que l’avenir est dans l’hydrogène, dans les réseaux communicants, les objets connectés, le véhicule autonome ou autre délire technophile » présenté comme vecteur de « croissance verte ». Plutôt que ces lubies au bilan environnemental désastreux, mais sources de profits privés, il convient de mettre l’accent sur la sobriété, la filière bois énergie, le solaire thermique — et non électrique —, l’isolation et les transports en commun. En conclusion, l’auteur plaide en faveur d’une sortie du carcan européen et d’une nationalisation de tous les moyens de production et de distribution. Sans quoi, face à la paupérisation et à la révolte des citoyens, le néolibéralisme à bout de souffle risque fort d’être remplacé par un libéralisme autoritaire et identitaire tel qu’on le voit surgir un peu partout en Europe. 

Aurélien Bernier, L’énergie hors de prix. Les dessous de la crise, Les éditions de l’Atelier, 2023, 173 pages, 19€.F. M. 

Alors que l’actualité met de plus en plus la décroissance (dévoyée) au centre des débats, voici un ouvrage collectif à placer au pied du sapin (Ndlr : en 2024). D’inspiration plus scientifique que philosophique, il n’est pas pour autant désagréable de feuilleter les pages de ce livre qui replace la décroissance dans le contexte historique qui est le sien (le concept a fêté ses 20 ans en 2022). Les moins : 1. l’optimisme quelque peu candide de certains articles au sujet des prétendus bienfaits d’une réelle participation citoyenne aux décisions politiques quant au niveau d’absorption frénétique de marchandises (comme s’il était évident que l’individu ordinaire serait instinctivement désireux de réduire sa consommation) ; 2. L’article du philosophe Fabrice Flipo (« Les faux-amis de la décroissance ») qui amalgame d’une manière trop simpliste les critiques légitimes du « wokisme » et l’extrême droite ultra-conservatrice (voici encore un intellectuel qui fait preuve de psittacisme en rabâchant les leitmotives imbéciles les plus en vogue de la bien-pensance dominante). Les plus : les articles du géographe Guillaume Faburel (« La ville, antre de la croissance ») et celui de Pierre Thiesset, journaliste à La Décroissance (« Contre la sobriété technocratique »). Nous remercions par ailleurs l’économiste Serge Latouche pour sa mention du journal Kairos. 

François Jarrige et Hélène Tordjman (dir.), Décroissances, Le Passager clandestin, 2023, 250 pages, 20€.K. C. 

Deux journalistes françaises viennent d’enquêter sur le wokisme. Après Sébastien Bourdon, auteur de Une vie de lutte plutôt qu’une minute de silence. Enquête sur les antifas (cf. Kairos n° 61), c’est à leurs cousins wokes que Nora Bussigny (Le Point) s’est intéressée. Contrairement au précédent qui annonçait la couleur, elle a opté pour la méthode de l’infiltration, ce qui lui a demandé des efforts particuliers et a occasionné de l’anxiété et des interrogations sur les stratégies à suivre, confiées à son psychanalyste, notamment celle d’apparaître entièrement « déconstruite » aux yeux de ses coreligionnaires. Heureusement, elle a obtenu des résultats. Pour observer de près et obtenir des informations, il fallait aller sur le terrain : se faire intégrer dans l’équipe de sécurité de la Pride radicale, dans l’équipe des collages féministes, parvenir à s’inscrire à la fac de sociologie en élève libre… sans être démasquée. L’auteure livre un témoignage personnel sur « l’enfer du décor, un fascisme défendu par de nouveaux inquisiteurs » qui ne voient le monde que « par le prisme de l’intersectionnalité », visent la « pureté militante » et titillent la culpabilité collective. De safe places en manifestations scindées (« racisés » à l’avant, blancs à l’arrière), la mixité et le vivre-ensemble passent à la trappe, sauf dans certains collectifs régionaux que Bussigny a rencontrés. Elle reste une féministe républicaine, universaliste et laïque qui essaie par ce livre de « faire rentrer le fleuve en crue dans son lit ». Un abécédaire est placé à la fin (âgisme, cancel culture, fragilité blanche, hétéro-normatif, micro-agressions, non-binaire, privilège blanc, TERF, culture du viol, en passant par toutes les phobies, etc.). Unique en son genre en francophonie, ce livre laissera néanmoins la lectrice sur sa faim en matière de réflexion philosophique sur le phénomène. En complément, on se référera à l’ouvrage de Jean-François Braunstein La religion woke (Grasset, 2022). 

Sylvie Perez, elle, a documenté tous les actes de résistance au wokisme dans le monde anglosaxon. Pour autant son essai ne se réduit pas à une simple dénonciation du phénomène, mais en observe tous les aspects et ressorts, de l’intersectionnalité à l’écriture inclusive, en passant par le décolonialisme, la théorie critique de la race et la théorie du genre. Les militants wokes ont des stratégies : la première est de réfuter la réalité même du wokisme — cette réfutation étant relayée dans les médias dominants (cf. Le Soir, 13/01/2024) ; « étouffer les questions politiques complexes [racisme, féminisme, immigration, avortement, islam, conflit israélo-palestinien, conservatisme, genre] sous le poids d’une certitude morale aveugle » qui peut devenir brutale et autoritaire, faute d’arguments ; faire croire qu’ils ont déjà gagné la bataille des idées et que seuls quelques réfractaires d’extrême droite donneraient encore de la voix contre ce qui est présenté comme un progrès indéniable dans l’émancipation. La « […] singularité du wokisme [fait que] on en constate les effets avant d’en avoir identifié le projet » et qu’il « progresse avec la bénédiction des sociétés qu’il veut renverser ». Sauf chez des opposants organisant des contre-stratégies que l’auteure dévoile ici : les conférences à succès du psychologue canadien Jordan Peterson ; la fronde des universitaires américains James Lindsay, Helen Pluckrose et Peter Boghossian en faveur de la liberté académique ; Academic Freedom Alliance et The Free Speach Union chez leurs homologues britanniques ; l’Intellectual Dark Web où on « respecte son interlocuteur tout en n’éludant aucun sujet sensible » ; The Common Sense Group au parlement britannique ; intellectuels afro-américains critiquant Black Lives Matter et l’anti-racisme revu par le wokisme, etc. À noter que le chapitre « La croisière transgenre » est particulièrement captivant, où l’on lit ceci : « Garantir aux transgenres les droits qui leur sont dus et leur faciliter l’existence, évidemment. Réformer la société, nier la biologie, restreindre la liberté d’expression, en aucun cas ». 

Nora Bussigny, Les nouveaux inquisiteurs. L’enquête d’une infiltrée en terres wokes, Albin Michel, 2023, 231 pages, 19,90€. 

Sylvie Perez, En finir avec le wokisme. Chronique de la contre-offensive anglo-saxonne, Le Cerf, 2023, 361 pages, 24,50€.B. L. 

Dégingandé, légèrement hagard, le Saint-Nicolas de Thierry Van Hasselt est un clochard céleste qui chemine à travers un paysage apocalyptique de champs de céréales sillonnés par des armées de moissonneuses-batteuses, de forêts rongées par les pluies acides, de centrales nucléaires aux fumerolles inquiétantes, d’échangeurs suffoqués de bagnoles, de centres commerciaux dont les publicités criardes s’accordent de manière obscène avec les rebuts en plastique qui en jonchent le sol. Dans ce monde consumériste qui part à vaul’eau, les policiers en uniformes de robocop sont partout. Équipés d’hélicos, de drones, d’une nuée de cars de police et de véhicules blindés munis de canons, ils font la traque aux enfants. Malheur à ceux qui ne portent pas le masque de rigueur en cette période de délire sanitaire ! Malheur aux gosses de migrants chassés dans la forêt ! Cet univers apocalyptique, c’est le nôtre. Que ce soit les lycéens de Mantes-la-Jolie forcés par des flics à s’agenouiller pour se tenir bien sages ou le saccage des tentes de migrants dans la jungle de Calais, Van Hasselt s’inspire de photos-choc qui ont marqué notre actualité récente pour dessiner les contours d’un monde féroce et invivable. Lorsque Saint-Nicolas se rend compte que les ultra-riches festoient et mangent les enfants — littéralement —, il est saisi d’une sainte fureur. Dans un grand feu de joie, il massacre puissants en smokings et cuisiniers à hachoir, répare les enfants, leur redonne la vie et les emmène dans une farandole enchantée au milieu des bois, à la recherche d’un lieu de paix et de douceur. Mais un tel havre existe-t-il encore ? Il est temps de prendre le large ! Tout à la fois violentes et merveilleusement belles et poétiques, chacune des aquarelles qui composent cet ouvrage incite tant à la révolte qu’à la rêverie. Le contraste entre l’horreur de notre monde et la féérie de légendes médiévales qui ne peuvent être saisies que par un regard d’enfant est saisissant. Dédié aux enfants, aux invisibles, aux sans-papiers, aux rebelles, aux décroissants, aux soulèvements, à la terre, à l’eau, à l’air et au feu, ce roman graphique est un chef d’œuvre. 

Thierry Van Hasselt, La Véritable histoire de Saint-Nicolas, éditions FRMK, 2023, 168 pages, 29Є.F. M. 

Mark Hunyadi, professeur de philosophie à l’ULouvain, est un des théoriciens francophones les plus passionnants en matière de critique du libéralisme et des changements sociétaux sous l’angle politique et moral, tels les modes de vie (La tyrannie des modes de vie. Sur le paradoxe moral de notre temps, 2015), le post-humanisme (Le temps du post-humanisme. Un diagnostic d’époque, 2018), ou encore, comme ici, les avatars de l’individualisme. Il fait retour sur la source de l’individualisme moderne : la révolution nominaliste du XIVe siècle, moment où la liberté négative — échapper aux contraintes des pouvoirs temporels et religieux — et la volonté débridée de chacun d’agir à sa guise deviennent le nouveau cadre anthropologique, ce qu’il appelle « l’éthique des droits », dont nous payons le prix fort aujourd’hui et dont il conviendrait de sortir, à cause de son « effet réversif » : « sa défense de l’individu se retourne mécaniquement en emprise du système sur lui ». Cette éthique basée sur le contrat (anti-)social, il la repère dans le libéralisme, le minimalisme, le libertarianisme, et aujourd’hui le wokisme qu’il voit non comme une déconstruction de la modernité, mais au contraire comme l’aboutissement de l’idéologie libérale. L’emprise numérique pousse à son comble le nominalisme en fabriquant le sujet libidinal résolu à assouvir immédiatement d’un clic ses volontés et désirs consuméristes, et met la société en pilotage automatique. Il y a une autre manière de s’émanciper, nous dit l’auteur : par « l’épreuve qualitative du monde », par un « commun de conviction capable d’orienter l’action », par le sens des limites, sans oublier les changements venant de la motivation personnelle, de l’éducation et de l’institution. Au bout, la déclaration de l’esprit comme « patrimoine commun de l’humanité », étape pour entrer dans le second âge, post-nominaliste, de l’individu. 

Mark Hunyadi, Le second âge de l’individu. Pour une nouvelle émancipation, PUF, 2023, 187 pages, 16€.B. L. 

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Culture de l’annulation : solution finale pour les débats gênants ?

[note]

QUAND L’ANTIFASCISME GLISSE VERS SON CONTRAIRE

Pour peu qu’on mette en cause certaines visions dominantes, il devient difficile de trouver des espaces d’expression et de débat. C’est en particulier le cas à Liège, où le monde associatif subit les pressions et influences d’un milieu se disant antifasciste, mais qui, malgré certaines analyses correctes, confond très souvent extrémisme et critiques sociales essentielles. Tout en tombant lui-même dans ce qu’il se veut combattre. L’occasion de pointer ces dérives, mais aussi de réfléchir sur la question de l’attitude vis-à-vis de l’extrême droite.

Plusieurs événements ont déjà été ciblés par les activistes concernés : entre autres une conférence-débat de Michel Weber — qui, en 2021, avait failli être empêchée —, une autre de Bernard Legros, qui, en septembre dernier, a dû, elle, être annulée, tout comme un autre événement réflexif, deux mois plus tard.[note] Deux de ces événements étaient des initiatives de Liège-Décroissance.

Concernant l’annulation de la conférence de Bernard Legros, elle a eu lieu suite à des pressions et menaces sur l’association invitante, Attac-Liège. Pressions exercées sur une dame de 76 ans, d’abord par téléphone, puis en face-à-face. Cette « action » n’a été exécutée que par quelques individus, mais, comme en ce qui concerne les autres événements évoqués, les responsabilités vont bien au-delà. Elles remontent surtout à l’association Front Antifasciste Liège 2.0. Celle-ci n’a pas revendiqué les choses, mais ses publications sont très susceptibles de promouvoir de tels actes. En effet, sans les accuser heureusement d’appartenance à l’extrême droite (ce qu’ont par contre fait les énergumènes évoqués), ces publications présentent les essayistes cités, ainsi que Kairos, comme notamment confusionnistes, conspirationnistes, réactionnaires et, dans le même sens, comme banalisant les mouvements fascistes, ou encore (concernant Kairos) comme relayant leurs discours[note]. Sont visés en particulier le traitement des politiques sanitaires, de ce qu’on nomme le wokisme, ainsi que la critique de l’utilisation de l’extrême droite par les pouvoirs néolibéraux.

Or, comme nous allons l’évoquer brièvement et comme cela ressort de nombreuses publications de Kairos, maintes critiques des politiques autour du covid n’ont rien de conspirationnistes, et mettre en cause le wokisme comme l’instrumentalisation de l’extrême droite peut se faire depuis des points de vue tout autres que ceux des réactionnaires. Liège-Décroissance n’a trouvé pour ses événements qu’une solution provisoire, une salle de concert dont le propriétaire prendra bientôt sa retraite. À noter que celui-ci est justement l’un des fondateurs du mouvement antifasciste liégeois. Cet homme a ainsi sauvé l’honneur de ce courant, dans cette affaire, puisque l’antifascisme devrait évidemment, par nature, défendre le débat et la libre recherche.

JUSTIFICATION D’UN VRAI ANTIFASCISME

Cela nous mène à une précision importante : il ne s’agit pas ici de mettre en cause la légitimité et l’importance d’un véritable antifascisme — point de vue que les essayistes mentionnés partagent pleinement (comme j’ai pu le constater lors d’une série d’échanges avec eux). Certes, des politiques hautement criminelles ou fascistes peuvent pleinement émaner des pouvoirs dits démocratiques, par exemple quand des puissances occidentales renversent ou déstabilisent des gouvernements qui les gênent, en soutenant des rebelles meurtriers ou en plaçant des dictateurs à leur solde, ou encore quand ils imposent des vaccins OGM bricolés à la hâte. Mais une différence importante demeure : puisque ces pouvoirs se disant démocratiques ne se revendiquent pas d’idéologies totalitaires, une partie de leurs représentants ou partisans, soit n’est pas vraiment consciente des crimes concernés — qui sont en général habilement camouflés —, soit les désapprouve. De sorte que l’État de droit est tout de même plus ou moins respecté une partie du temps et à certains niveaux, dans ces systèmes-là. Cela concerne notamment une liberté d’expression, droit précieux. Tandis que dans les régimes ouvertement fascistes, l’État de droit et la personne humaine sont bafoués systématiquement. Pour ces raisons, il est manifestement important de considérer les mouvements ouvertement fascistes, ultranationalistes, racistes, etc., comme des adversaires par excellence.

ANALYSES ET NON-ANALYSES

Voyons d’un peu plus près sur quoi se basent les accusations formulées par Front Antifasciste Liège 2.0., nous limitant à quelques points essentiels. Au sujet des politiques sanitaires, on s’aperçoit vite que ses membres n’ont pas mené d’étude sérieuse de ce sujet. Dans leurs articles qui l’abordent, on lit par exemple : « Ce qui explique les réserves de la gauche par rapport aux “mobilisations covid” est d’abord son attachement à la rationalité et aux sciences ». Et un peu plus loin, on lit qu’il n’y a pas de « doute […] sur l’efficacité des vaccins ».[note] Ces propos impliquent l’idée qu’il y aurait eu un consensus scientifique au sujet des politiques concernées. Ce qui implique à son tour la négation des travaux d’un grand nombre de scientifiques qui, jusqu’à ce qu’ils critiquent les politiques sanitaires autour du covid, étaient soit reconnus, soit très estimés. Comme cela ressort d’une série d’appels et de déclarations[note], ces scientifiques se comptent par dizaines de milliers. Or, dans un autre article de la même association, ils sont réduits à une poignée de personnes et considérés, là aussi, soit comme proches de l’extrême droite, soit comme avides d’argent.[note] Ces scientifiques ne s’accordent certes pas sur tous les points, et certains ont pu faire dire à leurs appels des choses qu’ils ne disaient pas ; mais les chercheurs et signataires concernés se rejoignent sur beaucoup déjà, en particulier la forte exagération de la virulence du virus et, par conséquent, la non-justification de confinements généralisés — avec tout ce que cela implique quant à l’imposition des vaccins.

Au sujet de l’extrême droite et du confusionnisme, les choses sont plus complexes, et, à côté d’une série d’erreurs, les publications concernées contiennent certaines réflexions pertinentes, par exemple : « Ce n’est pas parce que la droite et la gauche acquise au néolibéralisme utilisent le danger de l’extrême droite comme une excuse pour que la population continue de voter pour elles, que l’extrême droite n’existe pas ou qu’elle n’est pas un danger. » Ou encore : « Les extrêmes droites n’arrêtent pas de prétendre qu’elles se lèvent contre le libéralisme (…), alors qu’à chaque fois qu’elles sont au pouvoir elles appliquent les mêmes politiques, mais en pire[note]. » (l’article cite alors plusieurs politiciens, dont Jair Bolsonaro).

La première réflexion semble une évidence, notamment car, à une personne saine d’esprit, le fascisme peut apparaître comme malsain et dangereux d’une manière si patente qu’il peut sembler inutile d’expliciter qu’on le considère effectivement comme tel. Mais il faut se souvenir que des personnalités intelligentes, douées et porteuses d’une certaine forme d’idéalisme, sont déjà pleinement tombées dans les pièges du courant en question, comme le grand poète Ezra Pound, partisan de Mussolini notamment. Ainsi, des explicitations ont souvent tout leur sens. Dans cet esprit, au-delà des événements dont il s’agit ici, le reproche de confusionnisme peut être justifié dans certains cas. Mais il faut être très prudent avec un tel reproche, sans quoi on en arriverait finalement à vouloir proscrire les ouvrages et conférences politiques de la quasi-totalité des philosophes notamment, en débutant avec les plus célèbres, vu la complexité que présentent bien souvent leurs pensées.

LE COURAGE DE LA NUANCE

L’observation qui précède s’applique aussi ici : en effet, un des efforts des essayistes mentionnés est précisément de contribuer à des clarifications ; cela concerne effectivement, entre autres, diverses instrumentalisations de l’extrême droite par les partis classiques (notamment pour détourner l’attention de leurs faillites et méfaits). Et ce n’est pas parce que l’extrême droite constitue un vrai danger (dans le présent ou le futur, en cas par exemple de crise économique plus grave encore) qu’il ne faudrait pas dénoncer ces instrumentalisations. On peut faire une réflexion proche à l’égard de la critique du wokisme : ce n’est pas parce que le respect de toute communauté est essentiel qu’il n’est pas important, également, de dénoncer l’instrumentalisation des revendications légitimes des minorités discriminées, ou encore de critiquer certaines idéologies qui gagnent une partie des mouvements qui militent contre ces discriminations. Plus précisément, des idéologies qui banalisent notamment l’instabilité des orientations sexuelles ou affectives. Défendre la tolérance vis-à-vis de toutes ces orientations et de leurs changements ne nécessite pas d’accepter leur banalisation, voire leur promotion.

Plus généralement, tenter d’introduire nuances et lumière dans les débats politiques et philosophiques est un effort essentiel. En effet, la complexité de notre époque peut notamment faire que des tendances très diverses coexistent chez une même personne ou un même mouvement ; de sorte qu’il peut être important de prendre conscience de chacune de ces tendances, mais aussi de ne pas réduire à certaines d’entre elles la personne ou le mouvement en question. Ce, d’autant plus que c’est très souvent par de telles réductions que les promoteurs d’une pensée unique s’efforcent de disqualifier ceux qui développent de vraies critiques des politiques dominantes. Les clarifications dont il s’agit ne sont donc pas un jeu intellectuel. Bien souvent, c’est d’elles que peuvent dépendre des enjeux essentiels, en particulier celui que des lanceurs d’alertes puissent être entendus et non neutralisés médiatiquement.

Bien sûr, prendre conscience des tendances problématiques des divers courants et mouvements, y compris quand ceux-ci se veulent alternatifs, cela aussi est un enjeu important. Et il est vrai que celui qui lutte contre les méfaits des divers pouvoirs peut l’oublier. Plus largement, celui qui tente d’introduire de la nuance et de la lumière dans la complexité peut commettre des erreurs, mais cela n’ôte rien à l’importance de son effort. Et plutôt que de se braquer sur ses erreurs éventuelles, il convient bien plus de le soutenir, puisque très souvent il s’attire l’hostilité des milieux dominants.

« Le principe de la liberté d’expression a quelque chose de très élémentaire : ou on le défend dans le cas d’opinions qu’on déteste, ou on ne le défend pas du tout. »
Noam Chomsky

ASSAINIR ET PACIFIER PAR LE DÉBAT

Pour en venir à Kairos en général, une des critiques que Front AntiFasciste Liège 2.0 adresse au journal est d’avoir donné la parole à quelques personnes qui, effectivement, sont soit proches de l’extrême droite, soit en font partie[note]. Déduire de cela une proximité avec ce courant est, là encore, inacceptable. Il suffit, pour s’en rendre compte, de considérer le nombre de personnes interviewées par Kairos n’ayant aucun lien avec de telles tendances et, très souvent, leur étant pleinement opposées. Il suffit aussi de considérer les tendances qui se manifestent chez la totalité des rédacteurs de Kairos, et qui, s’il fallait donner une étiquette politique, vont en général dans le sens de l’anarcho-écologie ou de l’anarcho-socialisme, avec une très claire revendication de la justice pour tous les peuples.

Simplement, Kairos ne partage pas le principe de « cordon sanitaire », principe contesté également par des gens comme Noam Chomsky, qui, malgré des erreurs, compte parmi les humanistes au meilleur sens du mot. Celui-ci met en avant le fait que si chacun est intégré au débat public, les positions problématiques ou erronées peuvent être bien plus facilement réfutées[note]. En outre, exclure du débat accroît en général la violence. Tandis qu’écouter réellement, non seulement pour réfuter, mais aussi pour prendre en compte ce qui peut être juste dans tout discours, exerce bien souvent un effet pacificateur. C’est sans doute aussi le meilleur moyen d’affaiblir les mouvements extrémistes (ainsi la meilleure façon de saper les bases du nazisme aurait été de cesser d’imputer à l’Allemagne et ses alliés la totalité des responsabilités de la Première Guerre mondiale, ce qui impliquait le paiement extrêmement lourd des dommages. En effet, les responsabilités en question étaient partagées par l’ensemble des puissances impliquées. Cette injustice était ainsi la plus efficace base d’argumentation des nazis). Sur ces enjeux, Chomsky a dit cette belle phrase : « Le principe de la liberté d’expression a quelque chose de très élémentaire : ou on le défend dans le cas d’opinions qu’on déteste, ou on ne le défend pas du tout. Même Hitler et Staline admettaient la liberté d’expression de ceux qui partageaient leur point de vue…[note] »

À la lumière de tout cela, au lieu de promouvoir l’annulation de conférences-débats, les activistes dont il s’agit ici feraient mieux de venir participer aux échanges concernés. S’ils le faisaient avec un vrai esprit de dialogue, cela pourrait même être intéressant pour les deux côtés. Mais pour cela, la « prétention à l’objectivité intellectuelle », qu’ils reprochent justement à B. Legros, est sans doute trop forte chez eux…

À LA DEGRELLE ?

Pour revenir justement à ces annulations, il est intéressant de faire quelques observations en lien avec une des personnes que, selon les activistes en question, Kairos n’aurait pas dû interviewer — et qui, en l’occurrence, fait effectivement pleinement partie de ce qu’on nomme l’extrême droite : Alain Escada, président de Civitas. Sous des dehors affables, cet homme a en effet manifesté des sympathies extrêmement problématiques, sans les avoir remises en cause jusqu’ici. Précisons au passage que si nous en avions eu connaissance au moment de l’entretien, il est évident que la chose aurait été traitée de la manière la plus insistante. Beaucoup nous reprocheront de ne pas nous être informés davantage ; mais faut-il mener des enquêtes policières sur chaque personne interviewée ? C’est en tout cas maintenant l’occasion d’apporter des compléments d’infos essentiels.

Ce dont il s’agit : en 2016, Escada a donné une conférence apologétique sur Léon Degrelle (1906–1994)[note]. Escada luimême n’est visiblement pas néonazi, mais il est d’une indulgence exorbitante vis-à-vis de personnes qui ont pleinement fait partie du courant politique concerné. En effet, Degrelle était le fondateur du mouvement ultra-catholique Rex. Durant la Seconde Guerre mondiale, il a créé la Légion wallonne, milice fasciste intégrée aux SS, où Degrelle est devenu officier supérieur. Il a ensuite été décoré par Adolf Hitler lui-même[note]. Dans cette conférence, Escada présente le fondateur de Rex comme un homme de foi, de probité et de grande culture, se distinguant soi-disant des nazis car catholique et non paganiste ; le tout, sans dire un seul mot sur son engagement pour le régime hitlérien, comme si c’était un détail qu’il était inutile de rappeler.

À l’intention des personnes qui doutent de ce qu’on nous a enseigné sur les événements de la Seconde Guerre mondiale, comme l’existence des chambres à gaz, il suffit de renvoyer au livre Mein Kampf, de Hitler. À sa lecture, rien de ce que rapportent les historiens classiques sur ce sujet n’étonne. Et mes recherches ne m’ont permis de trouver aucune mise en cause, y compris de la part des néo-nazis, de l’authenticité des éditions de ce livre qui nous sont parvenues. La même réflexion peut être faite à l’égard des ouvrages de Degrelle luimême, d’autant qu’il en a écrit beaucoup, dont certains titres sont déjà très significatifs : Hitler pour mille ans, Le fascinant Hitler, Le Hitler de la paix, etc.[note]

Tout récemment, l’association Artemus s’est entretenue avec Escada[note] en lui posant des questions claires sur ces sujets. L’interviewé se limite à une évocation évasive de l’engagement nazi de Degrelle, exhortant surtout à ne pas juger les gens du passé à partir des connaissances plus étendues dont nous disposons aujourd’hui. C’est juste en partie, maisne change que très peu concernant les partisans du nazisme ; car là encore, pour savoir globalement à qui ils avaient à faire, avec le pouvoir hitlérien, ceux-ci n’avaient qu’à lire Mein Kampf et écouter les discours officiels. Mais au cas où les auteurs des pressions dont il s’agit ici ne l’ont pas encore fait, il serait intéressant qu’ils écoutent cette conférence d’Escada. Ce dernier évoque en effet une pratique de Degrelle qui devrait les faire réfléchir : le fait, précisément, d’empêcher des conférences. En l’occurrence, une série de tentatives de présentations émanant d’un ancien prêtre, critique sur l’Église catholique. Degrelle et ses sbires ont systématiquement saboté ces conférences (là aussi par des pressions et menaces), ce qu’Escada approuve avec enthousiasme, dans son exposé.

AGIR PAR L’EXEMPLE ET LA CONSCIENCE

Donner la parole à tous, y compris à ceux qui approuvent de telles répressions, n’est-ce pas justement ce qui incarne au mieux le refus le plus radical de tels actes ? Et, dans l’esprit de la fameuse exhortation de Gandhi à être soi-même le changement qu’on veut apporter dans le monde, incarner ainsi l’idéal de la libre expression, n’est-ce pas ce qui donne le plus de chance de pouvoir peut-être, par la force de l’exemple, agir sur les extrémistes concernés, favoriser chez eux des remises en question ? Mais les plus extrémistes parmi les prétendus antifascistes concernés ont déjà probablement placé toute une partie de leurs adversaires dans des catégories autres que celle d’êtres humains. À ce propos, ils feraient bien de lire le texte ci-dessous, où Leonard Cohen parle d’Adolf Eichmann, un des grands criminels du régime nazi. Rappelons qu’il serait bien difficile d’accuser Cohen de relativisation de l’horreur de ce régime, car il était juif et, qui plus est, se revendiquait du judaïsme[note]. Et en effet, le texte en question ne vise pas à relativiser au mauvais sens du mot, mais à nous rappeler ce qui sommeille en nous tous (y compris en les activistes mentionnés).

TOUT CE QU’IL FAUT SAVOIR SUR ADOLF EICHMANN[note]

Vue : moyenne. Longueur des cheveux : moyenne. Poids : moyen. Taille : moyenne. Signes distinctifs : aucun. Nombre de doigts : dix. Nombre d’orteils : dix. Intelligence : moyenne.

Qu’attendiez-vous ? Des incisives surdimensionnées ? De la salive verte ?

La folie ?

Daniel Zink

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Le peuple palestinien a le droit d’être protégé contre des actes de génocide

Les 17 membres de la Cour de Justice Internationale (CIJ) ont rendu leur verdict provisoire ce 26 janvier 2024. Après avoir décidé que la demande de l’Afrique du Sud était recevable, contrairement à la demande d’Israël, elle a statué. 

LA COUR, Indique les mesures conservatoires suivantes :

*L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention, en particulier les actes suivants :

a) meurtre de membres du groupe ;

b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et

d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

*L’État d’Israël doit veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette aucun des actes visés au point 1 ci-dessus ;

*L’État d’Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ;

*L’État d’Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ;

*L’État d’Israël doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application des articles II et III de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide commis contre les membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ;

*L’État d’Israël doit soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à la présente ordonnance dans un délai d’un mois à compter de la date de celle-ci.

La décision provisoire de la Cour Internationale de Justice, une instance de l’ONU, est sévère pour Israël. Certains auraient préféré plus, mais compte tenu de sa composition, on se trouve devant des compromis. En effet, la Cour n’a pas ordonné de cessez-le-feu immédiat à Gaza.

Néanmoins, les bases d’un jugement de fond sur l’existence d’un génocide sont posées :

* La Cour Internationale de Justice n’a pas rejeté la demande de l’Afrique du Sud comme le demandait Israël.

* Elle a qualifié, dans le préambule, l’intention génocidaire en reprenant l’expression : « des animaux humains ».

* Elle a posé les fondations d’un jugement de fond sur l’existence d’un génocide.

Cependant, si l’arrêt des bombardements indiscriminés, du ciblage des universités, des écoles, des lieux cultuels, et des journalistes, …, semblent implicite au jugement provisoire (protéger le « groupe palestinien » d’un génocide), cela reste implicite et la vraie mesure, l’exigence d’un cessez-le-feu, manque.

La décision de la Cour n’est donc pas complète, c’est évident, néanmoins soyons positif : la décision provisoire est exceptionnelle. Elle dénonce clairement les actes d’Israël comme pouvant avoir un caractère génocidaire et que cela doit cesser. À ce titre, je suis persuadé que cette décision sera saluée par l’ensemble de ce qu’on appelle le sud global et que chez nous, nos « élites » dirigeantes seront mi-figue mi-raisin. Elles s’en remettront vite ! Quant au gouvernement d’Israël, il rejettera cette décision provisoire, s’appuyant sempiternellement sur son droit à se défendre et sur la Shoah.

Soulignons que c’est un premier pas important pour arrêter cette folie meurtrière dont nous sommes complices, que nous le voulions ou non. Non pas que cette décision sera suivie d’une accalmie, probablement l’inverse avec l’intensification des combats au nord d’Israël et l’impasse américaine en Syrie, en Irak et au Yémen. Mais cette décision est une fissure profonde dans la posture victimaire du gouvernement israélien actuel : car, avant la décision, c’était en résumé : c’est parce que nous sommes des victimes, que nous vous colonisons, nous vous dépouillons, nous vous tuons . Ceci avait été parfaitement résumé par Gideon Levy : « Nous sommes les seules victimes ».

Si pour la Russie, cette position victimaire ne fait pas grand sens face à leurs 25 millions de morts pour nous délivrer du nazisme, il en va autrement pour nous. Cette décision est donc lourde de signification et se diffusera progressivement dans nos consciences, malgré le peu d’empressement de nos médias mainstreams, c’est un euphémisme : les victimes sont devenus bourreaux.

Par contre, l’écho de cette décision provisoire est énorme dans les pays du sud global, eux qui ont subi guerre, colonisation, exploitation, apartheid, tuerie de notre part. Il y a là comme une éclatante revanche morale. Cette décision provisoire fera date, d’autant qu’elle ouvre la voie vers d’autres décisions et pas seulement à la CIJ ou dans d’autres Cours internationales, mais aussi et probablement surtout dans des Cours nationales qui reçoivent avec ceci une légitimation à leurs propres actes portant sur cet objet.

Plutôt que jouer à l’autruche, nous ferions mieux de nous regarder en face, sortir de cette culpabilisation bien confortable et prendre enfin les bonnes décisions.

Christophe de Brouwer

Full-professeur honoraire et ancien président de l’École de Santé publique de l’Université libre de Bruxelles. (26 janvier 2024)

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Articles

N’oublions pas la 5G

Dans les soubresauts actuels, il ne faudrait pas oublier la 5G. Nous publions ci-dessous un résumé du communiqué de l’association Procès 5G France, suivi d’un article publié en son temps dans le hors-série n° 5, « 5G, face au conte de fée, le compte des faits ».

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[SERIE] Hebdo #24: Subsidier avec vos impôts les instruments de votre soumission

Tout va bien en 2024, on espère en tous cas, ce sont les premiers jours… Dans le réel pourtant, le souhait n’a pas sa place. Car pendant qu’on espère, ceux qui agissent sont à Davos, vous préparant le futur. Et leurs plans feront couler du sang et des larmes. Certains diront : quel pessimisme, il fait advenir le réel qu’il présage. Faux. Il est déjà là. Qu’est-ce qui ferait en effet que la mère maquerelle de la Commission, se dirait en 2024 : « tiens, cette année, j’ai décidé de penser autrement, d’être une femme de valeur et de défendre le bien commun, de révéler mes petites frasques avec Bourla ». VDB aussi, en 2024, révélera-t-il le contenu de ses mails, ce qui permettra peut-être de comprendre pourquoi le mot vaccin était devenu itératif dans sa bouche dès 2020. Et en même temps, pourquoi ne pas rêver ? Soyons positif, 2024 serait l’année des révélations sur l’Affaire Dutroux, les tueurs du Brabant, etc., celle où ceux qui nous mentent, nous volent, nous culpabilisent… avoueront toutes leurs manigances.Ah, croire ! Espérer… Alors qu’il suffit de refuser d’obéir à tous ceux-là, qui occultent, censurent, tuent, et vous voilà libres ! Le pessimisme, c’est l’espoir du pauvre ; pour l’intellectuel non biberonné aux idéologies universitaires, le pessimisme, c’est un optimisme éclairé. C’est ce qu’il reste, quand tout est bouché, quand on a l’impression de crier dans le désert, quand on vous dit de voir le positif dans une décharge, alors que ceux qui profitent de la pourriture ne veulent qu’une chose : que vous focalisiez votre attention sur ces petites mesures cosmétiques, pendant qu’eux continuent leur destruction de masse. Bill Gates à la pompe à bière avec De Croo à la Belgium House à Davos, pendant qu’en coulisse DEME, Fluxys ou Syensqo signent des contrats, et qu’ils vous préparent la fin du cash, la prochaine pandémie ou le crédit social. Et tout ce qu’ils veulent, c’est que vous reteniez Gates à la pompe à bière, surtout pas que vous vous demandiez ce qui se passe dans les coulisses.

Relativise certains me diront ! C’est vrai que quand je m’endors dans une chambre à plus de 15 degrés, dans des draps propres, sentant la chaleur réconfortante de ceux que j’aime… tout n’est pas si mal. Foutue empathie non, que de s’imaginer que tous ne vivent pas la même chose, que meurent à l’instant femmes, hommes, enfants à Gaza, sous les bombes fascistes. Heureusement, la France accueille deux enfants palestiniens. Certains diront qu’il faut être positifs, c’est déjà ça non, deux c’est plus que zéro ou un. Mais la France, en février 2023, comptait plus de 100.000 réfugiés ukrainiens sur son territoire. « Oh oh oh, tu insinues quoi ? Quelle comparaison !», me dira-t-on ? C’est clair, non : les gouvernements ne sont pas solidaires, mais sélectionnent leurs réfugiés de manière partiale, donc pas nécessairement ceux qui sont le plus dans le besoin, mais ceux qui constituent le plus une arme ou un levier politique. Demandez aux médecins ou infirmiers d’un hôpital public bruxellois la différence de niveau socio-économique entre des réfugiés syriens et des réfugiés ukrainiens.Soit, le fascisme n’est pas à droite, il est dans nos gouvernements. Gouverne et ment, et tu réussiras en politique, seras reçu par les médias du pouvoir. Si, en plus, tu traites de complotistes ceux qui ne pensent pas comme toi, gramophone du discours politico-médiatique, alors sois assuré d’avoir la gloriole. Et tu pourras te mentir, te dire tous les soirs en t’endormant : « nous sommes tout de même dans le moins pire des mondes ».Et la masse, elle s’engraisse, c’est son principe. Pendant ce temps, d’aucuns attendent le sauveur : Trump… Trump… Trump… qui fera tout basculer. Le messie. Ils n’ont pas vu que le pouvoir était en eux, que d’accepter de sacrifier quelque peu leur vie pour leurs idées pourraient en réveiller d’autres. Les possibilités de changement véritable ne se mesurent qu’à la capacité qu’un nombre suffisant d’individus choisissent de dire non, même si chacun pense être seul à le dire.Les premiers qui crièrent « Kairos, Kairos, Kairos… », en manif, une fois le coup d’état sanitaire provisoirement passé, ont pour beaucoup repris le cours de leur vie. C’est normal. Mais dites-moi que vous n’étiez pas uniquement là pour vos droits ? Il y avait bien un sentiment de révolte, une envie de s’unir contre la folie de ceux qui sous prétexte de nous gouverner nous conduisent au chaos en se goinfrant. Il y avait bien un instinct de survie, mais aussi un instinct altruiste de sauver autre chose que soi, non ?Ceux qui haïssent la vérité nous ont traités d’extrême droite, d’antisémites, de transphobes. Ils nous ont privés de l’argent public qui nous permettait de payer presque deux temps plein pour vous informer. Maintenant, ne nous donnant plus rien, ils ont augmenté l’enveloppe des autres Wilfried, Médor, Imagine… Ils ont fermé notre chaîne YouTube parce que, selon leurs dires, nous mettions la vie des utilisateurs en danger, alors que des chaînes ultra-violentes ou d’une bêtise grandiose demeuraient ouvertes.On pouvait dire que les insultes ne nous touchaient pas directement, que je pouvais me regarder dans la glace, regarder mes enfants, sachant que j’œuvrais pour le bien. Évidemment, je sais qui je suis, j’exècre le racisme, l’intolérance, l’injustice et la bêtise, tout comme tous ceux qui travaillent chez Kairos. Mais ces mensonges ne sont pas sans effet : « médisez, médisez, il en restera toujours quelques chose »… des correcteurs de Kairos ont arrêté parce que nous avions été couvrir la 100ème du Conseil supérieur indépendant à Saintes, et que des gens leur disaient que c’était un rassemblement d’extrême droite. Que dire alors de l’effet de ces diffamations sur les lecteurs de Kairos ? Il suffit de stigmatiser, mentir, pour jeter l’opprobre, même si c’est un mensonge, pour que des gens prennent peur. Peur d’être assimilé à Kairos. Mais vous n’avez pas compris ? Pourquoi pensez-vous qu’ils usent et abusent du terme « complotiste », si ce n’est pour décrédibiliser l’adversaire ?Et c’est vous qui payez, avec vos impôts, ceux qui vous désinforment et vous dénigrent chaque jour.L’humanité continuera sans Kairos, évidemment, mais que ce soit pour nous ou d’autres pourfendeurs du réel que la caste médiatico-politique nous impose, si cela continue, il n’y aura un jour plus de cailloux dans leur chaussure. Se passera alors certainement ce qu’Orwell avait prédit dans 1984 : « « Si vous désirez une image de l’avenir, imaginez une botte piétinant un visage humain… éternellement. »

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Articles

Entretien de Thierry Meyssan avec Monika Berchvok

Les détracteurs de tout ce qui ne sort pas de la matrice médiatique officielle, s’arrêteront sans doute de suite sur l’auteur de l’article, lui trouvant certainement dans une forme de réflexe pavlovien quelques qualificatifs peu élogieux pour, comme à l’habitude, faire une seule chose: stopper la capacité de penser. Pourtant, pour ceux qui en auront le « courage », l’interview de Thierry Meyssan que nous reproduisons ici est d’un grand intérêt, à différents niveaux: l’attaque du 7 octobre, qui était connue du gouvernement Netanyahou depuis au moins un an; la division du Hamas en deux branches, l’une islamique et bénéficiant du soutien du premier ministre israélien, l’autre ayant rejoint la résistance palestinienne; l’origine de la Confrérie des Frères musulmans et le soutien que l’Occident lui apporte; enfin, des propos clairs et factuels sur la politique de Trump et l’avenir l’Occident.

Thierry Meyssan, qui accorde des interviews à tous ceux qui le lui demandent sans discrimination, a expliqué à Monika Berchvok son analyse de l’affrontement à Gaza.

Monika Berchvok : Pour vous, la thèse d’une attaque surprise le 7 octobre est difficile à croire. Quelles sont les incohérences qui vous font penser à un scénario à la 11 septembre ?

Thierry Meyssan : Le gouvernement de coalition de Benjamin Netanyahu avait été alerté par un rapport des services de Renseignement militaires un an auparavant, ainsi que l’a relaté le New York Times. Il n’a pas réagi. Lorsque, cet été, son ministre de la Défense l’a rappelé à l’ordre en Conseil des ministres, il l’a révoqué, ainsi que l’a révélé Haaretz. Cependant, sous la pression de son parti, il l’a réintégré peu après.

Par la suite des rapports se sont entassés sur son bureau. Parmi ceux-ci un des Renseignements, qu’il a retourné à son auteur comme peu crédible, et qui lui a été renvoyé deux autres fois avec des introductions d’officiers différents.

Ou encore deux rapports de la CIA. Et encore une démarche d’un de ses amis personnels, le directeur du Memri. Et comme si cela ne suffisait pas, un appel téléphonique du ministre du Renseignement égyptien.

Non seulement, le Premier ministre n’a rien fait, mais il a agi pour rendre cette attaque plus facile : il a pris l’initiative de démobiliser les gardes-frontières de sorte que personne n’a pu intervenir lorsque l’attaque a débuté.

Notez bien que j’ai la même lecture des événements que le pape François : lors de son message de Noël, le Saint-Père a qualifié, par deux fois, la guerre à Gaza de « folie sans excuses ». Pourtant, peu après, il a évoqué l’« odieuse attaque du 7 octobre », signifiant qu’il ne pensait pas que la guerre israélienne était une riposte à cette attaque. Il a alors demandé un arrêt des combats et la résolution de la question palestinienne.

MB : Au sein du pouvoir israélien, il y aurait donc une fracture aussi importante ? Le clan Netanyahu aurait quel but dans cette opération ?

TM : Durant les mois qui ont précédé l’attaque de la Résistance palestinienne, Israël a été le théâtre d’un coup d’État. Ce pays n’a pas de Constitution, mais des lois fondamentales. Elles régissent un équilibre des pouvoirs en confiant à la Justice la capacité de neutraliser les rivalités entre le gouvernement et la Knesset.

Sous l’impulsion du Law and Liberty Forum, financé par le straussien états-uno-israélien Elliott Abrams, la commission des Lois de la Knesset, présidée par Simtcha Rothman, par ailleurs président du Law and Liberty Forum, a détricoté les institutions israéliennes. Durant l’été, les manifestations monstres se sont multipliées. Mais rien n’y a fait. L’équipe Netanyahu a modifié les règles d’adoption des lois, éliminé la clause de « raisonnabilité » des décisions judiciaires, renforcé le pouvoir de nomination du Premier ministre, et affaibli le rôle des conseillers juridiques des ministères. En définitive, la Loi fondamentale sur la Dignité humaine et la Liberté est devenue un simple règlement. Le racisme est devenu une opinion comme une autre. Et les ultra-orthodoxes ont pu se goinfrer de subventions et privilèges divers.

Israël aujourd’hui n’est plus du tout le même pays qu’il y a six mois.

MB : La société civile israélienne est divisée et semble à bout de souffle. Pensez-vous que le modèle sioniste est mort ?

TM : Le sionisme est une idéologie d’un autre siècle. Il s’agit d’un nationalisme juif au service de l’Empire britannique. Durant des siècles, les juifs s’y sont opposés avant que Theodor Hertzl n’en fasse l’idéal de certains d’entre eux.

MB : La situation à Gaza est en train de virer à l’épuration ethnique. Tsahal, est-il capable de prendre totalement le contrôle de ce territoire et de le vider de sa population ?

TM : L’idée d’une épuration ethnique n’est pas neuve. Elle s’enracine dans les positions de l’Ukrainien Vladimir Jabotinsky dont, en Israël, Menahem Begin, Yitzhak Shamir et la famille Netanyahu se réclamaient comme, aux États-Unis, Leo Strauss et Elliott Abrams. Ce groupe, suprémaciste juif, affirme que la Palestine est « Une terre sans peuple, pour un peuple sans terre ». Dans ces conditions, les autochtones palestiniens n’existent pas. Ils doivent partir ou être massacrés.

C’est, à ma connaissance, aujourd’hui, le seul groupe au monde qui préconise publiquement un génocide.

MB : Côté Palestinien, le Hamas semble aussi divisé entre deux tendances antagonistes ?

TM : Le Hamas est la branche palestinienne de la Confrérie des Frères musulmans. Son nom est l’acronyme de « Mouvement de la Résistance islamique », ce qui correspond au mot arabe « zèle ». Son idéologie n’a rien à voir avec la libération de la Palestine, mais avec l’établissement d’un Califat. Son slogan est : « Dieu est son objectif, le Prophète est son modèle, le Coran sa constitution : le jihad est son chemin et la mort pour l’amour de Dieu est le plus élevé de ses souhaits. » Depuis sa création, il bénéficie de toute l’aide de la famille Natanyahu qui voyait en lui une alternative au Fatah laïque de Yasser Arafat. Le prince de Galles et actuel Charles III a été un des protecteurs de la Confrérie. Barack Obama, a placé un agent de liaison de la Confrérie au sein du Conseil national de sécurité états-unien. Un dirigeant de la Confrérie a même été reçu à la Maison-Blanche en juin 2013.

Cependant, au vu de l’échec des Frères musulmans durant le prétendu « printemps arabe », une faction du Hamas a pris ses distances avec la Confrérie. Il n’y a donc plus un Hamas, mais deux. Le Hamas historique est gouverné par Mahmoud Al-Zahar, Guide la Confrérie à Gaza. Sous ses ordres, le milliardaire Khaled Mechaal au Qatar et Yahya Sinwar à Gaza. Au contraire, la branche du Hamas ayant rejoint la Résistance palestinienne est dirigée par Khalil Hayya.

Cette division du Hamas n’est pas couverte par les médias occidentaux, mais uniquement par certains médias arabes. Le président Bachar el-Assad s’est réconcilié, en octobre 2022, avec Khalil Hayya alors qu’il a refusé de recevoir Khaled Mechaal. À ses yeux, et aux miens, le Premier ministre de Gaza, Ismaïl Haniyyeh, a organisé l’attaque de la ville de réfugiés palestiniens en Syrie, Yarmouk, en 2012. À l’époque, les combattants du Hamas et ceux d’Al-Qaïda étaient entrés dans la ville pour éliminer les « ennemis de Dieu ». Ils étaient encadrés par des officiers du Mossad israélien et se sont dirigés vers les demeures des cadres du FPLP, qu’ils ont assassinés. Parmi eux, un de mes amis. Le président Bachar el-Assad vient, il y a quelques jours, de prononcer un discours contre le Hamas historique et pour celui qui a rejoint la Résistance palestinienne.

MB : Que représente l’authentique résistance palestinienne pour vous ?

TM : La Résistance palestinienne n’a rien à voir avec l’obscurantisme des Frères musulmans, ni avec l’opportunisme des milliardaires du Hamas. C’est un mouvement de libération nationale face au colonialisme des suprémacistes juifs.

MB : Pouvez-vous revenir sur l’histoire de la Confrérie des Frères Musulmans. Cette société secrète tente-t-elle de revenir dans le jeu après ses défaites en Syrie et en Egypte ?

TM : La Confrérie a été fondée, en 1928, par Hassan el-Banna, en Égypte. J’ai consacré une partie de mon dernier livre à son histoire internationale. Cependant, je ne suis pas parvenu à éclaircir les soutiens dont elle a bénéficiés à ses débuts. Toujours est-il qu’après la Seconde Guerre mondiale, elle est devenue un outil au service du MI6 britannique et bientôt de la CIA états-unienne. Elle s’est dotée d’un « Appareil secret » qui s’est spécialisé dans les assassinats politiques en Égypte. Un franc-maçon égyptien, Sayyed Qutob, est devenu son théoricien du jihad. L’organisation de la Confrérie a été copiée sur celle de la Grande Loge Unie d’Angleterre. La Confrérie s’est étendue au Pakistan avec le gendre d’Al-Banna, Saïd Ramadan, le père de Tariq Ramadan, et le philosophe Sayyid Abul Ala Maududi.

Par la suite, Ramadan est allé travailler à Munich pour la CIA, à Radio Free Europe, aux côtés de l’Ukrainien Stepan Bandera, grand massacreur de juifs.

La Confrérie a débuté son action militaire lors de la guerre du Yémen du Nord, dans les années 60, contre les nationalistes arabes de Gamal Abdel Nasser. Mais c’est avec Zbigniew Brzezinski qu’elle est devenue un acteur indispensable de la stratégie états-unienne en Afghanistan. Ce dernier a placé au pouvoir au Pakistan la dictature frériste du général Zia-ul-Haq et a lancé en Afghanistan, contre les Soviétiques, les combattants du milliardaire frériste saoudien Oussama Ben Laden.

Dans cette période, l’Arabie saoudite utilisait la Ligue islamique mondiale pour armer la Confrérie avec un budget plus important que celui consacré à sa propre armée nationale.

La Confrérie a tenté, en vain, de prendre le pouvoir dans plusieurs Etats, notamment en Syrie avec l’opération de Hama. Elle s’est impliquée dans la guerre de Bosnie Herzégovine, où elle a créé la Légion arabe. Oussama Ben Laden est devenu conseiller militaire du président Alija Izetbegovic, dont le straussien états-unien Richard Perle est devenu le conseiller diplomatique et le Français Bernard-Henri Lévy, le conseiller en communication.

Mais le grand œuvre de la Confrérie n’est arrivé qu’avec Al-Qaïda et Daesh. Ces organisations jihadistes, en tout point comparables au Hamas historique, ont été utilisées par la CIA et le Pentagone, principalement en Algérie, en Iraq, en Libye, en Syrie en Égypte et en Tunisie, pour détruire des capacités de résistance des pays arabes,

La France, qui avait donné asile à leurs dirigeants durant la Guerre froide, les a combattus avec l’alliance entre François Mitterrand et Charles Pasqua. Elle a réalisé que le Groupe islamique armé (GIA) n’était qu’une manœuvre britannique pour l’exclure du Maghreb.

Cependant aujourd’hui, personne ne comprend que la Confrérie n’est qu’un outil de manipulation des masses. Nos dirigeants, d’Emmanuel Macron à Jean-Luc Mélenchon, se laissent berner par son discours qu’ils prennent au pied de la lettre. Ils la traitent comme une organisation religieuse, ce qu’elle n’est pas du tout.

MB : Le Qatar à un rôle plus que trouble. Quelle est sa place dans la conspiration ?

TM : Au début, le Qatar s’est placé comme une puissance neutre, apportant ses bons offices. Mais beaucoup se sont inquiétés du fait qu’il héberge la branche politique du Hamas, que certains sont des amis personnels de l’émir et qu’il rémunère les fonctionnaires du Hamas à Gaza.

Le Qatar a répondu qu’il faisait tout cela à la demande des Etats-Unis comme il l’avait fait pour les Talibans.

En réalité, après qu’Abdel Fattah al-Sissi eut renversé la dictature de Mohamed Morsi, à la demande du peuple égyptien, dont 40 millions de citoyens ont défilé, il a informé l’Arabie saoudite que les Frères préparaient un coup d’Etat contre le roi Salman. Brusquement la Confrérie, qui avait été choyée durant des années, est devenue l’ennemie du Royaume. Le Qatar a alors publiquement assumé son rôle de parrain de l’islamisme, tandis que le prince héritier MBS tentaient d’ouvrir son pays.

Lorsque Donald Trump a prononcé son discours contre le terrorisme à Riyad, en 2017, l’Arabie saoudite a mis en garde le Qatar de cesser immédiatement ses relations avec la Confrérie et ses milices, Al-Qaëda et Daesh. Ce fut la crise du Golfe.

Les choses se sont éclaircies ces jours-ci : l’émir Al-Thani a envoyé une de ses ministres, Lolwah Al-Khater, à Tel-Aviv. Elle a participé au conseil de guerre israélien pour aplanir les difficultés dans l’accord de libération des otages. Mais elle n’a pas compris que le cabinet de guerre comprenait des opposants à la dictature de Benjamin Netanyahu, dont le général Benny Gantz. Elle s’est montrée pour ce qu’elle est : non pas une négociatrice neutre, mais une autorité capable de prendre des décisions au nom du Hamas. C’est pourquoi, à la sortie de cette réunion, Joshua Zarka, directeur général adjoint des Affaires stratégiques du ministère des Affaires étrangères, a déclaré qu’Israël « réglera ses comptes avec le Qatar » dès qu’il aura terminé son rôle de médiateur.

Au sein du cabinet de guerre, l’opposition à Netanyahu a commencé à se demander si tout cela, le coup d’Etat cet été et l’attaque du 7 octobre, n’était pas une mise en scène de l’administration Biden.

MB : Les États-Unis seraient donc à la manœuvre. Quelle serait la stratégie de Biden dans la région ?

TM : Joe Biden n’a pas toutes ses capacités. Aux États-Unis, il y a même une émission de télévision hebdomadaire sur ses problèmes de santé et ses absences intellectuelles. Dans son ombre, un petit groupe a relancé la stratégie de George W. Bush et Barack Obama : détruire toutes les structures politiques du « Moyen-Orient élargi » à l’exception de celles d’Israël.

C’est ce qui se passe en Libye, au Soudan, à Gaza et que l’on poursuit au Yémen.

L’administration Biden assure vouloir faire cesser le massacre à Gaza, mais poursuit ses livraisons d’obus et de bombes pour qu’il continue. Il prétend vouloir maintenir la liberté de circulation en mer Rouge, mais forme une coalition internationale contre Ansar Allah qu’il qualifie à tort d’antisémite et qu’il affuble du sobriquet de « Houthis » (c’est-à-dire de « bande la famille al-Houthis »). Washington vient de faire annuler la signature du traité de paix au Yémen, sous les auspices des Nations unies. Il relance une guerre qui avait déjà pris fin.

MB : Au regard de ce chaos, quel est le bilan de Trump dans la géopolitique du Proche-Orient ? Son retour pourrait amener une autre voie pour sortir de ce conflit ?

TM : Donald Trump est un ovni politique. Il se réclame de l’ancien président Andrew Jackson (1829–1837) et n’a aucun rapport avec les idéologies républicaine et démocrate. Sa première décision lorsqu’il est arrivé à la Maison-Blanche a été de priver le directeur de la CIA de son siège au Conseil national de Sécurité. Cela a provoqué ses premiers ennuis et la démission forcée du général Mike Flynn.

Donald Trump souhaitait résoudre les problèmes internationaux par le commerce et non par les armes. On peut considérer que c’est une voie illusoire, mais il est le seul président US qui n’a jamais déclenché de guerre. Il a interrompu brutalement l’usage par Washington de proxys terroristes, notamment Al-Qaëda et Daesh. Il a mis en cause le rôle de l’Otan ; une alliance militaire qui vise selon les mots de son premier secrétaire général à « Garder les Américains à l’intérieur, les Russes à l’extérieur et les Allemands sous tutelle ».

S’il était au pouvoir, il aiderait la majorité des citoyens israéliens à se débarrasser des « sionistes révisionnistes », c’est-à-dire le groupe de Benjamin Netanyahu ; il poursuivrait la mise en application des Accords d’Abraham et mettrait fin au soutien occidental à la Confrérie des Frères musulmans ; il aiderait la majorité des Ukrainiens à se débarrasser de Volodymyr Zelensky et ferait la paix avec la Russie. Etc.

Toutefois, Donald Trump n’est pas encore élu et l’équipe au pouvoir actuellement tente de le contraindre à renoncer à son programme pour pouvoir accéder à la Maison-Blanche.

MB : À terme, l’Occident incarnée par l’axe américano-sioniste est-il condamné à mourir ?

TM : Vous qualifiez d’« américano-sioniste » le groupe qui dirigea actuellement l’Occident politique. C’est une manière de voir. Je pense cependant qu’elle n’est pas liée à un État. Il se trouve que ces gens sont au pouvoir aux États-Unis et en Israël, mais ils pourraient l’être ailleurs. Il se trouve qu’ils se réclament du nationalisme juif, mais ils ne sont pas nationalistes. Ces gens sont des suprémacistes. Ils récusent l’égalité entre les personnes humaines et considèrent comme insignifiant de massacrer des masses humaines. Pour eux, « On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs ».

C’est cette manière de penser qui a provoqué la Seconde Guerre mondiale et ses gigantesques massacres de civils.

Aujourd’hui, de nombreux dirigeants du monde réalisent qu’ils ne sont pas différents des nazis et apportent les mêmes horreurs. Le Tiers-Monde est désormais éduqué et membre des Nations unies. Il ne peut plus supporter le pouvoir de ces gens-là. La Russie aspire à rétablir le Droit international que le tsar Nicolas II avait créé avec le Prix Nobel français Léon Bourgeois lors de la conférence de La Haye, en 1899. La Chine aspire à la Justice et ne tolérera plus de « traités inégaux ».

Il me semble que ce système de gouvernance est déjà mort. Aux Nations unies, la résolution annuelle exigeant la fin du blocus de Cuba a été adoptée par 197 Etats contre 2 (les États-Unis et Israël). La résolution pour un cessez-le-feu immédiat et durable à Gaza a été adoptée par 153 États, c’est un peu moins, mais l’enjeu est bien plus grand. Quoi qu’il en soit, nous voyons bien qu’une majorité se dégage contre la politique de ces gens. Lorsque la digue cédera, et nous sommes proches de ce moment, l’Occident politique s’effondrera. Nous devons absolument nous détacher de ce radeau avant qu’il ne coule.

Thierry Meyssan

Source: https://www.voltairenet.org/article220213.html

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BRÈVES

L’ÉLECTRO HYPER-SENSIBILITÉ SUR PELLICULE 

Remembering Nearfield, un film d’animation sur l’électro-hypersensibilité (EHS) réalisé par Sean A. Carney, a remporté le prix du meilleur film sur la santé au Festival des films du monde de Cannes en juillet. À l’heure actuelle, l’EHS est un handicap toujours négligé par les pouvoirs publics et la majeure partie du monde scientifique, qui compromet la capacité des patients à mener à bien leurs activités quotidiennes. Une piste de solution est le maintien ou la création de « zones blanches » où le rayonnement électromagnétique est faible ou nul. En attendant la solution radicale d’« éteindre le moteur de la civilisation thermique », comme le suggère le scientifique Guy McPherson 

B. L. 

IMPOSSIBLE MONDE SANS ORDIPHONE 

Le Soir du 3 octobre 2023 consacre 2 pages à la gloire du smartphone. Le journaliste Philippe Laloux ne porte apparemment aucun jugement de valeur, se cantonne au factuel, mais va jusqu’au prophétique : « La transformation du smartphone en portefeuille électronique est inscrite dans les astres ». Nous voilà prévenus. C’est comme ça ! Le 10 octobre, un publi-reportage : « Le nouveau smartphone, plutôt Apple ou Google ? ». Les médias dominants sont les vecteurs enthousiastes du monde tel qu’il va. Pour (essayer de) le faire aller autrement, lisez aussi nos confrères de Suisse, Moins !, et de France, La décroissance. 

B. L. 

MINES DE RIEN… 

Le mardi 19 septembre dernier à Namur, les DoMineurs, des citoyens opposés à la réouverture des mines en Belgique, ont rencontré pour la deuxième fois la Ministre Céline Tellier au sujet du Code de gestion des ressources du sous-sol wallon, actuellement proche de sa finalisation et devant bientôt être voté au Parlement wallon. Une action a été entreprise auprès des députés. Pour eux, voici un dossier à creuser ! 

B. L. 

URSULA VON DER LEYEN ET LES RECORDS DE DÉBILITÉ PROFONDE 

On aurait pu croire que la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen n’allait pas pouvoir ajouter grandchose encore à son palmarès d’idioties et de malfaisances (collabo en chef du pouvoir étasunien, collusion avec Pfizer, alimentation zélée de la guerre en Ukraine, etc.). Elle vient de prouver le contraire en s’attaquant au statut d’espèce protégée dont le loup bénéficie dans l’UE (in Le Soir, 04/09/2023). Elle n’atteindra sans doute pas son but, mais ça n’ôte pas à la chose sa gravité. On repense à la formule d’un personnage de L’homme à l’envers de Fred Vargas sur les ennemis du loup : elle les qualifie en effet de « vieux cons arriérés », expression s’appliquant tellement bien, dans le cas présent… 

D.Z. 

ESPÈCE EN VOIE DE RÉAPPARITION 

Une bonne nouvelle (ça arrive) : elle concerne le takahé, oiseau qui avait vécu en Australie durant 12.000 ans au moins, avant qu’on le considère comme éteint depuis 1898, suite à l’introduction par les colons de prédateurs de cet animal. On avait cependant découvert quelques survivants au milieu du XXe siècle. Ceux-ci ont pu se reproduire en captivité. Et en août 2023, pour la première fois, des takahés ont été relâchés dans des zones naturelles, où leurs prédateurs avaient été capturés. En outre, cette réintroduction est l’aboutissement d’un long combat juridique d’une communauté indigène, les Ngāi Tahu, pour lesquels cet oiseau est une part de leurs terres ancestrales. (in Reporterre, 04/09/2023). 

D.Z. 

DÉMOCRATURE 

« La démocratie était l’idéal de tous les États dans le monde, et aujourd’hui, au contraire, il y a une demande d’autoritarisme, y compris parfois chez nous, une défiance vis-à-vis de la démocratie avec l’impression qu’elle ne protège pas assez les citoyens », se plaint Georges Dallemagne, député fédéral des Engagés, dans Le Soir du 26 septembre 2023. Rappelons-nous que c’est le même qui avait réclamé la vaccination « automatique » pour le personnel soignant. C’est pas de l’autoritarisme, ça ? À moins que ce ne soit un acte « démocratique » pour « protéger les citoyens »… 

B.L.

AUX RIA, L’OUBLI D’UN « A »… 

En juillet dernier à Saint-Imier (Suisse), les rencontres internationales (anti ?)-autoritaires (RIA) ont réuni 5.000 anarchistes. Ce n’est pas peu dire qu’elles ont tourné à la pagaille, et au cauchemar pour l’historique Fédération anarchiste (lire le compte-rendu circonstancié par Tomjo et Mitou sur www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/ pdf/mes_vacances_a_saint-imier.pdf). Tout n’est évidemment pas pourri au royaume de l’anarchie, loin de là ! On visitera avec intérêt la revue libertaire en ligne Divergences, qui garde la tête froide en ces temps troublés (dans le genre). 

B. L. 

PARIS TROTINETTISÉ, PARIS SMARTPHONISÉ, PARIS NUMÉRISÉ, MAIS PARIS LIBÉRÉ ! 

Nous saluons la venue d’un tout nouveau confrère français engagé dans la résistance, Stop ! Le Paris débranché, à destination des citadins qui n’ont « pas encore totalement abdiqué de [leur] côté humain pour se fondre dans les cohortes de zombies électro-trotinettisés au cerveau piloté par un smartphone », lit-on à la Une du n° 1 (octobre/novembre 2023). Nous leur souhaitons déjà longue vie. En toute cohérence, pas de courriel ni de site, seulement une adresse où s’abonner : 7 bis, rue Jules Parent – F‑92500 Rueil Malmaison. 

B. L. 

VROUM VROUM, ÇA CHAUFFE ! 

Le Soir du 29 septembre 2023 se demande s’il faut continuer à promouvoir la Formule 1 dans le contexte du réchauffement climatique. Même en l’absence de celui-ci, la F1 devrait être supprimée, déjà parce qu’elle encourage le gaspillage des ressources métalliques et fossiles, le comportement agressif des « hommautos », qu’elle exalte la « virilité », la vitesse, la frénésie, le vacarme, toutes choses qui vont à l’encontre d’une société décente et respectueuse du bien commun. Seulement, « quant à savoir pourquoi on continue : parce que cela marche. Après plusieurs années de déclin, la Formule 1 a connu une seconde jeunesse […] En Belgique, le circuit de Spa-Francorchamps a ainsi vu son chiffre d’affaires augmenter de près de 40 % en 2023 ». Désolé de vous annoncer une mauvaise nouvelle de plus. 

B. L. 

CANARD BOITEUX ET GENTIL CHIEN 

L’ère Covid-19 nous aura permis de distinguer avec une évidence rare les conformistes qui se donnaient des airs de libre-penseur, déversant désormais sans plus aucune vergogne leur mépris sur quelques intransigeants qui ne pensent pas comme eux. Ainsi du Canard enchaîné, qui titre une de ses brèves « Des doigts et du souffre à LFI » (30 août 2023), usant des méthodes de la « grande presse » pour stigmatiser Alexis Poulin : « Cet ancien du “Média” Insoumis était invité à débattre […] de la liberté de la presse, “entre algorithmes et oligarques” (sic). Un véritable expert ! Cet habitué des canaux préférés de l’extrême droite conspirationniste (Boulevard Voltaire, TV Liberté) et de RT France, la télé favorite de Poutine, avait qualifié Gabriel Attal de “[jeune] leader passé au Bilderberg”* […] ; « Dans une interview au très obscur canal Tribunal populaire » […] ; « Sans oublier quelques saillies répétées sur les “politiques fascistes” telles que l’obligation vaccinale pour les soignants ». Florilège des méthodes dénigrantes (en gras) de la « presse libre »… Il ne nous en faudra pas plus pour comprendre comment Le Canard Enchaîné, malgré les apparences, est, comme le toutou Médor, au service de son maître. *Ce qui s’avère vrai. 

A. P. 

MUSK-ZELENSKY, PIPI-CACA

La Libre Belgique publiait le 2 octobre une information captivante : Elon Musk, propriétaire de X a diffusé un « mème » (élément de communication se diffusant largement sur Internet, notamment sur les réseaux sociaux) afin de se moquer de Volodymyr Zelensky. L’image était accompagnée de la phrase suivante : « Quand cela fait 5 minutes que vous n’avez pas demandé un milliard de dollars d’aide ». Le parlement ukrainien ne tarda pas à riposter en publiant à son tour un mème accompagné du texte suivant : « Quand cela fait 5 minutes que vous n’avez pas diffusé de propagande russe ». Ou quand les hommes les plus influents du monde jouent à pipicaca dans le bac à sable des réseaux sociaux. Soit dit en passant, ceci en dit long sur la néantisation de la société, d’autant plus que, selon la RTBF, le francophone absorberait en moyenne 5 h 37 de vidéo par jour ! 

K. C. 

IN MEMORIAM HUBERT REEVES, ET PLUS ENCORE ALBERT JACQUARD 

Hubert Reeves est mort le 13 octobre, à l’âge de 91 ans. Célèbre astrophysicien franco-québécois engagé dans la cause écologique depuis une vingtaine d’années avec son essai Mal de Terre (2003), il refusait pourtant avec obstination d’envisager l’hypothèse de la décroissance, contrairement à son collègue Albert Jacquard (19252013), qui, lui, avait montré de l’intérêt envers elle. 

B. L. 

IL N’EST TOUJOURS PAS L’HEURE DE CESSER DE CHANGER D’HEURE… 

Cela fait maintenant plusieurs années que l’Union européenne a annoncé l’abandon du changement d’heure, et la résolution n’est toujours pas « implémentée ». On peut se demander les raisons de tels atermoiements quand on a vu que les « autorités » sont, quand elles le veulent, très rapides pour prendre des décisions autrement lourdes de conséquences (confinement, couvre-feu, injection de la population, financement de l’effort de guerre de l’Ukraine…). 

B. L. 

ACCOUPLEMENT MAGIQUE 

Yves Coppieters, docteur médiatiquement inconnu avant la crise du covid-19 devenu une star pendant la pandémie, sera candidat aux prochaines élections fédérales pour les Engagés. Maxime Prévot, pour qui cette nouvelle recrue est « un gage incontestable de sérénité, de crédibilité et de bienveillance », est content. Et jure qu’il n’y a aucune collusion entre le monde scientifique et politique (comme il n’y en a bien entendu aucune entre le monde du journalisme et la politique, n’est-ce pas, Hadja Lahbib — ancienne présentatrice de télévision et ministre des affaires étrangères) ? 

K.C.

DISCOURS DE POLITIQUE GÉNÉRALE DU PREMIER MINISTRE 

Discours de politique général du Premier ministre Alexander De Croo du 11 octobre 2023 : 

« La guerre en Europe relègue peut-être au second plan la lutte contre les changements climatiques mais elle n’en atténue pas pour autant l’urgence ». 

« Nous sommes la première génération à ressentir les effets de la crise climatique, mais aussi la dernière génération capable de la contenir ». C’est sûr qu’en reléguant au second plan la lutte contre les changements climatiques à cause de la guerre, on va y arriver. 

« Un État qui se veut protecteur des générations futures et défenseurs des libertés, doit reposer sur des fondements solides. Pour notre pays, cela veut dire des pouvoirs publics plus performants, plus de gens au travail et des carrières plus longues ». Ou quand la liberté, c’est la multiplication du travail aliéné. 

« Si nous voulons que les investissements soient rentables, nous devons oser rationaliser ». N’est-ce pas la rationalisation osée qui provoque un effondrement sans précédent du système des soins de santé ? 

« Nous ne vous laisserons pas tomber. L’Ukraine gagnera cette guerre ». 

« S’il y a bien une leçon à tirer de la guerre en Ukraine, c’est qu’à vouloir à tout prix avoir raison, on finit par la perdre ». La guerre, la raison, ou les deux ? 

Heureusement que nous n’avons recueilli que certains propos énoncés en français ; autrement, cette brève aurait été certes deux fois plus remplie, mais aussi deux fois plus vide. Bref, elle aurait été à l’image du discours du Premier : paradoxale. 

K. C. 

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Santé publique et hôpitaux : 6 jours à Gaza

Alors que le discours politique semble prendre un tournant dans le contexte du génocide palestinien, comme les mots de Petra De Sutter, vive-premier ministre belge (« Il est temps d’imposer des sanctions contre Israël. Les bombardements sont inhumains. […] Alors que des crimes de guerre sont commis à Gaza, Israël ignore la demande internationale d’un cessez-le-feu » (8 novembre), il est permis de douter de l’objectif désintéressé de ceux plus habitués à flatter pour attirer des voix qu’à défendre des valeurs. Soit, derrière les discours feutrés contre les actes d’Israël, le carnage continue. 

Le Commissaire-général de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), Philippe Lazzarini, a appelé à l’arrêt du « carnage » dans la bande de Gaza. Il rajoute « Leurs craintes sont exacerbées lorsqu’ils entendent un homme politique israélien qualifier les Gazaouis d’ ‘animaux humains’ – un langage déshumanisant que je ne pensais pas entendre au 21e siècle. » (9 novembre)

L’absence d’empathie et de compassion, que montrent les pays occidentaux, en ce compris Israël, pour ce drame absolu qu’est la situation à Gaza ne plaide pas pour nous. Quoi, nous serions des pays civilisés ? Permettez-moi d’en douter.

Sortir de l’idéologie, revenir au réel est notre urgence pour décrisper les tensions qui montent aussi chez nous. Petitement, pour ma partie, j’essaye. Ici par des porte-paroles du ministère palestinien de la santé et d’autres sources. Et si, pour cette fois, nous les écoutions, non ? Et encore, seulement quelques extraits concernant les hôpitaux et surtout actuellement l’hôpital Al Shifa, le plus grand complexe hospitalier de la Bande de Gaza (au nord) qui subit une lente agonie à la face du monde.

« Entre-temps, l’hôpital pour enfants Al-Nasr est pris pour cible à plusieurs reprises, et la vie des enfants, du personnel et des personnes déplacées est menacée. Les ambulances ne peuvent pas atteindre l’hôpital pour enfants Al-Nasr pour évacuer les blessés en raison du ciblage. Nous appelons les Nations Unies et le Comité international à être présents dans les hôpitaux pour enfants Al-Rantisi et Al-Nasr, à les protéger et à faire de la place aux ambulances pour évacuer les blessés. […] « L’Association des banques de sang de la ville de Gaza est hors service à la suite de cette attaque. » (10 novembre, porte-parole ministère)

« 38 enfants souffrant d’insuffisance rénale sont privés de services de dialyse dans le seul centre destiné aux enfants de la bande de Gaza, après l’arrêt de l’hôpital spécialisé pour enfants de Rantisi en raison d’une panne de carburant. […] L’occupation israélienne assiège les hôpitaux pour enfants d’Al-Rantisi et d’Al-Nasr, ferme les stations d’oxygène et les enfants malades sont exposés à la mort. (10 novembre) […] Décès d’un deuxième enfant dans la crèche du complexe médical d’Al-Shifa après l’arrêt du générateur électrique et la mise hors service du complexe. » […] Nous renouvelons notre appel à toutes les institutions internationales à se rendre immédiatement au complexe médical d’Al-Shifa et aux hôpitaux du nord de Gaza pour protéger le système de santé et lui permettre de mener à bien ses tâches purement humanitaires. (11 novembre, porte-parole ministère)

« La deuxième attaque de l’armée israélienne de la journée a causé d’importants dégâts au bâtiment de l’unité de soins intensifs. […] Le ministère de la Santé a officiellement annoncé le décès de tous les patients des soins intensifs de l’hôpital d’Al-Shifa en raison de pannes d’électricité et d’oxygène. » (12 novembre, porte-parole ministère)

Un journaliste de l’hôpital Al-Shifa de Gaza : « La situation est indescriptible. Nous cherchons un morceau de pain à manger et les corps des martyrs éparpillés dans les cours du complexe sont mangés par des chiens errants sans que personne ne puisse les chasser. » Ceci semble être confirmé par un porte-parole du ministère palestinien de la Santé qui a déclaré à Al Jazeera que les chiens errants ont commencé à manger les corps des morts s’entassant dans les rues. (Aussi choquant que cela puisse être, ayant travaillé en Afrique, la problématique des chiens errants dans la ville, souvent en bande, est une réalité : donc je pense l’information plausible.)

Le ministère de la Santé déclare qu’il n’est plus en mesure de compter le nombre de morts et de blessés, en raison des attaques israéliennes incessantes. (13 novembre) Effectivement, les derniers chiffres fournis officiellement concernent le 9 novembre. Quelques chiffres circulent depuis, mais aucun ne semble avoir été validé par le ministère, je ne les reprends donc pas.

« Le personnel médical de l’hôpital Al-Shifa n’a reçu ni nourriture ni boissons depuis 6 jours. » (Ministère de la santé) […] La ministre a passé en revue la situation sanitaire catastrophique dans la bande de Gaza, et les attaques dont le système de santé a été témoin, où 23 hôpitaux sur 35 ont complètement cessé de fonctionner. (13 novembre)

« Vivre à l’hôpital Al Shifa est plus difficile que la mort elle-même. Il n’y a ni vie, ni eau, ni électricité. Nous survivions grâce à quelques sacs de farine laissés sur place par ceux qui ont évacué avant nous. » (14 novembre, patiente)

« Aujourd’hui, l’unique groupe électrogène de l’hôpital Al-Amal, affilié à la Société du Croissant-Rouge palestinien à Khan Yunis, a cessé de fonctionner. Cela menace la vie de 90 patients soignés à l’hôpital, dont 25 patients du service de réadaptation médicale qui courent désormais un risque de mort à tout moment » (14 novembre, Croissant Rouge)

Sous-secrétaire du ministère palestinien de la Santé à Gaza : « Nous essayons de creuser une fosse commune pour enterrer les centaines de cadavres éparpillés dans les cours de l’hôpital Al-Shifa. » Une source journalistique parle de 170 corps en décomposition déjà enterrés dans la cour principale de l’hôpital transformé en fosse commune. (14 novembre)

« L’eau pleut en ce moment. » Un enfant palestinien déplacé exprime sa joie alors que la saison des pluies commence à un moment où des centaines de milliers de Palestiniens ne peuvent pas trouver d’eau potable. (14 novembre) Cela réglera certains problèmes et en posera de redoutables aussi. N’oublions pas que la majorité de la population sont des déplacés internes, vivant dans une extrême précarité.

« Transfert de prématurés du service de crèche du complexe médical d’Al-Shifa vers un autre endroit. Là où l’électricité est disponible. » […] « Nous confirmons la poursuite des services de maternité au complexe Al-Sahaba à Gaza. » […] « L’occupation israélienne place toutes les personnes présentes dans le complexe médical d’Al-Shifa dans le cercle de la mort après l’avoir encerclé de tous côtés et poursuivi les violents bombardements et les tirs nourris pendant deux heures. » (14 novembre, porte-parole du ministère).

(source Al Jazeera) « Hier soir, les forces d’occupation ont pris d’assaut le complexe médical d’Al-Shifa après l’avoir entouré de chars. Il avait coupé le carburant et l’électricité pendant des jours, ce qui a entraîné la mort de nombreux patients en soins intensifs et de bébés prématurés » (Dr Zaqout, directeur général des hôpitaux de la Bande de Gaza) […] Ahmad Mikhallalati, chef du service des brûlés de l’hôpital Al Shifa : « Nous ne savons pas si l’armée israélienne va nous tuer ou si elle veut simplement nous terroriser … Tous ceux qui ont tenté de quitter l’hôpital ces derniers jours ont été abattus. » Dr Zaqout : « Cette nuit, l’armée d’occupation est entrée dans le service des urgences du complexe Shifa et fouille actuellement le sous-sol de l’hôpital. Pas une seule balle n’a été tirée depuis l’intérieur de l’hôpital lors de l’assaut du complexe par les forces d’occupation. L’occupation a ouvert le feu sur ceux qui ont quitté le couloir qu’ils prétendaient être en toute sécurité pour sortir du complexe Al-Shifa. Les forces d’occupation ont pris d’assaut les bâtiments chirurgicaux et d’urgence du complexe Al-Shifa. »

Médecin sans frontière, Dr Obeid : « Un sniper a blessé quatre patients dans l’hôpital. L’un d’entre eux a été blessé au cou, c’est un patient tétraplégique. Un autre a été touché à l’abdomen. […] L’équipe médicale a accepté de quitter l’hôpital à condition que les patients soient évacués en premier. Nous ne voulons pas les laisser. » (15 novembre matin)

Le complexe Al-Shifa était le plus grand complexe médical de la bande de Gaza. Il se compose de 3 hôpitaux spécialisés et a été créé en 1946 pendant le mandat britannique. Il y aurait actuellement 1500 membres du personnel médical, 650 patients et environ 7000 civils déplacés dans le complexe.

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Nous vivons aujourd’hui sous une pluie de déclarations d’aide, de cessez-le feu temporaires, de couloirs humanitaires, de pauses, de condamnations, etc., etc. La bonne conscience de nos « élites » inondent de plus en plus nos chaînes mainstreams, MAIS la terrible réalité des images et des témoignages montre que l’horreur pèse toujours aussi fortement sur un quotidien des Gazaouis, construit de terreurs. La montagne de nos mots creux détruit tout autant l’avenir, tant des Palestiniens que des Israéliens, sinon plus, et quelque part aussi le nôtre. Car la perversité consiste à faire croire qu’on n’a pas les moyens d’agir (Michèle Syboni). Il faut que le massacre s’arrête immédiatement mais pour cela il faut du courage politique.

Graphiques construits à partir des données publiées par le Ministère de la santé de l’Autorité palestinienne et de l’OCHA (United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs) jusqu’au 9 novembre. Ensuite je propose une projection simple calculée sur les données des 11 derniers jours où les chiffres ont été fournis. Entendons-nous bien, les producteurs de ces chiffres disent que c’est « au moins », c’est-à-dire uniquement celles et ceux qui ont pu être comptabilisés.

Christophe de Brouwer

Full-professeur honoraire et ancien président de l’École de Santé publique de l’Université libre de Bruxelles. (15 novembre 2023)

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Nos valeurs se consument…

La revue de presse de Jérôme Delforge

Ce samedi matin, je vais chercher mon pain et mes yeux se perdent entre les journaux du comptoir et les gâteaux du jour. Le journal La Meuse titre ce jour, en une : « L’En-Vie, un bar libertin, a ouvert ses portes à Floreffe : “J’avais besoin de combler un manque et je me suis plongée dans cet univers” ». Je rentre à la maison et un ami taquin m’adresse un article à lire : « Les défunts wallons pourront être inhumés avec leurs animaux de compagnie ».Quelle merveilleuse perspective d’avenir : jouir en public pour être finalement inhumé à côté de son chien. Tel pourrait être le projet de vie du Belge en 2023.

Notre État est en totale déliquescence, il est mal géré et n’a de cesse de gaspiller les deniers publics, alors que des pans entiers manquent de ressources. Je vous parle de l’école, de l’hôpital, des oubliés du capitalisme qui vivotent entre les perfusions de l’État et des boulots indigents, de la classe moyenne qui se voit de plus en plus sans moyen, de nos vieux oubliés et poussés vers la sortie finale. La trame de fond, le sentiment qui prédomine est le suivant : « Ce sont toujours les mêmes qui paient ». Un peu de nuance !, me direz-vous, soit … Je vais vous apporter cette nuance dans ce qui suit. 

Il y a un peu plus d’un an, au début de la crise du prix de l’énergie, nous faisions une interview de M. Samuel Furfari. Il nous avait expliqué la supercherie totale de l’énergie renouvelable dans le cadre du marché européen de l’énergie. Nous avions alors pris conscience de la manne financière, à revenu garanti, que représentait ce secteur. Des voix s’étaient élevées contre des profiteurs de crise qui passent de « subventionnés à tort et à travers avec vos impôts » à « vainqueurs d’un win for life de la transition écologique ».

De la justice fiscale aurait été de bon ton, mais cette information vient tuer nos espoirs dans l’œuf.

« Le projet est tout simplement abandonné » : la Wallonie renonce à taxer les surprofits éventuels sur le renouvelable.

Comme d’habitude, les pertes sont à charge de la collectivité et les profits très vites privatisés, afin de sustenter toujours les mêmes portefeuilles. Les fonds d’investissement et l’industrie allemande de l’éolienne peuvent dormir sur leurs deux oreilles, l’État veille au grain. Un cas isolé dois-je me dire ?

Mille milliards $, soit près de 950 milliards €. La somme est vertigineuse, équivalente au produit intérieur brut du Danemark et de la Belgique réunis. Elle correspond aux profits que les grandes entreprises de la planète ont transférés vers les paradis fiscaux sur la seule année 2022, selon le rapport sur l’évasion fiscale mondiale, publié lundi 23 octobre par l’Observatoire européen de la fiscalité. 

Il s’agit d’un passage d’un article du Monde du 22/10/2023. « De la sobriété consentie, nous vous le demandons », tel était le mot d’ordre de fin 2022. On peut constater que les gueux doivent toujours courber l’échine pendant que les grands, les valeureux capitaines d’industries, déboutonnent les chemises et pantalons avant le repas, grâce à un gavage libéral, débridés. Entendons-nous bien, donner un avenir, un travail, participer aux tissus économiques d’un pays est un honneur, un privilège, mais cela devient une honte quand ces grands patrons ne jouent plus le jeu du marché. 

Il faudrait peut-être leur rappeler qu’au début du XXe siècle, les grands industriels avaient compris que sans classe moyenne, il n’y avait pas de marché, et donc pas de débouché pour leur production. Jouer le jeu veut dire produire, vendre, faire vivre une communauté et participer aux frais de l’État qui permet au marché d’exister. L’évasion fiscale tolérée et légiférée que nous connaissons en Europe fait plus penser à des seigneurs, bandits de grands chemins qu’à des capitaines d’industrie respectables, ceux-ci étant toujours dédouanés par les « médias de grand chemin » pour reprendre l’expression de Slobodan Despot. Les chiffres évoqués ne concernent évidemment pas que l’Europe, mais cela permet de humer une masse d’argent sale dont personne ne parle jamais. Sur ce même thème, vous verrez que dans quelques semaines, quelques mois, la répression fiscale sera utilisée comme arme politique pour faire taire ou écarter certaines entreprises qui ne consentent pas à agir dans le sens de la doxa. Nous pensons spécialement à la société X d’Elon Musk qui s’est lancée dans un bras de fer avec le commissaire européen Thierry Breton.

« Israël-Palestine : entre Elon Musk et Thierry Breton, un différend public sur la modération de Twitter ».Ce titre est intéressant car les mots ont leur importance, surtout quand il s’agit d’identifier les maux d’une société en perte de repère.Quand le réel ne colle plus avec leur réalité, quand les espaces de libertés gênent les gendarmes de la pensée, reste la seule et vraie solution : la censure, la mise en place d’un « Ministère européen de la Vérité ». En écrivant 1984, George Orwell avait déjà compris où allait notre civilisation « occidentale ».

Ce gros mot que personne ne veut prononcer en Europe « démocratique » est bien celui qui se cache derrière la « modération » souhaitée.

Cette censure intervient a posteriori en supprimant des comptes et des contenus. N’oubliez pas que X (ex-Twitter), avant son rachat, a massivement censuré la parole de scientifiques et médecins durant la pandémie, ceci sur ordre du FBI et d’autres agences. La censure 2024 qui a déjà commencé se place « a priori ». Comme expliqué par les différents ministres de la Macronie, les manifestations pour la paix, en soutien à la Palestine, ont été interdites afin d’éviter de possibles troubles à l’ordre public, ou tout simplement pour ne pas qu’un soutien nécessaire et trans-parti, trans-ethnique, puisse se matérialiser en plein Paris. « Cacher à mes yeux ce que je ne pourrais voir » doit sûrement se dire une frange de l’« élite » européenne.

Que vont-ils dire quand ce seront des juifs qui manifestent leur désapprobation quant à la politique de terreur en cours à Gaza ? Ils les rendront certainement invisibles, tout comme ils tentent de rendre invisible tous les médias citoyens. L’Arcom veillera au grain et convoquera les grands médias afin de s’assurer du bon traitement du conflit après certains dérapages signalés cette semaine : « Guerre Israël-Hamas : l’Arcom convoque télés et radios après de nombreux dérapages ». La liberté d’expression, oui, mais ! Vous avez bien compris que cette dernière est à géométrie variable et ne concerne que certaines parties de notre société. La satire, même quand elle vient du service public qui a pour habitude d’adouber plutôt que critiquer, n’est plus tolérée.

Pour résumer, vous devrez penser ce que l’on vous demande impose, sans questionnement, abreuvés par des médias traitant l’information conformément aux directives reçues de l’État.

Elle est belle, notre démocratie.

Ce qui ressort de ces semaines sanguinaires, c’est que les citoyens du monde ne sont pas pour un côté ou l’autre, ils demandent simplement la paix. Il n’y a aucune caution derrière ce message, mais une réalité intemporelle, car à toute guerre a toujours succédé la paix depuis la nuit des temps, alors autant œuvrer pour que cette dernière arrive le plutôt possible. Et pourtant, cette paix tant souhaitée n’est de toute évidence pas au centre des discussions des exécutifs au pouvoir en Europe, tant la majorité suit aveuglément la ligne directrice du pouvoir d’extrême droite israélien, lui-même soutenu totalement par les États-Unis ; ceci avec une nuance de taille, que ce soit en Europe, aux États-Unis ou ailleurs dans le monde : il ne s’agit pas de la volonté de l’écrasante majorité des citoyens, mais bien de l’infime minorité de l’élite dirigeante.

Dans cet océan de mauvaise foi et de parti pris, d’anciennes figures politiques émergent avec un discours empreint d’expérience et de bon sens. Dominique de Villepin intervenant chez Apolline de Malherbe, nous dit ceci : « Nous voilà réduits avec Israël, sur ce socle occidental. Qui aujourd’hui est mis en cause par l’essentiel de la communauté internationale. L’occidentalisme, c’est l’idée que l’Occident, qui a pendant 5 siècles géré les affaires du monde, va pouvoir tranquillement continuer à le faire. Et l’on voit bien, y compris dans les débats de la classe politique française, que face à ce qui se passe au Moyen Orient, poursuivre encore davantage le combat de qui pourrait ressembler à une guerre de religion, de civilisation, c’est-à-dire nous isoler encore plus sur la scène internationale ».

Il continue en dénonçant le « deux poids, deux mesures » entre le traitement de la guerre en Ukraine et ce qui se passe dans la bande de Gaza. D. de Villepin affirme une forme de neutralité, prônant l’action dans le dialogue à la recherche de la paix. « Je suis, par formation, diplomate. La question de la faute, elle sera traitée par les historiens et par les philosophes ». Son expérience permet de donner des lignes forces réalistes : « La guerre contre le terrorisme n’a jamais été gagnée nulle part, la loi du talion est un engrenage sans issue ».

J’entends l’état-major israélien souhaiter éradiquer le Hamas. Tsahal pourrait tuer ou désarmer l’ensemble de la bande de Gaza que cela ne servirait à rien. Le Hamas est avant tout une idéologie politique et militaire qui existe et grandit sur fond de malheur et d’injustice depuis 70 ans, ce malgré les condamnations internationales et les résolutions multiples de l’ONU non suivies par Israël. Les combattants du Hamas de demain sont les proches des victimes récentes, l’ensemble des enfants du monde arabe, vivant heure par heure le massacre en cours. Une idéologie se combat avec les idées et non les armes. L’histoire récente nous l’a encore prouvé, l’exemple afghan en tête.« À genoux, torturés et numérotés : des milliers de travailleurs palestiniens renvoyés à Gaza sous les bombes ». Le titre se suffit à lui-même (voir le lien ci-dessous). Les suppliciés d’hier sont les parents des bourreaux d’aujourd’hui. Cette semaine, nous apprenons la nomination de l’Iranien Ali Barheini, à la tête du Forum social du Conseil des droits de l’homme. Des dizaines d’articles dans la presse occidentale se sont offusqués de cette dernière, arguant que c’était l’hôpital qui se foutait de la charité. Il est évident que ce monsieur défend un régime, connu pour ses exécutions et emprisonnements arbitraires. Les bases incontestables sont là, pourtant il n’y pas plus de légitimité d’y mettre à la tête un Américain qui pratique une politique similaire mais détournée. Les exemples sont légions et passent de Julian Assange aux prisons secrètes, aux soutiens inconditionnels et sans nuance à Israël.

Dézoomons un peu. L’ONU est devenu l’alibi des uns quand cela les sert, et l’institution à abattre des autres quand les résolutions ne vont pas dans leur sens. Attention à ne pas oublier l’histoire récente, où l’échec de la Société des Nations a poussé le monde à l’embrasement généralisé.

Changeons d’air et passons à l’industrie cinématographique, étant aussi réduite à sa fonction d’appui de la propagande. Verrais-je le mal partout ?

« Sound of Freedom: un thriller douteux sur la pédo-criminalité aux accents conspirationnistes, surprise du box-office

Nous retrouvons nos confrères de La Libre Belgique empreints de nuances, qui, plutôt que de souligner le travail et la mise en lumière d’un fléau, justifient un carton au box-office par des accents conspirationnistes. Ce film sera-t-il bientôt interdit ? Regardez-le et avant de vous faire une opinion imposée par les médias. 

Pour terminer, cette revue de presse, rien de tel que le bâton et la carotte. La carotte restera la petite jouissance d’achat de votre voiture électrique à 100.000€ où vous pourrez faire la file pour la recharger, un jour de canicule, tous les 300 km et vos vacances annuelles à Ténérife, dans un club « all in », permettant d’entretenir votre hyperglycémie, payables en trois fois sans frais bien sûr. Le bâton sera là pour vous ramener sur le droit chemin en cas d’égarement à une manifestation autorisée.

Vous serez accueillis par le Centaure, ce nouveau blindé de la gendarmerie français de 14,5 t et 300 CV. Je vous assure qu’il vous balayera tel un moustique sur le pare-brise de votre voiture. Le collègue vous achèvera au sol, à moins de 3 mètres avec un tir non létal mais mutilant à l’aide d’un LBD. « Le ministère de l’intérieur réduit la distance de tir des LBD, malgré leur dangerosité ». Afin de coller au récit et en bon antisémite que je ne suis pas, je termine cette revue de presse en visionnant Rabbi Jacob.

Vive 2023, où l’absurde devient raison. L’histoire n’étant qu’un éternel recommencement, regarder dans le rétro permet parfois de comprendre le monde de demain.

À méditer.

« La guerre, c’est le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent et ne se massacrent pas ». Paul Valéry

J. D.

Sources :

https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/28/interdites-ou-autorisees-des-manifestations-pour-la-palestine-ont-eu-lieu-dans-plusieurs-villes-de-france_6197055_3224.html

https://www.i24news.tv/fr/actu/international/1698499539-nouveau-week-end-de-manifestations-pro-palestiniennes-a-travers-le-monde

https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20231029-manifestations-%C3%A0-londres-paris-ou-new-york-en-soutien-aux-palestiniens

https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/10/22/entreprises-la-grande-evasion-fiscale-continue_6196011_3234.html

https://www.lalibre.be/belgique/politique-belge/2023/10/19/le-projet-est-tout-simplement-abandonne-la-wallonie-renonce-a-taxer-les-surprofits-eventuels-sur-le-renouvelable-5KE4P6XKOZGEBLEG7G4TUYLMBY/

https://www.sudinfo.be/id736986/article/2023–10-28/len-vie-un-bar-libertin-ouvert-ses-portes-floreffe-javais-besoin-de-combler-un

https://www.lesoir.be/545813/article/2023–10-26/les-defunts-wallons-pourront-etre-inhumes-avec-leurs-animaux-de-compagnie

https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/10/11/israel-palestine-bras-de-fer-entre-elon-musk-et-thierry-breton-sur-la-moderation-de-twitter_6193845_4408996.html

https://www.youtube.com/watch?v=Mpq5IxdDeqA

https://www.youtube.com/watch?v=hx8HR63BAPk

https://www.telerama.fr/television/guerre-israel-hamas-l-arcom-convoque-teles-et-radios-apres-de-nombreux-derapages-7017911.php

https://www.7sur7.be/monde/a‑genoux-tortures-et-numerotes-des-milliers-de-travailleurs-palestiniens-renvoyes-a-gaza-sous-les-bombes~a078de4e/

https://www.lefigaro.fr/vox/monde/nomination-de-l-iranien-ali-barheini-l-onu-jouet-de-ses-ennemis-20231102

https://www.lalibre.be/culture/cinema/films/2023/11/01/sound-of-freedom-un-thriller-douteux-sur-la-pedocriminalite-aux-accents-conspirationnistes-surprise-du-box-office-HWJAU3NYPRBV3F5GMJEEQOFSXY/

https://www.youtube.com/watch?v=bScIXMy_wTc

https://www.mediapart.fr/journal/france/271023/le-ministere-de-l-interieur-reduit-la-distance-de-tir-des-lbd-malgre-leur-dangerosite#:~:text=Auparavant%2C%20pour%20tirer%2C%20un%20policier,gendarmerie%20nationale%20d%C3%A9conseille%20de%20suivre.

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Gaza, la catastrophe est là, sous nos yeux

Depuis le dernier billet, la situation dans la bande de Gaza ne fait qu’empirer. Les données sont difficiles à recueillir, néanmoins le ministère palestinien de la santé publie, pas tous les jours, des chiffres qui ne sont qu’un pâle reflet des réalités.

Au 12 octobre, 724 enfants ont été tués. Combien aujourd’hui ? Ne faisons pas de prédiction macabre, car elles sont certainement mauvaises, très mauvaises. Le ministère estime à 1200 les personnes ensevelies sous les gravas provoqués par les bombardements, dont 500 enfants.

« Les enfants victimes de la crise de Gaza meurent par centaines » titre ce jour l’UNICEF[note], ajoutant « Depuis un peu plus d’une semaine, plusieurs centaines d’enfants et de jeunes ont été tués ou blessés. Et leur nombre ne cesse d’augmenter… La situation est alarmante. L’UNICEF appelle à une pause humanitaire immédiate et à un accès sûr pour étendre et maintenir les services vitaux pour les enfants dans la bande de Gaza. Chaque minute compte. »

Ces chiffres et appels à l’aide des organismes internationaux ne sont que la surface émergée de l’iceberg des souffrances et de la mortalité infligées à toute la population, c’est-à-dire aux 2 200 000 habitants entassés dans cette maudite bande. Ce 17 octobre, nous apprenons que l’hôpital d’Al Karama à Gaza nord (un de ces hôpitaux qui avait reçu l’ordre de fermer) a apparemment dû finalement fermer, non pas pour avoir fait l’objet d’un bombardement direct, c’est interdit par les lois internationales, mais parce que les bâtiments adjacents à l’hôpital ont été ciblés et se sont effondrés sur lui… De toute façon, les « hôpitaux meurent » , la situation est catastrophique.

Et, à peine avais-je poussé sur la touche envoi, que la nouvelle tombe : l’hôpital Ahli Arab (Baptiste), également de Gaza nord a été frappé de plein fouet ce soir par un bombardement : plus de 500 morts selon le ministère palestinien de la santé (rapporté par le journal Anadolu Ajansi), entre 200 et 300 morts selon la publication du Times of Israel. Les deux parties s’en rejettent la responsabilité. L’actualité s’enchaîne d’horreur en horreur.

Pas d’eau, pas d’électricité, pas de nourriture, pas de médicaments, déjà à peu près la moitié de la population déplacée (1 million de personnes) et ce dans le plus grand dénuement, subissant une situation désespérée affirme l’OCHA[note]. L’accès à la bande de Gaza est une priorité des Nations Unies. Les dernières réserves sont engagées npus explique l’UNRWA[note] dans son dernier rapport du 16 octobre, organisme qui a perdu toute capacité d’agir au nord de la bande de Gaza, où leurs refuges, des écoles, restent cependant bondés et bombardés. Au sud la situation s’aggrave tout autant, la ville de Khan Yunis subit également les bombardements, alors que Israël avait ordonné à la population du nord de s’y rendre (c’est l’UNRWA qui l’affirme, pas moi), … La dernière usine de désalinisation de l’eau vient de s’arrêter, les réserves de carburant sont épuisés. Les populations commencent à utiliser l’eau malpropre qu’ils trouvent, les maladies hydriques redoutables, notamment pour les enfants, sont là : combien de décès en plus ?

Ah oui, disons-le, l’occupant a ouvert une canalisation d’eau pour 14 % seulement de la population durant 3 heures …

La promesse d’ouvrir le poste frontière de Rafah avec l’Égypte – entrée des convois de secours qui attendent contre sortie des étrangers‑, reste jusqu’à présent lettre morte. Pourtant parait-il, les Américains avaient mis tout leur poids pour que cela se fasse. La balance était certainement déréglée.

Enfin, Médecins sans Frontière, présent dans la bande de Gaza, se fait enfin entendre et appelle à l’aide. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, mais quand même. La situation est donc vraiment grave.

Je suis désolé de cette litanie, je ne vois pas comment faire autrement. La catastrophe de santé publique est là, sous nos yeux, et nous ne faisons rien, enfin pas grand-chose. Nous devons arrêter ce cycle de la haine.

Christophe de Brouwer

Full-professeur honoraire et ancien président de l’École de Santé publique de l’Université libre de Bruxelles. (17 octobre 2023)

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Le retour du Droit ?

ENTREVUE AVEC LE JURISTE THIERRY VANDERLINDEN*

Kairos : Il semble que le droit ait repris ses prérogatives depuis quelque temps, après avoir été escamoté par l’exécutif pendant deux années de pandémie, non ? 

Thierry Vanderlinden : Je ne serais pas aussi optimiste ! Car il faut quand-même constater que la Cour constitutionnelle a entièrement débouté les requérants concernant le recours introduit contre la « loi pandémie » : celle-ci est considérée comme constitutionnelle et applicable dans son intégralité. Toutes les mesures prévues par cette loi ont été avalisées par la Cour constitutionnelle, qui a fait une pirouette juridique en renvoyant la responsabilité de leur application concrète aux bourgmestres et gouverneurs de province. Autrement dit, lorsque ces derniers prendront effectivement des mesures concrètes (confinement, port du masque, interdiction de rassemblement, etc.) lors d’une nouvelle pandémie, les citoyens devront alors introduire des recours devant les Tribunaux ordinaires et/ou le Conseil d’État : on ne peut que constater que la Cour s’est débarrassée de cette question en la renvoyant à d’autres ! La conséquence est qu’il appartiendra à chaque citoyen d’agir individuellement dès le moment où il estimera que les mesures décrétées violent les droits fondamentaux, ce qui risque d’entraîner une dispersion des énergies et une augmentation des coûts… De manière générale, on peut dire que le Conseil d’État et la Cour constitutionnelle ont bien rempli leur rôle de service après-vente du gouvernement : ces juridictions ont accepté la réclamation, mais ont indiqué : « Désolé, mais en vertu de tel et tel article et de tel et tel principe, on ne peut donner suite à votre recours. » Le Conseil d’État, en 2020–21, a signé tous les arrêtés du gouvernement, quels qu’ils soient, a donné des avis positifs, à tel point que de mauvaises langues disent que le Conseil d’État s’est transformé en Conseil de l’État, ce qui n’est pas exagéré. Ils ont presque dit au gouvernement comment il fallait procéder pour que les arrêtés soient acceptables. Concernant les législations « pandémie », des recours contre le Décret wallon et contre l’Ordonnance bruxelloise ont également été introduits. Le Décret wallon, en particulier, est tout à fait ahurissant puisqu’il autorise les inspecteurs de l’Agence pour une vie de qualité (AViQ), qui ne sont même pas des médecins, à obliger quelqu’un à rester chez lui ou suivre un traitement médical, mais sans préciser de quel traitement il s’agit : on peut penser évidemment à la vaccination ! Ils peuvent aussi saisir les animaux domestiques et les exterminer s’ils l’estiment nécessaire. La cerise sur le gâteau est la troisième option en cas de désaccord avec ces mesures-là : vous devez rejoindre un « lieu destiné à cet effet » (sic !) sans autre précision : on peut penser aux camps d’internement comme il y en a eu, semble-t-il, au Canada et en Australie. 

Concrètement, ça veut dire que si demain le gouvernement wallon décrète qu’on entre dans une pandémie, les mesures inscrites dans le Décret peuvent être appliquées ? 

Attendons l’arrêt de la Cour, prévu au mois de septembre. Je ne peux pas le prévoir, mais tout porte à croire que ce sera négatif, car il y a une tendance générale dans les instances supérieures – Cour de cassation, Conseil d’État, Cour constitutionnelle – à entériner l’ensemble des législations et des arrêtés pris par le gouvernement depuis le début de la crise sanitaire. Prenons un exemple. Le Tribunal correctionnel de Courtrai, statuant en degré d’appel d’un Tribunal de police, avait considéré que les mesures relatives au port du masque étaient illégales, ou en tout cas contraire aux principes fondamentaux tels qu’édictés dans la Constitution et dans la Convention européenne des droits de l’homme. Malheureusement, le Parquet général est allé en cassation et a gagné… Il reste un recours possible devant la Cour européenne des Droits de l’homme à Strasbourg, mais dans ce cas-ci le délai est évidemment expiré. Pour l’avenir, on pourrait l’envisager, par exemple pour le Décret wallon, mais ça nécessite un important travail de réflexion juridique (et donc un coût !), et il n’est pas certain qu’on obtienne gain de cause. 

Peut-on passer aux bonnes nouvelles ? D’abord l’arrêt de la Cour d’appel de Liège concernant la prolongation du Covid Safe Ticket. 

Oui, une victoire ! C’est un arrêt de la Cour d’Appel de Liège qui a été rendu au printemps dernier. Le Tribunal de première instance de Namur avait déjà donné raison aux requérants qui estimaient que la décision de prolonger le CST par la Région wallonne n’était pas suffisamment fondée. Celle-ci, après quelques hésitations, est finalement allée en appel, et mal lui en a pris puisque la décision du Tribunal de Namur a été confirmée par la Cour d’Appel de Liège dans un arrêt assez long et bien motivé. Il faut préciser que ces juridictions statuaient en référé, ce qui signifie qu’elles rendent des décisions provisoires et se contentent de dire qu’à première vue, il semble que les arguments présentés sont pertinents. Il faut donc recommencer le débat devant un autre tribunal qui va vraiment creuser la question et dire si les arguments sont fondés ou non. Cette instance-là est en cours et on n’aura sans doute pas de décision avant un « certain » temps. 

Une demi-victoire, alors ? 

Oui et non, c’est quand même une victoire de principe. Voilà deux instances judiciaires qui confirment la position de l’asbl Notre bon droit et qui donnent tort à la Région wallonne. La confirmation en appel est importante car elle montre que le discours des autorités officielles n’est pas infaillible et surtout n’est pas irréfragable, c’està-dire qu’on peut en apporter la preuve contraire. C’est une défaite pour la doxa, qui se veut être la seule vérité acceptable. Cela montre aussi que les pouvoirs publics sont tenus de prendre des décisions justifiées et fondées, c’est donc une consécration de l’Etat de droit : on n’est plus sous l’Ancien régime ! C’est le rôle du pouvoir judiciaire – le troisième pouvoir – de contrôler les actes du pouvoir législatif et exécutif, de vérifier la conformité de leurs décisions avec les lois et la Constitution. Ici, il faut bien se rendre à l’évidence que ça n’avait pas été le cas. La presse dominante a d’ailleurs relayé l’information, Le Soir l’a même mis à sa Une du 19 avril 2023. Cela devrait encourager les citoyens et les associations à ne jamais courber l’échine. Même si la chronologie exacte de cette affaire-ci n’était pas idéale — puisque la mesure avait été levée entretemps — au niveau des principes fondamentaux, ça reste une belle victoire. 

La Région wallonne peut-elle aller en cassation ? 

Oui, mais elle a intérêt à bien réfléchir, car elle s’est déjà plantée deux fois, sa crédibilité est en jeu. Un pourvoi en cassation prend du temps, coûte cher, nécessite un travail d’analyse juridique assez approfondi et il n’est pas recommandé de le déposer à tort et à travers. À ma connaissance, il semble que la Région wallonne n’ait pas introduit de pourvoi, ce qui laisse supposer qu’il n’y avait pas suffisamment d’arguments juridiques pour le faire. Dans ce cas, on aboutirait à un jugement définitif « coulé en force de chose jugée », c’est-à-dire qu’il n’est plus susceptible d’être frappé d’un recours et qu’il est opposable à tout un chacun : il devient « parole d’évangile », en quelque sorte. 

Y a‑t-il une deuxième bonne nouvelle ? 

Oui, un autre arrêt de la Cour d’appel, de Bruxelles cette fois, toujours dans le contexte sanitaire. Le collectif Zone libre avait édité des flyers qui reprenaient le visuel des flyers de l’AViQ qui faisaient la promotion de la bonne santé des Wallons grâce à la vaccination. Sur leurs visuels figuraient des citoyens lambda souriants et enchantés de se faire vacciner. À Bruxelles, il y avait la même campagne « Je me vaccine.be ». Zone Libre l’a retraduite en « Est-ce que je me vaccine ? », expliquant sur son site que se faire vacciner n’était peutêtre pas aussi évident, présentait des dangers, des risques d’effets secondaires, et que surtout il y avait des alternatives à la vaccination – étayées scientifiquement –, ce dont aucun pouvoir public n’a jamais parlé. Ceci est une violation de la loi de 2002 sur le Droit des patients qui dit clairement que le médecin a l’obligation d’informer le patient de toutes les solutions médicales possibles pour que celui-ci puisse donner son consentement libre et éclairé sur le traitement qu’on va lui proposer. Dans la crise sanitaire, le discours officiel répétait qu’il n’y avait qu’une seule solution, la vaccination, alors que celle-ci n’est qu’une possibilité. Il y en a d’autres, non seulement plus efficaces, mais surtout beaucoup moins invasives, comme le disait Zone libre en reprenant à peu près le même visuel que celui de l’AViQ. Celle-ci s’est opposée et a assigné l’éditeur responsable des flyers devant le Tribunal de première instance pour non-respect des droits d’auteur ! Celui-ci a donné raison à l’AViQ, mais heureusement Zone libre a interjeté appel, et bien lui en a pris parce que la Cour lui a donné raison à 100% : il n’y a pas lieu d’évoquer la notion de droits d’auteur parce que les flyers de l’AViQ n’ont rien de particulier et que le visuel a été récupéré à partir d’Internet. Deuxièmement, a dit la Cour, le flyer de Zone libre exprime une opinion différente, mais sur le ton de l’humour et de la dérision, ce qui fait partie de la liberté d’expression. La Cour ajoute : « Est ce que je me vaccine ? Oui, c’est une question qu’on peut se poser ». Le citoyen a des raisons de se poser des questions et donc « est ce que je me vaccine ? » correspond à l’état d’esprit d’une partie de la population. Cet arrêt, qui statue sur le fond, montre deux choses importantes : d’abord, le discours officiel n’est pas invincible, ensuite l’humour est une arme extrêmement efficace. 

Est-il envisageable de porter plainte par exemple contre la RTBF, qui a participé activement, avec d’autres, à la désinformation ou la mésinformation, alors qu’elle relève du domaine public ? 

Il y aurait un travail important à faire, d’abord recenser toutes les affirmations fantaisistes : là, Kairos est bien placé ! Ensuite, il faudrait confronter celles-ci à la réalité et aux thèses scientifiques qui viennent contredire ces affirmations fantaisistes. Il y a sans doute plusieurs avocats qui seraient ravis de pouvoir entamer des actions dans le domaine de la propagande… 

Ce qui est intéressant aussi, c’est que les médias ne reviennent pas sur ce qu’ils ont dit… 

En effet, ils sont enferrés dans leur propre logique, et c’est quelque part une arme pour nous. Jusqu’au dernier moment, ils affirmeront qu’on est tous des complotistes, que leur discours est le seul valable. Il n’est pas pensable pour le pouvoir politique ni pour les médias, jusqu’à preuve du contraire en tout cas, de changer de point de vue. Ça devrait jouer en notre faveur parce qu’il y a quelques magistrats qui seraient certainement sensibles à cet argumentaire-là. Mais ça nécessite une étude plus approfondie, il faudrait réfléchir à ça posément. 

Terminons en « apothéose » avec EVRAS ! 

C’est l’acronyme de Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle, un programme qui a démarré au début des années 2000 de manière discrète au niveau de l’OMS, et en Belgique à partir de 2011-12. Comme un banc d’essai, quelques animations ont été faites dans les écoles, sporadiquement. Ça ne faisait pas l’objet d’un programme obligatoire en Fédération Wallonie-Bruxelles. Puis les années ont passé, les mentalités ont prétendument évolué. Le mouvement LGTBQIA+ – vis-à-vis duquel je n’ai pas d’opinion particulière – a pris de l’ampleur dans les discours officiels, officieux, associatifs et autres. Des subsides semblent avoir été alloués à gauche et à droite, et les ministres wallons de la Santé et de l’Enseignement ont cru bon de mandater le monde associatif pour rédiger un guide, sorti il y a déjà deux ans, une brique de 200 pages dont les éditeurs responsables sont l’Asbl O’ Yes et la Fédération des centres de plannings familiaux. L’objectif est de sensibiliser les élèves à partir de cinq ans aux concepts de la vie relationnelle, affective et sexuelle. Il est certainement opportun de sensibiliser les jeunes aux relations affectives, à la tolérance vis-à-vis de différents types de relations, comme l’homosexualité, qui sont parfois en dehors des normes traditionnelles telles qu’elles sont notamment transmises par le milieu familial. Personnellement, je pense que c’est une bonne chose : dans le domaine affectif et relationnel, c’est la tolérance et l’ouverture d’esprit qui doivent prévaloir. Une tout autre affaire est la sexualité, bien présente dans le guide, jusqu’à parler en toutes lettres de la masturbation, de l’orgasme, de la taille des seins, de l’utérus, des sextos, de la pornographie, dont on liste les avantages et les inconvénients ! Alors quel est le problème qui se pose ? J’entends les professionnels de la santé des enfants, pédopsychiatres et psychologues, nous dire que proposer un discours relatif à la sexualité à partir de cinq ans relève d’une effraction du psychisme[note]. Les sites Sauvons Nos Enfants et Innocence En Danger donnent des informations à ce sujet. L’effraction est une notion de pédopsychiatrie qui, apparemment, a été totalement absente des considérations des rédacteurs du guide, ce qui est très préoccupant. Parmi ceux-ci, aucun représentant des milieux scientifiques, pas de pédopsychiatres ni de psychologues spécialisés dans la matière. C’est quand même assez singulier et interpellant. Donc, on peut se demander si le choix des pouvoirs publics n’a pas été d’ordre idéologique en donnant une place aussi importante à des associations qui défendent certains points de vue dans le domaine de la sexualité. Mais que dit la loi ? Le législateur ne s’y est pas trompé, ce côté « effractant » est repris textuellement dans le code pénal. Il s’agit de l’article 417 qui, par bonheur, a été entièrement revu il y a un an et demi à peine par le ministre de la Justice, que l’on peut saluer ici au passage, qui a jugé opportun de remanier complètement le concept, notamment par rapport à la vague inquiétante des sextos et « nudes », qui consistent en la représentation de l’intimité de partenaires ou d’anciens partenaires et qui sont évidemment contraires à la notion générale de bonnes mœurs. Cette matière a été rigoureusement réglementée et deux principes ressortent de l’article 417. Le tout premier et le plus important est qu’il n’y a pas de majorité pénale en dessous de l’âge de 16 ans, ce qui veut dire que tout enfant jusqu’à l’âge de 16 ans est légalement incapable de donner son consentement dans les matières relatives à la sexualité. Or imposer un enseignement standardisé dans le domaine sexuel est en contradiction avec ce principe ! Les pédopsychiatres diront que c’est un abus au niveau du psychisme : un mineur est psychiquement incapable de donner un consentement valable, et c’est confirmé par le code pénal qui prononce des peines aggravées dès le moment où ces animations sont données en classe par des animateurs qui sont dans un rapport d’autorité avec les enfants. Je signale au passage que, jusqu’à présent, toutes les animations se sont faites en dehors de la présence du professeur ou de l’instituteur en charge des enfants, sous prétexte qu’il ne faut pas que les enfants soient influencés par leur enseignant ; il s’agit là d’une atteinte à l’intégrité sexuelle, second principe de l’article 417. On veut que les enfants soient isolés de tout contexte adulte et qu’ils puissent s’exprimer valablement (?) sur des sujets qui les dépassent[note]. Il y a déjà de nombreux témoignages rapportant que les enfants sont passablement traumatisés, perturbés. Des campagnes de plainte sont envisagées, notamment par une lettre-type[note] que les parents peuvent adresser à la Direction de l’école de leurs enfants pour demander que ceux-ci soient dispensés de ces animations. Apparemment, à en croire le discours officiel de la ministre, EVRAS sera obligatoire à partir de la rentrée 2023, avec la priorité mise sur les classes de sixième primaire et quatrième secondaire. Les documents officiels sont en train d’être votés au Parlement wallon. Ils ont fait l’objet d’un premier vote en commission restreinte par les partis membres de la majorité qui, en vertu de la discipline de parti, n’ont pu faire qu’une seule chose, voter en faveur de cette disposition. Mais théoriquement, tant que le Parlement ne l’a pas voté, le Décret n’est pas d’application. 

Et ce débat sera public ? 

Le débat devant le Parlement est public, par définition (c’est à huis clos seulement s’il y a des personnes en cause). Tout citoyen peut les suivre ou simplement être présent à l’entrée du Parlement pour sensibiliser les parlementaires à la problématique de ce projet de décret. Tant que le décret n’est pas voté, il est impossible, politiquement parlant, aux ministres, d’imposer le guide EVRAS en milieu scolaire. Pour conclure, plus que jamais il est important de déposer des recours, des plaintes, de ne pas se laisser faire. Une plainte déposée au commissariat de police locale peut aboutir à la police judiciaire qui sera certainement sensible à cette situation et la transmettra au Parquet. Et on peut espérer qu’au sein du Parquet, il y ait des magistrats qui réagissent. 

Propos recueillis en direct par Bernard Legros et Alexandre Penasse, août 2023. 

*Thierry Vanderlinden est juriste et a été avocat au Bar- reau de Bruxelles pendant 10 ans ; il a ensuite coordonné l’Opération de rénovation urbaine du Quartier Botanique à Bruxelles, et a dirigé pendant près de 15 ans l’équipe de l’Aide locative de Mons au sein du Fonds du logement wallon. Il pratique aussi professionnellement la ferronnerie d’art depuis 35 ans

Cassou

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École du masque : fermeture définitive

« La culpabilité est action, poussant le coupable à trouver une issue à sa mauvaise conscience, à tout faire pour se sentir mieux, quitte à se soumettre, à arrêter de se battre, à renoncer à sa liberté […] si on est occupé à se battre pour survivre à sa propre conscience, il ne devient plus possible de se tourner vers l’autre, de construire le monde. »[note]Elsa Godart

Ben quoi, le masque?! Ça vous tuerait de mettre un petit bout de tissu sur votre visage ? Par contre, ne pas le faire tuerait d’autres personnes ! » ; « Moi, je respire aussi bien avec un masque que sans ! » ; « Donner cours avec un masque n’a posé aucun problème, ni à moi ni à mes élèves ! ». Voilà le genre d’assertions entendues pendant ou depuis l’épisode covidien. À l’entame de celui-ci, Aurélien Barrau, astrophysicien engagé dans l’écologie, s’était lancé dans un plaidoyer à coloration plus morale que scientifique, en 14 points, pour le port du masque[note], une grosse déception venant de la part d’un esprit que l’on avait d’emblée considéré comme brillant et critique. Il ne fut bien sûr pas le seul dans le cas parmi les « people » ; Pierre Palmade avait aussi prononcé sa petite leçon d’hygiénisme masqué, avant de provoquer un accident mortel. Comme quoi… 

Alors que la liberté individuelle chérie par les « hommes économiques »[note] sous le néolibéralisme consistait jusque-là à rejeter tout ce qui pouvait apparaître comme une contrainte, subitement, quasi du jour au lendemain, par l’effet de la propagande, une écrasante majorité d’électeurs-consommateurs a accepté de bonne grâce de s’amputer le visage et de s’auto-asphyxier, à l’intérieur comme en plein air, « pour soulager le personnel des soins intensifs et sauver des vies ». Si la culpabilité ex ante était le sentiment dominant, émanait également de certains de ces muselés cet « orgueil d’obéir » que pointait Cioran. Lors d’une manifestation contre Ali Baba à Liège à l’automne 2020, tous les participants avaient la bouche et le nez couverts, à l’exception de trois personnes[note], aussitôt mal vues des autres. Combattre la tyrannie économique chinoise en reprenant sans sourciller un de ses codes du moment… étrange, n’est-il pas ? 

« Est-ce vraiment utile et nécessaire de revenir sur le masque en 2023 ? », nous dira-t-on aussi. Eh bien, oui ! Kaarle Joonas Parikka a lancé les amabilités dans Kairos n° 60, et son article « La banalité du masque » aurait pu faire partie de ce dossier. La presse fonctionne parfois à contretemps ! Le masque est, phénoménologiquement parlant, pour le moins devenu un des symboles de la société disciplinaire telle que l’avait décrite Michel Foucault. Mais probablement est-il bien plus que cela : un cheval de Troie parmi d’autres vers les étapes suivantes, la société de contrôle (Gilles Deleuze), et pire encore la société de contrainte telle que l’avait annoncée Pièces et Main d’œuvre il y a une dizaine d’années[note]. Pendant deux ans, il fut l’élément visible, quotidien, omniprésent de la guerre psychologique menée aux populations par la classe dominante et relayée par les médias serviles. Il fut le nouvel accessoire chic et choc du conformisme pour « une foule complexée qui cherche à plaire par la quête du consensus, coûte que coûte[note] ». En résumé, le masque sanitaire est un instrument de la biopolitique. Prophétisons un peu : il est presque certain que les autorités chercheront à nous le réimposer[note] dans un futur indéterminé, le premier galop d’essai ayant été très concluant. Mais alors ne nous y laissons plus prendre ! L’autonomie que nous revendiquons en tant qu’anti-productivistes a comme condition nécessaire, et non suffisante, de vivre sans masque-muselière, en sujets politiques libres et identifiables par leurs pairs, pas en zombies à maintenir en survie connectée. 

Nous reconnaissons à quiconque le droit de voir d’un bon œil l’État thérapeutique « qui a augmenté notre espérance de vie à travers les progrès de la médecine ». C’est aussi notre droit d’estimer que son extension sans fin, sous la forme du psychobiopouvoir – pouvoir totalitaire sur les esprits et les corps –, n’est pas une option anthropologiquement désirable ni socialement viable. Notre dossier ne se limite évidemment pas à la défense d’une liberté individuelle, mais prend la hauteur nécessaire pour resituer le masque dans un contexte large, à la fois scientifique (avec Louis Fouché et Carole Cassagne), politique (avec Philippe Godard), psychosocial (avec Kenny Cadinu), philosophique et spirituel (avec Martin Steffens). Soyons anti-masques, plus que jamais ! 

Dossier coordonné par Alexandre Penasse et Bernard Legros 

Addendum : à l’heure de mettre sous presse, le narratif covidien fait son retour dans les médias dominants. Nous les avions pourtant exhortés à faire leur examen de conscience et à rectifier le tir, en vain. 

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Kairos 60

Formés à dire oui

S’il fallait tirer un unique enseignement des trois années qui viennent de passer, ce serait celui de la spectaculaire soumission des masses. Cette période nous donne l’état des lieux de la pensée et de la façon dont les esprits furent manipulés pendant des décennies et donc prêts à obéir. Car il est évident qu’on n’ avale pas le discours médiatique et les solutions des multinationales sans avoir subi des attaques récurrentes qui ont altéré notre esprit critique et notre faculté à discerner le vrai du faux. 

Ce qu’on appelle communément la culture, dans le sens de l’état des connaissances d’un individu, ne fut nullement corrélé positivement avec le degré de désobéissance. Universitaires bac + 6, écrivains, philosophes, sociologues… récitèrent la grand messe, réduits à l’état de gramophone, comme aurait dit George Orwell. Les esprits qui semblaient les plus éclairés auparavant éructèrent en choeur, tenant des propos qui auraient parfaitement pu accompagner les pires régimes : « Je pense que la réponse à apporter aux personnes qui refusent les vaccins n’est pas de les y contraindre, mais plutôt d’insister pour qu’elles soient isolées. Si les gens décident qu’ils sont prêts à représenter un danger pour la communauté en refusant de se faire vacciner, ils devraient alors dire qu’ils ont aussi la décence de s’isoler. Je ne veux pas de vaccin, mais je n’ ai pas le droit de faire du mal aux autres. Cela devrait être une convention[note] », dixit Noam Chomsky, linguiste et critique célèbre de la société américaine, notamment des médias mainstream. Certains psychanalystes, brillants dans l’analyse des délires identitaires modernes, comme Charles Melman, ne firent pas mieux : « « Vous avez été frappé comme moi par le fait que, durant cette pandémie, il y en a qui manifestement, et comme si c’était un geste bravache, un geste de bravoure, de défi, témoignaient qu’ils n’entendaient pas choisir le parti de la vie, c’est-à-dire ce qui se résume banalement dans les gestes de protection et dans la vaccination, mais qu’ils choisissaient délibérément l’aspiration vers la mort. C’est quand même un phénomène surprenant de voir qu’aient pu se tenir, grâce aux réseaux sociaux, des réunions de milliers de personnes… pour venir provoquer des contaminations massives, venues ensuite encombrer les hôpitaux »[note]. 

Même les psychologues, nourris au biberon de théories psychosociales qui ouvrent la conscience sur les processus de manipulation de masse (comme Stanley Milgram, Solomon Ash), qu’on aurait pu penser les plus habiles à s’en protéger, se sont couchés face à ceux mis en place par les gouvernements. Ils ont même fait plus que de se soumettre, en participant activement et conseillant les gouvernements pour mieux manipuler les foules: « Le suivi des mesures nécessite un effort particulier de la population. Les mesures constituent une rupture dans notre mode de vie actuel et nous devons les observer pendant longtemps. Bien que le suivi des mesures ait d’ abord semblé être un problème temporaire, il devient maintenant clair que nous entrons dans une phase de changement de comportement permanent. Le nouveau comportement va devenir un comportement habituel. Le changement de comportement doit donc conduire à un comportement habituel. Le comportement d’habituation découle principalement de la planification et des répétitions fréquentes, il est donc envoyé dans le cerveau différemment du comportement dirigé consciemment : il n’ est plus rendu conscient pour atteindre un objectif et il est en grande partie automatique ou sans réflexion. Différents piliers sont importants pour faciliter cette formation d’habitudes »[note]. 

Peut-on penser qu’ il s’agit là seulement d’une erreur ? Que la peur de la mort, car c’est toujours de celle-là qu’il s’agit en dernière instance a inhibé toute rationalité ? Ce serait réducteur de se limiter à cette explication. Déjà dans les années 1960, Stanley Milgram se demandait, suite à ses expérimentations sur la soumission à l’autorité[note] : « Quels mécanismes de la personnalité permettent à quelqu’un de transférer la responsabilité sur l’autorité ? Quels motifs trouve-t-on derrière les comportements d’obéissance et de désobéissance ? La tendance à pencher du côté de l’autorité provoque-t-elle un court-circuit du système honte-culpabilité ? Quelles défenses cognitives et émotionnelles entrent en jeu chez les sujets obéissants et rebelles ? »[note]. Même si le contexte empirique de Milgram fut différent de l’expérimentation Covid-19 à grande échelle, les questions que se posait le psychologue au terme de ses recherches sont tout à fait pertinentes pour interroger la situation actuelle. 

Qu’est-ce qui fait qu’on obéit, ou pas ? Une première variable qui semble essentielle se situe dans le niveau de crédibilité que le sujet accorde aux institutions et aux gouvernements. Certains avalent littéralement et régurgitent en actes ce que leur crachent les officines officielles via leurs porte-parole, j’ai nommé les médias de masse : « Une part importante de la population fait ce qu’on lui dit de faire, quelle que soit la nature de l’action et sans que sa conscience y oppose des limites, tant qu’elle a le sentiment que l’ordre émane d’une autorité légitime. Si, dans cette étude, un expérimentateur anonyme a pu avec succès ordonner à des adultes de soumettre par la contrainte un homme d’une cinquantaine d’années et de l’électrocuter de force malgré ses protestations… on ne peut qu’imaginer ce qu’un gouvernement, avec une autorité et un prestige bien supérieurs, pourrait obtenir de ses sujets[note] ». En 2023, on fait plus qu’imaginer… 

Ainsi, ce sont les sujets qui acceptent de se confiner, de se masquer, de présenter ou contrôler le « Covid Safe Ticket », de se faire piquer, créant par la mise en commun de leurs actes individuels l’effet collectif. Et c’est en usant nos culottes sur les bancs d’école que nous avons été formés à dire oui. Les institutions officielles sont programmées à refuser leur remise en question par les individus qu’elles instruisent, alors qu’elles devraient l’être pour – ce qui dans un premier temps peut sembler paradoxal – exercer les gens à la critique de ceux qui les ont formés, donc de ces institutions mêmes. Mais « quelle institution réclamerait de ses employés qu’ils érigent leur conscience en une instance critique, à tout instant susceptible de discuter, de contester, voire de refuser ce qu’elle exige d’eux ? Un tel droit de critique, de contrôle, voire de désobéissance est au cœur de l’idée démocratique d’une société juste et décente[note] ». La figure de « l’ adulte » (enseignant, policier, patron…) qu’on n’interrompt pas, qu’on ne contredit pas, qui a toujours raison, qui brime et humilie, fige le rapport dans un déséquilibre, une disharmonie constante qui marquera l’ensemble des rapports ultérieurs du sujet à l’ Autre. Le système autoritaire, au fil des années et depuis la naissance, aura été introjecté dans la conscience, devenant un élément intangible, « naturel », comme s’il avait toujours été là, déterminant tous les actes : « La décision d’administrer les chocs à l’élève ne dépend ni des volontés exprimées par celui-ci ni des impulsions bienveillantes ou hostiles du sujet, mais du degré d’engagement que ce dernier estime avoir contracté en s’insérant dans le système d’autorité[note] ». 

Illustration : Philippe Debongnie

Le système est inscrit en eux, le refuser, dire non, c’est mettre à plat toute cette introjection d’une vie ; c’est reconnaître toutes ces occasions où ils ont dit oui alors qu’ils auraient dû/ pu désobéir. Le faire maintenant alors qu’ils ne l’ont jamais fait, c’est donc aussi mettre en lumière leur servitude pérenne, cette obéissance qui les a toujours guidés et permis d’être là où ils en sont[note]. 

On est donc, avec ces obéissants, en présence d’une armée de serviteurs dont La Boétie nous avait déjà prévenus qu’il aurait suffi qu’ils arrêtent de servir pour que les maîtres soient détrônés : « Pour ce coup, je ne voudrais sinon entendre comme il se peut faire que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’ a puissance que celle qu’ils lui donnent ; qui n’ a pouvoir de leur nuire, sinon qu’ils ont pouvoir de l’endurer ; qui ne saurait leur faire mal aucun, sinon lorsqu’ils aiment mieux le souffrir que lui contredire »[note] (…) « Ce sont donc les peuples mêmes qui se laissent ou plutôt se font gourmander, puisqu’en cessant de servir ils en seraient quittes ; c’est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix ou d’être serf ou d’être libre, quitte la franchise et prend le joug, qui consent à son mal, ou plutôt le pourchasse »[note]. 

Mais pourquoi faire « compliqué » quand on peut faire « simple » : « Obéir est le choix le plus simple, le moins « coûteux », celui qui, paradoxalement, répond au besoin psychique de protection de soi, quoiqu’il se paye au prix d’un renoncement à sa propre identité »[note]. Pour un confort personnel et provisoire, la personne perd sa liberté, son libre arbitre, son humanité. Si le conformisme explique aussi la soumission, la faculté de remettre en question les ordres est sans aucun doute corrélée avec le niveau d’adaptation du sujet au système, la manière dont il tire profit de l’ordre existant, et à quel point la désacralisation de l’autorité impliquerait pour lui une remise en question globale de ce qu’il est[note]. Le cadre supérieur, bien payé, intégré parfaitement à l’ordre existant, a moins de probabilité de le mettre en doute que celui qui en est déjà exclu[note]. Milgram l’avait bien compris, quand il cite un passage de l’article de Harold J. Laski, « Les dangers de l’obéissance : « La condition de la liberté passe, partout et toujours, par un scepticisme constant et généralisé à l’encontre des règles que le pouvoir veut imposer »[note]. Or, dans un jeu pervers par excellence, le pouvoir a fait croire au sujet qu’il allait devenir libre en obéissant. 

Une fois « la guerre » passée, ceux qui avaient répondu aux injonctions gouvernementales admettront rarement que quand les fusils étaient en joue, ils laissaient les coups partir ou, même, tiraient avec. Ainsi, en temps d’accalmie, tous deviennent « résistants ». « À beau mentir qui vient de loin », dans le temps ou dans l’espace.… Il est en effet facile de se dire résistant en période de paix, plus compliqué quand la gestapo sonne à la porte. Certains voient comme un signe positif, en période d’accalmie covidienne, stratégie du pouvoir, le fait que nombreux déclarent aujourd’hui qu’ils ne se feront plus piquer. C’est oublier qu’un contexte coercitif revenu pourrait chasser les velléités libertaires de certains : « L’histoire prouve combien il est rare que les hommes soient à la hauteur de l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes la façon dont ils pensaient qu’ils agiraient étant souvent démentie par leur conduite effective[note] ». Mais aussi oublier cette curieuse dissociation entre les mots et les gestes dont parlait Milgram : « Malgré les protestations véhémentes et répétées qui accompagnèrent chacune de ses actions, le sujet obéit infailliblement à l’expérimentateur et alluma tous les interrupteurs du générateur jusqu’au plus élevé. Il fit preuve d’une curieuse dissociation entre ses paroles et ses actes. Bien qu’il ait décidé au niveau verbal de ne pas continuer l’expérience, ses actions demeurèrent parfaitement en accord avec les ordres de l’expérimentateur. Ce sujet ne voulait pas électrocuter la victime et cette tâche lui fut extrêmement pénible, mais il fut incapable d’inventer une réponse qui l’aurait libéré de l’autorité de l’expérimentateur. De nombreux sujets n’arrivent pas à trouver la formule verbale qui leur permettrait de rejeter le rôle qui leur est assigné par l’expérimentateur. Peut-être notre culture n’offre-t-elle pas de modèles adéquats pour la désobéissance »[note]. 

Certainement… nous sommes pris dans un moule qui, depuis l’enfance, nous force à obéir. Mais à côté de ceux qui avalisent sans aucun filtre, une minorité doute, désobéit, permettant de casser le spectacle ; refuse de dire « oui » juste parce que l’ordre émane du gouvernement, du chef, du patron, de la science. C’est d’elle qu’on peut espérer le changement véritable. 

Alexandre Penasse 

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Kairos 60

Formés à dire oui

S’il fallait tirer un unique enseignement des trois années qui viennent de passer, ce serait celui de la spectaculaire soumission des masses. Cette période nous donne l’état des lieux de la pensée et de la façon dont les esprits furent manipulés pendant des décennies et donc prêts à obéir. Car il est évident qu’on n’ avale pas le discours médiatique et les solutions des multinationales sans avoir subi des attaques récurrentes qui ont altéré notre esprit critique et notre faculté à discerner le vrai du faux. 

Ce qu’on appelle communément la culture, dans le sens de l’état des connaissances d’un individu, ne fut nullement corrélé positivement avec le degré de désobéissance. Universitaires bac + 6, écrivains, philosophes, sociologues… récitèrent la grand messe, réduits à l’état de gramophone, comme aurait dit George Orwell. Les esprits qui semblaient les plus éclairés auparavant éructèrent en choeur, tenant des propos qui auraient parfaitement pu accompagner les pires régimes : « Je pense que la réponse à apporter aux personnes qui refusent les vaccins n’est pas de les y contraindre, mais plutôt d’insister pour qu’elles soient isolées. Si les gens décident qu’ils sont prêts à représenter un danger pour la communauté en refusant de se faire vacciner, ils devraient alors dire qu’ils ont aussi la décence de s’isoler. Je ne veux pas de vaccin, mais je n’ ai pas le droit de faire du mal aux autres. Cela devrait être une convention[note] », dixit Noam Chomsky, linguiste et critique célèbre de la société américaine, notamment des médias mainstream. Certains psychanalystes, brillants dans l’analyse des délires identitaires modernes, comme Charles Melman, ne firent pas mieux : « « Vous avez été frappé comme moi par le fait que, durant cette pandémie, il y en a qui manifestement, et comme si c’était un geste bravache, un geste de bravoure, de défi, témoignaient qu’ils n’entendaient pas choisir le parti de la vie, c’est-à-dire ce qui se résume banalement dans les gestes de protection et dans la vaccination, mais qu’ils choisissaient délibérément l’aspiration vers la mort. C’est quand même un phénomène surprenant de voir qu’aient pu se tenir, grâce aux réseaux sociaux, des réunions de milliers de personnes… pour venir provoquer des contaminations massives, venues ensuite encombrer les hôpitaux »[note]. 

Même les psychologues, nourris au biberon de théories psychosociales qui ouvrent la conscience sur les processus de manipulation de masse (comme Stanley Milgram, Solomon Ash), qu’on aurait pu penser les plus habiles à s’en protéger, se sont couchés face à ceux mis en place par les gouvernements. Ils ont même fait plus que de se soumettre, en participant activement et conseillant les gouvernements pour mieux manipuler les foules: « Le suivi des mesures nécessite un effort particulier de la population. Les mesures constituent une rupture dans notre mode de vie actuel et nous devons les observer pendant longtemps. Bien que le suivi des mesures ait d’ abord semblé être un problème temporaire, il devient maintenant clair que nous entrons dans une phase de changement de comportement permanent. Le nouveau comportement va devenir un comportement habituel. Le changement de comportement doit donc conduire à un comportement habituel. Le comportement d’habituation découle principalement de la planification et des répétitions fréquentes, il est donc envoyé dans le cerveau différemment du comportement dirigé consciemment : il n’ est plus rendu conscient pour atteindre un objectif et il est en grande partie automatique ou sans réflexion. Différents piliers sont importants pour faciliter cette formation d’habitudes »[note]. 

Peut-on penser qu’ il s’agit là seulement d’une erreur ? Que la peur de la mort, car c’est toujours de celle-là qu’il s’agit en dernière instance a inhibé toute rationalité ? Ce serait réducteur de se limiter à cette explication. Déjà dans les années 1960, Stanley Milgram se demandait, suite à ses expérimentations sur la soumission à l’autorité[note] : « Quels mécanismes de la personnalité permettent à quelqu’un de transférer la responsabilité sur l’autorité ? Quels motifs trouve-t-on derrière les comportements d’obéissance et de désobéissance ? La tendance à pencher du côté de l’autorité provoque-t-elle un court-circuit du système honte-culpabilité ? Quelles défenses cognitives et émotionnelles entrent en jeu chez les sujets obéissants et rebelles ? »[note]. Même si le contexte empirique de Milgram fut différent de l’expérimentation Covid-19 à grande échelle, les questions que se posait le psychologue au terme de ses recherches sont tout à fait pertinentes pour interroger la situation actuelle. 

Qu’est-ce qui fait qu’on obéit, ou pas ? Une première variable qui semble essentielle se situe dans le niveau de crédibilité que le sujet accorde aux institutions et aux gouvernements. Certains avalent littéralement et régurgitent en actes ce que leur crachent les officines officielles via leurs porte-parole, j’ai nommé les médias de masse : « Une part importante de la population fait ce qu’on lui dit de faire, quelle que soit la nature de l’action et sans que sa conscience y oppose des limites, tant qu’elle a le sentiment que l’ordre émane d’une autorité légitime. Si, dans cette étude, un expérimentateur anonyme a pu avec succès ordonner à des adultes de soumettre par la contrainte un homme d’une cinquantaine d’années et de l’électrocuter de force malgré ses protestations… on ne peut qu’imaginer ce qu’un gouvernement, avec une autorité et un prestige bien supérieurs, pourrait obtenir de ses sujets[note] ». En 2023, on fait plus qu’imaginer… 

Ainsi, ce sont les sujets qui acceptent de se confiner, de se masquer, de présenter ou contrôler le « Covid Safe Ticket », de se faire piquer, créant par la mise en commun de leurs actes individuels l’effet collectif. Et c’est en usant nos culottes sur les bancs d’école que nous avons été formés à dire oui. Les institutions officielles sont programmées à refuser leur remise en question par les individus qu’elles instruisent, alors qu’elles devraient l’être pour – ce qui dans un premier temps peut sembler paradoxal – exercer les gens à la critique de ceux qui les ont formés, donc de ces institutions mêmes. Mais « quelle institution réclamerait de ses employés qu’ils érigent leur conscience en une instance critique, à tout instant susceptible de discuter, de contester, voire de refuser ce qu’elle exige d’eux ? Un tel droit de critique, de contrôle, voire de désobéissance est au cœur de l’idée démocratique d’une société juste et décente[note] ». La figure de « l’ adulte » (enseignant, policier, patron…) qu’on n’interrompt pas, qu’on ne contredit pas, qui a toujours raison, qui brime et humilie, fige le rapport dans un déséquilibre, une disharmonie constante qui marquera l’ensemble des rapports ultérieurs du sujet à l’ Autre. Le système autoritaire, au fil des années et depuis la naissance, aura été introjecté dans la conscience, devenant un élément intangible, « naturel », comme s’il avait toujours été là, déterminant tous les actes : « La décision d’administrer les chocs à l’élève ne dépend ni des volontés exprimées par celui-ci ni des impulsions bienveillantes ou hostiles du sujet, mais du degré d’engagement que ce dernier estime avoir contracté en s’insérant dans le système d’autorité[note] ». 

Illustration : Philippe Debongnie

Le système est inscrit en eux, le refuser, dire non, c’est mettre à plat toute cette introjection d’une vie ; c’est reconnaître toutes ces occasions où ils ont dit oui alors qu’ils auraient dû/ pu désobéir. Le faire maintenant alors qu’ils ne l’ont jamais fait, c’est donc aussi mettre en lumière leur servitude pérenne, cette obéissance qui les a toujours guidés et permis d’être là où ils en sont[note]. 

On est donc, avec ces obéissants, en présence d’une armée de serviteurs dont La Boétie nous avait déjà prévenus qu’il aurait suffi qu’ils arrêtent de servir pour que les maîtres soient détrônés : « Pour ce coup, je ne voudrais sinon entendre comme il se peut faire que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’ a puissance que celle qu’ils lui donnent ; qui n’ a pouvoir de leur nuire, sinon qu’ils ont pouvoir de l’endurer ; qui ne saurait leur faire mal aucun, sinon lorsqu’ils aiment mieux le souffrir que lui contredire »[note] (…) « Ce sont donc les peuples mêmes qui se laissent ou plutôt se font gourmander, puisqu’en cessant de servir ils en seraient quittes ; c’est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix ou d’être serf ou d’être libre, quitte la franchise et prend le joug, qui consent à son mal, ou plutôt le pourchasse »[note]. 

Mais pourquoi faire « compliqué » quand on peut faire « simple » : « Obéir est le choix le plus simple, le moins « coûteux », celui qui, paradoxalement, répond au besoin psychique de protection de soi, quoiqu’il se paye au prix d’un renoncement à sa propre identité »[note]. Pour un confort personnel et provisoire, la personne perd sa liberté, son libre arbitre, son humanité. Si le conformisme explique aussi la soumission, la faculté de remettre en question les ordres est sans aucun doute corrélée avec le niveau d’adaptation du sujet au système, la manière dont il tire profit de l’ordre existant, et à quel point la désacralisation de l’autorité impliquerait pour lui une remise en question globale de ce qu’il est[note]. Le cadre supérieur, bien payé, intégré parfaitement à l’ordre existant, a moins de probabilité de le mettre en doute que celui qui en est déjà exclu[note]. Milgram l’avait bien compris, quand il cite un passage de l’article de Harold J. Laski, « Les dangers de l’obéissance : « La condition de la liberté passe, partout et toujours, par un scepticisme constant et généralisé à l’encontre des règles que le pouvoir veut imposer »[note]. Or, dans un jeu pervers par excellence, le pouvoir a fait croire au sujet qu’il allait devenir libre en obéissant. 

Une fois « la guerre » passée, ceux qui avaient répondu aux injonctions gouvernementales admettront rarement que quand les fusils étaient en joue, ils laissaient les coups partir ou, même, tiraient avec. Ainsi, en temps d’accalmie, tous deviennent « résistants ». « À beau mentir qui vient de loin », dans le temps ou dans l’espace.… Il est en effet facile de se dire résistant en période de paix, plus compliqué quand la gestapo sonne à la porte. Certains voient comme un signe positif, en période d’accalmie covidienne, stratégie du pouvoir, le fait que nombreux déclarent aujourd’hui qu’ils ne se feront plus piquer. C’est oublier qu’un contexte coercitif revenu pourrait chasser les velléités libertaires de certains : « L’histoire prouve combien il est rare que les hommes soient à la hauteur de l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes la façon dont ils pensaient qu’ils agiraient étant souvent démentie par leur conduite effective[note] ». Mais aussi oublier cette curieuse dissociation entre les mots et les gestes dont parlait Milgram : « Malgré les protestations véhémentes et répétées qui accompagnèrent chacune de ses actions, le sujet obéit infailliblement à l’expérimentateur et alluma tous les interrupteurs du générateur jusqu’au plus élevé. Il fit preuve d’une curieuse dissociation entre ses paroles et ses actes. Bien qu’il ait décidé au niveau verbal de ne pas continuer l’expérience, ses actions demeurèrent parfaitement en accord avec les ordres de l’expérimentateur. Ce sujet ne voulait pas électrocuter la victime et cette tâche lui fut extrêmement pénible, mais il fut incapable d’inventer une réponse qui l’aurait libéré de l’autorité de l’expérimentateur. De nombreux sujets n’arrivent pas à trouver la formule verbale qui leur permettrait de rejeter le rôle qui leur est assigné par l’expérimentateur. Peut-être notre culture n’offre-t-elle pas de modèles adéquats pour la désobéissance »[note]. 

Certainement… nous sommes pris dans un moule qui, depuis l’enfance, nous force à obéir. Mais à côté de ceux qui avalisent sans aucun filtre, une minorité doute, désobéit, permettant de casser le spectacle ; refuse de dire « oui » juste parce que l’ordre émane du gouvernement, du chef, du patron, de la science. C’est d’elle qu’on peut espérer le changement véritable. 

Alexandre Penasse 

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Le phénomène trans. Le regard d’un philosophe

INTERVIEW DE DANY-ROBERT DUFOUR* AUTOUR DE SON OUVRAGE

Du « je parle donc je suis » au « je dis donc je suis »

Nicolas Drochmans

Dans votre ouvrage, vous évoquez votre expérience de découverte de la différence des sexes lors de votre petite enfance, et montrez comment elle fut structurante. Peut-on dire que cette division demeure fondamentale ? Il est incroyable qu’il faille le rappeler. Cela en dit long sur une époque ? 

Oui, il est incroyable qu’il faille rappeler que l’être humain est, dans son être même, marqué par la différence des sexes. Il naît en effet sexué, c’est-à-dire d’un sexe ou de l’autre, avant même qu’il ne se pose la question. Il a donc fallu attendre le XXIe siècle, que l’on dit caractérisé par un accès immédiat à l’information, pour remettre en cause ce fait majeur, inaugural de toute vie. C’est pourquoi je mets les activistes trans dans le même sac que les terraplanistes et autres créationnistes. Ces activistes s’activent donc à nier la réalité. Ils disent que le sexe des bébés est assigné à la naissance… par le médecin. Alors que, depuis la nuit des temps, dans toutes les cultures, la première nouvelle qui se répand à la suite d’une naissance procède d’un constat partagé par tous les protagonistes (parents, famille, amis…) : « C’est un garçon ! » ou « C’est une fille ! ». Certes, il existe des accidents génétiques, mais ils sont très rares, ne concernant qu’une naissance sur environ trente mille. Bref, il ne faut pas confondre la règle et l’exception. Pour ma part, le déni de la différence des sexes s’est effondré quand j’avais 5 ans lorsque j’ai voulu montrer aux petites filles de ma rue qu’elles avaient elles aussi un zizi et qu’elles pouvaient faire pipi debout. Sauf que, parti avec les meilleures intentions du monde à la recherche de leur zizi, c’est… le mien qui s’est manifesté. J’ai donc découvert cette loi, gaillardement consignée par Brassens, dès 5 ans : la bandaison, papa, ça ne se commande pas. Il en résultait que j’étais un garçon et qu’elles étaient des filles. Pas pareil. Or, force est de constater que l’expérience fondatrice que j’ai faite à 5 ans, comme pratiquement tous ceux de ma génération, tend aujourd’hui à se faire plus rare. Par exemple, les activistes trans l’ignorent car, chez eux, ce déni de la réalité de la différence sexuelle perdure. Quelle force s’oppose donc à cette évidence ? Je compte, cher Alexandre, sur votre opiniâtreté pour que vous me rameniez bientôt à cette question. Mais je voudrais auparavant souligner que nous voici avec un déni qui en dit long sur notre époque. Je formulerais ainsi ce tournant : on se retrouve avec un « parti trans » qui veut prendre le pouvoir. Ce n’est pas la première fois que de tels dénis arrivent dans l’Histoire. Il suffit en effet de remonter d’une centaine d’années en arrière pour s’apercevoir que les nazis ont cherché à prendre le pouvoir en imposant des vues défiant le sens commun : il existe, disaient-ils, une race supérieure et il faut tout lui sacrifier. Pour accréditer cette thèse délirante, ils ont entrepris de changer la perception de la réalité en changeant la langue allemande. Le philologue Victor Klemperer, juif de son état, s’est fait le scribe douloureux de cette transformation de la langue allemande. C’est ainsi que, dans son journal personnel, il a noté jour après jour toutes les manipulations que les nazis ont fait subir à la langue allemande. Cette langue du Troisième Reich, Klemperer l’appelle la Lingua Tertii Imperii[note]. La LTI, écrivait Klemperer, est une langue dont la « pauvreté » était la « qualité foncière ». Les mots y étaient martelés. Tout en elle « devait être harangue, sommation, galvanisation ». Klemperer relève dans la LTI les mots dont la fréquence augmente : « spontané », « instinct », « fanatique », « aveuglément », « éternel », « étranger à l’espèce » et, par-dessus tout, le mot « total », désigné par Klemperer comme le « mot clé du nazisme »[note]. Je rappelle ceci parce que c’est aussi une novlangue que le parti trans est en train d’essayer d’inventer. Voyez par exemple le nouveau « lexique trans » que le Planning Familial diffuse désormais auprès des familles. On y lit que certains termes ou expressions doivent désormais être proscrits ― comme « mâle/ femelle » ― et que d’autres doivent être promus ― comme « Les hommes peuvent avoir un vagin ». Vous m’objecterez peut-être que le parti trans est infiniment moins dangereux que le parti nazi. Pour l’instant, oui. Mais, sur le fond, je dirais que le projet est le même car les transactivistes constituent les troupes de choc d’un mouvement bien plus large, le transhumanisme, qui lui aussi, comme le nazisme, cherche à introduire une scission dans la commune humanité : lorsque certains deviendront augmentés, les autres deviendront ipso facto diminués. 

Est-il encore possible de discuter du phénomène trans ? Les médias pratiquent la technique de la Fenêtre d’Overton, rendant progressivement acceptables des idées qui, il y a encore quelques années, auraient été inaudibles, estampillées du sceau du progrès, marquant tous ceux qui oseraient la critique du stigmate de la transphobie. 

En effet, c’est la technique de la fenêtre d’Overton qui a été employée, de façon à rendre progressivement acceptables les idées et projets trans encore très marginaux quelques années auparavant. Cela a si bien marché qu’aujourd’hui, si vous discutez la moindre proposition du transactivisme, vous passez pour un vilain transphobe. Surtout dans les groupes dits de gauche. Du coup, c’est moi qui suis désormais obligé d’« Overtonner » (c’est le cas de le dire) en exprimant ce qui est désormais inaudible. Comme je ne peux pas le dire à gauche (puisque là, justement, c’est inaudible), je suis obligé, moi homme de gauche (mon passé et mes travaux contre le néolibéralisme en témoignent), d’aller dans les médias de droite pour me faire entendre. C’est ce qui m’est arrivé avec ce livre. La presse de droite a vu dans mon essai un bon moyen de titiller la gauche. J’ai accepté d’y répondre, mais je me suis fait un devoir de ne pas dissimuler mes positions, notamment en mettant en avant la responsabilité du Marché dans les dérives trans actuelles. Le Figaro ne s’y est pas trompé puisqu’il a publié, le samedi 8 avril, le long entretien qu’il m’a accordé sous le titre « La gauche contre le mouvement trans ». D’ailleurs, si cela peut vous rassurer, j’ai eu ainsi une bonne recension dans L’Humanité… À vrai dire, on se retrouve dans une confusion telle que la presse de gauche défend, sauf rares exceptions, un néolibéralisme culturel, ce à quoi la presse de droite s’oppose, mais en défendant un néolibéralisme économique. Jean-Claude Michéa a bien rendu compte de ce partage du travail. Bref, tout est confus aujourd’hui : les hommes sont des femmes, la gauche est à droite et la droite donne la parole à une gauche que la gauche proscrit… Bien sûr, si la presse véritablement critique (comme la vôtre) était plus développée, je n’irais pas voir ailleurs. Mais comme cette presse n’a pas, par définition, les moyens de la presse « officielle », il m’apparaît de bonne guerre d’en passer par la presse de droite pour dénoncer le néolibéralisme culturel de la gauche. On n’en serait pas là si la gauche avait fait son travail. Or, elle est loin du compte. Elle n’a pas compris qu’avec le néolibéralisme et le règne du Marché total (qui atteint jusqu’à l’intime), nous étions passés, il y a plus de trente ans déjà, du vieux capitalisme patriarcal à un nouveau capitalisme libidinal. Pire même : cette gauche s’est fait refiler son actuel logiciel woke par le néolibéralisme culturel américain (les GAFAM, Hollywood, Disney, Netflix…) et elle n’y a vu que du feu ! Du coup, cette gauche prend les vessies pour des lanternes et les trans pour des prolos. Lesquels, abandonnés par la gauche, partent de plus en plus du côté de chez Trump aux USA et du côté de chez Marine Le Pen en France… 

Ils parviennent même à insulter des trans qui les contredisent : dans le documentaire Enfants trans, parlons-en, Miranda Yardley, trans-femme, jugé/jugée pour ses propos « transphobiques », dit : « L’auto-déclaration réduit le fait d’être une femme à un sentiment dans la tête d’un homme. Quelle connerie ! ». En outre, ceux qui reviennent de leurs expériences sont vilipendés par les militants. Un homme qui a subi des opérations pour paraître femme, explique dans le documentaire What is a woman : « Je ne me suis jamais adapté (…) Quand des psychologues ou quelqu’un que j’aimais m’ont dit que je n’étais pas dans le bon corps, j’ai commencé à penser que c’était peut-être le cas. Je suis une femme biologique qui a subi une transition médicale pour ressembler à un homme grâce à des hormones synthétiques et à la chirurgie. Je ne serai jamais un homme. Est-ce que c’est transphobe de ma part de dire la vérité ? Pourquoi alors, dans quelques centaines d’années, si vous déterrez mon corps, ils diront : oui, c’était une femme, elle a eu des enfants ». 

Beaucoup de trans qui ont cru au voyage vers l’autre sexe déchantent et parfois « détransent » au sens où ils cherchent à détransitionner lorsqu’ils se retrouvent lost in transition pour s’être laissés embarquer un peu trop vite dans ce mirage. Ils sont alors la cible des transactivistes qui les prennent pour des renégats de la cause. Et, bien sûr, comme dans tous les groupes totalitaires, les « renégats » (c’est-à-dire ceux qui se sont aperçus du délire dans lequel ils étaient embarqués) subissent plus encore les foudres des activistes que ceux qui sont simplement des opposants à la cause. Normal : ils savent dans quoi ils ont été embarqués. En l’occurrence, par rapport à ce que dit Miranda Yardley, le fait d’avoir cru qu’ils allaient devenir femme, voir plus femme qu’une femme. Cette usurpation de l’identité de femme rend évidemment furieuses les vraies femmes (celles qui sont nées femme). Elles se trouvent en quelque sorte expulsées de leur identité féminine en devant accepter des hommes qui se prétendent femmes dans des compétitions sportives, en devant partager avec eux leurs lieux (vestiaires, toilettes, voire prisons). Même chose de l’autre côté, ces femmes qui ont cru qu’elles allaient devenir hommes… 

La tragique beauté de l’être humain est qu’il parle, mais le paradoxe est qu’il a basculé désormais, soutenu par la technoscience, dans le « je dis, donc je suis », inversion prométhéenne. C’est d’ailleurs ce que dit Judith Butler : « Le discours produit les effets qu’il nomme ». Vous dites : « Ses ouailles prononcent des abracadabras, shazam, hocus pocus, biscara-biscara bam-souya et autres bibbity bobbity hou en se regardant dans le miroir et hop, une bite (ou un vagin) apparaît ou disparaît ». Nous en sommes arrivés au stade de la pensée magique ? 

Oui, c’est la conséquence du déni de réalité dont je parlais plus haut. Pour eux, il n’y a pas de réel, il n’y a que du discours. Cela a été « théorisé » par Judith Butler qui a revu et (mal) corrigé la notion de performatif créée dans les années 1960 par le philosophe du langage John Austin qui avait découvert que certains dires sont aussi des faires. Par exemple, si je dis és qualités « je te baptise Untel », ce dire devient un fait puisque vous allez effectivement vous appeler Untel. Butler pousse à bout cette théorie en soutenant que les normes discursives font advenir, dans le réel, ce qu’elles norment, c’est-à-dire les corps sexués. Il suffirait donc, si vous naissez homme, que vous objectiez à cette « construction historique » et que vous vous disiez, à vous-même et aux autres, « je suis une femme » pour que vous deveniez femme ― en butlérien, on appelle cela « resignifier ». C’est aussi simple que cela : avec ce coming out performatif, vous homme, vous deviendrez born again en femme. Dans mon essai, je donne la recette de cette transformation. Il suffit de prendre un tiers de néo-évangélisme (celui qui affirme la possibilité d’une nouvelle naissance permettant une régénération), d’ajouter un tiers de vocabulaire managérial (celui des business schools où l’on clame qu’il faut « Empower your life and your career now ») pour devenir sans délai le manager efficace de sa vie et de sa carrière. Puis on fait revenir le mélange dans un tiers de foucaldisme (avec le concept grec de parrhesia, le dire vrai revu et corrigé par le philosophe puisqu’il ne s’agit plus de dire la vérité, mais sa vérité). On chauffe le tout et, au moment de la fusion, au terme de cette opération alchimique, tout comme le plomb se transforme en or, l’homme se sera performativement changé en femme ou la femme en homme. Ainsi, « iel » aura fait preuve d’une encapacitation (d’une « capacité auto-conférée »), d’un empowerment (d’un « pouvoir auto-octroyé »), d’une agency (d’une « capacité d’agir ») pour devenir femme ou homme. On se croirait chez Harry Potter qui a le pouvoir, en disant « Aguamenti », de faire sortir un jet d’eau de la baguette (quelle baguette?) ou, en disant « Amplificatum », d’augmenter la taille d’un objet (devinez lequel?). 

Nicolas Drochmans

Dans le documentaire What is a woman[note], une femme trans explique : « Pour la première fois dans l’histoire, un groupe marginalisé a un énorme signe de dollar sur le dessus de la tête (…) Nous massacrons une génération d’enfants parce que personne n’est prêt à parler de quoi que ce soit ». La censure et l’omerta sont consubstantielles à l’avancée de la technoscience qui ne peut supporter des débats démocratiques ? 

Oui. Pour les enfants diagnostiqués vers 6 ou 8 ans « dysphoriques de genre », les activistes trans et les médecins qui les soutiennent les engagent dans un cycle au long cours qui commence avec l’administration vers 10 ans d’inhibiteurs de puberté (accompagnés, pourquoi pas, d’un peu de ritaline [NDLR nommée rilatine en Belgique] pour les faire se tenir tranquilles), puis ensuite d’hormones inverses, puis enfin d’une transition qui peut être sociale (changement d’état civil), mais aussi chirurgicale, avec une dizaine d’opérations très lourdes dans l’un et l’autre cas. Ça commence, dans la chirurgie « male to female », avec une castration dite pénectomie (ablation des corps caverneux et d’une partie du corps spongieux du pénis), une préservation de l’autre partie du corps spongieux et d’une partie du gland pour effectuer une clitoridoplastie, la création d’une cavité vaginale (néovagin), des lèvres génitales et d’un néo-clitoris, urétroplastie avec création d’un néo-méat. La chirurgie mammaire est souvent indiquée. Enfin les modifications de la voix sont envisageables (outre les hormones masculines qui changent la voix, des techniques phoniatriques et chirurgicales peuvent être pratiquées). Les complications urinaires, digestives, génitales et hémorragiques ne sont pas rares. Du côté « female to male », on pratique une hystérectomie, une ovariectomie, une colpectomie (c’est-à-dire l’ablation de l’utérus, des annexes et du vagin), la construction d’organes génito-urinaires masculins (lambeaux de peau et de tissu prélevés sur le corps, vascularisés et innervés) et une métaidoioplastie (plastie d’agrandissement du clitoris) pour reconstituer un pénis. Il y a ensuite pose de prothèses cylindriques pour pallier l’absence de corps caverneux (pénis à rigidité constante) ou prothèses gonflables par pompe et réservoir. 

L’uréthroplastie n’est pas systématique car sujette à un taux de complications supérieur à 50 %. Le coût des médicaments peut se monter à plusieurs milliers d’euros par mois et celui des opérations à plusieurs dizaines de milliers. En France, les « soins » liés à la demande de « réassignation sexuelle » peuvent être remboursés à vie par l’Assurance Maladie dans la cadre d’une ALD (affection de longue durée). Les transactivistes recommandent aux candidats de prévoir et de demander le maximum de soins et d’opérations. Ce qui pose une lourde question à quoi il faudra bien répondre un jour : pourquoi, si l’indication n’est plus médicale (comme l’ont demandé et obtenu les associations trans), devrait-elle encore être remboursée par la Sécurité Sociale ? Pourquoi la collectivité devraitelle prendre en charge ces « soins » alors que beaucoup de soins de base ne sont pas ou plus remboursés (le ticket modérateur, les dépassements d’honoraires, la plupart des moyens de contraception et des vaccins, les implants dentaires, la chirurgie réfractive, l’orthodontie adulte, la parodontologie, beaucoup de médicaments comme ceux contre la migraine…). C’est donc un double signe que portent ces personnes : celui du dollar et celui de la souffrance. Tout cela pour quoi ? Pour obtenir des néo-organes non fonctionnels du point de vue des deux grandes affaires humaines : la reproduction et la sexualité. On comprend que le taux de suicidalité (une ou plusieurs tentatives de suicides) des jeunes trans ainsi traités, ou plutôt maltraités, soit à peu près cinq fois supérieur à celui d’une population standard. Si ces jeunes sont victimes, ils le sont d’abord des activistes trans qui les conduisent dans des impasses. C’est pourquoi il faut mettre en place des consultations dédiées pour accueillir ces jeunes qui se sont laisser grisé par les promesses des activistes et des technosciences. 

Je pense, comme je le dis dans mon essai, qu’un jour prochain, on verra dans ces faits des crimes contre l’enfance et l’adolescence dont les responsables auront alors à rendre compte. 

Dans le documentaire Enfants trans, parlons-en, un psychiatre spécialisé dans les dysphories de genre, explique comment il lui a été interdit d’évoquer dans son université le pourcentage important de sujets qui voulaient revenir vers leur sexe d’origine, faire ce qu’on appelle une ré-réassignation ou détransition. Il y a des automutilations, tentatives de suicides et suicides réussis. Ces enquêtes ne sont jamais citées par les militants. La détransition est un tabou. Pourquoi ? Ils ont mordu à l’hameçon, comme vous dites[note] ? 

Ces enquêtes ne sont en effet jamais citées par les activistes, mais elles le sont par ceux qui se rendent compte des dégâts. À cet égard, ça progresse. Par exemple, le système de santé public anglais, le NHS, a décidé de fermer la clinique Tavistock qui s’était reconvertie au début des années 2000 dans la prise en charge des enfants supposément atteints de dysphorie de genre. De surcroît, la clinique se trouve sous le coup d’une action de groupe lancée par plus de 1000 familles s’estimant abusées d’avoir été indûment alertées que l’absence d’accès précoce à un traitement hormonal de leurs enfants pouvait conduire ceux-ci au suicide. En Suède, l’hôpital Karolinska, après quarante ans d’ouverture à ces pratiques, est en train de les réguler beaucoup plus fermement. En France, il y a le travail rigoureux mené par le groupe de La Petite Sirène, composé d’universitaires de toutes disciplines, de médecins, de pédopsychiatres, de psychanalystes. 

La sociologue Heather Brunskell-Evans dit : « Il est désormais quasiment accepté qu’il existe bel et bien des « enfants trans », pourtant aucune preuve médicale ne permet d’affirmer qu’un enfant pourrait être « né dans le mauvais corps ». Les enfants ne devraient pas être contraints par le genre. Engager un enfant dans une voie qui le place en conflit avec son corps alors que la chose la plus émancipatrice, la plus libérale, la plus progressive que l’on devrait faire serait de l’encourager à se sentir bien dans son corps, de faire en sorte que le corps ne soit pas une contrainte pour un petit garçon qui voudrait s’intéresser à des choses considérées comme « féminines », cela ne devrait absolument pas poser problème. Nous menons une expérimentation sur les enfants et leur corps, qu’aucune preuve n’encourage. Nous ignorons les conséquences que cela aura, parce que l’expérience a lieu en ce moment même ». Le présupposé qu’on serait dans le « mauvais corps » n’est-il pas déjà faux ? Et la réponse apportée, propre à nos sociétés, qui réifie le corps pour en faire une matière qu’on modifie à sa guise et qu’on soigne à l’aide de médicaments ? 

Vous savez, rien n’est plus normal que des adolescents soient troublés au moment de la puberté. Des organes sexuels, des poils, des changements physiques apparaissent, des émois nouveaux naissent et ils ne savent que faire de tout cela, jusqu’à sombrer pour certains dans une déréliction qui fait alors d’eux des proies faciles pour ces faiseurs de miracles qui leur font croire (par réseaux sociaux et influenceurs interposés) qu’ils sont tombés dans le mauvais corps et que la solution est dans le changement de sexe. Je cite dans mon livre les conclusions d’une étude récente (2021) faite au Canada qui a l’avantage de porter sur le plus grand échantillon de garçons référés en clinique pour dysphorie de genre. Il se trouve qu’à l’âge de 20 ans, près de 90% de ceux qui avaient été classés à l’âge de 8 ans comme dysphoriques ont naturellement renoncé à toute velléité de réassignation sexuelle. Il ne faut donc pas les aiguiller trop vite vers la transition comme cherchent à le faire les activistes. 

QUI DÉCIDE ? 

Les médias donnent donc l’illusion d’une minorité majoritaire, alors que les enfants et adolescents désirant changer de sexe sont rares. En même temps, en donnant l’illusion d’une possibilité de changer de sexe, le monde politique, médiatique, l’industrie de la chirurgie et de la chimie, font croître les candidats. C’est un jeu vicieux. 

Oui. On présente la loi du marché comme étant celle de l’offre et de la demande. La demande suscitant une offre. Rien n’est plus faux. Car, le marketing le sait bien, c’est toujours l’offre qui suscite la demande. L’offre, elle est faite par les industries culturelles, médicales et chirurgicales. Et, plus l’offre de changement de sexe s’étale, plus la demande se fait pressante… 

Certains psychanalystes sont ouverts au désir de leur patient de changer de sexe et donnent libre cours à ce délire. Dérive ou suite logique de la psychanalyse ? 

Je pense tout d’abord qu’il ne faut pas confondre les lubies du patient avec ses désirs. Les lubies apparaissent tout à trac, au contraire des désirs qui ne s’expriment vraiment qu’après une longue élaboration. Le psychanalyste est celui qui, en principe, sait discerner ces deux plans de façon à ne pas tomber dans les panneaux du sujet. Si le psychanalyste ne sait pas faire cela, alors, ce n’est pas un psychanalyste, mais un coach qui va se mettre en peine d’être ouvert aux « désirs » du patient, jusqu’à l’accompagner pour les réaliser. Pauvre psy qui se place dans cette position. Il devrait alors, pourquoi pas, être ouvert au « désir » de certains de ses patients de tuer leurs père et mère ou qui vous voulez. Ou de devenir le nouvel Hitler souhaitant exterminer la moitié de l’humanité. Or, justement, le psy, à ma connaissance, n’est pas un coach. Si le psychanalyste a mauvaise presse en ce moment où le Marché incite l’individu à demander tout ce qu’il veut, c’est parce qu’il est celui qui rappelle à ceux qui voudraient l’oublier le principe de réalité, en l’occurrence l’existence de deux sexes et l’impossibilité de passer de l’un à l’autre. Principe avec lequel il vaut mieux que le patient se débrouille… sauf à tomber dans le délire. Lequel consisterait à croire qu’en paraissant l’autre sexe, il serait de l’autre sexe. Or, prendre l’apparaître pour l’être serait source de souffrances indicibles car cela repose sur une supercherie, un rapport mensonger à soi-même et aux autres, qui ne manquerait pas de resurgir en drame. En aidant le patient à faire la part des choses (entre celles qui sont possibles et celles qui sont impossibles), celui-ci pourra peut-être découvrir que, s’il ne peut changer de sexe, il lui reste néanmoins la possibilité de changer de genre. Ce qui n’est qu’une mince consolation, mais cela dépend bien sûr de la dynamique de la cure. Et chacune est singulière. 

Ces psychanalystes évacuent totalement la question du Maître, primordiale. Dites-nous en plus… 

Oui, ceux des psychanalystes qui veulent exaucer les lubies de leur patient font comme si la demande de changement de sexe venait de lui. Or, comme je l’ai déjà dit plus haut, cette demande est surdéterminée par l’offre du Marché, ce nouveau Maître qui, en plaçant le sujet en position d’être comblé par l’offre toujours plus large d’objets manufacturés, de services marchands et de fantasmes sur mesure produits par les industries culturelles, met ce dernier en position de tout vouloir, y compris l’impossible, dont changer de sexe. L’ancien Maître, Dieu par exemple, nous tenait par le haut, le nouveau, le Marché, nous tient par le bas. Il nous tient par ce que les Anciens Grecs appelaient « l’âme d’en-bas », l’épithumetikon, siège des passions, aujourd’hui directement exploitées par le Marché. Autrement dit, nous sommes passés de l’ancien Maître qui édictait ses Commandements et jouait franc jeu à un Maître pervers, passé sous la barre, qui fait semblant de nous laisser la bride sur le cou, mais qui nous tient en sous-main. Appelons cela la sous-main invisible du Marché. C’est une main de fer dans un gant de velours… 

On présente au fond comme un choix ce qui est déterminé par la nature. La véritable liberté n’implique-t-elle pas notamment d’admettre une fois pour toutes que certaines choses ne nous appartiennent pas, comme la filiation, l’âge, le sexe, le nom… ? 

Oui. En principe, c’est le droit qui nous renseigne sur ce qui se rapporte à notre état civil en nous rappelant les fondements dogmatiques de notre socialité (cf. Pierre Legendre) qui décrètent disponibles certaines données et indisponibles d’autres. Par exemple, dans nos pays démocratiques notre adresse est en principe disponible, on peut en changer. Mais d’autres, jusqu’à une date récente, étaient indisponibles, comme notre âge, notre filiation, notre sexe. Or, l’état de la personne est de plus en plus « contractualisé », c’est-à-dire remis à la disposition du sujet, pour qu’il en fasse ce que bon lui semble. Ainsi, depuis un arrêté de 2020, on peut en France changer de sexe à l’état civil (sans être opéré). Et peut-être pourra-t-on bientôt changer d’âge, c’est-à-dire de date de naissance, ou de parents, ou de langue maternelle… Ce serait un pas de plus vers l’extension du délire. Cette mutation est bien évidemment à mettre en relation avec le fait (évoqué plus haut) que le nouveau Maître, le Marché, se soit rendu invisible en plaçant le sujet en position de Maître apparent, devant être comblé dans toutes ses appétences. 

Ces victimes du progrès technoscientifique ne sont-ils pas des ennemis, volontaires ou pas, de la nature ? 

Oui. Ennemis de la nature. Et avant tout ennemis de leur propre nature. 

Avec votre ouvrage, vous soulevez une question essentielle qui a trait au processus de construction de la pensée et à l’autonomie par rapport à celui-ci. Certains voient dans le sujet en proie aux idéologies modernes un effet de l’individualisme contemporain. Vous dites au contraire que cet individu « est aujourd’hui placé en position de marionnette d’un Maître qui ventriloque ses demandes. Cet individu est devenu la voix de son maître ». Vous remettez en question que le phénomène trans soit le résultat d’une individualisation forcenée, mais dites plutôt qu’il s’agit du résultat d’un processus de création de besoins, chez un sujet qui croit se penser lui-même mais qui est en fait pensé par un autre. 

Je crains en effet que beaucoup de penseurs contemporains ne soient tombés dans le panneau. Ils disent que nous vivons dans des sociétés individualistes, sans Maître, alors que le Maître n’a fait que se dissimuler en incitant chacun à la satisfaction de toutes ses appétences ― ce dont ce nouveau Maître profite tant au plan économique qu’au plan de l’emprise exercée sur les individus. En fait, j’aspire à ce que nous entrions un jour dans une vraie société d’individus ― ce qui supposerait des êtres pensant et agissant par eux-mêmes, capables de s’auto-limiter. Or on est très loin du compte. On est dans une société marquée par, non pas l’individualisme, mais par l’égoïsme, avec des êtres à la recherche de la satisfaction pulsionnelle ― dussent-ils pour cela consumer (par la consommation effrénée) le monde, jusqu’à sa consomption finale. 

C’est au fond un effet moderne : le sujet est pensé par un autre. Dans le café du coin, les médias imposent les sujets de conversation : on ne parle plus de politique, on parle de « l’affaire Palmade ». [sans évoquer surtout le plus important, les « dessous » de ces affaires]. L’ultime paradoxe est qu’on en arrive à ce que ce soit l’auto-castration qui amène le sujet à prendre conscience qu’il est pensé par un autre. C’est en expérimentant l’impossible que le sujet réalise qu’il est limité et déterminé, malgré lui, et que l’impossible n’est pas possible. Mais c’est souvent trop tard. 

En effet. C’est pourquoi je reprends cette figure tragique de l’Héautontimorouménos, littéralement le « bourreau de soi-même », évoqué par Baudelaire dans un poème des Fleurs du mal. Tout se passe comme si l’absence de limites finissait par revenir sur le sujet en le constituant comme sa propre proie, le poussant vers une subjectivité autophage débouchant sur la transhumanité. 

Nicolas Drochmans

LE DÉLIRE OCCIDENTAL 

Nous sommes arrivés à une époque où la folie est mise en avant, valorisée sur les plateaux télé, norme sociale. La zooanthropie (Homme qui se prend pour un animal) devient presque à la mode, alors qu’il s’agit d’un délire psychotique. La dysphorie de genre elle-même était-elle, encore il y a peu, considérée comme une maladie mentale ? 

J’ai écrit en 1996 un livre intitulé Folie et démocratie. J’y annonçais le déferlement de la folie dans l’histoire, dû à la désuétude de toutes les grandes dichotomies qui soutenaient, tel un fondement, la culture occidentale : logos/pathos, même/autre, bien/ mal, présence/absence, intelligible/sensible, masculin/féminin, nature/culture, sujet/objet, humanité/ animalité, etc. Annonçant cela, j’ai alors moi-même été pris pour un fou. Aujourd’hui, nous y sommes. Le déni de la différence masculin/féminin ― ce qu’on appelle la non-binarité ― fait particulièrement symptôme. Celui qui affirme ce déni aurait été classé comme psychotique il y a quelques années. Aujourd’hui, il est admis, voire encouragé, au point qu’on doit accueillir ce déni pour reconstruire toute la culture, de même que le droit et l’éducation. Bientôt, cet ancien psychotique devient la norme et se met à classer les « normaux » comme dingues. Nous sommes en bonne voie puisque les hétérosexuels sont de plus en plus soupçonnés d’être des psychopathes créés par le « vieux mâle blanc occidental ». 

L’ordre du marché est en train de consumer le monde pour satisfaire le toujours plus, la pléonexie. Pour ce faire, il en passe par la destruction de l’être, son psychisme, sa culture (culture, rappelons-le, « non essentielle » lors de l’événement covid). Ce n’est que la suite du délire occidental ? 

Oui. C’est clairement la suite du délire occidental. Ça atteste qu’on veut toujours plus, dans tous les domaines. Ce qui pose deux questions. Premièrement, à quel point les autres cultures accepteront ce délire, en Afrique, dans le monde arabe, dans le monde slave, en Inde, en Chine…? Deuxièmement, ne serait-ce pas à penser comme les prémices du suicide occidental ? 

Le trans fait partie de la panoplie transhumaniste, avec comme point d’orgue la mort de la mort. Vous citez dans votre ouvrage (p. 106) le pape du transhumanisme, James Hughes, ancien directeur de la World Transhumanist Association, qui a dit des transsexuels qu’ils étaient « les troupes de choc du transhumanisme ». Les deux sont intrinsèquement liés ? 

Oui, et ce n’est pas moi qui le dis. C’est le/la chantre de la transidentité, Paul B. Preciado. Après avoir invoqué, je cite « Internet, la physique quantique, la biotechnologie, la robotisation du travail, l’intelligence artificielle, l’ingénierie génétique, les nouvelles techniques de reproduction assistée, et le voyage extraterrestre [qui] précipitent également des changements sans précédent vers l’invention d’autres modalités d’existence entre l’organisme et la machine, le vivant et le non-vivant, l’humain et le non-humain », « iel » indique, au comble du bonheur, qu’« un bouleversement comparable à celui qu’a impliqué au début du siècle dernier la mécanique quantique et les théories de la relativité en physique se produit aujourd’hui dans le domaine des techniques de reproduction de la vie ainsi que de la production collective de la subjectivité sexuelle et du genre ». 

Nous sommes tous des êtres à qui il manque quelque chose – la violence du transsexuel (quand on lui dit qu’il est impossible de changer de sexe) qu’on met en face de son délire, est peut-être liée à cela, il sait qu’il ne réparera rien ? Qu’il y a un manque fondamental irréparable, mais paradoxalement que ce manque est à l’origine également de la créativité humaine, de sa richesse. 

Belle question. J’ai souvent fait état dans mes travaux de la néoténie de l’homme qui réfère à son état d’inachèvement à la naissance. Un manque originel qui demande à être comblé. Or, il y a deux façons de le faire : par la culture ― ce qui était la voie jusqu’alors choisie, ouvrant à l’infini de la créativité humaine — ou par la réparation de l’« erreur humaine », en intervenant directement sur sa nature moyennant les technosciences. Je constate avec effroi que celles-ci s’imposent de plus en plus au détriment de la créativité humaine, d’autant mieux que ce qui reste de celle-ci est de plus en plus soumis à l’« intelligence artificielle », ChatGPT, Midjourney et autres. 

On punit un enfant de quatre ans parce qu’il regarde sous les jupes des filles, mais on distribue des guides d’éducation à la vie sexuelle et affective où on leur dit qu’à 4 ans ils pourront choisir leur sexe plus tard ; à 9 ans on leur parle de prise hormonale et de bloqueur de puberté. On marche sur la tête ? 

Certes, on marche sur la tête. Mais surtout, on marche sur les têtes. On les écrabouille pour mieux les reconfigurer. Il s’agit en effet qu’elles n’entendent plus l’évidence : il y a des hommes et des femmes. Et qu’elles croient qu’elles peuvent décider de ce qui leur convient. J’y vois un clair encouragement à la psychose sociale ― au sens d’une psychose qui ne résulterait plus de causes internes (dues à l’histoire personnelle), mais externes (dues à l’environnement). 

Le délire occidental, c’est aussi celui de sa supposée supériorité. Derrière la valorisation LGBTQIA+, on a aussi toute la supériorité occidentale, qui fait la leçon aux pays qui pratiquent l’excision, mais charcute ses jeunes pour l’illusoire changement de sexe… 

C’est une des raisons pour laquelle je pense que ce mouvement ne peut pas tenir longtemps. Il est trop plein de contradictions. Pourquoi en effet condamnerait-on l’excision là si l’on admet ici la mutilation sexuelle ? C’est un petit carnaval, pour chauffer les esprits, avant que les choses vraiment sérieuses commencent bientôt : eugénisme, amélioration de l’espèce, hybridations homme/ machine, grand remplacement de l’intelligence naturelle par l’intelligence artificielle, etc. 

À la fin de votre ouvrage, vous notez que le maître antique, celui des monothéismes, a promis aux sujets la vie éternelle. Celui du capitalisme, la richesse. Et le maître post-moderne, celui du néolibéralisme, leur promet maintenant de sortir de leur condition sexuée. 

Oui. J’en ai tiré une loi : le Maître est le Maître parce qu’il propose l’impossible. Il est celui qui réussit à tenir les gens avec des fausses promesses dans lesquelles beaucoup tombent à pieds joints. C’est ainsi qu’il assure son emprise. Je parie que la prochaine fausse promesse ne consistera plus à promettre la vie après la mort, mais la mort de la mort. 

LANGAGE ARTICULÉ 

Revenons au refus de tout dialogue. Il faut déjà accepter le dialogue pour vous entendre. Mais toute cette mouvance ne signe-telle pas déjà la fin du discours articulé ? N’est-ce pas trop tard pour éveiller le sujet LGBTQIA+ ? Vous dites d’ailleurs que face à cela, la seule solution est de « laisser l’autre à son délire en évitant, par compassion pour le genre humain, de continuer à diffuser l’ineptie ». 

Le délire se présente comme un sommeil plus ou moins profond de la raison. Ce qui signifie que, quand quelqu’un est parti dans un délire (de secte, de transidentité…) ― un délire entretenu par beaucoup d’autres, dont les réseaux sociaux ―, les appels à la raison sont vains. Il n’y a alors plus qu’à se mettre dans la peau de Winston, le héros de 1984 d’Orwell, qui répète contre le Parti certaines évidences niées par ce Parti. Il se forge ainsi ce mantra : « L’évidence, le sens commun, la vérité, doivent être défendus. Les truismes sont vrais. Il faut s’appuyer dessus. Le monde matériel existe, ses lois ne changent pas. Les pierres sont dures, l’eau humide, et les objets qu’on laisse tomber se dirigent vers le centre de la terre […]. La liberté, c’est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Lorsque cela est accordé, le reste suit ». Aujourd’hui, c’est pareil avec le Parti trans, il faut répéter que non, les femmes ne possèdent pas de pénis, et que non, les hommes ne possèdent pas de vulve. Il arrive alors parfois que, chez un trans, une petite lueur de raison s’allume et qu’il se rende compte qu’une femme est une femme et qu’un homme est un homme. Alors peut s’engager le douloureux et salvateur processus de détransition que j’ai évoqué plus haut. 

Dans ce processus, l’invective est utilisée, pour catégoriser l’autre et empêcher l’échange. Parmi les sophismes, il y a la confusion volontaire et entretenue entre la crainte de cette promotion du changement de sexe et l’homophobie. 

On entend souvent dire en effet que la transphobie est aujourd’hui ce que l’homophobie était hier. On a fini, dit-on, par accepter la seconde, on finira bien par accepter la première. Eh bien, ce n’est pas comparable. Car l’homosexualité est une option parfaitement possible dans la structure subjective. Elle a d’ailleurs existé de tout temps, dans toutes les sociétés comme en témoignent, par exemple, les Hijra de l’Inde, les Fa’afafine de Polynésie, les Kathoeys de Thaïlande, les Sworn virgin des Balkans, les Akava’iné Maoris, les Burnesha d’Albanie, les Bakla des Philippines, les Winkte Sioux d’Amérique, les Muxe du Mexique et bien d’autres. L’homosexualité correspond à la possibilité effective de choisir son genre, par exemple en présentant 20, 50 ou 200% (par ex. les drag queens) de traits correspondant à l’autre sexe. Rien de tel dans la transidentité qui, elle, se fonde sur un leurre : choisir son sexe. Ce qui est impossible. La preuve : un transsexuel, male to female, après une opération dite de transition vers le sexe femelle, restera avec le gène SRY au fond de ses cellules, qui détermine une fois pour toutes son sexe mâle avec toutes ses implications, notamment qu’il n’aura pas de menstruations et qu’il ne pourra jamais porter un enfant comme une femme. Quant à la transsexuelle femelle réassignée en mâle, elle (ou il) ne disposera pas du gène SRY et ne connaîtra jamais l’érection spontanée qui caractérise la vie et la sexualité d’un homme et sera réduite à actionner une prothèse pénienne avec une pompe dissimulée dans l’un des testicules reconstruits. 

À ce titre, l’insulte transphobe en dit long ? 

Si vous objectez quoi que ce soit au discours trans, alors vous voilà stigmatisé comme transphobe. C’est ainsi que beaucoup, qui n’en pensent pas moins, choisissent de se taire de peur d’être estampillés de l’encombrant attribut et de passer pour des transphobes actifs, ceux qui cherchent à stigmatiser, à enfermer ou à maltraiter l’autre. Cependant, je rappelle que « phobique » a aussi et d’abord un sens passif où l’on se trouve effrayé, sujet à la crainte, comme l’agoraphobe se trouve effrayé devant la foule ou le claustrophobe face à l’enfermement. Bien sûr, les défenseurs de la transidentité jouent sur les deux sens : ils font passer le transphobe passif pour un transphobe actif. C’est totalement abusif. Ainsi, moi, je suis peut-être un transphobe passif au sens où le trans opéré me fait (philosophiquement) peur puisqu’il attente à la condition humaine marquée par la différence sexuelle, mais je ne suis nullement un transphobe actif. Je condamne en effet sans appel tout acte de maltraitance passé, actuel et à venir à l’encontre des trans que je considère comme des personnes en souffrance essentielle, qui se sont laissé berner par une fausse promesse et qui méritent compassion et secours s’ils le demandent. 

La fin du discours et du débat signe le début de l’idéologie et du totalitarisme. L’idéologie LGBTQIA+ a ses représentants, avec des Butler ou des Preciado, ces « non op », dont vous dites qu’il ne serait pas abusif des les considérer comme responsables « de l’envoi sur le Marché boucher du changement de sexe de centaines, voire de milliers de candides candidat.e.s à la réassignation sexuelle ». 

Oui, Butler et Preciado sont dans la position confortable d’intellectuels qui théorisent la transidentité. Des sortes de super influenceurs opérant à partir de positions de pouvoir universitaire. Il leur aurait été possible de prévenir clairement les candides candidats à la réassignation sexuelle par des moyens chirurgicaux que ça ne marche pas très bien. Mais ces deux prestigieux non op n’en ont rien fait, alors qu’elles savaient. L’une et l’autre savent en effet ce qui est arrivé à David Reimer, premier garçon chirurgicalement réassigné en fille sur les conseils du pédopsychiatre John Money, fondateur des Gender Studies, ce mouvement où le sexe a cessé d’être une « réalité anatomique » pour devenir un « construit social ». Le résultat de ces belles théories est que David Reimer s’est suicidé en 2004, date après laquelle Butler est, comme par hasard, subitement sortie de la problématique du genre sans prendre la peine d’expliquer à ces lecteurs pourquoi cet évènement remettait quelque peu en question ses assertions passées. 

LE DROIT ET L’ILLUSION DE RENDRE JUSTICE 

Quid du droit des femmes ? Certains disent que c’est encore, paradoxalement, une victoire d’une forme de patriarcat, de domination masculine ? 

Oui, je comprends parfaitement que les femmes nées biologiquement femmes soient choquées et révulsées quand elles entendent les femmes trans (MtoF) leur dire qu’elles sont les vraies femmes au motif que, « elles », elles ont choisi ce « devenir femme », alors que les femmes biologiques n’ont fait que profiter de la loterie génétique… 

N’en est-il pas de même avec l’écriture inclusive, novlangue qui se donne les atours de l’égalité, alors qu’elle se fonde sur des faux présupposés (notamment que la langue française comporte un genre masculin et féminin), qui en fin de compte, citant le linguiste Jean Szlamowicz, construit « une misogynie imaginaire qui laisse prospérer la misogynie ordinaire ». On feint d’établir justice et égalité pour mieux pérenniser la domination ? 

Oui, l’écriture inclusive se fonde sur de faux présupposés en faisant se recouvrir le genre grammatical dans la langue et le sexe des individus. Or les deux ne se recoupent que très peu. Ou alors il faudrait qu’on m’explique en quoi une chaise est plus féminine qu’un tabouret. Ou pourquoi un escabeau est plus masculin qu’une échelle… 

L’époque a évidemment des effets sur le droit, droit qui lui-même avalise les dires du sujet, réduit à une instance « qui ne se contente plus que d’enregistrer les dires du moment des justiciables ». 

Lorsque le droit admet que les hommes puissent être des femmes et les pères, des mères, ou vice-versa, c’est que nous sommes entrés dans ce que j’appellerais un droit néolibéral sadien, que l’on peut dire incestuel au sens où plus rien n’est à sa place du point de vue des relations d’alliance et de filiation[note]. Cette fin du droit romano-germanique, où chacun était nommé à sa place, avec ses droits et devoirs, est une porte ouverte au surgissement de la perversion, sous toutes ses formes. 

Ces expériences sur les jeunes semblent aller contre le code de Nuremberg, qui interdit les expériences médicales illicites. C’est d’autant plus révoltant quand on sait que « la grande majorité des jeunes adolescents mal à l’aise avec leur identité sexuée ne persistent pas dans leur demande de transformation après la puberté (87,8%) ». 

Oui, je rappelle que le code de Nuremberg a été établi à la suite du procès (1946–47) des médecins nazis qui avaient pratiqué des expériences médicales illicites sur les prisonniers des camps de concentration dans des conditions atroces. Ce code éthique de référence établit comme critère d’acceptabilité la « capacité légale de consentir » du patient. Or, sachant que le traitement par inhibiteurs de puberté peut commencer avant 10 ans, on se retrouve loin de l’âge requis pour consentir stipulé par ce code en vue d’établir des repères solides après l’effondrement moral et civilisationnel du XXe siècle provoqué par le nazisme. 

LE PHÉNOMÈNE TRANS CONTRE L’UNIVERSALISME 

Les hérauts (ce mot pose en lui-même « problème » car il n’a pas de féminin…) du bannissement de la formulation dite genrée (« Bonjour à vous chers lecteurs») ou de l’inclusif avec point médian, se targuent de sortir d’un sexisme primaire en s’exprimant ainsi, mais ils ne font que promouvoir des catégorisations biologiques qui nous empêchent de gagner en universalisme, détruisant le neutre qui garantit la dimension universelle du langage. 

Le grand perdant, c’est l’universalisme (républicain) qui posait des valeurs communes pour lesquelles il valait la peine de se battre comme, par exemple « Liberté, Égalité, Fraternité ». Et le grand gagnant, c’est la ghettoïsation démocratiste, avec l’apparition de groupes identitaires. Chaque ghetto fonctionne au mimétisme avec des identiques qui exhibent le même critère biologique ou intime (homme/femme, noir/blanc, type de sexualité…). Chaque groupe identitaire exige que ses droits particuliers soient inscrits dans le droit, la langue, la culture et l’éducation. Et chacun brandit sa soi-disant morale supérieure, en guerre permanente contre les autres. 

En opposant de plus les femmes aux hommes, on occulte la diversité au sein de chaque groupe. Cette destruction est d’ailleurs visible dans certains supposés combats pour l’égalité des sexes, qui rappellent une réflexion de l’auteur de La Diversité contre l’égalité, évoquant des femmes issues de Wall Street et de Wall Mart marchant ensemble pour le droit des femmes : « Le salaire horaire moyen d’un employé à temps plein de Wal-Mart s’élève à environ 10 dollars. En travaillant quarante heures par semaine, un employé de Wal-Mart gagne donc 400 dollars par semaine, soit presque 21.600 dollars par an. Les femmes, victimes de discrimination, gagnent un peu moins, les hommes un peu plus. La différence, selon Richard Drogin, le statisticien qui a analysé les chiffres lors du procès pour discrimination, est (pour les salariés à l’heure) de 1.100 dollars par an. Disons donc que les femmes salariés de WalMart gagnent environ 20.500 dollars par an. Il leur faudrait par conséquent 60 ans pour amasser ce que les femmes salariées de Wall Street – également victimes de la discrimination – gagnent en un an. Bien entendu, les hommes salariés de Wall-Mart – qui sont les bénéficiaires de cette discrimination , puisqu’ils gagnent 21.600 dollars par an – s’en tirent mieux : il ne leur faudrait qu’environ cinquante-sept ans pour atteindre cette somme. Autrement dit, à Wal-Mart, on a des femmes qui se battent pour obtenir des parts légitimes d’un gâteau si ridiculement petit que, l’obtiendraient-elles, il ne parviendrait même pas à les nourrir. Se représenter les femmes de Wal-Mart comme marchant coude à coude avec leurs camarades de chez Morgan Stanley ou de Harvard pour défendre leurs droits est donc parfaitement grotesque, de même qu’il est parfaitement grotesque de considérer leur problème comme un problème de discrimination sexuelle[note] » 

C’est dans des exemples comme ceux que vous exposez qu’on s’aperçoit qu’on ne peut pas substituer des critères identitaires aux critères de classe. 

La lutte trans est par ailleurs présentée comme progressiste et égalitaire, alors qu’elle est profondément réactionnaire. Pier Paolo Pasolini, que vous citez, écrivait que le pire qui pourrait arriver aux homosexuels [par ailleurs lui-même homosexuel] serait d’être tolérés : « Il est intolérable […] d’être toléré ». Car être toléré, c’est être obligé de rentrer dans la norme et de participer à ce qu’il appelait « la grande bouffe névrotique », la consommation, seul horizon offert par le divin marché. Dans Salo ou les 120 journées de Sodome, il montre que « la soi-disant libération sexuelle réalisée sous l’égide de la société de consommation et du capitalisme est une tromperie obscène où tout s’expose ». 

Oui, aujourd’hui, comme Pasolini l’avait génialement anticipé, au contraire de Foucault, le Marché est devenu total, aux deux sens du terme : il a pénétré dans toutes les activités humaines et il atteint jusqu’à l’intime. Beaucoup de ces groupes qui se croient progressistes ont plusieurs trains de retard, ils combattent encore le vieux capitalisme patriarcal qui n’existe plus guère que comme réminiscence, alors qu’ils ne savent pas qu’ils sont les meilleurs représentants du nouveau capitalisme libidinal qui s’est mis en place. 

Et les politiques, de l’extrême gauche à la droite, tombent à plat ventre dans l’idéologie Trans[note] …alimentant l’extrême droite. Je vous cite : « Plus le gauchisme wokiste butlérien s’imposera en affirmant que toutes nos certitudes élémentaires sont des illusions ne résultant que de la violence du système colonial, patriarcal ou hétéro-binaire, plus il suscitera des retours de bâton venus d’une ultra-droite (para-trumpienne) lasse de cette magie à deux sous et prête à encenser un grand chef autoproclamé distribuant des armes au troupeau[note] ». (p. 133). 

Oui. Il faudrait quand même se rendre compte qu’il n’y a pas besoin d’être d’extrême droite pour combattre ces groupes identitaires. C’est justement un tel espace que j’essaie, avec ce livre et avec d’autres, d’ouvrir à gauche. 

Propos recueillis à distance par Alexandre Penasse, mai 2023. 

* Le philosophe Dany-Robert Dufour (né en 1947) est précédemment l’auteur de plusieurs essais critiques de l’idéologie libérale, entre autres : Le divin marché. La révolution culturelle libérale (Denoël, 2007), La cité perverse. Libéralisme et pornographie (Denoël, 2009), L’individu qui vient… après le libéralisme (Denoël, 2011), Baise ton prochain. Une histoire souterraine du capitalisme, Actes sud, 2019). 

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Répression violente de la contestation en Ukraine

Ce article a été écrit par Maxim Goldarb, président du parti Union des forces de gauche (Pour un Nouveau Socialisme). Il témoigne de la violence de la répression en Ukraine depuis 2014. Loin des discours feutrés lors des voyages des politiciens occidentaux en Ukraine, ou de la tournée de Zelensky en Europe. Derrière les images lissées: assassinats d’opposants, arrestations arbitraires, emprisonnements, liberté d’expression bafouée. 

L’Ukraine a longtemps été considérée comme le pays le plus libre de l’espace post-soviétique. Il y a encore 10 ans, les partis politiques et les organisations publiques de toutes directions, une variété de médias opéraient librement dans notre État, et les politiciens de l’opposition, les journalistes et les militants critiquant ouvertement et courageusement les autorités. Toute tentative d’empêcher les critiques des autorités dans leurs activités créait un grand scandale, et il y a eu très peu de tentatives de ce genre.

Mais tout a radicalement changé depuis l’Euromaïdan de 2014. Le régime oligarchique de droite qui est arrivé au pouvoir avec une idéologie nationaliste a commencé à persécuter sévèrement ses opposants, en utilisant des méthodes terroristes.

L’exemple le plus tragique non seulement de persécution, mais aussi de meurtres par le régime au pouvoir à Kiev de ses opposants idéologiques a eu lieu à Odessa le 2 mai 2014, lorsque des militants nationalistes, avec toute la connivence et l’aide des autorités, ont bloqué des militants antifascistes dans le bâtiment de la Maison des syndicats et ont mis le feu au bâtiment. Et beaucoup ont sauté par les fenêtres des gens en feu étaient déjà finies sur le sol. Au total, plus de 40 personnes sont mortes à ce moment-là, parmi lesquelles Vadim Papura, membre du Komsomol (jeunesse communiste), ainsi qu’Andrei Brazhevsky, membre de l’organisation de gauche Borotba.

Pour ce crime, personne n’a jamais été puni, bien que ses participants aient été enregistrés sur de nombreuses photos et vidéos. D’ailleurs, l’un des organisateurs de ce massacre est devenu par la suite le président du parlement ukrainien, et le second est devenu député sur les listes du parti de l’ancien président Porochenko.

De même, les assassins d’un certain nombre de politiciens et de journalistes de l’opposition bien connus qui sont morts depuis 2014 n’ont pas été punis : l’ex-députée du Parti socialiste d’Ukraine Valentina Semenyuk-Samsonenko (meurtre déguisé en suicide, 27 août 2014) ; l’ex-député, organisateur des actions de l’opposition Oleg Kalachnikov (tué le 15 avril 2015) ; l’écrivain populaire et publiciste antifasciste Oles Buzina (tué le 16 avril 2015) et bien d’autres.

Les activités du plus grand parti de gauche du pays à cette époque, le Parti communiste d’Ukraine, ont été interdites.

En outre, des politiciens, des journalistes et des militants d’opposition, dont beaucoup étaient de gauche, ont été battus, arrêtés et emprisonnés ces dernières années sur la base d’accusations forgées de toutes pièces de « haute trahison » et d’autres accusations ouvertement politiques. C’est ce qui s’est passé, en particulier, avec les journalistes Vasily Muravitsky, Dmitry Vasilets, Pavel Volkov, le militant des droits de l’homme Ruslan Kotsaba et d’autres. Il est caractéristique que dans les tribunaux, même sous la pression des autorités, ces accusations, en règle générale, se sont effondrées et se sont avérées totalement intenables.

D’année en année, la situation s’est aggravée, en particulier après que Vladimir Zelensky est devenu président de l’Ukraine. La raison officielle de l’élimination complète des restes de libertés civiles et du début de la répression politique ouverte était le conflit militaire en Ukraine qui a commencé en février 2022.

Tous les partis d’opposition en Ukraine, dont la plupart sont des partis de gauche, y compris le parti Union des forces de gauche (Pour le nouveau socialisme), que je dirige, ont été interdits sur la base d’accusations fabriquées et copiées sur carbone d’être « pro-russes ».

Dans le même temps, le seul membre du parlement ukrainien qui est ouvertement allé travailler dans les autorités créées par la Russie sur le territoire de l’Ukraine, Oleksiy Kovalyov, représentait le parti du président Zelensky, serviteur du peuple. En outre, tout au long de la guerre, le parti au pouvoir a été secoué par des scandales de corruption très médiatisés qui sapent l’autorité des autorités aux yeux du peuple et détruisent de manière catastrophique les vestiges de l’autorité de l’Ukraine aux yeux de la communauté internationale (chef adjoint du cabinet du président Kyrylo Timoshenko, ministre de la Défense Oleksiy Reznikov et son adjoint Vyacheslav Shapovalov, Le vice-ministre des Communautés, des Territoires et du Développement des infrastructures, Vasily Lozinsky, le président du conseil d’administration de Naftogaz Ukrainy Andriy Kobolev, le chef de l’administration militaire régionale de Dnepropetrovsk, Valentyn Reznichenko, et d’autres). Bien que ce soit précisément cette « activité » du parti au pouvoir qui constitue une menace directe pour la sécurité et l’existence du pays, pour une raison quelconque, elle n’a pas encore été interdite par les autorités.

Le Service de sécurité de l’Ukraine (SBU), avec l’accusation de haute trahison, a arrêté un certain nombre de leaders d’opinion et de journalistes qui se sont exprimés avant la guerre dans les médias avec des commentaires et ont critiqué le gouvernement. Tous ont été accusés de promouvoir une position pro-russe, de haute trahison, d’espionnage, de propagande, etc.

En février-mars 2022, des blogueurs et des journalistes bien connus ont été arrêtés pour haute trahison et placés dans des centres de détention provisoire (SIZO), tels que : Dmitry Dzhangirov (un partisan des opinions de gauche, a collaboré avec notre parti), Yan Taksyur (un partisan des opinions de gauche), Dmitry Marunich, Mikhail Pogrebinsky, Yuri Tkachev, et ainsi de suite.

La raison de leur détention n’était pas du tout une trahison éphémère, mais la crainte des autorités de leur position publique, qui ne coïncidait pas avec la position officielle.

En mars 2022, l’historien Alexander Karevin, connu pour sa citoyenneté active, a disparu sans laisser de trace après que des agents du SBU se soient rendus à son domicile. Karevin a vivement critiqué à plusieurs reprises les actions des autorités ukrainiennes dans le domaine des sciences humaines, de la politique linguistique et de la politique de mémoire historique.

En février 2023, Dmitry Skvortsov, publiciste et blogueur orthodoxe, a été arrêté dans un monastère près de Kiev et placé dans un centre de détention provisoire.

En mars 2022 à Kiev, sur suspicion au sens de l’art. 111 du Code pénal (CC) (trahison) a été détenue et placé dans un centre de détention provisoire avocate, militante des droits de l’homme, connue pour sa position antifasciste Olena Berezhnaya, qui en décembre 2021 a pris la parole au Conseil de sécurité de l’ONU, parlant de l’anarchie qui se passe en Ukraine.

Le 3 mars 2022, le SBU a été arrêté à Kiev pour violation de l’art. 109 du Code pénal de l’Ukraine (« actions visant à modifier par la force l’ordre constitutionnel ou à s’emparer du pouvoir de l’État ») et placés dans un centre de détention provisoire jusqu’à la fin de 2022, des militants de gauche et des frères antifascistes Alexander et Mikhail Kononovichi. Là, ils ont été battus et torturés, privés d’une assistance médicale en temps opportun.

En mai 2022, à Dnipro, le SBU a arrêté le frère de l’ancien candidat à la présidence Oleg Tsarev, citoyen ukrainien Mikhaïl Tsarev, pour « déstabilisation de la situation sociopolitique dans la région ». En conséquence, en décembre 2022, il a été condamné pour terrorisme à 5 ans de prison.

Le 7 mars 2022, six militants de l’organisation d’opposition Patriotes pour la vie ont disparu sans laisser de trace à Severodonetsk, et en mai 2022, l’un des dirigeants du groupe Azov, Maxim Zhorin, a publié une photo de leurs cadavres sur Internet, affirmant qu’ils « ont été exécutés », et que leur meurtre est lié à leur position et perpétré par des structures paramilitaires.

Le 12 janvier 2023, Sergei Titov, un résident de Belaya Tserkov, une personne handicapée à moitié aveugle atteinte d’une maladie mentale, a été arrêté et placé dans un centre de détention provisoire, il a été déclaré « saboteur ». Le 2 mars 2023, il a été signalé qu’il était décédé dans le centre de détention provisoire.

Depuis novembre 2022, Dmitry Shymko de Khmelnytsky est dans les cachots pour ses convictions politiques.

Des centaines de citoyens ordinaires ont déjà été poursuivis dans l’Ukraine d’aujourd’hui pour avoir diffusé sur Internet des contenus politiques que les autorités considéraient comme interdits.

Les autorités ont pris un contrôle étroit sur l’espace d’information de l’Ukraine, y compris Internet. Toutes les publications personnelles de citoyens sur les erreurs commises au front, sur la corruption parmi les autorités et l’armée, sur les mensonges des fonctionnaires sont déclarées crimes. Ces personnes, ainsi que les blogueurs, administrateurs des chaînes TG, sont victimes de harcèlement de la part de la police et du Service de sécurité.

Au printemps de cette année, selon le SBU, 26 canaux de télégrammes ont été bloqués, dans lesquels les gens s’informaient mutuellement des lieux actuels de distribution des convocations de mobilisation. Des perquisitions ont été effectuées chez six administrateurs publics et les soupçons leur ont été transmis. Ainsi, les pages publiques qui fonctionnaient dans les régions d’Ivano-Frankivsk, Tcherkassy, Vinnitsa, Tchernivtsi, Kiev, Lviv et Odessa ont été bloquées, auxquelles plus de 400 10 utilisateurs étaient abonnés. Les administrateurs publics risquent des années de prison.

En mars 2022, l’article 436–2 « Justification, reconnaissance de la légalité, négation de l’agression armée de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, glorification de ses participants » a été introduit dans le Code pénal de l’Ukraine, qui est en réalité dirigé contre tout citoyen ukrainien qui a quelque chose de différent de la position politique officielle.

Cette norme est formulée de telle sorte que, en substance, elle prévoit une punition pour les « crimes de pensée » – mots, phrases prononcés non seulement en public, mais aussi dans une conversation privée, écrits dans un messager privé ou message SMS dit au téléphone. En fait, nous parlons d’une atteinte à la vie privée des citoyens, à leurs pensées. Ceci, en fait, a été confirmé par la pratique de son application de la loi – condamnation pour likes, appels téléphoniques privés, etc. Pour les conversations simples dans la rue et les likes sur Internet sous les posts, en mars 2023, il y avait 380 condamnations dans le registre des décisions de justice, y compris celles avec de vraies peines de prison.

Ainsi, en juin 2022, à Dnipro, un habitant de Marioupol a été condamné à 5 ans de prison, avec une période d’essai de 2 ans, qui en mars 2022 a affirmé que le bombardement de la population civile et des infrastructures civiles à Marioupol avait été effectué par des militaires des Forces armées ukrainiennes (APU).

Une autre peine, basée sur les résultats d’une conversation téléphonique en mars 2023, a été prononcée contre un habitant d’Odessa, condamné à deux ans de probation pour des conversations « antipatriotiques et antiétatiques » sur un téléphone portable.

Une habitante du village de Maly Bobrik dans la région de Sumy, qui en avril 2022, près de sa cour en présence de 3 personnes, a approuvé les actions des autorités russes en relation avec l’Ukraine, qui n’a pas reconnu sa culpabilité, a été condamnée en vertu de la partie 1 de l’art. 436–2 du Code pénal en juin 2022 pour une peine réelle de six mois de prison.

Au moins 25 Ukrainiens ont été reconnus coupables d’« activités anti-ukrainiennes » sur les réseaux sociaux. 19 personnes ont été retrouvées par des agents des forces de l’ordre à Odnoklassniki bloquées dans le pays. Selon l’enquête, ces résidents de l’Ukraine ont distribué des symboles « Z », des drapeaux russes sur leurs pages et ont qualifié l’invasion de « libération ».

Des condamnations ont également été prononcées contre ceux qui n’ont pas distribué de telles publications, mais seulement les ont « aimées » (ont exprimé leur approbation sur les réseaux sociaux) – au moins les textes de deux phrases disent que les soi-disant « j’aime » avaient pour but de « faire connaître l’idée à un large éventail de personnes en changeant les frontières du territoire de l’Ukraine » et en « justifiant l’agression armée de la Fédération de Russie ». La justification de l’enquête était que les pages personnelles ont un accès libre et que les publications aimées peuvent être vues par de nombreuses personnes.

Ainsi, en mai 2022, à Ouman, une retraitée a été condamnée à 2 ans de prison avec une période probatoire d’un an pour le fait qu’elle « en raison du rejet des autorités ukrainiennes actuelles … sur le réseau Internet Odnoklassniki ont attribué les soi-disant « j’aime » (marques « classe ») à un certain nombre de publications qui justifient l’agression armée de la Fédération de Russie contre l’Ukraine ».

À Kremenchug en mai 2022, selon l’art. 436–2 du Code pénal de l’Ukraine, un citoyen ukrainien a été condamné qui, sous un surnom (nom de réseau, pseudonyme), a parlé à Odnoklassniki des nazis en Ukraine et du développement d’armes biologiques financées par le Pentagone.

Les répressions utilisées par le gouvernement actuel pour lutter contre ceux qui ne sont pas d’accord ont transformé l’Ukraine en l’État le moins libre d’Europe, en un État où toute personne qui ose s’opposer aux autorités, à l’oligarchie, au nationalisme et au néonazisme risque la liberté, et souvent la vie.

Nous vous demandons de diffuser cette information autant que possible, car dans la situation actuelle, seule une large publicité internationale des faits présentés dans cet article peut aider à sauver des milliers de personnes dont la liberté et la vie sont maintenant en Ukraine réellement menacées.

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100ème — CSI Conseil Scientifique Indépendant

Site web: https://www.cityvent.com/events/umoegch4/

Pour la centième émission du Conseil Scientifique Indépendant, nous proposons une journée publique de conférences en présence des intervenants qui ont contribué au CSI, accompagnés de personnes impliquées dans la vie de la Cité.

Au programme, en amont de la centième du CSI, le 18 mai 2023 au soir (en présence  de Louis Fouché, Christian Peronne, Hélène Strohl notamment), nous recevrons au cours du 18 mai Laurent Toubiana, Pierre Chaillot, Emmanuelle Darles, Alexandra Henrion Caude, Christine Cotton, Hélène Banoun, jean-Marc Sabatier, Giogio Agamben, Mehdi Belhaj-Kacem, Tristan Edelmann,  Michel Maffesoli, Jean-Dominque Michel, Eric Menat, Philippe De Chazourne, Nicole et Gérard Delépine, Xavier Azalbert, Alexandre Pénasse, Franco Fracassi, David Guyon et bien d’autres encore, dont des hommes et des femmes politiques impliqués dans la défense de la médecine, de la science et des libertés fondamentales. 

Rejoignez-nous le 18 (et le 19 mai) 2023 à Saintes (Complexe le Végas, 1 route de Royan, 17100 Saintes) pour deux journées entre science, médecine, et citoyenneté !

Cet évènement est filmé en direct et retransmis intégralement sur les réseaux.

Il est organisé par l’association Réinfo-Liberté (https://reinfoliberte.fr) et par le collectif Saintais pour la Citoyenneté Libre (CSCL: http://cscl.e‑monsite.com). Si vous souhaitez aider ces associations pour l’organisation de ces deux journées significatives, vous pouvez leur adresser vos dons sur les pages correspondantes de leur site respectif. 

Billet nominatif non remboursable. Ouvre droit au programme  deux journées du 18 et 19 mai 2023 (à l’exclusion des ateliers qui seront assurés par certains intervenants et feront l’objet d’une inscription à part). 

Les billets à 30€ et à 15€ sont en placement libres. Le tarif à 15 euros est en priorité pour les personnes ayant des difficultés financières (étudiants, demandeurs d’emploi, etc…). Aucune justification n’est requise pour le montant demi tarif, qui est laissé à la conscience de chacun. Lorsque toutes les places plein tarif seront épuisées, le demi tarif sera par principe ouvert à tous. 

Les organisateurs se réservent le droit d’écarter de l’assistance toute personne qui empêcherait le déroulement pacifique, bienveillant et serein des journées. 

LE PROGRAMME (SOUS TOUTES RESERVES)

Jeudi 18 mai

08h45 : accueil et introduction à la Centième du CSI (Louis Fouché et Vincent Pavan)

09h00 – 10h00 : table de philosophie politique 

→ Giorgio Agamben, Medhi Belhaj Kacem, Tristan Edelman, Michka

10h00 – 10h05 → 5mn changement de plateau

10h05 – 10h50 : table des acteurs juridiques et administratifs 

→ David Guyon, Gianco Ferreri, Rossanna Becarelli

10h50 – 11h15 →25mn de pause

11h15 – 12h15 : table politique

→ Forian Philippot, Nicolas Dupont-Aignant, Jean Lassalle, Laurence Müller-Bronn

12h15 – 13h45 → pause déjeuner (1h30)

13h45 – 14h45 : table politique

→ Virginie Joron, Jean-Frédéric Poisson, Martine Wonner, Michèle Rivasi

14h45 – 14h50 → 5mn changement de plateau

14h50 – 15h50 : table vaccins

→ Alexandra Henrion-Caude, Hélène Banoun, Jean-Marc Sabatier, Jean-Michel Jacquemin-Raffestin,      Amine Umlil

15h50-16h15 → 25mn de pause

16h15 – 17h15 : table statistiques

→ Pierre Chaillot, Laurent Toubiana, Christine Cotton, Emmanuelle Darles ; Gérard Delépine.

17h15 – 17h20 : 5mn changement de plateau

17h20 – 18h20 : table anthropologie et médecins

→ Michel Mafesoli, Jean-Dominique Michel, Eric Menat, Philippe de Chazourne, Nicole Delepine

18h20 – 18h25 : 5mn changement de plateau

18h25 – 19h30 : table journalistes

→ Xavier Azalbert, Marc Daoud, Alexandre Pénasse, Franco Fracassi

19h30 – 21h30 : pause dîner (2h)

21h30 – 23h30 : 100ème CSI « Mort et renaissance du Système de Santé » : animé par André Barcoff

→ Christian Perronne, Hélène Strohl, Louis Fouché, Philippe de Chazourne

Avec, possiblement, la présence d’Annie Duperey durant la journée (à confirmer).

Jean-Louis Blondeau (responsable du projet « Les Essentiels ») sera présent ainsi que Fabien Moine (réalisateur du film « Suspendu… »), pour défendre la cause des soignants suspendus.

Vendredi 19 mai 

09h00 – 11h15 : présentation, projection du film de Christophe Cossé « Wake Up » (1h50) suivi d’un débat (25mn)

11h15 – 12h30 : forum des associations, prise de paroles des responsables sur scène

12h30 – 14h00 : pause déjeuner

14h00 – 15h00 : forum des associations, présentation (suite et fin)

15h00 – 15h45 → préparation de la salle / pause des spectateurs

15h45 – 18h15 : ateliers des intervenants

18h15 – 19h00 → préparation de la salle / pause des spectateurs

19h00 – 20h45 : présentation et projection du film « Après la Pluie » (1h40)

20h45 – 21h15 : conclusion, remerciements, chant…

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Vu, lu, entendu du dossier

Pour avoir longtemps travaillé chez Renault, l’ingénieur Laurent Castaignède connaît de l’intérieur les techniques déployées par l’industrie automobile pour promouvoir auprès de l’opinion publique le mythe des transports propres, dont le développement est censé participer à la lutte contre la pollution et les émissions de gaz à effet de serre (GES). Les enseignements qu’il en a tiré vont à rebours de la doxa de son ancien employeur. Dans un précédent essai (La bougeotte, nouveau mal du siècle), il pourfend le mythe contemporain de la vitesse et de la bougeotte, lesquelles se sont imposées dans notre imaginaire collectif comme un symbole de liberté individuelle. Airvore est une étude complète et rigoureuse sur l’évolution des moyens de transports motorisés, leurs usages et les efforts menés pour limiter leurs nuisances, depuis leur apparition qui marque aussi les débuts de la Révolution industrielle. Celle-ci s’est caractérisée d’emblée par une explosion de la mobilité. Chaque époque voit son urbanisme façonné par les réseaux de transport ; l’essor du chemin de fer participe directement à la formation des grandes villes industrielles polluées et des banlieues reliées aux centres-villes par le rail. Au règne du charbon et du rail va bientôt s’ajouter celui du pétrole et de la voiture individuelle qui s’impose au XXe siècle comme l’élément structurant d’un urbanisme étalé organisé autour des vastes réseaux routiers qui l’innervent. Dès 1950, avec leur consommation énergétique — plus de la moitié de la consommation mondiale de pétrole et le quart de celle de charbon —, les transports deviennent ainsi le premier facteur de pollution atmosphérique. L’« American way of life » est symbolisé par la voiture individuelle. 

Le choc pétrolier de 1973 a certes favorisé une prise de conscience des limites physiques de la consommation énergétique et de ses nuisances. Pourtant, malgré des mesures de réduction de la consommation, le parc automobile mondial a poursuivi sa progression au rythme inexorable de 3 à 4% par an, passant de 400 millions de véhicules en 1980 à 750 millions en 2000 et à 1,5 milliards en 2020 ! Il en va de même pour le rail et le fret maritime international. Quant à l’aviation civile, favorisée par la détaxation internationale du kérosène depuis 1944, elle voit son trafic s’accroître à un rythme encore plus soutenu : 9.000 milliards de kilomètres-passagers en 2019. 

Sachant que le secteur des transports en général est le premier contributeur de pollution de l’air, le risque sanitaire associé ne cesse lui aussi de croître. La pollution de l’air provoque dix fois plus de décès prématurés que les accidents de la route. En outre, la mobilité motorisée participe pour plus de 30% aux émissions mondiales de GES, « nos moyens de transport modernes sont devenus les véritables dinosaures du monde moderne, des espèces choyées devenues invasives qui déversent chaque année des milliards de tonnes de détritus gazeux ». 

Face à un tel désastre, des mesures ont été adoptées depuis les années 1960, et ce XXIe siècle nous promet la transition énergétique sous la bannière de l’électricité « verte ». Pourtant, en dépit de l’abaissement régulier des seuils réglementaires d’émission, en raison de la croissance générale et de l’effet rebond, les politiques occidentales de lutte s’avèrent un échec patent : d’ici 2060, les émissions sont appelées à se maintenir ou à augmenter, avec une prévision de 6 et 9 millions de morts. 

La poursuite de la croissance globale des moyens de transport est à présent soutenue par le discours de leur substitution par des énergies « propres » et « renouvelables ». Castaignède démontre que les innovations ne peuvent réduire les consommations unitaires que d’au mieux 1% par an, donc seront sans effet sur la pollution atmosphérique et les émissions de GES. Le nouveau champ d’extension du capitalisme est la voiture électrique dont le bilan global peut s’avérer pire que celui d’une version thermique équivalente en termes d’émission de GES. 

Au terme de sa minutieuse enquête, l’auteur nous démontre que le salut par la technologie n’existe pas, rejoignant ainsi Lewis Mumford, Bernard Charbonneau, Jacques Ellul ou encore Ivan Illich, pour conclure avec Jean-Pierre Dupuy que « l’alternative radicale aux transports actuels est une réduction drastique de leur emprise sur notre vie quotidienne ». Comment ? Par une autre conception de l’urbanisme et des villes à taille humaine qui rassemble quelques dizaines de milliers d’habitants. Laurent Castaignède propose aussi une série d’objectifs intermédiaires : la transparence et la responsabilisation des constructeurs automobiles ; la gestion globale et harmonisée des carburants au moyen d’un alignement fiscal et d’une affectation rationnelle et différenciée de leurs usages ; la limitation du gaspillage avec le bridage des performances, la limitation des gabarits et l’extension de la durée de vie des véhicules ; le partage des espaces de circulation et des moyens de transport au sein de l’espace urbain ; la dénonciation des accords de libre-échange ; la stabilisation globale des parcs motorisés à leur niveau actuel avec un rééquilibrage progressif en fonction des besoins au niveau mondial ; la sanctuarisation des réserves mondiales de fossiles ; la judiciarisation du crime d’écocide. Enfin, briser le fantasme d’un pseudo-progrès symbolisé par le tout-bagnole au détriment de la convivialité et des activités de proximité. 

Laurent Castaignède, Philippe Bihouix (préface), Airvore ou le mythe des transports propres. Chronique d’une pollution annoncée, Écosociété, 2022, 422 pages. 

François Massoulié 

Analyser les interactions multiples entre les sources d’énergies, leur captation et leur exploitation d’une part, et les systèmes de domination, politiques, économiques ou autres, telle est la tâche prométhéenne que se propose d’accomplir Victor Court à travers cette foisonnante synthèse que constitue L’emballement du monde. Combinant les approches historiques, sociologiques, démographiques, économiques et anthropologiques, et mobilisant des penseurs aussi variés et complémentaires que Hartmut Rosa, Claude LéviStrauss, Jacques Ellul ou encore Emmanuel Todd, cet ingénieur en sciences de l’environnement s’est imposé la gageure non seulement d’étudier les grandes transitions énergétiques de l’Histoire, mais aussi d’en comprendre les mécanismes pour mieux affronter celle qui est à nos portes. L’essai, très stimulant intellectuellement, est réussi, même si le flux informationnel est dense et la réflexion part dans des directions multiples. 

D’entrée de jeu, Court questionne la notion d’Anthropocène, avec l’idée sous-jacente que l’Homo sapiens a désormais acquis une telle capacité de modeler son environnement, notamment en extrayant et en (sur)exploitant les ressources énergétiques, qu’il en arrive à agir directement et, en l’occurrence, négativement, sur la biosphère dans sa globalité. Selon l’auteur, ce concept est l’un des plus stimulants du début du XXIe siècle, parce qu’il nous amène une série de questions : « Comment rendre compte de l’évolution de notre espèce depuis l’état de chasseur-cueilleur à celui de force biogéophysique d’envergure globale ? Comment se fait-il que l’évolution technique des sociétés humaines ait été si lente pendant des millénaires par rapport à l’accélération industrielle des 200 dernières années ?… Le concept d’Anthropocène est-il le plus pertinent pour répondre à ces questions ? Ne devrions-nous pas être plus précis et imputer les ravages en cours au capitalisme moderne et à ses acteurs dominants… ? » Et l’auteur de suggérer de parler plutôt de « capitalocène » ou de « technocène » pour mieux cerner les responsabilités. 

Depuis son apparition en 2000, ce concept a suscité des débats passionnés. Tout d’abord, où situer le début de cette nouvelle ère géologique ? 1784, date du dépôt par James Watt de son brevet de machine à vapeur ? Ou aux alentours de 1950 ? C’est en effet à partir de cette seconde date que s’est manifestée la Grande Accélération, qui se caractérise par une surexploitation et une surconsommation exponentielles des ressources énergétiques (dans un premier temps, essentiellement par les États-Unis et l’Europe) et aussi par des rejets massifs de substances issues de la chimie de synthèse (pesticides, plastiques, radio-nucléides, gaz fluorés). En réalité, il faut remonter encore beaucoup plus loin dans le temps. Durant 96 % de son histoire, soit de ‑300.000 à ‑10.000, Homo Sapiens était organisé en micro-sociétés de chasseurs-cueilleurs qui ne consommaient que quelques gigajoules par an, essentiellement pour la nourriture et le bois de feu. C’est alors qu’entre 10.000 et 8.000 est intervenue la révolution néolithique, la première grande transition énergétique. Sous l’effet, notamment, d’un très progressif radoucissement climatique, des groupes de chasseurs-cueilleurs se sont sédentarisés et se sont lancés dans l’agriculture et l’élevage. Le fait de se mettre à sélectionner et à cultiver des plantes qui, par la photosynthèse, sont des convertisseurs d’énergie solaire a constitué un changement aussi profond que la révolution industrielle, 10.000 ans plus tard. Et pas seulement sur les plans sociaux et démographiques. En effet, un agriculteur du néolithique a déjà une consommation énergétique qui atteint près du double de son homologue chasseur-cueilleur du paléolithique. 

Avec la densification et la pression démographique, on assiste progressivement à l’émergence des premières cités-États, à Sumer, en Mésopotamie, ensuite en Europe et en Amérique centrale. Contrairement à la thèse de Thomas Hobbes dans son Léviathan (1651), les premières formations étatiques ne sont pas toujours, ni nécessairement, des structures autoritaires et coercitives, où chaque individu cèderait son autonomie et ses « libertés » en échange d’une protection, souvent illusoire, contre des violences externes ou internes. Court cite l’exemple de Teotihuacan, la capitale des Toltèques (Mexique) qui, avec ses habitations résidentielles relativement homogènes, semble avoir privilégié un mode de vie plutôt égalitaire, avec des assemblées délibératives propres à chaque quartier. 

Quoi qu’il en soit, c’est en Europe que, quelques siècles plus tard, une série d’innovations techniques vont à nouveau bouleverser le paysage énergétique et socio-économique, à tel point qu’on pourra parler d’une véritable transition énergétique… médiévale. C’est en effet dès le Xe siècle et surtout à partir du XIIe siècle que la productivité agricole va connaître un « grand bond en avant ». Grâce notamment à la charrue lourde et au perfectionnement du harnachement des animaux de trait et, bien plus encore, avec l’exploitation des énergies hydrauliques et éoliennes, le paysage médiéval va radicalement se transformer. En quelques dizaines d’années, roues à aube et moulins à vents (que les Croisés avaient vu fonctionner à Byzance) vont consteller les plaines et contribuer à la prospérité de cités-États autour de deux pôles principaux : Venise et Gênes en Italie et, au nord de l’Europe, les villes de la ligue hanséatique. Mais il faudra encore attendre près de 700 ans avant qu’une véritable révolution industrielle ne s’enclenche, d’abord en Angleterre, pour essaimer ensuite sur toute la planète, avec les conséquences ultimes auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés. Dès lors, que faire face au grand emballement de ce que l’auteur nomme, non sans une pointe d’humour, le « capitalisme fossile » ? L’auteur lance quelques pistes à la fin de son essai. Tout d’abord, ne pas se laisser endormir par les sirènes technoscientistes et, en particulier, par la fameuse « transition verte et numérique », cet oxymore délétère et pourtant cher à la Commission européenne. Et, plus positivement, « il est plus que jamais temps de renouer avec la proposition de Bernard Charbonneau et de Jacques Ellul de remplacer le progrès pensé comme puissance par le progrès pensé comme recherche de l’autonomie. Ce progrès émancipateur passe notamment par l’utilisation de techniques manipulables et réparables par tout un chacun, ce qui implique de devoir substituer des basses technologies (low tech) à toutes les hautes technologies (high tech), tout en acceptant la sobriété matérielle et énergétique qui accompagne ce choix ». Bien entendu, la responsabilité d’un tel choix ne peut être imputée qu’aux seuls citoyens. Les États et les industries, à commencer par les multinationales, ont aussi leur rôle à jouer dans ce processus. Mais emprunteront-ils cette voie autrement que contraints et forcés par la nécessité ? Là est toute la question. 

Victor Court, L’emballement du monde. Énergie et domination dans l’histoire des sociétés humaines, Écosociété, 2022, 503 pages. 

Alain Gailliard 

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Kairos 59

Qui est fasciste ?

Les mêmes qui s’enorgueillissent sans cesse de la liberté de la presse et de leur ouverture, comparés aux « méchants » tels Poutine, sont plus silencieux quand il s’agit de créer le débat, donc d’entendre des points de vue contradictoires et qui ne leur plaisent pas. S’ils affichent un combat, c’est celui qui leur permettra indirectement de pourfendre « la dictature » et en miroir de se présenter comme bon : Olivier Vandecasteele sur le fronton des maisons communales, mais pas Julian Assange[note]. 

Le même processus a lieu quand les médias mainstream refusent la carte blanche d’Anne Morelli[note], et celui qui ne saisit pas la portée que représente ce refus fait montre d’une incompréhension, naïve ou volontaire, quant à la fonction des médias du pouvoir. Fonction que ces derniers ne vont évidemment jamais reconnaître. Ainsi, lorsque Vladimir Poutine, dans son discours, explique : « Nous avons fait tout notre possible, vraiment tout notre possible pour résoudre ce problème par des moyens pacifiques, nous avons patiemment négocié une issue pacifique à ce grave conflit », l’éditorialiste en chef du Soir feint de ne pas comprendre, et écrit dans un éditorial qui illustre parfaitement toute l’arrogance de l’Occident : « Cela fait un an que cet homme tient entre ses mains le destin de l’Ukraine et le sort de la paix dans le monde, faisant régulièrement craindre cette troisième guerre mondiale dont il a remis la possibilité à l’agenda ». 

Béatrice Delvaux en oublie les propos récents de Merkel admettant que les accords de Minsk ne furent qu’une mesure dilatoire permettant au pouvoir de Kiev, soutenu par l’Otan, de mieux préparer la guerre. Amnésie aussi sur les promesses orales faites à l’époque par les États-Unis à Gorbatchev de ne pas étendre les frontières de l’Otan. Plus récemment, cécité sur les conclusions d’un des plus illustres journalistes américains, Seymour Hersch, quant à l’évidence de la responsabilité étasunienne dans les attentats contre les pipelines de Nord Stream 1 et 2… acte de guerre notoire[note]. 

Doit-on s’étonner alors que l’article d’Anne Morelli ne lui plaise guère, ainsi qu’au quotidien La Libre, quand l’historienne, auteure de Principes élémentaires de propagande de guerre a le courage[note] de dire : « Il faut persuader l’opinion publique que nous sommes en état de légitime défense et que c’est l’“autre” qui a commencé. Ce sont ses visées expansionnistes qui lui ont dicté son attaque. C’est donc évidemment la Russie qui est présentée comme seule responsable de la guerre en Ukraine. Pourtant Machiavel (1469–1527) avait déjà prévenu que celui qui dégaine le premier son épée ne doit pas forcément être considéré comme responsable du conflit. Il peut en effet avoir été mis dans une situation telle qu’il n’y a plus pour lui d’autre possibilité que l’entrée en guerre ouverte. Les Occidentaux parlent ainsi de l’“attaque” de l’Ukraine par la Russie en février 2022, sans prendre en compte le fait que l’avancée de l’OTAN vers l’Est est, du point de vue russe, une menace concrète contre son territoire à laquelle – acculée – elle doit bien finir par “répondre”. » 

Indignation sélective. Ils sont aveugles aux crimes commis par ceux qu’ils défendent, pires que des enfants de 6 ans jouant au foot ou des adultes… dans une cour de récré qui dénoncent la faute quand elle est commise par un joueur de l’équipe adverse, mais s’indignent quand elle est commise par un des leurs et sanctionnée. S’ils ne peuvent se taire, ils traitent partialement l’information en fonction de sa proximité idéologique. Ainsi, les médias officiels s’appuient sur les rapports d’Amnesty quand la Russie est accusée de commettre des « crimes de guerre », mais évoquent surtout les critiques qu’essuie[note] l’ONG quand elle ose dénoncer les actes de l’armée ukrainienne[note]. 

L’« ignoble » édito de Béatrice Delvaux, plutôt que d’infirmer les propos tenus lors du discours présidentiel russe, ne fait que les appuyer. Ainsi, si l’Europe aime les gentils toutous qui obéissent aux diktats de la Commission, quitte à détruire leur peuple comme Boris Eltsine dans les années 1990, elle ne supporte pas ceux qui font de leur indépendance une valeur suprême : « Cet homme-là, nous ne l’avons pas vu venir (sic) durant les années qui ont suivi la fin de l’Union soviétique. Nous 

avons même pensé pouvoir le domestiquer et le «neutraliser[note]» (sic) en multipliant les liens économiques »… entendez imposition du consensus de Washington au pays : privatisation, libéralisation, déréglementation, ouverture des frontières aux capitaux étrangers… la recette euro-atlantiste habituelle qui colonise, domestique, place et officialise les tyrans qui la servent. Comme le dit Alexandre Douguine, « la modernité libérale est profondément hégémonique, raciste, suprémaciste, coloniale. Elle considère ses valeurs comme des valeurs universelles applicables à l’ensemble de l’humanité. Aujourd’hui les libéraux se comportent de façon totalitaire en voulant imposer leurs normes LGBT+ et de genre, le mariage pour tous, le wokisme, l’ultracapitalisme comme les seules valeurs possibles. J’accuse ce libéralisme-là d’être un nouveau fascisme en voulant imposer à tout prix ses propres normes à l’ensemble de l’humanité (…) D’ailleurs, les libéraux traitent de “fascistes” tous ceux qui ne sont pas d’accord avec eux, ce qui est contradictoire avec le principe même du libéralisme »[note]. 

Si l’éditorialiste évoque « Poutine et ses sbires », elle ne manque pas de citer un de ses mentors à elle, Charles Michel, président du Conseil : « Il n’y a qu’un agresseur, c’est le Kremlin. Il y a une victime : ce sont les Ukrainiens d’abord, et c’est la mise en danger du droit international et des valeurs démocratiques ensuite. » Peut-être Le Soir a‑t-il pris ses informations directement à la source, quand on sait qu’un de ses anciens journalistes, Jurek Kuczkiewicz, est devenu après 18 ans de bons et loyaux services à la rédaction du quotidien « Conseiller stratégique en communication » du nouveau président Charles Michel[note]. À qui les journalistes rendent-ils de bons et loyaux services ? N’est-ce pas ? Peut-être l’enthousiasme de Kuczkiewicz ayant appris sa nomination, parle de lui-même : « Pour sa part, Jurek Kuczkiewicz s’est dit honoré d’avoir été invité à rejoindre Charles Michel et son équipe pour servir, à une autre place, les idéaux européens »[note]. 

Servir et protéger les idéaux européens donc américains -, telle pourrait être la devise de la caste journalistique, les rédactions servant de strapontin pour rejoindre les services politiques. Il était donc évident que l’article d’Anne Morelli[note], ne pouvait en cette période d’unanimité artificielle venir troubler la fête de la-bonne-guerre-pour-sauver-nos-frères-ukrainiens, 3ème guerre mondiale larvée que certains, dans leurs salons feutrés ou leur bureau loin des balles, voudraient voir se « résoudre » par une victoire de l’Ukraine[note]. « Rêve impossible », que les mêmes continueront à commenter, désirer, donc faire advenir, loin des éclaboussures du sang versé et des chairs déchirées, de leur guerre dont d’autres paient le prix. 

Alexandre Penasse 

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Une épidémie ni importante, ni grave

ENTRETIEN AVEC LAURENT TOUBIANA[note]

Kairos : Laurent Toubiana, vous êtes chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, épidémiologiste et directeur de l’Institut de recherche pour la valorisation des données de santé, qui travaille justement sur les épidémies. Vous venez d’écrire Covid-19, une autre vision de l’épidémie. Ils ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas. Vous vous êtes basé sur les chiffres officiels ? 

Laurent Toubiana : Oui, ce sont les chiffres parfaitement officiels que tout le monde peut récupérer sur Internet. Mon travail consiste à comprendre ce qui se passe à partir de ces données. 

Malgré cela, on vous a dit que vous ne respectiez pas les standards de la communauté scientifique. On ne sait pas trop ce que ça veut dire, en fin de compte… 

Ça ne veut rien dire ! Mais ce que vous dites m’interpelle, puisque je ne savais pas qu’il existait des standards en termes d’approche scientifique. Il y a bien des méthodes que tout un chacun utilise et il y a des données accessibles. Donc le standard, c’est de suivre effectivement la méthode scientifique qui consiste à dire d’où viennent les données et à étudier leur valeur. Ensuite, il faut dire quelle méthode on utilise, qui peut être « standard », mais pas obligatoirement. En ce qui me concerne, j’utilise des méthodes purement standards, et ceux qui disent le contraire, eh bien c’est leur responsabilité. Je suis un chercheur tout à fait officiel dans un institut public et j’ai été membre du conseil scientifique de l’Inserm. Donc en méthode standard, je pense m’y connaître un petit peu ! 

C’est important de le préciser. Allons‑y ! 

J’ai une autre vision de l’épidémie. À dire vrai, je l’ai eue très tôt, puisqu’elle résulte d’une expérience d’une trentaine d’années avec un groupe qui s’appelle « Système complexe et épidémiologie ». 

Nous vivons une époque formidable, Laurent Toubiana ! Expliquez-nous… 

Vous voyez que les rues sont pleines de passants et les terrasses de cafés sont bondées. On badine, plaisante, se pavane, semble heureux. Tout va très bien. Le soleil brille et nul ne s’inquiète des petits nuages qui flottent mollement dans l’azur. Tout le monde a déjà oublié la première période du début 2020. On avait commencé à entendre parler de quelque chose qui venait de Chine, mais moi j’étais occupé par une épidémie de grippe à ce moment-là. Néanmoins, très rapidement, j’ai tenté de comprendre ce qui se passait, parce qu’il y avait déjà des données. Je tiens d’abord à rappeler Jacques Ellul qui disait que dans une démocratie, il faut associer les citoyens aux décisions de l’État, il faut leur donner le sentiment d’avoir voulu les actes du gouvernement, d’en être responsables, d’être engagés à les défendre et à les faire réussir. Et le meilleur moyen pour mettre les individus en état de suggestibilité, c’est de répandre la peur. En France, il y a eu plusieurs allocutions du président de la République, notamment celle du soir où on nous a appris que nous étions tous assignés à résidence, à savoir confinés. Dans ce discours, tous les mots sont importants : « scientifiques », « guerre », qui revient à plusieurs reprises, et puis « participation des citoyens » à ces décisions pour qu’elles réussissent — on revient à Ellul. Dans son deuxième discours, Macron nous prévenait : sans respect des mesures, il y aurait très probablement 400.000 morts supplémentaires, ce qui est absolument ahurissant et qui fait effectivement très peur. Donc le résultat d’un tel discours fut des rues vides, un monde irréel, exceptionnel et aujourd’hui volontairement oublié ; oublié le marathon parlementaire sur le pass vaccinal voté dans l’urgence, oubliés les médecins qui réclamaient des sanctions exemplaires pour tous ceux qui refusaient la vaccination. La population veut oublier, mais notre devoir est inverse, il faut analyser ce qui s’est vraiment passé. 

En tant qu’épidémiologiste avec une expérience de 30 ans, imaginiez-vous qu’un jour on connaîtrait un confinement, un masquage total de la population, un couvre-feu ? 

Bien sûr que non. Je connais l’histoire de l’épidémiologie. Ce n’était pas la première épidémie qui arrivait, et les mécanismes sont toujours à peu près les mêmes. Mais cette fois-ci, on a tout amplifié d’une manière extraordinaire. Jamais dans l’histoire de l’humanité on n’avait pu mettre en place des mesures aussi excessives. C’est comme si le monde entier était devenu virtuel et qu’il était possible d’arrêter la société pour arrêter le virus. Mais c’est une vaste blague, car les virus sont susceptibles de se diffuser, même lorsque les populations se sont arrêtées. Et de fait, l’épidémie, malgré toutes les mesures, a continué, mais tout à fait normalement, comme n’importe quelle pathologie. 

Au début, on nous avait dit que c’était très grave, mais en fin de compte, avec les chiffres, on peut remettre cela en question… 

Oui, c’est ce que nous allons montrer. Toutes les mesures prises n’auraient pas été nécessaires si on avait été capables de comprendre que cette épidémie n’était pas aussi grave que ce que l’on nous avait annoncé. Il est indispensable de comprendre que ce qui a déclenché cette série de mesures ahurissantes fut un événement mineur. Les mesures mises en place étaient inutiles mais ont eu des conséquences énormes. Un coup d’œil sur une période passée nous donne des perspectives sur notre époque. Schématiquement, pour un épidémiologiste, une épidémie, ce sont des malades et des morts. Une épidémie est importante lorsqu’il y a beaucoup de malades dans une population en peu de temps, et une épidémie est grave lorsqu’en peu de temps le nombre de morts, toutes causes confondues, est supérieur à ce que l’on attendait. 

« Importante et grave », c’est bien ce que les médias nous ont dit ? 

Oui. Le président de la République annonçait 400.000 morts et le rapport de Neil Fergusson, 500.000 morts, rien que pour la France ! Ces nombres faramineux ne pouvaient effectivement qu’être angoissants pour la population. Or l’épidémie de covid n’a été ni importante ni grave. En gros, il n’y a pas eu beaucoup de malades et il n’y a pas eu beaucoup de morts, contrairement à ce que l’on nous a dit et contrairement à ce qu’encore beaucoup croient ! Retournons sur la petite histoire d’une petite épidémie. Pendant longtemps on nous a interdit de comparer le covid à des choses connues. Or c’est stupide, puisque si on fait des études sur les épidémies, c’est justement pour acquérir de l’expérience et mieux les comprendre. Ne pas comparer est une aberration. Si on regarde les courbes des syndromes grippaux en France depuis plus de 30 ans, on constate une série de pics. Le dernier, celui de la saison 2019–2020 montre 324 cas par semaine pour 100.000 habitants. En 2014–2015, 836 cas par semaine pour 100.000 habitants ; en remontant en 198889, 1793 cas pour 100.000 habitants. La surprise, c’est que le premier covid en 2019–20 a fait 140 malades pour 100.000 habitants, ce qui est relativement peu. Donc c’est vraiment comparable à une grippe saisonnière. J’ai appelé ce moment la période « de sidération ». La deuxième période, je l’ai appelée période « de terreur ». À l’époque, je ne savais pas quand ça se terminerait, mais aujourd’hui je peux vous dire que ça s’est terminé en février 2022. Dans un premier temps, on pouvait comprendre que les gouvernants ne voulaient pas prendre de risques, étant stupéfiés par ce qui arrivait. Cependant, il y avait quand même des épidémiologistes qui conseillaient de se calmer, de ne pas paniquer à ce point-là. Une fois la période de sidération passée, en juin 2020 tout le monde pensait être sorti d’affaire. Mais s’est ensuite installée une autre période de terreur caractérisée par des mesures de plus en plus coercitives et fondées sur la peur. On a raconté des histoires de « vagues épidémiques » qui allaient se succéder. Mais en épidémiologie, la notion de vague n’existe pas. On parle d’épisode épidémique, mais la vague, c’est très vague comme truc ! Toutefois, le mot fait écho chez tout le monde, il rend simples des choses complexes. Les experts ont expliqué qu’avec des modèles très simples, on pouvait arrêter cette épidémie, comme on pourrait arrêter des vagues en élevant des digues. Epidémiologiquement parlant, que s’est-il passé depuis trois ans ? Le premier pic épidémique a occasionné 140 malades pour 100.000 habitants. À l’hôpital, en une semaine en France, il y a eu 37 hospitalisés pour 100.000 habitants aux pires moments de l’épidémie. 

Dans la plupart des pays européens, c’était peu ou prou la même chose ? 

Oui, certainement. Je travaille essentiellement sur des données françaises parce qu’elles sont libres d’accès. Il y a eu un problème en termes de soins intensifs en France parce qu’il n’y avait pas suffisamment de lits, et les autorités nous ont culpabilisés : si vous ne restez pas enfermés, eh bien il n’y aura plus de place en soins intensifs et donc vous serez responsables de la mort de personnes. Cette rhétorique, on l’entend encore en écho dans nos têtes. Mais nous constatons qu’au pire moment de l’épidémie, il y a eu environ 7 admissions en soins intensifs en une semaine, donc une par jour ! Et le nombre de décès attribués au covid, au moment du pic, lui, s’élève à 10 décès pour 100.000 habitants. 

Ce sont bien des décès, pas encore de politique de tests, pas de confusion entre cas et malades… 

Non, il n’y a pas encore de confusion entre cas et malades. Néanmoins, en période épidémique, on attribue assez souvent la mort qui arrive à la cause épidémique. En réalité, les gens qui sont décédés étaient déjà en mauvaise santé, généralement des personnes âgées avec des maladies chroniques de type cardio-vasculaires, par exemple. C’est un phénomène assez courant : les personnes les plus fragiles, à l’occasion d’un stress épidémique, meurent à ce moment-là d’une manière presque synchronisée. On connaît bien, par exemple, les pathologies hivernales, ou alors en été au moment des canicules. Des personnes faibles meurent. 

Revenons à notre chronologie. Il y a eu le déconfinement après le 10 mai 2020, et tout le monde a pensé que cette épidémie était terminée. Dans les rues les gens manifestaient, ne portaient pas de masque. Il n’y a évidemment pas eu de rebond épidémique, ce qui démontre que la théorie du confinement était fausse dans la mesure où on postule que dès qu’il y a déconfinement, il y a automatiquement rebond, ce que soutenaient beaucoup de d’épidémiologistes. Or rien n’est « reparti ». Donc ça remet en cause complètement le confinement, une mesure folle et inutile. 

Comme le masque généralisé ? 

À partir d’août, on a commencé à avoir des masques en France, subitement devenus obligatoires, même dans la rue. On a commencé à reparler de « vague ». Mais en fait, la fameuse deuxième vague a atteint son pic maximum le 26 octobre, juste avant le deuxième confinement décidé par Macron, alors qu’on savait qu’elle allait redescendre. Encore une aberration ! À ce moment, les tests se sont généralisés et ont produit une anxiété supplémentaire qui a alimenté le sentiment d’une « importante deuxième vague ». En réalité, au maximum de cet épisode, il y a eu 83 malades pour 100.000 habitants. Et on a reconfiné la France pour cela ! 

Avec les effets dramatiques du confinement qu’on connaissait déjà… 

Oui, bien sûr. À partir du 1er janvier 2021, c’est le début de la vaccination. Un troisième épisode s’est produit en mars, c’est-à-dire à peu près un an après le premier, et on a déploré 37 malades pour 100.000 habitants en une semaine, un drame ! 50% de la population française avait eu sa deuxième dose à ce moment-là, au mois d’août. Le président a dit qu’il fallait que tous les jeunes soient vaccinés. La petite épidémie à ce moment-là n’a pratiquement fait aucun mort. À l’hiver suivant, en janvier 2022, il y a effectivement un nouvel épisode de type hivernal. 

On s’attendait à la grippe mais ce fut le covid, cependant pas bien grave, avec 126 malades pour 100.000 habitants. Puis le 24 février, c’est le début de la guerre en Ukraine et, quelques temps plus tard, la fin de toutes les mesures sanitaires. À ce moment-là, on discutait pour mettre en place le pass vaccinal, puis avec la guerre, le projet a été abandonné. Donc était-ce la fin de l’épidémie ? Les médias ont cessé d’en parler pour se concentrer sur la guerre. Pourtant, on voit que le 27 mars 2022, il y a eu quand même un pic de 95 malades pour 100.000 habitants, c’est-à-dire supérieur à celui de la fameuse deuxième épidémie ! Ce troisième pic du printemps est passé carrément inaperçu dans l’opinion publique. 

En voyant ces graphiques, peut-on dire que le confinement est une décision politique et non pas sanitaire ? 

De toute façon, le confinement est une décision politique, quoi qu’il arrive. Une politique qui s’appuie sur certains scientifiques vraisemblablement choisis pour leur propension à tirer la sonnette d’alarme dès qu’ils voient le moindre virus arriver. Je ne dis pas qu’il ne faut jamais tirer la sonnette d’alarme, mais qu’il faut faire attention avant de bloquer tout un pays et de dépenser 300 milliards d’euros. Ce furent vraiment des mesures disproportionnées par rapport à ce qui s’est réellement passé. On a vu que lorsqu’un autre événement grave arrive, la guerre, eh bien on oublie complètement l’épidémie qui, elle, poursuit son petit bonhomme de chemin, sans être non plus importante. Continuons. Le 3 juillet, nous avons à nouveau un nouvel épisode épidémique, lui aussi médiatiquement inexistant. Même chose en septembre, et en novembre, il y a une épidémie de grippe pas plus forte que d’habitude, puis de covid, mais plus faible que les précédentes. Le regroupement des syndromes grippaux en hiver est habituel, ainsi que les hôpitaux saturés, on connaît ça depuis au moins 20 ans. 

Si l’État français et les autres gouvernements européens avaient réagi de la même manière en mars 2020 qu’entre janvier 2022 et janvier 2023, on n’aurait peut-être pas vu passer la chose ? 

Oui, très probablement. La difficulté est qu’on avait identifié un nouveau virus, avec toute une fantasmagorie dans l’inconscient collectif autour de quelque chose de dangereux qui pourrait nous arriver, éventuellement une hécatombe. Pour autant, avec les données dont nous disposions déjà, provenant de Chine, entre autres, on pouvait peut-être éviter de bloquer toute une population. Tout ce stress était inutile, il n’y aurait pas d’hécatombe. Donc pendant cette période de terreur, on a manipulé les notions de « cas » et de « maladie ». Les premiers étaient confirmés par le fameux test PCR. Mais les gens n’étaient pas nécessairement malades. On a testé toute la population, chose qui n’avait jamais été faite. Et bien sûr, on y a trouvé ce que l’on cherchait, c’est-à-dire des cas. Mais le commun des mortels confond quelqu’un testé et sain avec un malade qui lui est vraiment malade. Quand on annonce un certain nombre de cas positifs, on pense que ces gens-là sont malades, mais en fait ils ne le sont pas, et ils ne sont pas nécessairement transmetteurs. À partir de l’été 2020 débute ce que j’ai appelé la « testomania », avec plus de 230 millions de tests rien qu’en France, ce qui fait à peu près trois tests par personne. La notion de cas s’est substituée à celle de malade. 

Mais en l’occurrence, ce que l’on cherche n’a rien à voir avec ce que l’on doit trouver. En avril 2020, on constatait moins de cas que de malades, car on ne testait pas à cette époque en France. À partir de juillet, on s’est mis à tester fortement et le nombre de cas au maximum a atteint 503 cas pour 100.000 habitants, ce qui est du même ordre de grandeur qu’une épidémie de grippe. À l’hiver 2021–2022, grâce à la testomania, on avait fini par atteindre 3.776 cas pour 100.000 habitants. Mais il n’y a aucun rapport entre le nombre de cas et le nombre de malades. Comment peut-on s’appuyer sur des chiffres pareils ? Si une autorité de santé veut convaincre que cette épidémie est dangereuse, il est bien plus avantageux de parler de cas que de malades, mais dans la tête des gens, c’est la même chose, donc c’est implacable ! 

Maintenant, passons à une sombre histoire de morts supplémentaires. Il faut voir ce qui était attendu et ce qui a été annoncé en 2020. Le nombre de morts qui serait susceptible d’advenir se calcule par des méthodes tout à fait standards. Il était attendu, hors épidémie, 616.194 morts. Ce sont des gens qui forcément meurent de tout un tas de choses, mais ce sont surtout des gens très âgés. Lors du premier confinement, Macron nous a dit qu’il y aurait 500.000 morts supplémentaires, soit une augmentation de 80 % ! 

Comment arrive-t-on à ce chiffre de 500.000 ? 

C’était la modélisation de l’épidémie sur la base de modèles mathématiques, des modèles sensibles au paramétrage qui peuvent aboutir à des chiffres fort différents. Mais on a décidé de retenir le chiffre de 500.000 morts supplémentaires, ce qui fait peur et dépasse l’imagination. 

Et beaucoup se disent qu’ils pourraient se retrouver dans les statistiques… 

En plus ! J’ai essayé d’obtenir les chiffres des pompes funèbres, parce que c’est aussi un bon indicateur. On n’a pas beaucoup parlé d’elles, mais les pompes funèbres sont très rapidement débordées lorsqu’il y a une épidémie. Or là, comme par hasard, pas de débordement ! Elles nous ont appris qu’il ne se passait rien, ou pas grand-chose en tout cas. Avec 500.000 morts, les pompes funèbres n’auraient rien pu faire, il y aurait eu des charniers partout. Lors du deuxième confinement, Macron annonçait clairement 400.000 morts supplémentaires, soit une augmentation de 65 %. Affolant ! 

Mais n’était-ce pas facile d’annoncer que s’il n’y a pas eu 500.000 morts, c’était grâce au confinement ? 

Ah oui, c’était une supercherie. J’ai écrit un article expliquant pourquoi le confinement n’a servi à rien en termes de santé et avait même empiré les choses. Depuis, des tombereaux d’autres articles sont arrivés à la même conclusion. Un des arguments, c’est le fait que dans des endroits où il n’y avait pas eu de confinement, les chiffres étaient identiques. Confinement ou pas, on obtient le même résultat. Donc dire que « grâce à nous, vous avez eu la vie sauve » est totalement fallacieux et indémontrable. Les gens devraient prendre conscience que leurs autorités leur ont menti. Revenons à nos morts ! Dans la classe d’âge de 85 ans et plus, soit 3 % de la population, il y a eu 314.411 morts en 2020, à peu près la moitié des morts en France. Cette classe d’âge grossit d’année en année, elle a doublé en dix ans, cela revient à dire que les gens meurent de plus en plus tard, tout en étant relativement fragiles. La surmortalité est la différence entre ce qui était attendu et ce qui s’est produit. Et dans cette classe d’âge-là, il y a eu 18.782 morts supplémentaires, soit une augmentation de 6,3 %. Mais il se trouve que cette classe d’âge est tout le temps en surmortalité et en même temps augmente numériquement. Donc il y a systématiquement surmortalité. C’est exactement l’inverse avec les moins de 65 ans. 

D’où l’importance de standardiser quand on compare des années différentes, ce qui n’a pas été fait par les gouvernants. 

Exactement. La classe d’âge 65–84 ans présente aussi un nombre relativement important de décès. C’est normal parce qu’elle correspond en gros à l’âge moyen de la mort. Il y a eu une surmortalité de 4 %, ce qui est normal en comparaison des événements sanitaires importants passés, les chiffres sont à peu près équivalents. 

Puisque ces chiffres attendus sont calculés à l’aide de modèles, je suppose qu’il y a toujours de la sous-mortalité ou de la surmortalité, c’est rarement le chiffre réel… 

Oui, mais on essaie quand même de mettre en place des modèles proches de la réalité. On ne peut pas prévoir un événement sanitaire important. Mais s’il avait été réellement important, on n’aurait pas eu 6,3% d’augmentation, mais 65%, chiffre qui était annoncé par les gouvernants. Pour les moins de 65 ans, on est en « sous-mortalité », ou plus exactement il n’y a pas eu de surmortalité. Or ils représentent 80% de la population… qui n’a finalement pas été touchée par cette épidémie. Ça en dit long sur le fait qu’on a confiné toute la population et vacciné la majeure partie, alors que 80% d’entre elle n’était pas du tout touchée en termes de mortalité, et très peu en termes de maladies. Au total, il y a eu 27.775 décès supplémentaires, soit une surmortalité de 4,3%, ce qui est plus que d’habitude, mais très raisonnable par rapport aux 65% annoncés ! En sus, on remarque que les causes de mortalité les plus fréquentes en France (50%) sont les cancers et les maladies cardio-vasculaires. En 2020, ces deux causes ont chuté. 

Une bonne nouvelle tout d’un coup, non ? 

Cela interroge, parce que comment se fait-il que des maladies chroniques fassent une telle chute à ce moment-là ? Est-ce que les maladies infectieuses protègeraient contre le cancer et les infarctus ? Non, en réalité c’est une simple mesure administrative qui a été mise en place dès le début de l’épidémie, qui consistait à insérer un nouveau code pour le covid-19, parce qu’on pensait qu’il y aurait beaucoup de morts. Mais comme il n’y en a pas eu beaucoup, eh bien c’est que des gens qui auraient dû mourir d’une tumeur ou d’une maladie cardiovasculaire ont été déclarés morts du covid. La réalité c’est qu’ils sont effectivement morts de leur maladie principale et que le covid est venu la masquer. C’est une forme de biais administratif. Nous vivons vraiment une époque formidable puisque relancer à période très régulière le storytelling de vagues censées nous submerger, c’est gouverner par la peur et justifier des mesures disproportionnées et contraignantes, ainsi que la suspension des travailleurs non vaccinés, ce qui persiste encore aujourd’hui en France. Les mesures ont sacrifié sans distinction la majorité des populations, au lieu de protéger uniquement les vulnérables. Les Français ont tellement souffert qu’ils préfèrent oublier l’état d’urgence sanitaire. Le covid aurait pu passer presque inaperçu si l’ensemble du dispositif de santé, médecins généralistes et hôpitaux, avait été normalement utilisé. La « crise du covid » n’a pas été générée par l’épidémie elle-même, mais par sa gestion calamiteuse. Toute cette crise est déconcertante et en même temps, tout était tellement prévisible. Je l’avais déjà écrit en février 2020 dans un court texte qui s’appelait « Une épidémie déconcertante », publié le 11 mars. J’ignorais l’existence d’un conseil scientifique et pour moi il était impensable qu’en France il serait possible de mettre toute la population en confinement. Mon analyse décrivait précisément ce qui allait se passer. J’affirme que les gouvernements ne peuvent pas dire que personne ne savait, car ce papier existe toujours, se trouve sur le site de l’IRSN. 

Peut-on parler d’une planification sans être « complotiste » ? 

Non. De mon point de vue, il n’y a pas une planification, mais en tout cas les esprits étaient préparés. J’ai eu entre les mains, assez tardivement d’ailleurs, un rapport de l’enquête parlementaire n° 685 sur le rôle de l’industrie pharmaceutique dans la gestion de la grippe H1N1 survenue il y a dix ans. Tout était décrit exactement comme ça s’est passé pour le covid : le rôle des industries pharmaceutiques et de certains scientifiques qui avaient déjà tenu les mêmes propos à l’époque. Mais ce coup-ci, ils ont pris à l’envers toutes les recommandations de cette enquête parlementaire. Quelque part, ça fait froid dans le dos parce que a priori on aurait dû être bien préparé pour combattre l’épidémie suivante, et on a fait pire, de mon point de vue. 

Quand je parle de planification, si je comprends bien dans votre article publié avant le premier confinement, vous dites que les gouvernants connaissaient déjà les dates des confinements à l’avance… 

Je ne dis pas ça. Moi, sur la base des données que j’avais récupérées, j’avais été capable d’estimer à quel moment le pic épidémique interviendrait et la fin de l’épidémie, en réalisant moi-même un modèle de propagation épidémique. J’ai réussi à montrer que l’épidémie n’était pas si grave que ce qu’elle pouvait paraître. Dans ce petit article, je disais au public : « N’ayez pas peur, il ne va rien se passer ! » Je l’avais envoyé à tous les médias dans lesquels j’étais déjà intervenu, pour la grippe notamment, mais aucun ne l’a relayé, sauf une seule radio qui m’a interviewé. 

Vos prédictions se sont avérées exactes… 

Cela démontre qu’il était possible de prévoir exactement la dynamique de cette épidémie, puisque moi je l’avais prévue. D’autres auraient dû être capables de le faire et ne pas parler de 500.000 morts, alors qu’ils étaient sûrs et certains qu’une telle hécatombe était impossible. L’épilogue, c’est que le 28 janvier 2023 a été décrétée la fin officielle du covid en France. Mais les personnels suspendus, eux, ne sont toujours pas réintégrés. La population a souffert, elle veut oublier. Il est possible qu’elle souffre encore. Et une des conséquences parmi tant d’autres est le record d’inflation en zone euro en raison d’une dépense d’argent complètement folle. 

Une dernière question. Avez-vous eu des réactions de personnes qui n’étaient pas à la base d’accord avec vous et qui ont pu changer d’avis en prenant connaissance de vos recherches ? On aurait envie de se retrouver avec un parterre d’experts télévisuels et de pouvoir passer une heure et demie avec eux pour les leur montrer… 

Je ne regarde pas beaucoup la télévision, ne m’intéresse pas trop aux réactions à ce que je dis. Néanmoins, mon impression est que dans la population, il y avait des gens qui avaient senti que quelque chose ne tournait pas rond. Moi et quelques autres leur avons apporté des éléments pour comprendre ça. Mais nous étions très peu nombreux, nous nous sommes fait descendre de manière éhontée, de grands professeurs ont été traînés dans la boue. Nous avons confirmé l’intuition de beaucoup de personnes, mais la plupart des autres sont restés sur leurs positions, même des scientifiques, même des gens censés être cultivés et susceptibles de prendre du recul. Je suis un peu désespéré. Mais l’histoire est un temps long, donc on peut attendre encore un petit moment ! Dans la postface du livre de Pierre Chaillot que j’ai écrite, j’essaie de voir à quel moment on a trompé le monde, ce qui arrive très souvent. Je fais partie de ces gens qui vont continuer d’essayer d’apporter des éléments de compréhension et j’espère qu’un jour, avec le temps, les gens comprendront ce qui s’est passé. 

Propos recueillis par Alexandre Penasse et retranscrits par Bernard Legros 

Cassou

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Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?

JEFF BEZOS RÊVE DE STAR TREK

Wishmaster (Le maître des vœux) est un film horrifique de 1997 très moyen et assez amusant – une sorte d’épisode de La quatrième dimension étiré sur une heure et demie – qui reprend le motif du conte des mille et une nuits Aladdin et la lampe magique pour le pervertir. Il y est évidemment question d’un génie qui exauce vos vœux, mais ce que l’heureuse victime ne sait pas, c’est que le génie retournera son troisième vœu contre elle ; qu’elle souhaite, par exemple, gagner un million de dollars, le Djinn fait en sorte que sa mère souscrive à une assurance-vie pour cette somme et meure dans un accident d’avion. Avec son sens des proverbes, l’anglais nous avertit : « Be careful what you wish for », ce qu’on pourrait traduire par : « Fais bien attention aux vœux que tu fais. » Si les Djinns (les démons) existent, peu d’entre nous peuvent se vanter d’en avoir rencontré. En revanche, ceux qui se vantent d’exaucer les vœux de l’humanité ne manquent pas. 

LE PROFIT NE L’INTÉRESSE PAS 

Dirigeons nos regards vers les milliardaires, que la presse qu’ils achètent ou financent[note] appelle des « philanthropes ». Que ce soient des ex-vice-présidents des États-Unis qui capitalisent sur la peur du « réchauffement climatique », mais achètent des villas sur la côte tout en nous menaçant d’une montée du niveau de la mer, ou des multimilliardaires obsédés par la vaccination. J’ai d’ailleurs été très étonné au printemps 2020, que certaines personnes prennent par principe la défense de Bill Gates contre les rumeurs circulant à son sujet : la moindre des choses au sujet d’un personnage aux moyens financiers illimités serait de ne pas lui donner davantage de pouvoir, en faisant à son égard preuve d’une saine méfiance. Gardons à l’esprit la morale de Wishmaster à chaque fois qu’un dirigeant politique promet des tablettes dans toutes les écoles alors que leurs inventeurs envoient leurs enfants dans des écoles d’où les écrans sont bannis, ou que certains milliardaires ou illuminés de la Silicon Valley, font miroiter la possibilité de « télécharger son âme pour vivre éternellement à l’état de machine » (Ray Kurzweil, pris très au sérieux par le délicieux Laurent Alexandre), ce qui, entendons-nous, n’est possible que si on sait exactement ce qu’est l’âme… ou qu’on ne l’a pas perdue (auquel cas il faudra sérieusement se poser la question de savoir ce qu’il reste à télécharger). Et il y a aussi les bienveillants visionnaires qui rêvent déjà d’envoyer l’humanité dans l’espace… 

Le titre, probablement ironique, d’une très intéressante biographie du multimilliardaire Jeff Bezos visible sur Youtube[note] (sur la chaîne de P.A.U.L.) est « Le profit ne l’intéresse pas. » Si Bezos veut être considéré comme un philanthrope, mieux vaut ne pas le juger sur ses projets. Ni sur ses réalisations… Et c’est sur celles-ci, par exemple, que nous renseigne le livre du journaliste Jean-Baptiste Malet En Amazonie (2014). D’après ce livre, ce ne sont pas les raisons qui manqueraient de fuir cet employeur comme la peste. Dans un monde où tout veut dire la même chose que son contraire (« La question étant de savoir qui est le maître, un point c’est tout », dit le chat de Cheshire dans Alice au pays des merveilles), l’indifférence au profit de Bezos ne l’empêche pas de faire au moins des yeux doux à la rentabilité. Le travail d’un employé d’Amazon est épuisant, l’amenant à marcher jusqu’à 20 kilomètres par jour. Les conditions de travail sont aussi humiliantes : on y est systématiquement fouillé à la sortie, considéré a priori comme un voleur. Amazon pratique l’incitation à la délation (des collègues qui tirent au flanc), favorise la mise en place d’un « effet tunnel » de l’emploi, où le travail accapare même le temps libre, exerce un chantage à l’emploi en faisant miroiter un CDI qui, une fois obtenu, exige de doubler les performances… avec la complicité des élus, favorisant l’implantation de grosses sociétés ne payant pas d’impôts dans des zones sinistrées[note]. 

La devise d’Amazon est : 

« WORK HARD HAVEFUN MAKE HISTORY » 

On ne se privera pas de vous le rappeler : on est censé « s’éclater chez Amazon ». Rien de tout cela ne serait connu si Malet ne s’était fait recruter dans cette entreprise, dont le contrat d’embauche stipule que les employés n’ont pas le droit de parler de leur employeur aux médias. Pour couronner le tout, l’État et la puissance publique financent la destruction d’emplois en France ; en effet, un montage financier permet à Amazon de délocaliser ses finances au Luxembourg. En plus du fait que ce travail est ce qui se rapproche le plus de l’esclavage moderne (formule encouragée par les États de l’Union européenne qui n’exigent que des impôts dérisoires de la part de ces multinationales), Amazon fait aussi face à des accusations de pratiques monopolistiques, de répression des mouvements syndicaux dans certains entrepôts (cela va presque de soi), de racket, en exigeant parfois le remboursement de 100% des pourboires pris aux livreurs de son programme Flex, ainsi qu’à des accusations d’espionnage industriel, de surveillance de ses employés ou de ses clients… 

LA DÉPERSONNALISATION 

Si on ne veut pas voir le mal, il est facile de croire que le sort des employés d’Amazon n’est que le résultat du cynisme marchand et de la négligence. Or, il me semble au contraire que cette exploitation obéit à une vision du monde ; c’est ce que suggère aussi Malet quand il évoque le « Have fun » chez Amazon et ce qu’Amazon appelle des « actions psychologiques ». Parmi ces dernières, il y a des quizz traitant des séries à la mode, mais aussi des attractions gratuites pour les employés et l’utilisation du sucre comme outil d’assujettissement par la régression… Et ça marche : « Quelqu’un n’ayant jamais mis les pieds dans une usine pourrait considérer que les cocottes en chocolat distribuées à Pâques, le mini-cirque installé à l’occasion de la fête de la Musique, tout comme le quizz hebdomadaire, ne peuvent avoir de l’influence sur les esprits critiques “éclairés”. […] C’est méconnaître la réalité du travail physique que de raisonner ainsi. La fatigue physique “impacte” l’humeur, la sensibilité, ainsi que l’émotivité. […] La tentation des comportements régressifs est alors considérablement accrue. […] J’ai d’ailleurs recueilli des témoignages d’intérimaires surpris de désirer les produits sucrés du distributeur, alors même que ces aliments les laissent généralement indifférents, hors de leur travail de nuit ». 

Selon Malet, le « have fun » chez Amazon sert un véritable « conditionnement psychologique* des travailleurs. Ces petits signes d’attention, ce peu de réconfort offert servent aussi à faire tolérer un travail exténuant. La direction sait se saisir des occasions pour instiller une dose de joie artificielle qui influence l’humeur et l’émotivité, insiste sur le fait que la mécanique du “have fun” relève de la psychologie sociale*. Il s’agit de techniques scientifiquement étudiées par des spécialistes de la psyché, notamment dans les laboratoires de grandes universités américaines. […] Par l’occupation de son temps libre, le “have fun” élabore des nouveaux rapports sociaux. C’est une technique d’ingénierie sociale destinée à visser autour du travailleur une mécanique d’emprise* ». 

En réalité, la psychologie bienveillante qui s’étale dans les magazines spécialisés n’est que la face présentable d’un corpus de recherche qui a d’abord eu pour priorité de contrôler les foules et conditionner les individus (travaux de l’Institut Tavistock, d’Edward Bernays, neveu de Sigmund Freud et auteur de Propaganda). Et cela se comprend : le pouvoir hyper-centralisé de nos « démocraties » matérialistes doit être en mesure d’endiguer les débordements de la masse humaine qu’il domine, bien conscient, comme les propriétaires d’esclaves qui vivaient dans la peur d’une révolte et dormaient à côté de leur fusil, de son caractère instable. 

VISONS LE CIEL 

Si Bezos a quitté la direction d’Amazon, il en reste un actionnaire important, et se consacre désormais à ses projets pour l’humanité (Blue origin, créé en 2000). Fasciné depuis son enfance par la série Star Trek (lancée à la télévision américaine en 1966), il prétend travailler à la réalisation d’un avenir où l’humanité vivrait dans l’espace pour préserver la Terre. Tout comme le djinn retourne nos souhaits contre nous, il n’est pas inutile de retourner contre eux les projets de ce milliardaire (et des autres). Sa fortune lui a permis de renouer avec ses rêves d’enfant, quand il était fasciné par Star Trek et sa mythologie. Excellente série au demeurant, Star Trek est aussi un rêve mouillé de mondialiste (et ne confondons pas la mondialisation, qui est le développement naturel des échanges commerciaux et culturels, avec l’idéologie mondialiste du Nouvel Ordre Mondial) avec son gouvernement mondial invisible (du moins dans les premières saisons de la nouvelle série relancée dans les années 1980). Voici ce qu’en dit l’anthropologue David Graeber dans son très intéressant Bureaucratie : « La Fédération des planètes – avec son idéalisme de haute tenue, sa stricte discipline militaire et l’absence manifeste en son sein tant de différences de classe que du moindre indice tangible de démocratie multipartite n’est-elle pas, en réalité, une simple vision américanisée d’une Union soviétique plus gentille, plus aimable, et surtout “qui marche”? Ce qui me paraît remarquable dans Star Trek, en particulier, c’est non seulement qu’il n’y a aucune trace réelle de démocratie, mais que pratiquement personne ne semble remarquer son absence. […] Les personnages de Star Trek se plaignent constamment des bureaucrates. Ils ne se plaignent jamais des politiciens, parce que les problèmes politiques sont exclusivement traités, toujours, par des moyens administratifs. Mais, bien sûr, c’est exactement à cela que l’on s’attendrait sous une forme de socialisme d’État. Nous oublions souvent que ces régimes aussi affirmaient invariablement qu’ils étaient des démocraties. Sur le papier, l’Union soviétique de Staline pouvait se vanter d’une Constitution exemplaire, avec infiniment plus de mécanismes de contrôle démocratique que les systèmes parlementaires européens de l’époque.» 

Lors du forum Ignatius, qui a eu lieu à la National Cathedral de Washington le 11 novembre 2021, Jeff Bezos faisait part de ses projets pour l’humanité et pour l’espace[note]. Selon lui, il est souhaitable que la Terre devienne, dans les décennies à venir, une réserve naturelle que l’humanité, qui vivrait dans des colonies spatiales, pourrait avoir le privilège de visiter, même si cette humanité pourrait jouir dans ses colonies de conditions de vie proches de la Terre, avec faune et flore reconstituées (programme plus ambitieux que celui de Noé qui n’avait pour mission que de sauver la faune) puisqu’il va de soi que tout cela serait possible. Lors de cet entretien de 25 minutes, où Bezos se montre d’ailleurs assez piètre orateur, répétant à l’envi qu’on ne peut laisser la Terre se dégrader sous l’influence de l’homme (son mantra est « This planet is special, we can’t ruin it… » (« Cette planète est spéciale, nous ne pouvons pas la gâcher »), celui qui se rêve en gardien de réserve naturelle géante et de colonies spatiales parle de l’envoi de millions d’êtres humains dans l’espace, de manière à libérer la Terre pour lui permettre de redevenir un Eden sur lequel seule une poignée de gens auraient le privilège d’être résidents permanents, avec leur valetaille privilégiée. C’est sans doute par modestie que Bezos néglige de préciser la part importante qu’il a prise avec son entreprise à la pollution des airs et des mers – puisque l’activité d’Amazon contribue pour une bonne part à la pollution émise par les transports aériens et maritimes ; pour donner un ordre d’idée, la consommation d’un petit bateau affichant une puissance de 500 CV, à une vitesse de 50 nœuds, est estimée à 500/3 = 166 litres par heure). 

Une question que ne pose pas cet article est celle de savoir selon quelles règles mathématiques quelques millions (dans le futur), additionnés à une poignée, donnent plusieurs milliards. En d’autres mots : que deviennent les quelques milliards d’individus qui ne vivent ni dans l’espace ni sur Terre ? Hasardons deux hypothèses. La première est que ces milliards d’êtres humains auront disparu ; mais Bezos, qui postule cette disparition, ne dit pas comment elle aura eu lieu. La seconde hypothèse est que la plupart des milliards d’individus qui composent la population mondiale ne font pas partie de l’humanité, ce qui rend inutile de les inclure dans l’addition. Une troisième hypothèse, compatible avec les deux précédentes, est que l’extrême richesse est une pathologie mentale. Mais une pathologie opératoire puisque des ressources financières illimitées permettent de modeler le monde selon ses désirs ; ainsi la fondation Bill and Melinda Gates finance partiellement tous les organismes de santé du monde, notamment les universités qui emploient la plupart des experts médiatiques qui défilent sur les chaînes pour nous dire tout le bien qu’ils nous veulent ; un autre exemple, Bezos, encore lui, a acheté le journal Washington Post, dans des intentions meilleures – n’en doutons pas – que le milliardaire Xavier Niel qui déclarait : « Quand les journalistes m’emmerdent, je prends une participation dans leur canard et après, ils me foutent la paix[note] ». 

Ma foi, si l’extrême richesse de Jeff Bezos est animée de bonnes intentions… Si… 

Ludovic Joubert * C’est moi qui souligne. 

Nicolas Drochmans

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La pandémie comme normalisation

Lara Perez Duenas

Le thème est glissant, mais peu importe ! Certaines périodes très récentes de notre histoire se caractérisent par l’irruption à un niveau très élevé de l’irrationalité dans les sphères du pouvoir. Le nazisme avait ainsi la particularité de combiner une rationalité glaciale et oppressante au cœur des services policiers, de l’armée ou des organismes chargés de la prévision des productions industrielles, avec une irrationalité extrême, par exemple dans le fait de construire un système totalitaire sur la base d’oppositions, plutôt que de complémentarités, entre le parti, l’État, l’armée et la SS. De son côté, le système communiste chinois s’est construit sur un irréalisme profond en matière industrielle ; il est en effet irrationnel de confier la direction de processus industriels à des cadres du parti qui doivent rendre des comptes aux échelons hiérarchiques supérieurs dudit parti, car ces cadres ont davantage d’habileté à maquiller des résultats dans des rapports qu’à les obtenir dans l’activité productive quotidienne d’une usine. Cet irréalisme a abouti très tôt aux aberrations du Grand Bond en avant. Pourtant, l’idéologie maoïste elle-même préconise l’inverse, dans une simplification des contradictions et des voies souvent caricaturales pour les résoudre une à une qui relève elle-même de l’irrationnel. Et ce ne sont que deux exemples. 

Or, la période que nous vivons depuis le début 2020 – pour nous en tenir à la pandémisation de la vie politique, culturelle et sociale – est une période de totalitarisme, en ce sens très précis que, dans les pays les plus influents du monde contemporain, comme la Chine, les États-Unis, l’Allemagne ou le Brésil, le Nigeria et bien d’autres encore, les groupes au pouvoir, parfois incarnés par un individu ayant adopté une posture ouvertement dictatoriale, exercent une emprise sur la société telle que ladite société dans son ensemble, ou au moins de larges groupes actifs et conscients, rencontrent d’énormes difficultés pour exprimer leur désaccord avec les politiques suivies. Dans la plupart des États, aujourd’hui, les gouvernants ont été soit désignés par des pairs, soit élus avec des pourcentages extrêmement faibles de la population adulte, et leur légitimité est très contestable du point de vue même du système en place. En France, Emmanuel Macron, au premier tour de la présidentielle de 2022, n’obtint même pas les votes d’un cinquième de la population adulte (si l’on inclut les inscrits et les non-inscrits) ; sa légitimité est donc extrêmement faible au regard de ce que demanderait une démocratie dite parlementaire, et cela sans ajouter tous les biais de caractère dictatorial que le président et le gouvernement utilisent sans arrêt (corruption, outrages commis par d’importants personnages de l’État, mode de gouvernement par décrets, disqualification des oppositions quelles qu’elles soient, contrôle des médias et du système de divertissement, etc.). Ainsi, nous partons de ce qui est pour nous une constatation, qui ne sera pas discutée davantage, parce qu’elle nous semble une évidence : nous vivons un mouvement totalitaire. 

L’irrationalité est une évidence chez l’être humain, et heureusement ! C’est bien parce que nous sommes des êtres irrationnels – non pas profondément irrationnels, non : juste et simplement, à l’occasion ou un peu plus souvent, irrationnels – que nous refusons de nous plier aux normes, pas forcément à toutes les normes (le code de la route en est une évidence…), mais à certaines. 

C’est bien parce que les humains sont irrationnels à certains moments cruciaux de leur vie que les théories les plus en vogue pour contrôler les populations sont aujourd’hui issues du behaviorisme. Le behaviorisme postule en effet que, « au-delà de la liberté et de la dignité » – pour reprendre le titre de l’essai phare de Skinner –, il existe la possibilité de contraindre l’être humain à aligner son comportement sur ce qui est socialement acceptable et souhaitable. Autrement dit, on ne peut pas modifier l’être humain, qui n’est ni fondamentalement bon ni fondamentalement mauvais ; cette discussion n’a aucun intérêt, affirment les behavioristes, car ce qui importe est la « technologie du comportement » : contraindre les humains, par des moyens « scientifiques », à adopter, qu’ils le veuillent ou non, un comportement socialement dirigé. Par qui ? Par les scientifiques et les experts qui définiront ce qui est acceptable et souhaitable, et les moyens de nous y contraindre, ou par les États qui utiliseront les principes behavioristes d’endiguement des comportements individuels. 

Le behaviorisme est aujourd’hui au sommet de sa puissance d’influence. Ainsi, les algorithmes de Google ne nous renseignent, pour toute nouvelle requête sur leur moteur de recherche, qu’en fonction de nos requêtes précédentes, ce qui nous enferme de fait dans un certain domaine de pensée, un certain style de raisonnement ; il s’agit bien là d’une « technologie du comportement » purement behavioriste. Technologie du comportement encore via le logiciel archiperfectionné de Facebook pour la reconnaissance faciale, qui atteint en la matière des résultats désormais supérieurs à ceux de l’être humain lui-même et qui devient un auxiliaire de premier ordre pour les services de police. À la tête de Facebook, la pensée politique semble absente, si l’on en juge par le spectacle pitoyable que donne son fondateur, Mark Zuckerberg, face aux sénateurs américains qui s’inquiètent de sa puissance (le 11 avril 2018, le texte intégral de l’audition est accessible sur le web). Ce spectacle d’un abruti ne sachant rien répondre n’est-il pas, en réalité, la marque de sa supériorité absolue face aux sénateurs : il n’a rien à leur dire, car ils n’ont plus le pouvoir ? 

Mais, car rien n’est joué, le behaviorisme doit affronter une limite fondamentale : l’être humain est irrationnel, et s’il est en effet plus facile de contrôler le comportement de l’être humain que de le rendre « bon » ou « mauvais » ou « adapté à telle situation », comme le rêvent les dictateurs de la fable d’Aldous Huxley Le Meilleur des mondes, il reste impossible de le rendre rationnel en toute situation. De le contrôler, quel que soit le contexte. Car le Pouvoir – avec une majuscule –, qui attend beaucoup du contrôle des foules depuis au moins la fin du XIXe siècle et l’ouvrage pionnier de Gustave Le Bon, Psychologie des foules, rêve en effet de contrôler non seulement notre comportement, mais notre irrationalité elle-même. Effacer tout irrationnel pour, comme dans Le Meilleur des mondes, nous limiter à produire et à n’être que les esclaves consentants d’une Mégamachine au service d’une caste de, au choix : dirigeants, transhumains, présidents-directeurs généraux, militaires, experts, scientifiques, médecins… De nos jours, le behaviorisme triomphe peut-être, mais ce triomphe marque aussi ses limites et les dévoile si jamais nous ne les avions pas encore aperçues : il contrôle nos comportements, mais il ne pourra pas modifier l’irrationalité constitutive de l’être humain. 

Mais – car surgit un autre « mais » -, voilà qu’en 2020, une situation nouvelle est créée par l’apparition (nous ne discuterons pas ici de savoir si cette apparition est une illusion ou une réalité) d’une pandémie entraînant dans son sillage la peur quasi généralisée. Peur de mourir et peur de l’autre. Notons d’emblée que la peur de mourir comme la peur de l’autre sont profondément irrationnelles, car nous apprenons toutes et tous très vite comment nous allons finir, la mort faisant à coup sûr partie de la vie ; de plus, en tant que primates, nous sommes des animaux profondément sociaux, chez lesquels l’autre devrait être non pas source de peur, mais la principale source de bonheur. L’irrationalité réalisait donc un passage en force inédit en temps de paix, comme si – et pour une fois, le dictateur de la République française pouvait avoir raison, mais il le disait avec une autre idée derrière la tête… – nous étions en guerre. 

L’irrationalité n’est pas un défaut, c’est un fait d’espèce, et sur ce fait se construit, notamment, l’opposition aux normes. Les normes sont un mode de contrôle de l’irrationalité, en tentant de corseter les décisions dans un cadre le plus strict possible et d’endiguer les débordements de toutes natures. Ainsi, refuser les normes parce qu’elles sont aliénantes, parce qu’elles aboutissent à l’exploitation, etc., est profondément « logique » d’un point de vue politique émancipateur. Insistons ici sur ce fait selon nous essentiel, qu’à un moment, ce refus s’appuie sur un invariant de la psychologie humaine : nous sommes des animaux qui, à certains moments de leur vie, sont irrationnels et prennent des décisions difficilement justifiables. Le refus des normes n’est pas seulement une position politique ou éthique ; c’est aussi une simple donnée de la psychologie humaine et c’est cela qui donne l’espoir, y compris dans les situations les plus dramatiques, car il y a toujours l’espoir de sortir de l’emprisonnement par les normes puisqu’elles sont contraires à l’être même de l’animal humain. 

L’anarchie, le communisme anti-autoritaire, le refus de parvenir, le zadisme, etc., ne sont pas le chaos ; ils sont la libre association de tout ce qui vit dans un souci holistique constant, s’appuyant sur des valeurs clés : l’émancipation, la non-domination, la non-soumission, la liberté des autres comme continuation et extension de la nôtre, etc. Ces formes d’opposition et de construction d’un plurivers libre, que nous synthétisons ici dans le « refus de parvenir » pour simplifier, pourraient être définies comme des politiques qui laissent ouvertes des possibilités de s’échapper de la norme ; ce sont même les seules politiques laissant ouvertes ces possibilités-là qui sont, a priori, l’inverse même de tout système politique autoritaire, productiviste et industriel. Le mot « système » est à prendre ici en son sens le plus fort : une organisation structurée, fonctionnant par elle-même, pour elle-même, en elle-même, et avec les individus qui le composent réduits à l’état de rouages. 

Tel est bien le but de tout système, y compris du « monde digital » auquel travaillent Google, Facebook et les autres. C’est ainsi que les dirigeants de Google affirment dès 2013, dans The New Digital Age, que tout individu dont les coordonnées numériques sont « inhabituellement difficiles à trouver » cherche sans doute à « cacher quelque chose » ; ils préconisent par conséquent d’inscrire ces personnes sur une « liste de terroristes » (!) et de leur appliquer des mesures comme les restrictions de déplacement (confinement ?). Voilà qui est fondamental pour comprendre ce qui se joue depuis mars 2020 et les mesures de confinement adoptées en Europe cette année-là et la suivante. 

L’irrationalité est ainsi, pour les behavioristes dont les théories inspirent les dictateurs actuels, l’ennemi qu’il faut non pas abattre, car Skinner a bien montré que cela n’était pas simple du tout, voire impossible, mais contrôler, endiguer, limiter, confiner. Remarquons ici que l’irrationalité s’empare y compris des dictateurs, ce qui constitue pour nous, qui travaillons à l’inverse à l’émancipation du monde vivant et du genre humain entre autres, un atout. Depuis 2020, les dirigeants européens ont pris de nombreuses décisions 

irrationnelles qui aboutissent à des volte-face sur la politique pandémique (masque obligatoire et indispensable puis l’inverse, ne pas généraliser l’obligation du vaccin alors qu’ils affirmaient pour la plupart que c’était le seul moyen de survivre, etc.), décisions irrationnelles dans la mesure où elles décrédibilisaient leur politique – certes on pourrait dire que l’irrationalité est un atout de la politique politicienne par la peur qu’elle engendre, car l’irrationalité des dirigeants engendre la peur chez les dirigés qui leur font confiance… 

Venons-en à ce qui aurait pu former un « Nous », par rapport à «Eux» qui sont au pouvoir. Pas un «Nous» qui soit les 99%, ne rêvons pas, mais un « Nous agissons collectivement », qui rassemble à la fois les anarchistes, les décroissants, les opposants au tout industriel et au tout scientifique, les partisans des diverses formes de simplicité volontaire, les féministes, les conseillistes, les zadistes (bien entendu, on peut se reconnaître dans plusieurs de ces orientations à la fois !) et tant d’autres, en gros toutes celles et tous ceux qui refusent l’ordre néolibéral, économiste de marché, masculiniste, industriel, militariste, etc., le Pouvoir sous toutes ses formes autoritaires, y compris l’idéologie du Progrès qui n’en est pas le moindre aspect. L’irrationalité est présente, et heureusement, également chez Nous. Mais certaines décisions ou prises de position de certaines et certains parmi Nous ont eu des conséquences très négatives sur le « mouvement » dans son ensemble. Celle de se faire vacciner est celle qui porte avec elle le plus de conséquences négatives. 

Irrationnelle, cette décision l’est à l’évidence. Se faire vacciner, c’est avaliser le lien profondément aliénant entre les décisions de l’État et le sort des individus. C’est accepter de lier notre sort à celui des « foules », ce mot devant être pris dans le sens précis de l’ensemble des personnes prises « en masse » et en même temps atomisées devant leur écran et une à une aux prises avec leur peur de la maladie, de la mort, et donc profondément aliénées par tous les outils que le Pouvoir a à sa disposition. Les foules, ce sont « un plus un plus un… », soit une collection d’individus sans pouvoir, face au groupe dirigeant, bien plus faible numériquement, mais immensément plus fort car parfaitement soudé. 

De ces foules-là, nous n’avons pas d’autre choix que de nous en distinguer, non pas pour nous en séparer, mais pour conserver le minimum nécessaire de clarté politique – du moins si nous prétendons ne pas mourir aliénés et hébétés devant la destruction de la planète et la perpétuation jusqu’à ses extrêmes limites des rapports d’exploitation et de domination. Nous n’avons, en réalité, pas d’autre choix que de Nous échapper de ces foules auxquelles le Pouvoir ne veut que Nous réduire. Et la vaccination et le confinement en furent, en 2020–2021, des moyens qui se voulurent un temps « absolus » et « définitifs », sans doute à l’image du crédit social chinois dans lequel chaque individu, s’il s’y soumet, accepte sa réduction à l’état de rouage d’une immense machinerie globale sur laquelle il n’a pas la moindre capacité d’influence. 

C’est dire que là, avec le confinement et la vaccination, Nous avions la possibilité de construire un point commun, un pont commun, entre Nous : devenir toutes et tous, enfin, des hors-la-loi. Hors de ces lois que Nous abhorrons parce qu’elles signent la soumission et l’exploitation des masses et, désormais, de tout ce qui vit, jusque et y compris la planète, par le biais d’un extractivisme absolu qui détruira tout à terme, si Nous ne parvenons pas à y mettre fin. 

Le second point qui nous semble signer notre défaite – provisoire, mais réelle en 2020–2021 – est la désintégration, l’explosion de la relation pourtant nécessaire entre nos pensées, nos manières de voir la politique, l’émancipation et la vie quotidienne. En clamant notre anti-productivisme et en acceptant, jusque dans nos corps, de nous soumettre au laissez-passer qui nous permet de continuer à produire – le cas des soignants étant le plus emblématique sur le plan politique et émotionnel –, nous rompons ce lien nécessaire entre théorie et pratique, entre grandes déclarations et « descente dans l’arène de la vie quotidienne ». Nous nous discréditons, il n’y a pas d’autre mot, sur le plan politique. 

N’oublions pas en effet que nous étions le plus souvent très informé·e·s de la réalité de Pfizer, l’un des pires laboratoires pharmaceutiques du monde, dont l’objectif affiché, par le biais de l’Association de psychiatrie américaine (qui publie le fameux manuel de psychiatrie, le DSM), est de mettre sous contention médicamenteuse 75% de la population américaine. Si ces Nous vacciné·e·s avaient opté pour le Moderna, elles et ils savaient sans doute que cette société a été fondée par le DARPA, l’agence du Pentagone (excusez du peu !) pour la recherche, dans le but de développer un vaccin à ARN permettant aux soldats yankees de s’installer dans un territoire auparavant nettoyé de ses habitants par des armes biologiques (le site du DARPA donnant ces informations à propos de Moderna est resté ouvert tout le long de la pandémie et l’est encore[note], ainsi que celui de Moderna[note]. Ces personnes très bien informées savaient de plus que le « vaccin » n’en était, pour le plus avancé d’entre eux, le Moderna, qu’au stade 2 de l’expérimentation (sur les primates non humains) et qu’il manquait donc le stade 3, soit plusieurs années de tests… 

Cette réalité de l’irrationalité survenant au pire moment et dans les plus mauvaises conditions politiques possibles a traversé à peu près tous les groupes humains. D’où la « recomposition » (des associations, des groupes de camarades, des amis, des « tribus » ou des cercles de sympathie) que, toutes et tous, nous avons constatée au cours des années 2020 et 2021. 

Mais, nous l’avons déjà dit, l’irrationalité n’est pas un défaut en soi. Il nous semble donc qu’un important progrès vers l’émancipation peut désormais être accompli. Face à cette réalité d’êtres humains profondément irrationnels à certains moments cruciaux de leur existence, nous pouvons « opposer » une solution simple en répondant à cette question : sur quelles valeurs pouvons-nous nous entendre ? Reformer un Nous ? 

Car c’est à Nous de proposer les valeurs permettant de passer au stade de l’émancipation. Il ne s’agit surtout pas de tracer un programme et de retomber dans une contradiction indépassable, mais de fonder nos comportements et nos manières d’agir politiques sur les valeurs qui font sens : simplicité volontaire, recherche de l’émancipation de toutes et tous, y compris les autres animaux et même les végétaux (les forêts par exemple), refus de tout ce qui Nous opprime et Nous détruit, et d’autres encore que chacun est libre d’ajouter à sa guise ! 

Philippe Godard 

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Vidéo

« Suspendus… des soignants entre deux mondes » — un film de Fabien Moine

Le 12 juillet 2021, sans concertation, les soignants du pays ont été confrontés à un choix : conserver leur emploi en ayant recours à une série d’injections médicales ou être suspendus de leurs fonctions au 15 septembre. A cette date des dizaines de milliers d’entre eux se sont retrouvés sans travail, sans revenu et sans aide. Dans l’indifférence populaire mais aussi celle de leur institution et des médias.

Ils demeurent suspendus, entre deux mondes… Celui d’un passé technocratique en plein effondrement, sans considération ni moyen, basé sur le rendement et la technologie. Et un autre où tout est à construire, libérés du chantage et de la pression des autorités de tutelle, avec une vision résolument humaine et intégrative de la santé.

Ce documentaire revient sur deux années de crise et décortique un système dans lequel les soignants auront été utilisés et manipulés. Tantôt en sous effectifs, en étant exposés à un virus inconnu en étant parfois contaminés, vêtus de sacs poubelle avec des masques et des gants de fortune. Ou applaudis le soir aux fenêtre.  Avant de subir un chantage pour accepter un traitement encore en phase expérimentale en étant traités de lâches, des traîtres et d’égoïstes. Comment ont-ils vécu cela ? Quels ont été leurs doutes, leurs peurs et les réactions de leur institution et de leurs collègues ? Quelle est leur vision de la médecine, de la santé ? Se considèrent-ils toujours comme soignants ? Comment vivent-ils aujourd’hui et comment se projettent-ils dans l’avenir dans un système en déroute ?

Plus que des témoignages c’est un regard profond sur notre système, nos institutions, la passion de l’autre et l’engagement vers un monde meilleur, collectif.

Caroline Blondel, Gregory Pamart, Carole Fouché, Louis Fouché, Judith Rémy, Éric Loridan et Aurélie Colin nous racontent leur vécu de cette crise et leurs espoirs. Le tout porté avec poésie sur une musique originale de Cécile Petit et des chorégraphies d’Aurore Borgo. Car danser avec la crise et sourire à demain est un des nombreux messages portés par ce film.

Visionnez le film en participation libre et consciente.

Pour participer financièrement au filmHelloAsso : tinyurl.com/mr392a8mTipeee : Tipeee.com/fabien-moinePaypal : Paypalme/nutrinamieRIB : FR7612506701345651936624550

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Articles

Kairos, « outil d’expression militante »

Nous partageons dans cet article les trois pages de décision de la Commission de première instance relative à la reconnaissance et à la protection du titre de journaliste professionnel, dans le cadre de la demande de renouvellement de la carte de presse d’Alexandre Penasse, qui lui a été refusée à l’unanimité des membres. Ces instances qui représentent les médias de masse, instruments de propagande, ont le culot de reprocher à Kairos d’avoir un point de vue et une ligne éditoriale. Ils peuvent se permettre l’absurde, car ils ont avec eux le pouvoir de nommer, adouber ou bannir. Pour l’instant… 

En décembre 2021, la Commission d’agréation avait refusé de prolonger ma carte de presse, énonçant que je ne l’avais pas prévenue que j’exerçais une autre activité rémunérée — continuant, comme la Commission a pu le constater, mon activité de journaliste, mais refusant un double salaire et donc d’être payé pour cette activité. La Commission a dès lors considéré que le journalisme n’était plus mon activité principale. A côté de cela, Amid Faljaoui, directeur des magazines Le Vif/L’Express et Trends-Tendances, touche 150.000 euros par mois de la banque Degroof Petercam, mais continue ses chroniques économiques sur les ondes de La Première, sans parler de tous les autres qui font des ménages, passant des médias au privé ou en politique, et vice versa.

A l’époque où ils ont refusé une première fois le renouvellement de ma carte de presse, fin 2021, la Commission n’avait aucune critique à porter sur la nature du travail que je faisais. Depuis, plus de deux ans sont passés, rémunérés plein temps comme journaliste. J’ai donc refait en juin 2022 une demande de renouvellement de ma carte de presse, demande que la Commission vient de refuser à l’unanimité, invoquant que mon « activité journalistique ne correspond pas aux termes de la loi de 1963 précisés par la jurisprudence de cette commission » (La loi de 1963 organise la reconnaissance et la protection du titre de journaliste professionnel, voir le document en fin d’article).

La Commission qui m’a jugé rappelle que la loi du 30 décembre 1963 prévoit que le titre de journaliste professionnel ne peut être reconnu qu’à une personne qui participe « à la rédaction de journaux quotidiens ou périodiques, d’émissions d’information radiodiffusées ou télévisées, d’actualités filmées ou d’agence de presse consacrées à l’information générale. Conformément à sa jurisprudence constante depuis sa création, la Commission assimile les activités de communication à de la publicité ou du commerce, activités incompatibles avec le titre. Il convient en effet de distinguer la communication, au service de l’intérêt public ou de l’intérêt général (…) La commission rappelle que la finalité de l’organe d’information auquel participe la personne qui souhaite être reconnue, doit être l’information. Le rédactionnel ne doit pas servir d’alibi à d’autres motivations ».

« Le rédactionnel ne doit pas servir d’alibi à d’autres motivations », dites-vous, vous reprochez donc à Kairos de faire de la « communication » et de ne pas participer à une information d’intérêt général. On dirait que par projection vous parlez des médias dont vous êtes les représentants. Ce sont bien des grandes familles qui ont concentré la presse dans quelques groupes se partageant les différents supports qu’ils nomment désormais « marques », marques journalistiques qui utilisent leurs contenus rédactionnels pour nous faire acheter les produits des annonceurs, non ? 

Publicité pour une voiture, trônant pleine page à côté d’un article du quotidien Le Soir, propriété de la richissime famille Hurbain

N’est-ce pas non plus eux qui ont servi de caisse de résonance des choix gouvernementaux, de façon encore plus visible depuis la crise du Covid, traitant les journalistes et citoyens qui ne suivaient pas les ordres narratifs officiels de « complotistes » ou « antivaxx » ? 

C’est que les médias de masse ne sont que des officines de fabrication du consentement dont vous êtes les garants officiels. Cela ne vous plaît évidemment pas de l’entendre, vous n’aimez pas vous observer dans le miroir, surtout lorsque, comme plusieurs membres de la Commission d’agréation, vous êtes pensionnés : on ne regarde pas avec lucidité toute une carrière au service de l’ordre, on risquerait de tomber de haut…

« Le bimestriel Kairos, le site kairospresse.be, la page facebook de Kairos apparaissent aujourd’hui comme des outils d’une expression militante »extrait de la Décision de la Commission d’agréation

Est-ce que ce ne sont pas les universités et hautes écoles qui ont modifié leur intitulé et sont passées de « journalisme » à « communication », avalisant définitivement le basculement du journaliste dans le formatage publicitaire ? Vous dites dans votre décision, je vous cite : « Le bimestriel Kairos, le site kairospresse.be, la page facebook de Kairos apparaissent aujourd’hui comme des outils d’une expression militante ». Et ajoutez : « La démarche d’information requiert, pour une thématique donnée, de couvrir l’ensemble des sujets liés à celle-ci, de relater l’ensemble des faits, des opinions et commentaires pertinents en sens divers la concernant. Elle n’empêche en rien l’auteur d’exprimer une position personnelle , voire un engagement, en développant un raisonnement et les arguments qui les soutiennent. En revanche, un média d’information ne peut constituer un relais d’une telle position présentée de manière unilatérale. L’engagement ne peut pas mettre en péril l’indépendance journalistique ».

Votre aveuglement ne vous fait-il pas mal aux yeux ? L’épisode Covid, depuis presque trois ans, a été traité médiatiquement d’une façon qui restera dans l’histoire, si un jour les officines de la propagande officielle arrêtent de l’écrire elle-même. Jamais le débat n’aura été autant interdit, alors que Kairos proposait un grand débat en juin 2021 et y invitions tous les experts officiels, dont un seul a répondu — et refusé l’invitation. Débat qui nous vaudra la fermeture de notre chaîne Facebook, sans que vous vous en indigniez. Jamais ceux qui pensent autrement n’auront été autant vilipendés par l’ordre politico-médiatique. Et vous osez dire que nous étions les relais d’une position présentée de manière unilatérale ? Le futur nous montrera que votre traitement de l’information, votre stigmatisation, division, culpabilisation sont directement responsables de la mort d’individus. Et votre silence, impardonnable, alors que nous savons par exemple que le rédacteur en chef de La Libre qui vilipendait dans son journal les médecins qui traitaient précocement le Covid à l’ivermectine, s’est personnellement soigné avec celle-ci.

C’est que vous n’êtes pas des instances visant à protéger la presse libre et la Charte de Munich[note], mais, à l’instar de l’Ordre des médecins, des officines constituées de représentants de l’Ordre médiatique, ces grands groupes de presse, dont votre fonction principale est d’assurer leur pérennité et de les protéger de tout ce qui pourrait leur nuire. Vous ne représentez donc que vous-mêmes et craignez la vérité.

Je termine de citer votre oukase: « Les médias auxquels participe le demandeur ne présentent pas un tel traitement multilatéral des sujets. Le demandeur y fait usage de sa liberté d’expression sans donner la parole aux thèses opposées à la sienne. Il y exprime notamment un soutien appuyé à divers acteurs du débat social sans mettre cet engagement en perspective. Le choix des sujets, des sources et des personnes interviewées est orienté par ses seules convictions ». En conclusion : « Les médias auxquels participe le demandeur visent à convaincre le public du bien-fondé d’une thèse, non à l’informer de manière multilatérale des différentes positions en présence afin qu’il puisse librement se forger sa propre opinion. La Commission refuse systématiquement le titre de journaliste professionnel aux personnes qui contribuent à des publications dont l’objectif est le relais de thèses d’une organisation, quelle qu’elle soit, et qui n’offrent pas au public une garantie d’indépendance dans le choix des sujets, des sources et de l’approche de ceux-ci ». 

Il suffit d’ouvrir un quotidien comme La Libre, Le Soir, la Dernière Heure, mais aussi de nombreux périodiques, pour comprendre que ce que vous nous reprochez correspond parfaitement à leur fonctionnement. Par exemple, « Garantie d’indépendance dans les choix des sujets », alors que les maîtres de la censure et de l’auto-censure se trouvent parmi les médias que vous représentez, qui envoient tous les 5 ans leur listing de journalistes dont l’agréation est renouvelée automatiquement par vos soins. Quelle formidable dissonance. 

Comme la Commission d’agréation l’énonce elle-même, on peut être journaliste sans posséder de carte de presse. Certes. Mais il est particulièrement intéressant de voir à qui cette Commission l’accorde et à qui elle la refuse. A ce titre, un gage de liberté aujourd’hui serait paradoxalement de ne pas en posséder, à moins de dissoudre ces instances nullement garantes de la liberté de la presse, mais dont l’existence au contraire assure de ne pas la voir advenir.

Loi de 1963Télécharger

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