Le peuple palestinien a le droit d’être protégé contre des actes de génocide

Les 17 membres de la Cour de Justice Internationale (CIJ) ont rendu leur verdict provisoire ce 26 janvier 2024. Après avoir décidé que la demande de l’Afrique du Sud était recevable, contrairement à la demande d’Israël, elle a statué. 

LA COUR, Indique les mesures conservatoires suivantes :

*L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention, en particulier les actes suivants :

a) meurtre de membres du groupe ;

b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et

d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

*L’État d’Israël doit veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette aucun des actes visés au point 1 ci-dessus ;

*L’État d’Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ;

*L’État d’Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ;

*L’État d’Israël doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application des articles II et III de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide commis contre les membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ;

*L’État d’Israël doit soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à la présente ordonnance dans un délai d’un mois à compter de la date de celle-ci.

La décision provisoire de la Cour Internationale de Justice, une instance de l’ONU, est sévère pour Israël. Certains auraient préféré plus, mais compte tenu de sa composition, on se trouve devant des compromis. En effet, la Cour n’a pas ordonné de cessez-le-feu immédiat à Gaza.

Néanmoins, les bases d’un jugement de fond sur l’existence d’un génocide sont posées :

* La Cour Internationale de Justice n’a pas rejeté la demande de l’Afrique du Sud comme le demandait Israël.

* Elle a qualifié, dans le préambule, l’intention génocidaire en reprenant l’expression : « des animaux humains ».

* Elle a posé les fondations d’un jugement de fond sur l’existence d’un génocide.

Cependant, si l’arrêt des bombardements indiscriminés, du ciblage des universités, des écoles, des lieux cultuels, et des journalistes, …, semblent implicite au jugement provisoire (protéger le « groupe palestinien » d’un génocide), cela reste implicite et la vraie mesure, l’exigence d’un cessez-le-feu, manque.

La décision de la Cour n’est donc pas complète, c’est évident, néanmoins soyons positif : la décision provisoire est exceptionnelle. Elle dénonce clairement les actes d’Israël comme pouvant avoir un caractère génocidaire et que cela doit cesser. À ce titre, je suis persuadé que cette décision sera saluée par l’ensemble de ce qu’on appelle le sud global et que chez nous, nos « élites » dirigeantes seront mi-figue mi-raisin. Elles s’en remettront vite ! Quant au gouvernement d’Israël, il rejettera cette décision provisoire, s’appuyant sempiternellement sur son droit à se défendre et sur la Shoah.

Soulignons que c’est un premier pas important pour arrêter cette folie meurtrière dont nous sommes complices, que nous le voulions ou non. Non pas que cette décision sera suivie d’une accalmie, probablement l’inverse avec l’intensification des combats au nord d’Israël et l’impasse américaine en Syrie, en Irak et au Yémen. Mais cette décision est une fissure profonde dans la posture victimaire du gouvernement israélien actuel : car, avant la décision, c’était en résumé : c’est parce que nous sommes des victimes, que nous vous colonisons, nous vous dépouillons, nous vous tuons . Ceci avait été parfaitement résumé par Gideon Levy : « Nous sommes les seules victimes ».

Si pour la Russie, cette position victimaire ne fait pas grand sens face à leurs 25 millions de morts pour nous délivrer du nazisme, il en va autrement pour nous. Cette décision est donc lourde de signification et se diffusera progressivement dans nos consciences, malgré le peu d’empressement de nos médias mainstreams, c’est un euphémisme : les victimes sont devenus bourreaux.

Par contre, l’écho de cette décision provisoire est énorme dans les pays du sud global, eux qui ont subi guerre, colonisation, exploitation, apartheid, tuerie de notre part. Il y a là comme une éclatante revanche morale. Cette décision provisoire fera date, d’autant qu’elle ouvre la voie vers d’autres décisions et pas seulement à la CIJ ou dans d’autres Cours internationales, mais aussi et probablement surtout dans des Cours nationales qui reçoivent avec ceci une légitimation à leurs propres actes portant sur cet objet.

Plutôt que jouer à l’autruche, nous ferions mieux de nous regarder en face, sortir de cette culpabilisation bien confortable et prendre enfin les bonnes décisions.

Christophe de Brouwer

Full-professeur honoraire et ancien président de l’École de Santé publique de l’Université libre de Bruxelles. (26 janvier 2024)

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