Santé publique et hôpitaux : 6 jours à Gaza

Alors que le discours politique semble prendre un tournant dans le contexte du génocide palestinien, comme les mots de Petra De Sutter, vive-premier ministre belgeIl est temps d’imposer des sanctions contre Israël. Les bombardements sont inhumains. […] Alors que des crimes de guerre sont commis à Gaza, Israël ignore la demande internationale d’un cessez-le-feu » (8 novembre), il est permis de douter de l’objectif désintéressé de ceux plus habitués à flatter pour attirer des voix qu’à défendre des valeurs. Soit, derrière les discours feutrés contre les actes d’Israël, le carnage continue. 

Le Commissaire-général de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), Philippe Lazzarini, a appelé à l’arrêt du « carnage » dans la bande de Gaza. Il rajoute « Leurs craintes sont exacerbées lorsqu’ils entendent un homme politique israélien qualifier les Gazaouis d’ ‘animaux humains’ – un langage déshumanisant que je ne pensais pas entendre au 21e siècle. » (9 novembre)

L’absence d’empathie et de compassion, que montrent les pays occidentaux, en ce compris Israël, pour ce drame absolu qu’est la situation à Gaza ne plaide pas pour nous. Quoi, nous serions des pays civilisés ? Permettez-moi d’en douter.

Sortir de l’idéologie, revenir au réel est notre urgence pour décrisper les tensions qui montent aussi chez nous. Petitement, pour ma partie, j’essaye. Ici par des porte-paroles du ministère palestinien de la santé et d’autres sources. Et si, pour cette fois, nous les écoutions, non ? Et encore, seulement quelques extraits concernant les hôpitaux et surtout actuellement l’hôpital Al Shifa, le plus grand complexe hospitalier de la Bande de Gaza (au nord) qui subit une lente agonie à la face du monde.

« Entre-temps, l’hôpital pour enfants Al-Nasr est pris pour cible à plusieurs reprises, et la vie des enfants, du personnel et des personnes déplacées est menacée. Les ambulances ne peuvent pas atteindre l’hôpital pour enfants Al-Nasr pour évacuer les blessés en raison du ciblage. Nous appelons les Nations Unies et le Comité international à être présents dans les hôpitaux pour enfants Al-Rantisi et Al-Nasr, à les protéger et à faire de la place aux ambulances pour évacuer les blessés. […] « L’Association des banques de sang de la ville de Gaza est hors service à la suite de cette attaque. » (10 novembre, porte-parole ministère)

« 38 enfants souffrant d’insuffisance rénale sont privés de services de dialyse dans le seul centre destiné aux enfants de la bande de Gaza, après l’arrêt de l’hôpital spécialisé pour enfants de Rantisi en raison d’une panne de carburant. […] L’occupation israélienne assiège les hôpitaux pour enfants d’Al-Rantisi et d’Al-Nasr, ferme les stations d’oxygène et les enfants malades sont exposés à la mort. (10 novembre) […] Décès d’un deuxième enfant dans la crèche du complexe médical d’Al-Shifa après l’arrêt du générateur électrique et la mise hors service du complexe. » […] Nous renouvelons notre appel à toutes les institutions internationales à se rendre immédiatement au complexe médical d’Al-Shifa et aux hôpitaux du nord de Gaza pour protéger le système de santé et lui permettre de mener à bien ses tâches purement humanitaires. (11 novembre, porte-parole ministère)

« La deuxième attaque de l’armée israélienne de la journée a causé d’importants dégâts au bâtiment de l’unité de soins intensifs. […] Le ministère de la Santé a officiellement annoncé le décès de tous les patients des soins intensifs de l’hôpital d’Al-Shifa en raison de pannes d’électricité et d’oxygène. » (12 novembre, porte-parole ministère)

Un journaliste de l’hôpital Al-Shifa de Gaza : « La situation est indescriptible. Nous cherchons un morceau de pain à manger et les corps des martyrs éparpillés dans les cours du complexe sont mangés par des chiens errants sans que personne ne puisse les chasser. » Ceci semble être confirmé par un porte-parole du ministère palestinien de la Santé qui a déclaré à Al Jazeera que les chiens errants ont commencé à manger les corps des morts s’entassant dans les rues. (Aussi choquant que cela puisse être, ayant travaillé en Afrique, la problématique des chiens errants dans la ville, souvent en bande, est une réalité : donc je pense l’information plausible.)

Le ministère de la Santé déclare qu’il n’est plus en mesure de compter le nombre de morts et de blessés, en raison des attaques israéliennes incessantes. (13 novembre) Effectivement, les derniers chiffres fournis officiellement concernent le 9 novembre. Quelques chiffres circulent depuis, mais aucun ne semble avoir été validé par le ministère, je ne les reprends donc pas.

« Le personnel médical de l’hôpital Al-Shifa n’a reçu ni nourriture ni boissons depuis 6 jours. » (Ministère de la santé) […] La ministre a passé en revue la situation sanitaire catastrophique dans la bande de Gaza, et les attaques dont le système de santé a été témoin, où 23 hôpitaux sur 35 ont complètement cessé de fonctionner. (13 novembre)

« Vivre à l’hôpital Al Shifa est plus difficile que la mort elle-même. Il n’y a ni vie, ni eau, ni électricité. Nous survivions grâce à quelques sacs de farine laissés sur place par ceux qui ont évacué avant nous. » (14 novembre, patiente)

« Aujourd’hui, l’unique groupe électrogène de l’hôpital Al-Amal, affilié à la Société du Croissant-Rouge palestinien à Khan Yunis, a cessé de fonctionner. Cela menace la vie de 90 patients soignés à l’hôpital, dont 25 patients du service de réadaptation médicale qui courent désormais un risque de mort à tout moment » (14 novembre, Croissant Rouge)

Sous-secrétaire du ministère palestinien de la Santé à Gaza : « Nous essayons de creuser une fosse commune pour enterrer les centaines de cadavres éparpillés dans les cours de l’hôpital Al-Shifa. » Une source journalistique parle de 170 corps en décomposition déjà enterrés dans la cour principale de l’hôpital transformé en fosse commune. (14 novembre)

« L’eau pleut en ce moment. » Un enfant palestinien déplacé exprime sa joie alors que la saison des pluies commence à un moment où des centaines de milliers de Palestiniens ne peuvent pas trouver d’eau potable. (14 novembre) Cela réglera certains problèmes et en posera de redoutables aussi. N’oublions pas que la majorité de la population sont des déplacés internes, vivant dans une extrême précarité.

« Transfert de prématurés du service de crèche du complexe médical d’Al-Shifa vers un autre endroit. Là où l’électricité est disponible. » […] « Nous confirmons la poursuite des services de maternité au complexe Al-Sahaba à Gaza. » […] « L’occupation israélienne place toutes les personnes présentes dans le complexe médical d’Al-Shifa dans le cercle de la mort après l’avoir encerclé de tous côtés et poursuivi les violents bombardements et les tirs nourris pendant deux heures. » (14 novembre, porte-parole du ministère).

(source Al Jazeera) « Hier soir, les forces d’occupation ont pris d’assaut le complexe médical d’Al-Shifa après l’avoir entouré de chars. Il avait coupé le carburant et l’électricité pendant des jours, ce qui a entraîné la mort de nombreux patients en soins intensifs et de bébés prématurés » (Dr Zaqout, directeur général des hôpitaux de la Bande de Gaza) […] Ahmad Mikhallalati, chef du service des brûlés de l’hôpital Al Shifa : « Nous ne savons pas si l’armée israélienne va nous tuer ou si elle veut simplement nous terroriser … Tous ceux qui ont tenté de quitter l’hôpital ces derniers jours ont été abattus. » Dr Zaqout : « Cette nuit, l’armée d’occupation est entrée dans le service des urgences du complexe Shifa et fouille actuellement le sous-sol de l’hôpital. Pas une seule balle n’a été tirée depuis l’intérieur de l’hôpital lors de l’assaut du complexe par les forces d’occupation. L’occupation a ouvert le feu sur ceux qui ont quitté le couloir qu’ils prétendaient être en toute sécurité pour sortir du complexe Al-Shifa. Les forces d’occupation ont pris d’assaut les bâtiments chirurgicaux et d’urgence du complexe Al-Shifa. »

Médecin sans frontière, Dr Obeid : « Un sniper a blessé quatre patients dans l’hôpital. L’un d’entre eux a été blessé au cou, c’est un patient tétraplégique. Un autre a été touché à l’abdomen. […] L’équipe médicale a accepté de quitter l’hôpital à condition que les patients soient évacués en premier. Nous ne voulons pas les laisser. » (15 novembre matin)

Le complexe Al-Shifa était le plus grand complexe médical de la bande de Gaza. Il se compose de 3 hôpitaux spécialisés et a été créé en 1946 pendant le mandat britannique. Il y aurait actuellement 1500 membres du personnel médical, 650 patients et environ 7000 civils déplacés dans le complexe.

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Nous vivons aujourd’hui sous une pluie de déclarations d’aide, de cessez-le feu temporaires, de couloirs humanitaires, de pauses, de condamnations, etc., etc. La bonne conscience de nos « élites » inondent de plus en plus nos chaînes mainstreams, MAIS la terrible réalité des images et des témoignages montre que l’horreur pèse toujours aussi fortement sur un quotidien des Gazaouis, construit de terreurs. La montagne de nos mots creux détruit tout autant l’avenir, tant des Palestiniens que des Israéliens, sinon plus, et quelque part aussi le nôtre. Car la perversité consiste à faire croire qu’on n’a pas les moyens d’agir (Michèle Syboni). Il faut que le massacre s’arrête immédiatement mais pour cela il faut du courage politique.

Graphiques construits à partir des données publiées par le Ministère de la santé de l’Autorité palestinienne et de l’OCHA (United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs) jusqu’au 9 novembre. Ensuite je propose une projection simple calculée sur les données des 11 derniers jours où les chiffres ont été fournis. Entendons-nous bien, les producteurs de ces chiffres disent que c’est « au moins », c’est-à-dire uniquement celles et ceux qui ont pu être comptabilisés.

Christophe de Brouwer

Full-professeur honoraire et ancien président de l’École de Santé publique de l’Université libre de Bruxelles. (15 novembre 2023)

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