Kairos 46

Septembre/Octobre 2020

L’État : censeur, pas sauveur

Cécile Mirande-Broucas

Jamais le sentiment n’a été plus aigu d’être dirigés par un État qui agissait sans recul, mêlé à cette impression cinglante qu’il le faisait dans un objectif bien différent que celui de « nous sauver ». C’est qu’en effet s’il avait voulu nous sortir du marasme, il avait l’occasion d’en donner quelques preuves depuis longtemps. Au contraire, il a continué et continue plus que jamais sa course folle en avant, les yeux mirés sur la courbe de croissance, pendant que faune et flore, et donc nous aussi, subissent les effets de leurs délires démiurgiques sur lesquels nous n’avons pour l’instant aucune prise, malgré leurs conséquences redoutables : feux de forêt répétés et dévastateurs, moyenne des températures estivales en hausse constante, déforestation, biodiversité en perpétuel déclin ; guerres civiles (parfois avancées, notamment aux USA), misère structurelle, inégalités croissantes… Nos vieux, par ailleurs, l’ont payé de leur vie. On se souviendra ainsi que devant la loi d’airain du capital, la vie a peu d’importance – ceux qui dans les contrées lointaines assurent notre « développement » vous le diront. Cet article est émaillé de citations de George Orwell, car nous avons dépassé 1984

Il fallait donc leur signifier clairement que quelque chose n’allait pas, profiter d’une conférence de presse pour énoncer que « le roi est nu » et que nombreux puissent l’entendre en même temps(1). La légitimité d’un gouvernement et de groupes d’experts qui mangent à tous les râteliers et nous invitent à prendre soin de nous pendant qu’eux prennent surtout soin de maintenir le système en place, c’est-à-dire de continuer dans une course en avant productiviste qui rend de moins en moins probables les chances d’infléchir notre descente vers l’abîme et nous donner d’autres perspectives, n’est-ce pas quelque chose qui nous préoccupe tous ? Si le Covid-19 est donc l’occasion de quelque chose, c’est d’accélérer la prise de conscience du fonctionnement de ce monde présent et du pouvoir en place. 

« D’une certaine manière, la vision du monde qui est celle du Parti s’impose avec le plus de force à ceux qui sont incapables de la comprendre. Il peut leur faire avaler les violations les plus flagrantes de la réalité parce qu’ils ne saisissent pas l’énormité de ce qu’on exige d’eux et ne s’intéressent pas assez à la vie publique pour remarquer ce qui se passe. C’est cette incompréhension qui les préserve de la folie. Pour eux les choses sont simples, ils ingèrent tout sans séquelles car ce qu’ils avalent ne laisse aucun résidu, tout comme les graines passent dans l’organisme de l’oiseau sans qu’il ait besoin de les digérer » 

Ce qui se déroule actuellement se situe bien au-delà de ce confortable dualisme « pour ou contre », qui scinde la population en deux groupes de partisans et d’opposants : promasques, antimasques, provaccins, antivaccins, pro-État/anti-État…, propre à un courant qui a relégué la vérité dans le domaine de la relativité absolue, vérité que chacun détiendrait selon sa subjectivité. Il s’agit de poser la réflexion en amont de la constitution de groupes opposés pour obtenir simplement une information impartiale et détachée de tous intérêts. Pourtant, lorsque vous tenterez d’interroger le Pouvoir sur la légitimité de certaines décisions, où même celles qu’ont certains à nous « représenter », il tentera toujours de vous placer dans une catégorie discréditée – cela dit, ce réflexe est courant chez tout interlocuteur qui refuse le débat. La plus commode actuellement: « complotiste ». Ainsi, si vous doutez de la nécessité d’un vaccin, questionnez les intérêts privés derrière cette solution présentée comme la seule et unique, vous êtes un « esprit confiné » ou un « corona-sceptique »(2). Le Moustique écrivait récemment (22–28 août), dans un numéro titré « Le virus du complotisme » : « Les rumeurs anti Bill Gates ou Big Pharma circulent dans de nombreuses langues sur les réseaux sociaux (…) La crainte ? Qu’une partie non négligeable de la population refuse le ou les futurs vaccins anti-Covid-19 ». Pourquoi pourtant le « craindre », si ça devait s’avérer justifié? 

« Quand on gouverne, et qu’on doit continuer à gouverner, on doit savoir dédoubler le sentiment de réalité. Car le secret de celui qui gouverne est d’allier la croyance en sa propre infaillibilité avec la capacité de tirer les leçons du passé. Faut-il le dire, les praticiens les plus subtils du double-penser ne sont autres que ceux qui l’ont inventé et sont donc bien placés pour savoir qu’il consiste à ériger la mauvaise foi en système. Dans notre société, ceux qui sont le mieux éclairés sur l’événement sont aussi ceux qui sont le plus éloignés de voir le monde tel qu’il est » 

Le matraquage médiatique d’informations nourrissant la peur s’accompagne de la présentation de solutions qui semblent couler de source, comme naturelles : Vaccination généralisée (« Un vaccin en Belgique pour janvier », DH, 26 août, parmi les centaines d’articles) ou numérisation totale de nos vies et de l’école (« « Le Covid m’a tuer ». L’école d’hier », Le Vif, 27 août, un exemple parmi la pléthore d’articles). Il faut à la fois instiller la peur et ses antidotes. La nouvelle guerre occulte les autres combats et les rend simultanément illégitimes et inopportuns, avant même qu’ils ne deviennent interdits. « La population, les politiques, les médias, avec leurs qualités et leurs défauts, chacun d’entre nous avec nos succès, nos erreurs, nous devons avancer. C’est cela qui reste difficile : on a l’art de se tromper de combat. L’ennemi, c’est le virus »(3) , dira Sophie Wilmès. 

« En même temps, la conscience d’être en guerre, et donc en danger, permet de faire passer pour naturelle la concentration des pouvoirs sur une toute petite caste, présentée comme la condition sine qua non de survie »

« La guerre doit durer indéfiniment sans assurer de victoire. » 

La suite dans le numéro 46

Notes et références
  1. Moustique, « Le virus du complotisme », 22 août 2020.
  2. Idem.
  3. La Libre, 1er et 2 août 2020.

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