Médias vivant de la pub : affrontements pour les subsides

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La logique publicitaire est devenue tellement prégnante qu’aux yeux de certains, les médias ne sont plus considérés comme des moyens de diffuser des informations, mais comme des supports de publicité. Leur financement devrait donc provenir principalement des recettes publicitaires. Les pouvoirs publics sont imprégnés de cette dérive et, en Belgique, les récents débats autour du soutien aux chaînes radiotélévisées ont révélé les conséquences de cette logique perverse.

Tout a commencé avec la volonté de la Fédération Wallonie-Bruxelles de diminuer la publicité sur certaines tranches horaires de la RTBF. Petit cadeau fait aux Écolos lors de négociations pour la formation de la majorité en juin 2019, il a fallu plus d’un an pour qu’une faible partie de l’engagement de modérer la pub à la RTBF se concrétise. La publicité devrait donc être réduite de moitié durant la tranche horaire de la matinale sur La Première (radio) en septembre 2020 et serait ensuite totalement supprimée à partir de juillet 2021. La ministre des Médias, l’écologiste Bénédicte Linard motivait ainsi cette décision : « … éviter que des contenus qui éclairent l’auditeur sur des enjeux de société importants ne soient brouillés par des publicités qui véhiculeraient le message inverse ».

On ne peut qu’approuver cette façon de voir, mais les cerveaux réduits à des bouliers-compteurs des gestionnaires de l’austérité libérale ne partagent pas cette façon de voir. La Première n’est pas la radio la plus importante en termes de revenus publicitaires (c’est Vivacité), mais sa tranche matinale génère tout de même 2,8 millions € de revenus sur une année. Elle représente plus de 60% de l’audience et des rentrées publicitaires. Sur les 4 mois de fin 2020, la RTBF aurait donc un manque à gagner de… 400.000€. Il faut dire que ceux qui basent leurs profits sur les publicités radiotélévisées commencent à paniquer : de plus en plus d’annonceurs se tournent vers la pub sur Internet et le bel argent qu’ils espéraient part vers les GAFAs. Alors, pour le patron de la Régie Média Belge (RMB), 400.000 € de perdus, c’est déjà trop : « Alors qu’on sera en perte d’un million d’euros cette année à cause du Covid-19, que l’on traverse une crise où tout le monde perd de l’argent, que le budget de la Fédération Wallonie Bruxelles va être lourdement impacté par tout ce qui se passe, décider par pur dogmatisme de retirer ces revenus à la RTBF reste pour moi incompréhensible. ». Dogmatisme ? On se demande de quel côté est le dogmatisme ? Quand on sait que les contribuables, via la dotation, soutiennent la radio de la communauté Wallonie-Bruxelles à hauteur de 297 millions € par an, on est terrorisé de voir les recettes de pub diminuer de 0,14%…

Quand on entre en majorité avec le MR, il ne faut pas se faire trop d’illusions. Les Écolos l’on vite appris à leurs dépens : les autres limitations de la pub, interdiction des coupures dans les films, de la pub pour les médicaments, les alcools forts, les jeux et paris…, restent dans les cartons, sans doute pour fort longtemps.

Bien pis, ce tout petit cadeau de restriction au lavage de cerveau constant, s’est payé d’une lourde contrepartie : la « pauvre » télévision privée RTL (Radio Télévision Libérale Luxembourg) qui ne fonctionne que grâce à la pub et est donc un peu impactée par la crise consécutive au Covid-19, s’est vue accorder un petit cadeau de… 20 millions € par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ainsi donc, les Wallons et les Bruxellois vont soutenir une société privée basée au Luxembourg (où elle paie – très peu – ses impôts) et dont les actionnaires sont allemands. En échange, RTL s’est engagée à rapatrier son siège social en Belgique. On verra… ?

Pour ce qui est de la presse écrite, le même déséquilibre est observé. La presse écrite quotidienne qui puise une grande part de ses revenus de la publicité est aidée par les pouvoirs publics : 6,2 millions indexés depuis 2005, soit environ 8,2 millions €, sont partagés entre les quelques groupes de presse qui tirent pourtant leurs revenus de la publicité et en sont dépendants alors que la demi-douzaine de publications sans publicité se partage royalement 262.000€. Pas étonnant que Kairos vous demande de vous abonner pour survivre…

Alain Adriaens

NOUVELLES RÉSISTANCES À L’A GRESSION PUBLICITAIRE

La crise sanitaire vécue suite à l’épidémie due au coronavirus a débouché sur des actes de dénonciation de la publicité. Ainsi, au mois de mai, le collectif Act For Climate Justice a remplacé 800 affiches dans les panneaux publicitaires et les arrêts de bus à Anvers, Bruxelles, Charleroi, Liège, Gand et Louvain-La-Neuve. L’action d’affichage s’est poursuivie et des activistes ont tendu une banderole devant la FEB (Fédération des entreprises belges) et le VOKA (Vlaamse Netwerk Van Ondernemingen) avec le message « La vie avant le profit ». Ils dénonçaient clairement l’attitude honteuse de la publicité en cette période si dure pour beaucoup : « Depuis quelques jours, la coûteuse publicité a fait son retour dans l’espace public, poussant à la consommation alors que des centaines de milliers de personnes ont besoin d’aide alimentaire. Ces choix et les priorités posés dans la gestion de cette crise incarnent bien le système inégalitaire dans lequel nous sommes enlisé·e·s depuis trop longtemps : un système où la croissance économique doit être relancée à tout prix pour un “retour à la normale”, sans prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux. Mais c’est revenir à la “normalité” d’avant la crise sanitaire qui serait anormal ! »(1).

Les militants de la lutte contre le dérèglement climatique ont bien compris que dans le monde de la pub tout tourne autour du fric. Si le but premier de la publicité est de faire acheter des produits et services inutiles à des consommateurs déjà gavés, derrière cet objectif ne se dissimule guère la volonté de faire engranger des profits aux annonceurs.

Notes et références
  1. La description et les photos de leur action sont consultables sur leur site : http://actforclimatejustice.be/action-massive-de-detournement-de-publicites-massale-posteractie-welzijn-boven-winst/.

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