Impact du déploiement de la 5G sur la consommation de l’énergie et le climat

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Comme annoncé de longue date par quelques esprits éclairés, par exemple par le géophysicien Marion King Hubbert qui dès 1956 avait prévu le pic d’extraction du pétrole conventionnel étasunien de 1970(1), le pic de pétrole conventionnel mondial a été atteint en 2008. Vraisemblablement, le pic du pétrole conventionnel et non conventionnel confondu a eu lieu en novembre 2018 à hauteur de 84,6 millions de barils par jour(2).

Au vu de la pénurie annoncée, il serait de bonne politique de considérer que toute innovation technique doit être examinée à l’aune de son impact énergétique et que les seules acceptables devraient être celles qui contribueraient à une baisse de la consommation des combustibles fossiles.

L’émergence de chaque nouvelle génération de téléphonie mobile (2G, 3G et 4G) a été immanquablement suivie d’une forte augmentation des flux de données et, par conséquent, de la consommation d’énergie du réseau sans fil. Rien ne permet de penser que cela serait différent pour la 5G ; au contraire, comme pour les générations précédentes, la recherche de meilleures performances en termes de débit et de capacité entraînera une nouvelle explosion du trafic des données qui réduira à néant le bénéfice de toutes éventuelles améliorations de l’efficacité énergétique : c’est la conséquence de l’effet rebond ou paradoxe de Jevons du nom de l’économiste qui l’a énoncé au dix-neuvième siècle(3). À supposer que la 5G soit énergétiquement plus efficace que les générations précédentes, ce qui est promis mais non démontré, l’effet rebond annulera son improbable bénéfice.

De fait, un site d’antennes 5G consomme de 3 à 3,5 fois plus d’électricité que l’équivalent en 4G selon un document de Huawei(4), ce qui est aussi confirmé par les opérateurs chinois précurseurs en la matière(5). D’autre part, étant donné l’utilisation des ondes millimétriques par la 5G – des ondes qui sont fortement atténuées par le moindre obstacle comme les feuilles d’un arbre et la pluie – le déploiement de la 5G nécessite une multiplication des antennes, jusqu’à une antenne tous les 100 mètres en milieu urbain, par opérateur. Les antennes à elles seules représentant plus de la moitié de la consommation électrique des opérateurs, le déploiement de la 5G aura pour effet de tripler leur consommation d’électricité.

Selon Hugues Ferreboeuf et Jean-Marc Jancovici, ingénieurs et experts de la transition énergétique, l’impact des antennes 5G représentera dès lors une augmentation de 2% de la consommation d’électricité globale d’un pays comme la France (ou la Belgique). Ils précisent : « À cela il faudra rajouter l’énergie nécessaire à la fabrication des éléments de réseau, et surtout à la production des milliards de terminaux et d’objets connectés que nous souhaiterons relier via ce réseau (dans le monde, l’énergie de fabrication des terminaux, serveurs, et éléments de réseau représente 3 fois l’énergie de fonctionnement des réseaux, hors data centers). Alors qu’une augmentation de la durée d’utilisation des smartphones serait centrale pour réduire leur empreinte carbone, l’apparition de la 5G accélérerait leur remplacement, pour le plus grand bonheur des fabricants d’équipements »(6).

L’augmentation de 2% de la consommation électrique d’un pays liée aux antennes 5G ne représente donc que la partie émergée d’un iceberg principalement constitué par l’énergie nécessaire à l’ensemble des processus industriels liés au déploiement de cette technologie, en premier lieu la fabrication des terminaux (smartphones, tablettes, PC portables, etc.) encore et toujours promis à une obsolescence rapide.

Déployer la 5G contribuerait donc à gaspiller toujours plus vite cette ressource limitée qu’est le pétrole qui manquera ainsi grandement et cruellement aux générations futures pour assurer une transition vers une société durable et décente.

CLIMAT

La 5G est promue par l’industrie des télécoms comme une innovation technique majeure aux multiples qualités(7) qui contribuerait même à lutter contre le réchauffement climatique : selon Agoria(8), dans la brochure qu’elle a publiée en 2019, la 5G, l’IdO (internet des objets) et « l’utilisation massive d’objets connectés amélioreront la gestion de l’énergie et de l’environnement, contribuant ainsi à la réalisation des objectifs climatiques européens ».

Pourtant la transmission des données par les techniques sans fil est intrinsèquement inefficace du point de vue énergétique : par exemple la 4G est environ 20 fois plus énergivore que la transmission filaire (fibre optique ou câble en cuivre)(9). Elle constitue actuellement une part importante des 4% des gaz à effet de serre émis dans le monde par le numérique, dont la consommation d’énergie croît fortement, à hauteur de 9% par an(10). Le déploiement de la 5G accélérerait plus encore cette tendance déjà délétère.

À l’heure où les signaux inquiétants se multiplient, comme la fonte accélérée des glaciers partout dans le monde et des records de température qui se répètent d’année en année, et alors que s’éloigne de plus en plus l’objectif visant à contenir le réchauffement planétaire à 1,5 degré, comme cela était prévu par l’accord de la COP21 à Paris en 2015, il est devenu impératif de limiter l’usage du sans-fil, voire même de le proscrire. Clairement, le déploiement de la 5G irait exactement à l’encontre de cet impératif.(11)

Francis Leboutte

Notes et références
  1. 9,6 millions de barils par jour pour les 48 États (sans l’Alaska et Hawaï).
  2. Données de l’EIA (US Energy Information Administration, www.eia.gov) acquises en août 2020. Il s’agit du pétrole brut auquel les condensats aux puits de gaz (pentane, etc.) sont ajoutés comme le veut la tradition – sont exclus de ces données les autres ersatz de pétrole comme les liquides de gaz naturels (butane, propane…) et les agrocarburants. Depuis 2008, la diminution de l’extraction du pétrole conventionnel est péniblement compensée par le non conventionnel (pétrole de schiste, sable bitumineux, pétrole extrait en mer à très grande profondeur…) et par l’augmentation des condensats liée à celle de l’extraction du gaz naturel. Le pic de 2018 à 84,6 millions de barils ne devrait plus jamais être atteint d’autant que les investissements dans le non conventionnel ont chuté récemment, notamment suite à la chute du cours du baril et la récession liées à la pandémie du covid-19 (en avril 2020, le volume extrait était de 82,5 millions de barils par jour). L’extraction du gaz naturel et du charbon devrait culminer cette décennie.
  3. Transposé à la situation qui nous préoccupe : si une innovation (la 5G) entraîne un gain énergétique pour une technique considérée (la téléphonie mobile), son utilisation va s’intensifier de telle sorte qu’il en résultera une augmentation de la consommation d’énergie. Pour plus d’information sur ce paradoxe, lire The Myth Of Resource Efficiency, Mike Hanis, thelandmagazine.org.uk/articles/myth-resource-efficiency.
  4. Huawei, 5G Telecom Power Target Network, carrier.huawei.com/~/media/CNBGV2/download/products/network-energy/5G-Telecom-Energy-Target-Network-White-Paper.pdf
  5. Operators Starting to Face Up to 5G Power Cost, Robert Clark, www.lightreading.com/asia-pacific/operators-starting-to-face-up-to-5g-power-cost-/d/d‑id/755255 Hugues Ferreboeuf et Jean-
  6. Marc Jancovici : « La 5G est-elle vraiment utile ? ». Le Monde du 9 janvier 2020.
  7. Everything You Need to Know About 5G, IEEE (Institute of Electrical and Electronics Engineers, « The world’s largest technical professional organization for the advancement of technology », www.ieee.org) : « Les utilisateurs de téléphones portables d’aujourd’hui veulent des débits de données plus rapides et un service plus fiable. La prochaine génération de réseaux sans fil – la 5G – promet d’offrir tout cela, et bien plus encore. Avec la 5G, les utilisateurs devraient pouvoir télécharger un film en haute définition en moins d’une seconde (une tâche qui pourrait prendre 10 minutes sur la 4G LTE). Et les ingénieurs du sans-fil affirment que ces réseaux vont également stimuler le développement d’autres nouvelles technologies, comme les véhicules autonomes, la réalité virtuelle et l’internet des objets… ».
  8. Agoria : une association belge de l’industrie et des services liés aux nouvelles technologies.
  9. Frédéric Bordage, Sobriété numérique, Buchet/Chastel, 2019.
  10. The Shift Project, www.theshiftproject.org.
  11. En prime, une autre projection de Marion King Hubbert : la consommation d’énergie fossile de l’humanité sur une échelle de 10 000 ans, diagramme établi en 1969 (représenté par le zéro sur l’axe horizontal).

 

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