Kairos N°41

septembre 2019

L’ÉTÉ SERA CHAUD !

Cet été, comme les précédents, confirme et précise les messages que la nature rend de plus en plus perceptibles : les températures grimpent inévitablement, engendrant des modifications variées et multiples sur les écosystèmes. Si, sans étonnement, ceux censés gouverner ne prennent pas la mesure de la situation, une majorité d’individus semble pourtant tout à fait s’en contenter. Combien ne se trouvent en effet pas dans cette douce schizophrénie où d’un côté ils s’effraient du « mois de juin le plus chaud jamais enregistré » alors que de l’autre ils obéissent aux injonctions de la société de consommation ? À la passivité criminelle des politiques s’ajoute donc la délirante continuité léthargique qui nous conduit au désastre. S’il est évident qu’aucun projet politique radical n’émergera d’un changement initié individuellement, il est aussi certain que les irresponsables qui ne gouvernent plus rien, sauf ce dont ils peuvent tirer profit, ne changeront pas de trajectoire et qu’il faudra passer par une révolution populaire.

L’ambiance pourrait être à l’optimisme si l’on ne ressentait pas une méfiance circonspecte vis-à-vis des nouvelles icônes de l’écologie 2.0. La principale question, pour ne prendre que Greta Thunberg, n’est pas à ce niveau de savoir si elle est ou non téléguidée par quelques instances intéressées – bien que ce point ne soit pas un détail(1) –, mais de poser la question dans un autre sens : pourquoi, alors que depuis des décennies une myriade de mises en garde nous sont parvenues de diverses sources, qui n’ont pas, ou très peu, été relayées par les médias, pourquoi tout à coup, ces médias, à la solde des plus grandes fortunes(2), changeraient de cap ? On concédera que la prise de conscience est toujours possible et que seuls « les imbéciles ne changent pas d’avis », mais malheureusement on bloque sur deux écueils en évoquant ce vieil adage populaire : pourquoi des médias qui n’ont nullement modifié leur type de structure, la concentration médiatique s’étant au contraire aggravée ces dernières années, changeraient-ils de programme sans avoir changé de logiciel ? Deuxièmement, imaginons qu’un de ces médias réfute nos analyses et établisse une incroyable contradiction entre ce qu’il est – un outil appartenant à l’oligarchie – et ce qu’il fait – chercher la vérité et informer les gens sans aucun intérêt privé –, pourquoi serait-il alors accompagné par tous les autres médias ?

Il est évident que le conformisme médiatique s’appuie ici sur l’ambiguïté des mots et des actes de Greta Thunberg, qui ouvrent les brèches permettant aux apôtres du Green New Deal de ne pas craindre que la jeune Suédoise prône une rupture totale qui irait contre leurs intérêts. Quand elle débarque aux États-Unis de son voilier sponsorisé par le Yacht-Club de Monaco, dont le skipper est le neveu du Prince Albert de Monaco (10ème dans le classement des familles royales du Business Insider, avec 1 millard de dollars), pour se rendre au sommet mondial pour le climat de l’ONU, il résonne comme une dissonance ; lorsqu’elle invite Donald Trump à « écouter la science », elle ne saisit justement pas qu’il ne fait que trop l’écouter, que c’est cette science comme religion qui a œuvré à la destruction de la planète et fait croire aux hommes qu’ils pourraient dominer la nature.

Il manque au fond toujours quelque chose dans ces prêches modernes emplies de phrases mentionnant « les gens », « l’activité humaine », « l’humanité », nourrissant la confusion et entretenant l’illusion que « tous » nous sommes responsables et que « tous » nous pouvons faire quelque chose. Il y a comme une partie majeure du monde absente dans cette représentation de l’humanité, celle qui, comme la nature, souffre des déprédations de nos sociétés productivistes, de l’avidité d’une minorité, de l’inconscience de la masse. Tout comme il y a une ingénuité démobilisatrice dans les appels lancés aux gouvernements, lesquels font intimement partie du problème.

Si Greta et les autres instillent le goût de la révolte, cela aura été une bonne chose. Jusqu’ici pourtant, soutenue par les entrepreneurs verts, elle symbolise, peut-être malgré elle, le changement dans la continuité, l’insolence de l’être humain s’érigeant en sauveteur de la planète, la transition douce avec éoliennes et panneaux photovoltaïques. Nous sommes dans une ère où le pouvoir en place mettra tout en œuvre pour qu’une révolution, dans le sens d’une modification radicale de nos façons de penser, de vivre, de décider, n’ait pas lieu. Il jouera de l’équivoque, que les égéries médiatiques entretiennent. Il faut regarder la réalité en face et constater que notre « perception immédiate, même quand elle est obligée de constater la dégradation de la réalité environnante, sait indéfiniment s’ingénier à ne pas conclure »(3), sans doute parce que « nos conclusions ne viennent pas tant de nos sensations, de notre perception immédiate des nuisances, qu’elles ne les orientent et ne les déterminent : il faut s’être déjà fixé un critère de ce qui est supportable et de ce qui ne l’est pas pour décider insupportable tel ou tel aspect de la dégradation des conditions d’existence, que toléreront parfaitement toutes sortes d’honnêtes citoyens ».

Il semble pourtant urgent de « conclure » une fois pour toutes, d’arriver à une « critique unitaire de la société » (Guy Debord), de ne plus accepter l’inacceptable. Et en tirer les conséquences.

Notes et références
  1. Question qu’il est interdit de se poser, sous peine d’être taxé de « complotiste ». Un, parmi des dizaines : « Le mystère Greta à l’épreuve du scepticisme », Le Soir, 14–15 août.
  2. « Seriez-vous Libre® ce Soir® ? Ou comment les médias-industries détruisent la pensée», www.kairospresse.be
  3. Encyclopédie des nuisances, discours préliminaire, Éditions de l’encyclopédie des nuisances, 2009, p. 28.

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