TRANSITION PIÈGE À CON ?

(1ère PARTIE)

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De nombreux écologistes, de longue date ou acquis plus récemment à la cause, développent une confiance totale dans les énergies dites renouvelables en opposition au Mal que constituent les énergies fossiles. Les renouvelables seraient vertueuses et la solution à la « transition écologique » ou « énergétique ». Pourtant les différentes sources d’énergie ont souvent comme objectif la production d’électricité.

Lors d’un weekend passé avec l’association Technologos à l’Amassada (ce qui signifie assemblée en occitan), lieu de lutte contre la construction d’un super-transformateur électrique, nous constations avec regret que parmi les luttes écologistes autour de l’énergie et des infrastructures dans le monde (méga-barrages, charbon, gaz de schiste…) aucune d’entre elles n’allaient jusqu’à questionner la finalité électrique. La production électrique, tout comme l’extractivisme qui y est associé, suit pourtant une courbe exponentielle et malgré cela les responsables électriciens ne sont jamais épinglés par les environnementalistes. D’autant plus que la société China Energy émet par exemple une quantité d’émissions de GES quatre fois supérieure à celles des quatre plus gros pétroliers mondiaux.

RÉCIT D’UNE LUTTE CONTRE CE CAPITALISME VERT EN RÉCUPÉRATION PERMANENTE

À l’Amassada, Saint-Victor-et-Melvieu dans l’Aveyron, on peut lire des « RTE dégage ! ». Le Réseau de transport d’électricité est une filiale d’EDF, société anonyme chargée du transport de l’électricité haute tension, par un contrat de service public mais malgré cela elle répercute tous ses coûts sur les tarifs des usagers. Sa volonté est d’installer un transformateur électrique géant ainsi qu’un parc d’éoliennes industrielles. Le transfo occuperait pas moins de 5 à 6 hectares de terres agricoles qui sont les meilleures du plateau. Pourtant, la loi Alur, ainsi que le Parc régional des Grandes Causses, interdisent la suppression de terres agricoles. RTE, comme EDF avec le nucléaire, procède par conséquent à des achats de terres avec l’accord des communes en leur versant une somme de 600.000€ par an comme c’est le cas pour la commune de Saint-Victor-et-Melvieu.

Début 2010, le maire valide le projet sans consulter les agriculteurs et les habitants et falsifie un compte rendu de délibération du Conseil municipal où la question n’a pas été abordée.

Deux conseillères municipales peu satisfaites de cette décision engagent une résistance. L’association Plateau survolté est créée et cherche à informer la population locale. 80% des habitants de la commune signent une pétition qui est envoyée au préfet mais cette dernière restera lettre morte. L’association organise des réunions publiques et mobilise activement lors de l’enquête d’utilité publique.

Aux municipales de 2014, un nouveau maire est élu sur une liste d’opposition au projet. Mais la mobilisation contre le projet reste compliquée du fait de l’hostilité des autres maires de la communauté de communes. Durant l’hiver 2014–15, avec l’accord du propriétaire, une maison est construite au cœur des terres impactées. En 2017, 134 « indivisibles » signent l’acte de propriété en indivision de la parcelle occupée, comme cela s’est fait autrefois au Larzac, dans le but de ralentir l’expropriation. En 2017 est également créée une autre association, L’université rurale du Sud-Aveyron, avec comme objectif de « développer une capacité de mieux penser et agir en faveur de la vie et de la sauvegarde des territoires ruraux ».

Malgré l’opposition, Nicolas Hulot signe en juin 2018 le décret d’utilité publique qui autorise le transfo. En août 2018, un recours est déposé, avec comme arguments le manque d’étude d’impact, la non-concertation et la non-utilité du projet. À 2019 l’instruction vient de s’achever et l’affaire sera jugée fin 2020.

ACCUMULATION PLUTÔT QUE TRANSITION

En décembre 2018 le préfet avait ordonné l’expulsion des habitants du lieu en question, l’Amassada ou assemblée en occitan. Puis, il en ordonna une nouvelle juin 2019. Conséquence de la répression : arrestations, inculpations pour « association de malfaiteurs », « entrave à la circulation », référés avec demande d’interdiction de territoire et prises d’empreintes et d’ADN. D’une manière générale, les rapports avec les écologistes officiels sont compliqués. Selon eux, l’éolien comme toutes les énergies « vertes » sont à défendre sans distinction. Sur la lutte contre l’éolien industriel, à Europe Écologie Les Verts comme à la Confédération paysanne, les positions sont partagées. José Bové, lui, a fini par prendre position en faveur du projet au nom de la défense de l’éolien en opposition au nucléaire.

Au-delà des manœuvres politico-financières, il y a donc aussi un coût écologique et énergétique loin d’être négligeable. 1.500 tonnes de béton enterrées sont nécessaires pour construire et installer ces éoliennes. De nombreux métaux plus ou moins rares dont l’extraction est polluante sont indispensables ainsi que les batteries pour stocker l’énergie.

Les débats autour de l’écologie et du climat sont désormais encadrés sous la bannière de l’expression « transition énergétique ». Jean-Baptiste Fressoz a montré dans de nombreux textes et interventions que l’expression « transition énergétique » est source de confusion. À l’Amassada, de nombreuses personnes dénonçaient également ces projets de « transition » organisés par les différents pouvoirs, mettant bien en évidence qu’il n’y a pas de transition mais plutôt une accumulation, comme tant de projets énergétiques, à l’exemple du transfo géant que veut installer RTE à Saint-Victor-et-Melvieu.

La logique s’avère toujours la même : plus de production pour plus de consommation et l’électricité serait un besoin primaire dont on ne peut discuter mais, pourtant, quand on réfléchit aux usages tant dans l’industrie que dans le secteur domestique et des services, la consommation pourrait être bien moindre et éviter ce genre de dévastation du territoire.

La promotion des énergies renouvelables pourrait s’accompagner d’une réduction des consommations parallèlement à leur relocalisation, et non poursuivre un imaginaire et un fonctionnement appelant à toujours plus de production. Comme l’écrivait François Jarrige dans La Décroissance de février 2019, « l’éolien sera utile et même nécessaire, mais il ne pourra jamais produire l’abondance énergétique que nous ont offert pendant des décennies le charbon et le pétrole bon marché. Il aura sa place dans un mix énergétique décentralisé, adapté aux besoins locaux, mais il ne pourra pas être la solution miraculeuse que tant d’acteurs cherchent frénétiquement ».

Robin Delobel

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