LES MOTS-MAUX DU « PACTE »

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À moins que vous n’ayez passé votre temps à regarder des fanfares de homards ou à écouter des histoires de pizzas livrées dans une maison présidentielle en France, le Pacte pour un enseignement d’excellence, en Fédération Wallonie-Bruxelles, n’a pu vous échapper. Surtout si, bande de veinard∙e∙s, vous faites partie des privilégié∙e∙s dont les bambins, entrant en maternelle, vont pouvoir essuyer les plâtres de leurs petits bras potelés. Vous en avez de la chance ! Dans la joie et la bonne tumeur, mettons nos enfants au travail pour les rendre aptes aux jobs jobs jobs le plus tôt possible. La révolution managériale est en marche.

Tous les journaux en ont parlé. Les médias nous ont sorti leur grosse artillerie quotidienne, sur une musique de John Barry tendance Dents de la mer. Mais qui a peur de ce merveilleux pacte ? Qui le remet en cause ? Qui ose le critiquer, alors que ce merveilleux produit de « négociations », de « réunions » et d’« avis » est une réforme dont la conception inhabituelle (2 ans de concertation sous l’égide de la ministre Marie-Martine Schyns) a pour vocation affirmée de mettre fin à des pandémies scolaires : le redoublement, l’enseignement de moins en moins différencié, l’inégalité d’une école à l’autre…

Le drame s’est déroulé essentiellement dans les coulisses des partis (même si les « acteurs » de l’enseignement étaient conviés à donner leur avis pour rendre plus « performant » le « processus » afin d’augmenter la rentabilité d’un système dans lequel, grands dieux, il n’y a pas de compétition, pas d’irruption du « marché », pas de « contrôle », puisque l’efficacité du système n’est pas du tout à remettre en cause. Ah bon, vraiment ? Pour y voir plus clair, on peut être tenté de se rendre sur le site internet dédié à cette réforme d’ampleur(1). Entre autres documents, comptes-rendus, on nous invite à lire le texte du pacte. On va en savoir plus, au fil des 350 pages et des poussières qui constituent ce chef‑d’œuvre, sur un processus qui couvrira les rentrées pendant une dizaine d’années, le temps, sans doute, de la « progressivité ».

Merveilleux site où, sur la droite des informations capitales, figurent – de manière totalement attendue – les mots-clés. Le bonheur sur terre. Entre l’onglet sur les « aides administratives », celui sur la « concertation », le « redoublement », l’« art et la culture », le sacro-saint « numérique » et la « consultation », apparaissent des mots nouveaux, dont un groupe de trois lettres, le « DCO ». Késako ? C’est un Délégué au Contrat d’Objectifs. Qu’a‑t-il (ou elle) de plus que vous ? Naturellement, il (ou elle) est formé·e pour vous dire si vous entrez dans les clous de ce qu’il faut en Fédération Wallonie-Bruxelles pour plaire aux attendus du Pacte. En d’autres termes, non, on ne vous tapera pas sur les doigts si vous n’y arrivez pas, mais on vous fera clairement sentir que vous n’avez pas respecté vos objectifs (méchant·e·s que vous êtes). Le tout dans un esprit de collaboration totale, bien entendu, puisque ce contrat se fera sous la forme d’un « Plan de pilotage » qui a occasionné de nombreuses heures supplémentaires à des équipes pédagogiques (en même temps, tout le monde sait qu’ils passent leur vie à dilapider leur somptueux salaire dans des activités qui ne servent à rien).

Citons les propos d’un des communicants de ce site, Olivier Laruelle : « Pour rappel, le projet de décret sur le nouveau cadre de pilotage définit les objectifs à atteindre par le système scolaire dans son ensemble, à savoir les «objectifs d’amélioration», ainsi qu’un cadre d’élaboration des plans de pilotage/contrats d’objectifs spécifiques pour chaque établissement scolaire. »(2)

Les « objectifs » (vu 316 fois dans l’avis final, préparatoire au Pacte !) à « atteindre » (42 fois) par le système scolaire, c’est-à-dire les bénéfices ou éléments positifs engrangés, produits par le « système » scolaire (mot dont on notera quand même qu’il se retrouve 197 fois dans la note finale, approuvée par le gouvernement de la FWB). Le système scolaire, c’est-à-dire tous les « acteurs » (157 fois dans le Pacte) de ce « processus » (98 fois). Ce n’est pas clair ? Mais c’est quand même écrit, et les « acteurs » se plieront à ces objectifs (ou, plus joliment dit, ils devront « objectiver les besoins »), par belle ou par laide. Avec quels outils ? Dans le jargon utilisé par les (courageux) rédacteurs, on notera par exemple la surabondance du « numérique » (84 fois dans le document). Cela ne vous a pas suffi ? L’explication de ces objectifs à atteindre ? Des objectifs d’amélioration. Et en d’autres termes ? La tentation nous prend alors de consulter le document afin d’y trouver les termes « améliorer » ou « amélioration » qui s’y trouvent, au total, 49 fois pour le verbe et 47 fois pour le substantif. Le tout au travers de dispositifs (198 fois), terme aussi intéressant qu’imprécis.

Ça ira mieux demain, nous serine-t-on. L’encadrement sera augmenté (on sait que la pénurie d’enseignants, c’est un marronnier des médias qui insistent 3 jours plus tard sur ce métier qui attire de plus en plus de jeunes, en oubliant d’ailleurs de préciser qu’une part non négligeable quitte le métier pour d’autres raisons que la valeur économique, le bien-être par exemple, ou la reconnaissance sociale, alors que beaucoup persistent à parler de planqués…). On prendra plus en compte les aménagements raisonnables pour tous les élèves ayant des troubles d’apprentissage. On renforcera la concertation entre professeurs. Et bien d’autres belles choses encore qui promettent un futur radieux (en n’oubliant pas que le « budget », mot cité 166 fois dans le document final du Pacte, est un paramètre, disons, essentiel à prendre en compte). Faire plus, alors, avec plus d’argent ? Non, organisons-nous pour que l’enseignement s’améliore en ne dépensant pas plus d’argent (il ne faut pas faire peur tout de suite, « économie » n’est présent que 19 fois). Mais bon sang, c’est bien sûr ! Il faut contrôler mieux et plus ce que l’on fait avec l’argent. Vérification des manuels utilisés, des sommes dépensées pour la culture et les voyages, des contenus des cours, du respect des programmes, …en bref, le « contrôle » apparaît 18 fois et il est dit qu’il doit être renforcé. Halte aux abus ! L’argent doit être mieux dépensé. Vous n’avez quand même pas pensé qu’on vous paierait à ne rien faire, non ? Pourtant, la « confiance », elle, résiste, et apparaît 19 fois. Ouf. Tant que certains enseignants pratiqueront leur métier avec passion et compétence … La situation n’est peut-être pas foutue.

« Cette nouvelle gouvernance s’inscrit pleinement dans l’esprit du Pacte visant à faire évoluer, avec l’ensemble des acteurs concernés, notre enseignement vers une école plus efficace et plus équitable. » ajoute Laruelle dans le même article.

Ah tiens, vraiment ? Vérifions dans le texte de l’avis final. « Équitable » apparaît glorieusement 3 fois (dont deux dans les constats du début du document) et « efficace » 18 fois, souvent avec un autre magnifique mot, « gérer ». Ajoutons que le substantif « efficacité » (qui doit être mesurée, améliorée…) apparaît 36 fois et l’adverbe « efficacement » 1 seule fois en compagnie (toxique) du mot « gérer ».

L’école deviendra-t-elle plus efficace ou plus équitable ? Arrivera-t-elle à atteindre cette « excellence » (qu’on appelle 41 fois de ses vœux dans l’avis final. L’effet placebo, sans doute) ? L’inégalité sera-t-elle réduite ? Les enfants, surtout, conserveront-ils dans ce monde d’efficacité, la fraîcheur ? Les professeurs et membres des équipes éducatives parviendront-ils à garder leur identité, leur force, leur passion pour ce qui reste le plus beau métier du monde ?

Avec un tel inventaire productiviste, ce n’est pas absolument sûr. Un pari positif est possible, si dans la pratique ce langage impersonnel et accablant est abandonné au profit de pratiques humaines, solidaires, équitables, raisonnables et, surtout, justes.

Marcel Duchamp

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