Le « populisme » dans les médias, entre épouvantail et vache à lait
De nos jours, il est facile de se refaire une virginité éthico-politique ou de conforter sa bonne réputation de démocrate ; il suffit de tirer à boulets rouges (bleus ?) sur le « populisme »(1), exercice dans lequel excellent les médiacrates, qui confirment par là plus que jamais leur rôle de chiens de garde. Désigner le camp du Mal et, par opposition, se positionner dans le camp du Bien, voilà qui fait recette. Faire danser la marionnette populiste pour, par contraste, rendre sympathique ou faire accepter la nomenklatura capitaliste, malgré ses malversations (affaires Pénélope Fillon en France, Chodiev et Publifin en Belgique), voilà un truc qui se voudrait efficace. Sur France-Inter le 2 mars 2017, Frédéric Beigbeder imaginait l’Hexagone sous la coupe de Marine Le Pen et en profitait pour passer la pommade sur les membres de sa caste, « ceux que les populistes taxent de bobos droits-de‑l’hommistes » (sic). Et encore une louche de moraline libérale de gauche !
« Chez nous », l’éditorial de Béatrice Delvaux dans Le Soir du 1er mars, « Populiste, dis-nous ce que tu vas faire et qui tu fréquentes » exsude l’aveuglement idéologique, à moins que ce ne relève du cynisme. Morceaux choisis et commentaires :
- « Chez nous(2) remontre les fondements d’un programme qui manipule les sentiments et embrigade des gens désemparés, réexpose une entreprise de communication et de marketing bien rôdée ». Ce « programme » décrit ici ressemble étrangement à celui… du néolibéralisme. Mais ça, B. Delvaux ne le « voit » pas.
- « Les populistes […] prennent le risque de déstabiliser leur société et le monde, et nomment de dangereux idéologues à des postes-clés ». Rappel : ce sont les néolibéraux qui ont commencé à déstabiliser la société et le monde il y a une trentaine d’années et ont nommé « de dangereux idéologues à des postes-clés » : d’abord Margaret Thatcher et Ronald Reagan, puis Christine Lagarde au FMI, Pascal Lamy à l’OMC, Mario Draghi à la BCE, Jean-Claude Juncker à la Commission européenne, etc. On peut soupçonner ces hauts fonctionnaires adeptes du pantouflage d’être aussi, comme l’écrit plus loin B. Delvaux à propos des hommes de l’ombre de l’extrême droite, « peu soucieux de l’État de droit, non passés par les urnes ».
- « Une fois élus, rien ne peut, à leurs yeux, les arrêter », prévient B. Delvaux en parlant de Trump, Le Pen et Wilders. Les exemples d’honorables mandataires issus des partis démocratiques (sic) qui manifestent des tendances au césarisme ne sont pas rares, de Nicolas Sarkozy naguère à Recep Tayyip Erdogan actuellement. Sans parler des chefs d’exécutif jamais élus, comme Mario Monti, un consultant de la banque Goldman Sachs qui dirigea l’Italie de 2011 à 2013, pour ramener le peuple dans les clous.
- « Lorsque les populistes sont au pouvoir, la démocratie change de nature et la majorité devient un totalitarisme de droit populaire ». Pas besoin d’attendre les populistes pour que la démocratie « change de nature». Cela fait longtemps qu’elle a changé de nature pour devenir ce que Raffaele Simone appelle une démocratie de basse intensité, où l’abstentionnisme électoral élevé amène la minorité à désigner la majorité(3). Et cela n’est pas contradictoire avec la tyrannie de la majorité, un fait social total déjà relaté par Tocqueville en 1835 dans De la démocratie en Amérique.
Tout bien réfléchi, la prose de Béatrice Delvaux fait penser à un acte manqué. Une bonne partie de ce qu’elle reproche prospectivement au populisme (de droite !) caractérise en fait le système existant qu’elle défend bec et ongles à longueur d’éditoriaux. Il lui aurait suffi de changer juste deux ou trois termes par d’autres pour que tout s’éclaire. Qu’à cela ne tienne, nous sommes là pour l’y aider !
Enfin, une précision, car on ne sait jamais : À Kairos nous détestons l’extrême droite et ne voulons pas la voir arriver au pouvoir. Mais il n’y a pas de raison de s’accrocher, avec enthousiasme ou avec l’énergie du désespoir, à « notre » démocratie libérale de marché, entrée dans sa phase terminale. L’équation est pourtant simple : ni MacWorld, ni djihad, ni néo-fascisme. C’est à la fois simple à constater et très compliqué à mettre en œuvre.
Bernard Legros
Notes et références
Sans d’ailleurs préciser si ce populisme est de droite ou de gauche. Pour une analyse du phénomène populiste, nous renvoyons au n° 81 de Bruxelles Laïque Échos, « Qui mène le ballet populiste ? ».
Film de Lucas Belvaux (2017)
Raffaele Simone, Si la démocratie fait faillite, Gallimard, 2015, p.215.