LA VICTOIRE DES PIN-UP

Puisque tout article commence par une définition étymologique de ce dont on parle, précisons immédiatement aux malotrus qui ne maîtriseraient pas l’anglais que pinup n’évoque nullement la direction ascendante d’un quelconque membre viril mais bien le fait d’épingler sur un mur un dessin ou une photo d’une jeune dame très légèrement vêtue.Puisque tout article commence par une définition étymologique de ce dont on parle, précisons immédiatement aux malotrus qui ne maîtriseraient pas l’anglais que pin-up n’évoque nullement la direction ascendante d’un quelconque membre viril mais bien le fait d’épingler sur un mur un dessin ou une photo d’une jeune dame très légèrement vêtue. 

Le terme est apparu en 1941 quand les militaires états-uniens, attendant de monter au front, garnissaient leurs chambrées de photos d’actrices ou de starlettes plutôt jolies. Mais, le philosophe DanyRobert Dufour date l’apparition spectaculaire des pin-up bien plus tôt, en mars 1929. Dans son livre La cité perverse(1), Dufour décrit la manifestation spectaculaire organisée par Edward Bernays qui avait annoncé à tous les médias une action où l’on verrait brandir des « flambeaux de la liberté ». Et de fait, le jour venu, une troupe de jolies pin-up manifestèrent en exhibant fièrement des… cigarettes allumées. Cette très efficace action publicitaire est le symbole parfait de la tactique du premier théoricien de la publicité que fut Bernays(2). Ce neveu de Freud avait bien retenu la leçon de son tonton qui avait affirmé que le mobile caché de la plupart des actions humaines est la pulsion sexuelle. Ainsi donc, pour convaincre les femmes de dépasser la réprobation sociale qui disait qu’une femme qui fumait était une dépravée, Bernays en a fait le symbole de la libération de la femme. En leur permettant de voler aux hommes ce symbole phallique miniature qu’est la cigarette, il leur faisait croire qu’elles luttaient pour leur libération. En fait, elles se préparaient à une addiction à une drogue aux effets très nuisibles pour leur santé mais il faut bien vendre, n’est-ce pas, même des produits porteurs de mort. Ce renversement des valeurs, le vice devenu vertu, est la base même de toute l’idéologie libérale et de la manipulation psychologique dont Edward Bernays, ce malfaiteur de l’humanité qui vécut 103 ans, est l’incarnation. 

Depuis ces premières pin-up qui pompaient langoureusement leur cigarette-phallus, les jeunes dames court-vêtues sont devenues l’accessoire central de beaucoup de publicités. L’on croit généralement que de mettre une fille quasi nue sur le capot d’une voiture est le modèle de la pub sexiste destinée aux mecs. Mais, souvent, lier un produit à une jolie femme dans un environnement agréable est destiné à faire croire aux victimes féminines de la pub qu’en acquérant le produit X ou Y, elles seront séduisantes et désirables. 

Avec le temps, les pubs sexistes sont devenues de plus en plus hard, avec le soft porno dont Dolce&Gabbana s’est fait le spécialiste : limite carrément dépassée… Avouons qu’il y a parfois des pubs sexistes qui peuvent faire sourire. Citons celle de la crème semi-épaisse Babette de Candia qui dit de son produit « Babette, je la lie, je la fouette, et parfois elle passe à la casserole ». Osé, mais au moins il y a de l’humour. Les mouvements féministes ont encore du pain sur la planche et une alliance avec les collectifs antipub serait utile car c’est dans ce secteur indispensable à l’obsession croissanciste que l’on retrouve le plus de manifestations de ce qui fait dire à Dany-Robert Dufour, dans son livre La Cité perverse, que nous vivons en pornocratie. En 2009, il dénonçait la victoire des pin-up en regrettant que la première dame de France soit une starlette, un peu trop femme-objet à son goût. On se demande ce qu’il pense de la femme totalement objet qui est l’épouse de Supermacho, celui qui est devenu président des Etats-Unis… 

Alain Adriaens 

Notes et références
  1. Dany-Robert Dufour, La cité perverse, Denoël 2009, Folio essais 2012.
  2. Edward Bernays, Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie, Zones, [1928] 2007.

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