Guerres étrangères et domination occidentale: Silence radio, tout est clair.

Il y a certains sujets pour lesquels le doute n’est pas permis, même chez ceux qu’on penserait rétifs aux vérités consensuelles, engagés qu’ils sont dans des luttes qui semblent a priori contraires à la doxa. Partagée par l’ensemble du spectre politique, acceptée autant à « gauche » qu’à « droite », reconnue et appréciée par le patronat, la lecture des faits ferait l’objet d’un large consensus public qui l’érigerait en forme de vérité indiscutable. Le sujet qui doute et se  questionne, du seul fait d’oser dé er la « vérité médiatico-politique », serait dès lors l’objet d’une excommunication brutale et prompte, marqué de l’image du « réactionnaire », assimilé aux pires ennemis et coiffé désormais du sceau de l’infâmie, accolé des pires substantifs (extrémiste, révisionniste, négationniste, conspirationniste, populiste…), quali catifs qui éloignent d’emblée, par crainte de l’assimilation, ceux qui recherchaient une autre information.

Pourfendeurs des « vérités qui arrangent », les hérétiques seraient automatiquement associés au camp adverse. Nous avons nous-mêmes été frappées par les foudres de la bien-pensance, assise dans ses certitudes, alors que nous rejetions la vérité construite par le monde médiatico-politique au sujet de la Syrie. Dans le cas de cette guerre d’intérêt comme les autres, exprimer la manipulation des informations au pro t des intérêts occidentaux vous place rapidement dans le camp des « pro-Bachar » ou des « pro-Poutine », et vous range dé nitivement dans la catégorie des non-crédibles.

Il est encore étonnant de voir comment, même parmi ceux qui se disent de gauche et se pensent « éclairés », nombreux décident d’arrêter leur pensée devant certaines zones qu’ils circonscrivent et définissent comme impraticables, comme si toutavait déjà été dit, que le terrain avait été longuement pensé par eux et que la conclusion était faite, une fois pour toutes. Sorte de terrain miné, espace « déjà-pensé » qu’il ne s’agirait aucunement de soumettre à l’exercice du doute, ou bien à le faire à ses risques et périls. Une fois la guerre passée et l’aveu des erreurs fait — Obama n’a‑t-il pas déclaré que la guerre en Irak fut une erreur, déclaration pesant peu face aux centaines de milliers de morts -, la bien-pensance en serait déjà à avaler derechef les mêmes sornettes qui précipitèrent les interventions passées.

C’est que le sujet divise, là où nous devrions plus que jamais nous unir dans la lutte. Mais est-ce une division qui se fonde sur des points de divergence super ciels? Rien n’est moins sûr. Persuadé d’être à l’abri de la propagande, le citoyen perroquet des vérités rabâchées par les médias à longueur de journée, serait pourtant également « confectionné par les images »(1), réceptacle malgré lui, au même titre que d’autres habituellement non conscients d’être les sujets de la propagande occidentale. De façon toutefois plus pernicieuse dans le premier cas, car « ce qui fait la force d’un système idéologique est le degré auquel ses  présupposés sont partagés par ceux-là mêmes qui pensent en faire la critique la plus radicale »(2). Les pourfendeurs habituels de l’ordre établi, opposés aux  exclusions des chômeurs, aux centres fermés, aux violences policières, à la domination du patronat… seraient d’autant plus crédibles pour leurs acolytes qu’ils ont raison dans les autres domaines. N’est-ce pas pourtant dans les présupposés qu’ils partagent avec leurs ennemis, qu’on pourrait trouver le cœur idéologique de la domination ?

C’est ce que nous tenterons de creuser dans ce dossier, sans craindre d’approcher les zones interdites de la bienpensance, quitte à être taxé des pires qualificatifs, tentant de répondre à quelques questions, essentielles: par qui le terrain a‑t-il été miné après avoir été soi-disant foulé par leur esprit(3)? D’où proviennent les informations qui ont permis au sujet de se construire une opinion ? Pourquoi certains sujets réveillent-ils des réflexes de défense chez un individu assuré d’être dans le vrai et certain de l’inutilité de tous  questionnements, qui refuse de débattre et catégorise très vite son interlocuteur par des traits associés à l’expérience allemande, le point Godwin frappant l’heure de la censure ?(4) Si ce refus de penser semble être presque instinctuel, que sert-il ? Assure-t-il paradoxalement la continuité de la domination ?

Au fond, que cachent ces dichotomies simplistes ?

Dossier réalisé par Alexandre Penasse

Notes et références
  1. Serge Halimi, Dominique Vidal, Henri Maler, Mathias Reymond, L’opinion, ça se travaille… Les médias et les guerres justes, Agone, 2000–2014.
  2. Jean Bricmont, Impérialisme humanitaire. Droits de l’homme, droit d’ingérence, droit du plus fort ? Aden, 2005, p.105.
  3. En d’autres termes, qui l’a pensé avant, pour le déclarer impensable ensuite.
  4. « Instant d’une conversation où les esprits sont assez échauffés pour qu’une référence au nazisme intervienne » (Wikipedia).

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