Tous nous promettent que la croissance reviendra, des « socialistes » aux libéraux, en passant par les syndicats et les lobbys patronaux. Chez nos voisins, Hollande, dans son allocution du 14 juillet, tentait de persuader les Français qu’elle était aux portes de l’Hexagone, mais qu’il manquerait juste à ses compatriotes un fond de piété : « pour qu’il y ait de la croissance, le premier principe, c’est la confiance »… certes, on nous avait déjà prévenu qu’il était vain de se rendre à Lourdes si on ne croyait pas aux miracles. Penser qu’ils viendront suffit donc à les faire advenir. Beau projet.
Les acteurs politiques l’ont bien compris : susciter l’espoir facilitera l’acceptation. Promise depuis des années, chimère lointaine visant à mieux faire accepter au sujet son quotidien et les sacrifices « nécessaires », l’absence bruyante de prémisses à une quelconque « reprise » en laisse toutefois de plus en plus dubitatifs, faisant place aux faux-remèdes visant à les rassurer. Ceux-ci tentent la gageure de faire autant avec la même chose, ou encore, parfois, de faire mieux avec moins… en continuant à faire comme avant. Formes de grappillage sur ce qui reste, d’aménagement de temps sans modifications structurelles, ces fausses solutions, dont l’effet avéré s’arrête souvent à l’annonce, sonnent comme un aveux secret qu’on ne touchera pas au fond du problème, et que l’on continuera à faire « comme si ». Jusqu’à quand ? Dernier exemple en date, la Communauté française Wallonie-Bruxelles, qui annonçait il y a quelques semaines sa grande révolution, celle qui allait enfin donner à l’enseignement sa qualité démocratique : les écoles allaient pouvoir réduire leur période de cours de 50 à 45 minutes pour récupérer du temps pour d’autres tâches. Sans commentaires.
Outre les annonces lénifiantes, il faudra, pour assurer la servitude volontaire, créer le sentiment d’ « unité », nourrir l’illusion que nous ne faisons qu’un, que le corps social n’est pas traversé de conflits et que l’espace social n’est pas clivé en groupes inégaux. En France et ailleurs, ce sera la grandeur nationale : « les Français se disent nous sommes dans un grand pays, nous ne devons pas céder au dénigrement de nous-mêmes, au pessimisme, à une forme de résignation. Non ! Nous sommes un grand pays. Pas simplement sur le plan militaire parce que nous avons eu cette intervention au Mali, pas parce que nous avons une armée, une défense nationale, ça compte. Nous sommes un grand pays industriel, technologique. » La fierté nationale, la compassion commune, le « nous », galvaniseront les foules. En Belgique, l’abdication du roi Albert II et le sacre du roi Philippe, hypermédiatisés par les professionnels du journalisme, nourriront l’illusion de ne faire qu’un. Main dans la main, tous dans le même bateau… alors que clivages et inégalités demeurent et se creusent.
Ailleurs pourtant, dans d’autres sphères, les bonimensonges se révéleront pour ce qu’ils sont : « les estimations sont encore en cours mais nous savons que cette chute de la croissance nous obligera à des efforts supplémentaires considérables. Efforts qui eux-même contribuent à la baisse de la croissance [note
- Elio Di Rupo, lors d’un discours à l’Assemblée Générale d’Assuralia, Union professionnelle des entreprises d’assurance, 27 février 2013. www.premier.fgov.be
]», avoua Elio Di Rupo devant un public prêt à l’entendre… ces « efforts » ne les concernant que très peu.
Face à de tels ectoplasmes politiques dont la vision indigente nous précipite très certainement vers le pire, Albert Jacquard avait bien saisi l’enjeu, lui qui nous a quitté ce 11 septembre. Mais alors que les différents « organes de presse », pour ne pas dire « du pouvoir », relayaient sa disparition, ont-ils compris, et appliqué, ne fut-ce qu’une once des principes qu’il préconisait ?
Si ce n’est le cas, qu’ils se taisent… enfin!
Alexandre Penasse