La guerre sans fin contre le terrorisme

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Le 9 juin dernier, Edward Snowden, ancien employé des services de renseignements des États-Unis, reconnaissait être à l’origine des révélations sur le programme secret de surveillance de la NSA (Agence de sécurité des États-Unis). Documents officiels à l’appui, il a démontré que la NSA dispose, grâce à la technologie digitale, du pouvoir de surveillance de tous dans le monde. Le programme PRISM lui permet d’accéder aux données des internautes, où qu’ils se trouvent, grâce à la complicité des fournisseurs (Google, Facebook, Microsoft, Apple, Yahoo,…) qui relayent ces données à la NSA. Tout citoyen du monde étant un terroriste en puissance, l’administration Obama considère comme légitime cette intrusion systématique dans la vie privée non seulement des citoyens américains mais aussi de celle de tous les terriens, pourvu qu’ils soient connectés.

Les responsables politiques européens ont feint de s’offusquer pendant quelques heures; eux qui proclament leur amitié et leur fidélité sans faille à leur puissant allié peuvent difficilement reconnaître publiquement être l’objet d’un programme de surveillance active par ce même allié. Naïveté, hypocrisie, ou … dissonance cognitive? Probablement un peu de tout cela. A l’heure du tout numérique et alors que les Américains ont fourni au monde entier les infrastructures de communication, il est logique d’admettre qu’ils en ont le contrôle de fait. 

l’effondrement de l’esprit Critique 

La paranoïa entretenue depuis le 11 septembre 2001 à propos du risque terroriste sur le territoire américain laisse penser que le pouvoir US s’autorise à utiliser tous les moyens à sa disposition pour contrer toute menace potentielle d’où qu’elle vienne. Le respect de la vie privée n’est pas le souci premier des services secrets, a fortiori quand ils sont légitimés par les pouvoirs en place. Les responsables européens le savent et leurs propres services secrets, avec des moyens certes moindres, sont loin d’être irréprochables à cet égard. Mais ce qu’ils savent par-dessus tout c’est que, depuis douze ans, les États-Unis sont en guerre permanente. La guerre contre le terrorisme déclarée solennellement par George Bush au lendemain du drame du 11 septembre a reçu l’assentiment explicite de ses alliés de l’OTAN; j’entends encore Guy Verhofstadt, premier ministre belge à l’époque et, à ce titre, en charge de la présidence du Conseil européen, lancer avec chaleur et conviction au parlement européen: « Aujourd’hui, nous sommes tous Américains! ». Depuis 12 ans, les Européens ont avalisé ou, à tout le moins, accepté sans grande réticence les initiatives les plus critiquables de leur puissant allié. Mieux, ils se sont clairement alignés sur les États-Unis en adoptant des mesures anti-terroristes inspirées par eux. 

La vision apocalyptique de l’effondrement des tours jumelles à New York a frappé les esprits et créé un sentiment d’insécurité annihilant l’esprit critique du plus grand nombre et des responsables politiques en particulier, et justifiant a priori toute initiative visant à éliminer un terroriste potentiel, au mépris des libertés individuelles, du respect de la vie privée et du droit international. C’est ainsi qu’au nom d’une conception étrangement élargie de la légitime défense, les bombardements d’Afghanistan en automne 2001 ont été validés par le Conseil de Sécurité des Nations-Unies, l’Afghanistan étant présumé être la base d’opération d’Al-Qaïda. C’est au nom de la guerre contre le terrorisme que l’Union européenne a adopté en 2002, dans la précipitation et de manière fort peu démocratique, une législation attentatoire aux libertés individuelles (décision-cadre 2002/475/JAI), laquelle a conduit à des violations flagrantes des droits fondamentaux. Le Conseil des ministres européens de la justice a même durci cette législation en novembre 2008 (décision 2008/919/JAI): la « provocation au terrorisme », concept particulièrement flou, s’est ajoutée aux types d’incrimination initialement retenus. Aux États-Unis, c’est le 26 octobre 2001 que la loi anti-terroriste « Patriot Act » a été promulguée, dans le contexte de peur provoqué par les attentats du mois de septembre. Cette loi porte le nom complet « Uniting and strengthening America by providing appropriate tools required to intercept and obstruct terrorism » (soit « Unir et renforcer l’Amérique en fournissant les outils appropriés pour intercepter le terrorisme et y faire obstacle »).

terrorisme d’état

Ces outils appropriés ce sont notamment les drones armés télécommandés utilisés pour les assassinats ciblés de présumés terroristes à l’initiative de la CIA. Ces assassinats ciblés ont eu lieu en Afghanistan, mais aussi au Pakistan, au Yémen et en Somalie. Ils ont fait, rien qu’au Pakistan, des centaines de victimes chaque année depuis 2008, le pic ayant été atteint en 2010 avec 849 morts pour 122 frappes, soit plus de 7 morts par frappe dite ciblée. Le prix Nobel de la paix, Barack Obama, a annoncé le 23 mai 2013 son intention d’encadrer strictement l’utilisation des drones; les cibles devront dorénavant avoir été considérées comme une menace imminente et continue contre les États-Unis! Sur la compatibilité de l’usage de telles armes avec le droit international et les dommages collatéraux qu’ils provoquent dans des pays « amis », rien n’est dit. Le silence des Européens à propos de ce terrorisme d’État est assourdissant. Comme autres outils appropriés, on se doit également de citer les enlèvements de suspects, présumés talibans ou membres d’Al-Qaïda, et enfermés à Guantanamo. Ces prisonniers sont dans un no man’s land juridique, privés de tous leurs droits. Ici, la complicité de plusieurs États membres de l’Union européenne est avérée.

En fait, depuis 12 ans, au nom de la guerre contre le terrorisme, on a assisté à une régression manifeste des garanties d’exercice des droits et libertés dans de nombreuses législations nationales et en particulier en Europe. On a vu aussi se multiplier les violations du droit international de la part des États-Unis, violations de plus en plus banalisées. Ce qui légitime cette guerre et cette dérive du droit, c’est le sentiment d’insécurité né de la vision de l’effondrement des tours doublé de celui de l’impuissance des autorités US face aux agissements d’un groupe terroriste. Ce groupe terroriste est si bien organisé et animé d’une volonté de nuire telle qu’il a réussi à déjouer la surveillance des services secrets et les plans de sauvegarde des autorités militaires de la plus grande puissance au monde. C’est, à tout le moins, la version officielle de ces événements du 11 septembre 2001; cette version est acceptée comme un fait avéré dans le monde entier et, en tout cas, dans une Union européenne pétrifiée et vassalisée. 

les faiblesses de la version offiCielle 

En Europe, quiconque s’est autorisé à mettre en doute cette version a été aussitôt conspué, brocardé, et traité de conspirationniste. Pourtant, les invraisemblances du scénario officiel sont nombreuses et, ce qui est pire, les questions dérangeantes posées, aux États-Unis mêmes, par des associations et des personnalités non alignées restent à ce jour toujours sans réponse. La Commission d’enquête officielle mise en place pour faire la lumière sur les événements a rendu public son rapport le 22 juillet 2004. Les diverses initiatives de citoyens états-uniens qui ont analysé le contenu de ce rapport ont toutes conclu à sa non-validité, la plupart des questions essentielles (pour ne pas dire la totalité) n’ayant reçu aucune réponse sérieuse ou n’ayant même pas été examinées. Parmi ces questions, quelques-unes méritent à mon avis d’être mises en exergue: 

Pourquoi les procédures normales en vigueur en cas de détournement d’avions de ligne n’ont-elles pas été suivies le 11 septembre 2001? 

Pourquoi les batteries anti-missiles et les défenses anti-aériennes déployées autour du Pentagone n’ont-elles pas été activées pendant l’attaque?

Pourquoi les autorités, aussi bien aux États-Unis qu’à l’étranger, n’ont-elles pas publié les résultats des multiples enquêtes sur les transactions commerciales qui suggèrent fortement une connaissance anticipée des détails spécifiques des attaques du 11 septembre 2001, transactions qui ont entraîné des millions de dollars de bénéfices? 

Comment la CIA et le FBI ont-ils été capables de fournir les noms et les photos des pirates de l’air présumés en quelques heures et en outre de visiter les maisons, restaurants et écoles de pilotage dont on savait qu’ils les fréquentaient ? 

Pour ma part, dès le 11 septembre 2001, j’ai eu du mal à croire à la version officielle. Au fil du temps, ma conviction s’est renforcée de son invraisemblance. Après le déclenchement de la guerre en Irak en 2003, interpellé par quelques publications majeures à ce sujet, j’ai tenté d’initier un débat contradictoire au parlement européen. En vain. C’est en dépit de tracasseries politico-administratives particulièrement dissuasives que j’ai pu organiser l’audition publique de deux personnalités non alignées, le professeur Michel Chossudovsky de l’Université d’Ottawa et l’ancien ministre allemand Andreas von Bülow. Les retombées de ces deux auditions ont été minimes et j’avoue avoir été incapable de leur assurer une répercussion suffisante dans les médias européens, lesquels ont pratiqué et pratiquent toujours une autocensure très efficace. 

A ce jour, il est devenu difficile de contester un certain nombre de faits dérangeants et de réfuter les arguments qui plaident pour la complicité, au moins sous forme de passivité volontaire, de hauts responsables politiques des États-Unis dans la survenue des attentats du 11 septembre 2001. Il est largement documenté que la guerre contre les Talibans en Afghanistan était planifiée par le gouvernement et l’armée des États-Unis bien avant le 11 septembre 2001. Dans le même registre, la guerre contre l’Irak de 2003 était elle aussi planifiée de longue date et n’a été justifiée que par des déclarations mensongères du gouvernement des ÉtatsUnis relatives à la prétendue détention d’armes de destruction massive par le régime de Saddam Hussein. La guerre contre le terrorisme apparaît ainsi de plus en plus clairement dans toute sa laideur: elle est avant tout une guerre contre la démocratie et pour la maîtrise de l’accès aux ressources rares. 

Paul Lannoye

Ancien président du groupe des Verts au Parlement européen, Animateur du GRAPPE (Groupe de Réflexion et d’Action pour une Politique écologique) 

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