Kairos 66

Septembre - Octobre

Responsabilité commune

On a pu lire quelques analyses critiques de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024. Si elle fut fidèle au délire ambiant, à l’indifférenciation générale à l’œuvre, de l’individu-roi, sujet devenu l’équivalent d’un plan de cuisine Ikea, tabula rasa permanente, qu’on peut modifier à sa guise en fonction de ses désirs, faut-il s’en étonner? Se prendre pour une femme alors qu’on est un homme, parler de pénis de femme et de clitoris d’homme, bannir l’usage de tout terme qui indiquerait une différence de sexe, vouloir changer sa date de naissance, se croire animal, et, plutôt que cela donne lieu à une prise en charge thérapeutique, un soutien collectif, ériger la folie en mode de vie et accompagner la demande minoritaire comme si elle était celle de tous.

Le spectacle a atteint son faîte. Le chapiteau tient encore debout. Grâce à la propagande médiatique, au soutien politique, à l’argent des élites financières. Mais analyser la situation a‑t-il encore du sens ? Décrire le délire n’implique-t-il pas partiellement de considérer qu’il contient une part de normalité ? Il faudrait, comme dans le film Network, à l’invitation du présentateur télé, se lever et dire que nous n’en pouvons plus, ouvrir nos fenêtres et crier en rue que nous en avons complètement marre. Ne plus jouer le jeu.

Mais nous n’y sommes pas, beaucoup se contentant encore de ce qui est, rassurés d’être en «démocratie». Par exemple, les intellectuels sanitaires, police de la seule pensée acceptable, n’ayant aucune vergogne à censurer tout ce qui n’entre pas dans le cadre, tout en répétant sans cesse le mot liberté, n’ont rien appris de ces quatre dernières années. Incapables de reconnaître à l’époque l’œuvre totalitaire des gouvernements, ils ne le sont pas plus aujourd’hui, pétris au contraire de cette condescendante certitude qu’on est sortis du tunnel, ce tunnel métaphore du seul risque de perdre leur vie, aucunement lié avec un risque systémique de déliquescence d’un monde entier qui était déjà en putréfaction avancée. Cerise sur le gâteau : outre que d’avoir brimé les réfractaires en empêchant tout débat, ils se croient plein d’abnégation de s’être ainsi «sacrifiés» pour sauver les autres. Quelle est belle, la démocratie! Ils n’ont rien sauvé, surtout participé à précipiter. En ce qui concerne les membres de l’élite, leurs actes furent tout sauf altruistes. On sait comment leurs préceptes bienveillants à l’égard du petit peuple ne s’appliquaient pas à eux, ni à leur progéniture.

Si la période chaude (confinement, masque, couvre-feu) a galvanisé la résistance autour d’une cause commune, l’accalmie covidienne a commencé à la voir se fissurer, ses bases étant trop fragiles, constituées par des personnes non politisées et découvrant tardivement la réalité du monde. L’interruption de la focalisation permanente sur une cause commune (la lutte contre les mesures politiques-sanitaires) a vu l’attention se redéployer sur nous, l’autre, le voisin de lutte qu’on ne connaissait pas vraiment. Et on s’est rendu compte qu’on était différents. Le post-Covid semble avoir annihilé chez certains toute mesure, nous jetant dans la jungle du noir ou blanc, polarisant la contestation.

Voilà pourquoi la seule solution se situe dans la radicalité du débat, et non pas dans la recherche d’un consensus; hors des commérages de réseaux, mesquineries et autres vils échanges sur la toile, qui, si elle indispensable en terme d’information, n’est aucunement le lieu de débats (entre internautes, il faut entendre). Voilà aussi pourquoi le système de propagande refuse à tout prix le vrai débat, facilitant et justifiant ce refus par la qualification dénigrante :

- Justification : en qualifiant l’autre de complotiste, d’extrême droite, le sujet exprime tacitement son refus de discuter en le projetant sur l’autre qu’il rend, sans le concerter, responsable de cette impossibilité.

- Facilitation : en se déresponsabilisant de la cause de l’impossibilité de communiquer et en l’attribuant à un autre, il facilite son refus de parler en rendant spécieusement l’autre, qui n’ a aucunement le moyen de se justifier ou de proposer un droit de réponse, responsable du refus de parler.

De la même manière que ceux qui ostracisent l’autre en identifiant péremptoirement qui il est (« je te rejette comme individu d’extrême droite parce que j’ai décidé que tu étais d’extrême droite »), les zélateurs des ordres venus d’en haut refusent de situer la cause en eux. Ils se justifient en disant « ce n’est pas moi, on est dans un système, il faut bien obéir », mais trouvent malgré ce qu’ils disent un grand plaisir à nager dans l’aquarium. Ils n’obéissent pas seulement parce qu’il le faut, ils aiment aussi obéir ; c’est à la fois un pouvoir qu’ils se donnent de critiquer celui qui veut sortir du bocal, mais aussi un moyen d’obtenir l’assentiment du maître. C’est le rapporteur dans la classe quand nous étions petits.

Ce réseau de personnel obéissant, du directeur au subalterne, est ce qui permet le déploiement totalitaire. Toutes ces petites mains peuvent être considérées comme une sorte de totalitarisme soft diffus, mais qui, mises ensemble, offrent les conditions de la mise en œuvre du totalitarisme hard.

Ils sont les acteurs zélés et consentants d’un système auquel ils attribuent la seule responsabilité dans l’état du monde, alors que ce système n’existe que par l’agrégation de toutes les petites actions individuelles. C’est tous les insectes mis ensemble qui forment la nuée, même si évidemment la masse influe sur chacun d’eux. Parmi ces influences, celle insidieuse qui fait que chacun a peur de penser contre le narratif officiel et qu’il se croit seul à considérer que quelque chose ne va pas, cela créant l’illusion du consensus.

Pour ceux qui demandent encore «que faire»: dites NON, cassez le spectacle, révoltez-vous. Et créons ensemble des îlots «hors» système.

Alexandre Penasse

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