Kairos 63

Janvier / Février 2024

Le sionisme est un fascisme

J’avais noté le titre dans mon carnet, en attente d’un contenu, ne restait plus qu’à le développer. Convaincu, notamment après la lecture de Zygmunt Bauman, Modernité et holocauste, que le nazisme, comme politiques et médias voulaient nous le laisser croire, avec leurs commémorations pour faire naître ce faux espoir de conjurer le passé, n’était pas qu’une parenthèse dans l’histoire, sorte d’ accident évitable. Le nazisme était au contraire inscrit dans la trame de nos « démocraties modernes », produit de nos bureaucraties « évoluées », faisant de chaque sujet un maillon atomisé d’une chaîne globale sur laquelle il n’a plus aucun contrôle.

J’ai donc lu les mots de Victor Klemperer, consignés par Ariane Bilheran dans sa chronique de L’Antipresse, propos tirés de 1.800 pages qui constituent un témoignage inédit de la montée du nazisme en Allemagne, s’exprimant, déjà, sur le sionisme : « Pour moi, les sionistes qui prétendent renouer avec l’État juif de l’an 70 (destruction de Jérusalem par Titus) sont tout aussi écœurants que les nazis. Avec leur manie de fouiner dans les liens du sang, leurs “vieilles racines culturelles”, leur désir mi-hypocrite, mi-borné, de revenir aux origines du monde, ils sont tout à fait semblables aux nazis. […] C’est ce qu’il y a de fantastique chez les nazis, ils vivent dans une même communauté idéologique à la fois avec la Russie soviétique et Sion(1) ». À l’aune de cette réflexion, il faut lire la peur constamment entretenue de l’hydre nazie, ce retour de la bête immonde, comme une stratégie du pouvoir en place de dévier notre regard pour ne pas voir que la bête immonde, c’est ce pouvoir lui-même.

90 ans après, les événements du Proche-Orient et les réactions qu’ils suscitent mettent en évidence une indéfectible caractéristique humaine : l’incapacité de se désidentifier, à savoir sortir de ses appartenances et des affects qui y sont liés, sans pour autant nier qui l’on est et cette idiosyncrasie propre à chacun et irréductible. Je notais dans un article d’un dossier « L’Occident terroriste », en 2015 : « Ces réactions s’inscrivent dans la caractéristique principale de l’homme moderne et du système idéologique qui l’a formé, à savoir celle de l’incapacité, malgré les chocs de la réalité, de remettre en question le modèle de société capitaliste auquel son mode de vie répond. Cela n’est pas nouveau, Auschwitz symbolisant l’événement historique majeur dont la société moderne n’aura tiré aucun enseignement, qui lui aurait pourant permis de se regarder dans le miroir et de ne plus “exonérer la modernité” en continuant à nous persuader d’être les civilisés face aux barbares : “La mise en quarantaine d’il y a un demi-siècle dure toujours. On pourrait même dire que les haies de barbelés se sont épaissies avec le temps. Auschwitz est devenu un problème ‘juif’ ou ‘allemand’ et la propriété des juifs ou des Allemands (…) cet accaparement illégitime empêche effectivement le désastre présenté comme ‘uniquement juif ’, de devenir un problème universel de la condition humaine moderne et par la même, propriété publique». Au fond, telle présentation réduisant l’holocauste à la particularité allemande est une «stratégie qui a pour double résultat de marginaliser le crime et d’exonérer la modernité [qui] équivaut à isoler l’holocauste d’une catégorie de phénomènes comparables et à l’interpréter comme une éruption de forces prémodernes (barbares et irrationnelles) vaincues depuis longtemps dans les sociétés civilisées ‘normales’ ” (2) ».

Israël est depuis le 7 octobre occupé à mettre en place la « solution finale ». Il n’en faut pas plus pour convaincre ceux qui en doutaient encore que l’occupation israélienne n’avait comme dessein ultime que l’extermination du peuple dont elle avait colonisé le territoire. Si un temps elle avait eu besoin des Palestiniens comme main‑d’œuvre visant à assurer leur expansionnisme, celle-ci a progressivement été remplacée par des travailleurs chinois, africains, latino-américains, thaïlandais, philippins, ou d’Europe de l’Est. Comme le notaient déjà en 2002 des observateurs de la Fédération internationale des Droits de l’Homme dans un rapport « Les travailleurs migrants en Israël : une forme contemporaine d’esclavage(3) » : « La situation en Israël présente cependant la particularité d’utiliser une main‑d’œuvre migrante dans le but de remplacer les travailleurs palestiniens à l’intérieur des frontières d’Israël; cette politique n’est pas sans conséquence sur l’issue du conflit israélo-palestinien(4) ».

Aujourd’hui, sous le regard du monde occidental, voilé par la propagande, un peuple entier est en cours d’extermination. Racisme et désintérêt se mesurent à l’aune de la comparaison. Imaginez New York se faisant bombarder par la Syrie, la Palestine, l’Iran… même si improbable, si pas impossible, les médias occidentaux titreraient d’une seule voix à l’ignominie. Auraient-ils traité les New Yorkais d’animaux humains, ou invité à les exterminer, seraient-ils restés aussi silencieux ?

Tout cela parle en profondeur de notre monde, bien plus que de deux peuples opposés. Un monde avec un appareil idéologique (les superstructures) qui soutient des infrastructures oppressives, contre lequel il faut mener la lutte, ceci justifiant non pas de se battre pour l’un ou l’autre, pour une identité ou l’autre, mais contre la domination de façon générale. Car il ne faut jamais exclure que l’opprimé d’aujourd’hui devienne l’oppresseur de demain — l’islamisme n’étant par exemple pas la solution, idéologie loin d’une ouverture et d’un regard critique nécessaires(5). Se repliant sur des identités « pro-ci » « pro-ça », une fois que le rapport de domination se retourne, nous devenons aveugles.

Comme nous le rappelait Hannah Arendt, « […] l’existence d’un monde commun ne demande aucune identité, seulement la capacité de dialoguer(6)». À ce titre, la réduction identitaire révèle souvent une mystification où celui qui se dit victime peut se muer en bourreau. Ainsi, du réflexe pavlovien de voir de l’antisémitisme partout, alors que les Palestiniens sont des sémites et qu’on peut voir dans la destruction systématique de Gaza par Israël aujourd’hui, par définition, un acte antisémite d’une puissance sioniste.

Alexandre Penasse

Notes et références
  1. L’Antipresse, n° 420, 17 décembre 2023.
  2. https://www.kairospresse.be/loccident-terroriste/
  3. https://www.fidh.org/IMG/pdf/il1806f.pdf. Le titre seul provoquerait aujourd’hui l’ire des sionistes qui y verraient automatiquement une œuvre antisémite.
  4. https://www.fidh.org/IMG/pdf/il1806f.pdf
  5. Voir notre interview https://www.kairospresse.be/interview-thierry-meyssan-gaza-moyen-orient-la-fin-de-loccident, notamment sur le lien de la branche du Hamas avec les Frères musulmans.
  6. Cité dans Guillaume de Vaulx, « Apprendre à philosopher avec Arendt », Ellipses, 2012, p.224.

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