Kairos n°13

Avril 2014

JE SUIS CONTRE MAIS J’Y PARTICIPE

Alors qu’une certaine ministre, Madame Turtelboom, qui il y a peu renvoyait allègrement dans leur pays femmes et enfants, ne rougissait pas de recevoir comme Ministre de la justice l’ambassadeur de l’Arabie Saoudite – grand défenseur du droit des femmes -, la même promet désormais d’atteindre l’égalité hommes/femmes par la possibilité de donner aux enfants qui viendront à naître le double nom de famille : « un moment historique dans la voie de l’égalité entre hommes et femmes » (Le Soir, 26 février 2014). Certainement. Comme si l’égalité s’atteignait par des aménagements superficiels, en prônant certains droits équitables dans un environnement profondément inégal. Cela ravira certainement le féminisme conformiste et les grands philanthropes fervents de l’entente de classe, désormais rassurés, femmes de ménages – excusez ! techniciennes de surface – et rentières pouvant dès à présent transmettre à leur progéniture leur nom de famille respectif. Qu’importe si chacune léguera un héritage matériel bien différent, cette question sort du domaine de compétence de Mme Turtelboom. Après l’euthanasie des enfants, la suppression des pièces de 1 et 2 cents, à quand le prochain débat d’ambiance électorale ? Propres aux divertissements pré-électoraux, dont le caractère subversif est inversement proportionnel à leur taux de médiatisation, ces gesticulations sont des non-évènements. Ils ne visent qu’à réveiller l’indignation individuelle pour, un moment, faire oublier tout le reste.

Mais ce qui se passe plus près est-il toujours moins navrant ? Même si luttes, résistances et prises de conscience persistent, éclosent, font jour ici et là, les formes prises par certains combats en disent long sur le formatage des consciences et sur ce que l’intérêt égoïste y a laissé comme traces. Ainsi de ces pétitions qui fleurissent contre le survol de Bruxelles par les avions, depuis le nouveau « plan Wathelet ».

Les données du problème paraissent assez simples:

- Le survol des avions génère des nuisances, visibles et invisibles, chacune ayant toutefois des conséquences.

- Beaucoup de gens prennent l’avion, apparemment d’autant plus dans des communes à niveau socio-économique élevé comme celles du sud de Bruxelles, maintenant touchées par le nouveau plan de survol ;

Imaginons donc quelle pourrait être la résolution de cette situation sociale dans une société décente où les enjeux économiques ne primeraient pas sur tout ? En extrapolant que les usagers de l’avion ne réalisaient pas ‑suffisamment- avant les dommages causés par l’avion, prenant conscience des effets les plus visibles de ceux-ci car les subissant maintenant quotidiennement, ils décideraient de ne plus le prendre, ou en tous cas de réduire fortement son usage. Cela ne serait-il pas le plus logique, et le plus sain ? — même si nous ne pouvons nous y résoudre dans nos pratiques, pouvons-nous l’admettre dans la pensée ?

Mais nous n’avons pas vu fleurir de pétitions citoyennes ou portées par les instances politiques, qui se plaignaient des nuisances invisibles, comme la pollution, engendrées par les avions. Les nuisances invisibles, destruction de la nature, maladies, extraction pétrolière et autres, sont secondaires, les prendre en compte réellement étant contre-productif… à l’économie capitaliste : les véritables nuisances sont, paradoxalement, « nuisibles ». On feint donc de vouloir les réduire, tout en encourageant l’activité qui les produit directement.

Les usagers, et les politiciens qui le plus souvent les appuient dans cette démarche démagogique porteuse électoralement, parlent des nuisances perceptibles, celles qui les touchent directement, eux, dans leur petite vie, peu importe ce que vit le voisin. Dans une société où la « nécessité économique » favorise l’égoïsme, le chacun pour soi prime : les « bienfaits » de la technologie et de la modernité pour moi, les crasses pour les autres. On lutte donc contre l’avion… chez soi, une fois qu’il nous dérange, oubliant qu’il en dérangeait d’autres avant et que, lorsque nous sommes à bord, il produit les effets que nous exécrons lorsqu’il nous survole. « Personne ne veut du bruit des avions » titrait ainsi Le Soir sur son site internet. Mais tout le monde veut monter à bord !

Contradiction ? Tout n’est-il pas à l’avenant : surconsommation d’objets à l’obsolescence programmée dont les déchets sont stockés « loin » , dans des pays d’Afrique ; stockage des déchets nucléaires sous la terre ou dans la mer ; institutions d’enfermement acceptées ‑sans souci de trouver d’autres solutions ou d’améliorer l’institution actuelle- mais seulement chez les autres ; bagnoles partout mais pas trop chez moi… Le spectacle ne doit jamais faire montre des scories qu’il génère et qui lui sont substantielles. Excepté dans quelques émissions télévisées ponctuelles inoffensives, les occasions de diffusion massive et répétée des effets de notre fonctionnement sont rares. Une grande surface jette des tonnes de nourriture par semaine ? Vous ne le verrez pas : il faut créer l’illusion d’abondance mais ne jamais montrer son corollaire.

Il y a des choses, donc, qu’il ne faut pas remettre en question: méga-centres commerciaux, 4G, intrusions publicitaires multi-modales et permanentes, … toutes ces choses qui nourrissent le productivisme et qu’on ne met jamais à plat, ce qui donne toute cette fadeur aux débats politiques dont, à force, on ne peut nous reprocher de ne plus rien attendre…

Alexandre Penasse

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