TRANSPORTS PUBLICS

TRANSPORTS PUBLICS INVESTIR DANS L’INFRASTRUCTURE, OU S’INVESTIR DANS LE BIEN COMMUN ?

Mutualiser les pertes, privatiser les bénéfices. La sempiternelle devise du capitalisme ne tolère pas les « zones protégées » et s’étend également au domaine des entreprises publiques. Dans ce dossier, qui n’a pas la prétention de couvrir exhaustivement le sujet mais de questionner l’implication future des choix présents, nous nous penchons sur les politiques d’investissement dans la mobilité publique, et cette machiavélique tendance à s’adresser au privé pour financer des projets « modernes » dit d’« intérêt public », où promoteurs privés et politiques s’entendent pour rendre réels de coûteux fantasmes technocratiques. 

Car jamais ces derniers ne posent la question qui demeure fondamentale: celle de la nécessité. Pourraient-ce ces projets ne jamais voir le jour sans mettre en suspens le devenir de l’homme, dès lors qu’ils ne reposent le plus souvent que sur ce diktat de la vitesse ? Car nous savons qu’ « au-delà d’une vitesse critique, personne ne « gagne » du temps sans en faire « perdre » à quelqu’un d’autre »(1). On nous fait dire que ces nouveaux déplacements répondaient à des besoins qui leur préexistaient… mais n’est-ce pas plutôt les nouvelles infrastructures qui ont crée de nouveaux besoins, modifié le rapport à l’espace et au temps, et, à force, instillé dans nos esprits l’idée que ces besoins étaient nôtres et inaliénables. La logique ne serait-elle pas plutôt de diminuer le « besoin de déplacement », de retisser un maillage local riche en relations sociales, 

avec une économie de proximité, le partage du temps de travail permettant un échange local plus fort? La recherche d’objectifs compatibles et harmonieux semble un préalable à une réflexion sur nos déplacements. Mais, dès lors que «le Service public fédéral (SPF) Mobilité et Transports a pour mission de préparer et de mettre en œuvre une politique fédérale concertée de mobilité et de transports au service de la population, des entreprises et de l’économie (…) veillant en permanence à soutenir la croissance économique, lutter contre la pollution atmosphérique, contribuer à l’égalité des chances, améliorer la qualité de vie»(2), n’assiste-t-on pas à l’énumération d’objectifs inconciliables dont les uns n’ont pour fonction que de masquer l’unicité de l’effet recherché : la croissance ! Car peut-on « soutenir la croissance» tout en luttant contre la pollution, l’égalité des chances et la qualité de vie? 

Par ailleurs, si ces projets nous sont imposés comme des nécessités du progrès, sont-ils viables à long terme? Nous connaissons la réponse et le seul intérêt qui guide ce type de développement. Comme pour l’amplification du transport aérien dont le non-sens environnemental n’est plus à démontrer, investir lourdement dans le ferroviaire questionne sur la pertinence des orientations prises qui, présentement, déterminent des choix de société que nous connaissons trop bien: productivisme, dualisation sociale, concurrence des territoires, mobilité sociale à deux vitesses. 

Si le changement radical ne peut se faire en un jour, l’essentiel est certainement pour l’instant d’éviter la casse et de maintenir ce qui est. Cet objectif doit néanmoins s’accompagner d’une critique radicale, contrairement à la posture syndicale défensive qui nourrit paradoxalement l’idéologie dominante, car ne remettant pas les fondements en question. Le ferroviaire, avec évidence, doit être réinvestit. Mais au-delà des moyens, c’est surtout un ajout de transparence, de bon-sens clairvoyant, d’orientation sociale et d’équilibre énergétique qu’il faudrait ajouter. Et la condition première est celle d’une reprise du contrôle démocratique et citoyen sur ces questions. Sans cela, ces géantes nébuleuses, hydres financières que deviennent des sociétés à capitaux publics comme Infrabel, se comportant déjà comme des corporations ou des gestionnaires d’un foncier inestimable, pourraient demain devenir des acteurs financiers si puissants qu’ils auront la mainmise sur l’entièreté du secteur des transports. 

Dossier coordonné par Liévin Chemin, militant associatif pour une autre mobilité & Alexandre Penasse 

Notes et références
  1. Ivan Illich, Energie et équité, in Œuvres Complètes, vol.1, Fayard, Paris, 2009, p.402
  2. http://mobilit.belgium.be

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