Je ne parlerai que très peu du virus ; on en sait assez dans les chaumières et dans les cabinets ministériels de notre épatant petit royaume. Je ne dirai pas trop de mal des extraordinaires décideurs de droite, du centre ou de la gauche des différents lieux de pouvoir que compte le pays et dont les prouesses sont à juste titre saluées par un nombre grandissant de citoyennes et de citoyens. Je m’en vais plutôt vous parler de l’avenir ; vous allez rire.
Car il faut que les choses soient claires : on n’est pas un peu dans la merde, pour le dire aussi platement que possible. Cette petite chose, qui n’est même pas le quart ni le centième d’une cellule, qui ne s’est même pas invitée et nous est tombée dessus sans crier gare pourrait fort bien, si l’envie lui en prend, continuer son petit bonhomme de chemin et même emprunter une autoroute pendant un certain temps plus ou moins long, parfaitement à l’aise parmi nous. Auquel cas, deuxième, troisième, quatrième vague, que sais-je, il va bien falloir, comme on dit, faire avec ; ce qui n’est pas simple et même parfaitement problématique, c’est le moins que je puisse dire. Impossible de dire ni même de seulement imaginer les innombrables ravages auxquels s’attendre si l’on s’en tient à cette hypothèse. Mais, considérant l’autre revers de cette satanée médaille, on peut tout aussi bien avancer que, par miracle ou par fatigue, le machin finisse par se lasser de nous et, en bout de course, se retire sur les pointes de ses petits pieds. OUF ! Dirons-nous alors. Et il y aura des fêtes partout, des milliers de gens rigolards dans les rues, sur les places et les boulevards, les bistrots seront pris d’assaut et ne désempliront pas pendant des semaines entières, voire plus si affinités, bref, ce sera drôlement jubilatoire.
Maintenant, on se souviendra que, au plus fort de la première vague, nombreuses ont été les voix s’élevant au-dessus de la mêlée un peu comme au rugby, quand un joueur s’empare du ballon ovale, le glisse à un coéquipier qui s’en va marquer un essai d’anthologie – des voix, donc, des cris, même, pour dire que, passée cette crise et pansées les plaies, il allait falloir, à toute force, passer à autre chose. Pour faire bref, le message était le suivant : le monde d’avant, c’est terminé, celui de maintenant, itou ; on ne peut plus continuer «comme ça ». Fort bien. On en entend de belles ici et là et on en lit tout autant, venant de personnes très instruites, spécialisées dans tel ou tel domaine touchant à la vie en général, à l’économie, aux sciences sociales et toutes ces sortes de choses. D’où il ressort qu’il faut mettre un terme aux ravages du capitalisme et, partant, purement et simplement le supprimer ; ce qui est, en soi une très bonne idée, que je partage avec enthousiasme. MAIS qui, quoi, comment, où, quand, avec quels outils ou quelles armes ? De même avec cette formidable autre suggestion : il suffirait de décroître. Fort bien ; les questions soulevées un peu plus haut étant valables pour cette affaire, je ne vais pas me répéter.
Résumons-nous. Si le monde pouvait sembler hostile de mille façons à nos lointains ancêtres, hommes préhistoriques, Gaulois et autres pauvres serfs du Moyen Âge victimes des caprices de leurs seigneurs, de la faim, des épidémies de toutes sortes – hé oui, déjà ! des guerres et autres distractions de l’époque, il nous faudra bien reconnaître que la nôtre n’a rien à envier à celles qui ont précédé ou alors, si peu. Car, au-delà de l’actuelle invasion virale, des problèmes bien plus graves, ou tout autant, si l’on préfère, se profilent à notre horizon présentement tout occupé à tenter de voir clair dans ce qui nous arrive. Ce n’est pas que la fin du monde soit imminente ou pour la semaine prochaine, non, bien sûr, mais enfin, il est tout de même bien évident que la survie de notre misérable espèce ne tient qu’à de très fragiles et maigres fils. Que l’on s’en alarme ou que l’on tienne la chose pour de peu d’importance, à chacun de l’apprécier. Pour ma part, je dois vous avouer que, compte tenu des immenses dommages infligés à notre bonne vieille terre et aux millions d’espèces vivantes qui nous accompagnent depuis la nuit des temps et que nous continuons de massacrer de mille façons, pour ma part, disais-je, la disparition possible – je ne dis pas souhaitable ! – du genre humain ne me paraîtrait pas être une catastrophe si l’on veut bien se placer du point de vue de l’immensité de l’infini des Univers où nous figurons à peine comme la millionième partie d’un grain de sable.
Mais enfin, il n’en reste pas moins que, outre l’inquisition, les bûchers, les chambres de torture, Auschwitz, la bombe atomique et autres distractions, nous avons aussi inventé le violon, le trombone à coulisse, la poésie, la littérature, la peinture à l’huile ; enfin, tant de choses qui ne sont pas sans importance et qui agrémentent notre quotidien. Et puis, n’est-ce pas, il y a l’amour sous toutes ses formes : la tendresse, la beauté des regards et des gestes amoureux, les petits vieux qui trottinent ensemble et se tiennent par la main sous le regard ému des badauds installés aux terrasses des cafés (quand ils sont ouverts). Bref, tout n’est pas à jeter, finalement ; et il y a donc, malgré tout, quelques raisons d’aimer être de ce monde ; et d’espérer qu’il dure encore un peu.
Mais il y a grande urgence à le remettre d’aplomb, nous serons toutes et tous bien d’accord sur ce point. Et que cela puisse être un projet enthousiasmant, nous en conviendrons aussi. Mais, nom d’un petit bonhomme, il va falloir se retrousser les manches ! Et passer, un de ces quatre, des livres et des articles de journaux plein de bonnes intentions et débordant des meilleures idées, aux travaux pratiques. Alors, encore une fois, qui, quand, comment, une date pour le grand soir ? Des foules immenses partout, des palais envahis, des gouvernements renversés, des fêtes à n’en plus finir, la gratuité pour les choses essentielles comme le suggère Paul Jorion, un juste partage de toutes les richesses que le monde des nantis s’est approprié ?… je ne sais pas ; je suis comme vous, je rêve de voir et vivre de tels prodiges avant de quitter ce bas-monde ; et danser sur ses ruines.
Jean-Pierre L. Collignon