Loin des étonnements affectés des hommes politiques et de leurs acolytes médiatiques, qui feignent de découvrir avec l’ « affaire Cazuhac » qu’intérêts politiques et intérêts privés se confondent le plus souvent, d’autres s’affairent obstinément à nous faire passer des vessies pour des lanternes.
Ainsi de Bayer et de Syngenta, deux mastodontes de l’agrochimie et du pharmaceutique qui, face à la disparition massive et inquiétante des abeilles, « ont proposé aujourd’hui un plan d’action destiné à débloquer la situation dans laquelle se trouve l’Union européenne ». Ces deux mêmes entreprises, l’une allemande et l’autre suisse, produisent des produits phytosanitaires, donc des pesticides pour ne pas les nommer, dont des néonicotinoïdes qui ont un effet avéré sur la disparition des abeilles.
John Atkin, « Chief Operating Officer de Syngenta », nous assure que l’opération « Pollinator apportera des éléments précieux dans le domaine de la santé des abeilles alors qu’une restriction sur les néonicotinoïdes ne résoudra point le problème. Interdire ces produits ne sauvera pas une seule ruche et il est plus que temps que l’on se focalise sur les causes réelles du problème du déclin des populations d’abeilles. Ce plan est fondé sur notre confiance dans la sûreté de nos produits et sur notre engagement historique à améliorer l’environnement pour les abeilles(1). »
« Absurde », direz-vous ! Non, logique ! Logique d’un système qui toujours s’est dévoué pour nous présenter le spectacle sans jamais nous faire voir… ses coulisses. Il fallait donc faire « comme si » pour continuer à faire « comme avant ». Créer des boîtes de com., de pub, gangréner les principaux médias, placer quelques milliers de lobbyistes à Bruxelles, se réunir dans les mêmes endroits que ceux que fréquentent hommes politiques, capitaines d’industrie et professionnels de la presse.
Le langage orwellien a atteint aujourd’hui son faîte. Ce sont les mêmes qui souillent les plages qui créeront des fonds de défense des oiseaux ; ceux qui défendent le nucléaire qui fonderont des organismes de soutien aux populations irradiées ; les vendeurs de soda qui lutteront contre l’obésité ; les marchands de hamburgers qui feront un plan d’action contre les risques cardiaques. Plus près de chez nous, ce sera NEO, mastodonte dont le non-sens n’a d’égal que la démesure, qui sera pris en exemple pour la nomination de Bruxelles comme capitale verte européenne(2).
On ne modifie pas le « sens » de l’histoire comme on n’arrête pas le progrès ! NEO, c’est notamment un centre commercial de 70 000 m², alors que City 2, situé à 5,8 kms de là, en fait 51 000. Mais nous ne sommes pas dans le domaine du doute, mais de la nécessité : « la zone du Nord de Bruxelles présente un déficit important en surfaces commerciales par rapport à la moyenne belge, et plus encore par rapport à la moyenne européenne ». En outre, selon le Professeur Grimaud (géographie-sociologie urbaine ULB) « Bruxelles pourrait accueillir 233 000 m² supplémentaires pour atteindre simplement la moyenne des grandes villes belges(3)». Allez, si c’est ainsi, que poussent les centres commerciaux comme poussent arbres et fleurs, puisque tout cela c’est du développement durable.
Pendant ce temps-là, Kairos fête avec ce numéro un an d’existence et prouve, plus que jamais, que ce n’est pas le moment de baisser les bras.
Alexandre Penasse