Si par un miracle les médias de masse capitalistes, demain devenaient libres, indépendants des pouvoirs politiques et économiques, le peuple pourrait enfin se forger une représentation sur le monde fondée sur la réalité, ce qui pourrait peut-être mener à des changements majeurs. Et nous pensons que ces changements pourraient avoir lieu rapidement.
Toutefois, c’est là quelque chose d’actuellement impossible, représentant à tout le moins une mise en avant de la charrue avant les bœufs, comme on dit. C’est-à-dire qu’il faudrait que tout change avant que tout puisse changer, que l’argent ne soit plus dans les mains d’une minorité qui décide, que les politiciens œuvrent pour le bien commun et non plus pour la reconduction de leurs prébendes, que le profit ne soit plus le leitmotiv de toute chose, mais donc aussi que les gens décident de se détourner des médias qui leur mentent, les distraient de la réalité, occultent les choses importantes et montent les gens les uns contre les autres, empêchant leur unité dans un combat commun.
Il faudrait donc tout changer avant que puissent changer les médias, mais nous sommes là dans une aporie, un paradoxe, car il semble que sans changement préalable des médias, sans informations vraies, le changement viendra difficilement.
Mais quand entendons-nous un vrai discours, une parole publique qui nous galvanise, nous fait frémir, nous fait sentir dans une commune vie, nous faisant ressentir que notre individualité peut avoir une importance pour l’ensemble, dans un monde ou au contraire le « chacun pour soi » instille l’idée dans nos têtes que « de toute façon un de plus ou un de moins dans la lutte… » ? Au-delà de ce que le marketing politico-médiatique nous laisse entendre tous les jours, que notre individualité n’a du sens que pour nous-mêmes : pouvoir d’achat, vote, « consommacteur », responsabilité individuelle, écogestes…
Ne rêvons pourtant pas trop, les médias dominants ne décideront pas de commencer à dire ce qui est important pour la majorité, à moins de croire aux contes de fées et d’être capables d’imaginer que les familles les plus riches qui les possèdent en ont pris le contrôle suite à un travail psychanalytique d’envergure où ils ont pu prendre conscience que leur richesse était indécente et qu’enfin ils allaient pouvoir le dire via leurs télévisions, journaux, sites internet, radios…
Derrière le masque du « vrai débat », de la « liberté d’expression », nous sommes tous les jours confrontés à ces situations où la parole est censurée, la réalité déformée, les propos creux, où l’on ne peut pas exprimer et dire que tout « fonctionne » mais dans un grand et total dysfonctionnement. La pensée, dans ce système, est morte, et ceux dont la parole est médiatisée sont le plus souvent ces colporteurs du vide, ces hérauts du statu quo ; ces experts des mots creux, des sons vides, de ces litanies qui sont plus des tentatives de convaincre que des expressions profondes de la pensée.
Or, « le franc-parler démocratique se distingue du parler craintif et soumis de l’esclave, il ose introduire le risque de l’inégalité et de la rupture des unanimités passives ». Ce parler-vrai, cette parrêsia, s’oppose aussi « au discours des flatteurs », il est celui qui, « à l’inverse des démagogues ne cherchant à faire entendre au peuple que les opinions que ce dernier prend plaisir à écouter, prend sur lui de proclamer des vérités désagréables à entendre », qui n’est pas non plus « un mode de « tout dire » […] qui serait finalement le droit reconnu à tous de dire tout et n’importe quoi, qu’on fait valoir comme preuve du bon fonctionnement démocratique(1) ». Et ce parler-vrai publiquement exprimé n’atteint sa vraie valeur démocratique que si celui qui le permet, l’État en l’occurrence, accepte que ce qui sera dit contienne le risque d’introduction d’une modification dans le réel, un changement véritable donc, qui pourrait être défavorable à certains.
Pourtant, ce n’est pas cela que nous observons. Les paroles médiatisées sont plutôt détachées de ceux qui les prononcent, ces derniers n’étant pas vraiment impliqués dans ce qu’ils disent, mais plutôt occupés à faire de la « communication ».
Alexandre Penasse