LES TECHNOLOGIES : UNE QUESTION POLITIQUE

Les pillages, l’extractivisme, les minerais du sang pour approvisionner les multinationales des technologies semblent être relativement connus et documentés(1). Pourtant les gadgets continuent d’inonder les magasins et les habitations. La question de comment passer des constats éternels à des changements réels en vue de faire cesser des violations de droits humains et une dégradation de notre milieu de vie guide constamment notre démarche.

Kairos publie régulièrement des articles critiques des technologies, un sujet mouvant tant le déferlement technologique suit son cours à un rythme effréné et confirmant années après années les thèses énoncées il y a plusieurs décennies par Jacques Ellul sur l’autonomie de la technique. Le progrès qui innove comme aiment ironiser nos amis de La Décroissance.

La propagande technophile occupe notre quotidien par un matraquage publicitaire dans les médias et les discours politiques. Impossible d’y échapper, difficile de faire entendre une voix discordante sur le mythe du numérique « bienfaiteur et dispensateur de progrès ». Comme nous l’écrivions il y a plus d’un an en participant au cycle « Mon père ce robot » organisé par la Maison du Livre de Saint-Gilles, le débat public sur cette question est pour l’instant insuffisant. Il est crucial de discuter des choix de société, celle que nous voudrions, celle que nous refusons, et ainsi dévoiler l’impact social, démocratique, écologique, sanitaire et humain du « tout technologique» que le capitalisme mondialisé nous impose sans une once de démocratie.

Le 24 novembre 2018 donc, le mpOC, Kairos et la Maison du Livre, avec le soutien de Technologos(2) invitaient à une journée de réflexion autour du déferlement technologique et du transhumanisme. Cette journée avait pour objectif de présenter le livre de Pièces et main d’œuvre Les chimpanzés du futur, manifeste contre le transhumanisme, un travail d’enquêteur face aux dégâts constatés dans la technopole de Grenoble où règnent les fameuses NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) et se concrétise le projet de machination vers l’homme-machine et le monde-machine.

Cette journée de conférence et de discussions permettait plus largement de débattre du déferlement technologique non choisi, non discuté, mais imposé par les lobbies et l’immense majorité des politiques.

Michel Weber axait son intervention sur le totalitarisme transhumaniste et esquissait quelques analogies avec le fascisme. Paul Lannoye, alertait déjà sur le déploiement de la 5G et sur le Smart farming préconisé par le centre wallon de recherches agronomiques. Bruno Poncelet démontrait lui en quoi la révolution numérique est un choix politique qui provoque une transformation du travail par le capitalisme numérique.

Sarah Dubernet, membre de l’Association de veille et d’information civique sur les enjeux des nanosciences et des nanotechnologies (AVICENN), nous racontait son vécu en tant qu’infirmière, notamment la manière dont les nanotechnologies sont imposées sans consentement, avec son lot de dégâts sanitaires et environnementaux directs totalement négligés par les décideurs. Par la suite elle s’est formée continuellement sur le sujet afin de pouvoir intervenir dans le débat public.

Dans le prochain numéro de Kairos vous pourrez lire une réflexion de cette infirmière devenue chercheuse par nécessité et de la réappropriation du savoir par toute personne soucieuse de son environnement, face à la dictature des experts.

Dans le présent dossier, Hervé Krief raconte comment le culte de la technique et du progrès fut façonné au début du XXe siècle et notamment avec la grande messe de l’exposition universelle de Paris, en 1900, qui « démontre la volonté des États européens d’inoculer la vénération de cette nouvelle science, au service des industriels, dans l’âme et la chair de leurs citoyens ». Il désigne le rouleau compresseur numérique comme étant la nouvelle étape du système technicien capitaliste. Pour conclure il en appelle à la libération de nos esprits, accaparés par cette société industrielle que nous n’avons pas choisie.

Enfin, à l’heure de la grève contre la « réforme » des retraites en France, nous publions un appel du collectif Écran total qui s’organise depuis quelques années pour résister à la gestion et l’informatisation de nos vies. Comment résister, comment s’organiser, est la question principale qui nous est posée face à de trop nombreux constats d’impuissance. Écran total, qui fonctionne par groupes locaux, réunit des gens de métiers très divers qui refusent la numérisation du vivant et ouvrent des brèches pour une vie saine. À travers le texte Grève des données, ces professionnel·les du secteur de la santé, de l’action sociale et de l’éducation spécialisée, lancent un appel à la grève des outils gestionnaires et informatisés et proposent quelques pistes pour les nombreux récalcitrants qui luttent contre la dégradation de leurs métiers.

Le 25 avril 2020, nous vous invitons cette fois à venir réfléchir et échanger sur les résistances au monde-machine. Seront abordées différentes facettes telles que la mobilisation contre la numérisation des métiers, une critique radicale de l’intelligence artificielle mais aussi les smartcities et le monde-machine.

Dossier coordonné par Robin Delobel

Notes et références
  1. Parmi de nombreux films, voir : Du sang dans nos portables, mais aussi sur le transhumanisme film clair et pédagogique : Un monde sans humains, reportage Arte 2012.
  2. Pour plus d’informations voir le site : technologos.fr.
Le constat d’une dégradation des conditions de travail dans le secteur de la santé est patent. Médecins et infirmiers nous expliquent qu’ils passent désormais...

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