LES POLITIQUES ET LA TECHNOLOGIE

Illustré par :

Kairos 43

Le mardi 27 novembre 2018, la Maison du livre organisait un débat intitulé « Progrès choisi ou subi ? » Plusieurs représentants des partis de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Ecolo, CDH, PS, MR et PTB) étaient interrogés sur la prospective politique en matière de robotique, d’intelligence artificielle, mais aussi d’homme « augmenté » ou hybridé, de l’encadrement ou non des géants du numérique, de la place de l’Europe face aux USA et à la Chine, des conséquences écologiques, démographiques et géopolitiques du progrès, des smart-cities, de la gouvernance algorithmique, des menaces sur l’emploi et sur la démocratie… Étaient présents Antoine De Borman pour le CDH, Corentin de Salle pour le MR, Mohssin El Ghabri pour Ecolo, Michaël Verbauwhede pour le PTB et Isabelle Emmery pour le PS.

UN SUJET CONTROVERSÉ, VRAIMENT ?

Sans revenir sur les propos de chacun et chacune, voici ce que l’on peut retenir des messages portés par les différents partis. Du côté du MR, il faudrait mettre les technologies au service de l’édification d’une société authentiquement écologique. Selon leur représentant, renoncer à notre modèle consisterait à tuer le moteur économique et industriel, seul à même de réaliser la transition écologique. Dans la vision qu’il énonce, il faudrait transformer tout problème en opportunité de développement économique pour progresser vers cette société écologique authentique. En résumé, à chaque problème écologique il y a une solution qui serait soi-disant verte : kérosène vert, smart agriculture, mondialisation du marché de l’énergie renouvelable(1).

Au PS, on pourrait qualifier les positions exprimées par le parti dit socialiste d’extrême centre comme le décrit Alain Deneault(2), avec notamment une mise en avant de leurs politiques réformistes votées avec fierté pour aménager la survie numérique.

À Ecolo, sur la 5G, sujet crucial qui concerne la modification de notre milieu de vie, le message semblait prometteur en rappelant qu’Ecolo avait « beaucoup de réticences déjà sur la 4G pour des raisons sanitaires et que ça ne s’est sûrement pas amélioré ». Malheureusement, Mohssin El Ghabri en fait malgré tout une question technique, à travers une réflexion sur l’appauvrissement de la démocratie : « On atteindrait un tel niveau de complexification qui échappe aux élus politiques qu’il faudrait finalement faire appel à des intermédiaires qui viennent souvent du privé pour permettre de comprendre des textes de lois ». Désarmant niveau de dépolitisation ! Ecolo (ainsi que les autres partis) pourrait se renseigner du côté d’Inter-Environnement Bruxelles et des nombreux articles de Kairos, dont celui d’Alexandre Penasse, « L’illusion technocratique à la lumière de la 5G », afin de se renseigner plus sérieusement sur cette question.

Si l’on s’adresse aux membres d’Ecolo plus particulièrement, c’est avec l’espoir de pouvoir argumenter et débattre sereinement sur des sujets qui sont historiquement des sujets portés par les écologistes. La question de la technocratie est un sujet politique qui touche au vivant, au choix de la société dans laquelle nous souhaitons vivre, à la possibilité de vivre autonome.

À propos de la taxation des robots, le représentant d’Ecolo déclarait : « Je ne sais pas comment on définit un robot, Excel c’est un robot, ça a remplacé des étages et des étages de secrétaires qui organisaient les données ». Une anecdote parmi d’autres, qui symbolise les propos surprenants de Mohssin El Ghabri sur le thème du progrès. Non, Excel n’est pas un robot mais plutôt un logiciel. Cela n’est pas comparable aux robots qui sont introduits petit à petit dans les maisons de retraite, les installations agricoles, ou les algorithmes qui régissent la grande majorité des échanges boursiers.

Mohssin El Ghabri plaide pour « la transition écologique », ce qui paraît rassembleur en ces temps de marche pour le climat où l’on demande aux politiques « d’agir » mais on ne sait pas à quel point elle est différente de celle proposée par le MR. En tous les cas, elle apparaît comme un remède miracle pour une société résiliente et conviviale.

Au PTB, on se montre plus critique, notamment vis-à-vis du capitalisme de plateforme. Les propos semblent démontrer plus d’ambition face aux GAFAM et au monde technologique qui nous est imposé à toutes et tous. Malheureusement on lit difficilement entre les lignes un refus de technologies inhumaines (qui visent à effacer l’humain), antisociales, qui accélèrent la dégradation de la nature, de notre santé et de nos cerveaux(3).

Comme le dit Matthieu Amiech, membre du Groupe Marcuse : « Pour s’organiser collectivement, il faut d’abord qu’il y ait une envie largement partagée de s’opposer et, pour l’instant, elle n’existe pas, malheureusement ! Il faudrait qu’émerge un nouveau sens commun sur les problèmes politiques et sociaux que pose la numérisation de nos vies. Par exemple, le fait que le numérique met immédiatement (sans médiation) le monde entier à notre disposition, que cela n’est pas souhaitable… et que cela ne peut pas durer. »(4)

L’OPINION ÇA SE TRAVAILLE

Que lit-on dans la presse le jour du bouclage de cet article ? Une grande page de pub en 4ème de couverture de Politico, hebdomadaire de la bulle européenne (diffusé par dizaines dans les cafés de Bruxelles) : « 5 G is Greener ». Qui a payé pour cette pub ? Le géant chinois Huawei ! Rien que cette image illustre le gag que représentent les vociférations contre la multinationale chinoise, aussi dangereuse que les Big Tech états-uniennes, européennes, japonaises ou autres.

Dans Le Soir, en Une, l’instant Techno : « Les robots seront nos prochains animaux de compagnie », titre de la dernière page (non, je n’ai pas mal lu !). La page est intitulée « Les robots se rêvent en animaux de compagnie ». Mais bien sûr ! Trop immergé dans un environnement technophile et en tant qu’envoyé spécial à Las Vegas, l’auteur de ce reportage n’a pas pensé à titrer, par exemple, « Robots de tous types pour profits multiples ». À propos de ces robots, « particulièrement mignons », deux universitaires sont interrogés. Le premier, particulièrement enthousiaste, est professeur émérite en psychologie et il s’exprime comme un commercial complètement séduit par le produit. Le second est plus nuancé. Malheureusement, comme souvent dans Le Soir, le journaliste choisit de donner la parole au premier universitaire sur un ton que l’on pourrait qualifier de fataliste et optimiste. On ne questionne pas l’utilité réelle et les impacts sociaux, anthropologiques, sanitaires, écologiques… « Les robots vont arriver chez nous une fois que leur prix sera démocratisé et on va s’attacher à leur présence. C’est une quasi-certitude ». Le Soir, comme la grande majorité des médias et des politiques, travaille bien à cette normalisation.

Robin Delobel

Notes et références
  1. Voir ce qu’il en est de l’éolien industriel dans l’article sur l’Amassada, Kairos de septembre 2019.
  2. « de l’extrême centre », éditions Lux, 2017.
  3. Un texte essentiel « Nos cerveaux, Zone à défendre prioritaire », http://www.piecesetmain-doeuvre.com/IMG/pdf/zad_des_cerveaux.pdf
  4. Groupe Marcuse : « Notre libre-arbitre est aspiré par Internet », 19/08/2019. https://www.marianne.net/debattons/entretiens/groupe-marcuse-notre-libre-arbitre-est-aspire-par-internet.
    Autre proposition de lecture : La liberté dans le coma, du groupe Marcuse (Editions La Lenteur), les auteurs proposent de replacer la critique de l’informatisation et de la vie inistrée au cœur des luttes sociales et politiques.

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