Résultats de la recherche pour : libre ce soir

Seriez-vous Libre® ce Soir® ?

Alors, aujourd’hui, La Première, NRJ, DH Radio ; Le Soir, La Libre, La Dernière Heure ; RTL-TVI, Plug RTL, RTBF ?… Qu’importe au fond, sous l’illusoire liberté de choisir votre « média » se dissimule le fait que toutes les options que vous pourrez faire reviennent au même, malgré les quelques différences visibles au niveau de la forme et du fond. Car derrière d’apparentes divergences, tous propagent une même et unique version du monde, restent confinés dans les mêmes possibles, délimitant les impossibles dès lors que sont franchies les limites, tacites, qu’on ne dépasse pas.

 A les voir, les lire et les entendre, il n’y aurait jamais rien à changer fondamentalement au monde tel qu’il va : destruction de la nature provoquée par nos modes de vie, surinvestissement du travail productif, négation de la souffrance qu’il génère et absence de réflexion sur le sens, misère et inégalités, stigmatisation du chômage que l’emploi génère inévitablement, absence de remise en cause du tout technologique, etc. « Aux yeux de la plupart des journalistes, le monde “moderne” est intrinsèquement bon (…) rien de ce qui est négatif (exploitation, oppression, chômage massif, guerres, gaspillage des ressources humaines et naturelles, etc.) n’est vraiment imputable à l’essence même du capitalisme »[note]. Il y aurait comme une absence totale de remise en question de la religion de la croissance et de l’hyper-consumérisme qu’elle nécessite. Il suffirait juste de pallier – qui vient du latin « couvrir d’un manteau » ! – les maux que le système engendre.

Pourquoi, quand vous décidez d’acheter La Libre plutôt que Le Soir, de regarder la RTBF plutôt que RTL, vous n’êtes au fond pas libre de choisir ? Plutôt que de voir dans ces différents médias une espèce de caste indifférenciée de journalistes malintentionnés, il est plus utile de se pencher sur la propriété de ces médias[note], la composition sociologique de leur rédaction et le support publicitaire qu’ils représentent. A partir de là se dessine  l’empreinte identique qui marque d’une même idéologie l’ensemble des rédactions : à savoir celle du marché roi et de la consommation comme modèle de société.

Lire la suite »
Articles

Seriez-vous Libre® ce Soir® ?

Alors, aujourd’hui, La Première, NRJ, DH Radio ; Le Soir, La Libre, La Dernière Heure; RTL-TVI, Plug RTL, RTBF ?… Qu’importe au fond, sous l’illusoire liberté de choisir votre « média » se dissimule le fait que toutes les options que vous pourrez faire reviennent au même, malgré les quelques différences visibles au niveau de la forme et du fond. Car derrière d’apparentes divergences, tous propagent une même et unique version du monde, restent confinés dans les mêmes possibles, délimitant les impossibles dès lors que sont franchies les limites, tacites, qu’on ne dépasse pas.

A les voir, les lire et les entendre, il n’y aurait jamais rien à changer fondamentalement au monde tel qu’il va : destruction de la nature provoquée par nos modes de vie, surinvestissement du travail productif, négation de la souffrance qu’il génère et absence de réflexion sur le sens, misère et inégalités, stigmatisation du chômage que l’emploi génère inévitablement, absence de remise en cause du tout technologique, etc. «Aux yeux de la plupart des journalistes, le monde “moderne” est intrinsèquement bon (…) rien de ce qui est négatif (exploitation, oppression, chômage massif, guerres, gaspillage des ressources humaines et naturelles, etc.) n’est vraiment imputable à l’essence même du capitalisme»[note]. Il y aurait comme une absence totale de remise en question de la religion de la croissance et de l’hyper-consumérisme qu’elle nécessite. Il suffirait juste de pallier – qui vient du latin «couvrir d’un manteau»! – les maux que le système engendre.

Pourquoi, quand vous décidez d’acheter La Libre plutôt que Le Soir, de regarder la RTBF plutôt que RTL, vous n’êtes au fond pas libre de choisir ? Plutôt que de voir dans ces différents médias une espèce de caste indifférenciée de journalistes malintentionnés, il est plus utile de se pencher sur la propriété de ces médias[note], la composition sociologique de leur rédaction et le support publicitaire qu’ils représentent. A partir de là se dessine  l’empreinte identique qui marque d’une même idéologie l’ensemble des rédactions : à savoir celle du marché roi et de la consommation comme modèle de société.

1. LES GROUPES MÉDIATIQUES : SOURIEZ, VOUS ÊTES CERNÉS !

Pourquoi ces médias de masse nous fourniraient-ils les instruments de compréhension de ce monde, si le risque pour eux est qu’ils voient concomitamment leurs avantages indus et leur position privilégiée disparaître? Ce serait comme couper la branche sur laquelle ils sont assis. Disons-le alors: ces groupes médiatiques ne peuvent tolérer le passage à une société décente!

Les médias belges – et parmi ceux-ci les trois quotidiens que sont La Libre, Le Soir et la DH – sont concentrés en plusieurs grands groupes qui possèdent également radios, chaînes de télévision, sites internet, distributeurs, sociétés de production et sont directement liés à des banques, agences de presse, multinationales diverses, et indirectement à des Think tanks ultralibéraux et lobbys patronaux. Nous nous contenterons d’en détailler trois : IPM, Corelio et Rossel.

1. IPM est détenu à 100% par le groupe Maja [note] , lui-même entière propriété de la Compagnie de Développement des médias, possession de la famille Le Hodey, dont Axel Miller, ancien président de Dexia et actuel patron de D’Ieteren, est président du Conseil d’administration. IPM SA possède deux journaux, La Libre Belgique et La Dernière Heure/Les Sports, ainsi que leurs éditions régionales et leurs sites internet. Le groupe détient 50% des parts de la Libre Match, dont les 50% restant sont la propriété du groupe Lagardère via sa filiale Hachette Livre. IPM possède encore 29% de Audiopresse qui elle-même possède 34% des parts de RTL Belgium (RTL-TVI, Club TTL, Plug RTL), RTL Belgium elle-même possession à 66% du groupe RTL basé au Luxembourg, lui-même conglomérat de médias luxembourgeois créé en 2000 par la fusion de la CLT-UFA et de la société de production britannique Pearson TV. Audiopresse est par ailleurs une société holding détenue par les éditeurs de presse quotidienne francophone belge et gérant une participation dans le groupe RTL Belgium. IPM détient encore 13% de l’agence de presse Belga ; 99,8% des parts de Twizz radio (DH Radio) ; 52% de Médiascap qui a des participations indirectes dans SARL Libération qui édite le journal Libération. IPM est aussi actionnaire à 50% de Courrier International EBL qui édite le Courrier International belge, journal lui-même possession du Courrier International France.

En 2008, IPM possédait 26 % des parts de marché en télévision et, en 2013, 21.73% des parts de marché en presse.

2. Corelio est un groupe de presse dont les actionnaires sont Mediacore, Cecan, Krantenfonds, De Eik, Vedesta [note]. Corelio possède 62% de Mediahuis (DeStandaard, Het nieuwsblad, Het belang van Limburg), Médiahuis – qui détient 19,5% de Belga — qui est à 38% la possession de Concentra. Corelio détient également 29,2% des parts de Audiopresse. Corelio possède également 100% de CorelioPublishing qui détient 25% de De vijver média qui elle-même est la propriété de Telenet (50%) et Waterman et Waterman… (nous arrêtons là pour Corelio Publishing, reportez-vous à la note de bas de page 4). Corelio possède également 50% des parts de Nostalgie, appartenant à Radio Nostalgie France elle-même détenue à 100% par le NRJ Group auquel appartiennent NRJ France et NRJ Belgique. Nostalgie détient également 50% des actions de Radio Nostalgie flamande, dont l’autre moitié est détenue par IPM.

Le président de Corelio est Thomas Leysen. Ce dernier fut président de la FEB (fédération des entreprises de Belgique, lobby patronal), est actuellement président d’Umicore, groupe «spécialisé en technologie de matériaux», et président de la KBC. Il est également membre de la Table Ronde des Industriels Européens[note], puissant lobby réunissant les plus grandes entreprises européennes.

En 2008, Corelio possédait 10% des parts de marchés en radio et 26% en télévision.

3. Le groupe Rossel [note]. Son président, Bernard Marchant, est ancien conseiller fiscal cher Arthur Andersen, société parmi les « Big five » dont la notoriété est plus liée au scandale de la multinationale Enron pour laquelle elle réalisait des audits, que comme éditeur de journal. Passé par la vice-présidence europe du groupe informatique Olivetti et plus tard directeur général de Beckaert, leader mondial du métal), il terminera, avant d’arriver chez Rossel, par un poste de président directeur général du groupe français 9Telecom.

Le Groupe Rossel (Le Soir, Le Soir Magazine), possède Sud Presse (100%, ce sont des éditions régionales), Éditions Urbaines (99,5%, Vlan), Imprimerie des éditeurs(99,95%), cette dernière possédant 49% de Mass Transit Média (Métro), dont les 51% restants appartiennent à Concentra. Rossel possède encore 24,9% de Radio H, propriétaire de Cobelfra (Radio Contact, Mint) et Inadi (Bel RTL) ; Radio H est par ailleurs la propriété (17,54%) de RTL Belgium. Audiopresse qui détient 34% de ce dernier est aussi la propriété de Rossel (29,34%). Enfin, Rossel détient à 50% Mediafin(L’Echo) et à 50% Grenz-Echo (Grenz-Echo), deux structures auxquelles appartiennent Holding Echos.

Rossel possédait, en 2008, 26% des parts de marché en télévision et, en 2013, 21,73 % en presse.

Restent: — le groupe Roularta[note] qui édite le Vif/L’express, Bizz, Data News, Knack, Sport Foot Magazine, Trends-Tendance, trends.be, le Vlan, RTVM, Canal Z, Télépro;

- De Persgroep: Het Laaste Nieuws, 7sur7.be, De Morgen, De Tijd, L’Echo, Tv familie, Humo, Story, VTM, 2BE, Joe FM, Vacature.com, Regiojobs.be, Autotrack.nl, des toutes boîtes, un opérateur de télécommunication (Jim Mobile), etc.

Concentration dans les médias « libres » : n’y voyez aucun intérêt privé!

L’existence de trois groupes donnent, a priori, l’illusion d’une séparation qui occulte les interpénétrations, où IPM possède via La Libre Match (Paris Match Belgique), des liens avec le groupe français Lagardère mais entretient aussi, via Audiopresse, une consanguinité avec le Groupe Rossel (qui édite Le Soir notamment) qui détient aussi en partie RTL Belgium. Une proximité étrange avec le paradis fiscal luxembourgeois (siège de RTL-Group), dont Corélio peut se targuer aussi. Les trois groupes possèdent en effet via leur participation dans Audiopresse (29% pour IPM, 29,2% pour Corelio, 29,34% pour Rossel, donc plus de 87% au total) 34% de RTL Belgium (RTL-TVI, Club RTL et Plug RTL), plus d’un tiers donc. Il ne s’agirait donc pas trop pour les journalistes de la DH, du Soir ou de La Libre notamment, de dire du mal de la chaîne privée: intérêts croisés obligent! Il n’est pas plus probable qu’ils se mettent à clarifier pour leurs lecteurs les structures auxquelles ils appartiennent. Ces actionnariats croisés sont en outre l’occasion de se rencontrer, opportunité d’accroissement futur de ses investissements.

Le champ médiatique est donc parfaitement inclus dans le champ économique plus large dont la règle première est celle de la croissance du profit, seule et unique religion. Impossible dans ce cas de se donner le temps nécessaire pour traiter l’information objectivement. Les actionnaires de référence ont à l’évidence intérêt au statu quo en raison de leur fortune et de leur position stratégique dans des institutions clés de la société» [note].

2. COMPOSITION SOCIOLOGIQUE DES RÉDACTIONS

Comment, au vu de leur structure et de leur fonctionnement, les médias dominants pourraient-ils faire pour ne pas favoriser la parole des puissants au détriment des masses populaires ? Il va de soi que si Bernard Marchant, big boss de Rossel qui possède notamment Le Soir, trouve que «la préparation au management dans la formation des journalistes est insuffisante», il ne va pas, lui comme les autres patrons de presse, rechercher à tout prix à engager des journalistes qui font un véritable travail pour informer le plus objectivement leurs lecteurs[note]. Pour Marchant et la logique du management, dans la configuration d’un média, le lecteur/auditeur/spectateur est un produit qu’il faut rendre disponible/vendre à son client qu’est le publicitaire, afin qu’il consomme ce qu’on vante dans la publicité. Le journal/télé/radio sert de support de présentation aux publicités, et donc de mise en contact du sujet avec la réclame.

Mais la sélection des journalistes est plus subtile que cela et n’a pas besoin de contrôle au faciès à l’entrée des bureaux d’entretien d’embauche. Elle a déjà lieu dans les endroits de formation, l’école ayant en outre opéré son tri social lors des 15 premières années d’enseignement. François Ruffin, étudiant-taupe au réputé centre de formation des journalistes en France, explique : «Parmi nous, aucun enfant de manœuvre, de cheminot, de caissière. Ni Black ni Beur des “zones de non-droit” (…) Un cloisonnement social que renforce encore la claustration: nous vivons entre nous. Nous discutons avec les patrons de presse et autres cadres »[note],ce qui donne souvent lieu dans le traitement des reportages à un «banal racisme de classe »[note], « Sous nos plumes, nulle remise en cause de l’ordre – scolaire, financier, judiciaire, … — établi… qui nous a, il est vrai, jusqu’ici bien servis».[note]

Les journalistes sont donc très loin du monde ouvrier et ils comprennent vite que dans leur perspective de carrière, trop remuer dans la réalité préfigure de futurs ennuis et n’est donc pas porteur en terme de «plan de carrière». Ceux qui «réussissent» sont donc ceux qui entérinent l’état du monde, relaient la doxa néo-libérale sous couvert d’un traitement neutre et objectif – sans jamais donc admettre qu’ils participent de cette doxa. Les exemples ne manquent pas. Le 20 octobre 2015, Béatrice Delvaux écrivait dans son édito «Un pari dangereux», interprétant les actions syndicales à Liège et sur le rail : «Les dirigeants syndicaux (…) évoquent des “actions isolées”, nourries par le ras-le-bol croissant des travailleurs devant l’accumulation de mesures  “antisociales”du gouvernement. Marc  Goblet [NDLR secrétaire général de la FGTB] hier se refusait ainsi à condamner ces actions, incriminant le gouvernement fédéral qui, avec sa politique, aurait allumé le feu. Cela correspond à l’évidence à un ressenti». Les réactions des travailleurs aux mesures gouvernementales ne seraient juste qu’un «ressenti», un état subjectif dans lequel il n’y aurait aucune base réellement objective; des revendications d’enfants gâtés donc, selon les médias. Les syndicalistes n’auraient dès lors le droit que de s’exprimer calmement lors de manifestations prévues et autorisées. Ou durant des «concertations sociales», terme donnant l’illusion d’une équité des protagonistes devenus «partenaires», mirage d’une égalité inexistente qui élude toute la puissance symbolique et matérielle du capitalisme (et donc aussi la position que les médias occupent dans cette structure). Si les contestataires vont trop loin, ils feraient le jeu de ceux à qui ils s’opposent, le journaliste ne percevant jamais que c’est lui qui fixe arbitrairement les limites à ne pas dépasser. Et ce jeu, dont il fait les règles, semble, au fond, bien l’arranger.

Cela nous rappelle l’interview de Xavier Mathieu, délégué syndical CGT-Continental, par David Pujadas au journal télévisé de France 2. Le journaliste, après que les salariés eurent manifesté leur colère devant la décision du tribunal de rejeter leur demande d’annulation de la fermeture de leur entreprise, le questionne:

David Pujadas: «Bonsoir Xavier Mathieu, vous êtes le délégué CGT de Continental à Clairoix. On comprend bien sûr votre désarroi, mais est-ce que ça ne va pas trop loin? Est-ce que vous regrettez ces violences?»

Xavier Mathieu: «Vous plaisantez j’espère? On regrette rien…»

David Pujadas: «Je vous pose la question.»

Xavier Mathieu: «… Non, non, attendez. Qu’est-ce que vous voulez qu’on regrette ? Quoi ? Quelques carreaux cassés, quelques ordinateurs à côté des milliers de vies brisées ? Ça représente quoi? Il faut arrêter là, il faut arrêter.»

David Pujadas: « Pour vous  la fin justifie les moyens.»

Xavier Mathieu: «Attendez ‚”la fin”… On est à 28 jours de la fin, Monsieur. On est en train de nous expliquer que dans 28 jours [images de saccage reprises en parallèle] le plan social sera bouclé et on va aller à la rue. Oui, oui, je ne regrette rien. Personne ne regrette rien ici parce que vous avez vu, vous n’avez pas vu des casseurs, vous avez vu des gens en colère, des gens déterminés, des gens qui veulent pas aller se faire démonter, crever. On ne veut pas crever. On ira jusqu’au bout de notre bagarre. On a tenu cinq semaines. Pendant cinq semaines j’ai réussi, on a retenu, on a réussi à retenir les gens. C’est fini, les gens n’en veulent plus. Le gouvernement nous a fait des promesses. Il s’est engagé à réunir une tripartite depuis le début, dans les trois jours. Ça fait une semaine que ça dure. Depuis on se rend compte…»

David Pujadas: «Xavier Mathieu, on entend votre colère, mais est-ce que vous lancez un appel au calme ce soir?»

Xavier Mathieu: «Je lance rien du tout. J’ai pas d’appel au calme à lancer. Les gens sont en colère et la colère il faut qu’elle s’exprime. Il y a un proverbe des dernières manifestations qui dit “qui sème la misère récolte la colère”. C’est ce qu’ils ont aujourd’hui. Il y a plus de 1000 familles qui vont être à la rue qui vont crever dans 23 mois avec plus rien, qui vont être obligées de vendre leur baraque. Il faut que tous vous compreniez ça. On ne veut pas crever…»[note].

Même si cette défense inconditionnelle de l’emploi, leitmotiv qui traverse l’ensemble du spectre politique, est tout à fait contradictoire avec un projet de changement global de société qui inclurait les dimensions sociale et écologique, il faut dénoncer la violence politico-médiatique et montrer qui elle sert. Et c’est lors d’émeutes et de colères inhabituelles de la masse que le mépris de classe des journalistes se manifeste d’autant plus violemment, pressentant sans doute qu’ils ont comme l’assentiment d’une partie de la population que toute l’année ils montent contre l’autre. Ce réflexe de classe, les journalistes l’ont d’autant plus facilement qu’ils sont issus, dans leur grande majorité, des classes moyennes, tiraillées entre les classes supérieures et les classes populaires, toujours dans une ambivalence, un entre-deux, «en ce sens que les classes supérieures comme les classes populaires sont l’objet à la fois et contradictoirement d’une forme de fascination et d’une forme de répulsion»[note]. Pris dans cette entre-deux, il est alors fréquent qu’ils stigmatisent les mouvements sociaux et relaient les appels au calme des instances patronales.

Prolos, vos gueules ! Regardez The Voice et éteignez vos voix !

Tout naturellement alors, «si on doit parler aux barakis, on parlera aux barakis», puisqu’il est nettement préférable pour les publicitaires et leurs clients que les barakis conservent leur position socio-économique (afin que les publicitaires et leurs clients conservent aussi la leur…), ou autrement dit que l’ignorance et la pauvreté demeurent : cela fait de meilleurs acheteurs ! Ces propos du chef de l’info de la RTBF, Jean-Pierre Jacqmin, en disent long sur le rôle premier qu’il confère aux médias publiques. Certains journalistes l’ont bien compris: «On nous demande en clair d’abaisser le niveau pour des questions d’audience»[note].   En effet, «les annonceurs seront plus généralement portés à éviter les programmes trop compliqués ou touchant à des controverses dérangeantes, susceptibles de réduire “le temps de cerveau disponible” du public[note]. Ils cherchent des divertissements légers, qui correspondent à la  fonction première des programmes: celle de diffuser le message des vendeurs[note]». A quand la prochaine saison de Plus belle la vie ? Assez vite, histoire qu’il ne vienne pas à l’idée des barakis de se la rendre réellement plus belle, la vie… Entre-temps, Béatrice a aiguisé sa plume et appris à faire accepter la fatalité (grèves de décembre 2011 : « Les grèves, compréhensibles, ne changeront rien à la réalité et à la cruauté de cette crise»), monter les uns contre les autres pour le plus grand  intérêt du patronat («Le pays à l’arrêt jusqu’à Noël» ; « L’enfer des voyageurs a  commencé»), créant le spectaculaire qui divise ( «La grève provoque la  deuxième heure de pointe la plus embouteillée de 2015», Le soir, 20/10/2015, 1er  article sur la page du site l’après-midi tout comme sur le site de La Libre le  même jour : «Grève du rail: la 2e heure de pointe la plus embouteillée de 2015»), et insistant sur ce qui peut diviser plutôt que sur ce qui devrait fédérer la lutte: ce lundi matin, cette énième perturbation dans la circulation des trains avait ainsi de quoi irriter des navetteurs dont le parcours ferroviaire ressemble souvent à un parcours du combattant. Si vous y ajoutez des grèves tournantes –qui font que vous n’en prenez pas pour un mais pour plusieurs jours vu l’exiguïté et l’interconnexion du territoirebelge  –, il y a de quoi mécontenter les plus  empathiques» (Le Soir, éditorial du 20/10/2015).

Pendant ce temps, il faut continuer à faire croire – aidé par une agence de com’ – qu’on est un «média libre» détaché de tout intérêt mercantile[note] et qu’à sa lecture «j’y vois clair» ( Formidable oxymoron ! Clair le Soir… ) . Mais quand on fait ce  qu’on ne dit pas– défendre l’intérêt des plus nantis –, il faut feindre qu’on réalise ce qu’on ne fait pas – offrir au lecteur une information objective –, et vendre l’illusion sous la forme dont on a le plus l’habitude: le slogan publicitaire. Ainsi, le Soir, via l’agence de pub Air, fait sa «campagne»: «Le Soir, je lis donc j’agis !». Didier Hamann, directeur de la rédaction du Soir, explique : «Nous voulons que Le Soir évolue vers un positionnement plus citoyen. On ne veut pas juste (Sic) informer. On veut aussi donner aux gens les clés nécessaires pour pouvoir agir. (…) Nous avons la conviction que nos lecteurs ne veulent plus être passifs et nous espérons qu’en nous lisant, ils voudront agir.» On croirait presque  le manifeste d’un nouveau parti révolutionnaire. Le directeur de la rédaction revient toutefois assez vite au basique : «Aujourd’hui, lorsqu’ils  consomment, les gens sont à la recherche de marques qui affichent des valeurs fortes en  adéquation avec ce qu’ils sont et ce en quoi ils croient ». Les valeurs, ok, mais si possible « lorsqu’on consomme»(…les produits dont Le Soir fait la pub de préférence ). La messe est dite. Feignant de promulguer des conseils stratégiques aux syndicalistes, ils leur signalent au fond qu’ils ne doivent pas dépasser les limites que les médias définissent, édictent, et respectent : « Que les travailleurs refusent des mesures qu’ils jugent inégales et donc inacceptables est compréhensible et légitime, mais les syndicats doivent se méfier de créer l’inverse de ce qu’ils cherchent » (…) « ce blocage de l’autoroute – non annoncé pour le coup  –, n’est pas du genre à consolider la popularité du mouvement syndical » (Le Soir, 20/10/2015). Ce sont les syndicalistes qui seraient la propre cause de leur impopularité, jamais les médias… On peut donc agir, mais pas trop, les chiens de garde trouvant préférable que vous « affichiez vos valeurs fortes » à la caisse du supermarché, sans oublier toutefois de sortir la carte. Dans les rangs camarades ! « Tout citoyen a le droit de manifester sa désapprobation à l’égard des décisions politiques. Toutefois la manière dont les protestations ont été “organisées”, lundi, est véritablement scandaleuse. » (Edito de La Libre, 20/10/2015). Tous ne sont pas condamnés de la même façon, comme la Lotterie  nationale, vendue sur tous les supports médiatiques, et qui nous invite à devenir « scandaleusement riche »…

Dans ce contexte, n’attendez pas des pages qui expliqueraient et légitimeraient la colère du peuple. Comme l’énonce Acrimed (observatoire critique des médias français), « cette prise de parti médiatique en faveur des classes possédantes et des institutions qu’elles dominent passe par l’occultation de ces luttes elles- mêmes, et par la stigmatisation explicite des classes populaires quand celles-ci ont le mauvais goût de se rebeller »[note]. Cette absence de perspectives nourrissant l’incompréhension et la haine de l’autre – qui à leur tour alimenteront les unes des médias !

3. LA PUBLICITÉ ET SA NÉCESSITÉ

Alexandra DIEU

Tant que Bernard Marchant et les autres auront «conscience de l’importance du rôle de la publicité dans notre société et en particulier pour nos métiers respectifs», le lecteur sera considéré comme un produit que le journal met en contact avec l’annonceur qui est son client, l’information et le souci de sa qualité ayant dès lors peu d’importance au regard de cet objectif principal[note].

C’est là un principe de marketing, que la régie média belge qui « commercialise les espaces sur la RTBF 1 et 2 (notamment) » connaît bien, appliquant avec zèle les méthodes du neuromarketing : «Visez le petit. Préparez votre cible. Marquez-la au  front le plus tôt possible. Seul l’enfant apprend bien (…) Les cigarettiers et les limonadiers savent que plus tôt l’enfant goûtera plus il sera accro. Les neurosciences ont appris aux entreprises les âges idéaux auxquels un apprentissage donné se fait le plus facilement».[note]

On pourrait attendre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), censé réguler les médias de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qu’il veille à lutter contre tout cela. Issus de partis politiques ou même du monde de la publicité, la composition de ses membres instille un certain doute quant à une possible impartialité. Sandrine Sepul par exemple, membre du collège d’autorisation et de contrôle du CSA, n’est autre que la directrice du Conseil de la Publicité, «composé et financé par les associations professionnelles des trois partenaires de la communication publicitaire que sont les annonceurs, les agences de communication et les divers médias publicitaires»[note]. Hum ! conflit d’intérêt ? Mais non… seriez-vous  complotistes à penser de la sorte ?

Le cas particulier de la RTBF : jetée dans l’arène de la concurrence

Quid de la RTBF alors, jusqu’ici – encore – chaîne publique[note] ? Prise dans un environnement compétitif, gérée par des managers, instrumentalisée par les partis politiques, soumise au diktat du chiffre et de l’audimat, colonisée par les idées publicitaires de la RMB (régie des médias belges), ne reste à la RTBF qu’à faire comme les autres.

Difficile donc de ne pas la rattacher à une même logique du chiffre, dès lors qu’elle formate ses programmes sur RTL-TVI – sans parler de la concurrence avec les chaînes françaises[note] – et a les yeux rivés sur les résultats d’audimat, véritable religion, de sa voisine privée. Et il faut dire qu’à ce niveau, notre gouvernement de la Communauté française de l’époque, a rendu un fameux service à RTL-TVI, et donc désavantagé sérieusement la chaîne publique qu’il est censé protéger. RTL Group, basé dans le paradis fiscal luxembourgeois, possède RTL-TVI, dont les locaux sont physiquement situés à Bruxelles. Première chaîne de la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais Luxembourgeoise ! grâce à un montage juridique accepté par la Ministre de la Culture de l’époque Fadila Laanan qui avait signé un protocole de coopération avec le Luxembourg. Qu’est-ce que cela change ? Eh bien ! c’est que le Luxembourg est, comment dire?… un peu à l’instar de sa politique fiscale, moins regardant en matière de publicité. La chaîne ne doit donc pas se soumettre aux règles belges en matière de publicité, malgré sa diffusion nationale[note]…

La RMB, régie publicitaire «pluri-médias», ne s’en plaint pas, elle qui commercialise les espaces publicitaires de la RTBF, mais fait de même pour NRJ, La Première, Pure, Be TV, AB3, les sites internet de My Tf1, de la DH, de la Libre… conformisme dans – l’illusion de – la pluralité. Et cette pluralité, le CSA, censé nous protéger en contrôlant la qualité des médias, en joue admirablement. Vaste groupuscule dont les membres sont issus des différentes instances décrites ci-dessus, les pages de leur site internet présentant les différents groupes médiatiques (IPM, Rossel, Corelio, etc.) ne sont-elles pas reprises dans la rubrique trompeuse «L’offre de médias et le pluralisme en Communauté française». Au vu de leur même appartenance à des organismes privés, nous ne voyons aucune pluralité, sauf s’ils définissent celle-ci comme une diversification des instances indépendamment de leurs propriétaires qui se mélangent et partagent le même intérêt et la même idéologie. Comme le dit Alain Accardo, «L’existence d’un consensus de fond n’exclut pas, bien au contraire, un certain pluralisme d’opinion (que les revues de presse mettent en scène en lui conférant par là même plus de réalité qu’il n’en a (…)cette diversité n’empêche pas que les bourgeoisies, petites et grandes, nouvelles et traditionnelles – au sein desquelles les journalistes occupent aujourd’hui collectivement, en tant que corps professionnel, une  position de  force – aient en commun une même volonté de préservation de l’ordre existant».[note]

En attendant, pour satisfaire à ses obligations de chaîne publique, on s’arrangera comme on peut, par exemple en créant la RTBF3, support permettant notamment d’assurer sa fonction d’éducation permanente, mais objet d’un profond désintérêt de la part des « managers » de la chaîne publique.

4. QUI SONT LES VRAIS PATRONS DES JOURNALISTES?

Les groupes médiatiques que nous avons décrits plus haut sont la propriété de familles parmi les plus fortunées. Un petit classement[note]?

La famille de Nolf et la Famille Claeys (Roularta): € 134.913.000 et € 58.960.000 (116ème et 240ème fortunes belges)

Famille Van Thillo (De Persgroep): € 1.066.410.000 (18)

Famille Hurbain (Rossel): € 155.707.000 (100)

Famille Thomas Leysen (Corelio): € 45.564.000 (308)

Famille Baert (Concentra : € 45.800.000 (305)

Elizabeth Mohn (vice-présidente du groupe Bertelsmann qui possède RTL-group): 3,5 milliards de dollars[note]

Concernant IPM détenu par la famille Le Hodey, nous n’avons pas trouvé d’informations sur le niveau de fortune des propriétaires. Nous savons toutefois qu’Axel Miller, président du CA du groupe Maja (propriétaire d’IPM), gagnait à l’époque chez Dexia environ 170 000 euros par mois[note].

Dès lors, vous étonnerez-vous encore de certains éditos, comme celui de La Libre du 06 janvier 2014, faisant suite à une visite organisée par les syndicats à Bruxelles pour montrer les lieux où vivent les grosses fortunes fiscalement protégées, édito dans lequel le journaliste écrivait : «A la veille du week-end, les responsables syndicaux ont réalisé un“safari” dans Bruxelles, un mini-trip destiné à pointer du doigt les “espèces fiscales protégées” de Bruxelles. Amusant? Plutôt navrant…(…) la stigmatisation systématique des “riches”, telle que la pratiquent les syndicats, est déplorable. Alors quoi, il suffit d’être pauvre pour être honnête…? Un pays a besoin de riches. Pour investir, pour prendre des risques. Le système devrait d’ailleurs faire en sorte que les grosses fortunes, et les autres, trouvent un intérêt à placer leur argent dans l’économie réelle du pays plutôt qu’à chercher des rendements élevés ailleurs. Ce ne sont pas les riches qui sont responsables de la crise, mais bien ces apprentis sorciers qui ont profité des failles d’un système pour le faire déraper». […]

Certes ! on ne va pas mordre la main qui nous nourrit bien que, de toutes façons, les analyses sociologiques du champ journalistique et une relative connaissance des mécanismes de défense psychologique, permettent de comprendre que dans la plupart des cas, ils n’y penseraient même pas.

Et tout est à l’avenant. Béatrice Delvaux, éditorialiste en chef du Soir, ancienne stagiaire au Fonds Monétaire International (FMI), qui a postfacé le livre sur Albert Frère (première fortune belge et parmi les plus grosses fortunes mondiales) «Albert Frère. Le fils du marchand de clous» ( Bruxelles, Lefrancq, 1998), notait dans l’ouvrage, il faut favoriser la «construction d’un capitalisme fort et conquérant (sic), permettant d’assurer la pérennité d’entreprises qui conservent leur centre de décision au pays». Amen!

Cette propagande rabâchée quotidiennement est plus efficace que la contrainte. Feignant parfois de déranger avec quelques reportages et émissions soi-disant subversifs qui ne sont là que pour créer du consensus : plus de riches, plus de pauvres, plus de classes ! Juste des individus mus par des intérêts et traversés d’opinions diverses. Jamais ils ne questionnent radicalement le problème, n’offrent les explications qui permettraient de comprendre l’état du monde; jamais ils n’expliquent ce qui motive la colère du peuple. Déjà, lors des émeutes de Seattle, Béatrice Delvaux, actuelle éditorialiste en chef du Soir, nous apprenait à penser comme il faut: «le “non” radical à la mondialisation est intenable dans un monde où le consommateur pose tous les jours des gestes qui font sortir les entreprises des frontières ». Et si vous n’aviez pas compris : « le marché reste le mode d’organisation le plus efficace de la vie économique — notamment parce que tous les autres ont montré leurs limites». C’était le 2 décembre 1999[note].

POUR CONCLURE, ET ÉBAUCHER LA DÉFINITION DE CE QU’EST UN VRAI MÉDIA[note]

Mr Iou

Que peut-on conclure de tout cela? Ceux qui possèdent les médias, censés nous rendre plus clair le monde, rapprocher ce qui est lointain, nous aider à comprendre, nous faire vivre ce qui n’est pas directement accessible par nos sens, sont en fait des laquais du pouvoir, des administrateurs de banques et de grandes marques automobiles ; membres de Think Tanks ultra-libéraux et puissants, de fédérations patronales, issus de grandes familles, la possession des principaux médias leur assure un contrôle de la pensée sous le faux-semblant d’une pluralité de surface.

La réalité que nous présentent les médias est donc une pure fabrication censée les protéger au mieux. «On peut dire que la représentation médiatique du monde, telle qu’elle est fabriquée quotidiennement par les journalistes, ne montre pas ce qu’est effectivement  la réalité mais ce que les classes dirigeantes et possédantes croient qu’elle est, souhaitent qu’elle soit ou redoutent qu’elle devienne. Autrement dit, les médias et leurs personnels ne sont plus que les instruments, plus ou moins consentants et zélés, dont la classe dominante a besoin pour assurer son hégémonie. Comme tels, ces instruments doivent être démontés et combattus avec vigueur et sans relâche – ce que ne font malheureusement pas les organisations de la gauche institutionnelle, qui ont renoncé à la critique de classe et sont toujours prêtes à pactiser avec l’ennemi au nom de la bienséance républicaine, du réalisme politique et de la nécessité d’exister médiatiquement»[note].

J’ajouterais que même parmi ceux qui ne pactisent pas avec l’ennemi, il y a, dans un monde où l’image a pris tant d’importance, une quête continue du «moment médiatique». Ceux qui aspirent à une autre société ne voient parfois très paradoxalement leur salut qu’en terme de visibilité dans les médias de masse. Pourtant, ces derniers sont en parfaite opposition avec les aspirations de ceux à la recherche d’une société décente. Pensant avoir gagné une minute à la «une», ils demeurent en fait les grands perdants[note].

Il faut démonter et combattre donc sans relâche ces organes pérennes et délétères anti-démocratiques, tout en créant d’autres médias qui, eux, serviront de support à la défense de la vérité et à la voix du peuple. Sans cela, il faut croire que les luttes ne mèneront à rien de consistant… «un mouvement de masse dépourvu  de tout soutien médiatique et devant lutter contre une presse résolument hostile est pour le moins handicapé…»[note].

Rechercher à ce qu’ils nous représentent constitue une perte de temps immense. Dotés de telles structures, les médias de masse ne peuvent élucider les mécanismes d’exclusion et amener par la pensée critique à un véritable changement. Nous voyons donc que ces médias qui cherchent à se faire passer pour de simples témoins décrivant une réalité, la créent de toute pièce: en choisissant d’omettre une information, de focaliser son attention sur un fait, ils élaborent une représentation médiatique du monde qui n’est que son apparence. Pensant le monde de manière faussée, nous ne pouvons donc pas agir, contrairement à ce que disent leurs slogans.

Nous pouvons attendre qu’ils changent. Ou faire vivre notre propre média. A nous de choisir.

Un vrai média d’information doit selon nous se distinguer par différents critères:

- ne pas dépendre de structures qui utilisent les médias comme instrument idéologique au service de leurs intérêts, comme on l’a montré ci-dessus;

- ne pas être financé par de la publicité, même par des organismes non commerciaux comme des ONG;

- ne pas cohabiter pacifiquement à côté de la presse dominante, mais s’attacher à en faire une critique radicale et à mettre au jour ses fonctionnements;

- être radical dans son approche des faits, c’est-à-dire prendre les problèmes à leur racine;

- faire un travail de recherche de la vérité, s’approcher le plus possible du traitement objectif de l’information, sans se priver de certains sujets sous le faux prétexte d’anticiper la réaction des lecteurs (argument spécieux qui occulte le fait que c’est plutôt la réaction des actionnaires et des publicitaires que les patrons de rédaction anticipent).

Alexandre Penasse

Lire la suite »
Articles

Complotiste réhabilité, médias recalibrés ? Non, recroquevillés

Serge Van Cutsem 

(Illustration Isabelle Biquet)

L’arrêt du 6 mai 2025 rendu par le Conseil d’appel de l’Ordre des Médecins dans l’affaire du docteur Alain Colignon constitue un tournant discret et pourtant fondamental, et celui-ci ne concerne pas uniquement la Belgique car il y a fort à parier qu’il pourra faire jurisprudence au sein de tous les pays qui ont maltraité tous les membres du corps médical qui ont eu comme seul tort d’avoir raison et surtout d’avoir respecté à la lettre le serment d’hypocrate.

Alors que ce médecin intègre et courageux avait été lourdement sanctionné en 2022 pour ses prises de position sur la gestion du Covid-19, la cour d’appel rejette désormais l’essentiel des accusations, reniant ainsi ses thèses de 2022.

Mais ce retournement embarrasse certains médias, qui préfèrent travestir l’événement.

Car en réalité, que dit ce jugement en appel, en le résumant au mieux car le texte intégral est très indigeste pour le citoyen lambda.

1. Il n’y a aucune faute sur le fond :

Le docteur Alain Colignon ne peut pas être sanctionné pour ses opinions médicales (traitements, vaccins, etc.). La cour reconnaît d’ailleurs que ses propos relèvent de l’intérêt général, qu’ils s’inscrivent dans le débat public, et que rien ne justifie une censure. Même si ses opinions dérangent, elles sont protégées par la liberté d’expression. On ne peut pas s’empêcher de mettre ce jugement en parallèle avec celui concernant le docteur Christian Perronne en France, où le Conseil de l’Ordre a blanchi le professeur Perronne après l’avoir violemment condamné.

2. Il y a faute sur la forme :

Il est en revanche sanctionné pour des propos virulents et dénigrants envers des confrères et le président de l’Ordre. Comparaisons exagérées, attaques personnelles : ces excès sont jugés contraires à la déontologie. La sanction se limite à 2 mois de suspension. Il s’agit purement d’un moyen de s’en sortir par le haut, mais le docteur Alain Colignon a déjà décidé de se pourvoir en cassation.

C’était bien entendu sans compter sur nos chers médias mainstream et propagandistes qui restent fermement figés sur le passé et aveugles sur la réalité d’aujourd’hui, quoique ce soit plus fin qu’il n’y paraît de prime abord.

Ils présentent cette victoire en la travestissant, comptant sur l’habitude de leurs lecteurs à s’arrêter au titre. En effet, la soif d’information n’est plus leur moteur de réflexion, pourvu que ces titres les rassurent et surtout confortent leurs croyances.

Pourtant, cet arrêt acte une réelle réhabilitation de manière incontestable. L’Ordre, qui avait sanctionné sévèrement le docteur Colignon pour ses prises de position, reconnaît désormais qu’elles ne justifient aucune sanction disciplinaire, mais pour ne pas se dédire totalement, il conserve une petite sanction, sur la forme. C’est un recul institutionnel déguisé en fermeté pour ne pas perdre totalement la face.

Le rôle malfaisant des médias

Dans cette affaire, le comportement de certains médias, entre autres Le Soir, La Libre, mais pas que, apparaît non seulement biaisé, mais activement malfaisant. Leur couverture de l’arrêt d’appel ne vise pas à informer, mais à entretenir une fiction punitive à des fins idéologiques.

Alors même que l’Ordre reconnaît que le docteur Colignon ne peut être sanctionné pour ses opinions médicales, Ces médias persistent à le désigner comme « proche de la sphère complotiste » et à parler de « conseils aberrants », recyclant ainsi les termes de l’ancienne condamnation qui a été annulée.

Ce n’est plus de l’information, c’est du formatage. Ce n’est plus une erreur, c’est une intention.

La méthode est simple : ne jamais admettre que ceux qui avaient raison trop tôt ont eu raison tout court. En agissant ainsi, ces médias ne corrigent pas le récit, ils verrouillent le présent pour protéger leurs mensonges passés.

Ils refusent la complexité, ils refusent le doute, ils refusent la démocratie du débat. Ils persistent à confondre science et scientisme.

Mais surtout, et c’est cela qui est le plus important, ils préparent le terrain pour la prochaine campagne d’intimidation narrative, qu’il s’agisse d’une nouvelle pandémie, d’une crise climatique, ou de toute autre urgence où la vérité devra obtenir un visa de conformité avant de voir le jour.

Et si d’aventure la vérité devait être enfin verrouillée et le débat définitivement ouvert et permis, ils se réservent ainsi une position de repli. Mais une demi-vérité n’est jamais qu’un mensonge déguisé.

L’affaire Colignon révèle un malaise plus profond : les institutions commencent à corriger leurs excès, mais les médias restent les gardiens d’un récit figé. Une démocratie mûre devrait permettre à chacun de s’exprimer, sans risquer l’exclusion ou la diffamation. Ce que cette affaire met en lumière, c’est le pouvoir immense de la presse à déformer les faits pour maintenir une vérité de convenance, même contre l’évidence juridique.

Il ne s’agit donc plus d’un problème de traitement médiatique ponctuel. Il s’agit d’un dérèglement structurel du rôle de la presse. Et si ce phénomène n’est pas dénoncé et contrecarré, il continuera d’alimenter l’érosion du débat démocratique, en faisant des médias non plus des contre-pouvoirs, mais des organes d’alignement idéologique.

Cette stratégie est également un outil de conditionnement. En refusant d’admettre que le débat était légitime, en diabolisant toute voix discordante, les médias traditionnels posent les jalons d’une obéissance future. Ce n’est pas seulement le passé qu’ils verrouillent : c’est le futur qu’ils balisent. Ainsi, lorsqu’une prochaine crise surviendra — sanitaire, climatique, ou autre — le public sera déjà préparé à désigner les bons et les méchants, à savoir qui écouter et qui ignorer, et aussi à censurer sans réfléchir en s’érigeant kapos du pouvoir, ce qui rappelle des années très sombres.

Mais à mesure que le temps passe, et que les faits rattrapent les dogmes, ces médias sont confrontés à une impasse : ils doivent soit reconnaître qu’ils se sont trompés, soit persister dans le mensonge. Ils choisissent, pour l’instant, la seconde option. C’est un choix stratégique : il ne s’agit plus d’informer, mais de survivre en tant qu’autorité narrative.

Les médias institutionnels n’ont jamais supporté l’idée que des médecins, scientifiques ou journalistes indépendants aient pu, dès 2020, identifier les dérives de la gestion sanitaire. Il était vital pour eux de les neutraliser symboliquement, en les assignant à la marge, dans un enclos lexical : « complotistes », « antivax », « extrémistes ». Cela a permis de suspendre le débat, de bloquer toute remise en cause du discours dominant.

Pourquoi tant d’empressement à continuer de le qualifier de « complotiste », alors que même la juridiction disciplinaire — pourtant rarement indulgente avec les voix dissidentes — reconnaît qu’il ne doit pas être sanctionné pour ses opinions médicales ?

Parce que reconnaître qu’il avait raison reviendrait à admettre l’échec de toute une chaîne d’obéissance : politiques, experts officiels, et journalistes, le tout étant sous l’emprise de Big Pharma.

Au-delà de cette affaire, ce qui se joue ici est bien plus vaste. Les médias dits « de référence » ne sont plus, depuis longtemps, de simples relais d’information neutres. Ils sont devenus des instruments de pouvoir, des prescripteurs de vérité officielle. Leur rôle n’est plus de rapporter les faits, mais de les encadrer, de les hiérarchiser, de les interpréter à travers le prisme de récits imposés. L’affaire Colignon en est une illustration frappante car ils en sont même arrivés à travestir les décisions de l’Ordre de Médecins, se disant en aparté : « Mince alors, même eux nous ont lâchés ».

Le journalisme du XXIe siècle, tel qu’il se dessine ici, ne cherche plus à dire le réel, mais à le discipliner, à le fondre dans le récit, le narratif.

Lire la suite »
Articles

Assange est libre, pas la presse…

Lundi 18 novembre, la place de La Monnaie.

Photos RENAUDFANG.COM

Souvenez-vous, il n’y a pas si longtemps, et pendant plus de cinq ans, des femmes et des hommes arpentaient chaque lundi cette place centrale de Bruxelles pour informer les citoyens de la situation de Julian Assange, criminalisé par les USA, emprisonné à Londres pour avoir fait son travail de journaliste.

Aujourd’hui, grâce à la mobilisation de milliers de gens dans le monde, Assange est libre. Mais la liberté de la Presse, le droit de savoir, le droit d’être informé ressemble toujours plus à une baudruche crevée…

Et le journaliste honnête, qui fait son travail en conscience, qui « défend la liberté de l’information, du commentaire et de la critique. Et qui respecte la vérité quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité » ( charte de Munich ; Déclaration des devoirs et des droits des journalistes) risque d’y laisser sa vie. En Palestine, le mot presse sur le gilet censé protéger les journalistes s’est transformé en une cible accrochée dans leur dos.

Les big-médias traditionnels toujours friands d’infos sanglantes ne font pourtant pas leur une sur l’assassinat des journalistes au Moyen Orient…

Et donc, ce lundi 18 novembre, le « Comité Free.Assange.Belgium », dans la droite ligne de ses engagements pour une presse libre et juste, est revenu Place de la Monnaie pour dire haut et fort, en images et en discours :

STOP A L’ASSASSINAT DE JOURNALISTES PAR ISRAËL À GAZA.

RENAUDFANG.COM

Cette action a été soutenue par l’Association belgo-palestinienne.

Présent aussi, Lode Vanoost, journaliste à « DeWereldMorgen.be », a dénoncé dans son discours la faillite des médias traditionnels :

« …Assange est libre, mais la lutte est loin d’être terminée, bien au contraire. Les chiffres sont hallucinants : plus de 180 journalistes ont été tués, massacrés à Gaza. Les émeutes à Amsterdam étaient dérisoires en comparaison, mais elles ont révélé une réalité importante : la faillite morale des médias mainstream. Ce n’était pas du cadrage biaisé, ni des distorsions. C’était une inversion complète des faits. L’hypocrisie totale dans toute sa splendeur. (…)La photographe d’Amsterdam Annet De Graaf a filmé des images de hooligans du Maccabi frappant des gens. Avec stupeur, elle a constaté que les commentaires accompagnant ses images dans The Guardian, The New York Times et la BBC affirmaient exactement le contraire. Ils ont transformé ces fanatiques génocidaires en victimes. (…) Voilà le niveau journalistique de nos médias. (…) C’est à nous tous, sur les réseaux sociaux, dans nos médias alternatifs, de continuer à répondre à cette honte. Non au génocide, non aux mensonges médiatiques. »

RENAUDFANG.COM

Extrait du discours de l’ ABP : «  La guerre se gagne aussi par la communication. Et ça, Israël l’a bien compris. C’est pourquoi, depuis le début du génocide, Israël tente d’éteindre toute voix qui rendrait compte des massacres qu’il est en train de commettre en Palestine. (…)Être journaliste en Palestine, c’est vivre constamment avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Craindre constamment pour soi et pour sa famille d’être la cible des drones pour avoir tenté de rendre compte de ce cauchemar éveillé. D’élever sa voix, de faire voir au monde ce qu’il permettait. (…)Mais les journalistes palestiniens, qui ont bien des leçons à fournir en termes d’éthique à la majorité des journalistes occidentaux, continuent de travailler malgré la menace constante qui pèse sur elles et eux. En espérant que le monde se réveille. »

Nous en sommes bien loin : La classe politique européenne soutient les assassins de masse israéliens en Palestine. Dans notre pays, des mandataires politiques se réjouissent lorsque des crimes de guerre sont commis par Israël : « Les bipeurs, c’est du génie ! » selon MM Francken et Bouchez !! sans grande réaction d’autres hommes politiques, sans que « la Ligue des droits de l’homme », pardon, « des droits humains » n’assignent, à ma connaissance, ces personnages en justice pour apologie de terrorisme !

Un des moments les plus émouvants fut la longue, très longue lecture à voix haute des noms de 188 journalistes palestiniens assassinés à Gaza depuis le 8 octobre 2023.

Nombreux étaient les passants qui ne connaissaient pas l’ampleur de ce massacre. Scandalisés, ils ont signé la lettre ouverte proposée par le comité. Elle sera envoyée au parlement européen et au parlement fédéral:

« Aujourd’hui, partout dans le monde, mais principalement à Gaza, Cisjordanie, et an Moyen Orient, les journalistes qui font bien leur travail, qui informent les populations, qui disent les crimes de guerre, sont ciblés, pourchassés, emprisonnés, assassinés, par ceux qui veulent que les populations soient dans l’ignorance. Le droit de savoir, le droit d’être informé et construire ainsi notre pouvoir de décision est un droit imprescriptible en démocratie. Nous avons défendu Julian Assange. Aujourd’hui, grâce à la mobilisation de milliers de personnes scandalisées par la criminalisation de son travail de journaliste, il est libre. 

C’est ce combat que nous menons, celui pour le droit de savoir, le droit d’être informé et construire ainsi notre pouvoir de décision. Nous vous demandons instamment, Mmes Mrs, de soutenir les journalistes indépendants, et de continuer avec eux le combat pour la liberté de la presse et une véritable information.

Exigeons de nos gouvernements qu’ils appliquent et fassent appliquer les lois internationales en actes et pas en paroles, coupent les liens avec l’état d’apartheid criminel d’Israël et dénoncent l’assassinat des journalistes et la destruction de la liberté de la Presse ».

Le Comité Free.Assange.Belgium  a l’intention de renouveler cette action de « salut moral » aussi souvent que nécessaire. Espérons, pour les journalistes palestiniens et arabes, que cela ne dure pas aussi longtemps que pour Assange…

Lire la suite »
Contributions extérieures

Lettre ouverte en réponse à l’article du « Soir » du 3-11-2022.

Ci-dessous la lettre ouverte en réponse à l’article du « Soir » du 3-11-2022, rédigée par douze collectifs citoyens unis au nom de l’objectivité et du principe de précaution.

L’article rédigé par Anne-Sophie Leurquin et Arthur Sente et publié par le journal « Le Soir » le 3-11-2022 a de quoi surprendre par son imprécision, ses omissions et sa partialité[note].

Tout d’abord, d’un point de vue strictement juridique, les journalistes précités auraient dû se renseignerdavantage sur le contenu exact de la citation à comparaître, soit auprès de la docteure S. ou de l’Aviq, soitauprès de la plaignante ou de son avocate. De cette façon, ils auraient constaté que la plaignante – outre la loi du 22 août 2002 sur les droits du patient — invoque également la loi du 7 mai 2004 relative auxexpérimentations sur la personne humaine, laquelle prévoit effectivement en son art. 6 §1er que leconsentement du patient doit être donné par écrit[note]. Cette loi est bien d’application au cas d’espèce puisque d’une part les vaccins inoculés sont seulement en phase 3 (dite « expérimentale » et ne disposant que d’une autorisation provisoire de mise sur le marché), et que d’autre part un vaccin doit être considéré comme un médicament en vertu de l’art.1 – 1° de la loi du 25–3‑1964 sur les médicaments.

Pareillement, le Code de déontologie médicale – également invoqué dans la citation – exige en son article 45 le consentement écrit du patient participant à une expérimentation humaine. Par ailleurs, lorsque les journalistes précités soulignent que les centres de vaccination ne demandent pas non plus de consentement écrit, ils ne font en réalité que mieux démontrer la faute commise par l’Aviq dans son organisation de la campagne de vaccination.

Ensuite, en parlant de la gestion de l’« urgence pandémique », Mme Leurquin et M. Sente en font un résumé singulier : selon eux, le temps nécessaire (7 à 10 ans) pour obtenir une autorisation définitive de mise sur le marché était trop long eu égard à la nécessité de « protéger d’urgence les plus vulnérables et d’assurer une continuité de soin dans les hôpitaux surchargés ». En Mars 2020, les consignes officielles consistaient à renvoyer les patients chez eux en absorbant simplement du paracétamol favorisant de la sorte le développement de la maladie, et il a donc fallu hospitaliser massivement des patients qui auraient pu être soignés aisément. Dès lors, parler d’hôpitaux surchargés comme d’une fatalité est fallacieux. De plus, en novembre 2021, des scientifiques de l’université de Gand ont publié une étude indiquant que les personnes qui sont tombées gravement malades de la Covid-19 ont un point commun, à savoir une carence alimentaire : « Presque tous les patients qui finissaient par tomber gravement malades ou même mourir à l’hôpital présentaient une grave carence en sélénium et en zinc dans leur sang à l’admission »[note]. Force est de constater qu’aucune mesure générale de prévention n’a été promotionnée par les pouvoirs publics (et en particulier l’Aviq dont c’est pourtant la mission !) pour rendre les personnes « les plus vulnérables » plus résistantes. Le renforcement de l’immunité naturelle est considéré par un large consensus scientifique comme étant la meilleure manière d’éviter la propagation des maladies virales. Rappelons également que les deux doses initiales de ces vaccins devaient avoir une « efficacité » de 95 %, mais que les dernières études indépendantes démontrent que les personnes vaccinées développent plus de formes graves que les personnes non vaccinées, et cela même chez les personnes de plus de 85 ans. Les chiffres de septembre 2022 de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) du Gouvernement français indiquent clairement que la triple vaccination expose davantage les personnes aux formes graves de la Covid et aux décès que les personnes non vaccinées ![note] Visiblement, les journalistes sont mal informés.

Selon ces derniers, cette mise sur le marché accélérée a garanti « scrupuleusement le même niveau de sécurité et en continuant de scruter de près les effets secondaires éventuels », insistant d’ailleurs en les qualifiant de « très rares ». Rappelons que les essais cliniques ont été réalisés par les sociétés pharmaceutiques elles-mêmes, qu’elles n’ont pas évalué les effets de la répétition des doses ni même du mélange de différents vaccins, que la mise sur le marché accélérée ne pouvait pas prendre en compte les effets indésirables sur le long terme et que les vaccins sont distribués à des milliards de personnes. Le relevé officiel des effets secondaires graves (entraînant hospitalisation, mise en jeu du pronostic vital ou décès) rapportés en Belgique s’élevait à 2.750 cas au 24 janvier 2022[note], et selon les données de pharmacovigilance européenne, sur une population qui ne meurt pas du Covid, 800.000 effets indésirables ont été signalés dont 26.000 décès[note].

Plutôt que de s’interroger sur les raisons profondes de cette plainte, Le Soir préfère retranscrire les écrits que la docteure S. a publiés sur une plateforme médicale spécialisée (MediQuality), une tribune intitulée : « La solitude d’une généraliste trainée devant les tribunaux par des complotistes ». Le titre donne le ton, l’auteure n’aborde pas la santé, ni les effets indésirables, mais se retranche derrière les « recommandations scientifiques et gouvernementales » qu’elle a « scrupuleusement (et avec conviction) » appliquées. C’est elle, « simple exécutante » de la vaccination, la victime d’une « ahurissante mésaventure ». 

La docteure S. va jusqu’à remettre en question la crédibilité de son ancienne patiente, ainsi que la crédibilité des médecins (diplômés, expérimentés et à l’écoute de leurs patients) l’ayant prise en charge (propos repris intégralement dans l’article du Soir) :« La plaignante est parvenue à trouver des pseudo-médecins ayant rédigé des pseudo-attestations affirmant des pseudo-liens entre son état et ma seringue du Big Pharma » ironise-t-elle ainsi. « Le secret de l’instruction[note] ne me permet pas de les citer, mais vous aurez deviné qu’on retrouve tous les druides des sphères antivax et complotistes de la Belgique francophone, certains virés de quelques hôpitaux pour les mêmes raisons. ». Pourtant, du point de vue médical, si sa patiente était en parfaite santé avant l’injection (ce qu’elle devrait mieux savoir que quiconque), comment expliquer autrement les pathologies (graves troubles neurologiques) dont elle souffre aujourd’hui ? Il faut savoir que la preuve du lien de causalité par l’exclusion de toute autre cause possible est maintenant admise par la jurisprudence du Conseil d’Etat français (arrêt du 29–9‑2021), précisément en la matière des effets indésirables consécutifs à une vaccination. La véritable victime de cette histoire est bien la plaignante.

La docteure S. s’approprie les expressions caricaturales « antivax et complotistes » pour en faire un amalgame avec une personne qui, dûment vaccinée, demande que l’on reconnaisse son invalidité et sa souffrance. Le simple fait de devoir passer par la case tribunal démontre sa difficulté à être entendue. Le déni de souffrance est un déni d’humanité. L’expression « complotiste » est utilisée à tort et à travers dans le seul but de discréditer les auteurs d’un discours critique de la doxa gouvernementale relatif à la gestion de la pandémie, mais sans pour autant réfuter les arguments de ces derniers[note].

Pour revenir à l’article du « Soir » précité, il faut relever que la rédaction du dernier paragraphe de cet article donne à penser dans le chef de lecteurs non avertis (soit sans doute la majorité du lectorat du journal) que l’action intentée contre la docteure S. est bien le fait du « milieu anti-vaccin », et que ce sont bien des « pseudo-médecins qui ont rédigé des pseudo-attestations ». En effet, en l’absence de tout commentaire critique ou de prise de distance par rapport aux assertions de la docteure S, rien ne permet de penser que celles-ci sont sujettes à caution. Plus précisément, Mme Leurquin et M. Sente se sont-ils enquis de ce qu’était le « milieu anti-vaccin », ont-ils demandé à la plaignante ou à son avocate de pouvoir vérifier quels étaient ces« pseudo-médecins », ou encore de pouvoir consulter les « pseudo-attestations » ? Et si cela s’était avéré impossible, pourquoi n’ont-ils émis aucune réserve sur les termes utilisés ? Il apparaît donc que ces journalistes semblent avoir manqué à leur devoir d’information complète et objective (en ce compris la vérification de la véracité des informations) garanti par le Code de Déontologie Journalistique et la Déclaration des Devoirs et des Droits des Journalistes.

article complet du journal le Soir publié le 4 novembre 2022

Le rôle des journalistes n’est pas de discréditer mais d’informer.

Les collectifs citoyens ALPHA Citizens, Zone Libre, Les Belges se réveillent, Réinfo Covid, Covi Soins, Med4Health, Responsible Rebels, Revivance, Résistance et Libertés, Grappe, Liège Décroissance, Santé et Démocratie[note].

Lire la suite »

CENSURE DE FRANCE SOIR PAR GOOGLE, LE DROIT DU PLUS FORT

Dans la censure qu’opèrent parfaitement bien les GAFAM, Kairos a été ciblé, sa chaîne YouTube de 43.000 abonnés ayant été fermée sous le prétexte honteux de ne pas respecter « les critères de la communauté »[note]. Mais nous ne sommes bien évidemment pas les seuls, France Soir ayant également fait les frais de la privatisation de la parole publique et des attaques médiatico-politiques. Leur avocat explique les dessous de l’affaire, qui est peu ou prou identique à la nôtre. L’occasion de se concerter entre médias libres. 

Le Tribunal de commerce de Paris non seulement valide la censure de Google mais rajoute à cette censure

Par jugement en date du 6 septembre 2022, le Tribunal de commerce de Paris a débouté France Soir [note] de son action à l’encontre des sociétés Google, et l’a condamné à leur payer plus de 70.000 euros de frais de justice (article 700 du CPC)[note].

France Soir demandait le rétablissement de ses articles dans Google Actualité, de sa chaîne Youtube, et de ses services de publicité (Admanager et Adexchange).

Pourquoi condamner les sociétés France Soir à une telle somme, si ce n’est pour pouvoir les censurer encore davantage ?

A l’origine de cette censure : l’application de ses règles par Google interdisant de diffuser tout contenu contraire au consensus de l’OMS et des autorités locales, en lien avec l’épidémie de Covid.

70.000 euros d’article 700 !

La condamnation de France Soir à payer 70.000 euros de frais de justice aux sociétés Google pourrait à elle seule justifier de faire appel. Il s’agit d’un véritable record. En effet, lorsque les sociétés Google sont condamnées à payer ces frais, leur condamnation ne dépasse généralement pas les 20 000 euros [note], et atteint exceptionnellement les 50 000 euros [note].

Pourquoi condamner les sociétés France Soir à une telle somme, si ce n’est pour pouvoir les censurer encore davantage ? A la censure de Google, s’ajoute ainsi désormais la censure du tribunal. Comme si France Soir, et la société Shopper Union France qui l’édite, n’étaient pas déjà assez mutilés, affaiblis.

Le pouvoir de s’exprimer librement

Il faut croire que France Soir doit avoir un sacré pouvoir pour que l’on tente de l’anéantir à ce point. Il est vrai qu’il détient un certain pouvoir, celui de s’exprimer librement. On peut ne pas partager ses idées, mais de là à bannir France Soir de Google Actualité et Youtube, il n’y a qu’un pas, que Google, puis le tribunal, ont franchi.

Mais qu’est ce qui justifie une telle condamnation de France Soir ? Hélas, nous avons beau lire le jugement, aucun argument ne la justifie vraiment. La censure de Google est unique par son ampleur, sa violence. 

Elle nous rappelle les pires moments de l’histoire, avec l’inquisition, ses autodafés, et autres bibliocaustes : plus de 55.000 articles désindexés de Google Actualité, et une chaine Youtube de 277.000 abonnés, intégralement supprimée.

Mais qu’est ce qui justifie une telle condamnation de France Soir ? Hélas, nous avons beau lire le jugement, aucun argument ne la justifie vraiment. 

Mais les sociétés Google ne sont pas les seules à vouloir museler France Soir.

Tout le monde a intérêt à l’évincer :

Google et les autres sociétés du groupe Alphabet, en partenariat avec l’OMS et/ou les grands laboratoires pharmaceutiques,

L’Etat qui défend « quoi qu’il en coûte » sa politique sanitaire du « tout vaccin »,

Les médias concurrents qui font passer France Soir pour un vulgaire « blog » sans journaliste, complotiste, voire d’extrême droite.

Le pire est que France Soir n’a pas à se battre contre un seul, mais contre les 3 à la fois, lesquels sont eux-mêmes liés par des partenariats, des intérêts convergents, et forment donc un véritable monstre.

L’absence de « loi »

La censure des sociétés Google est, tout d’abord, infondée. Elle ne repose sur aucune loi, aucun contrat. Le Tribunal a cautionné la thèse des sociétés Google suivant laquelle, sa règle d’interdiction de contenu contraire au consensus, serait de nature contractuelle.

Il déduit l’acceptation par France Soir des règles de Google Actualité du seul fait de l’insertion de la balise « max snipet » dans son code source, et des règles de Youtube du seul fait de la création d’une chaîne.

Concernant l’insertion d’une balise, pas besoin d’être juriste pour comprendre qu’elle ne peut valoir acceptation de règles. S’agissant de Youtube, le tribunal invente le fait que, pour créer une chaîne, il faut « cliquer sur la formule en utilisant ce service, vous en acceptez les Règles ».

La censure des sociétés Google est infondée. Elle ne repose sur aucune loi, aucun contrat.

Ce que les sociétés Google, faute de preuve, elles-mêmes ne prétendaient pas… Le tribunal est donc allé jusqu’à inventer de nouvelles pièces. La cour d’appel appréciera.

Le tribunal a donc conféré aux règles de Google une nature contractuelle qu’elles n’ont pas.

 Une règle abusive

Même à supposer que la règle de Google ait été acceptée par France Soir comment ne pas reconnaître qu’elle est abusive ? En effet, rien n’est plus mouvant, subjectif qu’un consensus. Il ne s’agit pas d’une règle objective, prévisible.

Cette règle est en outre dangereuse car elle vise à priver tout débat, toute opinion contraire, toute critique scientifique, ou du pouvoir en place. Elle est enfin absurde : pour atteindre le consensus, il faut débattre. Interdire de débattre revient ainsi à interdire le consensus.

Il est loin le temps de la démocratie athénienne laquelle invitait chaque citoyen à s’exprimer au travers de la question qui leur était posée : « Qui veut prendre la parole ? ». Certes Google n’est pas la Pnyx, mais en raison de sa position dominante sur le marché de l’information, comment ne pas tenir compte de son impact sur la population, la démocratie même ?

Google n’est pas une simple plateforme, il est le principal moteur de nos sociétés fondées sur l’information.

De fausses informations ?!

Le fondement contractuel, et l’objectivité même des règles de Google étant contestables, le tribunal tente de justifier la censure de France Soir en validant une autre thèse de Google : France Soir diffuserait de « fausses informations », qualification crée par la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information.

Google n’est pas une simple plateforme, il est le principal moteur de nos sociétés fondées sur l’information.

Or la jurisprudence, tant du Conseil constitutionnel (Décision n° 2018–773 DC du 20 décembre 2018), que des juridictions judiciaires[note] qualifient de fausses informations celles qui sont objectivement fausses, dénuées de tout lien avec la réalité, et diffusées de manière artificielle ou automatisée, massive et délibérée.

Est-ce que France Soir nie l’épidémie ? Non, il conteste en revanche les discours alarmistes qui exagèrent sa dangerosité,

Est-ce que France Soir nie la surmortalité ? Non, il critique les chiffres tout en ne niant pas qu’il y ait eu une surmortalité,

Est-ce que France Soir affirme que les vaccins ARN modifient les gènes ? Non, il dit qu’il y a simplement un risque, et qu’aucune preuve scientifique n’apporte la preuve contraire,

Est-ce que France Soir nie le bénéficie-risque des vaccins ? Non, il dit simplement que cette balance varie selon les personnes concernées, selon leur âge, et leur comorbidité,

Est-ce que France Soir nie l’efficacité des tests PCR ? Non, il rappelle que son inventeur lui-même avait émis des doutes sur son efficacité,

Est-ce que France Soir nie l’efficacité du port du masque ? Non, il explique que le masque peut être utile dans certains cas, à l’hôpital notamment, et inutile dans d’autres, quand, par exemple, vous vous promenez seul sur la plage,

Est-ce que France Soir dit que les traitements alternatifs sont des solutions miracles ? Non, il dit qu’ils peuvent avoir une certaine efficacité au stade précoce de la maladie, ce qui repose sur des études scientifiques sérieuses.

Au lieu de tenir compte de ces nuances, de reconnaître que France Soir ne diffuse pas de fausses informations, au sens juridique du terme, le tribunal a repris en bloc les arguments de Google qui présente France Soir au travers de « petites phrases » décontextualisées, extraites de ses articles et vidéos, qui visent à faire peur, à diaboliser, à faire croire au grand méchant loup.

 La blanche colombe

De l’autre côté de la barre, rien ne serait à reprocher aux sociétés Google :

Elles informeraient parfaitement leurs utilisateurs quant à leur ligne éditoriale « consensuelle »,

Leurs règles seraient parfaitement acceptées par les éditeurs, tant dans Google Actualité du seul fait de l’insertion de la balise « max snipet », que dans Youtube du seul fait d’avoir créé une chaîne,

La sanction des sociétés Google serait parfaitement nécessaire, proportionnée,

Bien sûr les sociétés Google n’auraient aucun intérêt privé, seraient complètement désintéressées, et ne se battraient que pour le bien commun de l’humanité.

Pour me battre depuis 20 ans contre les sociétés Google, permettez-moi d’en douter un peu. 

Après une longue bataille, le Tribunal judiciaire de Chambéry vient de nous donner raison en reconnaissant le caractère illicite d’une fiche Google My Business du géant américain (Voir l’article Fiche Google My Business : Google encore condamné.)[note].

Sans compter que les sociétés Google sont régulièrement condamnées notamment pour abus de position dominante, atteinte au droit des données personnelles, et non-respect du droit de la consommation. Espérons que la cour d’appel ne sera pas ainsi dupe du discours de Google qui tente de justifier sa censure en prétextant de la qualité de son contenu, de son image de marque.

La censure de France Soir n’est donc pas fondée, justifiée, par un contrat ou une loi.

 Une censure disproportionnée

La censure des sociétés Google est ensuite disproportionnée. Le seul fait que les autres réseaux sociaux comme Facebook, Twitter ou Instagram n’aient pas totalement banni France Soir montre à quel point la sanction de Google est disproportionnée.

Les règles de ces plateformes sont pourtant similaires : elles condamnent les contenus contraires au prétendu consensus dans le domaine sanitaire. Mais la sanction est distincte : d’un côté la censure totale (Google/Youtube), de l’autre des mesures plus ciblées :

Message d’avertissement (Facebook, Twitter, Instagram),

Perte de visibilité de certains articles du fait de la suppression de l’image qui les accompagne (Facebook),

Suppression ciblée d’un article, ou d’un post (Twitter, Instagram),

Censure limitée dans le temps : pendant 24 h (Facebook).

Les sanctions des autres réseaux sociaux, bien qu’elles soient contestables en elles-mêmes, sont donc prises en fonction de chaque contenu, au cas par cas. Elles ne vont pas jusqu’à éradiquer définitivement France Soir de leurs services, et ce pour une durée indéterminée. Elles sont donc mesurées, graduées, calculées en fonction de chaque article, contenu. 

Si de telles mesures pouvaient être prises par ces réseaux, elles pouvaient l’être aussi par Google. Et ce d’autant qu’on peine à comprendre dans le jugement quel est le but véritable de cette sanction :

Protéger les intérêts de Google (contractuels, image) ou

Protéger les intérêts du public (protection de la santé, désinformation) ?

Sur ce point le jugement est particulièrement flou. Ce qui explique qu’il n’ait pas pu procéder à une balance des intérêts, pourtant essentielle en la matière. La censure du géant américain n’est donc pas nécessaire au sens de l’article 10.2 de la CEDH[note].

Une censure discriminatoire

A cela s’ajoute que la sanction de Google est discriminatoire : on supprime le contenu de France Soir tout en laissant subsister des articles et vidéos identiques sur Youtube et Google Actualité. Google a eu beau essayer de faire le nettoyage pendant toute la durée du procès, et couper les têtes, similaires à France Soir, qui dépassaient : il en reste encore, et pas des moindres.

La chaîne Youtube de l’IHU de Marseille se voit comme le nez au milieu de la figure[note]. Plus de 627.000 abonnés[note], et des millions de vues pour un contenu identique à celui de France Soir. France Soir a été un des principaux soutiens de la chaine Youtube de l’IHU, et de son principal intervenant, le Professeur Didier Raoult. Pour le tribunal, cela ne serait pas une preuve…

Pourtant la ligne de France Soir est identique à celle de l’IHU : critiquer sur de nombreux points le prétendu consensus sanitaire. Non pas critiquer pour critiquer, dans un but purement politique, mais critiquer avec des arguments scientifiques dans le but de mieux éclairer les citoyens sur leur santé, et la politique sanitaire du gouvernement.

 Appel

La liste des arguments à l’encontre du jugement est longue, et nous ne voudrions pas abuser de la patience des lecteurs. Des explications complémentaires sont accessibles sur le site de France Soir[note]. Ce jugement devra selon nous être annulé en appel.

Il ne porte pas uniquement atteinte à la liberté d’expression, et d’entreprendre de France Soir. Il illustre l’emprise des GAFAs, et de Google en particulier, sur notre système politique, juridique, économique. En un mot, sur notre démocratie.

Nous devons collectivement nous défendre face à cette invasion. Ce n’est pas à Google de faire la loi, de nous juger, de nous dicter notre façon de penser, ou de nous exprimer, mais au géant américain de s’adapter à notre culture, à nos valeurs, à notre droit.

Il en va de notre souveraineté, de notre indépendance, de notre liberté.

 Par Arnaud Dimeglio, Avocat, publié sur le site https://www.village-justice.com/articles/france-soir-google-droit-plus-fort [note]

Note de l’auteur : Maître Arnaud Dimeglio était partie à l’affaire commentée ci-dessus.

Lire la suite »
Articles

Témoignage de Manu et Sandrine en zone libre : Stockholm, Suède

Réalisateurs partis en Suède pour traverser le rideau de fumée médiatique et voir de leurs yeux ce qu’il s’y passe, nous ramener des images et témoigner, Manuel Poutte nous a écrit leurs premières impressions à leur arrivée à Stockholm. Ce qui frappe ici, c’est que rien ne filtre sur ce qui se passe ailleurs. Cette omerta en dit long.

Lyriques…

Nous arrivons à l’aéroport de Stockholm et nous constatons immédiatement que les gens, déjà ici, ne portent pas de masque. Sans nous concerter, les larmes nous montent aux yeux, à tous les deux. Les larmes viennent de voir, de redécouvrir des visages libres, de voir des femmes et des hommes sans cet horrible morceau de tissu, lange de nos bouches, de nos paroles et de notre humanité.

Gourmands…

Peu après, dans une galerie commerçante, je vois un magasin de gâteaux… J’adore les gâteaux… je veux y rentrer, mais j’ai déjà le réflexe d’attendre à l’extérieur. Plusieurs personnes passent devant moi et je me rends compte alors que c’est déjà entré en moi… cette mauvaise habitude. Ici, pas de files, pas d’infantilisation des êtres obligés de se ranger l’un derrière l’autre, comme des gamins au collège. Ici on rentre quand on veut.

Bêtes…

On marche dans la rue, on sourit à tout le monde et les Suédois ne comprennent pas, ils nous regardent comme deux benêts ahuris, mais on s’en fout, on a envie de manger leurs visages et de leur dire et de leur crier : vous ne vous rendez pas compte d’où on vient !

Émerveillés…

On monte dans le bus, on descend dans le métro, on monte dans le train, on rentre dans un grand magasin, personne ne porte le masque. Tout est comme avant et comme ça doit le rester. Je filme tout ça avec passion. Jamais je n’aurais pensé dans ma vie que des choses aussi banales pourraient un jour devenir exceptionnelles.

Ça y est, chacun fait partie du film catastrophe qu’on lui a tant annoncé. Et il sauve le monde en restant chez lui devant sa TV ! Héros du canapé

Tout d’un coup, dans une allée de fruits et légumes, on a peur de rentrer chez nous, dans la dictature de la règle absurde où le peuple rendu masochiste a appris à prendre goût aux sévices qu’il subit… Et il en redemande même… Ça y est, chacun fait partie du film catastrophe qu’on lui a tant annoncé. Et il sauve le monde en restant chez lui devant sa TV ! Héros du canapé.

Interdits…

Le dernier soir en Belgique, je suis rentré du bureau à 1h du matin, et j’ai traversé une partie de Boitsfort dans un silence absolu, plus impressionnant encore que celui du confinement, car au loin même il n’y avait plus un bruit de voitures, plus un bruit humain, plus rien. Un bruit blanc. Mais j’avais, en plus, en craignant la police, ce sentiment, à la fois excitant et terrible d’être dans l’illégalité…en marchant seul dans la rue.

Le couvre-feu… quel esprit malade et fasciste a pensé que ce serait efficace contre le coronavirus ? 

Quel esprit psychopathe a créé cette somme d’interdits qui n’ont pas lieu d’être ? Des punitions qui n’ont aucun pouvoir sur un virus qui ne se propage certainement pas plus au cœur de la nuit, dans les rues déjà vidées depuis longtemps de ses habitants sous sédatifs, exténués et apeurés par la propagande mortifère des médias pyromanes. Nous, le peuple, coupables, tous coupables, d’avoir baissé ce masque un jour, à un moment donné, pour une parole, pour un sourire, pour un baiser.

Souriants…

Fin de journée, j’ai beau savoir que je suis en mission pour sauver le monde, je dois avouer, que plus d’une fois je craque pour des petits gâteaux que je vois en vitrines… ils en ont plein ces Suédois… Avec de la cannelle, de la fleur d’oranger, des framboises, des myrtilles, et de la crème fouettée.

Je me dis : soignons nos bouches, tout passe par elles : les saveurs du monde et les baisers de l’amour.

Et en plus, elles sourient, nos bouches ! Elles sourient et nous ne savions pas combien c’était important.

Et lyriques à nouveau… Ainsi est venu le temps, où nous devons nous battre pour ce sourire.

Manuel Poutte

Lire la suite »

La presse libre existe !

Le 30 septembre 2016, dans une geste[note] qui aurait pu paraître anodine, André Linard, ancien secrétaire général du Conseil de déontologie journalistique (CDJ, de 2009 à 2016), nomme le journalisme citoyen, pour mieux établir, une fois de plus, qu’il n’existe pas. 

Nous reproduisons ci-dessous l’entièreté de sa carte blanche, parue dans La Libre, non pas que nous voulions lui donner à nouveau une tribune, mais parce que nous pensons qu’elle révèle, outre la pensée profonde de l’auteur, tout un système médiatique où la dissidence n’a pas sa place. Ceci expliquant donc l’existence de médias libres, indépendants, citoyens… 

Carte blanche d’André Linard, parue le 30 septembre 2016 dans La Libre 

LE JOURNALISME CITOYEN N’EXISTE PAS 

Bien sûr, le titre est excessif et doit être expliqué. Il exprime un profond énervement devant une certaine idolâtrie de la parole citoyenne, qui serait par nature libre et indépendante, alors que les journalistes, eux, seraient noyés dans le conformisme et la soumission à des intérêts mercantiles qui les dépassent. En réalité, soit on s’exprime en tant que citoyen, soit on pratique le journalisme, ce qui implique un niveau d’exigence différent. 

La parole citoyenne est légitime. Elle est même nécessaire et trop faible dans la société qui manque de militantisme, d’expression d’opinions, des gestes posés au nom de valeurs et de principes. Mais cette parole n’a pas besoin de se qualifier de journalistique pour être pertinente. Car faire du journalisme, ce n’est pas seulement s’exprimer, prendre position, commenter, ni même raconter ce qui se passe au coin de sa rue. Ce n’est pas non plus lancer des alertes ou transmettre des documents, toutes démarches qui ont toutes leur importance lorsqu’elles portent sur des sujets d’intérêt général. Il n’y a rien de corporatiste dans ces propos. Le journaliste ne se reconnaît pas à un diplôme, à une carte de presse ou un contrat avec une rédaction. La différence entre les journalistes et les citoyens réside dans la démarche et dans les exigences. 

« Comme pour la plupart des questions, la réponse appartient aux citoyens, à leur action. Sans aucun doute, tout système de pouvoir fera tout pour l’empêcher ».[note] Noam Chomsky 

Un citoyen exprime ses opinions[note], raconte ce qu’il a vu autour de lui, tient un discours militant qui ne lui impose aucune exigence de respect de la vérité. Il évoque les émotions qui lui tiennent à cœur et se veut acteur dans la société. Le journalisme remplit un autre rôle social. Il a pour responsabilité d’être l’intermédiaire entre ce qui se passe, au sens le plus large du terme, et le public. Face à la masse d’informations disponibles, il a pour responsabilité de recouper, de vérifier, de trier, de mettre en perspective, de sélectionner, d’expliquer, d’écarter ce qui ne tient pas la route, d’aider à comprendre au lieu de simplement transmettre… Le journalisme demande des compétences au même titre que n’importe quelle autre activité. Je cuisine chez moi, je ne suis pas pour autant un chef-coq. Être capable de prendre un médicament quand c’est nécessaire ne fait pas de moi un médecin. Plus la quantité d’informations disponibles est grande, plus le monde a besoin de personnes qui remplissent cette fonction sociale spécifique. Ce n’est pas un pouvoir, c’est une responsabilité. Des citoyens se révèlent excellents dans cette activité, par exemple sur leur blog. Tous les journalistes sont d’ailleurs aussi, en tant qu’individus, des citoyens. Mais dans leur activité, ils s’imposent des règles plus strictes que les citoyens. Un jour une blogueuse a déclaré dans un colloque que la déontologie, c’est simple: il suffit de ne pas mentir. Grosse erreur, bien entendu: le fondement du travail journalistique est la recherche et le respect de la vérité, une démarche active bien plus exigeante que l’absence de mensonges. 

« J’ai vu, en fait, l’histoire s’écrire non pas en fonction de ce qui s’était passé mais en fonction de ce qui aurait dû se passer selon les diverses lignes de parti. (.…) Ce genre de chose m’effraie, car cela me donne souvent le sentiment que la notion même de vérité objective est en train de disparaître de notre monde. Après tout, le risque est grand que ces mensonges, ou des mensonges semblables, finissent par tenir lieu de vérité historique. (…) Si le chef dit de tel événement qu’il ne s’est jamais produit – eh bien, il ne s’est jamais produit. S’il dit que deux et deux font cinq – eh bien, deux et deux font cinq ». George Orwell[note] 

Il fut de bon ton, à un moment donné, de contester le monopole de la bonne information que les journalistes prétendaient paraît-il avoir. Acceptons que la critique fut parfois juste. Les progrès technologiques ont alors permis de communiquer en multilatéral. Aujourd’hui, la diffusion d’information partout, par tous et en tous sens force les journalistes à une plus grande rigueur, les confronte à de nombreuses rumeurs à vérifier et les soumet plus largement à la critique. La création d’espaces de réaction ouverts aux internautes sur les sites des médias partait d’une bonne idée: compléter, contester ou améliorer les informations déjà diffusées par les journalistes par des apports du public. Les portes du pseudo journalisme-citoyen s’ouvraient sur une nouvelle voie d’expression. On voit ce que cela donne. A de rares exceptions près, ces forums sont sans intérêt. Leurs contenus appellent souvent à la haine, au racisme, à la violence et certains médias se complaisent à les relayer. Chacun a le droit de s’exprimer mais n’est pas journaliste qui veut. 

André Linard 

Notre réponse à la carte de blanche d’André Linard, envoyée le vendredi 7 octobre 2016, et refusée par La Libre 

Face à cet étalage de contre-vérités, révélatrices d’une idéologie bien ancrée, ce flot de sophismes qui cachent un flou visant à égarer le lecteur du problème fondamental – qu’est-ce que le journalisme au regard des médias dominants et, à partir de là, pourquoi des citoyens décident de faire des médias libres ? –, nous avons demandé à La Libre un droit de réponse que nous devions signer collectivement au nom de différents médias indépendants. 

Notre courrier a été refusé par le service débat de La Libre. Nous reproduisons son entièreté ci-dessous. 

AINSI, LE JOURNALISME CITOYEN N’EXISTERAIT PAS ? 

Comme à l’accoutumée, lorsqu’il s’agit pour un journaliste professionnel de défendre sa position face à la montée d’un journalisme citoyen, il faut feindre l’indépendance et la liberté des médias dominants, exercice dans lequel le recours aux raccourcis devient un réflexe. 

Ainsi, André Linard, ancien directeur du CDJ, affirmait dans sa carte blanche qu’il n’existe pas de journalisme citoyen et dénonçait un manichéisme, qu’il crée au fond de toute pièce: il existerait selon lui cette idée d’une «certaine idolâtrie de la parole citoyenne, qui serait par nature libre et indépendante, alors que les journalistes, eux, seraient noyés dans le conformisme et la soumission à des intérêts mercantiles qui les dépassent ». Mais qui a inventé ce manichéisme primaire, outre celui qui le cite? Nous pouvons autant déceler chez les premiers un blogueur ultrasioniste tout sauf «libre et indépendant» et chez le second quelqu’un qui travaille honnêtement et au service de l’exactitude de l’information. 

Mais ce type de rhétorique est connu: il s’agit de nommer un problème – le conformisme et la soumission –, pour mieux l’écarter et ne plus y réfléchir, à l’instar de Laurent Joffrin, directeur de publication de Libération, qui démentait que des journaux ne puissent plus être libres dès lors qu’ils sont dans la main de propriétaires : « Je ne crois pas que le Figaro ne soit pas libre parce qu’il est dans la main d’un marchand de canons.» 

« Superflus aussi la publicité et les parrainages qui amadouent ou sanctionnent les responsables des médias ; qui obligent à vendre un journal deux fois, d’abord à l’annonceur, puis au lecteur ; qui véhiculent sans relâche le lien entre bonheur et marchandise ; qui bientôt détermineront le sommaire de chaque périodique et la géographie de ses zones interdites ». Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, p.99 

Pourtant, les médias mainstream appartiennent à de grands groupes qui ont des intérêts à défendre, et cette structure de propriété a des effets certains sur la ligne éditoriale. En Belgique, la plupart des médias sont dans les mains de sept familles qui comptent parmi les plus grandes fortunes belges. En France, pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres, Libération est la propriété de Patrick Drahi, homme d’affaires actif dans les télécommunications, avec un patrimoine évalué à 14 milliards d’euros – et qui a baigné dans les Panama Papers. Ce dernier témoignait le 27 mai 2015 devant l’assemblée nationale : « Les Chinois travaillent 24h/24 et les Américains ne prennent que deux semaines de vacances… c’est là, le problème pour nous…». Difficile de croire que lui ou un autre patron de presse défendra le droit du travailleur, la nécessité de produire moins et mieux, la lutte contre des traités internationaux comme le TTIP ou le CETA… pas maso le coco. 

Quand vous vous plaignez auprès de notre chaîne publique qu’au JT du soir du samedi 17 septembre, alors que des centaines de milliers de manifestants sont sortis dans les rues allemandes pour dénoncer le CETA et le TTIP, ils n’en aient dit mot, on vous répond: «L’actualité étant souvent très chargée, la rédaction du JT est amenée constamment à faire des choix. En trente minutes de journal, il est effectivement impossible de parler de tout. C’est la raison pour laquelle la rédaction pratique une information dite 360°, c’est-à-dire une information qui se décline sur les différents médias. Un sujet peut ainsi être traité en radio et sur le net mais pas en télévision, ou inversement ». Rigolo… Mais « normal », la chaîne publique étant prise dans le rouleau compresseur de la concurrence et de l’audimat, managée à l’américaine par des universitaires sortis de Solvay business school. On ne s’étonnera ainsi pas du racolage médiatique et du climat délétère au sein de l’institution, dès lors que le profit passe avant tout. 

C’est donc fondamentalement cette appartenance des médias qui a détourné de nombreux citoyens de l’info-spectacle et les a amenés à créer leurs propres supports. Ceux-ci ne sont pas pour autant de moindre qualité que l’information estampillée «professionnelle». Au contraire, puisque de fait ces nouveaux médias «citoyens» remplissent une fonction que les «professionnels» n’assument plus. Et ils le font par conviction, par souci citoyen, et dans des conditions humainement et matériellement difficiles (ils doivent avoir une activité rémunérée par ailleurs, devant travailler sur le média en dehors de ces heures). Mais cette faiblesse est en même temps leur force, la garantie de leur liberté à eux: leur salaire et l’éventuel remboursement de leur crédit ne dépendent pas de ce qu’ils disent ou écrivent. 

On ne voit pas trop d’ailleurs à ce niveau ce qui définit un journaliste. Si on suit André Linard dans cette présentation binaire «Soit on s’exprime en tant que citoyen, soit on pratique le journalisme, ce qui implique un niveau d’exigence différent » ; « La différence réside dans la démarche et dans les exigences ». ⁃ « Un citoyen exprime ses opinions, (…) tient un discours militant qui ne lui impose aucune exigence de respect de la vérité. ⁃ « Chacun a le droit de s’exprimer mais n’est pas journaliste qui veut ». Le journaliste serait ainsi une sorte d’être éthéré, hors-sol, responsable, avec des exigences strictes de respect de la vérité. André Linard ne nous dit pas quand on est un « vrai » journaliste, mais sans doute ne le devient-on réellement qu’une fois adoubé par ses pairs et reconnu membre de la grande famille, celle qui se conforme le plus souvent à la vérité que l’institution attend. Celle qui, en définitive, devient elle aussi militante, mais à l’insu de son plein gré, au service d’intérêts dont elle n’est souvent pas consciente, que ce soit par choix ou par naïveté. 

Nous n’avons pas besoin de titres, de corporatisme, de galas entre copains; nous nous définissons par ce que nous faisons, pas par ce que nous sommes. Nous qui faisons de la presse libre et indépendante, nous assumons un rôle de porte-parole, nous ne sommes pas des détenteurs de la liberté d’expression. Comme disait Jean-Paul Sartre : « On croit que la liberté d’information, le droit à la liberté de la presse, c’est un droit du journaliste. Mais pas du tout, c’est un droit du lecteur du journal. C’est-à-dire que c’est les gens, les gens dans la rue, les gens qui achètent le journal, qui ont le droit d’être informés. (…) Donc, il faut essentiellement que le peuple discute avec le peuple.» Nous voulons créer un lien de proximité, faire exister la parole de ceux qui sont rendus invisibles et délaissés par les médias traditionnels, rendre intéressant ce qui est important, plutôt que de rendre important ce qui n’a aucun intérêt, comme le divorce de deux stars multimillionnaires. La liberté d’information n’est pas celle qui défend l’information utile au statu quo des plus nantis. 

En définitive, c’est sans doute cela que les défenseurs du « vrai » journalisme empêchent, malgré eux pour certains: que le peuple soit informé. Et que le changement, enfin, prenne corps… 

Cher Monsieur Linard, si tous les journalistes faisaient vraiment et correctement leur boulot, il n’y aurait point de lanceurs d’alerte, de WikiLeaks, il n’y aurait pas Kairos, Zin TV et Sans Papiers TV… ou même le collectif Krasnyi, radio Panik,… il n’y aurait pas de journalisme citoyen ! 

Vendredi 7 octobre 2016. 

Signataires: journal Kairos, ZIN TV, Sans Papiers TV, collectif Krasnyi, radio Panik 

Lire la suite »
Articles

LE SYSTÈME « LIBRE » CADENASSÉ

Comme « marque » du groupe IPM (avec, dans les médias, également la DH/Les Sports, DH Radio, Paris Match Belgique, 13% de participation de l’agence Belga), La Libre Belgique peut-elle laisser les journalistes qui croient encore à la presse libre, écrire ce
qu’ils pensent juste, vrai et nécessaire ?

Imaginez la chaîne de contrôle : 

1|  On débute par le boss d’IPM : Denis Pierrard, ingénieur commercial de formation, a débuté sa carrière chez Solvay aux États-Unis puis chez McKinsey, société multinationale spécialisée dans le conseil stratégique aux entreprises. Il semble que pour atteindre les hautes sphères médiatiques, passer par le secteur du commerce et de la finance soit porteur : son pendant, Bernard Marchant, CEO du groupe Rossel (Le Soir, Vlan, Metro (49%), etc.), était lui un ancien conseiller fiscal cher Arthur Andersen, vice-présidence Europe du groupe informatique Olivetti, plus tard directeur général de Beckaert, leader mondial du métal. Par après, Denis Pierrard intègre IPM, qu’il quitte pour rejoindre Ackermans et Van Haaren (AvH), qui se définit comme créatrice de « valeur pour l’actionnaire en investissant à long terme dans un nombre limité de participations stratégiques avec un potentiel de croissance internationale »[note]. Pour la petite info, Luc Bertrand est Président de AvH et sa fille, Alexia Bertrand, en est une des administratrices mais aussi cheffe de cabinet du vice-premier ministre Didier Reynders. C’est à ce titre qu’on avait dénoncé un conflit d’intérêts dans un dossier du cabinet portant sur l’éolien offshore censé être attribué à Deme, filiale à 100% d’AvH. Soit, cela ne nous regarde pas, ni La Libre, il pourrait là aussi y avoir conflit d’intérêt… Donc, Denis Pierrard rejoint Libération, dont François le Hodey, l’un des propriétaires d’IPM, détient 8%, et où il pourra « surtout s’occuper de la gestion opérationnelle »[note].

2|  Bertrand de Meeûs : rédacteur en chef de LaLibre.be depuis 2012, prend les rênes du papier en 2018. Également enseignant à l’Ihecs, la position de rédacteur en chef n’implique pas d’être passé par les Business school et d’avoir travaillé dans des grands bureaux de conseil fiscal, il suffit d’avoir intégré le logiciel de La Libre, de savoir qui sont ses vrais patrons et ce qu’ils veulent, en somme d’obéir et d’assurer un regard-contrôle de ce qui peut ou non se dire. Mais il faut aussi que ce contenu assuré, on se focalise uniquement sur le contenant, en allant vers ce que ceux qui le plus souvent ne veulent pas entendre parler de révolution (la vraie) appellent la « révolution numérique » : « Au cours de ces dernières années, nous avons été de succès en succès avec LaLibre.be et ses applications, la marque La Libre a trouvé sa place dans ce nouvel environnement social et technologique, grâce en grande partie à la vision et au dynamisme de son rédacteur en chef[note]. »

3|  La rédaction : entre les « sous », les « vices », etc., qui assurent le relais de la chaîne de commandement, on retrouve les journalistes et les pigistes. Les derniers, en gros, n’ont aucun droit et surtout pas celui de proposer un contenu qui déplairait à celui qui le paie. Les autres, s’ils ont encore des velléités de liberté, sont tenus par quelques considérations matérielles, comme ces jeunes recrues de médias de masse qui, dégoûtées du dégoûtant des rédactions, avaient refusé de témoigner : « J’espère qu’elles te contacteront. Elles sont tout de même un peu hésitantes car elles craignent pour leur emploi qu’elles ont eu tant de mal à trouver. Je les vois prochainement, j’en discuterai encore avec elles »[note].

Après ça, que reste-t-il ? Dans ce cas, la censure directe est de peu d’utilité, l’autocensure fera le travail. Et, le plus souvent, quand la censure se manifestera, elle prendra l’allure habillée de la raison et de la rigueur : ils diront qu’on « n’étaye pas », qu’il n’y a « pas assez d’explications », qu’il faut trouver quelque chose de « plus pertinent », évoqueront « quelque chose d’un peu simpliste » ; ils feindront de vous suggérer « ce qui est plus correct sur le plan journalistique », ne disant jamais quel est leur plan journalistique, surtout quand c’est une petite main qui œuvre, sous-fifre qui répercute les ordres d’en haut en échange de quelques gratifications honorifiques et de quelques faux-semblants de pouvoir suffisant à l’infatuer. Et quand votre information paraîtra imparable, ils vous diront que vos propos sont « excessifs », vous accusant de faire le jeu du populisme et de la démagogie, surtout quand vous parlez de révolution et expliquez la cohérence de la classe patronale, sans même qu’il arrive à leur esprit que c’est leur propension à ne pas en parler, reléguant la gauche aux luttes identitaires et sociétales, qui a fait le jeu de l’extrême droite. 

AU-DELÀ DE LA RÉDACTION…

IPM est la propriété de la famille Le Hodey, 410ème fortune belge (35.841.000€), qui détient diverses « marques » : outre La Libre, la DH, Paris Match Belgique, elle vous a fait vivre le football pendant la coupe du monde, engrangeant ses bénéfices via BetFirst qu’elle possède et qui occupe à lui seul un onglet sur le site de la DH ; Whitefox (marketing digital) ; IPM Advertising, commercialisant notamment « l’ensemble des sites de la RTBF : l’info, le sport, l’offre audio & vidéo sur Auvio, mais aussi la TV, les radios, etc. ». IPM a des participations dans RTL Belgium, l’agence Belga, Evosys (société de vente de logiciels de courtage immobilier). Quel lien entre le journalisme et la plupart de ces investissements, demanderez-vous ? Aucun. C’est pour cela qu’IPM s’assure que les pages de La Libre établiront ce lien avec leurs intérêts, plaçant Denis Pierrard comme directeur général des rédactions, mais aussi fidélisant un Conseil d’administration, dont IPM renouvelle une partie en 2015[note] et dans lequel on retrouve : 

- Pierre Rion : ingénieur civil diplômé de l’ULg, il se définit comme un « serial entrepreneur », un « business angel ». Il est président du Cercle de Wallonie, de l’Association des Vignerons wallons et de nombreux organismes et sociétés. Il a été « Leader économique de l’année » (Lobby Awards 2016). C’est lui qui dira : « Un bon citoyen doit être une pompe à argent qui fait tourner l’économie »[note]. Tout un programme… 

- Bruno Lesouef : décédé en 2018, avait été directeur des Affaires Publiques du Groupe Lagardère et gérant d’Hachette Filippacchi Associés. 

- Denis Steisel : « serial entrepreneur belge », est patron et investisseur dans de multiples entreprises liées aux technologies digitales. Il est «managing partner de Eezee-It, spécialisée dans la transformation digitale, a cofondé Emakina Group, agence digitale, est membre du comité d’investissement de WING (Wallonia Innovation and Growth), fonds d’investissement pour les start-up wallonnes. Sa fonction chez IPM ? « Aider le groupe à faire face aux nouveaux défis de l’économie digitale’ » »[note].

- Alain Siaens : Président du CA d’IPM, docteur en sciences économiques, ancien professeur extraordinaire à l’Université catholique de Louvain, passe successivement par la banque JP Morgan, le Groupe Bruxelles Lambert puis chez Prominvest, rejoint la banque Degroof en 1990 pour y prendre la direction de l’activité holding, où il s’occupera dès 1993 des activités d’« investment banking » : financement des entreprises, conseil en fusions/acquisitions, placements privés, introductions en Bourse… Occupant le siège du comité de direction depuis 1998, il cède sa place en 2006 à Regnier Haegelsteen. Il quitte mais ne part pas puisqu’il prend la présidence du conseil d’administration de la banque. On comprend mieux pourquoi, lorsque le rédacteur en chef de Financité évoquera l’évasion fiscale de 221 milliards, il lui écrira, sans même se présenter et avec la morgue du banquier : « Je vous félicite et voudrais savoir la source statistique des 221 milliards des 563 entreprises, virées vers des paradis fiscaux ». Pas de bol, la source était le SPF Finances… 

Ces nouveaux mousquetaires rejoignent ainsi Patrice le Hodey (Vice-Président), François le Hodey, Philippe le Hodey, Marguerite le Hodey, « l’esprit de famille à toute épreuve » (L’Echo, 27/07/2012).

AUTOPSIE DU GROUPE

Le Groupe Le Hodey est composé de 16 sociétés[note]:

1| 99,99% du groupe Maja (le reste, une part infime, appartient, résultat de montages occultes, à Axemedia et IPM Press Print NV), qui lui-même a des participations dans : 

- IPM Group NV (99,8%)- Traxxeo (47,37%)- Ipartner (99,7%)- European Telematics (100%) — Axemedia (50,4%)

2| RNA qui possède Alfabyte (12,57%) et HI Invest (41,7%)

3| IPM Presse Print NV, dont l’actionnaire principal est IPM Group NV (détenu à 99,8 % par la famille Le Hodey), a des participations dans Axemedia (0,4%), Maja (proche des 0%) et IPM Group NV (0,1%).

4| IPM Group NV : son actionnaire principal est le groupe Maja (99,8%), dont IPM Press Print NV possède 0,1%. Il a des participations dans : 

- PX Holding (9,61%)- Sagevas (+ de 50%)- RTL Belgium (6,99%) — IPM Press (100%)- Twizz Radio (99,82%)

5| La famille Le Hodey détient 100% des parts de Traxxeo (dont 47,37% sont la propriété du groupe Maja qui appartient à la famille Le Hodey aussi), Traxxeo qui elle-même possède 100% de Mobiliteit et 100% de Ipartner. Traxxeo (http://www.traxxeo.fr) est le spécialiste de l’internet des objets dans le secteur BTP, gérant des ressources via des nouvelles technologies qui collectent des données et contrôlent à distance l’activité des ouvriers, les machines, les véhicules, les équipements. Elle est, si on en lit sa description, l’élément probant de la perte d’autonomie inscrite dans les nouvelles technologies, et la perte de contrôle sur soi qu’elle provoque : « Traxxeo vous propose une plateforme logicielle ouverte qui permet de collecter des données depuis de nombreux équipements connectés : black box véhicule, pointeuse de chantier, étiquette RF, téléphones, tablettes, objets connectés… ». N’attendez donc pas de La Libre qu’elle consacre dans une liberté éditoriale totale un dossier sur les nouvelles technologies…
Traxxeo collabore avec :

- Eiffage (http://www.eiffage.com): entreprise impliquée dans la construction, les infrastructures, l’énergie et les concessions, qui est notamment impliquée dans le LGV Bretagne-Pays de la Loire, le prolongement de la ligne 14 du métro parisien, la fondation Luma à Arles9 : une « Luma Arles, une tour d’argent aux mille reflets, avec sa rotonde de verre et ses milliers de blocs en inox qui créeront autant de reflets argentés, la tour de la Fondation Luma à Arles (Bouches-du-Rhône) marquera l’entrée d’un parc public de 6 hectares. Eiffage Métal réalise en groupement l’enveloppe de l’édifice, signé de l’architecte Frank Gehry, qui atteindra 56 mètres de hauteur. 50.000 heures d’études ont été nécessaires pour orchestrer la mise en place des 10.000 m² de façades, eux-mêmes composés de 300 panneaux métalliques, 11.000 blocs en inox, 50 « boîtes vitrées » et une rotonde de 5.000 m² » ; 

- Veolia (https://www.veolia.com), qui accompagne la surproduction avec des technologies énergivores qui réduisent la consommation dans le secteur du pétrole, du gaz, de l’alimentation industrielle ; 

- Engie-Electrabel : fournisseur de gaz et d’électricité ;

- Besix (https://www.besix.com): « le Groupe BESIX est devenu une entreprise multidisciplinaire occupant une position phare sur ses marchés d’activité : construction, promotion immobilière et concessions. BESIX Contracting est spécialisée dans la réalisation d’ouvrages de construction, infrastructurels et maritimes qui se distinguent souvent par leur complexité ». Le groupe Besix est représenté en Belgique par 17 filiales: Belemco, Besix Concessions et Assets, Besix Infra, Besix Park, Besix Red, Be Wind, Cobelba, Franki Foundations, HBS, Isofoam, Jacques Delens, Lux TP, Vanhout, Socogetra, Van Den Berg, West Construct, Wust. Au Benelux et en France, le Groupe est représenté en force par les filiales régionales BESIX Infra, Belemco, Vanhout, Wust, Cobelba, Jacques Delens et Lux TP, garantes d’une approche locale. En collaboration avec les entités Franki Foundations, West Construct, Socogetra, Sanotec et Van den Berg, le Groupe propose des solutions de niches spécialisées telles que les fondations profondes, la géo-ingénierie, les travaux routiers, le traitement de l’eau ainsi que la pose de câbles et conduites. C’est Besix qui en Belgique s’occupe notamment de la construction du siège social de BNP Paribas Fortis, du parking « promenade » à Nieuport, de City Dox, de Ijzerlaan, le quartier général de la KBC, le viaduc d’Hertsal, de Docks Bruxsel, de la R4 à Ghent. 

- Bam : marché belge de la construction regroupant de nombreuses sociétés belges et luxembourgeoises ; 

- CFE (http://fr.cfe.be): coté sur Euronext Brussels, CFE est un groupe industriel belge, actif dans les secteurs du Dragage, la construction maritime et environnement, le Contracting et la Promotion immobilière. Le groupe est présent dans le monde entier. CFE c’est le projet Green Hill à Dommeldange, l’école européenne à Bruxelles, la tour Up site le long du canal, le nouvel hôtel de police à Charleroi, le projet Eupen Schule à Eupen, le projet Belview… ): coté sur Euronext Brussels, CFE est un groupe industriel belge, actif dans les secteurs du Dragage, la construction maritime et environnement, le Contracting et la Promotion immobilière. Le groupe est présent dans le monde entier. CFE c’est le projet Green Hill à Dommeldange, l’école européenne à Bruxelles, la tour Up site le long du canal, le nouvel hôtel de police à Charleroi, le projet Eupen Schule à Eupen, le projet Belview… 

6| Sagevas détenu par la famille Le Hodey via IPM Group NV, détient 100% des parts de Turf Belgium. 

7| Twizz radio, dont les actionnaires sont IPM Group NV (99,82%) et Konecto (0,18%).

8| I Partner, détenu par Traxxeo (100%) et le Groupe Maja (99,7%).

9| Hyode, dont les actionnaires sont la Famille Le Hodey (50%) et DNA, a des participations dans : 

- Curador (25%) : pharmacie belge en ligne.- De Rouck Holding (90%)- Europublidis (3,13%) leader belge du développement et de la commercialisation de produits cartographiques sur supports papiers et digitaux.- Multiroad (26%) : secteur de l’édition

10| De Rouck Holding, qui possède 2,71% de Europublidis. 

11| European Telematics, avec comme actionnaire unique Maja. 

12| DNA qui a des participations dans Hyode.

13| Turf Belgium, dont les actionnaires sont Sagevas (100%) et IPM Group NV (49,9%).

14| Axemedia, dont les actionnaires sont IMP Press Print NV (0,4%), Maja (50,4%) et IPM Group NV (50%), et qui a des participations dans Maja (montant non disponible). 

15| Sport Groupe Development qui a des participations dans X‑Free Sport Management. 

16| Mobiliteit, dont l’actionnaire unique est Traxxeo. 

Souriez, vous êtes cernés, entre actionnariats croisés, avocats fiscalistes, le groupe IPM a su placer au sein des rédactions ceux-là mêmes qui conseillent ou conseillaient les entreprises qu’ils possèdent, s’assurant par là même de ne jamais être vraiment embêtés.

Lire la suite »
Articles

FLAGRANT DÉLIT DE CENSURE À LA LIBRE

En mars 2018, la collaboration entre le magazine Financité et La Libre prenait subitement fin, après 12 années pendant lesquelles le premier fut trimestriellement encarté dans le second. Retour sur un cas de censure avéré, typique d’un contrôle de la pensée, généralement plus insidieux, propre à nos sociétés « modernes ». 

Kairos : Décris-nous en quelques mots ce qu’est
le magazine Financité ?

Julien Collinet : Financité magazine naît il y a 12 ans. À la base, Financité était une association qui informait uniquement le public sur tout ce qui a trait à l’investissement solidaire. Elle est ensuite devenue une association d’éducation permanente avec une mission d’information et de sensibilisation par rapport à la finance en général. Ensuite, il y a eu une évolution vers des thématiques beaucoup plus larges et un intérêt pour davantage de choses. Du coup, ce magazine qui au départ était consacré uniquement à l’investissement solidaire s’est transformé en quelque chose de plus critique autour de la finance, de sujets économiques globaux et leurs implications sur les gens, en travaillant par exemple sur la spéculation alimentaire. Il faut savoir que dès le deuxième numéro, le magazine était encarté dans La Libre Belgique mais nous le distribuions aussi dans 400/500 lieux de dépôt en Wallonie et à Bruxelles : des cafés, des CPAS, des Maisons médicales, etc., plus nos abonnés qui le reçoivent par la Poste. 

Quelles ont été vos relations avec La Libre au
départ et par la suite ?

C’était vraiment très bien. On avait nos rendez-vous annuels, j’échangeais toujours avec eux. Il faut savoir qu’ils avaient en charge l’impression du magazine, ils étaient très contents, avaient de très bons retours de leurs lecteurs. Les gens pensaient même souvent que c’était un supplément de La Libre Belgique. On m’a toujours dit que ça les arrangeait, leur faisant un contenu rédactionnel de qualité en plus. Il n’y a donc jamais eu aucun reproche, jusqu’à un numéro de septembre 2017. 

Donc aucun rappel, même quand vous traitiez
des sujets un peu « délicats » ?

Jusque-là ils ne nous ont jamais rien dit. Il n’y a jamais eu un petit reproche ou une simple discussion sur le contenu. On se sentait vraiment libre de publier ce qu’on voulait. 

La collaboration s’arrête brusquement il y a
quelques semaines, explique-nous comment
cela s’est passé ?

Comme je disais, jusqu’en septembre 2017, il n’y a pas eu de problèmes, ça allait chaque fois de mieux en mieux. Ils nous offraient plus d’opportunités, étaient dans une démarche pour qu’on continue et qu’on renforce le partenariat. Puis il y a ce numéro en 2017 qui portait sur les inégalités, avec une photo d’Albert Frère en couverture. Mon choix alors était de traiter les inégalités et de les incarner, pas de dire « les inégalités dans le monde », mais montrer qui sont ses représentants. Ainsi, en ouverture du dossier il y a notamment les 8 hommes les plus riches du monde, ce qui ne posait pas de problème du tout à La Libre. Mais c’est une semaine après la parution qu’on reçoit un mail qui nous indique que ça a fait beaucoup de remous au sein de La Libre… 

Petite précision ici, ils ne contrôlent donc pas
ce qui va sortir, c’est après qu’ils réagissent en
fonction des retours qu’ils ont eus.

Il faut savoir qu’on envoyait le magazine pour impression le mardi et en général il était imprimé le mardi après-midi. Mais vu qu’ils nous faisaient totalement confiance, il n’y avait pas de relectures. Bref, on reçoit un mail de la personne qui s’occupe du partenariat, qui nous dit que ça fait beaucoup de remous et qui veut qu’on se rencontre, notamment avec le directeur général d’IPM, Denis Pierrard, ancien directeur général de Libération en France. 

Donc, vous allez à cette réunion…

On va à cette réunion qui a lieu deux ou trois semaines après. Je m’y rends avec le directeur de Financité, pour retrouver la personne qui gère le partenariat ainsi que Denis Pierrard. En gros, ils nous expliquent qu’ils ont eu des coups de fil, que son conseil d’administration s’est levé contre cette Une, qu’on aurait dit un tract du PTB, que c’est vraiment démagogique, que nos infos n’étaient pas solides, qu’on mettait des gens en cause qui sont proches de La Libre, que ça, ce n’est pas acceptable, etc. Nous citions notamment dans le dossier des grandes familles au patrimoine important en Belgique, la famille Emsens par exemple, qui s’enrichit grâce au commerce de l’amiante. À ce sujet, ils nous disent que ce n’est pas solide[note].

« La famille Emsens (3,3 milliards € de patrimoine) s’est enrichie grâce au commerce de l’amiante, via sa société Eternit. Ces gens ont tué des milliers de personnes à cause de leurs produits nocifs et on laisse leur fortune prospérer » (Financité, septembre 2017) 

Qu’est-ce que vous leur répondez ?

Sur le fait, on l’a laissé parler, j’ai vraiment trouvé ça ubuesque, assez violent qu’on remette notre travail en cause comme ça. Ils ajoutent aussi que c’est malhonnête de pointer du doigt Albert Frère comme ça, alors que c’est quelqu’un de très généreux. 

C’est un mécène.

Oui, un philanthrope… Ils ajoutent que même s’il avait fait de l’évasion fiscale (sic), ce n’est pas illégal. C’est peut-être immoral mais, bon, on n’a pas le droit d’en parler. Déjà avant, dans le mail, ils nous demandaient, évoquant le logo de La Libre inscrit sur le site de Financité et sur le magazine, de retirer tout cela immédiatement, ne voulant plus y être associés de près ou de loin. 

À ce moment, ils nous posent plusieurs conditions. Outre de retirer le logo, ils veulent qu’à l’avenir, si on continue le partenariat, on indique que nos propos n’engagent nullement la rédaction de La Libre. On n’avait pas de soucis par rapport à cela, ça nous paraissait même honnête. Mais ils nous obligèrent aussi à ce que le journal soit relu avant publication et qu’ils puissent exiger des modifications. Cela nous engageait donc à fournir le matériel une semaine avant. Qu’il y ait un délai, pas de soucis, on pouvait s’arranger, le journal paraît tous les trois mois. 

Malgré que vous indiquiez que les propos du
magazine Financité n’engageaient nullement
La Libre, ils demandent un droit de regard et de
modification ?

Oui, et nous avons à ce moment réfléchi à cela, car premièrement, ça nous poserait un problème s’ils devaient un jour nous demander d’enlever une information et, deuxièmement, il y a quand même implicitement dans ce cas une forme d’autocensure qui apparaît car on sait qu’on peut se faire retoquer si on écrit quelque chose qui ne leur plaît pas. Mais on va finalement accepter car cela nous permettait quand même d’avoir une distribution énorme pour un petit journal comme ça. 

60.000…

Oui, le samedi ils en impriment 60.000. Cela nous permet d’avoir une audience qu’on ne pourrait avoir nous-mêmes par nos petits moyens. On a donc continué, tout en réfléchissant à ce qui pourrait se passer. 

Puis, le numéro de décembre arrive.

Oui, le numéro de décembre arrive, qui ne porte pas du tout sur un sujet polémique, puisqu’il traite des coopératives comme réponse à l’uberisation, pour laquelle je prends l’exemple des livreurs à vélo, Delivero, etc. Mais en fait, il y a un autre article, qui se trouve dans les « pages zoom » que publie Financité [L’association] et que moi je vulgarise un peu. Là, j’essaie quand même de les tester et je remets une petite référence à Albert Frère, dans un article qui porte sur la façon dont les riches sont, forcément, ceux qui utilisent le plus les paradis fiscaux. Donc, rappelant les inégalités, je fais une petite phrase sur Albert Frère pour rappeler comment celles-ci sont fortes et j’indique combien pèse son patrimoine par rapport à celui des Belges. Et là, ça ne rate pas, ils me demandent de l’enlever, directement. 

Mais le papier montre également que les riches belges font plus d’évasion fiscale que la moyenne européenne, justifiant que je titre « Les riches belges aiment les paradis fiscaux ». Et là, pareil, on me demande d’enlever « belge ». C’est pas grand-chose, mais… 

C’est pas grand-chose, mais ça veut dire beaucoup de choses. 

Ça veut dire qu’on peut taper sur les riches globalement mais pas sur les familles belges (et ça on va l’apprendre après, le comprenant clairement quand ils annuleront le numéro de mars 2018) parce que les conseils d’administration des groupes de presse sont composés de personnes défendant les intérêts de ces familles. Dans ce cas, ils nous préviennent deux heures avant le bouclage, on avait bossé deux mois dessus, on n’allait pas dire : « On annule tout ». 

Donc à contre cœur…

… on l’enlève au final.

C’est violent. Et donc après ?

Le numéro de mars aborde la question du service
public. À nouveau, le sujet est relu. Dans le premier
mail qu’on m’envoie, on me dit : « Dorian [Dorian de
Meeûs] a relu ».

Le rédacteur en chef de La Libre Belgique.

Oui. Ce qui est intéressant, c’est que quand nous avons par après décidé de rendre publique cette affaire en publiant un communiqué de presse, Belga interviewe Denis Pierrard, directeur d’IPM, qui dit : « La rédaction n’avait aucun lien avec ça, elle n’est jamais intervenue dans le contenu », alors que c’est le directeur de la rédaction de La Libre qui a vérifié et ensuite demandé des modifications dans ce numéro-là. 

Tu penses donc que le directeur de rédaction
vérifie et ne demande pas l’avis de quelqu’un
d’autre. Il sait lui-même ce qu’il faut censurer,
ce qui ne va pas plaire aux actionnaires ?

Oui, tout à fait. La personne qui gère les partenariats, écrit dans son mail : « Dorian a relu, il a trouvé le dossier super », etc. Elle brosse un peu dans le sens du poil, ajoutant toutefois : « Mais il y a deux choses qu’on ne peut pas accepter, notamment dans le courrier des lecteurs où on parle des inégalités et quelqu’un qui se dit écœuré de voir l’écart entre les revenus des patrons et ceux des travailleurs », ce qui en soi, même si on peut trouver ça démagogique et tout ce qu’on veut, est vrai. 

Mais surtout, il y a une brève qui pose problème, qui porte sur un rapport publié par une ONG islandaise montrant que certaines banques belges ont des investissements dans l’armement nucléaire. J’y cite des banques, dont Degroof Petercam, ce qui se révélera important plus tard. Je sais que Degroof est au CA de La Libre… En gros, il m’explique que c’est vraiment trop simple, qu’on ne peut pas résumer un sujet aussi compliqué en une brève, que ça demanderait beaucoup d’explications.

C’est de Meeûs qui dit cela ?

Non, c’est l’intermédiaire mais j’imagine que les ordres viennent d’en haut. Bref, il y a des échanges de coup de fil. Moi je me défends, dis que c’est factuel, etc. Je sais donc que c’est cela qui pose problème. Après plusieurs échanges de mails, on m’envoie un message : « Ok, on a discuté avec Denis Pierrard et avec Dorian [de Meeûs] », m’indiquant par après au téléphone : « Ce n’est pas possible, on vous fait une proposition ». Et là il m’envoie par mail une proposition : « Enlevons Degroof Petercam qui fait partie de notre conseil d’administration, ça pose problème ». 

Parce qu’il y a le fameux Alain Siaens qui est au
CA ?

C’est ça. Ils disent « Siaens fait partie de notre
conseil d’administration ».

À ce moment-là, que leur dis-tu ?

Je dis que ce n’est pas acceptable et je refuse leur demande. À ce moment, je sais qu’on ne va pas être publié. Le lendemain, normalement jour de la publication, ils m’appellent et là je suis obligé de les pousser pour qu’ils me disent eux-mêmes : « En l’état, on refuse de publier ça », et là on me dit « C’est Patrice le Hodey, patron d’IPM (voir l’article dans ce dossier : « La galaxie le Hodey »), qui a tranché ». C’est carrément le patron d’IPM qui a tranché pour une petite publication et une histoire de brève ! Donc là on a refusé. Ils ont quand même accepté d’imprimer le journal mais pas de l’encarter.

La Libre voulait donc que vous réécriviez le journal ? 

Ils ont accepté en fait qu’on publie cette brève, après négociation, mais à condition d’enlever la Banque Degroof, qui est proche de La Libre Belgique, parce qu’un des administrateurs de Degroof est administrateur d’IPM.

Ce qui est fantastique, c’est que par un effet un peu de miroir, ça donne une idée de ce qu’ils peuvent dire et ne pas dire dans La Libre. Nous, avec Kairos, ça fait des années qu’on fait une critique des médias, et donc de La Libre, ils nous ont toujours dit qu’ils étaient libres de faire ce qu’ils voulaient, cette fameuse « liberté de la presse » qu’on sait totalement fausse. Cela montre que le plus important pour les Belges, pour les lecteurs, n’est pas dit : les écarts de richesse, la manière dont l’argent part dans les paradis fiscaux… 

Je n’irais pas jusque-là parce que La Libre publie des articles sur l’évasion fiscale, fait peut-être le minimum, mais… 

Alors c’est tout à fait schizophrène ?

Disons que le coup de fil de l’actionnaire dans une rédaction, ça n’existe pas. La censure est implicite. J’ai bossé 5 ans avant à Canal+ à Paris. Jamais, avant Bolloré, Vivendi n’a appelé pour dire « Ne faites pas ça », mais la censure est implicite, j’ai plein d’exemples.

Ce qui est intéressant, c’est qu’il n’y a eu aucune
censure avant septembre 2017.

Au fait, c’est simple : je pense qu’ils ne le lisaient pas. Mais un jour, les gens qui sont importants à La Libre reçoivent le journal du samedi et voient la tête d’Albert Frère, avec un article et un titre un peu provocateur. Alors ils regardent ce qu’il y a dedans. Et c’est ce qu’il s’est passé : ils m’ont dit au rendez-vous que j’avais eu avec Pierrard, qu’ils ont reçu des coups de fil, qu’il y a des gens importants qui se sont plaints. Par après, il y a eu un excès de zèle par rapport à notre publication qu’ils ont relue à trois fois afin d’éviter tous problèmes. Car des brèves comme ça, on a pu en faire 10 avant et ça passait à travers les mailles du filet. L’excès de zèle s’explique aussi parce que les gens qui sont très haut placés dans un journal sont payés pour ça : leur employeur ce sont les actionnaires et, à un moment, ils veulent sauver leur place. 

Sans doute donc que ces gens importants ne
lisaient pas Financité et s’y sont intéressés en
voyant la couverture, mais en attendant ils lisent
sans doute La Libre ?

Oui, effectivement (rire).

Est-ce que cet événement a changé ta perception des médias dominants, même si tu étais sans doute lucide là-dessus ? Est-ce que tu t’es dit : « Là, je ne pensais quand même pas qu’ils pouvaient aller aussi loin » ? 

J’ai un certain parcours: j’ai fait une école de journalisme en France, j’ai travaillé dans des rédactions où la critique des médias n’était pas présente et où j’ai compris, parce qu’il y avait des problèmes, à quel point cette critique était pourtant importante. J’avais trouvé une certaine liberté ici chez Financité. Je trouvais que c’était le bon compromis : ça me permettait d’être embauché par une asbl, bien sûr ce n’est pas totalement indépendant mais au moins je n’ai pas d’actionnaires importants derrière moi, je trouvais que tout passait à l’époque. Ça n’a pas changé fondamentalement ma perception
parce que c’est quelque chose que je savais.

Mais quand ça te tombe dessus…

Par contre oui, c’est violent. J’avoue que ça a été 6
mois assez durs au fait, personnellement.

On peut imaginer ce qu’il se passe dans ces rédactions-là quand on croit encore à la presse libre. Des gens comme de Meeûs et tous, ce sont des gestionnaires plus que des rédac-chefs, ce sont des tampons entre les groupes de presse et le journal, ils savent ce qu’on peut dire, ne pas dire, ce que tu ne connaissais pas à Financité. 

Effectivement. On ne va pas dans le bon sens aujourd’hui, quand tu vois le statut des journalistes. Il n’y a pratiquement que des indépendants, mais ce sont des faux indépendants, des gens qui sont sur des sièges éjectables. Donc ils n’ont pas intérêt à aller contre leur direction. 

LES – ABSENCES DE – RÉACTIONS DES AUTRES MÉDIAS 

Ce qui est intéressant aussi, c’est la manière dont les autres médias ont réagi. À part la RTBF, quels autres médias ont réagi ? Est-ce que Le Soir, qui est tout à fait dans la même situation par rapport à ces actionnaires, la famille Hurbain, a dit quelque chose là-dessus ? 

Dans un premier temps, il faut savoir qu’on a hésité avant de sortir l’information. Moi, j’avais vraiment envie de le faire. 

Vous avez eu des menaces pour ne pas le sortir ? 

Non. Ils m’ont appelé. Ils voulaient qu’on prenne un rendez-vous, un peu qu’on se rabiboche. J’ai un peu fait traîner et on les a eus par surprise… Je pense qu’ils ne croyaient pas qu’on le sortirait. Je voulais le sortir parce que c’est important, ça en dit beaucoup sur ce qu’est l’indépendance de la presse en Belgique. Après, on avait peur de se tirer une balle dans le pied, d’être boycottés. Ça pouvait être dangereux : l’association a besoin de relais de presse quand on sort certaines infos. On savait en le sortant que ce ne serait pas repris dans la presse. On était bien lucide là-dessus. 

Donc, à part la RTBF, personne n’a parlé ?

On a contacté Medor qui a sorti [une partie de] l’info, le lendemain de notre communiqué de presse ; Belga a fait une dépêche également. Ce qu’il faut savoir, c’est que normalement quand Belga sort une de nos infos, elle est reprise sur tous les sites, qui ont leur compte, que ce soit 7 sur 7, Le Soir, La Libre… et là, juste la RTBF. Pour ma part, j’étais même surpris que la RTBF le passe. Je ne pensais pas qu’il le relaierait. Pourtant, c’est évident qu’énormément de journalistes ont lu le communiqué et qu’il a beaucoup tourné dans les rédactions, parce que c’est un sujet qui touche les journalistes. Je crois qu’on a jamais eu un communiqué de presse qui a autant circulé mais qui n’a pas été relayé sur les autres sites web des médias. 

Est-ce que vous connaissiez la composition du Conseil d’administration de La Libre (voir p.12) ?

Non, pas du tout. Je me suis rendu compte que la Banque Degroof était au CA, parce que j’ai reçu un mail sur ma boîte, juste après l’histoire d’Albert Frère où l’on m’avait appelé pour me dire que le contenu n’était pas bien passé auprès de La Libre, d’un certain Alain Siaens, qui ne se présente pas, qui ne dit pas qui il est et qui demande « Telle info, j’aimerais bien avoir votre source, ça me paraît bizarre ». 

Manque de chance, la source s’était le SPF économie. Donc, bref, pas de nouvelles mais je googlise ce type et je me rends compte qu’il est au CA de La Libre. Donc c’est là que je l’ai découvert. Par contre, il y a une chose un peu insidieuse que je découvre sur la presse en Belgique : je pensais que ça allait un peu mieux ici qu’en France où les médias appartiennent à de gros industriels alors qu’en Belgique on a plutôt des groupes de presse : Rossel, IPM, etc. Mais au fait, quand tu creuses un peu, tu découvres la composition du CA, tu vois que tous les groupes de presse appartiennent à des grandes fortunes belges mais, qu’en plus, tu retrouves dans les conseils d’administration toute l’oligarchie belge financière et industrielle. Ils sont liés comme ça. 

Mais en France il y a une forte critique de la presse. Le Monde diplomatique a fait un gros travail là-dessus, Acrimed, des types comme Halimi, Accardo, Ruffin, alors qu’ici, excepté Geoffrey Geuens qui avait un peu travaillé là-dessus, il n’y a quasiment personne, ce qui fait qu’il y a encore cette ignorance. Quand vous avez sorti l’info, un internaute réagissait : « Moi qui pensais que La Libre était un des derniers bastions d’une presse encore respectable ». 

Sur la question d’une presse respectable, je n’irais
pas jusque-là. La majorité des journalistes sont des
gens qui font bien leur boulot. La Libre, Le Soir, sur
les questions d’évasion fiscale par exemple.

Mais plus on est dérangeant, moins on parlera
de nous. Est-ce que maintenant dans Financité,
vous vous dites que vous allez laisser une place,
ou bien vous pensez que ce n’est pas votre rôle,
à une critique de la presse de masse et aussi du
lien entre la finance et la presse.

Oui, la question se posera et on fera un dossier là-dessus, c’est important. C’était au fait prévu dans ce numéro. Je devais interviewer Aude Lancelin, auteure de Le Monde Libre mais ça n’a pas pu se faire niveau timing. J’aurais bien aimé voir leur réaction, c’est dommage. 

Comment tu vois l’avenir d’un magazine qui avait
la chance, entre guillemets, de pouvoir toucher
60.000 personnes. Ça change tout maintenant ?

Ça change tout, il faut vraiment repenser le truc. On vient de boucler le numéro précédent mais tout s’est fait dans l’urgence. On savait qu’en sortant l’info, ça ne serait pas relayé par la presse, par contre, on comptait sur la société civile et on a eu pas mal de soutiens de citoyens, d’associations et on va compter sur ces relais-là pour diffuser le journal maintenant. 

Propos recueillis par Alexandre Penasse le 21 juin 2018

Lire la suite »
Articles

LE SOIR … LA RUBRIQUE POUR S’ENDORMIR (Kairos 36)

SURTOUT NE PAS TOUCHER
AUX « GENS D’EN HAUT »

« On peut ne pas être d’accord avec la lutte des classes, juger le concept d’un autre âge, le trouver extrême voire dangereux à l’usage, il est contestable, mais il n’est pas démagogique. En revanche, l’incrimination à tout va de l’élite, l’establishment, les gens d’en haut, ça… C’est du Salvini, du Cinq Étoiles au mieux, du Trump, du Marine au pire. Le PTB a très envie de faire des voix ? Attention à perdre la sienne. » (22/08/2018). Ah oui, ça ils n’aiment pas les médias qu’on fustige les riches, l’establishment. C’est que ce sont aussi leurs patrons, comme l’épisode Financité nous le démontre encore (voir le dossier dans ce numéro). Ils ne veulent pas qu’on incarne la domination, préfèrent parler des riches de manière générale (mais pas des « riches belges », voir page 8 de ce numéro). Souvenons-nous de ce que disait Francis Van de Woestyne, ancien rédacteur en chef de La Libre, dans un éditorial (6 janvier 2014), suite à la visite bruxelloise organisée par les syndicats pour montrer les lieux où résident les grosses fortunes fiscalement protégées : « À la veille du week-end, les responsables syndicaux ont réalisé un “safari” dans Bruxelles, un minitrip destiné à pointer du doigt les “espèces fiscales protégées” de Bruxelles. Amusant? Plutôt navrant… (…) La stigmatisation systématique des “riches”, telle que la pratiquent les syndicats, est déplorable. Alors quoi, il suffit d’être pauvre pour être honnête…? Un pays a besoin de riches. Pour investir, pour prendre des risques. Le système devrait d’ailleurs faire en sorte que les grosses fortunes, et les autres, trouvent un intérêt à placer leur argent dans l’économie réelle du pays plutôt qu’à chercher des rendements élevés ailleurs. Ce ne sont pas les riches qui sont responsables de la crise, mais bien ces apprentis sorciers qui ont profité des failles d’un système pour le faire déraper ». […] 

Pas étonnant dès lors que, lorsque Raoul Heddebouw dit : « Je propose de diminuer de moitié le salaire du bourgmestre, 10.000€, aujourd’hui. Si Willy Demeyer entend… Ada Colau, de Podemos, a fait ça à Barcelone… », le journaliste lui réponde : « C’est démagogique. » Réflexe pavlovien… 

LE RÔLE DE L’ÉCOLE :
PENSER [INFORMATIQUE]

« Vers la pensée informatique à l’école » titrait Le Soir ce 28 août. Sous la photo d’une classe de début de primaire, avec dans le fond un enfant sur une escabelle tapotant sur le TBI (tableau blanc interactif) : « Les technologies informatiques récentes ont encore du mal à trouver leur place dans de nombreuses écoles ». C’est sûr, et Le Soir fera son œuvre pour convaincre de la nécessité qu’elles s’imposent. On parle de S.T.E.M., pour Science, Technology Engineering, et Math. « Le but ? Décloisonner les matières à caractère scientifique, numérique et technique, explique le professeur. Pendant deux heures, on profite d’un projet, proposé par l’élève, pour enseigner lesdites matières. Parmi les idées des enfants pour cette première rentrée : la robotique — sous la forme du combat de robots — ou la fabrication d’un hélicoptère modèle réduit… ». Chouette, comme ça les petits seront prêts quand leur instituteur sera remplacé par un robot ! 

LE SEIN ET L’ÉCRAN

Dans la même veine, la contre-offensive médiatico-technocratique s’amorce, les tenants de la pensée « progressiste » ayant pris la mesure de l’importante diffusion des dangers sanitaires de la surconsommation d’écrans. Elle organise donc son « grand débat » le 16 octobre à Bruxelles, sponsorisé par Le Soir qui, dans son édition du 5 septembre, interviewait un des orateurs prévus, Marcel Rufo. Ce dernier, expert patenté, du genre qui avance avec son temps, même si c’est pour aller vers le gouffre, n’hésitait pas à dire : « L’écran fait partie du quotidien de l’enfant comme le sein et le biberon. » Dont acte. La présence de l’objet se suffit à elle-même et justifie sa légitimité, sans jamais poser la question du lobby des multinationales et de l’argent en cause, évoquant plutôt le risque de son absence, lorsqu’à la question suggérant la réponse, du journaliste : « Un gosse qui se désintéresserait complètement des écrans, ce serait une source d’inquiétude ? », le psychiatre répondra : « Sûrement ». Ça promet, le débat ! 

Alexandre Penasse

DORMIR OU VOMIR,
IL FAUT CHOISIR ?

La « perle » médiatique sélectionnée ici implique des risques de vomissements plutôt que d’endormissement. Le 7 août dernier, Le Soir a publié un article sur les nouvelles sanctions du gouvernement Trump sur l’Iran[note]. Le texte s’attaque intelligemment à ces sanctions. Il critique cependant aussi l’Iran, ce qui est légitime en soi. Mais il le fait d’une manière totalement caricaturale, qui annule sans doute une bonne partie des effets positifs de l’article en question, voire les transforme en leur contraire. Le passage concerné : « L’Iran des ayatollahs est bel et bien un régime abominable où les droits de l’homme sont foulés aux pieds. Ses interventions extérieures, à commencer par son soutien fidèle au sanguinaire Bachar el-Assad, attestent d’un cynisme sans limites. Le fait de se targuer d’appartenir à un camp anti-impérialiste auto-proclamé (…) n’excuse rien ». Certes, le pouvoir iranien, comme la plupart des gouvernements, mérite de très fortes critiques, en particulier pour sa pratique de la peine de mort (il fait partie des champions, dans ce domaine, avec les USA et l’Arabie Saoudite notamment[note]). Mais se limiter aux côtés négatifs et les exagérer est non seulement injuste mais aussi particulièrement irresponsable quand il s’agit ici d’un pays qui se trouve dans le viseur de plusieurs puissances, qui ont amplement montré leurs capacités destructrices, à commencer par les USA. Mais il y a des petits « oublis » car, quand on critique l’Iran, il est très indiqué de rappeler aussi quelques faits comme ceux-ci : malgré tout ce qu’on peut lui reprocher, la révolution iranienne a aussi permis des progrès sociaux très importants. Par exemple, avant celle-ci, seuls 28% des femmes entre 15 et 49 ans étaient alphabétisées. En 2008, 87% d’entre elles le sont, et leur scolarité est de 9 ans en moyenne, contre 2 ans avant la révolution[note]. Les femmes sont présentes, au parlement iranien. Et si elles y sont minoritaires, leur nombre a doublé, en 2016[note]. La communauté juive iranienne est la plus nombreuse du Moyen-Orient (après celle d’Israël, bien sûr). Et elle est représentée au parlement[note].

Le président iranien actuel tente de dialoguer même avec les régimes les plus hostiles à son pays, comme l’Arabie Saoudite qui, par contre, reste dans l’agressivité et la provocation[note]. Le camp occident-pétromonarchies a des responsabilités écrasantes dans la guerre en Syrie[note]. Le Moyen-Orient, entre autres, est constellé de bases militaires étatsuniennes. L’Iran est un des seuls pays où il n’y en a pas[note]. Son appartenance à un camp anti-impérialiste n’est donc pas seulement « proclamée ». Ce dernier point devrait d’ailleurs nous dissuader de trop accuser ce pays, tant que nos gouvernements, soit, ne critiquent que mollement les USA, soit se comportent comme leurs dociles vassaux… 

Daniel Zink

Lire la suite »
Articles

LE STORYTELLING DU JOURNAL LE SOIR

Dans le cadre d’un cycle de conférences autour de la question des médias à Bruxelles, nous avions eu l’occasion de nous rendre au débat de clôture « Quels médias pour Bruxelles », organisé par la Brussels Academy. Béatrice Delvaux, l’inénarrable éditorialiste en chef du journal Le Soir, était de la partie. L’occasion de lui poser une question, dont la réponse, véritable storytelling du Soir, sonne comme toutes les fables de ces managers qui veulent nous convaincre que « ce n’est pas parfait, mais tout va bien »[note].

Alors que les intervenants débattent autour de « comment médiatiser Bruxelles », vaste programme… la parole est donnée à la salle. 

A.P. : C’est intéressant de savoir si l’on parle aux Bruxellois ou pas, mais j’ai l’impression qu’il est plus intéressant de se demander qui leur parle, d’où on leur parle. La plupart des médias dominants appartiennent à des grandes familles et traitent les informations d’une manière qui n’est pas très intéressante pour les classes populaires, quand on sait qu’à Bruxelles la pauvreté ne fait qu’augmenter. Alors, Madame Delvaux, je ne vais pas vous demander si la famille Hurbain, qui est votre patron, 117ème fortune belge avec 169.471 millions d’euros, a une influence sur votre ligne éditoriale, parce que vous me direz que non, comme tous le disent. Mais je vais vous demander pourquoi vous pensez que de telles familles acquièrent les médias, se les approprient? 

Modérateur : Excusez-moi, mais je ne vois pas le
rapport ?

A.P. : Écoutez, peut-être que des gens le voient, je
ne sais pas…

Béatrice Delvaux : Je vais peut-être vous raconter une histoire, parce que l’histoire est toujours vertueuse. Cette fameuse famille Hurbain, qui s’appelait Rossel au début, a créé le journal Le Soir il y a 130 ans. Savez-vous pourquoi elle l’a fait ? Parce qu’à l’époque tous les titres de presse appartenaient à des groupes politiques ou à des groupes financiers. Il y a un gars, qui gagnait beaucoup d’argent avec la publicité, qui estimait que l’information n’était pas accessible au plus grand nombre. Il a donc créé le journal Le Soir, à l’époque comme un journal gratuit avec pour vocation d’être neutre. C’était l’équivalent d’internet gratuit ou de Métro (sic), bien avant la lettre. La seule chose qu’on payait, c’était quelques centimes pour les étages que faisait le livreur pour apporter le journal. Le Soir a été créé pour être lu de la concierge à l’homme d’affaires, avec une volonté d’être extrêmement pratique pour tout le monde. 

C’est à ce point vrai que les Allemands, quand ils sont arrivés en 40, ont décidé de prendre possession du journal, parce que c’était bien plus utile de le prendre que de créer un propre organe de propagande. Les Bruxellois ne pouvaient en effet pas se passer du Soir, s’ils voulaient savoir où acheter des pommes de terre, du charbon, un vélo… ils devaient le faire via Le Soir. 

Je vous raconte ça parce que la famille Hurbain ne s’est pas enrichie et n’a pas pris possession d’un média, la famille Rossel a créé un média démocratique et s’est engagée à suivre la ligne rédactionnelle qui est, aujourd’hui, toujours la sienne. Et ce n’est pas la famille Hurbain-Rossel qui en est défenderesse, bien que je vous le dise, comme vous vous attendiez à me l’entendre dire, mais je ne peux que le dire parce que c’est une vérité qui me concerne depuis plus de trente ans : je ne subis pas d’influence et on écrit ce qu’on veut. Je pense que, sur nombre de sujets, si mon patron devait écrire, il n’écrirait pas ce que j’écris, je peux vous l’assurer. Et je le remercie tous les jours de me laisser faire. Et par ailleurs, s’il lui prenait l’envie de venir guider ma plume, il y a ce qu’on appelle une société de journalistes au Soir, qui a montré à de nombreuses reprises qu’elle était la meilleure défenseure de la ligne éditoriale. Nous ne sommes pas parfaits, mais je pense vraiment que l’intérêt pour les luttes, pour les égalités… On est un journal progressiste (…) avec toutes les imperfections qu’on peut avoir, mais je ne pense pas qu’on peut dire que le projet rédactionnel soit influencé par une famille de riches qui a décidé de claquer son pognon avec une danseuse, mais qui au contraire a mis l’information au centre de son activité (…) En tous cas, je ne peux pas laisser le procès d’intention s’installer, et je vous dis qu’en fait ce n’est pas juste : « Ce n’est pas nécessairement parce qu’une famille est riche qu’elle influence la ligne éditoriale ». 

L’HISTOIRE « VERTUEUSE »,
POUR CERTAINS…

La communicante connaît son texte. Il en ressort des éléments qui illustrent parfaitement quelques principes fondamentaux de la pensée libérale-capitaliste. 

- Le ton est solennel, plein de certitudes. Elle raconte l’Histoire, qui serait « toujours vertueuse ». C’est la grande histoire, celle du journal qui naît comme force d’opposition, origine qui ne pourrait que se refléter dans son fonctionnement actuel. C’est le mythe du bon, du brave, qui a contesté pour le bien commun, avec ses deux grands moments : la fondation héroïque et la mainmise des forces totalitaires qui s’emparent de l’outil de liberté ; 

- La comparaison de l’audace du Soir historique avec celle du Métro actuel, véritable sac à pubs qui n’est gratuit que par l’absence concrète de transaction financière directe, en dit long sur ce que sont les principes d’un journal libre pour Béatrice Delvaux ; 

- Le journal lu autant par la concierge que par l’homme d’affaires, pensée propre à cette idéologie de l’unité qui exclut toutes notions de classes sociales et d’exploitation ;

- Cette tendance à feindre l’imperfection, à affecter le doute : « Nous ne sommes pas parfaits », « Nous essayons de faire le mieux qu’on peut », pour mieux souligner implicitement une forme de neutralité et de recherche de la perfection, mettant à l’abri de tout soupçon ; 

- Et enfin, le point le plus important : la confirmation
que parler d’influence du propriétaire d’un média
sur son fonctionnement ne serait qu’une forme de
procès d’intention.

Superbe performance, au cours de laquelle la représentante du quotidien aura réussi une chose : ne pas répondre à la question « pourquoi pensez-vous que de telles familles acquièrent les médias ? » 

Alexandre Penasse

Lire la suite »

RÉPONSE AU JOURNALISTE DU SOIR

Le 19 septembre, Kairos publiait un article, «Kairos et Didier Reynders. Quand Le soir parlait de Kairos »[note], dans lequel nous rappelions ce que nous faisons depuis plus de 7 ans et le rôle de chiens de garde des médias dominants. Le journaliste, Louis Colart, y a répondu, mais refuse que son courrier soit rendu public. Nous réagissons à ses principales allégations.

« Bonjour M. Colart,

Merci pour votre mail.

Je répondrai point par point aux remarques contenues dans celui-ci, en présentant succinctement chacune de celles-ci, pour la clarté du propos, notamment pour les lecteurs de Kairos qui ont découvert mon premier courrier et voudraient comprendre. Vous considérez que votre réponse n’engage pas la rédaction du Soir et n’a donc pas vocation à se retrouver publiée sur le site de Kairos, ne souhaitant pas « alimenter une polémique stérile », selon vos mots. Nous n’avons pas la même définition de la « stérilité ».

- VOLONTÉ DE « FAIRE UN COUP »

Vous introduisez votre réponse en doutant d’emblée de ma volonté de débattre avec vous, voyant dans l’envoi du courrier que je vous ai adressé le 19 septembre ainsi qu’à l’ensemble des abonnés de la newsletter de Kairos, la volonté de « faire un coup », de « chercher le buzz ». Si user des seuls moyens que l’on a pour faire connaître nos publications, la newsletter étant l’un de ceux-ci, participe de la recherche du scoop, j’y vois pourtant tout à fait autre chose. Nous pensons en effet que la question du rôle des médias de masse, à savoir celui de « fabriquer le consentement », dépasse le seul débat entre deux personnes et doit avoir lieu publiquement. C’est le principe d’une lettre ouverte. Vous avez touché quelques « 639.450 lecteurs » jeudi dernier, et vous allez me reprocher d’envoyer notre article à quelques milliers d’abonnés à la newsletter… C’est une plaisanterie ? Demandez-vous qui cherche le buzz quotidiennement. Mais si toutefois vous considérez que faire un travail d’information et de diffusion sur des sujets essentiels, comme nous le faisons depuis plus de 7 ans (nucléaire, électromagnétique, enseignement, géopolitique, etc.), relève du scoop, nous l’admettons volontiers.

Par ailleurs, merci de vous excuser « pour le mot « blog » » et d’avoir corrigé l’orthographe de Kairos. Ça n’enlève toutefois rien à l’étonnement quant à cette « paresse » journalistique, endémique dans nos contrées « développées », qui conduit à ces « erreurs ».

- « ATTAQUE AD HOMINEM » ET « PROCÈS D’INTENTION»

Monsieur Colart, j’aurais dû, il est vrai, faire une précision en préambule : bien que je m’adresse à vous dans le courrier, ma critique dépasse votre seule personne, vous considérant comme un outil d’un système médiatique. Quand je m’adresse à vous, c’est donc plus en tant que représentant de cet ordre médiatique que comme « Louis Colart ».

Votre réponse confirme l’aveuglement qui est celui des « petits soldats du journalisme », vos étonnements établissant la frontière de votre perception critique. Vous me dites que je cite « pêle-mêle », une « interview du CEO de Rossel, de [votre] consœur Béatrice Delvaux et de l’un de [mes] sujets relatifs à La Libre », terminant par un laconique « Que dire, si ce n’est que je ne vois pas le rapport ? » Vous ne voyez pas le rapport, M. Colart ? Laissez-moi vous éclairer : votre patron, Bernard Marchant, est un ancien conseiller fiscal de chez Arthur Andersen. Arthur Andersen est une société d’audit qui était parmi les « Big five » comme on les appelait à l’époque, liée au scandale de la multinationale Enron pour laquelle elle réalisait des audits. Aujourd’hui, les plus importants cabinets de conseil sont une dizaine, dont fait partie… Mc Kinsey. En citant Bernard Marchant, j’indique donc que celui qui est aussi passé par Olivetti (vice-présidence Europe du groupe informatique), Beckaert (leader mondial du métal), 9Telecom (président directeur général)…, tend plus l’oreille au privé qu’au public. Ainsi, malgré les délirantes dénégations des journalistes de médias dominants, le pedigree des « CEO » des groupes de presse et, en Belgique, des grandes familles qui en sont propriétaires (Famille Hurbain pour Le Soir, qui malgré qu’elle ait perdu 32 places par rapport à l’article que nous écrivions en 2016[note], a depuis augmenté son patrimoine de quelques 14 millions avec une fortune estimée à 169.471.000€), est évident. Voudront-ils dès lors déplaire à Mc Kinsey qui dirige le pacte d’excellence en Belgique, lorsqu’ils devront l’évoquer ? Selon vous, « L’effort rédactionnel sur ce sujet [me] semble, au contraire, tout à fait « significatif » ». On pourrait en dire autant de votre aveuglement. Comme le disait Aude Lancelin à propos du fonctionnement mental des journalistes dans le processus de décadence médiatique : « Le travail d’usinage idéologique nécessaire pour dissimuler l’ampleur de la forfaiture était de plus en plus malaisé, demandant des individus puissamment clivés, dotés d’un système nerveux très particulier »[note]. Quant à votre consœur Béatrice Delvaux, je la cite tout simplement pour appuyer le fait que votre quotidien a connaissance de notre existence, mais que l’autocensure fait son travail et occulte les informations qui dérangent. Je continue ainsi dans mon courrier ma démonstration en évoquant la scandaleuse rupture de collaboration avec le magazine Financité parce que le rédacteur en chef de ce dernier avait refusé de retirer le nom de la banque Degroof Petercam dont faisait partie Alain Siaens, par ailleurs membre du conseil d’administration du groupe IPM qui édite La Libre. Comme disait cyniquement le financier Xavier Niel, un des propriétaires du Monde : « Quand les journalistes m’emmerdent, je prends une participation dans leur canard et ensuite ils me foutent la paix ». Pas trop de remous, dès lors. Mais vous l’avez saisi, je pense.

Avec tout le respect que je vous dois, vous ne faites pas exception et, paradoxalement, je n’imaginais pas avec mon premier courrier une soudaine prise de conscience de votre part, embourbé dans les méandres de la dissonance cognitive. Pièce du rouage, vous concourez à la perpétuation de ce monde, persuadé en vous persuadant que tout ne va pas si mal et que Le Soir fait quand même un bon travail. C’est bien pourtant du fait aussi de toutes ces petites acceptations que rien ne change significativement : l’auto-contentement égoïste et aveugle fait aussi partie de la catastrophe.

- LES PRESSIONS

Je vous ferais un procès d’intention en évoquant votre enquête et les pressions que vous subissez. Certes, on en revient à ce qui était dit avant : des années dans une presse comme Le Soir obligent à une forme d’autocensure si l’on veut continuer à toucher son salaire. Certes, le conformisme ambiant y concourt et, avec le temps, les velléités de faire véritablement son travail s’estompent devant la nécessité de dire ce qu’il faut. Je ne vous demande donc pas de vous « justifier de pouvoir travailler librement », dès lors que l’aphorisme « Celui qui ne bouge pas ne sent pas ses chaînes » se révèle sans doute celui qui définit le mieux l’œuvre d’autodiscipline du journaliste.

Dans votre aveuglement, vous réalisez donc cette superbe projection en nous accusant de plagiat, nous disant que : « Le Soir, et d’autres « médias dominants » que vous pourfendez, sont à la base de la plupart des révélations sur ce dossier (mais aussi Nethys/Publifin, le Samusocial, un récent projet de loi anti-lanceurs d’alerte…). Vos enquêtes sont tellement « inédites » qu’elles paraphrasent en long et en large les nôtres, sans jamais nous citer ». « Sans jamais vous citer » ? Dans notre long article sur le Kazakhgate, Le Soir est cité 8 fois en notes de bas de page ! Certes, certaines informations reprises par l’ensemble des médias, qui s’alimentent le plus souvent aux mêmes mangeoires que sont les agences de presse, sont parfois citées dans nos articles sans nommer de source, vu qu’elles sont multiples. Nous ne souhaitons pas ignorer Le Soir et ne pas le nommer comme source lorsque c’est le cas.

Pour conclure, je vous inviterais à lire Kairos, car vous semblez ne pas bien savoir ce que nous faisons. Vous accusez : « Le sens de la nuance et un véritable travail d’enquête nous font manifestement défaut », nous devrions « jeter nos oeillères idéologiques », nous inspirer d’Acrimed (avec qui nous avons un échange de presse…). Au Soir, au contraire de nous, vous « n’exprimez pas vos opinions », alors que nous serions bercés par l’idéologie… Il y a trop à rattraper pour instiller un début d’esprit critique vis-à-vis de médias dominants qui depuis des décennies façonnent les opinions derrière le spectacle de l’objectivité, invectivant les plus faibles et glorifiant les puissants, les épisodes de grèves prouvant de quel côté ils sont, et quelles sont leurs opinions…[note]

Mais tout semble aller bien, et mes écrits ne sont que gesticulations paranoïaques : « Les rédactions belges sont traversées de débats importants sur leur modèle éditorial, leur indépendance financière ou encore leur approche des débats de société ». Amen.

À deux jours du débat au parlement européen qui verra Didier Reynders, ou non, devenir Commissaire européen, je suis sûr que vous vous empresserez de diffuser la vidéo inédite de Nicolas Ullens de Schooten, n’est-ce pas[note] ?

Au plaisir de vous voir rejoindre les rangs de la critique et fuir un système qui, si vous avez encore des velléités de liberté, vous broiera un jour. »

Alexandre Penasse

Lire la suite »
Articles

L’ogre terroriste viendra tous nous manger ce soir

Il était une fois, dans un monde pacifiste, un ogre terroriste qui aimait faire le mal autour de lui. Nomade, cet ogre affreux n’est attaché à aucun territoire particulier. Il se déplace au gré des régions acceptant de l’accueillir, d’où il fomente de sanglantes attaques pour frapper, par surprise, les populations qu’il déteste. Particulièrement dangereux, ce monstre est également insaisissable tant est grande sa faculté à se cacher partout, y compris au sein de la population. Ce qui justifie, pour les autorités, la mise en œuvre de politiques liberticides particulièrement poussées…
La vie privée a longtemps été considérée comme un droit fondamental. Pourtant, depuis de nombreuses années, les autorités multiplient la surveillance et les contrôles invisibles de la population. Ainsi, lorsque les pays européens prirent la décision de créer un marché commun entraînant une libre-circulation des capitaux, des marchandises et des personnes, une question se posa très vite: comment allait-on faire pour contrôler les gens? L’une des réponses apportées fut de collecter toutes sortes de données privées, pour les conserver sur des serveurs informatiques et les mettre à disposition des «personnes autorisées» (les forces de l’ordre, par exemple). Si cette politique a commencé modestement (avec un nombre de données collectées restreint et encadré légalement), elle n’a cessé de gagner en ampleur depuis. Pour ne prendre qu’un exemple, en 2006, une Directive européenne imposa à tous les Etats-membres d’adopter des législations visant à collecter et conserver toutes les métadonnées liées à nos communications (téléphonie fixe, téléphonie mobile, internet, courrier électronique). En gros, il s’agit de savoir qui a appelé qui, quand et durant combien de temps, avec quelle forme de technologie et depuis quelle localisation (pour l’internet).

la PhiloSoPhie liberTiCide de l’anTi-TerroriSme
Bien que directement liée à l’avènement de la « libre-circulation » des marchandises et des personnes, cette politique a cependant été justifiée au nom de la répression antiterroriste. Et comme l’ogre terroriste est un grand nomade, il convient de pouvoir faire circuler toutes ces informations entre pays amis. C’est pourquoi l’Europe a passé de nombreux accords avec les Etats-Unis, acceptant notamment d’y transférer les données Swift (comptes bancaires) et « PNR » (données en possession des compagnies d’aviation lorsque nous prenons un avion susceptible de survoler les Etats-Unis)[note]. Mais les coopérations (européennes comme transatlantiques) sécuritaires vont nettement plus loin.
L’ogre terroriste étant un monstre particulièrement dangereux, les gouvernements ont estimé nécessaire de développer des méthodes d’enquête, de traque et de répression exceptionnelles. Par exceptionnelles, on entend ici: «qui sort du cadre démocratique». Variables d’un pays à l’autre, ces méthodes autorisent, par exemple, le recours à des pièces judiciaires classées «secret défense» lors d’un procès pour terrorisme: ces pièces peuvent être utilisées par l’accusation mais ne sont pas consultables par la défense: De même, des forces de police (comme Europol, la force de police européenne) peuvent établir des listes secrètes de gens suspectés de terrorisme: leur vie privée sera alors allègrement violée (placement de caméras, interception de courriers…) sans devoir passer par le filtre, démocratique, d’un juge d’instruction. Bien qu’un peu plus contrôlées, de telles intrusions sont également possibles vis-à-vis d’avocats, médecins, journalistes… Aux Etats-Unis, le Président a carrément le droit de détenir sans preuve et en secret une personne suspectée de terrorisme qui ne peut guère bénéficier des services d’un avocat.
Ici encore, les coopérations internationales battent leur plein. L’Oncle Sam et l’Europe ont noué des accords transatlantiques d’extradition et de coopération sécuritaires. Entrés en vigueur en 2010, ceux-ci autorisent des équipes policières américaines à venir travailler sur le sol européen, et légalisent l’utilisation de la vidéoconférence pour récolter des témoignages (ou des aveux) dans le cadre de procédures judiciaires. Surtout, ils facilitent grandement l’extradition (de l’Europe vers les Etats-Unis) de personnes recherchées par les autorités américaines[note]. Cette coopération sécuritaire transatlantique se situe dans le prolongement d’accords européens répondant à la même logique. Ainsi, dans le cadre de l’Espace de liberté, de sécurité et de justice européen (créé en 1997), un mandat d’arrêt européen a vu le jour en 2004. Partant de l’hypothèse que tous les pays membres de l’Europe sont des démocraties, le mandat d’arrêt européen met pratiquement fin au droit d’asile (par exemple pour persécution politique) entre pays européens. Pour autant qu’elles répondent à certains critères minimum, comme le fait de pouvoir donner lieu à une peine de prison d’au moins trois ans, les demandes d’extradition doivent être avalisées entre pays européens. En outre, un pays A peut réclamer l’extradition d’une personne à un pays B au nom d’une loi qui n’est en vigueur que dans le pays A. Autrement dit, le mandat d’arrêt européen organise une sorte de «libre-circulation» du droit pénal national partout en Europe. 

le reTour d’anCienS CauChemarS TranSaTlanTiQueS ?
Bien entendu, les autorités se veulent rassurantes: toutes ces mesures liberticides (espionnage, recueil de données, méthodes d’enquête et de répression exceptionnelles) visent à assurer notre sécurité. Elles n’ont qu’une ambition: repérer au plus vite, pour le mettre hors d’état de nuire, tout ogre terroriste caché dans la population. Pour le reste, «les gens qui n’ont rien à se reprocher» n’ont rien à craindre: nous sommes en démocratie, et ils peuvent continuer à vivre tranquille. Un discours officiel qui cadre mal avec les révélations d’Edward Snowden dénonçant un espionnage américain, généralisé au point de ne pas épargner ses amis (cf. page 9). Un message officiel, surtout, qui cache mal la nature subjective des nouvelles formes de répression anti-terroristes.
Comment les autorités définissent-elles ce qu’est un acte terroriste? Est-ce recourir à la violence et à la terreur plutôt qu’au débat politique? Pas du tout: Au niveau de l’Union européenne, la liste légale des actes terroristes englobe aussi bien des délits criminels (comme prendre un otage ou tuer une personne) que des faits relevant davantage du droit de manifester. Par exemple, la «capture d’aéronefs et de navires ou d’autres moyens de transports de droit commun» est une infraction potentiellement terroriste. Or, c’est pour un acte quasi similaire (l’abordage sans violence d’une plateforme pétrolière en construction dans l’Arctique) que des militants de Greenpeace viennent d’être poursuivis, par la justice russe, pour «piraterie en bande organisée». En Europe, la «provocation publique à commettre une infraction terroriste», par exemple en distribuant des tracts pour une association jugée terroriste, ou la «menace de commettre l’un des comportements » considérés comme terroristes, relèvent également du terrorisme. Ainsi, une personne distribuant des tracts, appelant à résister face à une intervention militaire atlantique dans un pays étranger, est tout à fait susceptible d’être qualifiée de terroriste.
Cependant, pour distinguer un délit de droit commun d’un acte terroriste, c’est finalement l’intention des auteurs qui compte. Ce que l’Europe formule comme suit: l’ogre terroriste se reconnaît par le fait qu’il tente de «gravement intimider une population» ou de «contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque»[note]. Oui mais… comment distinguer une contrainte démocratique (comme le droit de grève) d’une contrainte «indue» (donc terroriste)? La réponse fait froid dans le dos: ce sont les autorités, les forces de police et les services secrets qui sont juges et partie. C’est sur leur bienveillance qu’il faut compter pour distinguer, dans la population, un mouvement social critiquant en toute légalité leur politique, d’un ogre terroriste maltraitant injustement le gouvernement.
Le principe de séparation des pouvoirs est donc largement bafoué. Une décision d’autant plus grave que le passé transatlantique est lourd de dérives sécuritaires profondément antidémocratiques. Ainsi, au lendemain du 11 septembre 2001, les services secrets américains ont enlevé, sur le sol européen et en toute illégalité, plus d’une centaine de personnes afin de les expatrier discrètement vers des pays «amis», où il était possible de recourir à la torture pour les interroger[note]. Un bras d’honneur à la démocratie nullement exceptionnel. Durant toute la guerre froide, dans leur combat acharné contre l’ogre communiste, l’Europe de l’Ouest et les EtatsUnis mirent en place un réseau d’armées nationales clandestines. Créées avec l’aide de la CIA et coordonnées par l’OTAN, ces armées de l’ombre étaient censées résister, de l’intérieur, à une éventuelle invasion du territoire européen. Cependant, un seul ennemi étranger potentiel fut identifié: l’ogre communiste. Du coup, les Parlements (composés partiellement de communistes) n’ont jamais entendu parler de ces armées secrètes, connues de rares initiés (quelques hauts responsables politiques et militaires, services secrets…). Pire: les anciens nazis et militants d’extrême-droite ont été très sollicités pour le recrutement des soldats de l’ombre.
Partout, ces armées clandestines de l’OTAN ont été utilisées à des fins liberticides: espionnage des mouvements pacifistes, diffusion d’une propagande électorale anti-communiste… Dans les dictatures de Turquie ou d’Espagne (du temps de Franco), ces armées de l’ombre étaient carrément intégrées aux forces répressives des régimes en place. Ailleurs aussi, les armées de l’ombre furent impliquées dans des actes de terreur, comme le renversement de la démocratie grecque en 1967, ou la participation au terrorisme des « années de plomb » en Italie. De 1969 à 1987, environ 15 000 actes de violence politique furent commis sur le sol italien, tuant 491 personnes et faisant plus de mille mutilés. Systématiquement associés à l’extrême-gauche, ces attentats étaient parfois… l’œuvre de l’Etat et des services secrets militaires italiens qui recouraient à la terreur pour en accuser la gauche, pratiquant ensuite des arrestations massives dans les milieux communistes et socialistes. C’est d’ailleurs grâce au travail d’enquête minutieux d’un juge italien, cherchant à faire toute la lumière sur un attentat à la voiture piégée remontant à 1972, que fut découverte, en 1990, l’existence de l’armée de l’ombre italienne.… et de ses petites «sœurs» similaires dans tous les pays membres de l’OTAN.
Etrangement, la lumière n’a jamais été faite sur la hiérarchie des responsabilités dans ces actes de terreur transatlantique. Ainsi, les Etats-Unis en sont toujours à la thèse du «nous n’infirmons ni ne confirmons cette hypothèse». Certains pays européens mirent en place des commissions d’enquête parlementaire, qui finirent toutes par s’enliser sous l’inertie de majorités politiques trop mouillées dans cette histoire. Quant à l’Europe, après une déclaration courageuse du Parlement européen en 1990, elle ne fit rien qui puisse déplaire aux Etats-Unis. Comme on l’a vu, des coopérations sécuritaires transatlantiques sont même nées, mettant en œuvre des législations de plus en plus liberticides. 

liberTéS marChandeS eT PoliTiQueS SéCuriTaireS
Loin de viser exclusivement (voire principalement) l’ogre terroriste, ce cadre pénal renforcé suit en fait de très près les politiques de « libre-échange ». Dans un cas comme dans l’autre, il est question de faciliter la mobilité internationale des biens, des services, des lieux de production et du capital, mais aussi du droit pénal, des forces de police, des décisions judiciaires, des personnes recherchées par les autorités et des informations (parfois très personnelles) concernant des objets et des personnes, emmagasinées dans des banques de données. Le second trait commun (entre marché et espace sécuritaire internationaux) réside dans la volonté politique : qu’elle soit pénale ou commerciale, la « libre-circulation» créée n’a rien de spontanée, mais résulte d’un long processus de négociation internationale. Certains gouvernements, variant selon les thématiques, s’accordent pour adopter des normes communes, harmoniser des législations, reconnaître le bien-fondé de leurs décisions respectives (qu’il s’agisse de lancer un nouveau produit sur les marchés, ou d’extraire de la circulation un individu jugé suspect). Chemin faisant, des institutions naissent, les coopérations se multiplient, et tels deux fils entrelacés, les mondes marchands et sécuritaires se nouent progressivement l’un à l’autre pour devenir inextricables.
Dans le cas du marché transatlantique, les coopérations sécuritaires ont de l’avance sur les négociations commerciales (débutées à l’été 2013). Et si l’objectif officiel reste de mettre l’ogre communiste hors d’état de nuire, celles et ceux qui se rebellent contre l’ordre établi peuvent s’attendre à vivre de futurs cauchemars. En 2012, l’Espagne a ainsi réformé son Code pénal. Surpris par les fortes mobilisations des Indignés refusant qu’on coupe les moyens de vivre aux gens modestes (jeunes comme vieux), le gouvernement espagnol a trahi cet élan populaire en le décrivant à l’aide de mots qui font peur: des «collectifs anti-système» auraient utilisé des «techniques de guérilla urbaine» pour mettre en place une «spirale de la violence» que le gouvernement s’est proposé de stopper à l’aide de réformes législatives musclées. Désormais, occuper un bâtiment contre la volonté de son propriétaire (même dans le cadre d’une manifestation) est passible de trois à six mois de prison. De même, opposer une résistance à l’autorité (par exemple en s’enchaînant les uns aux autres pour éviter une expulsion policière) est assimilé à une forme d’attentat, pouvant mener à une condamnation allant jusqu’à quatre ans de prison. Enfin, relayer un appel à manifester pour une mobilisation n’ayant pas reçu les autorisations officielles peut également être sanctionné d’une peine (maximum) d’un an de prison!
Comme quoi, dans l’évolution contemporaine du droit pénal, distinguer les ogres terroristes des politiques oppressives de l’Etat n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire…
B.P.

il y a 23 anS…
« Le Parlement européen,
A. considérant les révélations par plusieurs gouvernements européens de l’existence, depuis quarante ans, d’une structure parallèle de renseignement et d’action armée clandestine dans plusieurs États membres de la communauté.
B. considérant que cette structure a échappé pendant plus de quarante ans à tout contrôle démocratique et qu’elle était pilotée par les services secrets des états concernés, en relation avec l’OTAN.
[…]
D. considérant par ailleurs que, dans certains pays membres, des services secrets militaires (ou des branches non contrôlées de ces services) ont été mêlés à de graves phénomènes de terrorisme et de criminalité, comme il a été révélé au cours de différentes enquêtes judiciaires.
[…]
1. condamne la mise en place de réseaux d’influence et d’action clandestins et demande que toute la lumière soit faite sur le caractère, l’organisation, les finalités et tout autre aspect de telles structures clandestines et sur les éventuelles déviations, ainsi que sur leur utilisation pour des interventions illégales dans la vie politique interne des pays concernés, le phénomène terroriste en Europe et les éventuelles complicités de services secrets des États membres ou des pays tiers;
2. proteste vigoureusement contre le fait que certains milieux militaires américains du Shape et de l’Otan se soient arrogé le droit de pousser à l’installation en Europe d’une structure clandestine de renseignement et d’action;
3. demande aux gouvernements des États membres de démanteler toutes les structures clandestines militaires et paramilitaires;
4. demande à la magistrature des pays dans lesquels on a décelé la présence de structures militaires de ce type de faire toute la lumière sur leur réalité et sur leurs agissements et invite la justice à élucider particulièrement le rôle qu’elles pourraient avoir joué dans la déstabilisation des structures démocratiques des États membres;
8. charge son Président de transmettre la présente résolution à la Commission, au Conseil, au Secrétaire général de l’Otan, ainsi qu’aux gouvernements des États membres et des États-Unis. »
Résolution du Parlement européen sur l’affaire Gladio, 22 novembre 1990.
Source : http://eur-lex.europa.eu/

Lire la suite »
20_k30_debatlesoir_texte.jpg
Articles

Débat entre le soir et Kairos

On avait été invité à un débat à l’Ihecs, avec Philippe Laloux, vice-rédacteur en chef du Soir et Digital Media Manager… En une vingtaine de minutes, on aura eu le temps de mesurer toute la morgue des journalistes du pouvoir, mais surtout leur malaise, la conscience de leur contradiction revenant toujours à un moment ou l’autre… Enfin, on n’est pas rancunier, on accepte donc les bras tendus la proposition de Philippe Laloux de « venir participer à une réunion de rédaction » au Soir*. D’ici là, lire la retranscription de notre rencontre du 8 mai vous permettra sans doute de comprendre pourquoi la mise en contact de la presse libre avec la presse industrielle est, comment dire ? Difficile…[note].

Animateur (Sylvain Anciaux) : Comment est-ce qu’on crée l’information chez Le Soir, comment est-ce qu’on crée un article, quels sont vos sources ?

Philippe Laloux : le terme est peut-être mal choisi : on ne crée jamais de l’information, on va la chercher, on va chercher l’information avec les dents, c’est la règle dans ce métier. On ne se lève pas le matin en disant « oh tiens, sur quoi je vais écrire aujourd’hui, qu’est ce que je vais commenter »; l’information c’est une denrée rare, de plus en plus complexe à aller dénicher, et c’est ça le principal métier et le rôle de la presse aujourd’hui, c’est d’aller chercher cette information, de la décrypter, de l’analyser, de la mettre en perspective.

Chez Kairos, comment on traite l’info alors ?

AP : je suis assez d’accord avec le fait que l’on ne crée pas de l’information ; à la fois on va la chercher mais à la fois on ne la suscite pas, on ne la génère pas en pensant si elle va plaire ou si elle ne va pas plaire. On part souvent d’un doute, d’une question, d’une interrogation… je peux donner un exemple très simple : le prochain dossier va porter sur la richesse. Cela part d’un questionnement qui est celui où l’on entend souvent parler de lutte contre la pauvreté, mais on attend rarement parler de lutte contre la richesse par exemple, où de mettre des limites à la richesse. Donc on part de là, on fait de l’investigation et tout ce qui suit.

Il y a 5 [6] numéros de Kairos par an, il y en a 365 chez Le Soir…

PL : … beaucoup plus…

… voir même beaucoup plus… Pensez-vous que la fréquence de publication impacte la qualité de l’information dans vos journaux. Au fond, quel est votre rapport avec le temps en tant que journaliste ?

AP : il y a deux points : d’abord c’est tout simplement impossible pour nous de créer un journal tous les jours ; deuxièmement, la périodicité [quotidienne] d’un journal n’est faite que pour une seule chose : un journal qui sort tous les jours, c’est fait pour plaire aux annonceurs, c’est évident. Il faut que ça sorte tous les jours pour qu’on puisse y mettre des publicités, qu’on puisse être en concordance avec les annonceurs qui nous subsidient.

Monsieur Laloux, vous êtes d’accord.

PL : Je vais d’abord répondre à la question avant de dire si je suis d’accord ou pas, puisque on ne crée évidemment pas un journal pour la publicité puisqu’on peut évidemment faire à ce moment-là un toutes-boîtes, qui s’appelle par exemple Vlan et répond à cette règle-là. Ce qui est important, ce n’est pas nécessairement le rythme de parution mais le temps que l’on met pour faire son métier avec rigueur et les moyens que l’on y met. Donc si on a la capacité de fournir de l’information validée, rigoureuse 5 fois par an, il faut le faire, c’est très important. Il y a des hebdomadaires qui le font 52 fois par an et qui ont aussi de la publicité… nous on le fait beaucoup plus que 365 fois par ans parce que Le Soir n’est pas qu’un journal papier, c’est aussi un site internet. C’est donc cela la principale rupture qu’il y a eu avec la manière dont les gens consomment de l’information aujourd’hui, je n’aime pas le mot « consommer » mais en tous cas lisent ou prennent connaissance de l’information, c’est qu’ils le font tout le temps : on n’est plus dans un modèle de média où je suis sur mon pied d’estale et je diffuse un même message (…) les gens consomment de l’information quand ils le souhaitent, au moment où ils le souhaitent, sur le support de leur choix. Et la principale rupture dans ce métier elle est là, à savoir que la deadline, la limite de publication est devenue totalement accessoire, même le support est devenu totalement accessoire, ce qui est important c’est de donner une information quand elle est validée. Par exemple hier [le 7 mai], des médias sortent à 15h30 une information en donnant le nom du futur président de la République française : eh bien, c’est zéro mérite, parce que fatalement c’est sur base de sondage, ce n’est pas recoupé (…)

Mais souvent dans Le Soir on retrouve la nouvelle du jour, l’info chaude, est-ce que c’est possible en même pas 24 heures de recouper toutes les sources et de publier quelque chose qui soit fiable ?

PL : Le Soir est un journal d’actualité, et, pour être un peu dans la caricature vous avez le résultat du match, mais vous avez aussi et j’espère que vous le lisez, une enquête sur les football leaks qui permet de démonter touta la mécanique des transferts du Mercato, où pourquoi Ronaldo a détourné 150 millions. Ça ce n’est pas une nouvelle qui tombe du ciel, c’est une info qu’on va chercher, qu’on recoupe et qui met des mois à être validée.

Monsieur Penassse, vous voulez réagir ?

AP : en dehors de la publicité, évidemment que le journal de marché, le journal qui appartient aux dominants, est fait aussi pour formater une certaine opinion publique et lui donner certaines idées. Donc on ne retrouvera jamais dans Le Soir, ou La Libre, ça a été montré, des idées qui sortent d’un cadre. Alors Macron, on fait croire que tout d’un coup on avalise le résultat d’élections libres et démocratiques alors que tous les médias ont travaillé activement depuis des mois, surtout dans ce cas-là les médias français, à créer le candidat Macron et à faire qu’il soit le candidat qui passe (…). C’est évidemment difficile d’obtenir d’un journaliste qui travaille dans une grande presse l’aveu que ses patrons sont le groupe Rossel qui appartient à la famille Hurbain, qui est la 100 ème famille la plus riche de Belgique[note], et qui ne s’intéresse évidemment pas pour rien au Soir. Ce n’est pas du hasard.

PL : Je pense qu’on a ici la différence entre des personnes, et je n’ai rien contre Kairos et je salue ce travail ainsi que l’existence de presse alternative comme vous l’avez appelée… évidemment qu’ici on est loin d’un travail journalistique ; ici c’est une opinion, on est dans le fantasme…

AP : je l’attendais celle-là…

PL : … oui, vraiment dans le fantasme, on lâche de manière péremptoire…

« Jamais Monsieur Penasse n’a pris son téléphone et n’a pris la peine de téléphoner à Béatrice Delvaux ! Jamais ! J’invite Monsieur Penasse à venir participer à une réunion de rédaction, vivre quelques jours, de faire un vrai travail journalistique, pour recouper toutes ces sources »

Vous faites justement ma transition, c’est parfait. Dans la première introduction de son premier numéro, Monsieur Penasse, vous écrivez : « notre époque manque cruellement de radicalité qui fait ici figure en réalité de simple cohérence ». C’est vrai que comme M. Laloux vient de le dire, chez Kairos on retrouve souvent un parti-pris dans les articles, on ne peut pas se le cacher, alors quelle relation doit entretenir le journaliste avec ce qu’il produit : est-ce qu’il doit être tout à fait neutre ?

AP : il n’y a que ceux qui se disent les moins engagés qui le sont le plus. Des journaux comme Le Soir, La Libre, Le Monde et les autres, sont très engagés : ils sont engagés tout simplement en faveur du capital. Je vais vous lire un petit extrait de notre chère amie Béatrice Delvaux qui, en 1999, écrivait : « le non radical à la mondialisation est intenable dans un monde où le consommateur pose tous les jours des gestes qui font sortir les entreprises des frontières. Le marché reste le mode d’organisation le plus efficace de la vie économique, notamment parce que tous les autres ont montré leur limite. Il faut favoriser la construction d’un capitalisme fort et conquérant, permettant d’assurer la pérennité d’entreprises qui conservent leur centre de décision au pays ». Faut-il rappeler que Béatrice Delvaux a préfacé le livre sur Albert Frère…

PL : … et elle a fait son stage au FMI, pour déjà anticiper…

AP : Albert Frère, c’est une des plus grosses fortunes. Évidemment, on est raillé quand on dit ça comme si c’était quelque chose qui n’était pas grave dans la façon dont on aborde la réalité et la vérité de certains sujets (…).

PL : J’ai le plus grand respect pour les opinions de Monsieur Penasse, mais ça reste des opinions. Jamais Monsieur Penasse n’a pris son téléphone et n’a pris la peine de téléphoner à Béatrice Delvaux ! Jamais ! J’invite Monsieur Penasse à venir participer à une réunion de rédaction, vivre quelques jours, de faire un vrai travail journalistique, pour recouper toutes ces sources.

PL : parce qu’évidemment…

AP : c’est noté !

PL : …mais bien entendu, et je peux vous ouvrir mon carnet d’adresse, il n’y a aucun souci, faites votre travail. Parce que ce n’est pas parce qu’on a une opinion ou un fantasme où on entretient une certaine théorie du complot… basé sur quoi ? Parce que Béatrice Delvaux a fait son stage au FMI, moi qui suis journaliste au Soir je serais évidemment un suppôt du capitalisme ? Évidemment que je me lèverais le matin en me disant « tiens, comment je vais pouvoir servir les intérêt du Bel20 ? », ça n’a pas de sens. On est dans l’idéologie, on est dans la théorie du complot, on est dans le fantasme le plus complet, et l’engagement en journalisme, la première chose qui compte c’est de s’engager à aller chercher de l’info, c’est la seule chose qui compte.

Justement, on va parler des journaux qui pourraient servir le capital, comme Monsieur Penasse le disait, et comme vous vous en défendez Monsieur Laloux…

AP : je voudrais quand même rajouter que quand on discute, c’est marrant parce qu’il y a toujours ce « je respecte les journaux alternatifs, mais ce sont des opinions sans valeur, c’est fait par des gars qui discutent juste comme ça… »…

PL : j’ai dit ça ?

AP : « Ce sont des opinions, c’est pas vraiment du journalisme »…

PL : faites du journalisme, étayez vos propos !

AP : faut quand même savoir que dans notre rédaction, on a Paul Lannoye, député honoraire européen… [note] 

PL : (me coupe), il est journaliste !?

AP : mais il n’y a pas besoin d’être journaliste pour faire du journalisme…

PL : à partir du moment où on aura un homme politique qui est journaliste au Soir, eh bien Le Soir met la clé sous le paillasson, parce qu’on ne ferait plus du journalisme, on ne pourrait plus…

AP : mais il a quitté le parti écolo…

PL : oui, bien sûr !

AP : argumentez, c’est ridicule.

PL : j’argumente : il est militant, il est militant !

Vous dite que Monsieur Penasse ne fait pas de journalisme, il a été à la recherche ici d’informations [évoque le dossier Seriez-vous libres ce Soir], de citations, il a a fait un travail de recherche, donc je pense qu’il a fait du journalisme, mais du journalisme critique.

PL : Je l’ai lu avec beaucoup d’attention : toutes les données qui sont là-dedans sont publiques. J’aime beaucoup lire des articles qui parlent des articles des autres… encore une fois, je ne retrouve pas un travail d’enquête où on aurait révélé, ô grande surprise, que Rossel appartient à la famille Hurbain, que Bernard Marchant est l’administrateur délégué qui dans une autre vie a travaillé chez Arthur Andersen… c’est là qu’on quitte le terrain du journalisme et qu’on commence à fantasmer dans la théorie du complot, englué un peu dans des oeillères et un prisme par lequel on analyse tout ça, on est dans le critique : sous prétexte qu’on a travaillé chez Arthur Andersen, on aurait fait allégeance au grand capitalisme et que quand je me lève le matin je ne pense pas au lecteur où à l’information mais je pense à soigner des annonceurs. Moi personnellement, je n’en ai rien à cirer. Je rappelle quand même qu’en Belgique on a la chance d’avoir des groupes de presse qui précisément n’appartiennent pas à des marchands d’arme ou justement des partis politiques ; plus que ça, on a la chance aussi, et là je parle pour Le Soir, d’être dans un journal où l’indépendance n’est pas un vain mot : ça fait 130 ans qu’on la brandit et qu’on s’en nargue même. Mais fatalement, ce sont des entreprises de presse qui ont besoin d’atteindre l’équilibre économique à la fin du mois. Donc je veux bien travailler gratuitement, mais ce n’est pas le modèle de société que nous défendons, sous prétexte qu’une entreprise gagne de l’argent elle serait inévitablement néfaste, évidemment que non ; pour faire du journalisme de qualité il faut que l’entreprise de presse soit à l’équilibre.

AP : je n’ai pas dit que sous prétexte qu’elle gagnait de l’argent, elle n’était pas libre. Non, on le sait très bien, et on le sait peut-être beaucoup mieux que les autres presses, que pour pouvoir survivre il faut des rentrées d’argent (…).

« L’emprise des élites sur les médias et la marginalisation des dissidents découlent si naturellementdu fonctionnement même de ces filtres que les gens de médias, qui travaillent bien souvent avecintégrité et bonne foi, peuvent se convaincre qu’ils choisissent et interprètent « objectivement » lesinformations sur la base de valeurs strictement professionnelles. Ils sont effectivement souventobjectifs, mais dans les limites que leur impose le fonctionnement de ces filtres ».Noam Chomsky et Edward Herman, La fabrication du Consentement.

Est-ce qu’il y a une forme de censure par rapport à la publicité ? Est-ce qu’on est vraiment libre chez Le Soir ?

PL : Imaginez : je veux écrire un article et tout de suite j’ai la régie publicitaire qui descend dans la rédaction : « dis, tu n’as pas le droit d’écrire cet article ». Imaginez une seule seconde un pays, une démocratie où ça se passerait comme ça, ce serait atroce. Il y a un mur de Berlin…

AP : mais évidemment qu’il n’y en a pas ! C’est fou parce que ça a été écrit il y a trente ans : Chomsky et Edwards ont fait un fabuleux livre là-dessus, évidemment qu’il n’y a pas un type qui descend de la régie publicitaire et qui va dire « Eh coco, stop ! ». On le sait très bien, que c’est une forme d’autocensure qui est intégrée, et qui est intégrée bien avant les écoles de journalisme, dans les écoles secondaires, primaires, dans le fait que nous-mêmes nous avons été des lecteurs et des auditeurs des médias tels qu’ils sont. Évidemment qu’il n’y a pas un type qui vient avec un flingue. Ils prennent toujours la comparaison avec des pays qui sont sous des dictatures, où là la résistance est réelle.

PL : moi je n’ai pas les connaissances de Monsieur Penasse en neuropsychologie, je pense qu’il a certainement raison…

AP : c’est peut-être parce que j’ai fait psychologie, mais…

PL : tout à fait, mais je pense vous avez raison, que la publicité évidemment utilise des codes et des techniques qui permettent de toucher – j’ai trois enfants et j’essaie de les préserver de tout ça, et on a certainement Monsieur Penasse et moi les mêmes valeurs par rapport à ça… – je veux simplement dire qu’il y a une part d’intention dans l’autocensure, mais pas que par rapport à la publicité. Mais en tous cas, on est pas dogmatisé par rapport à ça. Et je peux vous sortir des pages où en pleine affaire Fortis révélée par Le Soir, où il y avait sur une même page des articles qui dénonçaient le conseil d’administration et une publicité Fortis.

Pour terminer, qu’est ce que c’est que pour vous du journalisme de qualité ?

PL : c’est un journalisme rigoureux, et de la rigueur c’est être indépendant, évidemment de toute pression économique, politique mais aussi de tout dogme, de tout idéologie… je ne suis pas là le matin pour servir une idéologie.

« J’argumente : il est militant, il est militant ! »

Monsieur Penasse, pour clore le débat ?

AP : La question, je voudrais quand même rebondir, n’est pas celle que les gens se lèvent le matin en se disant « on va servir une idéologie », c’est uniquement qu’il y a certaines informations qui peuvent être dites et d’autres non. Pour nous, un journalisme de qualité, c’est ne se mettre aucune limite au travail de vérité. Alors, il faut quand même se rendre compte où on en est : on est en 2017, dans une situation environnementale, politique, financière qui est catastrophique, énormément de chercheurs disent que si l’homme continue comme ça, dans 100 ans c’est terminus, alors la récré elle est terminée. Et donc ça, c’est un journalisme de qualité, il faut le dire.

PL : moi je vous invite à lire Le Soir tous les jours pour prendre connaissance…

AP : … mais je n’arrive plus Monsieur, je n’arrive plus…

PL : mais je ne vous parle pas à vous, je parle aux lecteurs ! … de lire tous les jours pour avoir justement des informations, parce que les premiers à faire un travail d’enquête sur…

AP : moi je vous conseille vraiment de ne pas le lire !

PL : mais alors vous parlez de choses que vous ne connaissez pas, ce n’est pas journalistique !

AP : mais je n’arrive plus…

PL : mais vous n’êtes pas journaliste !

Pour info, quand des étudiants, hors micro, demanderont à Monsieur Laloux s’il compte rester pour la fin de l’émission, il répondra : « non, j’ai du travail, j’ai un métier moi ». CQFD.

* ON ATTEND TOUJOURS…

On l’a donc recontacté… le 11 mai, je lui envoyais un mail :

Bonjour Monsieur Laloux,

Suite à notre débat de ce lundi 8 mai, des plus intéressants, j’accepte volontiers votre invitation à venir participer à une réunion de rédaction, vivre quelques jours, de faire un vrai travail journalistique, pour recouper toutes ces sources.

Comment pourrions-nous organiser cela au mieux? Comment pensiez-vous procéder?

Au plaisir de vous lire,

Cordialement,

Alexandre Penasse

Le même jour, il me répondait :

Bonsoir,

Christophe Berti, rédacteur en chef, prendra contact avec vous pour répondre à toutes vos questions. Au moins, vous aurez la source la plus directe pour organiser la suite de votre enquête. Je me suis permis de lui transférer votre mail et de lui en toucher un mot.

Merci pour votre intérêt.

Cordialement

Philippe Laloux 

Au passage, l’invitation à participer à une réunion de rédaction se mue en « répondre à toutes vos questions »… On n’a évidemment plus eu de réponse, alors on l’a appellé, pour finalement l’avoir au téléphone en juin, nous disant qu’il était très occupé avec le nouveau site du soir et allait reprendre contact avec nous. On a réessayé en septembre, pas de réponse. On attend toujours. Évidemment.

Lire la suite »
Articles

LA FIN DU MARCHÉ LIBRE ET DES LOIS DE L’HISTOIRE ? REMARqUES SUR LA DIALECTIqUE

« Des philosophes comme Condorcet, Marx, Hegel, Comte, n’ont pas compris que le devenir historique “se déroule mais ne progresse pas”, qu’il est au pire un enchaînement de catastrophes, au mieux “un défilé d’impasses, une succession de situations bloquées, une immobilité en marche” ».Frédéric Schiffter, à propos de Cioran[note]

Parmi les arguments que l’on oppose aux objecteurs de croissance, deux reviennent avec régularité : primo, la décroissance aurait une connotation «négative» qui ferait office de repoussoir; secundo, elle se contenterait de paresseusement prendre le contrepied de la croissance et resterait ainsi prisonnière d’un schéma économiste qu’elle prétend récuser. Ici, nous allons en étudier une troisième, venant des marxistes : la décroissance serait dépourvue d’une dimension dialectique, ou du moins n’en tiendrait pas assez compte dans ses démonstrations. Pour rappel, la dialectique, au sens moderne du terme, se résume comme ceci: rien n’est figé une fois pour toute, tout est en devenir, mais selon une loi déterminée: du mal accouchera le bien, l’humanité marche vers la réalisation de l’Esprit (i.e. la Raison), ce n’est qu’une question de temps, alors soyons patients, nous les révolutionnaires, comme le recommandait Lénine. 

Je vais tenter de montrer que les limites écologiques, ou l’enfermement planétaire[note], de plus en plus manifestes, invalident tant la théorie de la main invisible du marché[note] que le matérialisme dialectique. Car, hormis la propriété des moyens de production — la principale ligne de fracture entre marxistes orthodoxes et libéraux —, les points communs sont plus nombreux que les uns et les autres sont prêts à le reconnaître: croyance en la société d’abondance qui anesthésiera les passions mauvaises des hommes et adviendra par l’omnipotence de la science et de la technique[note] ; bureaucratisation de la vie (quoiqu’en disent les libéraux anti-étatistes); expansion illimitée de la maîtrise rationnelle, de l’économie et de l’industrie; anthropocentrisme ; prométhéisme ; goût pour le gigantisme ; universalisme; arrachement à toutes les traditions, au temps, à l’espace et à la nature ; volonté de bouleverser tout ordre social qui aurait tendance à se stabiliser, bref, croyance au Progrès, cette métaphysique de l’histoire[note], ce processus déterministe sans fin et toujours plus complexe où la science découvre, la technique exécute et l’homme s’adapte; au bout du compte, il est censé amener l’humanité au bonheur sur Terre, le présent imparfait n’étant qu’une suite de crises passagères (1914–18, 1929, 1939–45, 1968, 1973, 1995, 2002, 2008, jusqu’à la prochaine) préparant l’harmonie future. Autrement dit, nous avons affaire à une nouvelle religion séculière cachée derrière « un discours techno-historiciste», selon l’expression d’Alain Gras[note]. Si certains veulent à tout prix refonder l’idée de progrès, il faut alors reprendre à grands frais sa conception héritée des Lumières, du saint-simonisme et de la cybernétique, puis « dégraisser » là où c’est nécessaire. Vaste programme! 

Aujourd’hui, la question écologique s’invite dans l’économie politique, pour la prendre de plein fouet. Inutile de décliner ses multiples facettes ici, que tout citoyen digne de ce nom est censé connaître. Après l’avoir longtemps refoulée, l’oligarchie capitaliste semble enfin la prendre en considération, mais pour la récupérer aussitôt dans l’éco-blanchiment et, à un stade plus sérieux, dans le «capitalisme du désastre» (Naomi Klein, 2008)[note] ou le «capitalisme biocidaire» (Michel Weber, 2013)[note]. Plutôt que celui de la société sans classes, le XXIème siècle pourrait bien être celui de l’hyper-capitalisme vert qui adaptera de force les habitants de la planète à la raréfaction des ressources sans toucher aux privilèges des riches, cet éco-fascisme que Serge Latouche a vu venir il y a dix ans déjà. Cependant, remarquons aussi que la réapparition[note] de cette « crise » écologique ne fait pas l’affaire des capitalistes, car elle vient troubler leur scénario du «business as usual ». Autrement, comment expliquer l’acharnement de leurs affidés, ceux que je nomme les «rassuristes»[note], à minorer ou démentir les menaces globales? Leurs manœuvres relèvent à la fois du déni, de la dissonance cognitive et de l’optimisme irréaliste, l’enfumage de l’électeur-consommateur en étant l’objectif intermédiaire, et la paralysie des décisions politiques, l’objectif final. Hélas, les médias les chérissant, on suppose qu’ils atteignent souvent leur but: administrer une dose de tranquillisants à l’individu atomisé qui n’a nulle intention de renoncer à la consommation, passeport pour son intégration dans la dissociété. 

Pourquoi la réalité géophysique actuelle vientelle profondément remettre en cause les théories économiques élaborées depuis les Lumières? La vision organiciste de la Renaissance concevait la nature comme une mère nourricière qu’il convenait de respecter. Puis les découvertes, aux XVIème et XVIIème siècles, de Copernic, Kepler, Bruno, Galilée et Newton ont changé la donne. Le cosmos clos hérité des Grecs a fait place au cosmos infini, la vision naturaliste et mécaniciste s’est installée: l’homme est désormais séparé de son milieu, sur lequel il prend de l’ascendant. Bacon, Descartes et Boyle lançaient le plus ambitieux programme pour l’humanité: par la connaissance scientifique et la rationalité instrumentale débridée, l’homme allait étendre ses pouvoirs à l’infini sur la nature, la soumettre à ses désirs et ses fantasmes[note]. Or ladite nature a toujours été un partenaire incontournable de l’humanité. Pour les sociétés traditionnelles, c’était une évidence. Au siècle des Lumières, on l’a refoulée (sauf Rousseau); au XIXème siècle, le souci de la protection de la nature a accompagné la Science triomphante, sans toutefois parvenir à freiner son avancée[note] ; aujourd’hui l’état très préoccupant de la biosphère devient obvie, sans toutefois être totalement intégré au logiciel mental de la plupart de nos contemporains. 

« Aucun dieu, aucune main invisible du marché ni aucune ruse de l’Histoire (ou de la Raison) n’interviendra pour nous sauver » 

Le marché libre suppose un monde potentiellement illimité où il existe toujours quelque part une «arrière-cour» capable d’absorber et de satisfaire la volonté des producteurs et la demande des consommateurs. Naguère, cette arrière-cour était constituée par les colonies regorgeant de matières premières et de main‑d’œuvre corvéable; aujourd’hui, c’est par la technoscience, via les projets de maîtrise du vivant (génie génétique, nanotechnologies, biologie de synthèse, nouvelles techniques de reproduction, transhumanisme, etc.), des cycles naturels (géo-ingénierie), ainsi que la conquête spatiale qui reprend des couleurs. L’être humain veut à tout prix avoir le dernier mot sur la nature, mais le volontarisme technologique — ou technoptimisme — est condamné dans son principe, la biosphère étant plus complexe que l’intelligence humaine qu’elle a engendrée. N’en déplaise à mes amis marxistes, il en va de même pour la dialectique telle qu’ils l’entendent : pour se résoudre dans la synthèse — résultant d’un dépassement de la thèse et l’antithèse —, elle a besoin de l’existence d’une « réserve » que les écosystèmes finis, de surcroît irréversiblement dégradés pour certains par la praxis de l’homme, ne sont plus en mesure de fournir. Bertrand Méheust l’a compris et s’en inquiète: «Il peut se faire, après tout, que la destruction de la biosphère soit tellement “radicale” qu’aucune “vérité supérieure” n’en sorte et qu’elle ne laisse aux êtres humains d’autre perspective que celle d’une vie crépusculaire dans un monde à jamais dévasté. »[note] Cette perspective, angoissante mais plausible, est évoquée dans des œuvres cinématographiques ou littéraires visionnaires comme Danse avec le diable, Soleil vert, Malevil, Mad Max et La route. Quand bien même le matérialisme historique pourrait fonctionner dans son principe, un autre facteur l’entrave: le temps vient à manquer. Dérangée par notre frénésie productiviste, la nature nous impose dorénavant son agenda. Pour compliquer les choses, il ne s’agit pas du temps linéaire, prévisible de la science expérimentale et de la technique, mais bien celui, chaotique, fait de boucles de rétroactions positives. Le lecteur dubitatif peut compulser le dernier rapport du GIEC, lire le philosophe Clive Hamilton[note] ou écouter le professeur Guy McPherson (Université d’Arizona), qui distingue vingt-cinq de ces boucles, irréversibles à l’échelle du temps humain…[note] Le temps est venu de cesser d’attendre un deus ex machina. Aucun dieu, aucune main invisible du marché ni aucune ruse de l’Histoire (ou de la Raison) n’interviendra pour nous sauver. Ne comptons plus sur une providence inexistante. Là réside le vrai athéisme — athéisme dont se targuent les marxistes et les libéraux. Comptons seulement sur nous-mêmes… bien que cela ne nous offre aucune garantie de succès! Accepter l’incertitude représente une nouvelle forme de sagesse et de lucidité. 

En substituant son radicalisme épistémologique au positivisme ordinaire, la décroissance propose, elle, un mode opératoire bien mieux adapté à la situation présente, inédite dans l’histoire de l’humanité, que ni Adam Smith ni Karl Marx n’avaient prévue. Le discours libéral et le discours marxiste (dans sa forme dogmatique) sont dépassés. Chez les premiers, comment croire que leur modèle représenterait une « fin de l’histoire » ? Quelle vanité ! Chez les seconds, prétendre bifurquer dans une autre direction unidimensionnelle et universelle — le communisme — est une idée (devenue) irréalisable. La décroissance suggère plutôt de susciter le «buissonnement» d’alternatives résistantes au productivisme et au capitalisme partout où cela est possible[note], sans passer par la prise du pouvoir d’État[note]. Ce buissonnement s’inscrit bien dans la continuité de l’histoire, avec la limite rappelée par Jean-Pierre Dupuy : « […] s’il est vrai que nous faisons notre histoire, nous ne savons pas quelle histoire nous faisons»[note]. Repousser la catastrophe — s’il en est encore temps —, empêcher que le monde ne se défasse, selon les mots d’Albert Camus, voilà des objectifs plus clairvoyants que l’illusoire Grand Soir, aujourd’hui privé de son sujet historique, le prolétariat[note]. Ne parlons même pas des «démocraties de contrainte» libérales et consuméristes, condamnées à terme dans leur principe. Plus modestement, les objecteurs de croissance visent «un nouvel idéal frugal, égalitaire et démocratique de coexistence conviviale» (Christian Arnsperger, 2008). À l’instar d’Orwell, ils redonnent de l’importance à l’intuition morale et au sens commun, cette faculté à mi-chemin entre la raison et le sentiment. S’ils estiment avoir une mission révolutionnaire, ils sont également conservateurs, dans le sens où conserver les structures (économiques, sociales, agricoles, symboliques, etc.) et les écosystèmes que le capitalisme détruit pour étendre son emprise, est devenu une question de vie ou de mort. Ils cherchent à recréer les conditions de l’autonomie individuelle et collective. Comme Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, ils font le choix délibéré de la non-puissance, préfèrent le qualitatif au quantitatif. La décroissance est une étape transitoire et nécessaire pour notre survie qui nous fera passer d’un monde écologiquement et anthropologiquement insoutenable à une société qui se recomposera à partir d’une empreinte écologique redevenue soutenable, qu’elle se promettra de ne plus dépasser. «Le sens de l’histoire n’est pas le progrès, comme on l’a cru depuis le XVIIIème siècle, mais bien plutôt la puissance toujours accrue exercée sur la nature et contre elle»[note], remarque le philosophe Christian Godin. Il est temps que cela change ! 

Arrivons-en maintenant à la conclusion: la décroissance elle aussi est dialectique, puisqu’elle adopte un schéma thèse (la croissance)-antithèse (la décroissance)-synthèse (société d’a‑croissance stable, démocratique, écologique et conviviale) ». Cependant les différences avec le matérialisme dialectique d’Engels sautent aussi aux yeux : primo, les voies pour y parvenir sont multiples (cf. supra) et n’ont rien à voir avec l’idée d’un Progrès linéaire ; secundo, l’importance du rôle de la nature est prise en compte pour constater aussitôt qu’une fois détruite, elle ne pourrait plus fournir le substrat qui «sert de base à toute vie, toute pensée, toute invention» (Peter Sloterdjik, 2003); tertio, il n’est pas garanti que cela se passe comme nous le souhaitons, car il n’y a aucune nécessité historique pour passer de la croissance à la décroissance; nous pourrions échouer et l’aventure humaine prendre fin dans un cataclysme inimaginable. Terminons sur une note positive: sans tomber dans le messianisme, avançons que la décroissance est un nouvel universel concret. Une chance à saisir. 

Bernard Legros 

Lire la suite »
Articles

« ON NE VOUS RÉPONDRA PAS, CE N’EST PAS LE SUJET DE LA SOIRÉE »

La « démocratie participative », souvent brandie comme une évidence dans les discours politiques, n’est jamais réellement définie et très rarement transcrite dans des dispositifs légaux. Heureusement, de Namur à Bruxelles, elle peut compter sur des élus qui la défendent avec ardeur… 

La consultation populaire est une procédure, prévue par le Code de la Démocratie Locale et de la Décentralisation, permettant à la population de faire entendre sa voix sur des questions spécifiques. À Namur, un collectif citoyen a ainsi récolté plus de 13 400 signatures, obligeant la ville de Namur à demander l’avis de sa population sur le choix de raser le Parc Léopold pour y construire un centre commercial. Ainsi contrainte à un grand saut dans l’inconnu démocratique, la ville prit tout le monde de cours et lança sa propre consultation populaire sur le sujet ! Ce qui lui permit de choisir elle-même la formulation des questions à poser à ses concitoyens. Pas folle, la guêpe. 

Dans cet élan démocratique sans précédent, la ville mit fissa la main au portefeuille public et lança une campagne (38 000€) permettant d’informer les Namurois sur… les raisons de voter oui aux trois questions alambiquées qui leur étaient posées le 8 février dernier. Pendant ce temps, les défenseurs du Parc Léopold, dont le travail patient a permis d’initier la consultation populaire, faisaient du bénévolat et du crowdfunding pour faire entendre leurs arguments… 

géométrie variable 

Il s’est heureusement trouvé un parti d’opposition qui a eu le courage de dénoncer ce « déséquilibre », cette « outrance ». Un parti qui sait débusquer les manœuvres du pouvoir et n’hésite pas à cogner ni à dénoncer. «À force d’orienter à ce point le résultat, ce n’est plus une consultation populaire mais un plébiscite qu’organise la majorité», s’offusque-t-il, allant jusqu’à demander au Bourgmestre de partager le budget de la campagne d’information avec les partisans du non… 

Quel est donc ce parti si prompt à dénoncer le «vol» d’une initiative populaire et son «détournement» en opération marketing en faveur du projet d’un promoteur privé côté en bourse ? Je vous le donne en mille. Le PTB? Nan. Ecolo, ce fervent défenseur de la participation ? Non plus : membre de la majorité namuroise, il porte à bout de bras cette mascarade qui a dénaturé la demande de 13 400 Namurois. Le CDH, alors, ce parti qui déclarait il y a peu à la Région wallonne que «Mettre la procédure (de la consultation populaire) dans les mains des politiques dénaturerait la dimension populaire de la démarche” et la “transformerait vite en une forme d’instrumentalisation politique du débat»? Encore raté, le Bourgmestre de Namur, Maxime Prévot, est CDH et malgré le désaveu cinglant que lui ont infligé les Namurois en répondant majoritairement non aux trois questions posées, il en retient pour sa part « une volonté partagée par toutes les parties de favoriser la création d’un centre commercial au square Léopold ». 

Mais vous chauffez… Ce parti frondeur, terré dans l’opposition d’où il forge des contestataires aguerris et pour qui le contrat avec l’électeur est un lien sacré se méritant à chaque instant, c’est le PS. Celui-là même qui, lorsqu’il disposait de la majorité absolue à Huy, s’était assis sur le résultat d’une consultation populaire où 95% des votants avaient refusé, là encore, qu’on rase un parc pour réaliser un projet immobilier fumeux. Qu’importe ce score a priori sans discussion, la Bourgmestre Anne-Marie Lizin avait estimé que seuls 27% des électeurs s’étant déplacés, cela signifiait que 73% de la population soutenaient implicitement son projet ! 

circulez… 

À Bruxelles, au même moment où son parti dénonçait la mascarade namuroise, le Bourgmestre PS Yvan Mayeur se prévalait lui aussi d’un «soutien massif» de la population à son projet de piétonniser les boulevards centraux, claironnant que 73% des personnes interrogées dans le cadre de ses « ateliers participatifs » y sont favorables. Un chiffre identique et tout aussi farfelu que celui de son excollègue hutoise. Car le bourgmestre oublie de préciser que ses “ateliers”, sous-traités à un bureau d’études, se sont plutôt apparentés à un simple questionnaire soumis à 600 badauds passant sur le trottoir de la Bourse, et qui dans leur grande majorité n’habitent pas le quartier. Les questions posées n’insistaient pas sur le fait que le réaménagement des boulevards va créer une série de places destinées à accueillir de l’événementiel tout au long de l’année, transformer la place De Brouckère en « Times Square », enclencher la transformation sociale et commerciale des lieux pour attirer «des enseignes de qualité» et davantage de touristes… 

Pas un mot non plus, dans les «ateliers participatifs », sur le plan de circulation accompagnant ce réaménagement, avec son détournement des bus, son mini-ring qui va encercler le piétonnier et asphyxier des artères étroites et habitées, et ses quatre parkings souterrains que la ville veut construire sous des places historiques du centre… Puisqu’on parle de piétonnier, pas la peine de perturber les esprits en expliquant en même temps qu’on va créer 1 600 nouvelles places de stationnement pour « compenser» les 600 places de stationnement supprimées, alors que le taux d’occupation des 19 000 places de parking « publics » (c’est-à-dire payants et privés) du Pentagone ne dépasse déjà pas les 60% ! Les «ateliers participatifs» sur la piétonisation des boulevards centraux se sont d’ailleurs déroulés avant que le plan de circulation soit divulgué, histoire de ne pas polluer la participation avec des débats inutiles. Et quand l’échevine bruxelloise de la Mobilité Els Ampe (OpenVLD) a organisé des réunions d’information pour les habitants, c’est après que la décision a été votée (sans aucune concertation ni enquête publique préalables), histoire de bien montrer qu’il ne servait à rien de contester. 

Pourtant, la contestation a pris comme une traînée de poudre dès l’annonce du projet. D’abord sur les réseaux sociaux et internet, puis dans la rue. Le 1er décembre 2014, plus de 300 personnes se sont réunies spontanément pour exprimer leur colère à la séance du Conseil communal qui votait ces mesures et qui a dû être suspendue. Des collectifs et des plateformes se sont constitués, lançant actions, pétitions et recours. En trois semaines, plus de 23 000 personnes ont ainsi signé contre la création d’un parking sous la place du Jeu de Balle. Pour toute réponse, la ville a voté un budget de 100 000€ pour faire campagne en faveur de son plan. Et le bourgmestre a continué à promouvoir son piétonnier comme si de rien n’était. 

Le 22 janvier dernier, il organisait à l’Ancienne Belgique la deuxième «grande assemblée générale» pour présenter le résultat de son vaste «processus participatif», au cours duquel 60 participants, tirés au sort et répartis en plusieurs groupes, furent invités à se prononcer sur des sujets bien encadrés comme la forme des bancs et autres éléments de mobilier urbain. Sur scène, des membres de bureaux d’études et de l’administration communale ont exposé à un public incrédule le “top 24” des propositions retenues à l’issue de ces groupes de travail. Sur l’écran, ça fleurait bon la novlangue et le catalogue JCDecaux®… Annoncé en tête d’affiche de la soirée, le bourgmestre resta finalement cloîtré dans son fauteuil au premier rang, entouré de ses échevins, muets, offrant l’image d’une cour royale qui tourne le dos à sa populace. “Yvan” ne broncha pas quand le public, énervé, scanda son prénom pour qu’il daigne répondre aux questions. Il était trop occupé à donner des indications par petits gestes aux larbins envoyés au casse-pipe à sa place. Cela donna lieu à des scènes dignes d’un congrès soviétique, où ceux-ci restèrent figés et muets par exemple quand la salle demandait avec insistance «Où sont les études de mobilité et de pollution, pourquoi ne sont-elles pas publiques ? » Seule réponse sèche de la modératrice : « On ne vous répondra pas, ce n’est pas le sujet de la soirée»… 

Mais le public ne s’est pas déplacé pour rien : un concours de slogans et de logos a été annoncé ce soir-là. Il se murmure qu’il serait financé sur le budget de la participation. 

La participation, c’est tout un art. 

Gwenaël Breës 

Lire la suite »
Home

Que sont devenus les compl-autistes ? Partie 1

Uncanny Bee

Il nous fut récemment rappelé que cela faisait déjà 5 ans que le covid nous avait frappés. En cet honneur, les médias mainstream nous ont servi des articles et des émissions provoquant des nausées dignes de la gastro-entérite qui a circulé cet hiver dans notre plat pays. Parmi ces derniers, « Cinq ans plus tard, que sont devenus les complotistes du covid ? » publié dans Le Soir, nous explique la dynamique d’une forme de convergence des luttes entre ceux qui se sont opposés aux mesures sanitaires, ceux qui craignent la 5G, ceux qui critiquent le soutien à l’Ukraine, ceux qui évoquent le forum de Davos, Rothschild, Rockefeller, Vanguard, Bill Gates, etc. Les auteurs expliquent qu’une fois que la confiance en les institutions et les médias est rompue, tout peut être remis en question et qu’« il est difficile d’en revenir [du complotisme, Ndlr] ». Apparemment, le complotisme « prospère sur les crises, parce qu’il offre un logiciel explicatif qui désigne les coupables, les héros, un but à poursuivre ». Les auteurs déplorent cette méfiance, d’autant plus qu’il y aurait « une matrice commune entre l’extrême droite et la complosphère ».

Malgré la déconsidération sempiternelle de ceux qui s’écartent du droit chemin, les auteurs soulèvent toutefois un vrai problème qui est celui de la confiance dans les institutions. Il y a là d’ailleurs potentiellement une rupture entre la génération dite des baby boomers (les personnes nées entre les années 1946 et 1964) et les générations qui les ont suivies (générations X, Y, Z et alpha). De mon expérience personnelle, tous les boomers qui ont respecté les obligations pendant la crise sanitaire avaient en commun une confiance aveugle (ou muette, pour le coup) dans les pouvoirs publics. Pourtant, ces mêmes personnes étaient issues de métiers et de cultures différents et admettaient toutes que l’information diffusée par les médias n’était pas toujours fiable (tout comme celle des réseaux sociaux, d’ailleurs). Leur autre dénominateur commun était d’appartenir à la même classe sociale, ce qui pourrait également expliquer cette obéissance aux règles qui étaient plus absurdes les unes que les autres. Pourtant, contrairement à mon observation, les statistiques sur la confiance dans les pouvoirs publics varient : certaines enquêtes faites aux États-Unis mettent en avant un déclin progressif sur plusieurs décennies[note], alors que d’autres suggèrent que les proportions de la population qui font confiance au gouvernement et qui s’en méfient restent relativement stables à travers les générations[note]. De manière plus globale, les résultats de l’enquête récente de l’OCDE[note] indiquent que seuls « 39% de la population (des 38 pays membres qui sont majoritairement occidentaux) ont confiance dans le gouvernement national, que 37% ont confiance dans le fait que les gouvernements concilient les intérêts des générations présentes et futures et 41% pensent que leur gouvernement utilise les meilleures données disponibles lorsqu’il prend une décision ». Ces chiffres correspondent aussi à ceux d’Our World in Data[note]. De plus, ces sondages ne suggèrent pas qu’il y ait des différences intergénérationnelles notables. Sans grande surprise, l’origine de cette baisse de confiance se trouverait, toujours selon l’OCDE, dans les doutes du public quant à la responsabilité et à la transparence des institutions, ainsi que leur capacité à répondre à la participation du public. En effet, donner aux citoyens la possibilité de s’exprimer sur les actions du gouvernement serait essentiel pour établir une relation de confiance, tout comme les contrôles et les contrepoids seraient nécessaires pour rendre responsables les institutions démocratiques. Les multiples crises (particulièrement à travers les répercussions économiques défavorables) agiraient comme des sortes de catalyseurs de la méfiance.

Du côté de la diffusion de l’information, la confiance dans les médias serait également en baisse partout dans le monde, selon un rapport de Reuters Institute[note], le score n’étant que 44% en Belgique (contre 69% en Finlande où la confiance est la plus élevée, j’y reviendrai dans la seconde partie de cette série d’articles). Notons que ce score est proche des pourcentages de ceux qui font confiance dans les pouvoirs publics de l’étude de l’OCDE cité ci-dessus et qu’un lien peut certainement être fait. Selon les auteurs du rapport de Reuters Institute, le public désirerait que « les informations soient exactes et justes, qu’elles évitent le sensationnalisme, que les rédactions dévoilent leurs intérêts et leurs biais, y compris leur manque de diversité, qu’elles reconnaissent leurs erreurs et qu’elles ne se contentent pas de coups de poing lorsqu’elles enquêtent sur les riches et les puissants ».

Si ces observations (qui me semblent logiques) sont correctes, quelles sont les démarches que les pouvoirs publics et les médias ont mis en place en connaissance de cause depuis ces différentes crises en Belgique ? Peut-on reprocher à la population belge ou des pays avoisinants une perte de confiance après une gestion de crise sanitaire catastrophique, où (pour ne citer que quelques exemples) :

— le gouvernement a choisi comme ministre des Affaires sociales et de la Santé un ancien politicien mêlé à un scandale de corruption[note] ?

— la Première ministre ne savait quoi répondre à la légitimité démocratique de la plupart des membres de son gouvernement qui décidaient des mesures sanitaires sachant que ces derniers étaient liés à des multinationales et à la finance[note] ?

— la légitimité des experts était questionnable avec notamment le principal virologue en Belgique expliquant en 2019 comment « vendre une épidémie » en manipulant les médias[note] ?

— les conflits d’intérêts des différents acteurs (membres du gouvernement, experts, etc.) n’étaient pas déclarés et où il régnait un manque de transparence générale (qui a largement dépassé le niveau gouvernemental belge, d’ailleurs – où ce même ministre des Affaires sociales et de la Santé était suspecté à nouveau d’être mouillé dans des affaires pas nettes[note] – car le manque de transparence était une pratique même à la Commission européenne avec l’affaire dite du « Pfizergate » impliquant la présidente de la commission Ursula von der Leyen récemment jugée coupable[note]) ?

— les mesures covid étaient appliquées de manière illégales[note] par l’État qui s’est précipité ensuite pour pondre une « loi pandémie » pour avoir une base légale ?

Il serait possible de citer des dizaines d’autres exemples, mais les plus flagrants nommés ci-dessus illustrent bien les manigances à répétition, pour ne pas dire un manque de transparence et une corruption systémique. Penser que ces attitudes sont exceptionnelles et dues à des circonstances inédites (comme la crise sanitaire) serait nier les descriptions et analyses de nombreux penseurs (philosophes, sociologues, scientifiques, etc. que l’on cite fréquemment dans les articles de Kairos)… Alors la question se pose : complotisme ou réalité ? Ou encore : la faute à qui ?

Nota bene : Cet article est la première partie d’une série de trois. La deuxième partie, dans le prochain numéro, s’interrogera sur ce qu’il en est de Kairos complotiste ou simplement média libre et indépendant ? -, ainsi que le rôle des intellectuels et des experts dans notre société.

Kaarle Parikka

Lire la suite »

Brèves

ERRATUM

Dans Kairos n° 69, p. 6, se trouve un fâcheux contresens. Il faut lire « Le corps-machine tant apprécié par le capitalisme technicien ne peut déroger aux fonctions qu’on lui a assignées : rentabilité, efficacité, performance ; […] » (c’est nous qui soulignons).

LE PROGRÈS M’A TUÉ

Près de 4.000 euthanasies ont été déclarées en 2024 en Belgique, soit une augmentation de 16% par-rapport à l’année précédente. Ou quand l’administration de la mort a le vent en poupe – on se demande d’ailleurs pourquoi (peut-être à cause de la prolifération des articles dits « pessimistes » de Kairos) ?

K. C.

EN ROUTE VERS LA DYSTOPIE

À Washington DC, La Smithsoniam Institution (SI) est un complexe unique au monde où l’on trouve 21 musées, 21 bibliothèques, le National Zoo, ainsi que de nombreux centres de recherche et d’éducation. L’accès à la majorité de ces établissements est gratuit. Le président Trump a signé un ordre exécutif visant à éliminer des idéologies « impropres ou anti-américaines ». Plusieurs sections de la SI sont visées et devront modifier leurs contenus. Les idées d’égalité, de diversité culturelle, de mixité sociale, d’inclusion…, sont vouées aux gémonies par l’administration Trump. Le trumpisme, non content d’être autoritaire, est obscurantiste. Bientôt les États-Unis vont ressembler à la société dystopique décrite dans La servante écarlate.

A.A.

RTBF ET IDÉOLOGIE

L’émission Investigation sur l’Evras diffusée le 7 mai par la RTBF fait débat. Jean-Paul Leclercq, psychologue clinicien, dénonce dans un article publié par La Libre : « La RTBF a diffusé une production idéologiquement orientée concernant Evras et son guide. Notre chaîne de service public serait-elle dispensée du respect d’une déontologie journalistique qui exige une

présentation équilibrée des divers points de vue, sans diabolisation de l’un d’eux ? ». Il continue : « Je regrette et dénonce que la RTBF se soit saisie sans nuance, ni distance, d’un amalgame caricatural condamnant sans réel débat contradictoire tout opposant à certaines dimensions du guide Evras ». Nous apprécierons particulièrement la critique acerbe de la chaîne d’information publique qui se rapproche plutôt de l’outil de propagande.

K. C.

INGÉRENCE

Les européistes-atlantistes exultent, ils ont encore sauvé leurs meubles en Roumanie, au prix cette fois d’une probable manipulation électorale. Le scrutin précédent avait été annulé par la Justice pour cause d’« ingérence étrangère » (russe, bien sûr). Tiens… Je me rappelle, au printemps 2017, avoir vu à la télévision française Barack Obama appuyer la candidature d’Emmanuel Macron. Il y a donc des bonnes et des mauvaises ingérences.

B. L.

DU CÔTÉ DU VATICAN

1. Les médias progressistes (pléonasme) ne se sont pas fait prier pour rappeler le conservatisme de François en matière d’avortement et de droits des femmes, histoire de se rehausser en ternissant son image. Évidemment, pas un mot sur ses prises de positions calamiteuses pendant la covidébilité, quand il poussa ses ouailles à passer à l’injection « par amour du prochain ». ARN messager… du Christ ? Repose néanmoins en paix, Souverain Pontife, on se souviendra de toi comme d’un vague saint.

2. Dans son discours à la presse, son successeur Léon XIV a plaidé pour la liberté d’expression et a appelé à refuser la médiocrité, fuir les stéréotypes et les lieux communs. À l’inviter bientôt dans notre studio ?

B. L.

EXERCICE DE RÉÉCRITURE

« Où mettre la barre de la soumission, jusqu’où accepter de plier l’échine, à quel moment décide-t-on de dire “non” ? Cette question, tous les pans de la société américaine sont en train de se la poser face au rouleau compresseur de leur président Donald Trump, et aux diktats d’un pouvoir qui ne tolère aucun refus ou contradiction », écrit Béatrice Delvaux dans son édito (Le Soir, 23 avril 2025). En 2020/21, elle n’a jamais écrit : « Où mettre la barre de la soumission, jusqu’où accepter de plier l’échine, à quel moment décide-t-on de dire “non” ? Cette question, tous les pans de la société belge sont en train de se la poser face au rouleau compresseur de leur premier ministre Alexander De Croo, et aux diktats d’un pouvoir qui ne tolère aucun refus ou contradiction. » Dans l’édition du 30 avril, on lit, à propos du gouvernement américain : « Aucun respect pour l’équilibre des pouvoirs ». Encore un air de déjà vu en Belgique.

B. L.

LA (FINE) FLEUR DE L’ÉPÉE

Vu le contexte géopolitique actuel, la marine belge recrute. Un responsable, à la recherche de personnel pour piloter à distance les drones de guerre, témoigne : « Les gens qui sont devant leur PlayStation nous intéressent ». Si ceci n’est pas très rassurant pour la sécurité du pays en cas de conflit majeur, il est néanmoins certain que le général trouvera dans la jeunesse actuelle un vivier plus qu’intéressant à ses yeux.

K. C.

NÉCROLOGIE

Le militant, médecin et écrivain québécois, surnommé le « père de la simplicité volontaire », Serge Mongeau est mort à 88 ans. Il avait entre autres fondé les éditions Ecosociété en 1992, maison avec laquelle nous travaillons régulièrement. Nous leur adressons nos sincères condoléances.

B. L.

Lire la suite »
Articles

Le véhicule électrique, la grande mystification écologique

Serge Van Cutsem

Illustration : IB

Dans une Europe obsédée par son image verte, la face sombre de cette électrification débridée est totalement occultée par les dirigeants. Citons d’emblée un des chiffres que personne ne veut entendre, et il est loin d’être exhaustif : avant même que la voiture électrique ne quitte l’usine, elle aura à elle seule nécessité l’extraction de 75 tonnes de minerais pour une batterie de 75 kWh sans oublier l’émission de 20 tonnes de CO₂ émises. Et ce n’est là que la première dissimulation d’une technologie prétendument propre car derrière ce vernis vert se cache une logistique planétaire destructrice, une industrie minière exploitant les enfants et un modèle économique au-delà du bon sens.

Ces véhicules électriques vous sont vendus comme ultra-pérennes avec un avenir décarboné, mais cette illusion s’effondre dès qu’on analyse la chaîne de production. Les batteries lithium-ion, composées de lithium, cobalt, nickel, manganèse et graphite, nécessitent des ressources rares, extraites dans des conditions souvent inhumaines. Ainsi au Chili, jusqu’à 2 millions de litres d’eau sont requis pour produire une tonne de lithium, dans un désert déjà assoiffé. En RDC, les mines artisanales de cobalt voient des enfants risquer leur vie, sans protection, pour quelques euros par jour. Comme dans quasiment tous les domaines que l’écologie approche, l’indignation est systématiquement à la fois sélective et occultante. Elle agit comme un prestidigitateur : pendant que sa main gauche détruit la planète, elle vous montre une fleur de la main droite.

Quant au recyclage des batteries, il s’agit d’une vaine promesse verte de plus. Souvent présenté comme une solution écologique, celui-ci se heurte à une réalité bien moins reluisante. Derrière l’idée séduisante de récupérer les métaux précieux (lithium, cobalt, nickel…), les procédés mis en œuvre – pyrométallurgie à haute température ou traitements chimiques lourds – restent très énergivores et polluants. Le coût carbone du recyclage, surtout lorsqu’il dépend d’une électricité issue du charbon, peut s’approcher de celui de la fabrication initiale.

De plus, l’efficacité reste limitée : une partie importante des matériaux, comme le lithium ou les électrolytes, est perdue ou trop complexe à récupérer. À cela s’ajoutent des contraintes logistiques majeures (transport, stockage, sécurité), qui alourdissent encore le bilan environnemental. Mais surtout, cette filière ne permet pas de répondre à l’explosion de la demande mondiale. La quantité de batteries recyclables reste marginale face à la production nécessaire, et la dépendance aux métaux rares reste entière. Le recyclage n’est donc ni une solution miracle, ni une alternative propre. Il agit davantage comme un vernis écologique que comme un véritable levier de durabilité. En l’état, c’est une rustine coûteuse sur une fuite bien plus large.

Et il y a pire dans cette gigantesque arnaque, car le véritable coût environnemental global est volontairement exclu des bilans carbone officiels. Seule la phase d’utilisation est volontairement comptabilisée, occultant la réalité : durant son cycle de vie une voiture électrique émettra plus de CO₂ qu’un véhicule thermique bien conçu, mais cela les médias ne le disent ni ne l’écrivent jamais.

Encore une autre mascarade amusante ? Vous verrez toujours les consommations annoncées selon les fameux tests WLTP[1], dont presque personne ne connaît la signification. Ils sont utilisés pour calculer l’autonomie, mais ceux-ci sont réalisés en laboratoire clos, dans des conditions idéales, sans chauffage, à vitesse modérée, ces tests sont à la conduite réelle ce que les photos de pub sont à la vie quotidienne : une fiction. Dès que le thermomètre passe sous les 5°C, jusqu’à 40 % de la capacité des batteries disparaît. Chauffage activé ? Encore 30 à 50 km en moins. Sur autoroute ? L’autonomie s’effondre. Résultat : un Paris-Lyon en hiver devient un parcours du combattant, avec arrêts pour recharge obligatoires… pour peu qu’on trouve une borne libre, fonctionnelle et compatible, car l’UE est capable de réglementer la fixation des bouchons sur les bouteilles et boîtes de boisson mais pas le standard de chargement des voitures électriques.

Les constructeurs le savent, des tests indépendants montrent un écart qui peut aller jusqu’à 50 % entre l’autonomie annoncée et celle réellement constatée. Pire, certains logiciels sont programmés pour afficher une autonomie optimiste au début du trajet, avant de réajuster discrètement les chiffres : manipulation psychologique assumée.

Et si tout cela ne suffisait pas, une autre bombe à retardement menace : la voiture électrique est aussi un gouffre financier, cela les dirigeants le savent également. Voici un petit résumé synthétique de ce qu’on ne vous dit pas. Une fois les 160 000 km atteints, la batterie a déjà perdu 30 % de sa capacité, et ne croyez surtout pas la fameuse promesse commerciale « encore au moins 70 % après 8 ans ». Car après la garantie, la dégringolade s’accélère de manière exponentielle et le remplacement coûte entre 10 000 et 30 000 euros, donc votre voiture est bonne pour la casse. On peut estimer qu’une berline électrique familiale achetée neuve 45 000 euros vaudra à peine 7 000 euros après 8 ans, contre 12 000 à 15 000 pour son équivalent thermique. Ajoutez une batterie à 20 000 euros à remplacer, et la messe est dite.

Le prix du dogme : une industrie en ruine…[2]

Le marché de l’occasion s’effondre pour les véhicules électriques, en grande partie à cause de la vague massive de fin de leasing. Ces véhicules reviennent sur le marché sans trouver preneur : le grand public les refuse à cause de leur autonomie réduite, de leur coût de recharge, ou de l’incertitude sur la durée de vie des batteries. Les pays de l’Est ou du Sud, habituellement clients de ces véhicules d’occasion, les boudent également. Résultat : les sociétés de leasing comme Hertz se retrouvent avec des flottes invendables ou à liquider à perte.

L’exemple Hertz est emblématique du désastre. Sous pression politique, médiatique et idéologique, l’entreprise a acheté 100 000 Tesla en 2021. Mais le modèle économique s’est retourné contre elle : forte dépréciation des véhicules, coûts d’entretien élevés, refus d’assureurs. Résultat : chute libre en bourse, revente massive de véhicules, et actions en justice des actionnaires contre les dirigeants. Un cas d’école de décision précipitée guidée par la vertu apparente plutôt que par l’analyse de terrain.

Les aides fiscales ont créé un marché artificiel. Dès que les primes d’achat diminuent ou disparaissent, les ventes de véhicules électriques chutent brutalement. Cela révèle que la demande n’est pas structurelle, mais opportuniste. Le schéma rappelle les stratégies marketing où l’on distribue un produit gratuitement en espérant fidéliser un consommateur — ce qui ne fonctionne pas. Les clients viennent chercher la prime, pas le véhicule, ce qui rend toute la filière instable et dépendante de l’argent public.

La chute de valeur des VE est sans précédent : plus de 50 % de dépréciation en un an, parfois même en quelques mois. Les constructeurs majorent les prix de départ en anticipant les subventions, puis la voiture retrouve sa vraie valeur dès sa sortie de concession. Résultat : les acheteurs se retrouvent en capital négatif, avec une voiture qui vaut moins que le crédit qu’ils remboursent. Cette mécanique nourrit la défiance du marché de l’occasion et accélère le désengagement des acheteurs.

Le phénomène insidieux des bonus verts touche les grandes entreprises : des cadres dirigeants surfent sur la vague écologique pour atteindre des objectifs ‘verts’ qui leur permettent de toucher des stock-options massives. Leur engagement est purement opportuniste. Ils prennent des décisions économiquement catastrophiques, puis quittent l’entreprise avant que les conséquences ne se matérialisent. L’idéologie devient alors une stratégie de carrière, au détriment de la viabilité de l’entreprise.

L’interdiction programmée du moteur thermique équivaut à une autodestruction industrielle de l’Europe. L’industrie automobile européenne, forte de plus d’un siècle de R&D, de raffinement des moteurs thermiques et de brevets, a été contrainte d’abandonner son savoir-faire historique, son core business, pour se lancer à corps perdu — et à perte — dans une technologie où elle part avec dix ans de retard. Il faut dire qu’on ne lui a pas laissé le choix : les diktats de l’UE sont indiscutables. Le cœur historique de la compétence technique automobile — transmission, injection, combustion — est jeté à la poubelle. Or, l’Europe n’a ni les métaux rares, ni l’avance technologique, ni la main‑d’œuvre bon marché pour concurrencer la Chine. Les Européens se jettent dans une bataille qu’ils sont structurellement incapables de gagner.

Le résultat de ces aberrations ? Même des constructeurs de smartphones chinois peuvent entrer sur le marché, sans effort. Car dans ce nouveau paradigme électrique, ce n’est plus l’ingénierie moteur qui prime, mais l’électronique, les plateformes logicielles, et surtout… la batterie. Et dans ce domaine le constat est brutal : l’Europe ne produit quasiment rien. L’approvisionnement est chinois à 80 %, les batteries, les cellules, le lithium transformé, les terres rares, viennent d’Asie. Même les usines européennes dites “gigafactories” ne sont souvent que des unités d’assemblage dépendantes de composants venus du continent asiatique.

Nous avons sacrifié notre indépendance industrielle au nom d’un mythe vert, pour dépendre désormais d’un quasi-monopole technologique asiatique.

Pour respecter les quotas carbone imposés par l’UE, Volkswagen a été contraint de payer la Chine via SAIC/MG pour ‘partager’ les chiffres d’émissions. Ce système de ‘pools CO₂’ est une mascarade réglementaire : les constructeurs européens doivent acheter leur droit de produire à l’étranger. Ainsi, l’argent des amendes ou des quotas part vers la Chine ou les États-Unis, sans réduction effective du CO₂ à l’échelle planétaire.

Les compagnies d’assurances n’aiment pas les véhicules électriques. Une simple suspicion de batterie endommagée suffit à classer le véhicule en perte totale, car les risques d’incendie sont difficilement gérables. Les primes explosent (+72 %), certaines compagnies refusent purement et simplement d’assurer certains modèles. Les garagistes doivent isoler physiquement les véhicules dans des zones sécurisées, ce qui alourdit encore les coûts.

Après une période d’euphorie boursière en 2021, la réalité rattrape les constructeurs. Volkswagen, Porsche, Volvo : tous voient leurs actions chuter, parfois de plus de 60 %. Volvo recule même officiellement sur ses objectifs de 100 % électrique. Cette marche arrière générale prouve que l’électrification forcée a été décidée trop tôt, sans réflexion stratégique de long terme.

Le rachat de Volvo Cars par le groupe chinois Geely illustre la perte du savoir-faire européen. Pour une somme dérisoire, la Chine a mis la main sur 80 ans d’expérience technique et d’ingénierie. Résultat : en quelques années, les voitures chinoises sont devenues plus fiables, mieux équipées et moins chères que leurs homologues européennes. La Chine ne copie plus, elle dépasse — grâce à nos propres technologies bradées.

Bruxelles savait et a imposé quand même.

Les institutions européennes ont imposé l’électrification totale en connaissance de cause. L’interdiction du thermique d’ici 2035 fut décidée sans intégrer les analyses rigoureuses du cycle de vie complet, qui montrent pourtant qu’un moteur thermique optimisé peut émettre moins de CO₂ qu’un véhicule électrique, sur l’ensemble de son existence. Pourquoi cet aveuglement ? Parce que les investissements publics massifs ont été concentrés exclusivement sur l’électrique, au détriment de toute alternative. Biocarburants, hydrogène, carburants de synthèse ? Étouffés. Non par échec technologique, mais par absence de volonté politique et d’équité budgétaire.

Mais les digues craquent. À Bruxelles et dans plusieurs capitales européennes, des voix s’élèvent enfin. L’échec est trop visible, les chiffres trop accablants. Ce n’est plus une vision, c’est une imposture industrielle.

Le tout électrique, c’est l’histoire d’un mythe industriel vendu à coups de slogans, de milliards, et de culpabilisation climatique. Ce mythe s’effondre. Et il emportera avec lui ceux qui auront refusé trop longtemps de voir le réel.

Ira-t-on rapidement vers le retour du bon sens ? Car c’ est une évidence de plus en plus visible : les constructeurs rebroussent chemin à toute vitesse. Pris à leur propre piège, ils opèrent un virage stratégique vers les hybrides rechargeables et le full hybride, que l’on prétendait jadis être une étape temporaire. Pourquoi ce revirement ? Parce que ces motorisations permettent deux choses : éviter la panne énergétique, grâce au moteur thermique embarqué et la réduction (relative) des besoins en batteries, donc en minerais, en déchets et den dépendance géopolitique.

C’est un retour au réel et un aveu : le 100 % électrique est impraticable à large échelle, et cela on le savait ! Car tous les éléments et paramètres sont connus depuis le début, il est inutile de jouer la surprise, la méconnaissance et la bonne foi. L’Europe se dépouille volontairement de sa propre industrie qui était un de ses fleurons car l’équation ne serait pas complète sans y ajouter un élément capital : la trahison technologique.

De la mise à jour à la mise au pas : l’arme silencieuse de l’industrie connectée

Il reste encore les derniers aspects à aborder, et pas des moindres. Il s’agit de la dépendance technologique et l’obsolescence logicielle programmée. La transition vers le tout-logiciel rend désormais chaque véhicule dépendant des mises à jour OTA (Over-The-Air) qui n’est pas vraiment vertueuse, car derrière les promesses d’amélioration continue se cache une mécanique bien huilée d’obsolescence logicielle programmée, subtile, mais implacable.

Les mises à jour logicielles vous sont présentées comme étant une amélioration continue : sécurité renforcée, interface modernisée, nouvelles fonctionnalités. Mais en réalité, elles servent souvent d’outil pour restreindre, désactiver, ou verrouiller des fonctions existantes, et en introduire de nouvelles… payantes.

Le gratuit aujourd’hui se transforme toujours en payant demain, mais seulement quand vous ne pouvez plus vous en passer, et cela les algorithmes et l’IA le sauront en temps voulu. N’oubliez jamais ce précepte : « Quand c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit ». Ce principe s’applique désormais aux voitures comme aux smartphones. Les constructeurs copient le modèle économique des GAFAM : verrouiller, fidéliser, facturer.

Il y a déjà quelques décennies, le pérenne robuste et réparable a migré progressivement vers « l’obsolescence programmée » mais cela concernait le matériel. Avec la révolution technologique, contrairement à l’époque des voitures mécaniques, où une pièce usée se remplaçait, les voitures modernes et surtout les électriques sont dépendantes des logiciels embarqués. Cela signifie que lorsque le constructeur désire vous forcer à changer de voiture vous pouvez faire face à  la perte de compatibilité avec les nouvelles normes ou infrastructures (ex : bornes de recharge, applications de navigation, etc.), ou l’abandon volontaire du support logiciel après quelques années pour inciter à l’achat d’un nouveau véhicule. La voiture devient une plateforme verrouillée, dépendante du bon vouloir du constructeur… et de ses partenaires cloud. Chaque action (démarrer, se localiser, ouvrir le coffre à distance…) peut devenir un service monétisé, ou un levier de blocage en cas de défaut de paiement. On glisse ainsi doucement du produit acheté vers le service loué (en 2030 vous ne possèderez rien mais vous serez heureux… ça ne vous rappelle rien ?)

L’obsolescence logicielle programmée n’est pas une théorie du complot, c’est un modèle économique assumé. Il permet de rendre obsolète non plus l’objet, mais l’usage de l’objet, contrôlé à distance, conditionné à des abonnements, ou restreint par design. Ce phénomène, peu débattu, pose des questions majeures de souveraineté numérique, de transparence et de liberté de propriété.

La voiture électrique comme outil de contrôle ou la fin de la liberté de mouvement. Ce que l’automobile avait libéré au XXe siècle — la mobilité individuelle, l’autonomie, l’aventure — est en passe d’être récupéré au XXIe comme un levier de contrôle technocratique.

Sous couvert de transition écologique, la voiture électrique introduit des contraintes majeures qui remettent en question la liberté même de se déplacer :

Autonomie limitée : le plein d’électricité ne garantit plus l’indépendance d’antan.

Les trajets doivent être planifiés, rationalisés, géolocalisés.

L’improvisation devient un luxe.

Recharge sous conditions : disponibilité des bornes, prix variables selon l’heure et la localisation, gestion à distance des puissances via le réseau (smart charging). Une « liberté » conditionnée par l’infrastructure et les choix politiques.

Surveillance intégrée : puces, capteurs, modules connectés, télémétrie… Le véhicule devient traçable en temps réel. Les trajets, les arrêts, les comportements sont enregistrés, analysés, potentiellement transmis.

Fonctions désactivables à distance : en cas d’impayé, d’infraction, ou selon des critères « écologiques » prédéfinis, l’accès à certaines fonctions — voire au véhicule lui-même — peut être restreint par un simple clic à distance.

Ce n’est plus vous qui possédez la voiture, c’est elle qui vous possède… et ceci avec l’accord du constructeur, de l’État, et de votre opérateur cloud.

Et pourtant, tout n’était pas à jeter…

Car comme toujours, ce n’est pas l’objet qui ment, c’est l’usage qu’on en fait. L’intelligence technologique commence là où s’arrête la croyance idéologique. Une technologie n’est ni bonne ni mauvaise, tout dépend de son usage

Peut-être qu’après cette lecture vous ne verrez plus la voiture électrique de la même manière. En effet, loin d’être un progrès, elle marque peut-être la fin d’une époque : celle de la liberté de circuler, de la maîtrise de son véhicule, et plus largement, de l’autonomie individuelle. Ce qui se profile, ce n’est pas une révolution verte, mais une prise de contrôle douce, algorithmique et centralisée, aux airs de transition écologique.

Mais faut-il pour autant rejeter toute forme d’électrification ? Non, car pour toute chose l’excès nuit autant au refus qu’à l’acceptation. Dès le moment où l’on utilise le véhicule électrique de manière réfléchie et ciblée, les besoins en ressources sont drastiquement réduits, ce qui permet de mieux organiser la filière en amont et en aval.

L’électrique a du sens, à condition qu’on l’utilise à bon escient, avec intelligence et mesure. Un postier, un livreur urbain, un véhicule partagé ou communal pour de courts trajets peut parfaitement tirer parti de cette technologie. Là, l’impact est contenu, les limites sont connues et les bénéfices réels.

Ce n’est pas le véhicule électrique qui est le problème, c’est le dogme du tout-électrique imposé à tous, partout, tout le temps.

Dès lors qu’on restreint l’usage de l’électrique à ce pour quoi il est vraiment pertinent, les besoins en ressources deviennent maîtrisables :

Il n’y a pas besoin de développer des chaînes d’extraction massives, esclavagistes et ultrapolluantes.

Il devient possible de recycler de manière efficace, sur des volumes réalistes.

On sort de la fuite en avant technologique pour revenir à une écologie des usages, pragmatique et non idéologique.

Ce n’est donc pas la technologie qui vous ment, mais ceux qui la généralisent pour des raisons politiques, financières ou pseudo-idéologiques.

En réalité, si on laissait les citoyens choisir en fonction de leur réalité – ville ou campagne, trajet court ou long, usage ponctuel ou quotidien, moyens financiers – alors l’électrique aurait naturellement trouvé sa place. Mais on ne leur a pas laissé le choix, et c’est bien cela, au fond, le cœur du problème.

« Ne laissez jamais quelqu’un penser à votre place. » — Idriss Aberkane

[1] Worldwide Harmonized Light Vehicles Test Procedure. Protocole d’homologation adopté en Europe à partir de 2017 pour mesurer la consommation de carburant, les émissions de CO₂ et l’autonomie des véhicules électriques. Il est censé remplacer l’ancien cycle NEDC (New European Driving Cycle), jugé totalement irréaliste.

[2] Remerciements à Aldo Sterone pour son livre “Escrologie” qui a été une source d’inspiration détaillée et qui doit être lu car il aborde bien plus de sujets que la seule voiture électrique.

Lire la suite »

Kairos n°69

Tirer réellement des leçons de l’histoire

Les attaques contre la liberté d’expression ne sont plus des actes exceptionnels, mais des éléments structurels d’un ordre politique qui la tolérait tant qu’elle n’attaquait pas le cœur du pouvoir, qu’elle ne risquait pas d’être largement diffusée et de réveiller les masses : il ne faudrait pas que l’esclave dans sa caverne découvre la lumière. Une vérité pouvait toutefois, entre deux publicités pour Coca-Cola, se noyer dans un flot de divertissements servis à heure de grande écoute par des journalistes stipendiés, instrument de médias appartenant aux grosses fortunes ou directement au pouvoir politique, celui-ci travaillant de toute façon pour celles-là. Aucun risque : dans un mélange de vrai et de faux, on ne distinguait plus rien. Je me demandais parfois si ceux qui défendaient encore une telle obscurité contre ceux qu’ils nommaient les « complotistes » étaient conscients de leurs mensonges et de l’énergie qu’ils devaient mobiliser pour éviter le réel. D’un point de vue clinique ou psychosocial, le domaine était passionnant, même si pendant ce temps les décisions des élites et la servitude volontaire des masses nous enfonçaient plus profondément dans l’abîme.

Ce système politique, qui par toutes ses composantes cherche à se maintenir en vie, donc à pérenniser les institutions qui le caractérisent, met autant d’énergie dans le mensonge et la propagande que dans ses actions primaires. Ainsi, si la guerre, la misère et l’inégalité, la destruction des services publics, de la culture, de la singularité, constituent sa véritable manifestation, il doit œuvrer continuellement à présenter à travers ses médias le contraire de ce qu’il fait réellement : il dira qu’il veut la paix, la prospérité pour tous, la justice et l’égalité, des services publics efficaces, une culture vivante et un respect de l’individualité.

Sous couvert d’unité (rappelons-nous le slogan du gouvernement pendant la propagande covidienne : « La Belgique : une équipe de 11 millions »), les politiques et leurs médias disloquent en réalité le corps social en diverses entités opposées. Le wokisme et la généralisation des revendications des identités minoritaires(1) donnent la priorité non plus à la cohésion sociale, mais aux groupes d’appartenance, l’universalité remisée à la corbeille. Mais c’est essentiellement le refus du débat, le pouvoir ostracisant la pensée « divergente », qui divise le corps social et génère l’anomie : les sujets sont perdus, ne peuvent plus se référer à rien, ni à un « adulte », ni à l’altérité, ni à une histoire commune. À la fluidité des identités (on peut désormais être tout ce qu’on veut…) correspond cette ère de la post-vérité où plus rien n’est vrai. Tout se vaut, rien ne se vaut, les apories ne sont plus nommées et le sujet doit prendre comme une évidence ce que le pouvoir énonce, A un jour et non‑A le jour suivant, sans en relever la contradiction. Il n’y a plus de débat, il ne persiste donc que la vérité officielle qui prend la forme d’une vérité religieuse où l’on bannit celui qui doute et ose le dire. Le consensus n’est dès lors que de surface, illusoire, avec dans un même temps l’impossibilité de savoir qui joue dans le jeu ou pas, car le demander explicitement reviendrait à révéler que soi-même on n’y joue pas.

Toutes ces manifestations où in fine le délire se fait passer pour la norme et où la majorité semble l’accepter, marquent le totalitarisme, avec des acteurs politico-médiatiques en roue libre, se présentant comme rationnels alors qu’ils sont absurdes, qui disent donner des ordres clairs alors que ce ne sont que des injonctions paradoxales, qui disent oui et non en même temps. À cette folie du système répond une folie individuelle : un système politique fou attire naturellement – et au besoin – des personnalités pathologiques, celles qui savent qu’elles devront faire tout ce qu’on leur demande pour que le système se maintienne. Nos élus politiques constituent un tableau clinique.

Alors qu’il feint de prôner la liberté individuelle, le programme politique tue toute initiative individuelle, toute liberté de penser qui irait contre lui et risquerait de lui nuire. Et si le sujet devait en douter, si l’envie lui prenait de dire publiquement que le roi est nu, il devrait constamment avoir en tête le danger, se rappelant du sort de ceux qui osent perturber le narratif, relégués dans les catégories de « transphobe », « extrême droite », « complotiste », « raciste »…

Bannissement et concept de fake news sont du même ressort. Comme l’avait si tôt et si bien compris Guy Debord, « Le concept de désinformation n’est bon que dans la contre-attaque. Il faut le maintenir en deuxième ligne, puis le jeter instantanément en avant pour repousser toute vérité qui viendrait à surgir. Le concept confusionniste de désinformation est mis en vedette pour réfuter instantanément, par le seul bruit de son nom, toute critique que n’auraient pas suffi à faire disparaître les diverses agences de l’organisation du silence(2)». À quoi se rattacher dès lors, si les médias ne sont plus que des officines politiques délirantes(3), l’École, une institution ne générant plus un citoyen libre capable de penser, mais un travailleur-consommateur obéissant, piochant dans l’offre identitaire, la santé, un business qui demande des malades ?

L’AMOUR DU POUVOIR

Dans cette configuration sociale, il n’y a pas plus dangereux que les amoureux du pouvoir, car ce sont eux qui en deviendront les serviteurs zélés, suivis par toutes les autres personnalités psychopathiques qui soulageront leurs pulsions les plus sordides dans une société qui désormais les tolère. Que ce soit à Gaza ou dans les ghettos de Varsovie, un système injuste et criminel attire des individus qui trouvent en lui l’occasion d’assouvir leurs plus vils instincts, qui en période « normale » auraient pris des voix différentes. Par exemple, un fonctionnaire ou journaliste ne remettant nullement en question l’ordre établi, obéissant docilement aux directives, se soumettant s’il le faut « malgré lui », donc malgré ses valeurs, faisant dès lors des compromis et compromissions un mode de fonctionnement, ce type de profil vit confortablement aussi bien en société bureaucratique superficiellement démocrate (c’est celui qui souvent vous dira que pour changer le système, vous n’avez qu’à voter) qu’en société totalitaire. C’est aussi celui qui entretiendra l’illusion que nous sommes en « démocratie », qu’il faut se battre contre le fascisme. Il est évidemment incapable deréaliser que sa « démocratie » n’est qu’un moment d’un totalitarisme latent global. Comme l’écrivait le sociologue Zygmunt Bauman dans Modernité et holocauste, lui-même s’étant fourvoyé sur ce sujet : « Comme la plupart d’entre eux [de ses collègues], je supposais que l’holocauste était au mieux une chose que nous nous devions d’éclairer, mais certainement pas une chose capable d’éclairer les objets de nos préoccupations habituelles. Je croyais (inconsidérément plutôt que délibérément) que l’holocauste était une interruption du cours normal de l’histoire, une tumeur cancéreuse sur le corps d’une société civilisée, une folie passagère dans un monde sain. Je pouvais ainsi présenter à mes étudiants l’image d’une société normale, saine de corps et d’esprit, laissant l’histoire de l’holocauste aux soins des pathologistes professionnels(4)».

Les orgies commémoratives ne sont rien d’autres qu’une émanation de cette idéologie de la pureté présente à jamais, une volonté de rétablir sans cesse l’idée d’une « société civilisée » où les génocides et autres horreurs ne seraient que des accidents de l’histoire. Il faut pour pérenniser le pouvoir d’une minorité inlassablement jeter la «lumière» sur le passé pour ne surtout pas éclairer le présent, se focaliser sur les morts du Troisième Reich (pas tous, ne pas trop insister sur les morts russes par exemple), pendant que le sionisme génocidaire massacre les Palestiniens.

Il lui faut aussi désigner un ennemi, même et surtout si celui qui désigne est de loin le plus grand criminel. La haine occidentale nourrie aujourd’hui contre la Russie témoigne de cet aveuglement : plus l’Occident refuse de se regarderdans le miroir, plus il nie ses crimes passés et actuels, plus il s’enfoncera dans la destruction d’un autre, même s’il devra creuser deux tombes. Concernant l’holocauste, Bauman ajoute encore : « L’holocauste fut la rencontre unique entre les vieilles tensions que la modernité a toujours ignorées, dédaignées ou échoué à résoudre, et les puissants instruments de l’action rationnelle et efficace auxquels l’évolution moderne a donné le jour. Même si cette rencontre fut unique et nécessita une exceptionnelle combinaison de circonstances, les facteurs qui se sont trouvés rassemblés dans cette rencontre étaient, et sont encore aujourd’hui, omniprésents et «normaux». Peu d’efforts ont été entrepris après l’holocauste pour sonder le terrible potentiel de ces facteurs et encore moins pour tenter de paralyser leurs effets éventuellement terrifiants. Je crois fermement que l’on pourrait faire beaucoup plus – que l’on devrait faire beaucoup plus – dans ces deux directions(5)». Il est temps de tirer véritablement des leçons de l’histoire, sans l’instrumentaliser dans l’unique but d’occulter nos crimes actuels.

Le mal n’est pas quelque chose d’éthéré qui frapperait certains individus et pas d’autres. Il est un potentiel humain qui à tous moments peut s’activer. Si ce n’est qu’en période totalitaire qu’il est véritablement possible de déceler l’homme bon – donc insoumis – qui refuse de se laisser happer par la haine de celui qui profite du contexte social pour révéler le mal, il faut agir présentement pour favoriser le bien, le juste et le vrai, qui réduira le risque de tomber dans la barbarie.

Alexandre Penasse

Lire la suite »

Vu, lu, entendu — Brèves

Une critique à la fois riche et très synthétique de l’idéologie de la « transition numérique », ce fantasme si destructeur. Le collectif d’auteurs a abordé le phénomène sous l’ensemble des points de vue importants : aperçu des mouvements de résistance, impacts nocifs sur les jeunes générations, très graves conséquences écologiques, liens avec les enjeux démocratiques comme médiatiques, etc. Chaque thématique est traitée en un court chapitre, le tout illustré par de nombreuses et excellentes créations du dessinateur et humoriste engagé Léandre ; celles-ci allègent d’une part la gravité de la problématique (effet bien salutaire), et d’autre part renforcent efficacement les analyses, en soulignant une série d’aberrations de l’idéologie en question. Parmi les contenus les plus éclairants du livre : comme évoqué, un petit tour d’horizon (non exhaustif, mais bien représentatif) des initiatives de résistance, élément spécialement pertinent, du fait de l’importance de ne pas céder à la déprime ou au fatalisme – et en effet, rien que la présentation de ces initiatives est déjà un facteur de motivation ; autre contribution essentielle, une réfutation systématique, très rigoureuse et très documentée, de l’immense tromperie selon laquelle l’invasion numérique mènerait en définitive à une économie des ressources, grâce à une prétendue rationalisation généralisée ; pointons aussi la contribution sur les dégâts sur la jeunesse comme dans les pays du sud – du fait de l’extractivisme associé aux développements concernés –, analyse tout particulièrement interpellante, qui surprendra bien des personnes pensant déjà être bien informées sur la problématique (ça a été mon cas, personnellement).

Collectifs d’auteurs, Numérique, forfait illimité, Grappe asbl, 2024, illustrations de Léandre, 173 pages, 15€.D. Z.

Après l’éco-anxiété, le filon éditorial nouveau est arrivé : la facho-anxiété. « L’extrême droite est aux portes du pouvoir et ça fait super peur », voilà le message original et puissant que nous délivre Salomé Saqué. Un tweet aurait suffi. Mais diluer le propos sur une centaine de pages se révèle fructueux : en dépit de son indigence – ou plutôt grâce à elle – le maigre libelle caracole en tête des ventes, catégorie « essais ». Quant aux remèdes de l’autrice pour lutter contre l’extrême droite, ils tiennent plus du développement personnel à la sauce Psychologies Magazine que d’une analyse politique un tant soit peu construite. Je retiendrai toutefois sa proposition de « réappropriation du monde par la créativité » en effectuant derechef un petit exercice ludique consistant à reprendre le texte de madame Saqué, le passer au présent de l’indicatif et substituer « extrême droite » par « extrême centre ». Extrême centre de la Macronie, rafiot vermoulu qui aurait coulé depuis longtemps s’il n’avait eu pour meilleur et plus indéfectible allié… l’extrême droite. Car si le forcené barricadé à l’Élysée n’en a toujours pas été expulsé, il le doit à la duplicité d’un RN refusant systématiquement de soutenir les appels à la destitution du despote. Reprenons maintenant notre petit exercice à l’aide de quelques morceaux choisis : « recours aux lois exceptionnelles de l’état d’urgence pour une durée illimitée », « mettre au pas le Conseil constitutionnel », « usage d’une «novlangue» appauvrie pour limiter la pensée critique », « mettre progressivement la main sur les médias et imposer ses thèmes dans le débat public », etc. Et voilà que la dystopie de S. Saqué se mue en description parfaite du cauchemar réellement existant dans lequel nous vivons.

Salomé Saqué, Résister, Payot, 2024, 144 pages, 5€. Pascal Halary

Dans cet essai très stimulant, Nancy Fraser développe et actualise certaines des idées déjà avancées par Rosa Luxemburg et qui lui avaient valu la condamnation sans appel des marxistes officiels, notamment de Lénine. Dans L’accumulation du capital, Luxemburg avait montré que le système capitaliste ne peut pas survivre sans asservir les peuples des « périphéries », expropriés de leurs richesses et exploités dans les mines, les plantations, etc. Fraser constate que désormais, ce processus se produit au centre même du système. Le capitalisme se nourrit de ses marges, qu’il exploite et exproprie sans vergogne, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Jusqu’à l’intérieur, en effet : par exemple, l’ensemble des soins porté aux enfants, aux malades, aux personnes âgées, ce qu’on appelle le care, repose sur la sous-évaluation économique de ces tâches. Ainsi, les femmes ne pourraient pas aller chercher un second salaire dans le couple si des travailleurs sociaux sous-payés ne prenaient pas « soin » des enfants. Fraser souligne les impasses dans lesquelles s’enfonce le capitalisme contemporain. Pour y répondre, les mouvements d’émancipation devraient lier les luttes et les résistances à tous les niveaux où exploitation et expropriation s’intensifient, prendre en compte ce stade « cannibale » du capitalisme et dégager des perspectives émancipatrices. Écologie radicale, féminisme, antiracisme, anti-impérialisme, luttes contre les violences policières et militaires, etc., devraient converger dans la construction d’une « contre-hégémonie », vers une transformation sociale urgente, vu l’état général de la planète et des sociétés humaines.

Nancy Fraser, Le capitalisme est un cannibalisme, Agone, 285 p. 21€. Philippe Godard

Peu se sont spécialisés dans la critique du tourisme. Le sociologue Rodolphe Christin occupe ce créneau depuis longtemps et continue à creuser ce sillon livre après livre. Car la massification touristique est plus que jamais à l’ordre du jour, retour de manivelle du confinement covidien, occidentalisation des modes de vie et croissance démographique aidant. Faire du tourisme relève à la fois du désir individuel et de la norme collective. S’il faut en sortir, pour des raisons à la fois écologiques et anthropologiques, alors que vivre à la place ? L’auteur propose le développement d’une « contreculture écosophique » qui allie science, politique et poésie dans une seule vision écologique. Il faudrait également intervenir en amont, en cessant de produire ces services, plutôt qu’en aval par des mesures autoritaires et liberticides qui ne changent rien à la finalité du système productiviste faisant coexister exploitation, destruction et protection gérées par une « biocratie bureaucratisée », bras armé d’un « écocapitalisme ». L’équilibre entre l’agir et le non-agir du tao doit être recherché, « il faut laisser agir le non-agir ». Pour contrer un sentiment d’« invivabilité » croissant, « nous devons rompre avec la frénésie de l’occupation tous azimuts et apprendre l’importance de la contemplation du monde », tout en recherchant les « interstices pour reprendre haleine » et où « demeurer dans une sérénité relative ». Le tourisme, cet « antivoyage », détruit les « lieux où cet oubli est possible ». « Faut-il être pour partir, faut-il partir pour être, faut-il se déplacer pour exister, peut-on encore exister sans partir ? La mobilité est-elle devenue une condition du bonheur ? », voilà des questions existentielles à se poser pour « engager un voyage de retour au réel ».

Rodolphe Christin, Peut-on voyager encore ? Réflexions pour se rapprocher du monde, Écosociété, 2025, 93 pages, 12€.B. L.

Prodigieux bouquin, celui que j’espérais trouver sur la guerre en Ukraine. Tout y est. La propagande de guerre occidentale omniprésente. Les techniques de communication de Zelensky, Internews, une agence de communication étasunienne. Les actes de censure considérés comme légitimes servant à dissimuler la nature du conflit. L’édifice des raisons et des critiques, inventant, fabriquant des faits, depuis longtemps, comme en Bosnie, au Kosovo, en Syrie, pour accuser Syriens et Russes, se servant des émotions qu’elles suscitent. Les événements qui se sont déroulés à Boutcha. La promenade qu’y a faite le bataillon d’Azov après le retrait des troupes russes, lesquelles croyaient qu’on parviendrait à un accord de paix. Tout l’écheveau des négociations. Leur échec voulu, organisé par les Occidentaux. Tout y est dit. Le rôle joué par les organisations paramilitaires néo-nazies ultranationalistes dès le début du conflit, empêchant régulièrement le gouvernement ukrainien de conclure la paix, intimidant le président, les députés, les policiers, tous ceux qui ne partagent pas leurs idées, leurs préjugés pro-occidentaux, russophobes, manipulant les foules, intégrées dans l’armée par Avakov, pour en minimiser les exactions. Le soutien occidental. Les armes qu’elles reçoivent. Les instructeurs occidentaux qui les forment. Le petit groupe de personnes, Iatseniouk, mis au pouvoir par Victoria Nuland elle-même après le putsch de février 2014, Avakov par Porochenko ensuite, et conservé par Zelensky, et les organisations néo-fascistes qu’ils dirigent, qui contrôlent, manipulent le gouvernement, l’armée, en Ukraine, pour faciliter les entreprises des Américains, pour en brader les richesses, pour tourner les Russes en bourrique et pour les battre, si possible. Des faits sourcés, des références d’articles, de déclarations, de rapports, de débats, de rencontres, des références textuelles, à chaque page, en notes, en petits caractères. Pour V. Caller, Poutine est tombé dans un piège.

Vladimir Caller, Ukraine, des hommes, des faits, le piège. Un autre regard sur la guerre, Le Temps des cerises, 2024, 281 pages, 22€.P. W.

Ce livre reprend les premiers épisodes d’une série d’émissions de la chaîne Blast. D’une érudition aussi folle qu’éclectique, depuis les textes gnostiques de Nag Hammadi jusqu’à la culture pop et aux délires de la civilisation d’« infernet », Pacôme Thiellement est un touche-à-tout génial. D’émissions en livres, il multiplie les faux anachronismes et les carambolages interprétatifs d’où jaillit, avec verve et joie rabelaisienne, un gai savoir pour notre temps. L’auteur prend ici comme amorce une intuition profonde de Philip K. Dick. Dans un rêve mystique, cet auteur culte de science-fiction avait reçu ce message sibyllin : « L’empire n’a jamais pris fin ! ». Cet empire, c’est l’empire romain, imaginé et bâti dans la violence par Jules César. Comme tous les hommes avides de pouvoir, César était un grand sociopathe, et sa Guerre des Gaules, l’archétype d’une histoire écrite par les vainqueurs à des fins de propagande, pour asseoir leur domination sur les vaincus. La conquête de la Gaule marque les débuts d’un roman national français qui, prenant le césarisme pour fil conducteur, exalte le pouvoir. Contre une telle lecture, P. Thiellement nous offre une alternative : au travers du prisme de l’anarchisme spirituel et poétique, il nous narre les combats populaires contre toutes les entreprises de domination politique, ecclésiastique ou autre. Il a beau préciser qu’il n’est pas historien mais exégète, son analyse rigoureuse s’appuie sur une documentation impeccable, qui redonne voix aux victimes, dont celles, si émouvantes, de l’Inquisition. De Jules César, l’homme qui nous inventa, à Jeanne d’Arc la gauchiste, chaque chapitre est un petit trésor d’humour et d’érudition, par exemple celui consacré à l’extermination des Cathares : s’appuyant sur les travaux des historiens René Nelli et Anne Brenon, inspiré par les réflexions lumineuses de Simone Weil, notre cher exégète y a mis non seulement tout son savoir mais aussi tout son cœur d’ami des sans roi. Pour notre plus grand plaisir, la série se poursuit et, promis juré, elle ira jusqu’à Macron. Ah,çaira,çaira,çaira!

Pacôme Thiellement, L’empire n’a jamais pris fin, tome 1 : de Jules César à Jeanne d’Arc, Massot-Blast, 2024, 365 pages, 20,90€.F. M.

La philosophe étasunienne Susan Neiman (née en 1955), spécialisée en politique et en morale, revendique appartenir au camp socialiste, donc « libéral », outre-Atlantique. « La peur d’être embarrassé devrait être embarrassante », indique-t-elle judicieusement. Nous lui saurons gré, en effet, d’apporter un courageux et argumenté démenti au préjugé ancré à gauche selon lequel toute critique du wokisme serait nécessairement réactionnaire (position tenue en Belgique entre autres par l’universitaire Pascal Delwit, à qui donc nous recommandons ce livre). « […] si les progressistes de gauche sont incapables de dénoncer les excès de la pensée woke, non seulement ils auront toujours l’impression d’être politiquement sans abri, mais leur silence précipitera tous ceux dont la boussole politique est plus vacillante dans les bras de la droite. » Toutefois, cet essai est finalement moins une attaque contre le wokisme qu’un rappel des principes de la gauche que celle-ci ignore ou malmène : attachement à l’esprit des Lumières, à l’universalisme et à l’idée de progrès, primat de la raison, distinction ferme entre justice et pouvoir. S. Neiman se montre dure envers l’œuvre de Michel Foucault, une des principales sources théoriques du wokisme. La psychologie évolutionniste, la sociobiologie, la manie de la victimisation, la bipartition ami/ennemi de Carl Schmitt, le pessimisme d’Adorno et de Horkheimer en prennent aussi pour leur grade. Bizarrement, l’auteure dissocie le wokisme du libéralisme, ce que réfuteraient à coup sûr Dany-Robert Dufour et Jean-Claude Michéa. Sur un plan formel, le travail souffre d’une lourdeur de style — phrases alambiquées, doubles négations, abus du conditionnel — courante chez les auteurs anglo-saxons, encore aggravée par la traduction de l’anglais. Sans doute, les lecteurs motivés passeront-ils outre.

Susan Neiman, La gauche n’est pas woke, Climats, 2024, 243 pages, 22€. B. L.

Sujet d’actualité qu’étudie cet excellent essai de la professeure en science politique Isabelle Barbéris. Comme dans L’art du politiquement correct (PUF, 2019), elle part à nouveau des arts de la scène — mais aussi des musées, des statues et de la littérature — pour analyser les formes de la « nouvelle censure » au temps des réseaux sociaux dans les démocraties libérales. L’ancienne censure de l’Église et de l’État était verticale ; la nouvelle est horizontale, populaire, corporatiste, militante, médiatique, algorithmique, venant surtout de la gauche, mais aussi de la droite. Dans le cas de la première, sous couvert d’« inclusivité » et de lutte contre les discours de haine, elle aboutit paradoxalement à « une haine vertueuse justifiant l’exécution sommaire de toute parole adverse ». Elle dénote des « comportements narcissiques, machiavéliques ou psychopathiques par lesquels les individus cherchent à manipuler l’opinion des autres sur leur moralité », ces « petits maîtres qui entendent “diriger”, “régir” et rectifier ». La normativité autoritaire de la nouvelle censure éteint toute dialectique, toute réflexivité, toute tolérance à l’ambivalence et au double sens, et alimente une « industrie de l’indignation ». Elle cherche systématiquement à déconstruire, démarche se voulant rationnelle, mais tenant tout autant de la religion, où les représentations symboliques sont censées déterminer les comportements réels, du fait de leur efficacité prétendument absolue : « […] le continuum entre fiction et réalité […] constitue la principale caractéristique de la peur des représentations, qui conduit à l’iconoclasme et à la censure ». Il y a également la peur du regard de l’autre, de l’altérité culturelle, idéologique et politique. « [La nouvelle censure] fait de chaque citoyen des démocraties pluralistes un potentiel censeur, autant qu’un potentiel censuré ». Pour prévenir tout problème, les individus préfèrent alors s’auto-censurer, ce qui rend la censure silencieuse et d’autant plus efficace. Ce tableau d’une société étouffante où « les censeurs pensent toujours détenir les solutions » permettra, espérons-le, un sursaut pour que les relations humaines restent vivables. Extrême droite ou pas.

Isabelle Barberis, Censures silencieuses, PUF, 2024, 198 pages, 17€. B. L.

Voici un (énième) ouvrage qui analyse avec pertinence la crise sanitaire au travers d’articles rédigés par des professionnels et médecins que l’on a peu entendus sur les ondes traditionnelles (mais beaucoup dans les médias alternatifs). Ceux qui critiquent la gestion de la crise sanitaire depuis ses débuts n’apprendront certainement rien de nouveau en lisant ces lignes et trouveront d’ailleurs même peut-être les propos redondants (sauf à se satisfaire d’une forme d’auto-complaisance de la pensée). Au contraire, ceux qui sont à la recherche d’un autre narratif que le discours officiel sur les évènements trouveront dans cet ouvrage une mine d’informations pertinentes. Mentions spéciales par ailleurs à l’annexe fort intéressante de Liutwin Piernet (« Chronologie : Principaux repères historiques…), ainsi qu’à l’article du statisticien Pierre Chaillot « Flagrant déni de réalité » qui critique avec brio une « bureaucratie à l’œuvre dans toute la splendeur de son absurdité ».

Ouvrage collectif, Un autre regard sur la covid-19, Demi-lune, 2024, 25€. K. C.

Un paysage vaste et coloré du romantisme allemand dans son âge d’or, la grande époque d’Iéna, au tournant du XIXe siècle. Cette petite ville d’Europe centrale brille alors d’un feu culturel extraordinaire qui rayonne loin au-delà des frontières du monde germanophone. Ce feu est allumé et attisé par une petite constellation de personnalités passionnantes, aux riches et complexes relations d’inspirations, d’émulations et de confrontations, qui engendrent un foisonnement de productions artistiques, philosophiques et scientifiques. Parmi les ingrédients qui ont nourri cette alchimie : une liberté de recherche et d’expression tout à fait exceptionnelle pour l’époque, due à des circonstances politiques opportunes. Cette constellation de porteurs et créateurs de culture, le livre la dépeint dans toute sa richesse humaine. On peut trouver les détails biographiques trop nombreux, au détriment de la place donnée aux idées des personnalités, mais ces dernières sont souvent synthétisées d’une manière éclairante et les citations d’œuvres et de déclarations sont bien choisies. En outre, cette richesse biographique rend les choses très vivantes, tout en nous rappelant la nature humaine des personnalités concernées, ainsi que leurs limites et faiblesses, à côté de leurs grands dons. En particulier, les apports et influences sur les siècles suivants, jusqu’à nos jours, sont bien mis en valeur : développement de l’idéal moderne de liberté, des bases de la future écologie, d’une science dépassant matérialisme comme dogmes religieux… Ce faisant, les préjugés régnant sur le romantisme sont battus en brèche : absurdité, globalement, des reproches de nationalisme, d’irrationalisme comme de passéisme, étant donné la passion pour l’ensemble des cultures, pour la recherche de la connaissance, ou encore pour les idéaux de la Révolution française. Il apparaît bien également à quel point romantisme, Naturphilosophie et idéalisme allemand sont trois sœurs entrelacées. Pour une approche plus développée de ces courants, voir dans ce numéro l’article « Sources oubliées et odyssée de l’esprit ».

Andreas Wulf, Les rebelles magnifiques, Noir sur Blanc, 2024, 576 pages, 26,50€.D. Z.

African Parks, une ONG à but lucratif, exploite plus de 20 parcs naturels en Afrique. L’ONG mène une guerre en règle pour la conservation de la nature et, pour lutter contre les braconniers, elle a recours à des militaires professionnels, parfois lourdement armés, qui ne sont pas à quelques violations de droits de l’homme près. Se substituant aux États, elle exerce un contrôle pratiquement absolu sur d’immenses portions du territoire africain. Elle le fait gratuitement. Des milliardaires donnent des millions pour préserver la faune dont la faiblesse des États et les guerres incessantes menacent la survie. Elle fait aussi du profit en organisant des safaris, en louant des chambres d’hôtel cinq étoiles en pleine jungle, en délivrant des permis de chasse à des chasseurs richissimes. Olivier Van Beemen mène une enquête à haut risque qui l’emmène dans une dizaine de pays : Bénin, Tchad, Zambie, Afrique du Sud, Rwanda, Congo. Il a interviewé des centaines de personnes et lu un grand nombre de documents, de rapports, de livres. Il s’est posé beaucoup de questions. Est-ce que la population animale dans les parcs gérés par AP diminue ou augmente ? Il n’est pas parvenu à une conclusion à ce sujet. Est-ce que l’ONG a des rapports avec l’industrie minière ? Il décrit les populations que l’on méprise, réprime et expulse des parcs, alors qu’elle vit de la nature qui s’y trouve depuis des générations. Il évoque les comptes offshore et les finances opaques de l’ONG. À force de menaces, de pressions, African Parks réussit à lui mettre des bâtons dans les roues, et tente aussi de lui imposer les conclusions de son enquête. Ce n’est qu’après des années d’efforts qu’en Afrique du Sud, où se trouve le siège de l’entreprise, il parvient à interviewer le directeur général. De nombreux cadres de l’ONG fondée par Paul van Vlissingen, un milliardaire néerlandais, sont des Sud-Africains blancs. African Parks est un empire vert qui a un aspect colonialiste.

Olivier van Beemen, Au nom de la nature Enquête sur les pratiques néocolonialistes de l’ONG African Parks, Rue de l’Échiquier, 2025, 314 pages, 23€.P. W.

Ce n’est certainement pas en cette période régie par l’absurde que l’inspiration du dessinateur Léandre risque de se tarir. Après ce deuxième album, on peut dès lors s’attendre à une suite. Lui comme nous préférerait sans doute ne pas avoir à caricaturer le réel et revenir à une décence ordinaire où le bon sens règne. Enfin, « caricaturé » est un grand mot, car le monde est tellement à lui seul un spectacle qu’il ne faut presque plus en grossir les traits. Mais c’est ainsi, et comme on dit, « mieux vaut en rire », n’est-ce pas ? Et Léandre fait cela bien, très bien ! Il parvient à rendre le ridicule risible, comme notre certitude d’être libre sans réaliser qu’un objet d’aliénation a été remplacé par un autre ou s’y est ajouté, à l’instar de cette terrible prothèse qu’est le téléphone portable ; l’écologie de guerre soutenue par les « Verts » qui préfèrent « tuer local » ; la culture du selfie et le culte de l’image ; l’expérience touristique « unique » qui, une fois massifiée, mène au tourisme de masse qu’on connaît ; l’impossibilité de dialoguer, de s’opposer à la doxa, sans être relégué au rang des « proRusses », « transphobes », « extrémistes »… etc. La suite en image.

Léandre, La vie. La vraie, 2024, 97 pages, 16€. A.P.

Une réédition augmentée et fraîchement actualisée d’un livre d’une grande importance sur le conflit israélo-palestinien : une démonstration très documentée de la réalité d’un des aspects les plus cyniques de la politique de la droite israélienne ; à savoir, le fait d’avoir favorisé, durant des décennies, le développement du Hamas au détriment de l’OLP, mouvement trop enclin au dialogue, à partir d’un certain moment, au goût de la droite en question. Le but était donc d’avoir face à soi un ennemi tel qu’il servira au mieux de prétexte au développement d’une ethnocratie sioniste. Un des épisodes les plus significatifs et les plus choquants de cette politique : alors que le gouvernement israélien dominé par le Likoud assiégeait et détruisait petit à petit le quartier général de l’OLP, en 2002, il reprochait en même temps à cette organisation (évidemment paralysée, dans ces circonstances catastrophiques) de ne pas empêcher les attentats commis au même moment par le Hamas… Citons aussi cette déclaration de 2019 de B. Netanyahou, à la fois limpide et accablante : « Toute personne qui veut éviter la création d’un état palestinien doit soutenir le renforcement du Hamas, le transfert de fonds au Hamas » (préface de la nouvelle édition). L’auteur est un spécialiste du sujet, ayant été durant des décennies, correspondant à Jérusalem pour France 2. Une faiblesse : le riche historique des faits commence au-delà des événements les plus terribles, pour les Palestiniens ; et, plus généralement, la disproportion du nombre de victimes palestiniennes par rapport aux israéliennes n’est pas soulignée (dans le même sens, je ne me souviens pas avoir vu, durant la lecture, le mot Nakba). Mais ces éléments ne devraient pas empêcher de prendre connaissance des informations et analyses essentielles de cet ouvrage, d’autant qu’il est néanmoins nuancé ; p. ex., on apprend notamment que, au départ en tout cas, il existait différentes tendances, dans le mouvement d’où émane le Hamas (mais, comme bien souvent, la tendance la plus dure allait prendre le dessus).

Charles Enderlin, Le grand aveuglement, Albin Michel, 2024, 416 pages, 24,90€.D. Z.

Recueil qui parle du désœuvrement d’une jeunesse qui se démène sans se démener, qui bout, sort et remplit de vide son existence, qui s’essouffle. De sa relation au monde. De son expérience. De son environnement. Le poète pleure l’impuissance, les retours solitaires à la maison au petit matin après les nuits où l’on se déhanche en vain. L’autre est seulement rêvé, fantasmé. Il s’agit d’une abstraction. On dort avec des abstractions. Pas de contact, de rapport humain apparent. Ou un contact moyennant l’absence de contact. Le titre est par conséquent une boutade, plutôt caustique. On zappe les chaînes télé pour tromper son ennui. Se relever, tomber, se relever. On pense vaguement à Héliogabale d’Antonin Artaud. Du beau travail. Passages intéressants, qui ont une valeur descriptive d’une vie sans consistance de gens qui n’ont rien à se mettre sous la dent. Prédictions à moitié pensées. Mais quelle importance ! Un début de réflexion, c’est toujours ça. Est-ce que l’on se mord les doigts de ne pas avoir jeté, étant jeune, ses forces sans compter dans la vie, ou, au contraire, de les y avoir englouties sans compter ? Sens de l’enterrement d’un père avec lequel on n’a pas de contact. Sinon extrêmement sommaire. Un coup de fil de l’hôpital. Trois mots. Tu t’occuperas de ta mère. La pire crainte est celle de la solitude malgré tout. Beaucoup de termes scatologiques. Pour des gens qui courent les boîtes, les soirées, qui se retrouvent souvent à battre le pavé, faute d’avoir de quoi payer un premier verre, mais oui, cela peut représenter une préoccupation majeure. Le clochard de la place Rouppe qui fait sa grande dans son pantalon n’est pas une exception. Ici, le vide est vraiment vide. Il n’y a pas de tricherie. Recherche de sens. Absence d’amour. Sorte de nihilisme. Rien n’est marrant. Lu d’une traite quand même. Pas ressenti d’ennui. Des textes qui coulent de source. Sans grandiloquence. Critique du formalisme en poésie.

Axel Cornil, Une bonne dose d’humanité, Le Sapin, 2024, 106 pages, 13€/ P. W.

FESTIVAL DES COCRÉATEURS

Il aura lieu les 7 et 8 juin, au Centre Estaya, à Faulx-lesTombes. Une rencontre pour déjà faire exister une nouvelle conscience et avancer d’un pas de plus dans l’organisation d’un réseau local. Au menu : conférences, ateliers, animations, concerts et marché en monnaies libre (G1) et souveraine (JEU). Inscriptions via j@adikan.com

hepo

REMILITARISATION

Le contenu du plan européen pour la remilitarisation de l’Europe sent bon l’arnaque. La presse a claironné sans aucun recul le chiffre de 800 milliards €. Mais cette somme ne correspond à aucun argent venu des institutions européennes. C’est aux États de fournir l’essentiel. Ils sont autorisés à dépenser 650 milliards € sur leur propre budget. Et pour cela, ils ont le droit de s’endetter davantage. Ursula von der Leyen permet 1,5% au-delà de la sacro-sainte limite d’hier à 3%. Pour la guerre ou contre la Covid, on trouve des sommes considérables. Mais pour le social ou l’environnement, les caisses sont vides.

A.A.

METTRE SENS DESSUS-DESSOUS

La ville de Louvain a récemment adopté un nouveau code de conduite ; désormais en effet, la bise entre collègues fonctionnaires sera interdite. L’objectif ? « Limiter les contacts physiques dans le contexte post-pandémie et s’assurer d’un traitement respectueux entre les uns et les autres ». Ou quand la chaleur humaine devient synonyme de danger pour autrui – même « hors pandémie » – et une marque d’irrespect.

K. C.

FAIRE CONFIANCE À BIG PHARMA ?

L’immoralité et la criminalité des Big Pharma apparaissent clairement dans le montant de leurs amendes. Aux États-Unis, un rapport de Public Citizen (www.citizen.org) révèle que, entre 1991 et 2021, les entreprises ont dû payer 59,4 milliards € à

l’État, soit 5,5 millions par jour. Ce qui toutefois ne représente que 3,2 % de leurs revenus nets, qui étaient de 1.810 milliards € sur cette même période. Ces amendes ne sont évidemment pas suffisantes pour arrêter le massacre et la destruction de la santé de la population, mais doivent constituer un bon compromis aux yeux de nos ministres et institutions de la « santé ». Tant qu’à présent, il n’y a pas eu de condamnation pour les vaccins à ARNm. Patience ?

Francis Leboutte

POLICE, FORTE (AVEC LES…) ET FAIBLE (AVEC LES…)

Les politiques bruxellois, suivis par les Liégeois et les Carolos, alertent sur le sous-effectif de la police judiciaire pour faire face au trafic de drogue et appellent à l’aide le fédéral de toute urgence. Hum… Pour sécuriser les institutions européennes, les sièges des partis et réprimer les manifestations, il n’y a jamais de problème de sous-effectif, que du contraire : régiments de robocops sur-équipés, auto-pompes, chevaux de frise, maîtres-chiens, drones, etc, autrement dit une disproportion des forces en présence, où l’on discerne les priorités de l’État-gendarme. Il est vrai aussi qu’un manifestant est la plupart du temps moins dangereux et armé qu’un truand…

B. L.

« INTELLIGENCE » ARTIFICIELLE, HYPERCONNERIE RÉELLE

Martin Willame, doctorante en télécommunications (ULouvain), a fait un calcul aux résultats consternant. Selon celui-ci, « si 1% de la population mondiale utilisait une fois par jour ChatGPT, on aurait besoin de 27 centrales nucléaires de grande taille » pour fournir l’énergie nécessaire. Combien faudra-t-il encore d’informations comme celle-ci avant que l’aberration des développements concernés soit reconnue par les décideurs ? (Cf. Numérique, forfait illimité, in Vu, lu, entendu.

D. Z.

IDIOTIE AUGMENTÉE

Microsoft compte formater (pardon, former) 600.000 Belges à l’utilisation de l’intelligence artificielle d’ici trois ans. « Grâce au partenariat entre Microsoft et le MIC, notre objectif est de rendre 300.000 Wallons bilingues en IA d’ici fin 2027, en mettant à leur disposition des formations en ligne gratuites via iattitude. be, afin de renforcer leur compétitivité et leur employabilité», explique Aurélie Couvreur, la CEO du MIC ». Qui peut sérieusement encore croire en la neutralité de la technologie ?

K. C.

PANDÉMIE, LE RETOUR ?

« Le potentiel de nouvelles pandémies est immense », avertit Steven Van Gucht (La Libre, 02/02/25). Faire peur à la population est ce qu’il y a de mieux pour l’empêcher de penser et mieux la contrôler. Toutes les mesures stupides du covid ont été acceptées par la majorité sans difficulté (dont la pire, le couvre-feu !). De même pour l’acceptation d’un vaccin expérimental, inefficace et dangereux, comme seule solution, alors que, par exemple, une supplémentation préventive en vitamine D3 ou un traitement par la prohormone de la vitamine D en cas de maladie déclarée, aurait évité 9 décès sur 10, selon le Deutsche Krebsforschungszentrum, un institut de recherche biomédicale. Pourquoi ne fait-on pas la même chose pour les autres infections respiratoires ?

Francis Leboutte

CONFUSION GÉNÉTIQUE

À l’Union européenne, le Conseil vient d’annoncer un accord pour négocier avec le parlement au sujet du recours aux « nouvelles techniques génomiques » (NTG) dans l’agriculture. Il s’agirait de « nouvelles techniques de modifications génétiques » des végétaux pour que ceux-ci deviennent résistants à la sécheresse, aux maladies ou aux insectes. Mais attention nous dit-on, rien à voir avec les OGM, acronyme qui désigne pourtant « organisme génétiquement modifié ».

K. C.

Lire la suite »

Kairos 69

Tirer réellement des leçons de l’histoire

Les attaques contre la liberté d’expression ne sont plus des actes exceptionnels, mais des éléments structurels d’un ordre politique qui la tolérait tant qu’elle n’attaquait pas le cœur du pouvoir, qu’elle ne risquait pas d’être largement diffusée et de réveiller les masses : il ne faudrait pas que l’esclave dans sa caverne découvre la lumière. Une vérité pouvait toutefois, entre deux publicités pour Coca-Cola, se noyer dans un flot de divertissements servis à heure de grande écoute par des journalistes stipendiés, instrument de médias appartenant aux grosses fortunes ou directement au pouvoir politique, celui-ci travaillant de toute façon pour celles-là. Aucun risque : dans un mélange de vrai et de faux, on ne distinguait plus rien. Je me demandais parfois si ceux qui défendaient encore une telle obscurité contre ceux qu’ils nommaient les « complotistes » étaient conscients de leurs mensonges et de l’énergie qu’ils devaient mobiliser pour éviter le réel. D’un point de vue clinique ou psychosocial, le domaine était passionnant, même si pendant ce temps les décisions des élites et la servitude volontaire des masses nous enfonçaient plus profondément dans l’abîme.

Ce système politique, qui par toutes ses composantes cherche à se maintenir en vie, donc à pérenniser les institutions qui le caractérisent, met autant d’énergie dans le mensonge et la propagande que dans ses actions primaires. Ainsi, si la guerre, la misère et l’inégalité, la destruction des services publics, de la culture, de la singularité, constituent sa véritable manifestation, il doit œuvrer continuellement à présenter à travers ses médias le contraire de ce qu’il fait réellement : il dira qu’il veut la paix, la prospérité pour tous, la justice et l’égalité, des services publics efficaces, une culture vivante et un respect de l’individualité.

Sous couvert d’unité (rappelons-nous le slogan du gouvernement pendant la propagande covidienne : « La Belgique : une équipe de 11 millions »), les politiques et leurs médias disloquent en réalité le corps social en diverses entités opposées. Le wokisme et la généralisation des revendications des identités minoritaires[note] donnent la priorité non plus à la cohésion sociale, mais aux groupes d’appartenance, l’universalité remisée à la corbeille. Mais c’est essentiellement le refus du débat, le pouvoir ostracisant la pensée « divergente », qui divise le corps social et génère l’anomie : les sujets sont perdus, ne peuvent plus se référer à rien, ni à un « adulte », ni à l’altérité, ni à une histoire commune. À la fluidité des identités (on peut désormais être tout ce qu’on veut…) correspond cette ère de la post-vérité où plus rien n’est vrai. Tout se vaut, rien ne se vaut, les apories ne sont plus nommées et le sujet doit prendre comme une évidence ce que le pouvoir énonce, A un jour et non‑A le jour suivant, sans en relever la contradiction. Il n’y a plus de débat, il ne persiste donc que la vérité officielle qui prend la forme d’une vérité religieuse où l’on bannit celui qui doute et ose le dire. Le consensus n’est dès lors que de surface, illusoire, avec dans un même temps l’impossibilité de savoir qui joue dans le jeu ou pas, car le demander explicitement reviendrait à révéler que soi-même on n’y joue pas.

Toutes ces manifestations où in fine le délire se fait passer pour la norme et où la majorité semble l’accepter, marquent le totalitarisme, avec des acteurs politico-médiatiques en roue libre, se présentant comme rationnels alors qu’ils sont absurdes, qui disent donner des ordres clairs alors que ce ne sont que des injonctions paradoxales, qui disent oui et non en même temps. À cette folie du système répond une folie individuelle : un système politique fou attire naturellement – et au besoin – des personnalités pathologiques, celles qui savent qu’elles devront faire tout ce qu’on leur demande pour que le système se maintienne. Nos élus politiques constituent un tableau clinique.

Alors qu’il feint de prôner la liberté individuelle, le programme politique tue toute initiative individuelle, toute liberté de penser qui irait contre lui et risquerait de lui nuire. Et si le sujet devait en douter, si l’envie lui prenait de dire publiquement que le roi est nu, il devrait constamment avoir en tête le danger, se rappelant du sort de ceux qui osent perturber le narratif, relégués dans les catégories de « transphobe », « extrême droite », « complotiste », « raciste »…

Bannissement et concept de fake news sont du même ressort. Comme l’avait si tôt et si bien compris Guy Debord, « Le concept de désinformation n’est bon que dans la contre-attaque. Il faut le maintenir en deuxième ligne, puis le jeter instantanément en avant pour repousser toute vérité qui viendrait à surgir. Le concept confusionniste de désinformation est mis en vedette pour réfuter instantanément, par le seul bruit de son nom, toute critique que n’auraient pas suffi à faire disparaître les diverses agences de l’organisation du silence[note]». À quoi se rattacher dès lors, si les médias ne sont plus que des officines politiques délirantes[note], l’École, une institution ne générant plus un citoyen libre capable de penser, mais un travailleur-consommateur obéissant, piochant dans l’offre identitaire, la santé, un business qui demande des malades ?

L’AMOUR DU POUVOIR

Dans cette configuration sociale, il n’y a pas plus dangereux que les amoureux du pouvoir, car ce sont eux qui en deviendront les serviteurs zélés, suivis par toutes les autres personnalités psychopathiques qui soulageront leurs pulsions les plus sordides dans une société qui désormais les tolère. Que ce soit à Gaza ou dans les ghettos de Varsovie, un système injuste et criminel attire des individus qui trouvent en lui l’occasion d’assouvir leurs plus vils instincts, qui en période « normale » auraient pris des voix différentes. Par exemple, un fonctionnaire ou journaliste ne remettant nullement en question l’ordre établi, obéissant docilement aux directives, se soumettant s’il le faut « malgré lui », donc malgré ses valeurs, faisant dès lors des compromis et compromissions un mode de fonctionnement, ce type de profil vit confortablement aussi bien en société bureaucratique superficiellement démocrate (c’est celui qui souvent vous dira que pour changer le système, vous n’avez qu’à voter) qu’en société totalitaire. C’est aussi celui qui entretiendra l’illusion que nous sommes en « démocratie », qu’il faut se battre contre le fascisme. Il est évidemment incapable deréaliser que sa « démocratie » n’est qu’un moment d’un totalitarisme latent global. Comme l’écrivait le sociologue Zygmunt Bauman dans Modernité et holocauste, lui-même s’étant fourvoyé sur ce sujet : « Comme la plupart d’entre eux [de ses collègues], je supposais que l’holocauste était au mieux une chose que nous nous devions d’éclairer, mais certainement pas une chose capable d’éclairer les objets de nos préoccupations habituelles. Je croyais (inconsidérément plutôt que délibérément) que l’holocauste était une interruption du cours normal de l’histoire, une tumeur cancéreuse sur le corps d’une société civilisée, une folie passagère dans un monde sain. Je pouvais ainsi présenter à mes étudiants l’image d’une société normale, saine de corps et d’esprit, laissant l’histoire de l’holocauste aux soins des pathologistes professionnels[note]».

Les orgies commémoratives ne sont rien d’autres qu’une émanation de cette idéologie de la pureté présente à jamais, une volonté de rétablir sans cesse l’idée d’une « société civilisée » où les génocides et autres horreurs ne seraient que des accidents de l’histoire. Il faut pour pérenniser le pouvoir d’une minorité inlassablement jeter la «lumière» sur le passé pour ne surtout pas éclairer le présent, se focaliser sur les morts du Troisième Reich (pas tous, ne pas trop insister sur les morts russes par exemple), pendant que le sionisme génocidaire massacre les Palestiniens.

Il lui faut aussi désigner un ennemi, même et surtout si celui qui désigne est de loin le plus grand criminel. La haine occidentale nourrie aujourd’hui contre la Russie témoigne de cet aveuglement : plus l’Occident refuse de se regarderdans le miroir, plus il nie ses crimes passés et actuels, plus il s’enfoncera dans la destruction d’un autre, même s’il devra creuser deux tombes. Concernant l’holocauste, Bauman ajoute encore : « L’holocauste fut la rencontre unique entre les vieilles tensions que la modernité a toujours ignorées, dédaignées ou échoué à résoudre, et les puissants instruments de l’action rationnelle et efficace auxquels l’évolution moderne a donné le jour. Même si cette rencontre fut unique et nécessita une exceptionnelle combinaison de circonstances, les facteurs qui se sont trouvés rassemblés dans cette rencontre étaient, et sont encore aujourd’hui, omniprésents et «normaux». Peu d’efforts ont été entrepris après l’holocauste pour sonder le terrible potentiel de ces facteurs et encore moins pour tenter de paralyser leurs effets éventuellement terrifiants. Je crois fermement que l’on pourrait faire beaucoup plus – que l’on devrait faire beaucoup plus – dans ces deux directions[note]». Il est temps de tirer véritablement des leçons de l’histoire, sans l’instrumentaliser dans l’unique but d’occulter nos crimes actuels.

Le mal n’est pas quelque chose d’éthéré qui frapperait certains individus et pas d’autres. Il est un potentiel humain qui à tous moments peut s’activer. Si ce n’est qu’en période totalitaire qu’il est véritablement possible de déceler l’homme bon – donc insoumis – qui refuse de se laisser happer par la haine de celui qui profite du contexte social pour révéler le mal, il faut agir présentement pour favoriser le bien, le juste et le vrai, qui réduira le risque de tomber dans la barbarie.

Alexandre Penasse

Lire la suite »

De jadis à nos jours, ce que les penseurs nous ont légué

L’homme n’a plus ni nerf ni cœur, nous ne sommes plus que des pleurnicheurs craintifs et démoralisés. Nous avons peur de la vérité, peur du destin, peur de la mort, peur les uns des autres. Notre époque n’engendre grandeur et perfection chez personne. »

Ralph Waldo Emerson, Compter sur soi, 1841.

« Mes alentours offrent force belles balades, et bien que j’aie marché presque chaque jour depuis tant d’années, et parfois plusieurs jours d’affilée, je ne les ai pas encore toutes épuisées. Une perspective absolument neuve est un grand bonheur, et je puis encore en dénicher n’importe quel jour. Deux ou trois heures de marche m’entraîneront dans une contrée étrange que je ne me serais pas attendu à voir. Une ferme isolée que je n’avais pas vue auparavant a parfois autant de valeur à mes yeux que les territoires du roi du Dahomey. Il y a en fait une sorte d’harmonie qui se peut découvrir entre les possibilités du paysage, à l’intérieur d’un cercle de rayon de 10 miles, en d’autres termes les limites d’un après-midi de marche, et les quelque 76 années d’une existence humaine. Cela ne vous deviendra jamais chose familière. »

Henry David Thoreau, De la marche, 1862.

«L’histoire d’un ruisseau, même de celui qui naît et se perd dans la mousse, est l’histoire de l’infini. Ces gouttelettes qui scintillent ont traversé le granit, le calcaire et l’argile ; elles ont été neige sur la froide montagne, molécule de vapeur dans la nuée, blanche écume sur la crête des flots ; le soleil, dans sa course journalière, les a fait resplendir des reflets les plus éclatants ; la pâle lumière de la lune les a vaguement irisées ; la foudre en a fait de l’hydrogène et de l’oxygène, puis d’un nouveau choc a fait ruisseler en eau des éléments primitifs. Tous les agents de l’atmosphère et de l’espace, toutes les forces cosmiques ont travaillé de concert à modifier incessamment l’aspect et la position de la gouttelette imperceptible ; elle aussi est un monde comme les astres énormes qui roulent dans les cieux, et son orbite se développe de cycle en cycle par un mouvement sans repos.

Chose admirable et qui m’enchante toujours ! Ce ruisselet est pauvre et intermittent ; mais son action géologique n’en est pas moins grande ; elle est d’autant plus puissante relativement que l’eau coule en plus faible quantité. C’est le mince filet liquide qui a creusé l’énorme fosse, qui s’est ouvert ces entailles profondes à travers l’argile et la roche dure, qui a sculpté les degrés de ces cascatelles, et, par l’éboulement des terres, a formé ces larges cirques dans les berges. C’est aussi lui qui entretient cette riche végétation de mousses, d’herbes, d’arbustes et de grands arbres. Est-il un Mississippi, un fleuve des Amazones qui proportionnellement à sa masse d’eau, accomplisse à la surface de la Terre la millième partie de ce travail ? Si les rivières puissantes étaient les égales en force du ruisselet temporaire, elles raseraient des chaînes de montagnes, se creuseraient des abîmes de plusieurs milliers de mètres de profondeur, nourriraient des forêts dont les cimes iraient se balancer jusque dans les couches supérieures de l’air. C’est précisément dans ses plus petites retraites que la nature montre le mieux sa grandeur. Étendu sur un tapis de mousse, entre deux racines qui me servent d’appui, je contemple avec admiration ces hautes berges, ces défilés, ces cirques, ces gradins et la sombre voûte de feuillage qui me racontent avec tant d’éloquence l’œuvre grandiose de la goutte d’eau. »

Elisée Reclus, Histoire d’un ruisseau, 1869.

« Pour rentrer à la maison, j’avais pris par les champs. On était en plein milieu de l’été. Déjà l’herbe était fauchée et l’on se préparait à couper le seigle. À cette époque de l’année, il y a une merveilleuse variété de fleurs : celles des trèfles, rouges ou blancs, parfumés et duvetés ; les blanches marguerites au cœur jaune vif ; la campanule jaune, à l’odeur agréable et épicée ; les pois, violets et blancs, avec leur senteur de miel et leur haute tige grimpante; les scabieuses jaunes, rouges, roses ; le plantain lilas, au duvet légèrement rosé, au subtil et agréable parfum ; les bleuets, bleu vif au soleil lorsqu’ils viennent d’éclore, bleu rougeâtre le soir quand ils sont à leur déclin ; et les fleurs fragiles, éphémères, à l’odeur d’amande, de la cuscute. J’avais cueilli un gros bouquet de ces différentes fleurs et rentrais chez moi, quand je remarquai dans le fossé une magnifique bardane violette, en pleine floraison, une de ces bardanes qu’on appelle chez nous « tatare », que le faucheur coupe avec soin, et qu’on rejette du foin, si par hasard elle s’y trouve, pour ne pas se piquer les mains. Il me vint l’idée d’arracher cette bardane et de la mettre au milieu de mon bouquet. Je descendis dans le fossé et, après avoir chassé un bourdon velu qui s’était accroché au milieu d’une fleur et s’y était endormi doucement, mollement, je me mis à arracher la plante. Mais c’était très difficile. Non seulement la tige piquait de tous côtés, même à travers le mouchoir dont j’avais entouré ma main, mais elle était si résistante que je luttai contre elle presque 5 minutes, la déchirant fibre par fibre. Quand enfin je l’eus détachée, la tige était en lambeaux et la fleur ne paraissait déjà plus ni aussi fraîche ni aussi belle. Outre cela, à cause de sa rudesse, de sa raideur, elle n’allait pas du tout avec les fleurs délicates de mon bouquet.

J’eus du regret d’avoir détruit en vain la fleur qui était si belle sur sa tige et la jetai. « Quelle énergie ! Quelle vitalité !, me dis-je, me rappelant les efforts déployés pour l’arracher. Comme elle se défendait, et comme elle a chèrement vendu sa vie ! » Pour rentrer chez moi, je devais traverser un champ de terre grasse fraîchement labourée, après avoir gravi la pente douce de la route poussiéreuse. Le champ était très vaste, de sorte que de chaque côté ainsi que devant, en montant, on ne voyait que la terre noire retournée avec une grande régularité. Le labourage était bon, et sur toute l’étendue du champ on ne voyait pas la moindre plante ni herbe, tout était noir. « Quel destructeur que l’homme ! Combien d’êtres vivants, sans compter les plantes, détruit-il pour assurer son existence ! », pensai-je, en cherchant malgré moi quelque chose de vivant dans ce champ noir et mort. Devant moi, à droite de la route, une touffe quelconque se dressait. Je m’en approchai et reconnu cette même « tatare » que j’avais arrachée en vain et dont j’avais jeté la fleur. La touffe était formée de trois tiges ; l’une d’elles avait été en partie arrachée et ce qui restait ressemblait à un bras coupé ; chacune des deux autres portait une fleur. Ces fleurs, primitivement rouges, étaient maintenant noirâtres. Une des tiges était brisée, et la partie supérieure, portant la fleurmaculée,pendaitverslesol.L’autre,bienquecouverte de boue noire, tenait encore debout. On voyait qu’elle avait été abattue par une roue, puis s’était redressée. Il semblait qu’on lui avait tranché une partie du corps, qu’on lui avait labouré les entrailles, arraché un bras, un œil et cependant elle restait debout, ne cédant pas à l’homme qui avait détruit autour d’elle toutes les plantes, ses sœurs. « Quelle énergie ! pensai-je. L’homme est vainqueur, il a détruit des millions d’herbes, mais celle-ci n’a pas cédé ! »

Léon Tolstoï, extrait de Hadji Mourad, publié en 1912 à titre posthume.

« Plus l’humanité approche de la grande et inévitable catastrophe, plus elle devrait cultiver et utiliser toutes ses forces intellectuelles et surtout spirituelles, afin de faire face aux difficultés qui se présentent. Mais plus cette échéance approche, plus la participation des forces spirituelles à la vie du monde se trouve réduite, dans le même temps où les grandes masses humaines, sans faculté de jugement, jettent leur poids dans le destin du monde. »

Günther Schwab, Danse avec le diable, Le courrier du livre, 1963.

« Le perfectionnement spirituel doit passer avant le bonheur. »

Bernard Charbonneau et Jacques Ellul, Nous sommes des révolutionnaires malgré nous. Textes pionniers de l’écologie politique, 1935–45.

« Le touriste qui parcourt le monde découvre-t-il d’autres patries ou fuit-il la sienne ? Il ne le peut d’ailleurs, car toutes sortes de machines la lui collent à la peau. Le bourgeois voyage dans l’espace pur, le paysan dans le temps, qui est fait pour lui de jours et de saisons: ce sont les bois et les coteaux qui passent d’hiver en été, tandis que le vent du temps fend le ciel avec un bruit d’étrave. »

Bernard Charbonneau, Tristes campagnes, 1973.

« […] la vie spirituelle se réduit et tend à disparaître chaque fois que gagne le confort et que s’élève le niveau de vie. »

Jacques Ellul, Exégèse des nouveaux lieux communs, 1966.

« C’est l’ “ humanisme rationaliste ”, issu de la conception chrétienne du monde, qui, en se coupant de ses racines spirituelles, a voulu réaliser une autonomie absolue de l’homme par rapport à toute force placée au-dessus de lui ».

Jean-François Mattéi, La barbarie intérieure. Essai sur l’immonde moderne, 1999.

« […] une organisation sociale totale qui, échappant à toute conscience personnelle, serait l’équivalent d’un suicide spirituel de l’humanité. »

Daniel Cérézuelle, Nature et liberté. Introduction à la pensée de Bernard Charbonneau, 2022.

« […] dans l’Occident contemporain, l’“individu” libre, souverain, autarcique, substantiel n’est guère plus, dans la grande majorité des cas, qu’une marionnette accomplissant spasmodiquement les gestes que lui impose le champ social-historique : faire de l’argent, consommer et jouir (s’il y arrive). »

Cornélius Castoriadis, La montée de l’insignifiance. Les carrefours du labyrinthe4, 1996.

Lire la suite »

Brèves

ERRATUM : Dans Kairos n° 67, p. 5, il faut lire «L’incendie d’Apollo 1 » à la place de « L’incendie d’Apollo 13 ». Toutes nos excuses à l’auteur et aux lecteurs.

DIABOLISEURS DIABOLISÉS

Au parlement européen, le parti de l’extrême centre, par la voix de la libérale Sophie Wilmès, demande que le cordon sanitaire soit appliqué également à l’extrême gauche (Le Soir, 15/01/25). De quoi faire enfin réfléchir celle-ci, qui se retrouve victime de ses propres méthodes ? La petite mère des peuples parle de « mouvements qui s’inscrivent en dehors de nos fondamentaux » (leurs fondamentaux ? Alors lesquels ?), représentent « un risque de chaos et de révolution » (« pas touche au Nouvel Ordre Mondial, hein ! ») et empêchent « toute normalisation » (« fermez vos g… et marchez droit, comme quand je gérais la pandémie »). Son mouvement Renew veut incarner « le rempart démocratique en Europe ». Non, merci. George O, au secours !

B. L.

TOTALITARISQUE

« Face à la guerre russe en Ukraine, à une instabilité géopolitique croissante, ou aux catastrophes naturelles, l’Union européenne et ses États membres veulent développer dans la population une culture du risque et de la résilience », nous apprend le journal La Libre Belgique. Nous voilà rassurés…

K. C.

NÉOCOLONISATION

D’ailleurs, le même journal titre dans un autre article : « Le masque fait son retour dans les écoles : voici les mesures qui seront appliquées ». Preuve que la culture du risque préconisée par l’UE a d’ores et déjà colonisé les esprits ?

K. C.

LIBRE DÉBAT

Le Soir du 31 décembre déplore que le Centre Jean Gol (CJG), think tank du MR, ait pris la main dans la guerre culturelle sur les sujets clivants (immigration, wokisme, traditions, etc.), laissant « le monde politique interdit ». Interdit ?! Celui-ci aurait-il oublié que la confrontation des idées, au besoin polémique, est un principe de la démocratie ? Bernard Demonty reproche au CJG le « côté unilatéral du propos » et « l’approche polarisante permanente [qui] fatigue, épuise, la démocratie ». Eh oui, là comme ailleurs. Que les journalistes balaient devant leur porte !

B. L.

BEAU DÉPASSEMENT DES DIVISIONS

Une nouvelle encourageante et inspirante : écologistes et chasseurs se sont alliés pour protéger une forêt menacée, dans le Jura, par un projet de parc de panneaux photovoltaïques. (Reporterre, 12/2024). Il serait certainement bon de prendre exemple sur une telle initiative et alliance ; et de tirer ainsi parti du fait que, à la fois en raison de la chasse mais aussi très probablement d’une sensibilité à la nature, bien des chasseurs désapprouvent eux aussi les projets destructeurs qui surgissent autour de nous comme des champignons en automne : lotissements et zonings commerciaux sans aucun souci d’économie de l’espace ou d’esthétique, parcs éoliens en pleines zones naturelles, parcs photovoltaïques comme ici, etc. Une multiplication de telles unions permettrait sans doute d’accroître notablement l’efficacité de la lutte contre ces aberrations qui, toujours plus, dévastent terres cultivables, faune et flore, ainsi que paysages.

D. Z.

SACRÉ BOURBIER !

La machine à crotte (cloaca) de l’« artiste » belge Wim Delvoye fête ses 25 ans. Le principe de l’« œuvre » ? Un ensemble de tuyaux qu’il faut nourrir et qui évacue de la merde chaque matin. Le but ? Interroger la société productiviste qui ne produit « plus grand-chose d’intéressant ». Sans blague (on admirera par ailleurs le discours paradoxal qui est ici formulé)… Hip, hip, hip… Hourra !K. C.

QUI C’EST QUI L’AVAIT (POURTANT) DIT LE PREMIER ?

« Comme une ritournelle, chaque année, au cœur de l’hiver, les maladies respiratoires frappent fort, les services d’urgences saturent et le personnel médical exprime son désarroi ». Quand c’est La Libre Belgique qui énonce ce fait, cela sonne tout de suite moins « complotiste ». Geneviève Christiaens, directrice médicale du CHU de Liège, rajoute : « il faut être conscient que nos urgences connaissent des problèmes de saturation depuis des années, dans tous les hôpitaux » ; « Dans les hôpitaux, on constate maintenant une situation encore plus grave qu’avant la crise du Covid ». Ah bon ? Mais pourquoi alors on ne nous emmerde pas avec des tas de graphiques journaliers ?

K. C.

SPPP

Le Syndicat de la presse pas pareille (SPPP), lié au journal francilien Le Chiffon, lutte contre l’informatisation du journalisme, dans une optique radicale. Contact : syndicatsppp@protonmail.com.

B. L.

IN MEMORIAM

L’économiste Richard Easterlin est mort le 14 décembre à l’âge de 98 ans. Rien d’étonnant à ce qu’il ait fait de vieux os, il représentait l’« économie du bien-être » qui a influencé la pensée décroissante, et dont le principe est qu’au-delà d’un certain revenu, le sentiment de bonheur individuel n’augmente plus. Une invitation à s’autolimiter, tant pour des raisons existentielles qu’écologiques.

B. L.

Lire la suite »
Articles

Trump, le Phénix (Partie 2)

Une momie et une potiche

Outre ses trahisons à la lettre de la Constitution américaine, ces autres années ont été marquées par une politique migratoire complaisante qui créa un inquiétant appel d’air à la frontière sud des États-Unis, dans lequel s’est engouffrée toute une série d’organisations criminelles (traite d’êtres humains, trafiquants d’enfants, narcotrafiquants, etc.), une politique internationale dans la droite continuité du bellicisme néoconservateur, mais ne disposant plus des moyens passés. Le retrait d’Afghanistan s’est déroulé dans un chaos immense, aggravé par le retour rapide des Talibans au pouvoir à Kaboul.

Sur le plan intérieur, la gestion économique de l’administration Biden s’est soldée par une inflation galopante qui a particulièrement affecté les plus démunis. La promotion très idéologique et très peu pragmatique des énergies renouvelables1, la réduction de la production nationale de pétrole et de gaz, due à des politiques environnementales trop restrictives, ont contribué à une augmentation des coûts de l’énergie pour les consommateurs et pour les entreprises.

La perte du pouvoir d’achat et le soutien à des politiques wokistes qui fragilisent les fondamentaux culturels d’une majorité des Américains sont sans doute les deux raisons du rejet des démocrates dans l’opposition. Après que Biden ait jeté l’éponge suite à un débat catastrophique à la télévision, la candidature de Kamala Harris, la vice-présidente, sans passer par le processus traditionnel des primaires, allait s’avérer être le pire choix de toute l’histoire du parti démocrate. Fuyant les directs, les interviews où les questions ne sont pas communiquées à l’avance, multipliant les gaffes et les postures affligeantes, cherchant le soutien d’un showbizz totalement hermétique aux problèmes quotidiens des citoyens américains — qui ne peuvent plus supporter l’arrogance et leurs vies dépravées étalées dans les médias et les réseaux sociaux —, il devenait de plus en plus clair que Harris allait se faire dévorer tout crue par Donald Trump. Sa victoire écrasante atteste de la déconnexion complète du parti démocrate avec une majorité du peuple américain.

Au-delà des acteurs qui participent à ces joutes électorales, attardons-nous un instant sur les mouvements sociologiques de fond qui permettent de comprendre les résultats de l’élection de 2024. Les États-Unis subissent une fracture importante au sein de sa population. Elle explique la victoire d’une des deux grandes forces politiques sur l’autre.

La fracture de la société américaine

Les Républicains renouent avec le réalisme politique, un courant que nous pouvons qualifier de vitaliste. Alors que les Démocrates représentent aujourd’hui une tendance culturaliste régressive, qui n’est pas sans rappeler l’idéologie de la social-démocratie européenne (qui s’étend d’ailleurs bien au-delà des seuls partis socialistes et recouvre même la droite conservatrice modérée). Ça n’a pas toujours été le cas. Auparavant, le parti républicain était considéré comme le parti de la bourgeoisie, alors que le parti démocrate représentait les classes laborieuses, les ouvriers des grandes villes industrielles comme Chicago ou Détroit.

Durant ces 50 dernières années, les démocrates ont basculé d’une approche que nous pourrions presque étiqueter de marxiste à une tendance intellectualiste. Il ne s’adresse plus quasiment qu’aux intellectuels et aux universitaires. L’influence des campus est indéniable au sein du camp démocrate. Par conséquent, il est parfaitement logique que la pensée dominante au sein des universités américaines représentée par le structuralisme, que les Américains appellent aussi la « French Theory », ait percolé au sein du courant démocrate. Il n’est pas étonnant que les politiciens de gauche préfèrent passer leurs temps à critiquer plutôt qu’à élaborer des stratégies. La pensée progressiste est devenue tellement critique qu’elle remet en question la réalité naturelle, la reproduction, etc., en somme, la vie en tant que telle, jusqu’à s’acheminer vers le transhumanisme.

La déconstruction, qui tient une place centrale dans les théories structuralistes en vogue dans les milieux universitaires américains a servi de repoussoir pour bon nombre de citoyens, qui ne se retrouvent pas dans ce courant de pensée. Il faut se rappeler que les États-Unis se sont bâtis sur le puritanisme que les colons britanniques ont emporté dans leurs bagages. La bible représentait pour eux une sorte de constitution qui leur a permis de se structurer politiquement. La tendance wokiste, bien que tenue en marge du parti démocrate, représente néanmoins un courant bruyant et anxiogène pour beaucoup d’Américains. Il n’est dès lors pas étonnant que des personnalités comme Tulsi Gabbard ou Robert F. Kennedy Jr, qui ont rejoint en cours de campagne Donald Trump, proviennent du parti démocrate. La vision démocrate qui est la leur est celle du parti des années 1960–70, qu’ils retrouvent en fait au sein du parti républicain actuel. On peut considérer qu’une partie de la nouvelle administration Trump comme « paléo-démocrate ».

Une partie majoritaire de la population reste attachée à la culture de liberté et de responsabilité propre à l’Amérique. Les Républicains, en devenant le parti des travailleurs, ont pu agréger ces différentes tendances pour s’opposer au wokisme, considéré comme un phénomène régressif. C’est le sens du vote pour Donald Trump. Il s’ajoute à cela la volonté affirmée par ses électeurs de s’occuper enfin des vrais problèmes comme la perte du pouvoir d’achat, liée à l’inflation et l’augmentation du prix de l’essence. Face à la politique instable, aventureuse de l’administration Biden, Trump est apparu comme un modérateur qui rassemble le peuple américain sur ses valeurs fondamentales. Sa tendance isolationniste au niveau de sa politique étrangère correspond aussi à l’ADN véritable de la république étatsunienne.

En qualifiant les électeurs de Trump de pitoyables, Hillary Clinton se rendait-elle compte, lors de la campagne pour les présidentielles de 2016, qu’elle se tirait une balle dans le pied ? Le mépris, la morgue des intellectuels de gauche qui considèrent l’électorat « Maga2 » comme une bande de rednecks3 armés jusqu’aux dents, ou de fondamentalistes religieux, ont également heurté les classes moyennes, qui commencent aussi à souffrir du déclassement social. Cette caricature grossière, reprise par la presse dominante européenne dénote aussi de la cécité et du recul cognitif inquiétant de ces supposés relais de l’information. Bien sûr, Trump joue aussi ce rôle de composition populiste, parfois brutal, fait de rodomontades, de bluff, de retournement d’opinion à 180°. Il arrive ainsi à manipuler l’opinion et surtout les médias qui tombent systématiquement dans le panneau. Mais ces choix tactiques ne doivent pas faire oublier sa ligne de conduite, qui elle, est très stable et solide, ancrée dans son patriotisme sincère et profond, presque viscéral

Le come-back de Trump

Parfaitement instruit de sa première expérience à la Maison-Blanche, son nouveau mandat, qui démarre sur les chapeaux de roues, sera incontestablement très différent. On peut en avoir l’augure par l’équipe extrêmement expérimentée de laquelle il s’entoure. Des personnalités très éloignées du microcosme washingtonien comme Elon Musk, le milliardaire, patron de Tesla et Space X, qui va mener tambour battant des réformes structurelles dans l’administration, en s’inspirant de ses propres modes de gestion du personnel. J.D. Vance, son vice-président, un fils de la Rust Belt4, qui allie de profondes idées conservatrices à des conceptions très libertariennes de la gestion financière. Marco Rubio, son secrétaire d’État (ministre des Affaires étrangères), politicien expérimenté aux positions fermes sur la Chine et l’Iran. Pete Hegseth, son secrétaire à la Défense. Ancien soldat ayant servi en Irak et en Afghanistan, qui va cette fois batailler contre le complexe militaro-industriel et nettoyer le Pentagone.Matt Gaetz, son procureur général (ministre de la Justice), représentant républicain de Floride, un loyal parmi les loyaux dans l’entourage de Trump.L’ancienne députée démocrate Tulsi Gabbard, particulièrement investie dans le dossier des laboratoires biologiques en Ukraine, qui risque d’être explosif pour la CIA et la famille Biden. Kash Patel, le nouveau directeur du FBI, star des réseaux sociaux et au faîte de toutes les dérives et les coups tordus du Deep State et des ténors démocrates, dont Obama, le couple Clinton et la famille Biden. Et enfin, last but not least, Robert F. Kennedy Jr., ministre de la Santé. Avocat et activiste anti-vaccin, il est connu pour ses positions radicales sur la santé publique. Son défi sera de lutter contre la malbouffe, qui frappe bon nombre d’Américains, et de les orienter vers de meilleures pratiques médicales.

Fidèle à son tempérament, Donald Trump, à peine investi, a enclenché le turbo en signant une centaine de décrets, rien que le premier jour. En matière d’immigration, il a déclaré l’état d’urgence à la frontière avec le Mexique, annonçant la reprise de la construction du mur frontalier et la fin du droit du sol pour les enfants de clandestins. Il a également qualifié l’immigration illégale d’urgence nationale, ce qui inclut l’envoi de troupes fédérales à la frontière sud et la reprise du programme « Remain in Mexico »5 pour les demandeurs d’asile.

À fond les manettes !

Sur le plan de l’environnement, Trump a signé des décrets pour sortir les États-Unis de l’accord de Paris sur le climat, indiquant ainsi une volonté de revenir sur les politiques environnementales de l’administration précédente en favorisant la production d’hydrocarbures.

Dans sa lutte contre les délires wokistes, Il a annoncé des politiques visant à reconnaître uniquement deux genres, homme et femme, et à exclure les personnes transgenres de l’armée.

Coup de semonce, il a également annoncé le retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), coupant l’herbe sous le pied aux vaccinalistes, comme Bill Gates.

Enfin, il a immédiatement gracié environ 1.500 émeutiers du Capitole, marquant ainsi une démarche de pardon pour les événements du 6 janvier 2021.

Évidemment, c’est sur le plan économique que le président est attendu au tournant. Durant sa campagne, il a tambouriné son souhait d’imposer des droits de douane conséquents pour protéger les travailleurs et les familles américaines. Cependant, il faut rester prudent. Rien ne dit que Trump va appliquer tel quel son projet. Cela veut juste dire en fait qu’un round de négociations se profile à l’horizon avec les principaux partenaires commerciaux des États-Unis.

S’il devait procéder à une augmentation des droits de douane, il sait qu’en conséquence les importateurs relèveraient automatiquement le prix de vente de leurs produits, ce qui aurait pour résultat une aggravation de l’inflation qui toucherait directement le portefeuille des consommateurs américains. Or, après 30 ans de désindustrialisation, la part des importations dépasse les exportations de 63.5%. Le déficit commercial était d’environ 1,311 milliard de dollars en 2023. Même si Trump veut rééquilibrer la balance commerciale et favoriser le « made in USA », cela ne va pas se faire en un claquement de doigt. Son mandat de 4 ans paraît extrêmement court pour obtenir des résultats probants.

Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois

Le milliardaire new-yorkais retrouve un pays en déglingue dont les déficits continuent à se creuser. Les États-Unis fonctionnent réellement sur la dette6 depuis déjà pas mal d’années, et uniquement sur celle-ci. C’est-à-dire qu’il n’y a plus vraiment de croissance. Lorsqu’on observe les marchés financiers, l’image de l’économie américaine semble pourtant florissante. Les indices US comme le S&P 5007 semblent surfer sur les crêtes. Mais en réalité, le S&P est uniquement tiré vers le haut par sept valeurs, les fameuses « Magnificent Seven »8. La planche à billets de la FED9 a visiblement été totalement aspirée par Wall Street plutôt que par « Main Street »10.

Le taux d’emploi aux USA s’apparente lui aussi à un miroir aux alouettes. Si on nous présente généralement dans les médias un chômage autour des 4%, en réalité il est plus proche des 10%. Il faut savoir en effet que dans le pays de l’Oncle Sam, les embauches sont calculées sur base d’un sondage téléphonique aux entreprises, corrigé par un indice qui date de l’ère de Ronald Reagan11. Autant dire que cela ressemble plus à une estimation au doigt mouillé qu’à une évaluation rigoureuse et contrôlée. Ce qui pour un grand pays civilisé peut apparaître plutôt cocasse, à l’image du système électoral abscons et sujet à manipulations diverses.

Rendre aux États-Unis leur efficacité

Le chantier pour remettre les États-Unis d’aplomb est immense, Trump et son équipe en sont bien conscients. Il s’est entouré de conseillers compétents dont de nombreux hommes d’affaires qui maîtrisent très bien la science économique et la gestion d’actifs. La question de la dette va être au centre des préoccupations. En effet, elle a pratiquement doublé en moins de 10 ans et nous sommes aujourd’hui avec une dette qui est à 120% du PIB, ce qui n’est pas tenable. Bien sûr, les Américains pourraient s’inspirer des Européens en augmentant les impôts. Ce qui a deux conséquences. D’une part, un appauvrissement des classes moyennes, et d’autre part, un État qui grossit, devient de plus en plus tentaculaire, exige toujours plus de moyens, mais reste toujours aussi incompétent. On le voit bien en Europe, cette solution ne fonctionne pas.

L’administration Trump a décidé de s’y prendre autrement, par une réduction massive des dépenses publiques, à l’instar de ce qu’a fait Javier Milei12 en Argentine. Le nom DOGE, inspiré de la célèbre cryptomonnaie préférée de Musk, a été officialisé par le président. Il a signé lundi dernier un décret officiel portant sur la création du Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE). Ce département prévoit de mettre en place une réforme du budget national, à savoir traquer et couper le robinet des dépenses inutiles de l’État fédéral. Musk souhaite réduire la dépense publique fédérale de 2.000 milliards de dollars, soit une baisse de 30% par rapport au total de l’exercice budgétaire 2024.

C’est une véritable purge du parasitisme et une destruction du mille-feuille administratif qui se prépare. Le DOGE va s’immiscer dans les tréfonds de l’État profond et le dégraisser de milliers de postes administratifs occupés par des fonctionnaires, parfois grassement payés, mais dont l’emploi du temps est inversement proportionnel au salaire. Un nombre important d’agences et de départements issus de l’agenda idéologique des démocrates, concernant l’alarmisme climatique ou les dérives sociétales, vont aussi tomber dans les oubliettes de l’histoire.

Le Pentagone sera aussi sur la sellette, cet État dans l’État dont le budget annuel est de 800 milliards de dollars. L’armée américaine est devenue une gigantesque administration qui emploie environ 23.000 fonctionnaires, dont environ 17.000 civils et 6.000 officiers militaires. Bon nombre de ces derniers ne sont même plus sur le terrain, puisqu’aujourd’hui, les conflits armés se déroulent par « proxies » interposés. Cependant, on dénombre encore 750 bases militaires dans plus de 80 pays à travers le monde. Des bases au milieu desquelles trône souvent un Burger King. Tout un symbole.

Les fast-foods sont justement au centre de cette « american way of life », qui aujourd’hui, est très éloignée de l’image séduisante des fifties véhiculée par le cinéma et les séries tv. Les instantanés qui nous viennent des États-Unis nous montrent plus souvent des personnes obèses que des athlètes sveltes et élancés. Il y a aussi, hélas, ces vidéos tournées dans les rues de Philadelphie, de Los Angeles ou d’autres mégapoles américaines, où l’on découvre de pauvres hères se déplaçant péniblement comme des zombies, shootés à la xylazine13.

Bernard Van Damme,

Lire la suite »
Articles

Maîtrisez l’IA avant qu’elle ne vous maîtrise

En préambule,il est important de préciser que cette publication n’a pas pour but de plébisciter l’Intelligence Artificielle ni de porter un jugement quelconque, elle a pour unique objectif d’apporter quelques clés de compréhension pour maîtriser l’IA avant qu’elle ne devienne un facteur de contrôle sur votre vie. Car si une chose est certaine c’est qu’il est illusoire de penser ne fut-ce qu’une seconde que cette évolution pourrait être enrayée.

Une révolution à double tranchant

L’intelligence artificielle (IA) est souvent présentée comme une des révolutions technologiques les plus significatives de notre époque. Elle promet de transformer les domaines de la santé, de l’éducation, de l’économie, et bien au-delà. Cependant, comme toute avancée technologique, c’est une arme à double tranchant.

Entre les mains de certains, elle peut être un outil de libération intellectuelle et d’accélération des capacités humaines, mais entre les mains de personnes ou autorités mal intentionnées (..), elle peut devenir un instrument de contrôle, de manipulation et de domination.

Dans son ouvrage Le Triomphe de votre intelligence, Idriss Aberkane souligne que l’IA n’est rien de plus qu’une extension de notre propre ingéniosité. L’erreur fondamentale serait de la considérer comme une entité autonome, dotée d’une conscience ou d’une volonté. Ce n’est pas l’outil qui est dangereux, mais bien celui qui le détient et décide de son utilisation.

Il est essentiel de comprendre l’IA pour mieux l’utiliser.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’IA ne pense pas. Elle analyse des données en masse et fonctionne par modélisation probabiliste. Elle ne crée pas, mais compile et restitue. Cela implique qu’elle hérite des biais et des limitations présents dans les données humaines qui la nourrissent.

L’IA n’est donc qu’un outil, certes de plus en plus performant, mais elle n’est ni un oracle ni un magicien. Elle peut être une aide extraordinaire dans de nombreux domaines : optimisation de processus, aide à la décision, synthèse de connaissances complexes. Cependant, il est crucial de toujours la voir comme un outil, et non comme une vérité absolue. Elle est sujette à l’erreur et elle peut être manipulée pour servir des intérêts particuliers ou réunis en entités telles que le WEF (World Economic Forum) ou l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). l’IA devient alors un instrument de manipulation systémique des masses et l’expérience d’un passé récent nous a démontré que nous ne pouvons plus accorder la moindre confiance à nos gouvernants.

Pour exploiter efficacement l’IA, il est nécessaire de :

Poser les bonnes questions : Des requêtes vagues ou ambiguës conduisent à des réponses imprécises ou erronées.

Analyser les résultats : Confrontez toujours les informations fournies par une IA à d’autres sources fiables.

Développer votre expertise : Maîtriser le sujet abordé reste indispensable pour évaluer la pertinence des réponses.

Sans un esprit critique, l’utilisateur risque de devenir une cible facile pour les contenus trompeurs, comme les fake news ou les deepfakes. Ces manipulations, amplifiées par l’IA, visent souvent à influencer les masses. En somme, même si l’IA peut vous accompagner dans vos réflexions, votre propre expertise, votre sens critique et votre intelligence restent indispensables pour en tirer le meilleur parti.

Une utilisation excessive de l’IA ne peut qu’éroder nos capacités personnelles. Si nous nous reposons trop sur ces outils pour penser à notre place, nous risquons de perdre notre aptitude à analyser, réfléchir et décider par nous-mêmes, tout comme les calculettes ont marginalisé le calcul mental.

L’IA doit donc rester un outil d’optimisation et non un substitut à notre intelligence. Elle peut faciliter l’accès à des connaissances complexes, mais c’est à nous de conserver la maîtrise des décisions finales.

L’enseignement face à l’IA

Nos systèmes éducatifs doivent rapidement s’adapter à l’intégration exponentielle de l’IA dans nos vies. Si l’école ne s’adapte pas en incluant dans l’enseignement les bases de l’IA et du numérique, les élèves vont sans nulle doute adopter une utilisation superficielle et paresseuse de ces outils, sans développer l’esprit critique et les compétences nécessaires pour en tirer une réelle valeur.

Pour inverser cette tendance, il est crucial d’intégrer l’IA aux programmes scolaires afin de former les jeunes à utiliser ces outils de façon critique et efficace. Cela implique bien entendu que les enseignants soient également formés à cet effet ce qui, à de rares exceptions près, est loin d’être le cas

Rejeter l’IA serait une erreur. Elle fait partie de notre futur, et il est essentiel de préparer les jeunes à l’utiliser avec discernement.

Les dangers de la surveillance de masse avec l’IA

Certains gouvernements et entreprises utilisent déjà l’IA pour surveiller et contrôler les individus. Ces outils peuvent enregistrer vos données, prédire vos comportements, et même influencer vos choix. En s’appuyant sur l’analyse de nos interactions (en ligne et hors ligne), l’IA peut ainsi créer des profils d’utilisateurs extrêmement précis et cibler nos habitudes, nos opinions ou encore nos vulnérabilités.Au-delà de la simple collecte de données, c’est l’orchestration d’une véritable « dictature de la pensée » qui se profile. Les algorithmes peuvent façonner l’accès à l’information (via les moteurs de recherche, les réseaux sociaux ou les recommandations de contenus). Cela finit par induire un biais cognitif en faveur de certains points de vue en étouffant toute dissidence ou critique.

Face à cette menace, il est crucial de mettre en place des garde-fous législatifs, éthiques et techniques mais cela n’est pas inhérent à l’IA. Il y a peu le régime où sévissait la Stasi n’avait pas attendu l’IA pour contrôler la population, mais il est vrai que l’IA facilite la tâche de la STASI 2.0 qu’est devenue l’UE.

Les clés pour maîtriser l’IA

Développez votre littératie numérique : Comprenez les principes de base des systèmes d’IA pour en évaluer les limites.

Restez critique : Ne prenez jamais les réponses de l’IA pour argent comptant. Recoupez toujours les informations,

interrogez plusieurs sources, Le doute est le point de départ de toute réflexion critique, car il incite à remettre en question les informations reçues au lieu de les accepter aveuglément. Il permet de tester la validité des faits, d’explorer différentes perspectives et de déceler d’éventuelles incohérences. En cultivant le doute, on développe un esprit plus curieux, rigoureux et indépendant. Attention ! UNE source n’est jamais une preuve en soi, car elle peut être biaisée, incomplète ou fausse. Pour établir une preuve, il faut systématiquement recouper plusieurs sources, analyser leur fiabilité et vérifier la cohérence des informations. Seule cette démarche critique permet de distinguer les faits avérés des simples affirmations ou opinions.

Protégez vos données personnelles : Limitez ce que vous partagez en ligne.

Utilisez l’IA comme un levier : Elle doit compléter vos compétences, pas les remplacer.

Préservez la prise de décision humaine : Gardez le contrôle sur vos choix et évitez l’automatisation aveugle.

Continuez à apprendre : Adoptez une posture d’apprenant permanent pour vous adapter à un monde en évolution. Prenez l’habitude de mémoriser les réponses exactement comme le fait un élève à l’école, ainsi l’IA vous enrichira intellectuellement.

Équilibrez humain et machine : Exploitez les points forts de l’IA sans renoncer à votre créativité et à votre intuition.

Lors d’un échange avec Idriss Aberkane, l’intervieweur lui disait : “Vous dites souvent qu’il faut toujours douter des informations reçues… Mais devrait-on également douter de ce que vous prétendez ?”, À cela il a répondu : “Mais bien entendu vous devez également douter de ce que je dis et vous devez le confronter à d’autres sources” .

Conservez toujours le “sens du questionnement”, ce que Alexis Haupt nomme le “moi-pensant”. Lorsque vous déléguez la recherche d’information ou l’analyse de données à un système d’IA, veillez à toujours comprendre la logique sous-jacente et gardez une distance critique. N’oubliez pas que l’IA ne pense pas, elle calcule et infère. Vous demeurez responsable des questions que vous posez et donc de l’interprétation des réponses et des décisions qui en découlent.

Un parallèle historique et un exemple concret:

Il y a soixante ans, les ingénieurs utilisaient des règles à calcul pour effectuer des opérations complexes. L’apparition de la calculatrice puis de l’ordinateur a changé la donne : ces outils ont libéré les esprits des tâches répétitives, permettant de se concentrer sur la conception, l’analyse ou l’innovation. Cela n’a pas pour autant supprimé les ingénieurs et les concepteurs, ils ont eux-mêmes évolué et le temps libéré peut être consacré à la recherche et la réflexion.

En aviation moderne tout le monde comprend que la sécurité et la vigilance y sont critiques. Cette réalité illustre bien les avantages et les limites des systèmes automatisés, un parallèle pertinent avec l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) dans d’autres domaines.

Les pilotes disposent d’une abondance d’informations provenant des instruments de navigation, des contrôles moteurs, et bien plus encore. De plus, ils sont assistés par une variété d’automatismes, tels que le pilote automatique, les approches automatisées ou encore le changement de fréquences automatiques. Cependant, ces automatismes, bien que très utiles, présentent aussi des inconvénients. Ces limitations sont régulièrement abordées lors des cours de gestion des ressources de l’équipage (CRM), afin de sensibiliser les pilotes à leurs impacts potentiels. Les inconvénients des automatismes c’est qu’ils peuvent réduire la vigilance des pilotes, les plaçant dans un état de semi-inattention dans lequel leur capacité à réagir rapidement est diminuée. En s’appuyant excessivement sur les automatismes, les pilotes risquent de perdre leur perception globale de la situation, un facteur critique pour prendre de bonnes décisions en cas d’urgence.

C’est exactement ce qui se passe, avec le danger immédiat en moins, lorsqu’on se laisse trop prendre au jeu de l’IA. Il importe de maintenir un équilibre humain-machine car les meilleures solutions émergent souvent d’une collaboration harmonieuse entre les humains et les intelligences artificielles.

Laissez l’IA effectuer les tâches pour lesquelles elle excelle (traitement massif de données, reconnaissance de schémas), et misez sur vos points forts humains, tels que la créativité, l’empathie, la capacité de jugement moral ou l’intuition. Ce partenariat doit demeurer complémentaire, et non un rapport de dépendance.

Préservez la capacité de prise de décision. Même lorsqu’une IA vous propose une recommandation, c’est à vous qu’incombe la responsabilité de la décision finale. Ne confondez pas les suggestions d’un algorithme avec une vérité absolue. En gardant le contrôle, vous évitez l’automatisation aveugle et garantissez que vos valeurs humaines, vos principes éthiques et votre propre expérience guident les choix que vous faites.

En résumé, l’objectif est de faire de l’IA une « collaboratrice » qui accroît vos performances intellectuelles, sans jamais vous déposséder de votre sens critique ni de votre liberté de pensée. Votre intelligence humaine reste, et restera toujours, l’élément clé pour donner du sens à ce que l’IA produit et décider de la meilleure façon de s’en servir.

Enfin, nous avons une responsabilité collective dans la manière dont l’IA est développée et utilisée. Cela implique d’encadrer son usage par des règles éthiques claires, de sensibiliser les utilisateurs aux dérives potentielles, et de veiller à ce que la technologie serve toujours les intérêts humains.

Comme le dit Idriss Aberkane, l’IA est avant tout le triomphe de notre intelligence. Si nous apprenons à la maîtriser, elle deviendra une alliée précieuse pour relever les défis du futur. Mais si nous laissons la peur ou l’ignorance guider notre relation avec elle, alors nous risquons de devenir les sujets d’une technologie que nous avons pourtant créée.

Conclusion

Maîtriser l’IA, c’est avant tout maîtriser notre propre rapport à la technologie. L’outil est entre nos mains ; à nous de l’utiliser avec intelligence et prudence. Ainsi, l’IA pourra enrichir nos vies sans jamais les dominer.

Lire la suite »
Articles

Trump, ou la cristallisation du vide européen

Les éditocrates de la RTBF ont mal dormi cette nuit, comme tous ceux des autres médias du pouvoir pétris de cette certitude d’être toujours dans le vrai. Ce matin, pour évoquer l’investiture de Donald Trump, étaient invités à la radio de la RTBF, les pires : Dorian de Meeûs et Béatrice Delvaux, respectivement rédacteur en chef du quotidien La Libre et éditorialiste en chef du Soir. C’est le premier qui s’était offusqué en avril 2020 quand j’ai posé ma question à la première ministre en conférence de presse, évoquant les conflits d’intérêts entre le gouvernement, les multinationales pharmaceutiques et les groupes d’experts. Il avait quelques heures plus tard partagé un tweet considérant ma question comme indigne d’une carte de presse. La seconde, ancienne stagiaire au FMI et préfacière du livre de feu le milliardaire Albert Frère, racontait partout que si les milliardaires du royaume rachetaient les médias, c’était uniquement par amour de la liberté de la presse.

Cela suffit pour saisir qui sont ces fabricants de fake news qui disent les combattre[note], ne détestant rien de plus que le vrai débat et qui du haut de leur piédestal viennent vous dire quand le peuple vote mal. Ils avaient été, sans surprise, des défenseurs zélés des mesures gouvernementales pendant le covid-19, dénigrant tous ceux qui pensaient autrement, préparant les sujets à ne voir la solution que dans le « miracle » de l’injection.

C’est un plaisir, une extase presque de voir une brèche dans leur continuité cinglante. De les voir se trémousser pour, en réalité, derrière des explications oiseuses, vomir les gens, le peuple ; de les voir tenter de se conforter, entre eux, pour maintenir l’illusion dont ils sont les architectes principaux, alors que leurs mensonges se révèlent au grand jour

Une chroniqueuse ira jusqu’à comparer ce matin sur La Première Trump et Musk à Staline et Hitler. Rien que pour cela, rien que pour cette haine qui suinte des rédactions aux ordres, rien que pour cette obligation qu’ils ont maintenant d’accepter le réel, le vote du peuple malgré la propagande médiatique inédite, s’étonnant que Donald Trump signe un décret reconnaissant la vérité biologique de deux sexes, rien que pour cette façon dont cela les secoue dans leurs certitudes, c’est un plaisir, une extase presque de voir une brèche dans leur continuité cinglante. De les voir se trémousser pour, en réalité, derrière des explications oiseuses, vomir les gens, le peuple ; de les voir tenter de se conforter, entre eux, pour maintenir l’illusion dont ils sont les architectes principaux, alors que leurs mensonges se révèlent au grand jour. 

On attend la suite, certain que le raz de marée américain ne secouera pas la caste médiatico-politique ici en Europe, mais au contraire la confortera dans sa certitude d’avoir raison, en prenant le contre-pied de l’administration Trump : quittant X et se lançant illusoirement dans ses propres réseaux sociaux européens, qu’elle n’a pas[note] ; finançant l’idéologie LGBTQIA+ et sa transmission scolaire et culturelle dès le plus jeune âge ; continuant la désindustrialisation de l’Europe et vendant au rabais ce qu’il lui reste ; persévérant dans sa logique « refugees welcome » au détriment d’un équilibre social indispensable et traitant de racistes tous ceux qui remettraient en question cette idée.

En tous cas, 2025 sera particulière, l’Europe continuant, s’il ne se lève pas un vent de révolte populaire contre la caste médiatico-politique, son déclin inexorable.

Lire la suite »

Programme Apollo : faux et usage de faux lunaire

Pour l’apprenti complotiste prêt à faire preuve de bonne volonté, mais qui tient tout de même à conserver quelques relations sociales, l’hypothèse que le premier homme sur la Lune (et les suivants) ait été le fruit d’un gigantesque canular est souvent le pas de trop. Le président Kennedy assassiné avec la complicité de son vice-président Lyndon B. Johnson : ça tient la route. Les tours jumelles du WTC ayant subi une destruction contrôlée par explosifs le 11 septembre 2001 : ça ne fait guère de doute. Mais l’alunissage du LEM le 21 juillet 1969 qui serait une imposture : y a quand même des limites au délire ! Et de fait, il est indéniable que remettre en cause le premier pas de l’homme sur la Lune ouvre des abysses inquiétants et fait perdre subitement à l’homme moderne l’aura que lui avait donnée son prétendu exploit d’être parvenu pour la première fois dans l’histoire de l’humanité à gagner le sol d’un autre astre que la Terre. Et d’ailleurs : les images existent ! Tout le monde les a vues ! Et puis les Soviétiques, c’est évident, auraient dénoncé les Américains en cas de supercherie ! Pourvu pourtant qu’on accepte de se pencher sur le sujet et on aura l’occasion de constater que non seulement le délire pourrait bien n’être pas là où on le pensait, mais qu’en outre, plus de 50 ans après l’impensable « exploit », les incessants retards et les difficultés immenses que rencontre le programme Artémis – programme supposé envoyer de nouveau des hommes sur la Lune d’ici 2026 – n’ont pas lieu de surprendre : le compte (technologique) n’y est toujours pas.

Dans la « course aux étoiles » qui va occuper l’URSS et les États-Unis entre 1957 et le milieu des années 1970, c’est l’Union soviétique qui prend rapidement les devants. Celle-ci enchaîne en effet les exploits : premier satellite artificiel en orbite (Spoutnik en octobre 1957), premier être vivant en orbite (la chienne Laïka en novembre 1957), premier survol de la Lune (sonde Luna 1 en janvier 1959) et premier vol orbital habité (Youri Gagarine dans le vaisseau Vostok 1 le 12 avril 1961). Le camouflet est immense pour les États-Unis et l’exemple est déplorable (du point de vue occidental), qui voit une économie planifiée dans le cadre d’un régime politique se réclamant du « communisme » supplanter le pays phare du capitalisme et de l’économie de marché.

Sous l’influence de son vice-président Lyndon B. Johnson, et contraint à la surenchère face aux exploits soviétiques, le président John F. Kennedy annonce le 25 mai 1961 l’ambition insensée des États-Unis de faire marcher le premier homme sur la Lune (et accessoirement de le ramener) avant la fin de la décennie. Figure de proue de l’idéologie du marché libre et héraut de l’entreprise privée à but lucratif, Washington n’en est pas moins pragmatique et confie le projet fou à son agence spatiale d’État, la NASA, créée par Eisenhower en 1958. Le programme est nommé Apollo et c’est à James Webb, administrateur de la NASA depuis février 1961, qu’est confiée la tâche de le mener à terme. Tâche immense, car, en moins de 10 ans, il va s’agir non seulement de concevoir les deux modules (module lunaire qui se posera sur la Lune et module de commande qui l’attendra en orbite lunaire), mais aussi la fusée capable d’envoyer une charge utile estimée à près de 50 tonnes.

De leur côté, les Soviétiques ne sont pas en reste et enchaînent les « premières » et les exploits : première sortie extravéhiculaire (18 mars 1965), première cartographie photographique de la Lune (18 juillet 1965), premier atterrissage dit « en douceur » sur la Lune (3 février 1966), premier satellite artificiel autour de la Lune (3 avril 1966), premier accostage automatique entre deux engins inhabités (30 octobre 1967) et premiers êtres vivants orbitant autour de la Lune et revenant intacts sur Terre (18 septembre 1968). Cette dernière mission, appelée Zond 5, est cruciale : elle doit permettre en effet aux Soviétiques de savoir si leur propre programme de vol habité lunaire est viable. La mission Zond 5 emporte un mannequin équipé d’un compteur de radiations et une « charge biologique » comptant deux tortues, des mouches, des vers de farine, des plantes, des graines et des bactéries. Par quoi cette « charge biologique » était-elle protégée et qu’ont découvert alors les Soviétiques ? La réponse se trouve dans les archives du programme spatial soviétique. Une chose est sûre : c’est à la suite de ces résultats que l’URSS abandonne toute ambition d’envoyer un être humain sur la Lune ou même de faire accomplir à ses cosmonautes une orbite lunaire, exploit dont elle paraissait pourtant toute proche. James Webb ne s’y trompe d’ailleurs pas, qui déclare que la mission Zond 5 est « la plus importante démonstration spatiale faite par une nation à ce jour ». Moins de 3 semaines après, l’homme qui tient à bout de bras le programme Apollo depuis bientôt 8 ans démissionne. Raison officielle invoquée : le président Johnson, à l’origine de sa désignation à la tête de la NASA, ne se représente pas et James Webb veut permettre au successeur de Johnson à la Maison-Blanche de désigner en toute liberté son propre administrateur au sommet de l’agence spatiale états-unienne. Singulière raison à vrai dire, d’autant plus que la démission de Webb intervient 4 jours avant le décollage de la mission Apollo 7, test crucial pour le programme Apollo tout entier 1 an et 10 mois après le terrible échec d’Apollo 1 (incendie au sol du module de commande et mort des trois membres de l’équipage) : il s’agit en effet de répéter en orbite terrestre les manœuvres qui devront être effectuées avec le module de commande en orbite lunaire. Or, c’est à partir de cette mission que les Américains enchaînent les exploits tous plus remarquables les uns que les autres.

Apollo 8, le 21 décembre 1968, voit le premier vol habité parvenant à se détacher de l’orbite terrestre. C’est également le premier vol habité à franchir les ceintures de Van Allen et le premier vol habité à se placer en orbite lunaire. Trois exploits absolument considérables ! Apollo 9, le 3 mars 1969, est une répétition générale en orbite terrestre avec sortie extravéhiculaire de 56 minutes et test pour vérifier la possibilité d’utiliser le module lunaire comme « radeau de survie » en cas de problème avec le module de commande. Apollo 10, le 18 mai 1969, aurait dû aboutir au premier alunissage humain, mais la NASA choisit de faire une dernière répétition grandeur nature, cette fois en orbite lunaire. Et Apollo 11 est évidemment la mission de tous les exploits, 9 mois après la démission de James Webb. Il s’agit en effet du premier vol habité parvenant à atteindre le sol d’un autre astre que la Terre, le 21 juillet 1969. C’est par ailleurs le premier alunissage du LEM, le module lunaire : un exploit accompli donc au premier essai. Et c’est bien sûr le premier pas d’un homme sur un autre astre que la Terre. Six missions lunaires supplémentaires suivront, dont une seule ne sera pas conduite à son terme : la treizième évidemment…

Très tôt cependant, des doutes surgissent concernant l’authenticité de l’exploit prétendument accompli par les ÉtatsUnis. En 1976 notamment, Bill Kaysing, un ancien officier de l’US Navy ayant travaillé pour la société qui construisait les moteurs F‑1 utilisés par la fusée Saturne V, fait paraître à compte d’auteur We never went to the moon : America’s Thirty Billion Dollar Swindle (« Nous ne sommes jamais allés sur la Lune : l’escroquerie américaine à trente milliards de dollars »). Des délires complotistes de toute évidence, car n’existe-t-il pas des images de l’alunissage que la planète tout entière ou presque a pu voir en direct ? Regardons toutefois les choses d’un peu plus près : ces images, que tout le monde a vues, peut-on vraiment les considérer comme une preuve irréfutable ? De très mauvaise qualité, ce qui en fait quelque part la crédibilité (elles sont supposées avoir franchi 400.000 kilomètres avant de parvenir à la Terre), elles auraient en effet pu être tournées n’importe où, et par exemple lors des entraînements en conditions « réalistes » des astronautes sur Terre (une soixantaine pour l’ensemble des missions Apollo), avant d’être diffusées en pseudo-direct. On sait également que, pour préparer la phase d’orbitage autour de la Lune, les Américains avaient construit une maquette de notre satellite très réaliste. Ce qui aurait pu leur permettre de produire des films tout à fait crédibles et à même de laisser croire qu’effectivement, le vaisseau d’où avait été prise la vidéo se trouvait bien en orbite autour de la Lune. Quant aux images photographiques prétendument rapportées de l’astre lunaire, elles sont elles-mêmes fort suspectes : non seulement parce que les températures extrêmes sévissant sur la Lune (150°C en dessous de zéro à l’ombre, 150°C au-dessus de zéro au soleil) rendent impossible l’usage de pellicules en milieu lunaire ; mais aussi concernant le module lunaire qu’on y voit et qui tient manifestement de la (mauvaise) maquette de cinéma, constituée de carton, d’aluminium et de bouts de scotch afin de faire tenir le tout. Rien qui, en toute hypothèse, n’ait été en mesure d’amener quelque astronaute que ce soit sur la Lune. Certains de ceux qu’on appelle les « debunkers » auront le culot de prétendre que le scotch était effectivement utilisé à la NASA parce que cela permettait de « gagner du poids » par rapport à de lourds rivets en métal : cela donne une idée du niveau de ceux qui prétendent nier que les missions Apollo ont un grave problème de crédibilité.

Mais les Soviétiques n’auraient-ils pas dénoncé la supercherie ? Encore aurait-il fallu qu’ils en eussent la preuve ! Pour donner une idée, le télescope spatial Hubble, mis en orbite en avril 1990 et qui possédait un miroir primaire de 2,4 mètres, était incapable de distinguer un objet inférieur à la taille d’un terrain de football sur la Lune. Il était donc absolument impossible aux Soviétiques de savoir si des hommes se trouvaient bien dans les modules envoyés par les Américains en direction de la Lune. Seuls les signaux radio émis par ces modules permettaient probablement d’en suivre la trace, sans aucune possibilité néanmoins de savoir s’il s’agissait de vols habités ou de sondes automatiques.

En somme, toute la crédibilité des missions Apollo repose sur ce qu’en ont donné à voir les Américains eux-mêmes : des images télévisées de qualité fortement dégradée dont les bandes originelles, selon la NASA elle-même, ont été détruites. Et les photographies à la résolution remarquable que tout le monde connaît. Mais ces films et ces photographies ne prouvent en vérité rien. Ni que les Américains sont allés sur la Lune, ni qu’ils n’y sont pas allés. La NASA peut après tout avoir voulu documenter les missions Apollo par des reproductions en studio précisément parce qu’il était impossible de réaliser des films ou de prendre des photographies dans l’espace. De sorte que c’est selon que l’on prête foi ou non à la parole de la NASA ou du gouvernement US que l’on peut avoir la conviction que les missions Apollo sont authentiques ou qu’au contraire elles sont un immense canular. Et, de ce point de vue-là, lorsqu’on connaît le rapport très particulier qu’ont toujours entretenu ou presque les gouvernements états-uniens avec la vérité, il ne paraît pas déraisonnable d’estimer que l’hypothèse d’une supercherie est a minima plausible. L’objectif assigné par Kennedy le 25 mai 1961, visant à poser un homme sur la Lune (et à le faire revenir…), était assurément insensé, mais tout laisse à penser qu’il fût d’abord pris au sérieux et que, pendant un temps du moins, la NASA et son administrateur James Webb cherchèrent véritablement à l’atteindre, dans les règles de l’art pour ainsi dire. L’incendie d’Apollo 13 toutefois, qui obligea à tout revoir et retarda le programme Apollo de 21 mois selon les propres dires de la NASA, a peutêtre révélé à quel point le délai imposé par Kennedy était proprement délirant, voire que l’objectif qui avait été fixé n’était simplement pas réalisable. Les Soviétiques s’y essayèrent, mais après le retour de la mission Zond 5 le 18 septembre 1968, qui visait notamment à effectuer des tests de radiation, ils abandonnent tout ou presque pour se concentrer sur des sondes automatiques (Venera 7, première sonde à atterrir sur une autre planète, Vénus, le 15 décembre 1970) et sur la réalisation de stations spatiales placées en orbite terrestre (Saliout 1, première station spatiale placée en orbite, le 23 avril 1971). Nous l’évoquions, eurent-ils alors la confirmation avec Zond 5 qu’il était impossible pour des hommes, du moins avec les technologies actuelles et celles qu’on pouvait anticiper dans un futur proche, de franchir les ceintures de Van Allen ?

Ces ceintures, rappelons-le, ont été découvertes par le scientifique Van Allen en février 1958 grâce au premier satellite artificiel américain Explorer 1 et au matériel de détection du rayonnement cosmique emporté à bord. Les valeurs de radiation étaient tellement hautes que le compteur Geiger omni-directionnel placé dans le satellite n’a pas été en mesure de les quantifier et fut continuellement saturé. Est-ce pour cette raison que, 10 années après, Webb déclara au sujet de Zond 5 qu’elle était « la plus importante démonstration spatiale faite par une nation à ce jour » ? A‑t-il eu alors des informations qui lui permirent de comprendre que le programme Apollo, en l’état et à court ou moyen terme, n’était pas réalisable ? Nous le disions : le 7 octobre 1968, soit 3 semaines après le retour sur Terre de la sonde Zond 5, James Webb démissionne du poste qu’il a occupé pendant presque 8 ans à la tête de la NASA ; à 4 jours seulement du décollage de la mission Apollo 7, mission qui va lancer la plus incroyable série de succès technologiques et d’exploration de toute l’histoire humaine et va faire la gloire tant de la NASA que des États-Unis.

Au-delà de l’explication ridicule liant cette démission au retrait de Johnson de la course aux présidentielles, certains diront peut-être que James Webb estimait qu’il avait accompli sa mission, que tout était en place pour la réussite du programme Apollo et que, faisant preuve d’une incroyable humilité, il décida de se retirer afin de ne pas accaparer les lauriers de la gloire. Explication alternative pour le moins peu convaincante elle aussi. Considérons plutôt une autre hypothèse. Dans le cadre de la guerre froide, il s’agit tant pour l’URSS que pour les États-Unis de prouver la supériorité de leur modèle économique : planifié pour les Soviétiques, libéral pour les Américains (mais dans les faits, le programme Apollo relève assurément de la planification sous contrôle d’une agence, la NASA, tout ce qu’il y a de plus étatique). L’enjeu est international : une domination nette des Soviétiques dans le domaine spatial démontrerait aux populations, en particulier celles des pays du tiers-monde, que le communisme est capable de conduire un pays au plus grand développement en un temps très court (il s’est écoulé 40 ans entre la fin du tsarisme en 1917 et le premier satellite artificiel envoyé en orbite en 1957, l’URSS ayant dû entre temps passer d’une économie principalement agricole à une économie industrielle et produire le plus grand effort de guerre de toute l’histoire humaine afin d’affronter l’essentiel des forces nazies durant presque 4 ans). Le premier pas d’un homme sur la Lune ne remettrait pas seulement les compteurs à zéro, il consacrerait définitivement les États-Unis comme le système économique et politique le plus efficient, à même de conduire l’humanité aux plus grands exploits. Mais les résultats de Zond 5 – et probablement des recherches faites sur le sujet par la NASA elle-même (les ceintures de Van Allen sont considérées comme l’un des problèmes majeurs à résoudre pour une mission humaine en direction de la Lune lorsque le programme Apollo est lancé, avant que peu à peu le sujet ne disparaisse dans les limbes) – entérinent l’impossibilité d’un voyage vers la Lune.

Le formidable objectif qu’avait fixé Kennedy 7 ans plus tôt, sur les conseils « avisés » de Lyndon B. Johnson, est inatteignable, du moins en l’état actuel de la science et des technologies disponibles. Webb est évidemment bien placé pour le comprendre avant tout le monde. Et pour en informer ses supérieurs. Que se passe-t-il alors ? Pour les plus hautes instances des États-Unis, il est impossible que le pays fasse marche arrière. Ce serait un camouflet immense. Il n’y a donc qu’une seule solution. Organiser le plus grand canular de tous les temps : faire croire à la réussite du programme Apollo. Tout est disponible en vérité. Les entraînements des astronautes en conditions aussi réalistes que possible ont impliqué de reproduire au mieux les conditions lunaires. On dispose d’une gigantesque maquette de la Lune. Des sondes automatiques peuvent également permettre d’obtenir des images de l’espace. Il n’est même pas nécessaire d’avoir prévenu auparavant les astronautes. On a pu faire répéter Neil Armstrong, Buzz Aldrin et Michael Collins comme s’il ne s’agissait que d’un entraînement, puis les placer devant le fait accompli. James Webb, pour sa part, ne veut pas couvrir une telle entreprise de mystification et démissionne. L’explication paraît farfelue ? En vérité, elle ne l’est que si l’on se persuade que jamais un gouvernement, et encore moins celui des États-Unis, n’aurait osé falsifier un tel événement et prétendre avoir accompli un si formidable exploit. Elle l’est beaucoup moins quand on connaît la capacité au contraire des gouvernements étasuniens à s’affranchir de toutes règles en matière de vérité lorsque les intérêts ou prétendus intérêts du pays sont en jeu.

Antoine Marcival, auteur de Index Obscurus, deux siècles et demi de complots, 1788–2022, Editions Jean-Cyrille Godefroy, 2024, 360 p, 26€.

Lire la suite »
Kairos Hebdo

Cécité journalistique — Hebdo 19/11/24

Ce journalisme qui voit du fascisme chez ceux qui osèrent critiquer les injections expérimentales Covid-19, mais des victimes de l’antisémitisme chez des hooligans d’extrême droite qui chantent à Amsterdam “Il n’y a pas d’écoles à Gaza parce qu’il n’y a plus d’enfants!”. Ceux qui se nomment les Maccabi Fanatics, sont connus pour leur racisme, injuriant un joueur israélien arabe du club, tabassant un citoyen en 2015 à Athènes, parce qu’il portait un keffier, ou en 2020 molestant des manifestants qui critiquaient la politique économique de Netanyahou. Ceux qui feraient bien des progroms pour les arabes, ont à Amsterdam arraché des drapeaux israéliens et agressé des chauffeurs de taxi arabes.

Lire la suite »
vous n'avez pas trouvé ce que vous cherchez ?

Rechercher à nouveau

Espace membre