Où sont les canaris ?

Je comptais vous parler de l’eau propre disponible dans la bande de Gaza : essayez de vivre avec 3 litres d’eau en moyenne pour boire, cuisiner, vous laver, nettoyer, etc. Au bout d’un certain temps, la vie vous quitterait. Vous n’avez pas d’autre choix que ‑vous devez- utiliser l’eau malpropre, dangereuse, où que vous la trouviez. Nous pourrions évoquer les épidémies en plein essor dans cette étroite bande de terre surpeuplée, les données apparaissent, mais également des 50 000 femmes enceintes dans ce lieu de promiscuité avec ses 160 accouchements par jour en moyenne « au milieu du chaos et des combats » nous dit l’UNFPA (Fonds des Nations Unies pour la population). Quelle espérance pour celles-là et leur nouveau-né ?

Ce sera pour une autre fois. La question que je me pose aujourd’hui : pourquoi assoiffer, affamer, supprimer les sources d’énergie (gazoil, électricité), détruire les capacités aux soins (les hôpitaux qui ne se sont pas encore effondrés ‑déjà 1/3 d’entre eux et les 2/3 des cliniques de soins primaires‑, sont en cours de l’être, selon les organisations internationales). Des journalistes comme Seymour Hersch, et ce n’est pas le seul, essaye d’y répondre : il s’agirait d’éradiquer une population de ses lieux de vie, notamment par ces moyens, en provoquant in fine le déplacement ailleurs des survivants. L’énormité des habitations rendues inhabitables (51% selon l’estimation de sources palestiniennes), et des personnes déjà déplacées en interne dans la bande de Gaza (environ 1 400 000 personnes sur 2 200 000 personnes à l’intérieur d’une surface aussi restreinte de 40x10 km), donne le vertige et du poids à ceux-là. Vrai, faux, l’avenir nous le dira.

Derrière ces questions, je pense légitime, peut-on factualiser cela ?

J’ai réalisé quelque chose de simple, une courbe sur plusieurs jours, des morts et des blessés, afin d’examiner si les choses s’aggravent, restent stables ou s’améliorent. Tout simple et visuellement parlant.

Les choses s’aggravent, surtout pour les enfants. Alors que les courbes de morbidité (blessés) maintiennent une pente assez constante, les courbes de mortalité connaissent une réelle augmentation. N’oublions pas que ces chiffres cachent l’indicible. Les enfants sont comme les canaris dans une mine : ce sont les premiers à mourir. Cela signe un affaissement grave de la santé publique, dont les systèmes de santé, dans la bande de Gaza. Et ceci donne de la valeur aux écrits et dires des Seymour et bien d’autres. Un cessez-le-feu humanitaire immédiat est une nécessité absolue, c’est d’ailleurs ce que répète avec force le secrétaire général de l’ONU.

Graphiques construits à partir des données publiées par le Ministère de la santé de l’Autorité palestinienne et de l’OCHA (United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs). Entendons-nous bien, les producteurs de ces chiffres disent que c’est « au moins », c’est-à-dire uniquement celles et ceux qu’ils peuvent comptabiliser.

Christophe de Brouwer

Full-professeur honoraire et ancien président de l’École de Santé publique de l’Université libre de Bruxelles. (25 octobre 2023)

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