La technocratie entend prendre la direction absolue des affaires du monde. Sa volonté de tout contrôler, de tout rentabiliser en étendant le marché aux moindres recoins des activités humaines, atteint des sommets de démesure. Cette soif de conquête de tous les territoires où tente encore de se réfugier un peu d’humanité se traduit de mille façons, mais il est une technologie qui matérialise de manière exemplaire cette volonté de domination totale : la cinquième génération des standards pour les télécommunications par voie hertzienne (sans fil), l’omniprésente 5G, dont on pourrait voir les antennes émettrices s’installer partout.
On vous le dit, on vous le répète, on vous l’assène sans relâche : vous êtes morts d’impatience de voir arriver cette 5G, car avec elle vous pourrez, en une ou deux secondes, télécharger un film sur votre smartphone (que vous mettrez une heure et demie à visionner). Non ? Cela voudrait-il dire que vous n’êtes pas encore un esclave de l’addiction aux technologies de l’hyperconnexion ? Soyez sans crainte, on va tout faire pour que vous succombiez à cette autre épidémie…
L’ennui avec ces gens qui veulent rester sourds au chant des sirènes du progrès techno-scientiste sans limites, c’est qu’ils organisent des résistances qui freinent l’expansion du modèle néolibéral. Ainsi, il y a ces électro-hypersensibles qui développent des symptômes plus ou moins lourds et qui sont toujours plus nombreux suite à l’intensification de l’omniprésent bain d’ondes électromagnétiques. L’OMS qualifie ces gens qui souffrent de victimes d’« intolérance environnementale idiopathique attribuée aux champs électromagnétiques » (IEI-CEM). L’important est le mot idiopathique qui signifie « maladie ou symptôme dont on n’a pu attribuer la cause ». Même s’ils ont des symptômes bien réels, on dira que cela ne vient probablement pas de la 5G ou autres ondes électromagnétiques, que c’est « dans leur tête »… Des hypocondriaques à confier aux psys donc. Notre système immunitaire, particulièrement précieux en ces temps pandémiques, sera lui aussi dans la tourmente des ondes. Et encore toutes les autres oppositions à la 5G pour des raisons de santé seront écartées, avec la même bonne vieille technique des semeurs de doute : les promoteurs de l’hyperconnexion généralisée ont assez de moyens pour trouver les scientifiques mercenaires qui décrédibiliseront les études montrant les graves dangers sanitaires d’un excès d’ondes électromagnétiques. Même si des centaines de scientifiques signent des pétitions adjurant d’appliquer le principe de précaution, rien n’y change : la mégamachine a lancé son offensive 5G et, comme pour le tabac ou l’amiante, fera tout pour cacher le plus longtemps possible les dégâts sanitaires que ce « progrès » causera.
Mais il y a aussi celles et ceux qui ne veulent pas d’un modèle de société où l’humain ne sera plus autonome mais dirigé, materné, infantilisé par des algorithmes et des machines qui feront tout à sa place. Ceux-là ont compris que la 5G est un outil indispensable à l’extension de la société de contrôle total et de domination technocratique au service des puissants. Les promoteurs de la 5G feront donc tout pour décrédibiliser ces gens un peu trop lucides à leur goût et ils ne lésineront pas sur les moyens. On va traiter ces résistants de passéistes, d’obscurantistes, de bio-conservateurs. Mais comme leurs arguments sont rationnels et bien argumentés, ils convainquent de plus en plus de personnes qui apprécient d’autres valeurs que le toujours plus de la confortable dépendance aux technologies. Nos apprentis-sorciers électro-magnétiseurs imaginent donc une habile manipulation : on fera dire aux opposants ce qu’ils ne disent pas. Ainsi, s’ils s’interrogent sur l’utilisation de la 5G pour tracer tout un chacun et, notamment ces temps-ci, les potentiels porteurs de virus du Covid-19, on insinuera qu’ils disent que la 5G est la cause de l’épidémie. Comme ils ont le contrôle des médias dominants, ce mensonge sera diffusé largement et le bon peuple croira que ces opposants sont décidément des farfelus qu’il ne faut pas écouter…
Malgré cette stratégie bien orchestrée par les multinationales qui sont derrière cette adoration pour la 5G, le consensus souhaité n’a toujours pas lieu. On use donc aussi de l’argument utilisé par les transhumanistes : « D’accord, ce que nous vous proposons n’est pas très bien, mais si nous ne le faisons pas, les Chinois perfides ou les milliardaires étatsuniens de la Silicon Valley vont nous devancer dans la course à la domination mondiale et nous serons largués et deviendrons des “colonies numériques” ». Cet argument est rabâché par le docteur Folamour Laurent Alexandre et par le « sociologue des réseaux » Manuel Castells qui, l’an dernier déjà, se réjouissait de l’arrivée de la 5G, et proposait une idée géniale pour faire front à la « Chimerica » : « Et pourtant, les possibilités sont immenses. Pourquoi ne pourrait-on pas profiter de la 5G pour développer en Europe ce qu’on appelle l’État-providence ? » (Le Soir, 19 juin 2019). Sans paraître s’en inquiéter, il avouait plus loin que le cocktail d’ondes ira « jusqu’à la saturation maximale » ! Comme pas mal de nos concitoyens n’ont guère envie d’adopter les modes de vie autoritaires de l’Empire du Milieu ou du chacun pour soi de chez l’Oncle Sam, cet argument ne convainc guère, lui non plus. Quant à retourner hypothétiquement à l’État-providence, voilà bien un argument de vente aussi démagogique que peu souhaitable, tant cette forme politique historique a aussi joué son rôle dans l’avènement de la civilisation industrielle et bureaucratique que nous connaissons et subissons.
Reste donc la ruse et la force. Face à une opinion publique de plus en plus rétive au discours mensonger des prophètes du bonheur par la soumission aux techniques imposées sans qu’on demande l’avis aux citoyens, il faut avancer vite. On crée donc des comités d’avis qui conseilleront les politiques. Ceux-ci seront composés d’experts scientifiques qui, tiens quel hasard, viennent en majorité des multinationales qui promeuvent la 5G. Et comme les politiques sont rarement des scientifiques, ils seront facilement bernés et accepteront de laisser libre cours à ceux qui promettent beaucoup d’emplois via la croissance de nouveaux objets : voitures électriques autonomes, milliards d’objets connectés qui, grâce à l’« indispensable » 5G, délivreront les stupides humains de toutes les tâches un peu concrètes qu’ils doivent encore effectuer. Tous seront des rois… fainéants.
Réalisant que plus les citoyens seront informés, et plus ils refuseront la 5G et son monde, ces promoteurs essaient d’appliquer en urgence la technique de La stratégie du choc décrite par Naomi Klein : profiter du désarroi des populations lors d’une crise (ici la pandémie à Covid-19) pour avancer subrepticement leurs pions. Ainsi, l’IBPT (Institut belge des services postaux et des télécommunications) essaie de faire adopter des normes « provisoires » permettant la 5G, alors que seul un gouvernement de plein exercice peut le faire. De même, Proximus voulait lancer dans 30 communes des « expérimentations » de quasi-5G en modifiant quelque peu la 4G. Heureusement, Louvain-la-Neuve, suivie par d’autres, a interdit cette manœuvre frauduleuse, faisant reculer l’indélicat opérateur téléphonique… dont l’État belge est l’actionnaire majoritaire. Les sociétés sans scrupules, ça ose tout, c’est à ça qu’on les reconnaît.
Face à la capacité d’amplification des contre-vérités que sont la publicité et les médias intégrés dans le système technicien, les opposants à cette pointe émergée de l’iceberg de l’impérialisme technologique qu’est la 5G ont une voix bien peu entendue. Ils n’ont que des faits et des arguments (scientifiques, politiques, éthiques) étayés à opposer au rouleau-compresseur des promesses fallacieuses des marchands d’illusions connectées qui ne sont que des sbires au service du productivisme le plus débridé. Ce sont ces faits que vous trouverez détaillés dans les pages qui suivent.
Alain Adriaens et Bernard Legros
La date de réception ultime des paiements était le 15 juin 2020. Après cette date, les abonnements débutent avec le Kairos 45, qui sera envoyé la semaine du 22 juin.