« Personne n’a le droit de posséder ce dont dépend la vie d’autrui — que ce soit d’un point de vue social, moral ou écologique. Et personne n’a le droit de concevoir, d’utiliser ou d’imposer à la société des technologies privées capables de nuire à la santé humaine ou à celle de la planète. »(1)
Murray Bookchin
La domestication des masses est une caractéristique des dissociétés libérales de l’après-guerre. Au XXe siècle, les totalitarismes s’en prenaient aux corps par les déportations, la torture et les assassinats de masse. Il s’agissait d’ailleurs là moins de domestiquer que de briser et terroriser. Dans les démocraties techno-libérales, les détenteurs du pouvoir assoient leur domination en appliquant des recettes douces, « démocratiques », manipulatrices et au bout du compte plus efficaces. C’est ce que le journaliste libéral Walter Lippman appelait la « fabrique du consentement ». Cela n’empêche que ces mêmes États peuvent manier le bâton quand il le faut, comme ce fut le cas avec les gilets jaunes éborgnés ou amputés. Cependant, les autorités risquent toujours un retour de flamme au cas où la victime aurait l’idée de porter plainte. Bref, mieux vaut utiliser les ressorts de la psychologie pour arriver à ses fins et faire advenir un soft power indolore, inodore, invisible, une réalité culturelle mainstream déjà accomplie de l’autre côté de l’Atlantique et en passe de se concrétiser en Europe(2).
Quelles cordes les propagandistes ont-ils jusqu’à présent titillées ? À partir des années 1950, quand l’économie était à la reconstruction et que l’individualisme venait de passer à la vitesse supérieure, la liberté individuelle devint cette vache sacrée que tous les gouvernements occidentaux se targuaient de préserver et même de doper au moyen des possibilités sans cesse croissantes de la consommation. Les rares tribulations sanitaires, comme l’épidémie de grippe asiatique H3N2 de la fin des années 1960, ne la bousculèrent pas fondamentalement. Pas touche à ma bagnole, à ma maison quatre façades et à mes vacances, disait aux quatre vents le petit-bourgeois gentilhomme. À côté de la liberté individuelle, la santé se positionne comme une deuxième corde, capable de phagocyter la première. Le bon sens dit qu’elle est la condition de tout le reste (ce qui n’est pas entièrement faux). En son nom, les transhumanistes avancent leurs pions. Au moyen de la convergence NBIC(3), ils promettent à terme l’éradication de toutes les maladies, la prolongation de la vie, voire la « mort de la mort ». C’est la médecine curative portée à ses extrémités. Parallèlement, ils cherchent à « augmenter » toutes les facultés humaines (physiques et mentales). C’est la médecine méliorative. La pandémie de coronavirus a encore fait bouger les lignes. Cette fois-ci, les experts n’en appellent plus seulement à la préservation de la santé, mais de la vie elle-même. Selon le professeur Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique Covid-19 en France, la priorité absolue est de sauver des vies… quitte apparemment à y sacrifier tout le reste. Ainsi assurait-il au journal de France 2 que même après le déconfinement, il s’abstiendrait d’aller rendre visite à ses petits-enfants. André Comte-Sponville lui répondait indirectement sur France-Inter en indiquant, à la suite de Hannah Arendt, qu’« éviter de contracter le Covid-19 ne peut pas devenir le but de notre existence ». Une société qui n’a plus d’autres préoccupations que la simple survie biologique de ses membres, dont la rationalité ne serait plus consacrée qu’à la préservation de soi, serait une société en déclin(4) à laquelle je ne serais pas fier d’appartenir. Et la liberté ? Et les besoins de l’âme ? Et les relations humaines ? Ça ne compte plus ?
Que vient faire la 5G dans tout cela ? Francis Leboutte a montré dans son article qu’elle est potentiellement source de diverses maladies. Le faire remarquer ou simplement (se) poser des questions est de suite taxé de « complotisme »(5) par les représentants du pouvoir qui montent en épingle l’idée fausse, répandue sur la Toile, que la 5G serait la cause de la pandémie de Covid-19. Nonobstant toutes ces inconnues, et au mépris du timide principe de précaution, nos dirigeants embrigadent la 5G dans l’objectif sanitaire, pour l’imposer plus aisément à l’opinion publique. « Ces infrastructures sont critiques pour sauver des vies en cas d’urgence. Il faut éviter de nouveaux incidents », déclarait Paul van Tigchelt, le patron de l’Ocam au Soir (18 mai 2020), à propos du sabotage d’une antenne GSM liée au déploiement de la 5G dans le Limbourg. La « stratégie du choc » (ou « capitalisme du désastre ») s’installe en Belgique. Allons-nous arriver bientôt à « une société super intégrée, une société du spectacle et du super contrôle au nom de la survie collective et individuelle, de l’écologie et de la santé. Bref, le fascisme écologique et ordinaire(6) » ? Si vous n’êtes pas d’accord avec ce programme, « il convient de s’opposer fermement aux promesses de la santé intégrale, instrument pernicieux de normalisation des conduites et de dépossession de toute forme d’autonomie sur nos existences(7) ». Et donc d’estimer que sauver quelques vies grâce à la 5G en en sacrifiant des millions d’autres silencieusement n’est pas une option valable.
Bernard Legros
- Murray Bookchin, Une société à refaire, Écosociété, 1989/1993, p. 275.
- La Chine, quant à elle, présente un mélange aussi étrange qu’inquiétant de soft power (crédit social, surveillance électronique) et de réminiscences dictatoriales du XXe siècle (peine de mort, déplacements de populations).
- Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et science de la cognition.
- S’il vous plaît, ne m’accusez pas d’être un décliniste façon Zemmour ou Baverez !
- Un terme qui revient à la mode ces temps-ci.
- Jean-Paul Malrieu in Céline Pessis (dir.), Survivre et vivre. Critique de la science, naissance de l’écologie, L’Échappée, 2014, p. 298.
- Renaud Garcia, Le sens des limites. Contre l’abstraction capitaliste, L’Échappée, 2018, p. 234.