5G ET ÉCOLOGIE

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À l’heure des manifestations pour le climat et les partis de tous bords semblent s’accorder, dans les discours, sur une réduction des émissions de gaz à effet de serre, les décision prises par les politiques indiquent plutôt une course folle vers toujours plus de croissance, notamment technologique. Alors que certains osent faire croire au potentiel écologique de la 5G, elle s’avère en fait un gouffre anti-écologique à travers le déferlement technologique qu’elle entraîne.

DE QUEL IMMATÉRIEL PARLE-T-ON ?

Le numérique n’a rien de virtuel ou d’immatériel. Il nécessite toute une infrastructure contenant entre autres des câbles terrestres et sous-marins en cuivre, des gigantesques data centers, des bornes wifi (la 3G consomme 15 fois plus d’énergie que le wifi, 23 fois plus pour la 4G)… À chaque technologie son lot de désastres environnementaux. L’extraction de quelques dizaines de métaux rares nécessite le recours aux énergies fossiles, le gaspillage d’énormes quantités d’eau, la destruction d’espaces naturels et le déversement de produits chimiques, sans parler des dégâts sanitaires et sociologiques sur les populations locales. Le numérique est en train de devenir le cœur de la catastrophe écologique. « Derrière le numérique, il y a l’extractivisme et le renouveau de l’industrie minière mondiale. En plus des métaux traditionnels, dont l’exploitation est redoublée, il faut extraire de manière massive et exponentielle des matières nouvelles et des terres rares, le lithium, le tungstène, le germanium… Cette fièvre extractive provoque des catastrophes écologiques en chaîne qui se produisent surtout loin des consommateurs du Nord(1) ».

Alors que l’impact environnemental des TIC(2) semble connu dans les milieux écologistes et militants, la propagande du Green by IT, l’utilisation « responsable » du numérique à des fins « écologiques », perdure : l’optimisation par les outils et services numériques seraient facteurs d’efficacité et de sobriété. La transition écologique, vue par les pouvoirs en place (étatiques et industriels) s’avère être une opération de greenwashing, opérant quelques aménagements par-ci par-là, et externalisant toujours plus les coûts écologiques de la technique, rendus invisibles par la délocalisation de la production industrielle (extraction, pollutions, déchets). Ce déferlement technologique se fait au mépris des peuples, de leur santé, des communs.

Au Pérou, le gouvernement met tout en œuvre pour favoriser les multinationales d’extraction de cuivre, alors que la population souffre de pénuries en eau et que le pays est parmi ceux, avec le Mexique et le Chili, qui comptent le plus de conflits miniers. L’essor des TIC explique, selon Apoli Bertrand Kameni(3), « le déclenchement, la fréquence et la poursuite des conflits politiques et armés en Afrique » ces 30 dernières années. L’extraction de tantale, de germanium, de cobalt en République démocratique du Congo, ne sont pas pour rien dans les conflits qui rythment l’ancienne colonie belge.

DES MÉDIAS PLUS QU’ENTHOUSIASTES

En 2020, les technologies numériques représentent plus de 4 % des émissions de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique. C’est deux fois plus qu’en 2007. Cette pollution provient du fonctionnement d’Internet (transport et stockage des données, fabrication et maintenance de l’infrastructure du réseau) et de la fabrication de nos équipements informatiques. L’extraction des minerais à la base des équipements numériques et des objets connectés détruit un peu plus chaque jour des écosystèmes entiers et les conditions de vie des communautés qui vivent à proximité des sites miniers. Internet, vu comme un bien public par certains responsables politiques, connaît un essor pour des usages pourtant loin d’être essentiels. Alors que le streaming vidéo représente 60 % des flux de données, les promesses de la 5G, loin d’être immatérielles et sans impact donc, nous font entrer dans une ère du tout connecté, concernant véhicules, montres, mobilier urbain, caméras de surveillance, mais aussi bétail (à quand le bétail humain ?). C’est déjà le cas dans certaines entreprises et là aussi le Covid-19 permet certaines applications auxquelles les pires régimes répressifs n’ont même pas songé.

Au-delà du capitalisme qui nous pousse à la consommation, l’idéologie de l’innovation pour l’innovation est promue du matin au soir par les industriels, les médias et la classe politique. Il faut passer au réseau 5G « parce qu’on peut le faire ». Nous ne savons pas pour quoi, mais nous en avons besoin, c’est certain. Pour quels usages et dans quelles finalités, la question semble impossible à prendre en compte. Pour en savoir plus sur les affaires du monde, la lecture des médias économiques s’avère très riche en informations. Les médias vaguement de gauche sont souvent en retard d’une guerre et, en matière de technologies, les industriels ont souvent plusieurs longueurs d’avance. Il suffit de lire, par exemple, cet article de l’Usine digitale : « Covid-19 : Le déploiement de la 5G à la peine en Europe, la Chine et les États-Unis en avance sur leur calendrier. Les spécialistes des télécoms tirent la sonnette d’alarme quant à l’important retard accumulé par les États européens en matière de déploiement de la 5G. Si certains ont décidé de renvoyer l’attribution des fréquences à des jours meilleurs, la Chine et les États-Unis ont poursuivi l’installation des infrastructures au cours de la pandémie de Covid-19. De quoi soutenir la reprise de leurs économies respectives après la crise sanitaire(4) ».

Du côté des médias alternuméristes(5), la confusion domine : « La 5G cristallise beaucoup des craintes liées au numérique. La technologie promet l’hyper-connectivité. Elle est aussi vendue comme un moyen d’absorber la très forte croissance du trafic de données, de mails, de vidéos, etc. Or, beaucoup de voix commencent à s’élever contre cette hausse du trafic et prônent au contraire une sobriété numérique, plus adaptée à la transition écologique(6). » Telle est la conclusion d’un article de média tendance style jeunes branchés écolos. Cette conclusion pourrait se trouver également dans un média généraliste car la fameuse transition écologique, vers laquelle tout le monde se dirigerait main dans la main – industriels, politiques et sages citoyens –, s’avère être l’horizon indépassable, de l’extrême gauche à l’extrême droite. Pourtant, cette transition qui mélange climat, numérique et écologie s’avère de la part de ses promotteurs tout à fait complémentaire des technologies intrusives et des nuisances qu’elle provoque. « Elle inquiète, mais a‑t-on raison de détester la 5G ? » Le titre de l’article résume à lui seul le contenu du texte. Rendre sérieux les arguments en faveur de la 5G, puis décrédibiliser ceux des opposants et finir par une conclusion qui laisserait entrevoir une critique.

Au-delà des nuisances environnementales multiples – les mouvements « alternatifs » l’oublient souvent –, l’écologie consiste également dans la recherche d’autonomie. Or, ce glissement auquel nous assistons en période de stratégie du choc permis par la crise sanitaire du Covid-19 mène droit vers davantage de répression, de contrôle de populations et de gestion à travers des outils technologiques. Ce dont les capitalistes rêvaient, le Covid-19, l’a rendu possible. Le collectif Écran total et Ecologistas en Accion(7), le relevaient dans un texte commun, cette crise globale pose la question de « la dépendance des peuples envers un système d’approvisionnement industriel qui saccage le monde et affaiblit notre capacité à nous opposer concrètement aux injustices sociales. Il faut comprendre que l’informatisation va à l’encontre de ces nécessaires prises d’autonomie : le système numérique est devenu la clé de voûte de la grande industrie, des bureaucraties étatiques, de tous les processus d’administration de nos vies qui obéissent aux lois du profit et du pouvoir. »

Robin Delobel

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