Kairos n°34

Mai 2018

Ceux qui défont — et font — les Fake News

Celui qui a le pouvoir de décréter quelles informations relèvent ou ne relèvent pas du domaine des Fake News a, a priori paradoxalement, également celui de créer les Fake News. Maîtrisant la capacité de dire ce qui est ou non vérité, ce qui a eu lieu ou non, et les réseaux de communication pour le dire, il peut propager toutes les idées qui lui servent, sans avoir à s’en justifier. Dans ce processus, les contradictions et les faits n’ont pas d’importance, il suffit de dire. L’énonciation se suffit à elle-même et, comme émanant de dieu, la parole se fait vérité. Qu’importe donc si les faits ne sont pas avérés, si des témoignages prouvent le contraire de ce qui est dit, si la concordance de temps rend la chose impossible, ou si une absence complète de logique dans l’action reprochée à l’ennemi rend celle-ci tout à fait incohérente et improbable.

Dans ce nouveau mode de production de la réalité, où l’on feint de lutter contre la désinformation alors qu’on en est le principal agent, le passé n’a aucune sorte d’importance et ne peut rien nous apprendre. Certes, on célèbre le Soldat inconnu où l’on commémore les génocides et hécatombes passés, mais jamais on ne tire d’enseignement de l’histoire pour ne pas la répéter. Les mensonges ayant justifié les interventions occidentales en Irak et en Libye, une fois rendus publics, ne tempèrent nullement les velléités guerrières des gouvernants et des médias qui leur sont indispensables pour préparer l’opinion.

Les indignations ici sont sélectives. Rien ou presque quand les snipers de Tsahal tirent sur les Palestiniens comme des pigeons(1) ; silence sur les crimes de masse au Yémen, orchestrés par l’Arabie saoudite ; peu sur les morts et destructions de « l’Armée syrienne libre ». Humanisme intéressé, où il s’agit de sélectionner les victimes dignes d’intérêt et, s’il faut, inventer des faits pour stimuler émotivement la population. Les anciens amis deviennent très vite des tyrans, dès lors qu’ils ne se plient plus au diktat occidental. Les amis qui le demeurent, et donc obéissent, eux peuvent continuer à tyranniser leur peuple : tant que le commerce se fait, on fermera les yeux.

Le pire peut-être, dans cette formidable amnésie organisée, est que ce sera dans les journaux les plus conservateurs des médias de masse, que nous pourrons parfois lire les analyses les plus pertinentes parmi le fatras de désinformation.(2) Sans oublier d’où ils parlent, ce qu’ils disent sur la plupart des sujets et leur propagande classique qui les identifie aux autres médias de masse, nous ne manquerons toutefois pas de reconnaître, s’il y a lieu, la pertinence épisodique de leurs propos. Mais l’honnêteté intellectuelle comme ligne de conduite à suivre nous enjoindra d’apprécier également l’ineptie de certaines productions, alors même qu’elles émanent de médias considérés comme alternatifs.(3)

Alexandre Penasse

Notes et références
  1. « Controverse sur la vidéo d’un sniper israélien », Le Figaro, 10 avril.
  2. Par exemple, l’article du Figaro, que relaie le site les-crises.fr : https://www.les-crises.fr/pourquoi-la-france-ne-doit-pas-sassocier-aux‑f…
  3. https://www.mediapart.fr/journal/international/140418/un-avertissement‑p…?

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