De quoi demain sera-t-il fait ?

Nous n’y arrivons pas : l’État répressif accentue son emprise, ferme nos lieux de socialité, met au pas l’Université, attaque la culture, interdit les promenades en forêt(1) ou les réunions non digitales, masque les élèves dès six ans… Face à une telle déferlante de caractère de plus en plus ouvertement dictatorial, où se situe la difficulté actuelle qui nous empêche de nous exprimer contre l’État et ceux qui tiennent les médias — entre autres — sans être traités de « complotistes(2) » ?

À un moment du raisonnement — nous ne parlons ici que des raisonnements qui s’appuient sur des faits incontestables par le pouvoir lui-même, tels que le budget de la Santé comparé à celui de l’armée, ou la croissance de la dette du pays —, il « manque » quelque chose. Nous allons dire ici ce qu’il manque, notamment dans le discours des scientifiques critiques qui osent s’exprimer et qui, hélas, se cantonnent à leur seul domaine de compétences. Comme si l’adversaire, lui, les cantonnait à leur domaine de compétences : en traitant Alexandra Henrion-Caude ou Jean-François Toussaint de conspirationnistes, le Pouvoir — l’État, les médias dominants mais aussi le qu’en-dira-t-on des réseaux prétendument sociaux — les propulse dans un autre domaine d’expertise que le leur : la politique, tout simplement. Or, les scientifiques s’auto-bâillonnent de peur de déborder de leur domaine d’excellence. Laissant ainsi un boulevard à leurs adversaires, ces experts sont précipités dans le chaudron du rejet médiatique pour cause de conspirationnisme, ce qui anéantit toute discussion.

Pourtant, il n’est pas si difficile de nous engager sur le véritable champ de bataille, qui n’est pas celui de la pandémie, ni d’ailleurs celui du vaccin ou de l’imposition de la 5G. Si la politique actuelle se limitait à cela, pourquoi donc l’État profiterait-il de la pandémie et du confinement pour imposer des lois liberticides, une mise au pas extrêmement musclée de l’Université, une attaque sans précédent dans les derniers trois quarts de siècle contre la culture ? Nous avançons ouvertement — et non pas « à bas bruit » comme le pensent encore certains qui ne veulent pas voir la réalité en face — vers un régime de type dictatorial, dont la seule nouveauté réside dans le fait qu’il prend pour prétexte une pandémie et qu’il se construit sous un régime dit républicain en utilisant ses « faiblesses » du point de vue de la démocratie. L’origine du virus, chauve-souris, pangolin, Institut Pasteur, laboratoire P4 de Wuhan ou autre, ne nous intéresse strictement pas. Car ce qui nous menace est bien plus important, bien plus inquiétant aussi : une crise de Valeurs — nous écrivons ce mot avec une majuscule et nous allons nous en expliquer —, crise fondamentale, infrastructurelle, dont nous sommes les jouets et les victimes.

En effet, ce qui se joue désormais n’est pas une crise sanitaire. Ce n’est même pas seulement une crise politique, économique ou financière. Une « crise de civilisation », entend-on parfois, mais le terme est erroné, car de quelle civilisation peut bien naître une telle crise ? Une civilisation si destructrice que nous ne nous inquiétons pas, pour notre part, de sa disparition. Nous ne vivons rien moins qu’une crise fondamentale des Valeurs qui font qu’une société existe et tient, qu’elle respecte le vivant et les individus qui la composent. Nous prenons le mot « Valeur » au sens précis que lui a donné Gérard Mendel : « Est Valeur à notre sens seulement ce que la progression du déconditionnement à l’Autorité aura permis d’asseoir collectivement » (Pour décoloniser l’enfant, 1971).


Or, il se trouve que personne, dans ce débat, n’est « déconditionné vraiment à l’Autorité ». Ne parlons pas de ceux qui exercent le Pouvoir pour notre plus grand malheur, puisque eux en sont obsédés et amoureux, de cette Autorité. Parlons des scientifiques qui pensent que leur autorité n’a de sens que reliée aux compétences reconnues qu’ils ont dans leur domaine. Mais non ! Ces experts devraient plutôt, une fois qu’ils ont mis en évidence les incohérences gravissimes du Pouvoir dans la gestion de la crise, dépasser cette limite qu’ils s’imposent et dire, non pas n’importe quoi, non pas des prédictions sur l’avenir qui sont un piège pour tout le monde, mais ce que montre la convergence des décisions prises, en matière de pandémie et dans d’autres domaines. Que sont ces décisions ? Vers quoi convergent-elles ?

Survie digitale


Interdiction de fait d’un lien direct, durable et quotidien avec le vivant (campagne, forêts, mer, montagne) par le biais des limitations aux déplacements ; réduction des relations sociales à des connexions digitales (fermeture des lieux de socialité comme les cafés, interdiction des réunions hors visioconférences, incitation à l’utilisation toujours plus poussée des réseaux prétendument sociaux…) ; quasi-annihilation de la culture non digitale ; mise au pas et digitalisation de l’Université ; distanciation sociale (mais pas la bonne, qui serait « Distancez-vous d’un Maître ! »…) ; progrès considérables de la virtualisation de la monnaie (généralisation du paiement sans contact, qui signifie une acceptation d’un contrôle total sur nos échanges), et ainsi de suite : nous sommes tous au courant de cela. Le point commun se dit : tous vers la survie digitale.

La gestion de la pandémie n’a donc pas pour but d’imposer la 5G ni un vaccin qui ne sont que des épiphénomènes d’une politique beaucoup plus profonde : l’attaque contre des Valeurs porteuses d’émancipation, attaque par l’imposition de relations entre les êtres digitalisées, par le biais du smartphone notamment. Il s’agit d’une attaque frontale contre notre vie sociale, notre culture, notre capacité à penser, notre lien avec le vivant. En effet, le vivant ne s’est jamais accommodé de la distanciation, une notion qui n’a aucun sens dans la vie quotidienne. La distanciation sociale, le confinement, le port du masque sont plusieurs aspects d’un programme politique et éthique unique : la réduction de notre vie à une survie qui serait viable à travers la digitalisation de toute relation (à autrui, à la culture, etc.). La biosécurité est entrée dans nos vies, et voudrait nous contraindre à élever la survie au rang de valeur sociale. À partir de là, c’est à chacun.e d’entre nous de prendre ses responsabilités, et d’assumer sa part du refus, la plus importante possible et surtout toujours en extension (la part du colibri est fort sympathique, mais s’en tenir là n’est pas à la hauteur des défis que nous pose un pouvoir très oppressif, telle que l’est devenue la prétendue démocratie républicaine). Plusieurs stratégies politiques, sociales, éducatives et culturelles sont valables, de la pétition pour l’ouverture des commerces non digitaux (meilleur paradigme que celui de savoir si tel commerce est ou non essentiel) jusqu’à l’organisation d’un refus massif du port du masque par les personnes saines, par exemple, ou à la dénonciation de la politique réelle qu’impose le pouvoir dans l’école, dans la rue, etc.

L’année 2020 aura enfin discrédité les stratégies collapsologistes, lesquelles n’ont produit que du découragement, ainsi que, bien entendu, les partis politiques traditionnels. Mais du défaitisme subsiste, qu’il faut dépasser. Le vide devant lequel nous nous trouvons produit, chez nous, un effet de sidération dont nous commençons peu à peu à sortir. Cette fois, il s’agit de cesser d’avancer dans les mauvaises directions. L’axe ne peut être que de contrer, par tous les moyens nécessaires et selon toutes les stratégies de fond, cette tentative de destruction des Valeurs qui structurent notre désir d’émancipation et de liberté, afin de retrouver les libertés factuelles (de se déplacer, se réunir, etc.) nécessaires à ce processus d’émancipation. Max Stirner écrivait, dans L’Unique et sa propriété,que l’insurrection « entraîne comme conséquence inévitable le renversement des institutions établies […] ; elle est l’acte d’individus qui s’élèvent, qui se redressent, sans s’inquiéter des institutions qui vont craquer sous leurs efforts ni de celles qui pourront en résulter ». Soulevons-nous donc, et ne faisons pas que nous indigner, car cela est désormais insuffisant.

Notes et références
  1. Entre le moment de rédaction de l’article et sa publication, les règles sanitaires en France ont été assouplies; la distance à laquelle on peut s’éloigner de son domicile étant maintenant de 20 kms en France et ce pendant 3 heures maximum.
  2. Cette analyse, qui porte dans ce cas, le lecteur l’aura compris, sur le France, est plus détaillée dans deux ouvrages, actuellement en recherche d’éditeurs : Face à la digitalisation de nos vies, par Raúl César Arechavala et Ph. Godard, et Chroniques secrètes de Davos, de 2013 jusqu’à demain, par R. Duffour et Ph. Godard. Le premier est un essai, le second un pamphlet ; dans les deux cas, nous développons l’idée que rien n’est joué, à condition de jouer sur les bons tableaux.

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