
Ce texte prolonge le débat sur la décision médicale et sanitaire qui avait été initié autour de l’Evidence-based-medecine (EBM) avec la carte blanche intitulée : « le rôle de la formation des médecins et de l’épistémologie médicale dans la crise de la Covid 19 ». Discussion qui s’est poursuivie au sein d’une deuxième carte blanche, centrée – comme son titre l’indique – sur une critique du principe de précaution : « Principe de précaution ou « risque du blâme » ? » A suivi l’interrogation sur la déstructuration du système de santé au regard de l’incapacité à reconnaître les ressources propres à celui-ci, question introduite avec une troisième carte blanche : « Globalité, partenariat, autonomie en santé. Quand l’urgence balaie tout, mais révèle l’essentiel ! ». Toujours sur notre fil épistémologique, nous avons ensuite abordé la question des émotions dans la formation médicale : « Crise de la Covid et intelligence émotionnelle : le maillon manquant ». La cinquième carte blanche intitulée : « De l’âme végétative par temps de Covid » a permis d’ancrer cette dimension psychologique dans nos corps, rompant avec toutes formes d’idéalisme. Une sixième carte blanche : « Danser avec la Covid » nous a introduits dans le domaine des capacités imaginatives et créatrices, possible voie d’individuation dans un monde médical mécaniciste et de plus en plus robotisé.
Cette septième et dernière carte blanche vient clôturer cette réflexion sur le fil reliant l’épistémologie, la médecine et la crise de la Covid 19.
Par(1) :
- Florence PARENT, médecin, docteur en santé publique, coordinatrice du groupe thématique « Éthique des curriculums en santé » de la Société internationale francophone d’éducation médicale (SIFEM).
- Fabienne GOOSET, docteur en lettres, certifiée en éthique du soin.
- Manoé REYNAERTS, philosophe, membre du groupe thématique « Éthique des curriculums en santé » de la Société internationale francophone d’éducation médicale (SIFEM).
- Helyett WARDAVOIR, master santé publique, membre du groupe thématique « Éthique des curriculums en santé » de la Société internationale francophone d’éducation médicale (SIFEM).
- Dr Isabelle François, médecin et psychothérapeute, membre du groupe thématique « Éthique des curriculums en santé » de la Société internationale francophone d’éducation médicale (SIFEM).
- Dr Benoit NICOLAY, médecin, anesthésiste-réanimateur, micro-nutritionniste.
- Dr Emmanuelle CARLIER, médecin, pédiatre.
- Dr Véronique BAUDOUX, médecin généraliste.
- Jean-Marie DEKETELE, professeur émérite de l’UCL et de la Chaire UNESCO en Sciences de l’Éducation (Dakar).
Elle n’a pas dit peur
« Ma grand-mère, debout avant mon grand-père, posait devant moi un grand bol de café avec des bouts de pain et me demandait si j’avais bien dormi. Si je lui racontais quelque mauvais rêve né des histoires de mon grand-père, elle me rassurait toujours : « ne t’en fais pas, dans les rêves, il n’y a rien de vrai. » Je me disais alors que ma grand-mère, même si elle était très savante elle aussi, n’arrivait pas à la cheville de mon grand-père, lui qui, couché sous le figuier, avec, à ses côtés, son petit-fils José, était capable de mettre l’univers en branle juste avec deux mots. Ce n’est que bien des années plus tard, alors que mon grand-père avait déjà quitté cette terre et que j’étais devenu un homme, que j’ai fini par comprendre qu’en fin de compte ma grand-mère croyait aussi aux rêves. C’est assurément ce que signifiait le fait, qu’un soir, alors qu’elle était assise devant la porte de son humble maison, où elle vivait désormais toute seule, à regarder les étoiles, grandes et petites, elle ait prononcé ces mots : « Le monde est si beau, et ça me fait de la peine de mourir. » Elle n’a pas dit peur, elle a dit peine de mourir, comme si la vie de labeur pénible et continu qu’elle avait eue recevait, à cet instant presque ultime, la grâce d’un suprême et dernier adieu, la consolation de la beauté révélée. Elle était assise devant la porte d’une maison comme je ne crois pas qu’il y en ait eu d’autre au monde, car y avaient vécu des gens capables de dormir avec les cochons comme s’ils étaient leurs propres enfants, des gens à qui cela faisait de la peine de quitter la vie juste parce que le monde était beau, des gens comme ce fut le cas de mon grand-père Jeronimo, porcher et conteur d’histoires qui, sentant que la mort venait le chercher, était allé dire adieu aux arbres de son jardin, l’un après l’autre, en les serrant dans ses bras et en pleurant parce qu’il savait qu’il ne les reverrait plus.(2) »
Vous parlez de spiritualité, mais je vous croyais athée…
Relativement à la crise qui nous frappe, nous considérons l’existence, et, l’exigence d’un Kairos.
« Le kairos est le temps du moment opportun. Il qualifie un intervalle, ou une durée précise, importante, voire décisive. Dans le langage courant, on parlerait de point de basculement décisif. Le kairos est donc « l’instant T » de l’opportunité : avant est trop tôt, et après trop tard.(3) »
C’est celui que nous introduisons, de façon évidemment osée, et en même temps raisonnée, par le biais d’André Comte-Sponville(4).
« Mais la spiritualité peut aussi bien jaillir d’une découverte, d’une joie, d’une extase. André Comte-Sponville préfère parler d’« enstase » pour décrire celle qu’il a vécu un jour en forêt. Il marchait avec des amis, quand soudain sa conscience s’est élargie à l’univers entier. Tout est devenu simple, limpide et beau, sans séparation ni ego. Plus tard pour en parler, il a utilisé l’expression de l’écrivain Romain Rolland : « sentiment océanique ». Mais sur le coup, il n’y avait plus ni concepts ni mots. Son mental s’est dissout pour laisser la place à une jubilatoire présence. André Comte-Sponville en parle comme d’une » expérience spirituelle que tout le monde n’a pas la chance de vivre “. Après une conférence, un monsieur l’interrompt : « Vous parlez de spiritualité, mais je vous croyais athée… ». Le philosophe lève un sourcil : « J’ai une spiritualité parce que je cultive ma vie intérieure. Je suis athée parce que je ne crois pas en une transcendance divine – même si je me sens proche, par exemple, de l’éthique des Evangiles » ».
J’ai une spiritualité parce que je cultive ma vie intérieure
Cette introduction avec ce philosophe Spinoziste permet de cibler cette nécessaire reliance « intériorité – extériorité », propre à la spiritualité.
Or, une telle reliance n’est, in fine, pas si éloignée de nous. Elle rejoint la prise en compte et la conscience de nos « âmes multiples », celles qu’avec Aristote nous avons reprises : l’« âme végétative » (carte blanche 5), l’ « âme sensible » (carte blanche 4 & carte blanche 6) et l’ « âme intelligible » (carte blanche 1 & carte blanche 2).
Il ne s’agit de ‘rien d’autre’ qu’un élargissement de nos propres facultés, permettant (pour paraphraser le film de Fabienne Berthaud avec Cécile de France) « Un monde plus grand ».
« La Totalité, le Tout, le Monde et le Réel est à portée de main, mais à la distance de ce que l’on peut appeler capacité, aptitude, faculté. Le Tout est juste là, devant soi, derrière soi, en soi. Si près et si loin, à distance de nos sens comme l’esprit du corps du Centaure. Dans le regard au patient, dans le regard au soignant, dans la technicité du toucher et la sensibilité de la voix, s’imprègne au corps un rapport.(5) »
Le Centaure fait référence ici à « La métaphysique du Centaure », métaphore qu’utilise le philosophe Eugen Fink(6) afin de rendre compte d’une compréhension de l’homme, dans la tradition judéo-chrétienne, comme étant constitutivement déchiré entre des aspirations contraires. C’est-à-dire que l’homme occuperait une position intermédiaire entre le divin (Pure – Idée — rationalité) et le bestial (animalité — instincts – désir — corporéité — irrationalité). Une telle perspective est en proximité immédiate avec le platonisme(7) dans lequel la pensée dualiste de Descartes, et de notre modernité, s’est structurée.
Revenant à la définition d’un « Kairos », nous précisons : « Il [Kairos]) est la condition de l’action réussie et il nous apprend que, paradoxalement, la réussite tient à presque rien. Si celui-ci est si difficile à définir, cela vient aussi de ce qu’il relève du « presque rien » ».
Ce « presque rien » pourrait-il être, aujourd’hui, l’élargissement de nos consciences ? Un « presque rien » car non mesurable, chiffrable, objectivable – et donc méprisable ? ‘Seulement’ l’invisible d’un processus d’intégration de toutes nos âmes aristotéliciennes, comme mode de gestion des crises à venir : tel serait l’apprentissage de la Covid, notre Grand-mère à tous. Et, celle-ci de préciser : « Je dis bien à Tous, car je parle d’abord au masculin(8) qui n’entend pas le féminin ‑le subtile- en lui ».
Ainsi, ce XXIe siècle, si d’aucuns le pensent religieux par suite des extrémismes dont il est pourvu, d’autres le songent spirituel, rejoignant en cela le fameux débat dont philosophes et spécialistes des religions discutent sans fin, à savoir, l’exactitude de la phrase prononcée par Malraux.
« On m’a fait dire : « Le XXI e siècle sera religieux. » Je n’ai jamais dit cela, bien entendu, car je n’en sais rien. Ce que je dis est plus incertain : je n’exclus pas la possibilité d’un événement spirituel à l’échelle planétaire.(9) »
Ouvrir notre mental à l’ensemble de nos ressources
Selon notre investigation tout au long de ces cartes blanches qui ont ponctué une période de cette crise sanitaire, une voie critique(10), constructive et apprenante, directement dépendante du levier éducatif, serait celle qui propose de reconnaître la complexité inhérente de la vie et d’user de l’ensemble de nos ressources en tant que capacités conscientes. Il est évident qu’il s’agit d’une perspective à long terme dont l’utopie est proportionnelle à la superficialité de nos politiques, experts, médecins et gestionnaires de cette crise, dont le peuple, paradoxalement électeur, en est aujourd’hui, emblématiquement ‘otage’.
Otage de la superficialité !
Nous rejoignons en cela l’inquiétude de Nietzsche pour le 21eme siècle quand il dit, tel que nous l’avons déjà souligné dans la carte blanche précédente (carte blanche 6) : « Descartes était superficiel ».
Sortir des coordonnées cartésiennes
Il y a, en effet, une nécessité à aller plus en amont dans un débat qui se situe au cœur des sciences cognitives afin de redonner la légèreté de la pesanteur à, comme le nomme Charles Melman(11), l’« homme sans gravité », celui dont le rejet du « réel » au profit du « virtuel » a fait perdre son ancrage au sens même d’une perte de la gravitation. Cependant l’enjeu pour atteindre une telle compréhension, et, par la suite, la mettre en œuvre, exige précisément une visée d’interdisciplinarité. Ceci afin de permettre au questionnement scientifique de rejoindre le questionnement philosophique(12) si urgemment nécessaire face au constat de rétrécissement, telle une peau de chagrin, de la boucle « corps-esprit-monde ».
Comment faire quand nos médecins — ceux-là même que nous avons construits et formatés au sein de nos propres cités et facultés, ne sont pas formés à une telle attitude : celle de percevoir les limites de leurs connaissances et de s’ouvrir à d’autres modes de pensées, de coopérer et de travailler en réseau, en interdisciplinarité et en interprofessionnalité, afin de dépasser l’organisation disciplinaire en silos de nos facultés, savoirs et structures mentales.
Élargissons, élargissons !
C’est nécessairement reconnaître l’importance de l’ensemble de l’agir au nom de tous les verbes d’actions – aimer comme prescrire- dont cet agir peut rendre compte.
Parvenir à un « agir transdisciplinaire » ‑condition d’une intelligence collective- et, qui plus est, en intégrant la perspective partenariale du soin (carte blanche 3), est directement dépendant de notre « agir » — de notre manière de nous mettre en mouvement — d’incarner le verbe d’action(13) — dont nous sommes en quelque sorte perpétuellement prisonniers.
Aucun savoir ne nous en délivrera sans en passer ou repasser par la case de l’expérience et d’un travail de réflexivité attentif, fortement conscient des enjeux d’enfermements, en toute humilité.
De l’essentialité de l’expérience consciente
Hannah Arendt le dit exactement, mais autrement, quand elle parle du procès d’Eichmann… Elle avait notamment relevé qu’il refusait de parler de son expérience, de s’en souvenir… car cela impliquait de donner sens à celle-ci, d’en faire autre chose… sortir alors du processus (protecteur) de « banalité du mal » ce qui poserait dès lors les conditions de l’empathie… et aurait grippé la machine totalitaire…
Cependant, dans un nœud de Möbius de plus en plus étriqué, grondent avec Descartes les voix sourdes aux nourritures affectives dont notre Raison a besoin (tel que nous l’avons argumenté dans notre carte blanche 4) : « je me suis efforcé durant toute mon existence de mettre tous les affects de côté dans le cadre de ma vie professionnelle.(14) » disait encore récemment un médecin et professeur de médecine, pédagogue facultaire de surcroit. Gardien d’un temple !
L’impératif catégorique(15) : la sortie de crucifixion et l’épistémologie de la reliance
« En faisant ce choix, on postule un certain rapport au réel particulièrement intégrateur et complexe. Celui-ci présuppose l’absence de dualisme ontologique (la problématique de la séparation « corps-esprit » en philosophie de l’esprit). En effet, il intègre, au domaine cognitif, un domaine sensoriel, corporel, de même que l’absence de dualisme conceptuel (séparation « émotion-raison »). […] Une forme d’horizontalisme de l’« agir » apparaît (« voir » est autant valorisé que « analyser », « raisonner », « toucher », « sentir », « méditer », « créer », « diagnostiquer », « appliquer » etc.) sans hiérarchisation de valeur entre les différentes activités. Toute activité en provenance du réel défini comme monde sensible et en mouvement possède une même valeur.(16) »
Avec Mauriac, c’est considérer que : « Rien n’est dans notre intelligence qui d’abord ne fut dans nos sens ».
« Être mort de peur »
Définition : ressentir une peur oppressante, une grande frayeur.
Origine de l’expression : Cette expression a vu le jour au cours du XIXe siècle et repose sur l’observation de certains anthropologues, ces derniers ayant retrouvé des cadavres d’humains apparemment morts de peur. Ces morts faisaient partie de sociétés ayant une croyance en la malédiction.
Échange sur la crise sanitaire (entre adeptes de la navigation), glané sur un réseau. Avril 2021.
- « Rien ne sert d’avoir peur(17). Surtout maintenant. Peur de quoi ? Peur de qui ? L’état, avec l’aide des médias, nous atteint directement sur une partie sensible de notre personne. Ne vous laissez pas faire. Restez maître de vous-même ».
- Non, ils ne nous atteindront pas. Rien ne sert d’avoir peur pour être prudent. Bien au contraire on sait tous en prenant l’exemple de nos navigations que la peur fait perdre les moyens et nous empêche d’avoir les comportements adaptés à la réalité. Nous savons aussi que seul(e)s nos sens(ations) nous apportent les informations dont nous avons besoin. »
Et, si, pour paraphraser Emmanuel Kant, « on mesur[ait] l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter » ? Il est indéniable que la peur paralyse la pensée et qu’il est urgent de reconnaître que l’intelligence est en effet multiple, faite de capacités émotionnelles et sensitives autant que d’intelligibilité (carte blanche 4), permettant cette ouverture première au Monde palpable autant qu’impalpable et invisible.
Une « épistémologie de la reliance », inclusive de l’épistémologie positiviste (carte blanche 1), mais non réduite à celle-ci, est l’impératif catégorique qui devrait être assigné urgemment, avec cette crise sanitaire, aux facultés de médecine, au nom d’une responsabilité sociale qui leur incombe(18).
C’est aussi, et uniquement, une telle visée qui nous prémunit contre un mal du siècle, celui d’une pensée moderne, qui, en produisant de nouvelles connaissances, devient à certains égards, plus ignorante. En effet, comme le souligne Maryvonne Charmillot dans un article consacré à ce sujet(19), en excluant l’expérience vécue (celle propre au jugement réfléchissant) « des chercheurs et des chercheuses dans la recherche de la vérité, reproduisent des savoirs hégémoniques et empêchent les actrices sociales et les acteurs sociaux de penser par eux-mêmes et elles-mêmes. Ce questionnement est travaillé à travers l’examen de la production de l’ignorance. Il s’agit de saisir comment le cadre conventionnel scientifique dominant participe à la fabrication de l’ignorance. En contre-point aux critiques formulées à l’égard de l’hégémonisme épistémologique occidental, l’article présente des alternatives qui incarnent une manière de produire de la connaissance à partir des interactions sociales, des groupes d’appartenance ou des ancrages institutionnels : « épistémologie sociale », « épistémologie de la résistance », « épistémologies libératrices », « épistémologies du Sud », « épistémologie du lien » ».
Une révolution constructive à venir
L’imaginaire et la créativité, à la fois voies de sortie pour les individualismes et autres mécaniques de rivalités constitutives de nos démocraties et conditions d’émergence d’un processus global d’individuation, sont les pavés de la révolution constructive à venir.
Cette notion d’individuation, qui trouve dans les écrits de Nietzsche une expression originale, est fondamentale. Elle rejoint le fait que nous sommes des êtres « irremplaçables » pour paraphraser le titre de l’ouvrage de Cynthia Fleury(20). L’individuation c’est l’enjeu de l’émergence du Sujet dans sa plénitude ‑qui le différenciera de l’individu‑, rencontrant ainsi cette critique radicale du mythe de Narcisse par Fabrice Midal dont on propose un extrait de son ouvrage :
« Tout ce que l’on dit sur Narcisse est faux. Narcisse n’est pas égoïste. Il n’est pas amoureux de lui-même. Il est l’exemple de ce qu’est un être responsable. Un être adulte. Un acquiescement à la vie. Rejeter Narcisse, c’est rejeter une force dont nous avons besoin. […]. Le vrai narcissisme, c’est se tourner non vers une image mais vers soi. Narcisse ne comprend pas qu’il est la cause de l’image qu’il voit et qui le fascine. Il ignore que le reflet qu’il contemple est son reflet. Il ne sait pas assez qui il est. Nous faisons souvent cette erreur. Nous nous identifions bien souvent à l’image qu’on nous renvoie de nous-mêmes qu’elle soit flatteuse ou au contraire dépréciative. Pour Plotin être narcissique, ne signifie donc pas être obsédé par soi-même, être nombriliste, indifférent aux autres, ou encore manipulateur. Le narcissisme n’est pas envisagé comme une tare psychologique, mais comme une méprise sur notre nature propre. Il désigne l’attitude d’égarement sur ce que nous sommes au sens le plus fondamental. Narcisse n’est donc nullement le symbole de la perversion égotiste, mais il symbolise l’être trop ingénu. Narcisse est un naïf, et cette naïveté, nous n’avons pas à la condamner, mais à nous en délivrer. Et c’est là le rôle de la philosophie.(21) »
Le Gai savoir(22)
Car de Erving Goffman(23), à James Ensor(24), en passant par « l’homme masqué de 2020(25) », nous restons inconnus à nous-mêmes et notre agir reste à dévoiler sans cesse, afin de se rapprocher de l’être-en-nous, et parvenir à comprendre sa créativité destructrice et constructrice.
C’est ainsi que dans notre perspective d’une pédagogie par compétences(26), la définition de celle-ci reprend, à ses fondements, cette vision masquée de nos êtres, afin de mieux réguler son action, en tentant de comprendre son(propre) agir.
En effet, une compétence n’existe pas a priori, en tant qu’universelle, généralisable ou prédéfinie. Elle appartient à chaque Sujet empirique individuel, s’élabore en contexte et devrait permettre de rendre compte du processus transactionnel à l’œuvre, explicité par l’utilisation de la métaphore du « nœud de Möbius ». Ainsi, évaluer ou juger une personne ou une situation (problème), c’est comprendre, d’abord, le contexte et les interactions de (pouvoirs sur) l’agir. Nous sommes loin de la perspective d’un Sujet autonome, autoengendré et autarcique tel que certaines définitions (ou usages) de la compétence peuvent le suggérer. L’ouverture donnée aux situations, incluant leurs dimensions normatives et techniques, mais également aux différentes formes de l’agir, permet de se rapprocher de la définition de la notion de capacité habilitante développée par exemple en philosophie critique chez Ferrarese(27).
« Au sein même du corps médical, on entend bien des discours contradictoires. Les médecins ne sont pas d’accord entre eux. Et pour cause : deux écoles proposent une méthodologie différente. Il y a ceux qui estiment que la médecine doit être une science exacte basée sur des « preuves », l’Evidence Based Medecine (EBM)(28). D’autres défendent la médecine observationnelle, basée sur la compétence clinique, sur l’expérience et le partage des résultats empiriques entre médecins.(29) »
Cet extrait ci-dessus et celui qui suit, par le retour au premier mouvement sur l’EBM (Carte blanche 1) qu’ils nous offrent tandis qu’on clôture cet ensemble de cartes blanches, permettent de se rendre compte du chemin parcouru et du fait que « c’est moins simple, car il y a une différence énorme entre les essais cliniques qui portent sur des cohortes de patients et qui offrent des données statistiques, et la vraie vie de la médecine, où l’on soigne non pas une cohorte de patients, mais quelqu’un. »
Et cette différence c’est celle qui existe entre un jugement déterminant et un jugement réfléchissant, différence subtile — ESSENTIELLE — développée au cœur de ces cartes blanches.
Mais attention… !
… ce même article précise « L’EBM est un moyen d’enseigner la médecine et non pas de la pratiquer », et c’est là selon nous que le bât blesse, le plus.
Aussi…
…un coupable de cette catastrophe sanitaire semble être déniché !
Il se trouve dans la compréhension fine de l’enjeu pédagogique et d’apprentissage, de formatage de nos corps et de nos esprits. Il se trouve également, plus en amont, dans une réflexion critique quant aux fondements épistémologiques et ontologiques de nos choix de sociétés, rejoignant en cela des noms aussi connus que Freinet, Montessori, Freire, Illich, Whitehead, Dewey….
Selon le type d’enseignement et surtout comme nous l’avons vu, suivant l’épistémologie mise en œuvre, on aboutira à deux situations. D’une part, un rétrécissement neuronal et corporel de nos êtres-au-monde s’enfermant progressivement dans le seul jugement déterminant, fondé, qui plus est, sur une logique positiviste de la preuve (EBM) et se sécurisant par la norme et le protocole. La compétition avec le robot devenant alors rude pour l’humain. D’autre part, a contrario, l’élargissement neuronal et corporel de nos êtres-au-monde dont seul le « Gai savoir » de Nietzsche pourra en préciser les limites. C’est bien deux mondes différents qui se construisent.
Assurément, nous reprenons à notre compte la clarification développée par Folscheid, selon laquelle : « la médecine n’est […] ni une science ni une technique, mais [bien] une pratique soignante personnalisée, accompagnée de science et instrumentée par des moyens techniques (30)», c’est-à-dire une praxis.
Elle n’a pas dit peur, elle a dit peine de mourir
Seule une telle perspective intégrative permettra l’ouverture nécessaire à la peine du monde et non à sa peur, en référence au texte de José Saramago en introduction à cette carte blanche. Alors seulement pourra être assumé ce qu’avec nous, nombre de cartes blanches et d’appels demandent : une multidisciplinarité dans l’usage de la science.
« Enfin, devant la situation d’inconfort dans laquelle se trouve celui qui doit fonder ses décisions sur quelque chose d’aussi parcellaire que l’état actuel des connaissances autour de ce virus, il serait incompréhensible de se priver de la multidisciplinarité que nous offre la science pour contextualiser chacune de ces décisions en fonction de son impact global sur la société, et non plus de sa seule influence supposée sur la propagation du virus.(31) »
Se connecter, ou du moins s’ouvrir à l’ensemble de nos ressources, dont nos capacités réflexives et critiques, c’est réaliser, ou au moins comprendre, cette reliance, ce continuum « corps-esprit-monde ». Seul ce dernier nous permettra d’arrêter le discours hégémonique du « changement de la planète », pour commencer à penser « mutation de nos esprits » et donc de nos Agirs, rejoignant en cela, également, la transition nécessaire à la gestion de la crise écologique. En effet, comment muter en faveur de Gaïa – notre Terre Mère, sans d’abord changer notre rapport personnel à la Nature, dont nous sommes parties constituantes ? Mais nous sommes piégés dans nos propres constructions mentales, tel le chameau dans son désert(32)…
« First of all, as it is suggested, reflexivity starts off with preconceived assumptions of binaries rather than investigating how boundaries or binaries are produced through the methodology itself (33)».
Sur un plan épistémologique, il s’agit de reprendre tout à zéro, plutôt que de viser le risque zéro.
Nous voyons à quel point l’enjeu de cette crise est, avant tout, épistémique(34). Et ceci quels que soient les opportunismes économiques et politiques cumulés au terreau initial que représente notre monde médical, parcellarisé et fragmenté. En rupture ontologique.
Cette hypothèse est celle qui confronte la crise de la Covid aux ambiguïtés épistémologiques de la prise de décision dans le monde médical et sanitaire. En effet, si les causes sont complexes et diverses, il semble qu’un dénominateur commun et critique émerge de notre modernité, scindant le « groupe humain » profondément. Cette rupture provient de l’idée selon laquelle nous, en tant qu’êtres humains, grâce à la science et à la technologie, pouvons mettre la nature entre nos mains. Eh oui, toujours « comme maîtres et possesseurs de la nature… ».
« Le progrès, la foi au progrès, le fanatisme du progrès, c’est le trait qui caractérise notre époque, qui la rend si magnifique et si pauvre, si grande et si misérable, si merveilleuse et si assommante. Progrès et choléra, choléra et progrès, deux fléaux inconnus aux anciens.
Le progrès, c’est ce vent qui, de tous les points à la fois, souffle sur la plaine, agite les grands arbres, ploie les roseaux, fatigue les herbes, fait tourbillonner les sables, siffle dans les cavernes et désole le voyageur jusque sur la couche où il comptait trouver le repos(35) »
C’est là que le bât blesse du moins pour ceux qui aspirent à l’émancipation plutôt qu’au réductionnisme. Singer le robot, ce tout technique et technologique, nous réduit en une boucle de plus en plus serrée, bien loin de l’élargissement nécessaire à une vie plus spirituelle.
Nous laissons à Nietzsche le soin de faire la synthèse.
De l’individu à l’individuation
« Mais ce que montre la psychologie de la volonté de puissance, c’est que le destin des pulsions ne se réduit pas à cette alternative : dominer de manière tyrannique, ou se voir anéanties. La psychologie nietzschéenne décèle encore la possibilité d’un troisième mode d’existence et de manifestation pour les instincts (…) : la « spiritualisation ».(36) »
En proximité avec le Bouddhisme, la spiritualité Nietzschéenne s’en écarte toutefois par le choix de la « sagesse tragique » plutôt que de l’apathie et l’anesthésie pyrrhoniennes(37) : « Les hommes ont cru, durant des millénaires, que leur vie avait un sens déjà défini, que venant au monde, ils venaient au sens. Ils découvrent que ce n’est pas le cas. De là l’angoisse et la déréliction nihiliste : si Dieu est mort « n’errons-nous pas comme à travers un néant infini ? » Mais, corrélativement à ce néant de sens, l’« homme héroïque » découvre l’immensité de sa liberté. Il se découvre créateur, donateur de sens ; il s’émerveille. Créer ce qui a de la valeur, même si cela est assuré de périr, non pas même pour le plaisir, car profonde peut-être la douleur du créateur, ou dure la peine, mais pour la beauté de la chose même en soi, voilà qui semble un défi à sa mesure, digne de son nouveau courage. »
Deviens ce que tu es !
« Que dit ta conscience ? – « Tu dois devenir celui que tu es. » Nul n’aura davantage fait sien le précepte de Pindare que Nietzsche, qui le cite souvent tout au long de sa vie, jusqu’à en faire le sous-titre de son autobiographie, Ecce Homo : « Comment l’on devient ce que l’on est ». Inactuel, Nietzsche traverse opiniâtrement la modernité à rebours pour aller chercher auprès de la Grèce présocratique ou de la Renaissance italienne l’exaltation aristocratique des individualités fortes et des puissances du devenir. Ce geste répond à une véritable inquiétude au sujet de la civilisation, à une « détresse du présent » …(38) ».
C’est celle de la perte du potentiel d’individuation, de diversité et du particulier quand l’idéologie du sens, qui est celui de la technoscience propre à notre civilisation moderne, aura définitivement tout égalisé et sécurisé, dans un monadisme terne !
La détresse du présent
Pourrait-elle être résumée par ce dernier témoignage sur cette crise sanitaire ?
« Ce qui m’a énormément choqué, c’est que face au fait qu’on n’ait pas véritablement de traitement – parce que le paracétamol est une médication symptomatique, qui ne traite pas la cause – nous n’avons pas su ou voulu écouter des experts reconnus, qui, dans leur sphère d’activité, exprimaient le fait qu’il pourrait y avoir de bons résultats avec l’hydroxy chloroquine (en association à l’Azithromycine). Je n’ai pas compris pour quelles raisons ce médicament bien connu, peu coûteux, n’a pas été prescrit largement au début de la maladie. Au pire, nous aurions constaté qu’il était dénué d’effet.(39) »
Crise sanitaire qu’on choisit de nommer plutôt catastrophe humaine et manifestation d’un biopouvoir que Foucault, disciple de Nietzsche avait anticipé et parfaitement théorisé.
Car, pour revenir à ce témoignage, ni l’EBM (carte blanche 1), ni le principe de précaution (carte blanche 2) ne tiennent face à tant d’absurdité.
La seule logique qui semble opérer étant celle, marchande, néolibérale, froide dans laquelle l’obsolescence programmée éclate un cran plus loin à la face de la planète entière, sans gêne, presque avec cynisme. En effet, la bureaucratie kafkaïenne, qui s’est dévoilée un peu plus, permet toujours l’explication — la défense — par la norme(40), témoignant aujourd’hui, comme certains le dénoncent, d’une forme d’obsolescence programmée des médicaments eux-mêmes(41).
Ainsi, sauf à considérer que nous sommes « remplaçables » contrairement à la perspective philosophique et anthropologique développée par Cynthia Fleury précédemment citée, et que peu importeraient alors les pertes entre T0 (Mars 2020) et T1 (Mars 2021), un tel choix, celui des traitements précoces, aurait paru de raison.
Mais a‑t-on perdu la raison ?
Car ce ne sont pas seulement des traitements précoces qu’il s’agit mais bien de l’ensemble des décisions qui n’ont eu que peu de fondement.
Si la perspective à venir dépasse les personnes et les nations, et que des hypothèses sérieuses se dessinent quant au chemin de perte d’émancipation qu’emprunte notre humanité, du moins en Occident, ce travail de réflexion (à travers cette série de 7 cartes blanches) s’est centré sur le monde médical. Comment celui-ci devient-il, dans le vrai sens d’un devenir, ce terreau si fertile à des dérives totalitaires, prenant leur envol sur le corps écrasé, bafoué de nos patient-e‑s ?(42)
Il existe un chemin…
Cependant le chemin est fait d’arrachement, ce que rend bien compte le livre, « Ainsi parlait Zarathoustra », de Nietzsche qui voit son équilibriste sur le fil de la vie, chuter, mais à cette métaphore de la chute nous préférons celle, ciblant l’enjeu de « transvaluation » (création de valeurs nouvelles) — donc d’individuation - des trois transformations : celle du chameau, du lion et de l’enfant, manifestant par-là notre engagement dans le changement. Ce qui est, du reste, le rôle même de l’Éducation, entendue comme levier d’émancipation. À ce titre la pédagogie endosse son rôle politique.
Si on t’organise une vie bien dirigée
Où tu t’oublieras vite
Si on te fait danser sur une musique sans âme
Comme un amour qu’on quitte
Si tu réalises que la vie n’est pas là
Que le matin tu te lèves
Sans savoir où tu vasRésiste(43)
- Ces cartes blanches sont rédigées dans le contexte d’une analyse critique, transdisciplinaire et interprofessionnelle au croisement de regards médicaux, de santé publique, pédagogiques et philosophiques de la crise sanitaire que nous vivons actuellement. Elles ont comme objectif, d’ouvrir à des débats nécessaires, en proximité immédiate avec le champ de l’éducation et de la formation médicale.
- Saramago J. Comment le personnage fut le maître et l’auteur son apprenti. Paris : Mille et une nuits, 1999.
- Collectif. Kairos. Wikipédia [On-line] Disponible sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Kairos
- Extrait de la revue : « La spiritualité n’est pas une religion ». Magazine de société / CLES. Février-Mars 2016. Patrice van Eersel (page 38). Référence introuvable sur le Web. Le magazine « Clés » a cessé de paraitre en 2016.
- Parent F. Extrait « Le tout est à portée de main », 2017.
- Fink E. Le Jeu comme symbole du monde (trad. H. Hildenbrand et A. Lindenberg). Paris : Editions de Minuit, 1966
- À différencier de Platon
- Ceux-ci – féminin-masculin- n’étant pas entendus en tant que dualité de genre mais, au contraire, comme présence conjointe en chaque être humain (cf. note Carte blanche 4).
- Anonyme. « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas » ? Malraux a‑t-il dit la célèbre phrase ? 2016 [On-line] Disponible sur : https://www.lesoir.be/art/1136269/article/soirmag/soirmag-histoire/2016–02-29/xxie-siecle-sera-religieux-ou-ne-sera-pas
- Dans le sens de l’École de Francfort (L’École de Francfort a appliqué les réflexions multidisciplinaires de ses membres, chercheurs et intellectuels (économistes, psychanalystes, philosophes…) afin d’interroger de manière critique la société capitaliste dès le début du XXe. Nous proposons ici la même démarche en la transposant dans le cadre pandémique de 2020–2021.). L’édification critique d’une pluralité des sciences, ayant pour objet l’humanité et la société, fut l’une des conditions instaurant les sciences humaines en qualité de sciences émancipatrices de la société et de l’humanité. Ainsi : « Conformément au thème central de l’école de Francfort, la spécificité des sciences humaines continue donc à se concentrer dans des savoirs dont le sujet est l’émancipation humaine. » in Haber. S, « Science, Histoire et Société. L’école de Francfort : la question du savoir émancipateur. » in Wagner. P. (dir.), Les philosophes et la science, Gallimard, Paris, 2002, p. 914. Par ailleurs nous rappelons pour le lecteur curieux, cette émission : https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/lecole-de-francfort-14-la-theorie-critique-une-nouvelle-philosophie
- Melman C. L’Homme sans gravité. Jouir à tout prix. (Entretiens avec J‑P Lebrun). Paris : Gallimard (Folio Essais), 2005.
- Les deux types de questionnements font référence à l’œuvre de Schopenhauer, la perspective étant de maintenir la nécessité de la volonté de vérité scientifique (Monde de la Représentation) avec le questionnement plus macro, voire métaphysique (Monde du Vouloir) que la science ne peut aborder étant dans l’impasse de la logique même de la causalité (régression à l’infini), à savoir, une approche selon le principe de raison suffisante et une autre, complémentaire, mais essentiellement distincte, selon la contemplation esthétique, ainsi que selon l’antériorité de l’être.
- Parent F, De Ketele J‑M, Gooset F, Reynaerts M. Taxonomie de l’approche par compétences intégrée au regard de la complexité. Contribution critique à la santé publique, Tréma 2020;54. Disponible sur : https://doi.org/10.4000/trema.5907
- Anonyme (Source privée), 2021
- Un impératif catégorique est ce qui doit être fait nécessairement et inconditionnellement, indépendamment du but à atteindre. Il s’impose sans justification.
- Parent F, De Ketele J‑M, Gooset F, Reynaerts M. Taxonomie de l’approche par compétences intégrée au regard de la complexité. Contribution critique à la santé publique., Tréma 2020;54. Disponible sur : https://doi.org/10.4000/trema.5907
- Nous attirons l’attention du lecteur sur le fait que nous ne voulons pas induire une perception réductrice de la peur dans ces paragraphes. En effet, la peur est bien quelque chose d’utile à priori. C’est un indicateur très important sur la façon dont nous interprétons le monde autour de nous. Un réel travail de la part de la personne concernée est donc nécessaire afin de la gérer de façon intelligente. La sensation de peur, celle dont on parle ici (peur de l’incertitude, de la mort, de la maladie, du jugement d’autrui, de désobéir …) est un programme purement génétique de l’ordre de l’instinct et par essence, incontrôlable par la volonté. (On ne peut pas décider sur un coup de tête de ne plus avoir peur par exemple !). Cependant, ce qui l’a déclenchée est là où nous pouvons agir. Le stress est généré lorsque nous appréhendons le stresseur (ou encore l’agent déclencheur) avec un mode mental peu adaptatif (nous manquons de nuance, de recul, nous refusons, …). En cela, la peur est une information clé. Elle peut justement nous faire prendre conscience de notre paire de lunettes réductrice sur le nez (nos biais, nos intolérances, nos préjugés…) et inviter par là-même à un travail de bascule préfrontale (mobiliser notre intelligence adaptative). La peur est, avec les autres, une des émotions à accueillir, écouter, comprendre, réguler, utiliser, rejoignant le dernier commentaire « seules nos sens(ations) nous apportent les infos dont nous avons besoin ».
Nous faisons référence à la question des émotions dans notre carte blanche intitulée : Crise de la Covid et intelligence émotionnelle : le maillon manquant — Kairos (kairospresse.be) et, pour le lecteur souhaitant appréhender sur un plan pédagogique une taxonomie en éducation spécifiquement centrée sur les compétences émotionnelles, nous le référons à l’article : Parent F, Jouquan J, Kerkhove L, Jaffrelot M, De Ketele J‑M. Intégration du concept d’intelligence émotionnelle à la logique de l’approche pédagogique par compétences dans les curriculums de formation en santé. Pédagogie Médicale 2012;13:183–201 - Nous faisons référence ici à la notion de responsabilité sociale des facultés de médecine, véritable stratégie éducative centrée sur les soins de santé primaires, la santé publique et la promotion de la santé. Cette perspective est explicitée, notamment, dans un chapitre de l’ouvrage (page 89) « Penser la formation des professionnels de la santé. Une perspective intégrative », Ed. De Boeck, 2013.
- Charmillot M. Le rapport à la vérité dans une perspective transactionnelle participative : l’expérience contre la production de l’ignorance. In : Heimberg C, Maulini O, Mole F (Éds.) Le rapport à la vérité dans l’éducation. Raisons éducatives. Genève : Université de Genève, 2020 : 31–54
- Fleury C. Les irremplaçables. Paris : Gallimard, 2015
- Midal F. Narcisse n’est pas égoïste. Paris : Coédition Flammarion / Versilio, 2019
- Titre emprunté à l’ouvrage de Friedrich Nietzsche, publié en 1882.
- Goffman E. La Présentation de soi. La Mise en scène de la vie quotidienne (Trad. A. Accardo). Paris : Editions de Minuit, 1973
- Legrand F‑C. James Ensor 1860–1949. Exposition, Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts 23 septembre, 1999–28 février 2000.Paris : La Renaissance du livre, 1999
- Et de 2021…
- Parent F, De Ketele J‑M, Gooset F, Reynaerts M. Taxonomie de l’approche par compétences intégrée au regard de la complexité. Contribution critique à la santé publique, Tréma 2020;54. Disponible sur : https://doi.org/10.4000/trema.5907
- Ferrarese E. (Vivre à la merci. Le care et les trois figures de la vulnérabilité dans les théories politiques contemporaines. Multitudes 2009;2(37–38):132–41
- L’EBM, ici, est considérée dans sa forme réductrice, celle qui est le plus habituellement véhiculée autant dans les médias que dans le milieu médical. Nous avons corrigé une telle vision dans la carte blanche 1 centrée sur l’EBM et l’enjeu des traitements précoces dans la crise qui nous concerne. Pour plus de clarté nous reprenons ci-après un extrait de cette première carte blanche : « Le problème est que le projet princeps de l’EBM s’est radicalement rétréci à l’issue d’une dérive technoscientifique et normative aussi insidieuse qu’implacable, sur une conception positiviste de la démonstration et de la preuve. »
- Debey A. L’invraisemblable désaveu des traitements précoces. 2021 L’impertinent 2021 [On-line] Disponible sur : https://www.limpertinentmedia.com/post/l‑invraisemblable‑d%C3%A9saveu-des-traitements-pr%C3%A9coces
- Folscheid D. La médecine comme praxis : un impératif éthique fondamental. Laval Théologique et Philosophique 1996;52:499–509
- Buysse M, Debaille V, Dechamps M, Dupont C, Ernst D, Jungers R et al. Au nom de la science? Le Vif. 2021 [On-line] Disponible sur : https://www.levif.be/actualite/belgique/au-nom-de-la-science-carte-blanche/article-opinion-1387855.html
- En référence aux trois métamorphoses de l’esprit de Nietzsche que nous reprenons en conclusion de cette carte blanche, et dont nous en rappelons la signification par le biais de Gilles Deleuze dans son ouvrage « Nietzsche par Gilles Deleuze », Ed. Philosophes PUF, 1965 (page 5) « Le premier livre de Zarathoustra commence par le récit de trois métamorphoses : « Comment l’esprit devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment enfin le lion devient enfant. » Le chameau est l’animal qui porte : il porte le poids des valeurs établies, les fardeaux de l’éducation, de la morale et de la culture. Il les porte dans le désert, et, là, se transforme en lion : le lion casse les statues, piétine les fardeaux, mène la critique de toutes les valeurs établies. Enfin il appartient au lion de devenir enfant, c’est-à-dire Jeu et nouveau commencement, créateur de nouvelles valeurs et de nouveaux principes d’évaluation ».
- Bozalek V & Zembylas M. Diffraction or reflection? Sketching the contours of two methodologies in educational research. International Journal of Qualitative Studies in Education 2017;30(2):111–27.
- Synonyme de « Epistémologie »
- Rodolphe Töpffer : « Du Progrès dans ses rapports avec le petit bourgeois et les maitres d’école ». 1835. La suite de ce texte est proposée en totalité et malgré sa longueur, en note de bas de page : « (…) Le progrès, plus qu’une figure ardente, c’est cette fièvre inquiète, ce continuel transport qui travaille la société tout entière, qui ne laisse ni trêve, ni repos, ni bonheur. Quel traitement il faut à ce mal, on l’ignore. D’ailleurs les médecins ne sont pas d’accord : les uns disent que c’est l’état normal, les autres que c’est l’état morbide ; les uns que c’est contagieux, les autres que ce n’est pas contagieux. En attendant le choléra, le progrès, veux-je dire, va son train.
Pour moi, je m’imagine qu’ici de la chose est né l’abus, me fondant sur ce que l’abus naît ordinairement de la chose. Or, que la chose soit, qui le nierait ? Le progrès social a été aussi subit qu’immense ; il se révèle à chaque instant, sous mille formes, en toutes choses. Rien ne se fait ainsi qu’il y a trente ans, vingt ans, dix ans ; tout se fait mieux, plus vite, au profit d’un plus grand nombre. Voilà la chose. Mais devant ces merveilles, Joseph Homo, qui n’a pas la tête forte, demeure ébloui, il bat la campagne. Il voit du progrès partout, dans le soleil et dans la lune, dans les sandwichs et dans les toupets, dans l’Amérique et dans les choux gras. Ce n’est rien que cela, il en veut partout et sur l’heure, dans la religion et dans les capsules, dans la morale et dans les faux cols, dans la politique et dans les binocles. C’est là l’abus.
Il y a, dit-il, progrès en ceci ; donc il y a progrès en tout. Tout progrès, dit-il, est une innovation ; donc toute innovation est un progrès. C’est ainsi qu’il raisonne, passant du relatif à l’absolu, du vrai au préjugé, et du préjugé à mille sottises, selon la méthode qui lui est propre.
Mais la sottise fondamentale, la sottise mère, la sottise modèle, c’est la manière dont Joseph considère le progrès, non pas comme un moyen seulement, mais comme le but, comme l’unique but du bonheur. De cette façon, il poursuit sans atteindre, car derrière un progrès s’en trouve toujours un autre ; de cette façon, il ne jouit pas, la jouissance étant indéfiniment ajournée ; de cette façon, il méprise le passé qui est quelque chose, il dédaigne le présent qui est beaucoup, il attend l’avenir qui est toujours devant lui ; de cette façon, tout en étant mieux, il se trouve plus mal. C’est ce que nous voyons. Partout malaise au milieu du perfectionnement. Partout la chose corrompt à l’avance la chose d’aujourd’hui ; le mieux qui n’arrive pas gâte le bien qui est sous la main. Point d’assiette, point de sécurité, point de calme ; impossible de se poser, de s’arrêter nulle part. Le progrès est là, avec son grand fouet, qui frappe le troupeau : Marche ! – Quoi ! toujours marcher ! jamais faire halte ! – Marche ! — Cet ombrage me plait, cet asile m’attire…- Il y en a un préférable ; marche. – Nous y voici. – Marche encore. Vous diriez ce vilain petit vieux cramponné aux épaules de Sindbad le marin, le poussant de-ci, de-là, de gauche, à droite ». - Wotling P. La pensée du sous-sol. Paris : Allia, 2016 : 33.
- Conche M. Nietzsche et le bouddhisme. Paris : Encre Marine, 1997:55
- Astor D. « Deviens ce que tu es »: Pour une vie philosophique. Paris : Autrement, 2016
- Saegesser P (Entreien avec A Debey). Notre gouvernement n’est plus défenseur des valeurs fondamentales de notre société. L’impertinent 2020 [On-line] Disponible sur : https://www.limpertinentmedia.com/post/notre-gouvernement-n-est-plus‑d%C3%A9fenseur-des-valeurs-fondamentales-de-notre-soci%C3%A9t%C3%A9
- Nous pouvons, ici, faire référence au totalitarisme de la norme tel que l’argumente Roland Gori, mais également au concept de « densification normative » développé par Catherine Thibierge « La densification normative : Découverte d’un processus », Mare et Martin, 2014.
- IHU Méditerranée- infection Contre l’obsolescence programmée des médicaments — YouTube
- Delmas-Marty M. Le rêve de perfection transforme nos Etats de droit en Etats policiers. Le Monde. 2021 [On-line] Disponible sur : https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/01/mireille-delmas-marty-le-reve-de-perfection-transforme-nos-etats-de-droit-en-etats-policiers_6071518_3232.html
- Berger M. Résiste. Universal Music Publishing. 1981 [On-line] Disponible sur : https://www.paroles.net/michel-berger/paroles-resiste