Dossier coordonné par Paul Willems
Congo : le CETRI(1) fait le point sur la situation(2). Panique à bord. Le Congo évolue d’une méchante façon. On s’en serait douté ! Les intervenants à son webinaire(3) du 17 octobre et auteurs du numéro 3 de l’année 2024 de la revue du CETRI, tous des Congolais, passionnants, vont au fond des choses. Presque. Je dis presque parce qu’il manque des informations sur les financements étrangers des plateformes politiques au Congo. Dans les relations du monde occidental avec les pays africains, et du reste aussi sud-américains, à quelques nuances près, l’ingérence demeure la règle. Le nombre de coups d’État organisés avec le soutien ou suivant l’impulsion des États-Unis n’a jamais décru. L’implication américaine et occidentale en général est relativement dissimulée, et cela rend très délicate leur critique et complètement impossible leur condamnation. Tout cela contribue à faire vivre le mythe de la liberté et de l’indépendance, autrement dit un autre énorme bobard dont les dirigeants américains sont friands, et dont les peuples qui sont le plus victimes de cette ingérence paient un prix inacceptable. Cette ingérence rend presque inutile toute résistance des Congolais. Si, en 2018, conscients du risque que représentait l’élection de quelqu’un comme Étienne Tshisekedi, beaucoup trop proche des chancelleries des pays interventionnistes, les Congolais avaient choisi Emmanuel Ramazani Shadary par exemple, ils ne seraient pas confrontés au même risque, autrement dit à la prise de pouvoir par la force ou par un coup constitutionnel, soit lors de la prochaine échéance électorale, soit même avant, par un dirigeant mis en place avec le soutien occidental.
Cela au risque d’un retour à la case départ, comme le soulignait Albert Malukisa dans son intervention lors du webinaire du CETRI. Pourquoi ne pas avoir fait simplement ce choix ? Probablement à cause du suivisme des médias congolais par rapport aux informations diffusées par les prétendus grands médias internationaux. Les médias congolais auraient pu s’indigner à cause de mesures prises en Occident contre des membres du PPRD (confiscation d’avoirs en banques, mandats d’arrêt, et surtout atteintes systématiques à leur réputation). Comme si la corruption en général justifiait ce genre de mesures dans le cas de toutes sortes d’autres responsables politiques ! Le double standard appliqué par l’Occident dans le traitement des dirigeants des pays du Tiers-Monde représente à lui seul la cause de toutes sortes de catastrophes. Bien sûr, certains se réjouissent à l’avance de la catastrophe en vue.
En général, après avoir soufflé sur les braises, attisé le feu, jusqu’à provoquer de véritables cataclysmes, voire génocides, ils les commentent sans répit, tout en se lamentant, et leur trouvent des non-solutions, acculant les peuples concernés dans des voies sans issue, avant de chercher une autre victime. Un autre coupable. On a plus ou moins forcé un peuple à accepter comme dirigeants des gens qu’on a financés, couverts, propulsés sur la scène politique, ou mis à l’abri, quoi qu’il arrive, pendant parfois de nombreuses années. Sans le dire bien sûr. Laissant croire que seul le hasard, les décisions de ces derniers sont en cause. La liberté n’est-elle pas sacrée. Il s’agirait d’en apprendre davantage sur cette ingérence.
Le présent dossier explique à sa façon la situation en cours au Congo, et développe vaille que vaille la question de l’ingérence qui s’y démène depuis longtemps pour imposer des règles de fonctionnement parfois insupportablement contestables aux Congolais. Il prend le temps de remonter aux origines, et donc de revenir sur l’histoire récente du Congo. Il évoque la lente progression vers la démocratie, l’implication des uns et des autres dans ce processus. L’effondrement sans fin du mobutisme et la guerre qui en a résulté. Ses causes que l’on dissimule derrière un sempiternel verbiage sur les rapports ethniques en Afrique subsaharienne, au moyen de mises en scène spectaculairement cruelles. La guerre fait tourner l’économie extractive, et donc la plus grande partie de l’économie. Ce dossier évoque le danger existant de disparition de l’État congolais, causé par cette ingérence étrangère, par les règles qui contribuent à multiplier les conflits dans le monde. On connaît la prédisposition des puissances interventionnistes à mettre en place des potentats et la dangereuse légalité qui en découle. Et le sort imparti par ces puissances aux révoltes populaires. Au Congo, toute révolution unitaire semble d’avance vouée à l’échec à cause de ces puissances.
Aucun de ceux qui ont contribué à réaliser ce dossier ne vient de passer six mois au Congo, ou n’est payé à temps plein pour rédiger des études sur le Congo, le commerce et les pays en voie de développement. Notre propos n’est pas de décrire ce qui s’y passe quotidiennement. Ni d’expliquer ce qui se passe à l’ONU, ou plutôt ce qui ne s’y passe pas, si ce n’est à notre façon.
La vie à Kinshasa, le travail dans les mines du Katanga ou la situation au Kivu relèvent tous de l’impensable. Seuls des romanciers sont capables de décrire de telles situations. Et il en existe et même d’excellents. Notre objectif est de revenir sur un narratif qui, malgré les efforts fournis par certains journalistes, par des intellectuels courageux, contribue à noyer tous les jours davantage ceux-là même qui vivent quotidiennement des situations invraisemblables au Congo, sans parler des autres. De déconstruire quelques biais qui servent à véhiculer toutes sortes de préjugés.
On a lu des comptes-rendus de la presse congolaise. Oui, il y a des gens en Belgique qui passent leur vie à rédiger quotidiennement ces comptes-rendus. Il s’agit d’une source extraordinaire d’informations sur cette région du monde.(4) On sait certaines choses. La presse congolaise commente régulièrement, quotidiennement, les débats qui ont cours au Parlement. Il y est question de la guerre, des élections, des faits et gestes de certains ministres, de quelques autres évènements (les peuples font des guerres quand il n’y a rien d’autre à faire). Des voyages du président. Des accords que le Congo conclut avec d’autres pays. Des intérêts économiques et géostratégiques des puissances occidentales, et de leurs concurrents. On apprend des choses en épluchant la presse internationale, des revues spécialisées(5). Il y a aussi de très nombreuses informations de premier plan disponibles sur Internet. Nous avons aussi lu des livres.
L’information officielle déploie des trésors d’inventivité pour dissimuler les faits les plus importants. L’essentiel est tu, dissimulé alors que la presse, les revues, la littérature regorgent d’informations, qui souffrent de ce biais. Lorsqu’un auteur s’efforce de décrire le rôle réel des multinationales, son livre est mis au pilon, censuré, un procès bâillon s’empresse de le condamner, on le menace d’avoir à payer des amendes exorbitantes.(6) Il faut la mobilisation de milliers de gens pour le tirer d’affaires. Bref, on a essayé de se faire une idée un peu différente, et de la partager.
- Centre intercontinental.
- Congo (RDC) : reproduction des prédations, collection Alternatives Sud, volume XXI, 2024, n°3, éditions Syllepse, CNCD-11.11.11, 176 pages. (https://www.cetri.be/Congo-RDC-reproduction-des)
- Congo RDC : entre reproduction des prédations et renouvellement des résistances.
- https://congoforum.net/
- Congo (RDC) : reproduction des prédations La Collection Alternatives Sud vol. XXXI 2024, n°3, septembre 2024, (coordinateur-auteur) François Polet, Syllepse, CNCD-11.11.11, 176 pages.
- Alain Deneault, Noir Canada Pillages, corruption, et criminalité en Afrique, écosociété, 2008, 352 pages. Un récit exceptionnel qui ne couvre cependant que les activités des sociétés minières canadiennes. https://www.cahiersdusocialisme.org/deux-ans-apres-la-publication-de-noircanada‑l%E2%80%99epee-de-damocles-pese-toujours-sur-la-tete-des-editionsecosociete%E2%80%A6‑2/