L’INDUSTRIE CHIMIQUE MENACE MAZY

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Il ne devrait pas être nécessaire de discuter très longuement de l’intention d’une mystérieuse SPRL (Recumas pour ne pas la nommer) d’implanter une usine chimique au cœur d’un petit village de province (Mazy, dans le namurois). Le 

sens commun, que l’on nomme également « bon sens » et qui est politiquement fondateur, nous indique en effet immédiatement l’absurdité totale d’un tel projet. Malheureusement, le sens commun s’est effacé derrière la rationalité de la techno-science et le politique tend à s’en remettre aux experts, détruisant par là même les conditions de possibilité de son exercice ; il n’est donc pas possible d’échapper aux arguments contradictoires. 

Projeter l’implantation d’une usine de recyclage de plastiques au cœur d’un village semble inédit en Belgique, pays pourtant reconnu pour son surréalisme et l’attractivité de ses zonings industriels. La liste des inquiétudes des villageois est en conséquence fort longue ; elle recoupe vraisemblablement celle que les pompiers ne manqueront pas d’établir dès qu’on leur en donnera l’occasion (pourquoi procrastiner ?) 

Premièrement, le village de Mazy est à vocation résidentielle. On voit mal comment le cadre de vie des villageois, et moins encore leur qualité de vie, serait respecté par une telle implantation. De plus, le site convoité est contigu à une zone Natura 2000, traversé par un aqueduc, et situé dans le voisinage immédiat de deux écoles primaires. Sa localisation est d’accès difficile et sa voirie actuelle n’est pas du tout adaptée au passage du charroi évoqué par le maître d’œuvre (qui supportera les frais afférant à la rénovation de la voirie ?). Il se situe au fond d’un vallon encaissé que surplombe la rue de Marsannay. À cet égard on peut se poser, entre autres, la question de la hauteur des cheminées qui seront érigées : sera-t-elle déterminée par le relief immédiat, ce qui pourrait les amener au niveau des habitations de la rue de Marsannay ? Ou sera-t-elle déterminée par l’existence de ces habitations, auquel cas on peut se demander si c’est urbanistiquement possible. Personne ne doute bien sûr de l’innocuité des rejets systématiques, mais quid des rejets accidentels ? Tout système sous pression opère avec des valves de surpression et généralement avec des vases d’expansion… qui sont eux aussi munis des mêmes valves. Et il est difficile d’avancer 

l’idée qu’une explosion est préférable à un rejet limité. (C’est du reste l’argument écologique qui commande également la gestion quotidienne de l’électronucléaire.) Quelles sont les normes ? Comment garantir leur respect ? Comment sanctionner les infractions ? 

Deuxièmement, le promoteur nous parle d’une technique innovante la pyrolyse et de la nature très limitée des nuisances. Les ingénieurs ont-ils oublié ce qu’ils appellent eux-mêmes la « courbe en baignoire » ? La probabilité d’incidents est d’autant plus grande que la technologie est neuve et que l’installation est récente. Cette question est du reste cruciale lorsqu’il s’agit d’usines automatisées : qui parle encore d’embaucher un personnel qualifié et expérimenté pour piloter les processus techniques ? Ensuite, qui dit production, manutention et stockage d’hydrocarbures, dit risques de pollution de l’air, du sol, des rivières et, plus particulièrement, risques d’incendie voire d’explosion. Le site d’exploitation, situé au milieu du village, n’est pas pour autant facile d’accès. Quand est-ce que le rapport des pompiers, qui seraient directement impliqués par la stabilisation et la sécurisation d’un incident, sera rendu public ? 

Troisièmement, le promoteur se présente comme étant Recumas SPRL, sise 9 rue de l’usine à Mazy. Or la Recumas SPRL n’existe pas. Un numéro d’entreprise a été donné oralement (0418.071.879) et la société portant ce numéro est Carrosserie V.V. SPRL. Ni Recumas, ni Carrosserie V.V. ne sont sises 9 rue de l’usine à Mazy : aucun siège social, ni aucun siège d’exploitation n’existent à cette adresse. De plus, l’objet social de cette SPRL est inchangé depuis 1977 ; il est limité à la réparation de véhicules et à la vente de véhicules d’occasion. À bien y regarder, Carrosserie V.V. est une coquille vide, au point d’avoir été radiée d’office de la BCE suite à l’absence de dépôt de comptes annuels… depuis 2002. Cette radiation a finalement été retirée suite au dépôt, fin février 2016, des comptes annuels 2013, 2014 et 2015 dont le contenu confirme par lui-même l’absence totale d’activité de la société. Ce dépôt inopiné a été fait dans le seul but de revendre le numéro de TVA de la société au promoteur. Bien que cette technique ne soit pas illégale au sens strict, elle n’est cependant pas la voie préconisée par le code des sociétés pour entamer une nouvelle activité. Elle permet au repreneur d’échapper à plusieurs règles imposées lors de la constitution d’une nouvelle société, règles conçues pour protéger les droits des tiers. Ainsi, le repreneur échappe à l’obligation d’établir un plan financier et à la responsabilité des fondateurs, et il récupère un capital social qui n’existe plus que sur papier. Dans le cas qui nous occupe, ce capital social s’élève à 6.200 €, ce qui est en plus inférieur au minimum légal. Du reste, les pertes fiscales de cette SPRL la font tomber sous le coup de l’art. 332 du Code des sociétés pouvant mener à sa dissolution éventuelle. En somme, quelles garanties avons-nous que le promoteur accorde plus de respect à ses obligations environnementales et de santé qu’aux manquements qui précèdent ? Cerise (E122) sur le gâteau, cette usine serait uniquement conçue pour servir de test, ce qui pourrait signifier qu’elle sera démantelée ou abandonnée quand elle aura fait son office et que les subsides de la Région auront été dûment perçus. Que deviendra alors le site ? Sommes-nous face à la création programmée d’un nouveau chancre urbain pollué ? Plus fondamentalement, puisque les personnes qui se sont présentées comme responsables du projet ne sont manifestement ni les concepteurs, experts en industrie chimique, ni des investisseurs privés, ne serait-il pas indiqué de savoir au nom de qui ils parlent ? 

En conclusion, si le plan de secteur est respecté pour le terrain en question, cela ne voudrait-il simplement pas dire que ce plan de secteur est obsolète ? Le retour du sens commun en politique constituerait un signal citoyen fort à quelques mois de la prochaine échéance électorale. Il est temps que chacun prenne ses responsabilités ou, tout ébaudi, s’en découvre de nouvelles.

Michel Weber et Ludovic Peters(1)

Notes et références
  1. Auteurs de « Quel avenir pour la Belgique fédérale ? », Kairos 13, avril/mai 2014, p. 17. 

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