ON NE PEUT PAS IGNORER LA POLLUTION LUMINEUSE

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Depuis un peu plus d’un siècle, l’éclairage artificiel fait partie intégrante de notre mode de vie. Au cours des dernières décennies, l’éclairage d’intérieur comme l’éclairage public se sont développés à un rythme accéléré. Les activités humaines sont le plus souvent inséparables de l’éclairage artificiel au point que, mis à part en rase campagne, l’obscurité est devenue rare. Si cela accroît en principe le sentiment de sécurité pour les humains, les conséquences pour les espèces animales adaptées à la vie nocturne ne peuvent être sous-estimées. À l’heure où les cris d’alarme se multiplient concernant l’effondrement de la biodiversité, il n’est pas inutile d’attirer l’attention sur les perturbations provoquées par l’éclairage artificiel sur la faune sauvage, oiseaux et insectes en particulier.

Évoquons en priorité les oiseaux migrateurs qui, pour la majorité d’entre eux, se déplacent la nuit. Des espèces comme les passereaux et les canards utilisent comme repères, outre le champ magnétique terrestre, la position des étoiles dans le ciel nocturne pour s’orienter en suivant des corridors bien déterminés. La lumière nocturne et les halos lumineux qui se forment autour des villes font perdre leur capacité d’orientation aux oiseaux, provoquant des collisions entre eux ou avec les structures urbaines. Ils sont, à proprement parler, déboussolés.

Les insectes, quant à eux, sont touchés du fait de leur attrait pour la lumière. Le cas des papillons de nuit est bien documenté. C’est ainsi que le sphinx tête de mort, un des plus grands papillons d’Europe s’est fortement raréfié, victime certes des insecticides mais aussi de la pollution lumineuse. On ne peut évidemment oublier d’évoquer aussi les lucioles qui communiquent entre elles en émettant leur propre lumière. L’éclairage nocturne perturbe leur comportement et met en péril leur capacité de reproduction. Une autre espèce souffre aussi particulièrement de la lumière nocturne ; celle-ci perturbe en effet ses habitudes de chasse. Il s’agit du grand rhinolophe, une chauve-souris, incapable de chasser lorsque l’obscurité n’est pas totale.

LE MIRACLE DES LED’S ?

On voit bien que la réduction de l’éclairage nocturne par élimination des équipements et infrastructures superflus et surtout par autolimitation des besoins non essentiels, comme les illuminations prolongées ou les enseignes commerciales en fonctionnement ininterrompu, devient un choix politique écologiquement justifié. La politique actuellement évoquée pour réduire la demande en électricité n’évoque pourtant pas ce type de réponse. Elle consiste plutôt à se tourner vers les nouvelles technologies réputées plus performantes, en termes d’efficacité énergétique. Il s’agit des LED’S (lampes à diode électroluminescente) présentées comme dotées de nombreux atouts, le principal étant un rendement énergétique élevé. Les LED’S ont par ailleurs une durée de vie annoncée a priori largement supérieure à celle des autres moyens d’éclairage en plus de divers avantages techniques qui expliquent leur succès grandissant. Aujourd’hui, les LED’S ont conquis le marché tant pour nos usages domestiques que pour l’éclairage public et les applications commerciales.

S’agit-il d’une solution miracle ? On serait tenté de le croire. J’avoue avoir été moi-même séduit par une technique si prometteuse au plan énergétique. Cependant, il faut tempérer son enthousiasme et prendre en considération l’aspect qualitatif de la lumière émise par les LED’S. Comme le déclarait déjà l’ANSES en 2010 dans un rapport d’expertise(1), l’éclairage LED se distingue totalement des autres techniques d’éclairage par ses aspects sanitaires. D’une part, les LED’S présentent une luminance beaucoup plus élevée que les autres sources lumineuses(2) du fait de leur caractère ponctuel (la luminance est l’intensité lumineuse par unité de surface émettrice). Cette forte luminance peut provoquer des situations d’éblouissement potentiellement dangereuses pour l’œil. Il est donc indispensable d’éviter toute utilisation des LED’S qui ne masque pas les LED’S à la vue directe des usagers. D’autre part, le spectre de la lumière émise se caractérise par un déséquilibre dans la partie bleue où apparaît un pic d’intensité important. Or la lumière bleue est particulièrement phototoxique pour l’œil. Par ailleurs, la lumière des LED’S, fondamentalement différente de la lumière naturelle, avec son déséquilibre dans la partie bleue, expose à un risque de dérèglement de l’horloge biologique et par conséquent des rythmes circadiens. Ce dérèglement de l’horloge biologique peut induire des effets métaboliques et thymiques (dépression, troubles de l’humeur, insomnies…). Pour ce qui est de l’éclairage public, il est à mon avis non pertinent de se précipiter dans une politique de recours généralisé aux LED’S.

Comme le faisait judicieusement remarquer Francis Leboutte(3), l’annonce faite par le Ministre wallon en charge de l’énergie de remplacer les luminaires équipés de lampes à décharge par des luminaires LED sur le réseau routier wallon ne se justifie en aucun cas en termes de choix énergétique. Il aggrave en outre la situation en termes de protection de la biodiversité. Des scientifiques allemands, comparant les avantages et les inconvénients des différents types d’éclairage routier ont montré que les effets sur les insectes de la qualité de l’éclairage sont importants. En particulier, les lampes à vapeur de sodium, celles qui devraient céder la place aux LED’S s’avèreraient même bénéfiques avec leur lumière orange…

Pour les applications domestiques, le choix des LED’S mérite réflexion au vu des inconvénients qualitatifs mis en évidence d’autant plus que la technologie évolue très vite, ce qui justifie a fortiori la prudence. Cette prudence, il s’agit de la pratiquer également en ce qui concerne l’exposition aux écrans. En effet, les LED’S, en raison de leurs performances mais aussi de leur petite taille et de leur résistance aux chocs sont utilisés de façon généralisée pour le rétroéclairage des écrans d’ordinateurs, des téléphones portables, des téléviseurs, tablettes numériques et smartphones.

Plusieurs études publiées récemment (2017–2018) font état de la chute de sécrétion de la mélatonine, l’hormone de l’horloge biologique, chez les étudiants et les enfants exposés en soirée aux écrans des tablettes et smartphones, avec en conséquence, un sommeil fortement perturbé. On est confrontés à un grave problème de santé. Les enfants et les adolescents d’aujourd’hui passent beaucoup trop de temps devant les écrans. Pour certains, cela entraîne une véritable addiction, très dommageable potentiellement pour leur santé(4). Si aux risques déjà bien documentés dus à l’exposition aux micro-ondes et à la surcharge cognitive s’ajoutent les risques pour la vision et la perturbation du rythme circadien, il y a urgence à agir par une campagne d’information sérieuse. Il y a aussi urgence à se réinterroger sur le bien-fondé d’une éducation en milieu scolaire basée sur le recours permanent aux écrans et aux technologies numériques.

On voit bien que la pollution lumineuse, plutôt que de régresser, est en voie de s’accroître et de toucher en premier les enfants, c’est-à-dire les plus vulnérables d’entre nous.

Une dernière remarque pour signaler que les valeurs limites d’exposition en vigueur relatives au risque lié à la lumière bleue sont définies pour éviter des lésions aiguës de la rétine. Elles ne sont pas adaptées pour protéger les populations des effets sanitaires liés à des expositions répétées et sur de longues périodes.

Paul Lannoye, président du Grappe

Notes et références
  1. ANSES : LED- Diodes électroluminescentes. Effets sanitaires des systèmes d’éclairage utilisant des diodes électroluminescentes ; octobre 2010, https://www.anses.fr/fr/content/led-diodes-%C3%A9lectroluminescentes.
  2. La luminance des LED’S est au moins 1000 fois plus élevée que celle des sources classiques.
  3. Voir Kairos de février-mars 2019, p.24.
  4. Voir « Les écrans ou la fabrique de l’autisme », Kairos février-mars 2018.

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