Du nord au sud, les peuples enchaînés par la dette

Le discours sur la dette s’entremêle directement à celui sur la crise, entonnant ce refrain qui remonte déjà à plus de trois décennies. Mais même si la dette publique occupe davantage les radars médiatico-politiques depuis la crise des années 2007–2008 mutée en crise de la dette en Europe en 2010 et 2011 -, les causes, à écouter les « élites » politiques et économiques et leurs relais médiatiques -, seraient toujours les mêmes: l’État dépenserait trop, il faudrait se serrer la ceinture, faire des économies… 

Ce dossier tente de vous offrir une analyse de ce que sont réellement les dettes, en partant dans un premier temps des populations les plus touchées par « le système dette », c’est-à-dire les « laissés pour compte » de ce qu’on appelle le tiers-monde. Les impacts de la dette sont bien concrets pour eux, ils sont sociaux, mais aussi écologiques et bien sûr politiques. Démontons donc les idées reçues : il n’y a pas d’aide des pays du Nord ! 

C’est plutôt de néocolonialisme dont il s’agit, l’expression conservant toute sa pertinence lorsque l’on démontre l’emprise des institutions financières internationales sur les pays du Sud, Banque mondiale et FMI en tête (pp.10–11). Cette domination politique imposée comme une évidence, toujours sur le ton du TINA (There is no alternative) se répand sur chaque pays, chaque continent, avec quelques soubresauts introspectifs erratiques. Le FMI a beau évoquer parfois dans ses rapports certaines erreurs commises, le trop de dérégulation et la dette insoutenable de tel ou tel pays, les mêmes politiques restent d’application. 

Dans l’optique de révéler la face cachée de cette dette, à savoir ses impacts écologiques déterminants, nous nous pencherons également sur ce qu’on appelle la dette écologique (pp.14–15). Si les crises de la dette sont un phénomène régulier dans le capitalisme, l’époque actuelle rassemble de nombreux seuils susceptibles d’être atteints, alors que chaque nouvelle crise risque d’être plus importante que la précédente. Une crise de la dette globale couve et touche déjà une série de pays du Sud (pp.12–13) le bas prix des matières premières et la hausse des taux d’intérêts menacent de plonger le monde dans une situation d’ampleur sans précédents, car depuis trois décennies l’état du système financier et économique brille par son instabilité croissante, faisant peser tout son poids sur les populations. 

Dans ce monde aux bases politiques et économiques sans cesse plus fragiles, un nouvel acteur agit sans scrupules pour faire un maximum de profits, sans bien sûr peser les conséquences de ses actes : les fonds vautours, ces entreprises financières qui rachètent à très bas prix la dette d’États en difficulté à une fraction de sa valeur d’origine, pour ensuite en réclamer le paiement à 100%, majoré d’intérêts et de pénalités. Cas frappant pour les Européens car plus proche et donc plus visible, la Grèce en a subi les attaques en 2012, la BCE agissant de la même manière que ces « fonds procéduriers », ne faisant qu’enfoncer la situation de l’économie hellénique et précipiter les mesures d’austérité radicales. En Belgique, une loi a été votée grâce à la détermination du CADTM, mais les rapaces la remettent en question. L’entretien avec Renaud Vivien revient en détails sur cette affaire et sur le combat à mener contre les dettes illégitimes et ses représentants les plus odieux que sont les fonds vautours (pp.16–17). 

Parmi les quelques chiffres qui illustrent bien l’injustice engendrée par ce système dette, retenons-en un pour répondre à ceux qui parlent d’« État dépensier » (sous-entendu « trop dépensier pour les pauvres ») : le remboursement de la dette en Belgique s’élève à 40 milliards, contre 10 pour la sécurité sociale.(1) L’action du CADTM, présent au dernier spectacle de la COP22 au Maroc (p.18), prouve qu’il ne faut pas se laisser avoir par le défaitisme, face à ces prédateurs financiers. L’avenir dépendra de notre victoire contre eux. 

Dossier coordonné par Robin Delobel,
permanent CADTM Belgique et coordinateur de la revue Les autres voix de la planète. 

Notes et références
  1. Pour creuser ce sujet, voir la dernière revue du CADTM, Dette sociale, qui doit à qui.

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