Malgré les belles promesses et grandes annonces clamées dans l’objectif de ne pas perdre la face, les « responsables » politiques supposés représenter les populations de leurs pays optent pour des politiques toujours plus répressives, tant socialement qu’au niveau écologique et démocratique. Au lieu d’espérer chaque année un sursaut politique accompagné de mesures radicales pour répondre au réchauffement climatique, le soutien aux luttes locales contre les grands projets productivistes se révèle crucial pour préserver au mieux les biens communs.
La dernière COP prenait place en novembre 2016 à Marrakech. A Attac CADTM Maroc, qui partage le bureau du réseau international du CADTM (rebaptisé en 2016 Comité pour l’abolition des dettes illégitimes) avec la Belgique, les luttes écologiques font partie du cœur du programme de recherche et de mobilisations, tout comme les accords de libre échange et la dette illégitime. Ensemble, on soulevait donc cette première interrogation : comment les mandataires et leurs hiérarchies politiques peuvent-ils prétendre répondre de quelque manière que ce soit aux nécessités écologiques, et, dans le même temps, instaurer l’austérité comme règle d’or, sous le prétexte de dettes trop importantes, très souvent illégitimes, tout en multipliant les accords de libre échange aux quatre coins du monde ?
A Attac CADTM Maroc, on n’attend pas que la lumière jaillisse sur les gouvernants, les mobilisations se mènent donc en dehors des COP et avec les mouvements de base. La rencontre, alternative à la COP22 de novembre 2016 s’est tenue dans la ville océanique de Safi, une zone ayant été sacrifiée pour y imposer un modèle extractiviste de développement économique. Une usine de phosphate, une usine de ciment et une centrale électrique alimentée au charbon ont été construites sur son littoral, en contradiction avec la rhétorique « écologique » du Makhzen.(1)
Tout comme lors de la COP21 un an auparavant, la 22ème Conférence internationale sur le climat au Maroc aura été marquée par le poids des multinationales et de leurs « solutions ». On retrouvait au rang des partenaires officiels, une société marocaine spécialisée dans le phosphate, l’Office chérifien des phosphates (OCP) et la holding minière de la famille royale Managem, ou d’autres structures reconnues responsables de la destruction de l’environnement, de problèmes de santé ou encore à l’origine de la situation dans laquelle se retrouvent des peuples dépossédés de leurs ressources vitales.
Loin des technocrates que l’on croise dans les réunions officielles, on retrouvait parmi les participants à la rencontre de Safi, dénommée Changeons le système pas le climat, des gens qui se battent pour des biens communs et des droits fondamentaux. Pour ce qui est de l’Afrique du Nord, étaient présentes des personnes qui luttent contre l’industrie du gaz de schiste en Tunisie et en Algérie et d’autres contre l’accaparement de terres au Maroc, avec des femmes du village de Ouled Sbita venues témoigner de l’expulsion de familles de leurs terres pour la construction de résidences de luxe et d’un terrain de golf, accaparement qui est l’œuvre d’une société immobilière proche du pouvoir politique marocain. Des habitants du village d’Imider, au Sud-Est du Maroc, étaient également venus parler de leur lutte contre une compagnie minière qui vole leur eau en toute impunité. Soucieux de nommer leurs ennemis, les organisateurs de la rencontre se positionnaient clairement contre le capitalisme mais aussi contre le patriarcat. Dans cette optique, Ruth Nyambura, écoféministe kényane partageait ses réflexions sur les liens entre exploitation des femmes et exploitation de la nature.
Un membre de GRAIN(2) venu du Ghana a exposé le rôle déterminant de l’agriculture industrielle dans le réchauffement climatique. Ce regroupement d’associations, dont fait partie la Via campesina, démontre, à travers ses rapports et autres publications pédagogiques, deux choses essentielles : que le système alimentaire industriel est responsable de la moitié du total des émissions de gaz à effet de serre, mais que les agriculteurs et les petits paysans détiennent le remède à la crise climatique. N’Nimo Bassey, plus habitué des grandes enceintes onusiennes que les camarades d’Imider, ancien directeur de l’ONG Friends of the earth International, a témoigné des luttes contre l’exploitation pétrolière dans le delta du Niger, qui engendre un désastre écologique et social. Les marées noires sont quasi permanentes depuis 50 ans, mais font pourtant bien moins de bruit que celle causée par BP dans le Golfe du Mexique en 2010. Des estimations de l’ONU avancent des chiffres de 6 800 fuites entre 1976 et 2001, déversant environ 3 millions de tonnes de pétrole brut, ruinant tout l’écosystème et les 31 millions d’habitants que compte le delta du Niger. Sans forcément utiliser le terme, N’Nimo dénonçait l’urgence de stopper l’extractivisme, dont les effets invisibles d’un côté du globe sont pourtant bien concrets du côté où ont lieu les pillages.
Attac CADTM Maroc a produit de nombreuses analyses pour dénoncer ces projets extractivistes et les fameuses « solutions », au premier rang desquelles le secteur de l’énergie renouvelable au Maroc et sa gestion totalement contraire à l’intérêt public. Au-delà des conférences et échanges d’expériences, la lutte contre le réchauffement climatique et l’extractivisme passe aussi par le soutien concret aux luttes locales.
C’est pourquoi nous avons organisé une caravane de solidarité avec le campement dressé dans le village d’Imider depuis 6 ans, les habitants étant obligés d’occuper le terrain pour empêcher que la mine d’argent voisine continue à s’emparer de leur eau, polluant ainsi leur environnement et détruisant leurs moyens de subsistance. La répression que subissent les opposants de la part des forces de l’ordre et de la compagnie minière est terrible, tout a été tenté pour les décourager : les acheter à travers des micro-projets « offerts » au village, les réprimer par la violence et de nombreuses arrestations aux motifs très douteux, leur proposer des emplois dans la mine…
Depuis plusieurs années, la population locale répond pacifiquement à la répression et innove dans les différentes formes de lutte. Le rôle des femmes est prépondérant dans cette mobilisation. Par de nombreuses marches elles ont revendiqué la libération de leurs jeunes fils détenus, victimes de dossiers judiciaires frauduleux, et la levée de l’approche sécuritaire à Imider(3), démontrant, s’il le fallait, leur rôle indispensable dans la lutte.
Robin Delobel
- Terme faisant référence au roi et à l’élite dirigeante qui l’entoure.
- GRAIN est une petite organisation internationale qui soutient la lutte des paysans et des mouvements sociaux pour renforcer le contrôle des communautés sur des systèmes alimentaires fondés sur la biodiversité.
- Pour plus d’infos sur cette lutte, voir leur site : http://imider96.org