Sortir des catégories, seul chemin vers la paix…

La question n’est pas de se demander s’il faut ou pas défendre les Palestiniens, mais plutôt de s’interroger sur la ou les raisons qui expliqueraient que ce ne soit pas une évidence pour chacun. Le fait qu’il faille le souligner indique en lui-même la misère intellectuelle dans laquelle est plongée notre époque. Comment peut-on en effet se demander si nous tendrons ou pas la main à un petit être estropié en fonction de son identité, Palestinien ou Israélien. Enfants, les deux auraient joué ensemble sans se poser la question de leur origine.

On ne verra jamais un petit Israélien dans une école maternelle demander à son camarade palestinien sa carte d’identité avant de jouer avec lui. L’humanité se dispense de documents administratifs, elle est profondément ancrée dans l’être, transcende les hasards de l’origine, elle est présente, dès la naissance, le petit d’homme reconnaissant uniquement l’autre parce qu’il est humain, sa mère en premier, dont il ne se pose pas la question de savoir d’où elle vient.

Étymologiquement, enfant, infant, signifie celui qui ne parle pas. Pas besoin de mots pour tendre la main à celui qui souffre, pas besoin de ces mots qui lui accoleront un trait qui l’acculera à une identité catégorielle indélébile qui déterminera notre réaction. L’adulte gavé à la haine télévisuelle est descendu tellement bas, la décadence atteignant son faîte, qu’il est capable d’opérer une indignation sélective. On se lève contre un génocide, quelle que soit l’identité des coupables et des bourreaux, et on espère évidemment que les musulmans se lèveront demain si leurs frères juifs se faisaient massacrer.

Je me souviens de cette scène dans le documentaire American Radical, où Norman Finkelstein, d’origine juive, fils de survivants de la Shoah, auteur du livre L’industrie de l’Holocauste, discute avec une amie palestinienne. Celle-ci ne sait pas qu’il est d’origine juive et il lui annonce au cours de cette discussion, alors qu’elle-même ressent une forme de haine et de répulsion envers le juif. Cette annonce provoque chez elle un choc, une forme de dissonance cognitive : que va-elle faire ? Rompre le lien profond qui les lie depuis des années et cette amitié parce qu’elle a appris qu’il était juif ? Quel sens, qu’est ce que cela change-t-il au fond ? Est-il devenu quelqu’un d’autre du seul fait de lui avoir annoncé qu’il était juif ? Non, bien évidemment. Il est et reste Norman Finkelstein.

Qu’est-ce que cela signifie ? Que les identités empêchent de se lier, qu’elles s’entrechoquent là où la reconnaissance d’une similitude aurait vu naître des amours, des amitiés, une mixité noyée dans une commune humanité. Ceux qui dans les tranchées célébraient la trêve de Noël le savent bien : les Français trinquaient avec les Allemands, avec cette cinglante ironie qui fera que le lendemain ils s’entre-tueront, troquant leur godet pour une mitraillette.

Il faut sortir des catégories, ces identités meurtrières alimentées par la caste médiatico-politique. L’intelligence peut être blanche, noire, brune, jaune, tout comme la connerie. La haine n’est pas propre à un groupe, la victime d’hier peut devenir le bourreau de demain, l’instrumentalisation de l’holocauste et la haine de certains juifs en offrent la preuve.

Mais rien n’est dû au hasard, ce ne sont pas les Israéliens et les Palestiniens, les Ukrainiens et les Russes, qui se détestent de façon congénitale : c’est une petite minorité qui s’engraisse sur la haine qu’elle provoque : marchand d’infos et marchand d’armes. Ceux-là ne veulent pas la paix, ne veulent pas de gens en bonne santé, cela ne leur rapporte rien.

Comme le chantait un soldat inconnu dans les tranchées, auteur de la chanson de Craône, dans cette boucherie que fût 14–18 :

Adieu la vie, adieu l’amour
Adieu toutes les femmes,
C’est bien fini et pour toujours
De cette guerre infâme
C’est à Craonne sur le plateau
Qu’on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
Nous sommes les sacrifiés

C’est malheureux de voir sur les grands boulevards
Tous ces gros qui font la foire
Si pour eux la vie est rose
Pour nous c’est pas la même chose
Au lieu de se cacher tous ces embusquées
Feraient mieux de monter aux tranchées
Pour défendre leurs biens car nous n’avons rien
Nous autres pauvres purotins
Tous les camarades sont enterrés là
Pour remplir les poches de ces messieurs là

Ceux qu’ont le pognon, ceux-là reviendrons
Car c’est pour eux qu’on crève
Mais c’est fini car les trouffions
Vont tous se mettre en grève
Ce sera votre tour, messieurs les gros
De monter sur le plateau
Car si vous voulez la guerre
Payez-la de votre peau

Le jour où les confits identitaires horizontaux prendront fin pour unir les gens dans une lutte verticale contre cette caste qui nous tue, ils trembleront là au-dessus. C’est surtout ce qu’ils ne veulent pas, et c’est pour cette raison qu’ils nous divisent de toutes les manières possibles.

Unissons-nous, au-delà de nos petites différences.

Il ne nous reste que cela.

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