Se chauffer ou se nourrir, tel sera le dilemme de cet hiver

Témoignage

Je vais de rendez-vous en rendez-vous et la discussion tend toujours vers ce sujet. Ma cliente de ce matin, seule, âgée, mais travailleuse, occupe un charmant petit flat à Schaerbeek.

Elle se bat chaque mois pour honorer ses factures et payer son loyer de 520 euros charges communes comprises.

Elle me reçoit habillée et surcouverte d’un peignoir. 16 degrés dans l’appartement, l’hiver s’annonce rude.

Cette dernière me propose gentiment un café. Autour de celui-ci nous échangeons. Au bout de quelques minutes, la larme à l’œil, elle me tend sa facture d’acompte de notre fleuron belgo-français, bradé sur injonction de l’Europe. 400 euros d’acompte, réclamés pour sa consommation électrique.

Ce studio est, il est vrai très spacieux et luxueux, nous parlons de 40 m² dans un cadre verdoyant de la région Bruxelloise. Cette personne a des goûts de luxe… Elle habite dans la présomptueuse capitale de l’Europe, tout de même, ça se paye ! Elle a fait le choix de louer son logement et de ne pas colloquer !

Elle a un double vitrage, une douche et une cuisine. Elle a de la chance me direz-vous.

Ce paragraphe ironico-triste illustre notre Nouveau Monde. Celui du travailleur serf ou servile.

Cette personne m’annonce la vente de son bien, elle devra bientôt déménager. Par curiosité, je m’informe du prix demandé pour son logement, certes, de petite taille, mais confortable. Elle m’annonce 180.000 euros pour 40m².

Nous nous regardons, un sourire en coin. « C’est cher me dit-elle, je ne pourrais jamais l’acheter. » Elle continue en me disant : « Vous savez tout est cher, je cultive des tomates, des poivrons et des fraises sur ma terrasse, cela m’occupe et au moins je mange des fruits et légumes sans me ruiner » Elle termine en me disant : « Tout me semble cher et inaccessible ». Je la regarde, mon café à la main, et lui dit : « Heureusement, la gentillesse et l’échange que nous venons d’avoir, cela reste gratuit et cela n’a dès lors pas de prix ».

Ma dernière réflexion, lui fait une belle jambe me direz-vous. Pourquoi vous mettre en lumière cette histoire du quotidien ?

Cette situation m’a touché, la pudeur et la fierté de cette dame d’une soixantaine d’années m’ont touché. Aucune once d’apitoiement ou d’aigreur. Elle fait le constat d’un monde qui marche sur la tête. De son côté, cette madame continue malgré tout d’avancer et s’apprête à mettre son manteau pour aller garder des enfants à l’école primaire du coin.

Elle serait en âge d’être pensionnée, mais continue à travailler malgré la douleur dans ses articulations. Elle serait en âge de pouvoir se loger, s’éclairer et se nourrir décemment, mais devra continuer à jouer du système « D » pour arriver à boucler son budget. Elle serait en âge d’avoir un chez elle, mais ne pourra que prétendre à louer le bien d’un autre.

Certains nous prédisent un avenir où nous ne serons plus propriétaires, mais heureux. Je me demande
toujours comment des ayatollahs de la possession peuvent prétendre cela. Fais ce je dis, pas ce que je
fais.
Pourquoi cette histoire, j’y viens.

En Belgique, en 2022, le progrès ne devrait pas signifier se
chauffer ou se nourrir.

Peut-être vous reconnaîtrez-vous en cette inconnue dépeinte en quelques lignes. Dans le cas contraire, je vous invite à ouvrir les yeux, à regarder vos proches, vos voisins, ceux qui sont moins bien lotis que vous. Vous y verrez de la détresse. En Belgique, en 2022, le progrès ne devrait pas signifier se chauffer ou se nourrir.

Ne vous résignez pas, cela n’est pas la norme. Et cela n’est pas dû à la guerre. Les dirigeants politiques ont la possibilité de plafonner les prix (ou tout simplement de les vendre au prix coûtant moyennant l’ajout d’une marge raisonnable), de négocier bilatéralement des accords avec les pays limitrophes si besoin et de privilégier les Belges avant les autres.

Que manque-t-il pour que cela soit fait ? Du courage, saupoudré d’un peu de bon sens.

Nous devons agir, manifester, interpeller à tous les niveaux de pouvoir. Faites-le pour vous, pour vos enfants ou pour ceux qui n’en ont pas la force.

N’acceptez pas de payer ces acomptes astronomiques qui n’ont plus aucune corrélation avec le monde réel. Ne les payez pas, réduisez les officiellement au minimum. Avec une inflation à 10%, il vaut mieux payer 1000euros dans un an que maintenant. Ce sont vos acomptes qui financent vos fournisseurs et qui permettent à cette spéculation de perdurer. Légalement, vous avez le droit et le devoir de refuser.

Je pose ces quelques lignes sans savoir ce qui en découlera. J’espère des dizaines de milliers de personnes devant le parlement, devant les bâtiments d’un conseil des ministres, devant les résidences des ministres. Je veux qu’ils sentent la détresse d’un peuple, le matin en prenant leur café, le midi en dînant au champagne ainsi que le soir lorsqu’ils aspirent à un repos non mérité.

La peur, l’angoisse, le stress de ne pas pouvoir boucler vos fins de mois ne vous quittent pas ? Pourquoi auraient-ils droit au répit ?

Ne lâchez-rien ! Ne les lâchez pas.

Ne restez pas seul chez vous, regroupez-vous, adressez des mails, des courriers à vos élus. Ils doivent
sentir la colère venant d’en bas qui menace d’incendier toute la société.

Jérôme Delforge

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