PANTA RHEI !

Illustré par :

Tout passe, dit Héraclite. Et c’est là une vérité universelle qui ne souffre aucune contestation. Rien de stable dans les univers infinis, dans le monde qui est le nôtre ; et en nous-mêmes pareillement, puisque de la naissance à la mort, le corps ne cesse de se transformer : du nourrisson incapable d’aucune initiative au vieillard paralysé par le poids des ans, « Une vie passe le temps d’une étincelle » dit Montaigne ; mais, dans le secret de nos cœurs, nous préférons croire, vainement, que nous sommes là pour toujours et nous ne pensons à la mort que de loin en loin, comme un événement vague et improbable. Et pourtant, on la voit bien, cette folle illusion quand, autour de nous, s’en vont les parents, les frères et les sœurs ; et les amis. Il en est ainsi de toutes choses et pour tous les êtres vivants. De la même manière, les entreprises humaines, les systèmes politiques, les Royaumes et les Empires, les régimes et les institutions ne sont là que pour « un certain temps ». Rome a été vaincue par les barbares, la grande Révolution de 1789 a aboli l’ancien régime monarchique, le système bolchévik, tout en donnant à rêver à des millions de prolétaires à sa naissance, s’est écroulé en quelques semaines à la suite de la destruction du mur de Berlin, le Reich de mille ans promis par Hitler n’aura duré que douze années, ne laissant derrière lui que ruines et désolation ; et des dizaines de millions de morts.

Bien évidemment, dans le chef des puissants et leurs affidés, les systèmes qu’ils instituent, les règles et les lois qu’ils promulguent, enfin, ce qu’ils édifient et construisent, ils en espèrent longue vie, voire l’éternité. Ainsi du Jupitérien et déjà quasi monarque fraîchement élu dans les conditions que l’on sait, Emmanuel Macron ; lequel, à l’instar d’autres dirigeants de par ce triste monde, entend bien pérenniser et donner toutes ses chances d’encore et partout dominer à l’odieux néo-libéralisme économique, qui est un système parmi d’autres et qui, de ce fait, est lui aussi voué à l’extinction. Mais les grands périls sont là, qu’il faudra bien avoir le courage d’affronter.

PAS SORTIS DE L’AUBERGE !

On sait maintenant que notre planète, si belle et si bleue vue de l’espace, a pratiquement déjà tout donné ou, plus justement, que nous lui avons déjà quasiment tout pris. Toutes les ressources, fossiles et autres, sont au bord de l’épuisement et nous sommes déjà entrés dans l’ère de la rareté, à laquelle succédera inéluctablement celle de la pénurie. Face à cela et malgré les alarmes, bien que tel ministre de l’écologie en appelle à la prise de conscience générale, on en voit d’autres, de l’économie, du budget, que sais-je, se féliciter et se réjouir de voir « la reprise » s’amorcer et les affaires aller de mieux en mieux et, corrélativement, les dirigeants des grandes entreprises se mettre sans vergogne des millions de dollars ou d’euros dans les poches ou ailleurs ; cela ne regarde pas le petit peuple. Qui en est encore à vivre ou vivoter, selon ses moyens, passant une bonne partie de son temps à déambuler dans les galeries marchandes, à dépenser l’argent devenant de plus en plus rare pour certains ; bref, à continuer d’aller, sans état d’âme, son chemin de consommateur plus ou moins repu, comme si de rien n’était.

Mais qui, comment, ou quels vastes et irrésistibles mouvements attendre qui pourraient accomplir l’inéluctable basculement ?

Certes, on fait remarquer que le « bio » a de plus en plus de succès – les grands magasins ont désormais leur rayon nature, plus ou moins bien fourni ; les circuits courts et les achats groupés sont dans l’air du temps ; on peut bien s’en réjouir mais on est loin de l’engouement généralisé. Pour l’essentiel et pour beaucoup de nos contemporains, les habitudes et les injonctions des publicitaires au toujours plus de n’importe quoi restent, hélas ! bien ancrées. Où l’on voit que, de ce point de vue, nous sommes loin d’être sortis de l’auberge et encore, il s’agirait d’en trouver la porte. Il s’en trouve pour, au moins, la chercher : ces partis ou mouvements politiques, aux effectifs encore bien modestes mais qui à l’exigence de justice, ajoutent celle de la prise en compte des impératifs environnementaux. Mais pour le reste, on le voit aussi, les partis traditionnels en sont encore et toujours aux vieilles recettes, usées et inefficaces, pour répondre aux exigences et aux urgences de l’heure.

Nous sommes donc là devant une alternative cruciale, au point de jonction ou, si l’on préfère, à l’entre-deux d’un vieux monde et d’un monde à venir qui devra en finir avec l’ancien. Mais qui, comment, ou quels vastes et irrésistibles mouvements attendre qui pourraient accomplir l’inéluctable basculement ? Et si les forces dominantes d’aujourd’hui en venaient à imposer une tyrannie de l’argent de plus en plus féroce et une lutte de plus en plus âpre pour la simple survie de millions de gens ? Où sont, comment faire advenir les élites éclairées et conscientes susceptibles de contrarier et mettre en échec les visées fatales qui nous mènent à des désastres dont l’ampleur serait sans précédent dans la courte et dérisoire période qui aura vu l’humanité naître, croître et, finalement, disparaître de la surface de la terre ? Autant de questions auxquelles il est impossible de répondre. Une chose est sûre et nous en revenons au grand principe héraclitéen : tout cela passera. Gigantesque et terrible sera le dénouement final de notre présence à la surface de ce globe ; les passagers du vaste et splendide vaisseau qu’il était disparaîtront en même temps que disparaîtront les milliers d’espèces d’animaux qui, déjà, là et maintenant et pour beaucoup, sont en voie d’extinction, par notre seule faute. Celles et ceux qui, comme moi, avaient vingt ans en 1968, auront au moins cette chance d’avoir rejoint les étoiles avant que tout cela advienne…

Jean-Pierre L. Collignon

Espace membre