LES MOTS QUI MENTENT

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On le sait, l’ouvrage fondateur de la publicité moderne est Propaganda, écrit par le neveu de Freud, Edward Bernays, qui a utilisé les découvertes de la psychologie des profondeurs de nos esprits pour mettre nos inconscients au service de la manipulation de foules destinées à devenir de dociles consommatrices compulsives. Le titre dit bien ce qu’il veut dire : on va mentir, un peu, beaucoup, passionnément… pour tromper le chaland. Tout bon séducteur (toute bonne séductrice) sait qu’il (elle) doit mentir à sa victime et utiliser des mots dévoyés de leur sens premier pour embobiner sa proie et la prendre dans ses rets. Voyons quelques exemples de ces détournements sémantiques qui (est-ce un hasard ?) sont utilisés tant dans la pub que par des politiciens retors.

LA FASCINATION TECHNO-SCIENTISTE

Puisque les illusoires promesses technocratiques sont le fonds de commerce de ceux qui veulent faire croire qu’une croissance infinie est possible, il n’est pas étonnant de retrouver des termes scientifiques à profusion dans les publicités. Evidemment, le maître-mot est « intelligence artificielle ». N’importe quel automatisme dirigé par un processus informatique d’une commande de 3 lignes écrites en 2 minutes par un programmeur débutant est une merveille d’intelligence artificielle. Tout devient donc smart dans nos vies et, nous pauvres humains, face à ces mécanismes de plus en plus autonomes, devenons de plus en plus dépendants et incapables de tout.

À côté de l’électronique, la biologie moléculaire connaît aussi du succès et c’est pourquoi l’on entend sans cesse que telle ou telle idée « fait partie de mon/notre ADN ». Pas besoin de connaître la formule et la fonction de l’acide désoxyribonucléique pour impressionner le péquenot qui sera persuadé d’être face à un brillant penseur. Cet appel à l’ADN est d’autant plus déplacé qu’on l’utilise pour qualifier des traits culturels acquis alors que le code écrit dans nos chromosomes est la source même de faits de nature les plus intangibles qui soient, notre patrimoine génétique que rien ne pourra jamais modifier.

En publicité, une traduction plus subliminale de la déification de la science est que, pour vous vendre une lessive, un dentifrice ou tout autre produit banal, on fait prononcer le bobard publicitaire par une dame ou un monsieur en blouse blanche qui, du haut de son savoir, impose ses doctes sentences…

L’ÉCOLOGIE FAIT RECETTE

Alors que l’écologie, la vraie, imposerait de limiter nos consommations, le succès des idées « vertes » est évidemment récupéré par les marchands. Les images de paysages naturels sublimes servent en général de décor pour promouvoir l’achat d’objets (en particuliers les bagnoles) qui vivront dans des environnements hyper-pollués, plus laids les uns que les autres. C’est la base du greenwashing publicitaire mais, pour ce qui est des mots dévoyés, on trouve ces temps-ci, l’usage abusif du terme écosystème. À partir du moment où 2 ou 3 éléments interagissent, on vous parle de l’écosystème de ceci ou de cela, même si c’est à mille lieues de la complexité (souvent incompréhensible pour les esprits humains les plus avisés) d’un écosystème naturel.

Après le détournement (hélas très réussi) du sustainable development organisation supportable ») devenu « croissance qui dure », les récupérateurs s’attaquent au mot « transition ». Dans l’idée des initiateurs (Rob Hopkins vers 2005), c’était le passage (plutôt imminent) de l’ère productiviste à l’ère écologique après les chocs dus au dérèglement climatique et à la pénurie de pétrole (subie ou volontaire). Aujourd’hui, tout petit changement superficiel est devenu une transition (cela marche surtout avec l’adjectif énergétique quand, par exemple, on pousse – ou on oblige – à acheter une nouvelle voiture électrique à la place du véhicule thermique qui marchait encore très bien et qui deviendra un déchet de plus).

Je viens de découvrir dans un texte économique une formule qui m’a stupéfié : « Plan de transition pour des paliers de croissance ». Refusant la notion de décroissance (repli ordonné et organisé), voyant venir la récession (déroute dans le désordre qui touchera les faibles et épargnera les puissants), les dévots de la foi dans le toujours plus vont donc essayer de vendre l’idée que l’arrêt de la croissance (déjà en cours) est par eux planifié et n’est qu’une transition, un palier, avant la reprise de la montée de l’escalier infini vers… ?

Dans le même ordre d’idées, « résilience » qui signifiait changement volontaire de mode de vie permettant de survivre dans la perspective d’un futur choc traumatique (individuel ou sociétal), est devenu dans la bouche des sommités internationales, onusiennes ou européennes, l’adaptation aux mesures austéritaires que l’on imposera aux populations les plus démunies pour que les plus riches puissent continuer à s’enrichir plus encore.

LA TYRANNIE DU LOOK

En guise de mise en appétit pour la prochaine chronique de « Fils de pub » qui accompagnera le dossier « Les féminismes » du Kairos n°45 et qui abordera les publicités qui méprisent les femmes et les considèrent, au mieux, comme des supports d’allumage des désirs entremêlés de sexe et de consommation, parlons des messieurs qui, eux aussi, succombent aux publicités leur promettant la beauté… à coups de chirurgie esthétique. Chez les mâles, plutôt que de promettre la disparition des rides, la remontée des seins ou le rabotage du nez, ce qui est à la mode est la plantation d’une chevelure digne de Samson. Alors qu’une mode est de raser le crâne pour avoir un look viril, certains, pour des sommes rondelettes (plusieurs milliers d’euros), se font repiquer des implants capillaires censés leur (re) donner du charme. C’est apparemment douloureux mais puisqu’« il faut souffrir pour être belle/beau », la publicité est là pour inciter à… s’offrir un voyage à Istanbul qui est devenu le centre mondial du jardinage crânien. Combinant le low cost aérien et le low cost capillaire (50 centimes le poil greffé contre 1,5 à 2€ chez nous), les klashkops, comme on dit à Bruxelles, pourront regarnir leur chef : (Istan)boul contre la boule de billard (c’est la chute… finale).

Alain Adriaens

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