2019 : des milliers de jeunes battaient le pavé, réclamant des mesures robustes pour sortir de l’emballement climatique, qu’ils allaient subir de plein fouet. Des jeunes « plus chauds que le climat », la rage au ventre, protestant contre l’inertie étatique, organisant des grèves scolaires hebdomadaires pour qu’on les entende. Grâce à leur mobilisation, jamais la prise de conscience de l’urgence climatique n’a été aussi forte. Elle a infléchi le cours politique.
Hier encore, les jeunes incarnaient cette génération pleine d’espoir. Aujourd’hui, assignés à résidence, ils sont la génération sacrifiée. Les « Greta Thunberg » et autres figures de proue estudiantines ont largement été réduits au silence. Un confinement qui s’éternise depuis des mois : c’est non seulement l’interdiction de se rassembler, de s’organiser. C’est l’éteignoir, le couvercle qui étouffe insidieusement leur rage de vivre, leur désir ardent de changement. Les jeunes sont devenus les sans-voix. Ils souffrent en silence.
De mois en mois, les tours de vis se succèdent : (re)confinement, port du masque généralisé en tout lieu, instauration d’un couvre-feu, bulle de 1 personne par foyer, renchérissement des sanctions administratives, et à présent, depuis l’annonce du comité de concertation de ce 22 janvier, interdiction de voyager… Pour les secteurs Horeca, culturel et de la jeunesse notamment, chaque réunion de concertation s’apparente au supplice du pal. Strictement aucun horizon ne leur est offert. Le discours politique se calque sur celui des virologues, dans un étrange mimétisme. Sans prendre la mesure de la violence psychologique qu’ils font subir à la population, aux « non-essentiels » qui plongent dans la pauvreté, la colère ou la déprime.
LES VIROLOGUES N’ONT PAS LE MONOPOLE DE LA SANTÉ
Que les virologues appréhendent la santé sous l’angle restrictif du virus n’a pas lieu de surprendre. C’est leur domaine d’expertise. Mais au motif qu’il faille gagner la guerre contre le Covid-19, ils en oublient que l’humain ne se réduit pas à être un « virus sur patte ». La santé est, par essence, multidimensionnelle. Une armada de professions médicales, dont les experts en santé mentale, y travaille. Toutefois, ils ne sont pas sous les feux de la rampe. Que disent-ils ? Ils tirent la sonnette d’alarme…
Dans une étude publiée le 30 novembre dernier, des professionnels en psychologie, psychanalyse, pédiatrie et pédopsychiatrie dressaient notamment un constat terrifiant des dégâts infligés par la politique sanitaire sur les enfants(1). Un traumatisme qui provient d’une inversion des rôles : des adultes infantilisés par l’État et des enfants traités comme des adultes auxquels l’on supprime la joie de vivre, les loisirs, la socialisation, la tendresse. Repli sur soi, régression des apprentissages, un rapport terrorisé au corps et au vivant, de graves perturbations dans le vivre-ensemble et la socialisation. La communication, et ses subtilités non-verbales, sont mutilées par le masque, le réconfort, par le toucher, est réprimé, etc. Pour certains, l’école est désormais vécue sur un mode phobique. « Elle n’est plus le lieu de l’apprentissage de la socialisation, mais celui de l’apprentissage de la distanciation sociale. Elle n’est plus le lieu du vivre-ensemble, mais celui du marquage de la méfiance de tous contre tous »(2).
Pour nos ados également, on leur supprime la projection confiante dans la vie. La démotivation, la baisse d’énergie, le décrochage scolaire les rongent, notamment ceux qui doivent faire face à des difficultés financières. Les activités sportives, artistiques et culturelles, comme gage d’émancipation, ont cédé la place aux écrans, à l’isolement social. Cloîtrés, masqués, culpabilisés, leur chambre s’est insidieusement muée en univers carcéral, où s’invite la peur.
Dans cet état de fait, le gouvernement a une lourde responsabilité. De façon symptomatique, « dangereux » est le terme choisi par le Premier ministre Alexander De Croo, le 18 novembre dernier, pour justifier l’application de la règle « une personne par foyer » à Noël : « Nous serons encore dangereux les uns par rapport aux autres(3) ». Le choix des mots vaut son pesant d’or. « Dangereux » ou l’effet repoussoir. L’autre est un ennemi potentiel dont chacun doit se méfier. Il s’inscrit dans la logique « Nous sommes en guerre » du président Macron. Une rhétorique qui aura permis de ressusciter la pratique de la délation, un moyen commode pour prêter bénévolement main forte à la police dans l’application des mesures coercitives.
La question est : quel conditionnement de terreur et d’impuissance souhaite-t-on imprégner dans le psychisme des enfants, qui sont de véritables éponges de nos émotions, et des ados, chez qui l’« éco-anxiété » fait déjà des ravages et pour qui le besoin de fuir le cocon familial et de se frotter au monde extérieur est vital ?
À ce sujet, les experts affirment, dans un article paru dans The Lancet, « Child & Adolescent health », que les interactions sociales font partie des besoins de base des enfants et des adolescents, tout comme le besoin fondamental de manger ou dormir(4). Autrement dit, « des besoins essentiels », dont la privation renouvelée oblige nos jeunes à vivre durablement en apnée…
Au nom d’une prudence extrême dans la gestion du virus, on est en train d’engendrer une génération de jeunes malades psychiquement. À ce jeu, l’autorité étatique prend le risque d’être de plus en plus vécue comme déshumanisée, robotisée, un agent de contrôle et de surveillance, suscitant une défiance croissante de l’opinion, singulièrement auprès des jeunes stigmatisés.
Les remèdes : un changement de cap radical des médias dominants et des politiques, qui nouent des liaisons dangereuses. Ce qui passe, entre autres, par un changement narratif, en retrouvant le sens profond de la solidarité, la compassion et la bienveillance ; des valeurs qui ne se décrètent pas à coup d’arrêté ministériel.
DÉSAMORCER LA BOMBE PSYCHIQUE
Depuis des mois, les médias officiels nous biberonnent à la peur de la mort. Ils nourrissent un discours binaire, de stigmatisation : les « complotistes », les « conspirationnistes », etc. Ils nous livrent également une pensée prédigérée. À leurs yeux, la seule clé de lecture de la réalité qui vaille est visiblement celle véhiculée, en priorité, par les experts virologues et épidémiologistes, pour qui le gouvernement n’en fait jamais assez. Leur appel semble unidirectionnel : plus d’interdiction, plus de contrôle coercitif, au motif qu’il faut enrayer la première vague, prévenir puis contenir la deuxième, et ensuite la troisième, encore plus dangereuse, avec ses nouveaux variants !
Inaptes à voir la crise en 3D, ils ont de facto fait basculer nos vies dans le mode « survie ». Or, force est de rappeler qu’à côté des victimes du Covid, il y a les autres pathologies, en ce incluse la santé mentale, et enfin, l’économie. In fine, en s’inscrivant durablement dans le sillon de l’approche sectorielle, et forcément limitative, des virologues, les autorités politiques prennent le chemin du joueur de flûte d’Hamelin : sauver des vies en les détruisant.
DES JEUNES STIGMATISÉS, MAIS QUI ENCAISSENT…
Ce matraquage médiatique a réussi, en un temps record, à faire basculer le concept de « liberté » dans le registre des mots « honteux », singulièrement pour les jeunes, qui en sont épris. À l’heure « covidienne », la liberté qu’ils réclament tend subitement à être associée à de l’égoïsme ou de l’individualisme forcené. Mais à qui la faute ? Le « chacun pour soi », n’est-ce pas la marque de fabrique du néolibéralisme économique qui régit notre société ? La liberté n’est-elle pas le socle du marché unique européen, qui repose sur la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux ? Un des mantras de l’UE n’est-il pas précisément l’accroissement de la compétitivité, au moyen de la mise en concurrence ? Le « darwinisme social » n’est-il pas l’enfant légitime de l’ultra-libéralisme ? Nos jeunes ne sont-ils pas baignés dans un système éducatif qui valorise entre autres le mérite individuel, la performance ?
Certes, le principe selon lequel « la liberté de chacun s’arrête là où celle des autres commence » est d’une actualité brûlante, à l’instar de l’indispensable solidarité. Dans cet esprit, les jeunes qui enfreignent les règles sont dans leur tort. Mais peut-on raisonnablement se limiter à un discours moralisateur, culpabilisateur, répressif et punitif à leur égard, compte tenu qu’ils sont porteurs des valeurs que nous leur avons inculquées ?
Plus fondamentalement, on s’étonne de la facilité à laquelle on a pu basculer, en quelques mois, d’une société occidentale d’« enfants-rois », éprise de la pédagogie « il est interdit d’interdire », soucieuse de prohiber toute violence éducative ordinaire, au moyen de l’adoption de loi « anti-fessée », à une société « covidienne », où la maltraitance psychologique se pratique à grande échelle, avec le consentement implicite de la majorité silencieuse.
C’est que la gestion de crise prend, en effet, de plus en plus les traits d’une « thérapie de choc » : instauration de la règle « une personne par foyer » qui divise les couples et les fratries; assimilation de l’enfant à un meurtrier s’il a embrassé spontanément ses grands-parents ; intransigeance scolaire face à l’inconfort du port du masque en continu pour la respiration ; interdiction du câlin ; interdiction de fêter la fin des examens entre amis, etc. D’une certaine façon, « s’aimer » est prohibé, hormis de façon virtuelle.… Telles sont les dérives d’un univers « hygiéniste », « aseptisé ».
La santé mentale est dans l’angle mort de la crise sanitaire. Le gouvernement est aveugle à la souffrance grandissante de la population, et singulièrement des jeunes. Or, elle est une bombe à retardement, d’autant plus que le covid-19 ne les terrasse pas seulement mentalement. Il les couvre de dettes. Pour amortir le choc de la pandémie, l’UE et ses États membres ont sorti l’artillerie lourde. Du jour au lendemain, on est passé de la rigueur budgétaire dogmatique à l’endettement public vertigineux. À charge des générations futures.
Autre épée de Damoclès. Le covid aura permis ce grand bond en avant dans l’ère numérique, dont l’impact sur l’environnement est colossal. Une dette écologique, qui s’échelonne de l’extraction des métaux rares à la gestion de millions de tonnes de déchets électriques et électroniques produites chaque année. Sans compter qu’une consommation effrénée, voire compulsive, de ses multiples applications encourage une gabegie électrique sans précédent. À ce stade, le numérique est responsable de 4% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, soit le double du transport aérien ; une empreinte carbone amenée à doubler d’ici 2025, et qui ne manquera pas d’alimenter l’«éco-anxiété » des jeunes.
La peur de la mort ne doit pas conduire à la mort de l’intelligence collective, du bon sens et de la bienveillance. Il est urgent de retrouver de l’humanité.
Inès Trépant, politologue et autrice d’essais sur la politique européenne.
- « Impact traumatiques de la politique sanitaire actuelle sur les enfants: un constat clinique alarmant » (30 novembre 2020). https://reinfocovid.fr/wp-content/uploads/2020/12/Politique-sanitaire-enfants.pdf
- Idem, p. 11.
- Propos du premier ministre Alexander De Croo, tenu le 18 novembre 2020. « D’ici la Noël, le coronavirus sera toujours là. Et les gens ne sont pas vaccinés. Nous serons encore dangereux les uns par rapport aux autres. Il faut oser le reconnaître ». https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_coronavirus-en-belgique-nous-ne-voulons-pas-de-vague-de-noel-affirme-alexander-de-croo?id=10635002
- https://www.thelancet.com/journals/lanchi/article/PIIS2352-4642(20)30186–3/fulltext, cité dans l’étude précitée, p. 3.