LES FAKE NEWS NE SONT PAS L’APANAGE DES RÉSEAUX SOCIAUX

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Le texte qui suit a été proposé pour publication à La Libre Belgique, qui l’a refusé, pour des raisons d’équilibre éditorial (1). Il a ensuite été proposé au Soir qui n’a pas pris la peine de répondre. Je profite donc de l’accueil qui m’est accordé régulièrement par Kairos pour le faire connaître. J’ai la faiblesse de croire qu’il est intéressant et … dérangeant.

Il est de bon ton de tourner en dérision les informations fantaisistes ou sans fondement qui pullulent sur les réseaux sociaux. Il est légitime de s’en indigner lorsque de fausses nouvelles (il est plus moderne de dire fake news) sont répandues dans le but de tromper ou de manipuler l’opinion publique.

Cela dit, il peut être tentant de qualifier de fake news (voire de propos conspirationnistes) des déclarations ou propos basés sur des faits vérifiables ou des études crédibles qui ont le tort de contredire le discours dominant. Certains journalistes ne résistent pas toujours à la tentation de recourir à l’amalgame pour discréditer une thèse controversée ou politiquement incorrecte.

En cette période de début de déconfinement physique, il serait regrettable de voir s’installer insidieusement un autre confinement, celui de la pensée dont les conséquences seraient dramatiques pour notre fonctionnement démocratique. Il ne s’agit pas ici d’hypothèses théoriques, mais de constats qu’il est facile de vérifier. Depuis de longs mois, la presse quasi unanime relaie généreusement les discours et prévisions enthousiastes sur l’avènement de la 5G émanant de l’industrie des télécommunications.

Les prises de positions critiques, de plus en plus nombreuses et largement étayées, émanant d’associations citoyennes, mais aussi de scientifiques préoccupés par l’impact potentiel de la 5G sur l’environnement, la santé et les équilibres planétaires, sont à peine évoquées. Pire, lorsqu’elles le sont, c’est pour les soumettre d’emblée à l’avis généralement aussi péremptoire que méprisant des porte-parole de la bien-pensance industrielle.

Un pas de plus a été franchi récemment avec une déclaration du CEO de Proximus, Guillaume Boutin, affirmant pour prouver l’innocuité du déploiement de la 5G ce qui suit : « On recense 30.000 études sur l’impact du rayonnement électromagnétique lié à la téléphonie mobile. Aucune d’entre elles n’indique qu’il y aurait un risque pour la santé ». (Interview du 3 avril dernier dans La Libre Belgique). Le président du Conseil d’administration de Proximus, l’ancien ministre Stefaan De Clerck, a pris à son compte ce propos lors de l’assemblée générale du groupe (voir L’Écho du 16 avril 2020). Or cette affirmation est une contre-vérité grossière. Soit MM. Boutin et De Clerck affabulent par ignorance, soit ils mentent de la manière la plus cynique.

En tout état de cause, il s’agit là de fake news visant à tromper l’opinion publique. Émanant de personnalités responsables d’une entreprise de service public, c’est inacceptable. Que MM. Boutin et De Clerck disent que la littérature scientifique ne permet pas d’affirmer la nocivité des rayonnements électromagnétiques liés à la téléphonie mobile, pourrait encore se comprendre. C’est tout à fait faux, mais il est vrai que des scientifiques proches des milieux industriels continuent à le proclamer sur base d’études épidémiologiques qu’ils jugent non concluantes. Ils auraient au moins quelques références sur lesquelles s’appuyer, alors que leur déclaration ne repose sur rien.

C’est d’autant plus grave que cette même déclaration a manifestement inspiré le ministre Philippe De Backer. Dans sa réponse à une question parlementaire récente (mercredi 6 mai 2020), il dit : « Les aspects sanitaires des radio-fréquences et en particulier celles utilisées dans la téléphonie mobile font l’objet de différentes études scientifiques. Depuis plus de 30 ans, de multiples études sont réalisées. L’évolution de ces études est suivie en permanence. Sur la base de ces études, aucun lien n’a été démontré entre l’émission d’ondes et un quelconque danger sur la santé, à condition que ces émissions restent dans les limites recommandées par l’Organisation mondiale de la santé. »

Le ministre se révèle ainsi le porte-voix fidèle de l’industrie des télécommunications. Il devrait prendre connaissance des très nombreuses publications scientifiques qui contredisent ses propos. Il devrait aussi prendre connaissance du rapport du Conseil supérieur de la santé du 19 mai 2019 lequel, à propos de l’exposition aux radiations non ionisantes, reconnaît qu’il a été démontré que les rayonnements de micro-ondes agissent via activation des canaux calciques dépendant du voltage, induisant des effets biologiques à des niveaux non thermiques (c’est-à-dire en dessous des valeurs limites recommandées par l’OMS lesquelles ne reconnaissent que les effets thermiques).

En cas d’exposition régulière ou, pire encore, permanente, ces effets biologiques sont susceptibles d’entraîner des conséquences graves pour la santé, particulièrement pour les enfants et les embryons.

De nombreux risques de dommages à la santé sont identifiés :

  • lésions de l’ADN cellulaire ;
  • stress cellulaire ;
  • altération de l’expression des gènes ;
  • troubles neurologiques, y compris dépression et autisme ;
  • troubles cardiaques, incluant tachycardie, arythmie et arrêt cardiaque ;
  • perturbation du sommeil ;
  • infertilité et altération de la qualité du sperme ;
  • cancers.

Par ailleurs, le ministre feint d’ignorer que la 5G mettra en œuvre des gammes de fréquences inédites (3.5 et 26GHz) pour lesquelles les études d’impact biologique sont rares.

Lorsqu’on déplore la perte de confiance de la population envers les responsables politiques, il y a lieu de s’interroger d’abord sur l’attitude de ces mêmes responsables. La confiance doit avant tout se mériter. C’est vrai aussi pour les médias. Le technologisme ambiant a fait basculer beaucoup de journalistes de l’esprit critique à la croyance. C’est particulièrement interpellant lorsqu’on est confrontés à des enjeux de société aussi déterminants que celui de la généralisation de la 5G.

Paul Lannoye
Docteur en Sciences physiques, Président du Grappe.

Notes et références
  1. « Monsieur, Nous vous remercions pour l’envoi de votre texte que nous transmettons à notre journaliste qui couvre la 5G. Malheureusement, alors que nous recevons pour l’instant un nombre exceptionnel de textes, et que nous avons publié ces dernières semaines une majorité d’opinions opposées au développement de la 5G, nous ne pourrons donner suite à votre tribune dans nos pages Débats. Nous vous remercions pour votre compréhension, Bosco d’Otreppe pour les pages Débats ».

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