« Les pressions des marchés pourraient réussir là où les autres approches ont échoué. Lorsqu’ils font face à des conditions insoutenables, les autorités nationales saisissent souvent l’occasion pour mettre en œuvre des réformes considérées comme difficiles, comme le montrent les exemples de la Grèce et de l’Espagne ». Ce document du FMI, daté de novembre 2010, en dit long sur l’opportunité de la crise et l’endettement qu’elle a précipité. Opportunité qui est tout sauf le fruit du hasard car elle a été savamment orchestrée par nos gouvernements néolibéraux européens – et les autres – totalement non-coordonnés en terme de politique monétaire, mais tout à fait cohérent dans le domaine des politiques budgétaires et salariales : baisses des dépenses sociales, diminution des traitements des fonctionnaires et de leur nombre et atteinte aux systèmes des retraites ajoutés à des politiques fiscales avantageuses pour les plus riches (réduction de la fiscalité directe et évasion fiscale). En Belgique, entre 1986 et 2007, le taux d’imposition de la tranche de revenus la plus élevée est passé de 72 à 50%. Ces réductions rendent à leur tour le service de la dette en regard du PIB plus important, ce qui provoque une hausse des taux d’intérêt réclamés par les hedge Funds et les banques, dans un enchaînement à la fin tragique probable, que souligne l’économiste Frédéric Lordon : « cet enchaînement absurde dans lequel les hausses des taux d’intérêt déclenchées par les attaques de panique spéculative dégradent cumulativement les soldes budgétaires (le service de la dette creuse le déficit qui alarme la finance qui fait monter les taux qui augmentent le service de la dette…), à quoi les politiques économiques répondent en approfondissant la restriction… et les dettes » (Le Monde diplomatique, décembre 2011).
Et cette mécanique bien rôdée profite deux fois aux plus nantis : « les gouvernements diminuent la fiscalité. Ils empruntent à ceux qu’ils décident de ne pas « taxer ». Le service des intérêts opère un transfert de richesse au bénéfice des détenteurs des titres de la dette. Il renforce leur pouvoir économique et leur poids politique ». Le jeu est dit !
On soulignera l’intérêt de la description concise qu’offre Chesnais du mécanisme de la dette. Il faudra toutefois compléter avec profit cette lecture par des ouvrages relatant ce qui a en grande partie conduit à l’endettement dans un contexte de croissance rapide : l’épuisement des ressources et l’augmentation subséquente de leur prix, ainsi que d’autres livres portant sur la fabrication du consommateur moderne.
L’auteur conclut avec une problématique fondamentale, connue de l’antiproductivisme : « les questions cruciales – que produit-on, pour quels besoins individuels et collectifs, où localise-t-on la production, avec quelle dépense d’énergie et quelle conception de l’activité de travail est-elle organisée – ne peuvent pas continuer à être subordonnées aux stratégies de maximisation des profits des entreprises ».
A.P
Les dettes illégitimes, quand les banques font main basse sur les politiques publiques, Chesnais, F., Editions Raisons d’Agir, Paris, 2011