Chère lectrice, cher lecteur,
C’est la crise, comme vous le savez, du genre de celle dont on ne sait pas trop où elle mène mais qui nous emporte, c’est certain, vers des temps mouvementés. Cela n’est pas arrivé par hasard. Là où nous en sommes, les médias de masse ont indubitablement contribué à nous pousser, entretenant complaisamment ou activement les politiques productivistes du toujours plus et du chacun pour soi, alimentant la surenchère racoleuse, obnubilés qu’ils sont par la croissance de leurs parts de marché alors qu’ils perdent leur lectorat et leurs moyens. Voilà notamment ce qui explique la naissance de Kairos.
Face à cette crise, qui est la conséquence logique de notre mode de développement et non pas un accident de l’histoire, nous n’entendons en effet pas assez, pas du tout assez, les propos et propositions qui nous semblent être des réponses adéquates ou valables. Qui, aujourd’hui, défend des positions qui aient sens face au rouleau compresseur économiste qui dévaste dans un même mouvement la nature, la conscience, l’homme, la société? On ne voit point venir de parole qui tente d’articuler les propos de manière à s’adresser simultanément à ces dimensions diverses et indissociables, et que pourtant on a pris l’habitude de séparer en Occident. Et lorsqu’on entend des voix hétérodoxes, elles ne sont souvent que l’alibi au tsunami médiatique qui alimente le bain culturel de la surconsommation, du productivisme, de la vacuité.
Nous n’entendons pas non plus les propositions et analyses qui sont à la hauteur des enjeux, c’est-à-dire qui cherchent suffisamment en profondeur pour aller à la racine du mal. Autrement dit, notre époque manque cruellement de radicalité, qui fait ici figure en réalité de simple cohérence. Plus que jamais peut-être, la radicalité est non seulement une réponse réaliste à l’état de délabrement généralisé, mais aussi une nécessité pragmatique pour envisager d’autres manières de vivre mieux, qu’il s’agit de rendre possible avant qu’une chape de plomb telle que mitonnée par nos élites économistes ne s’abatte sur les restes de nos frêles démocraties.
Les aménagements à la marge, les palliatifs et accompagnateurs du système façon « développement durable » légitiment la course du pire qu’ils prétendent pourtant arrêter ou détourner. Kairos se veut radical pour être réaliste. Réaliste, et donc radical. Une radicalité qui se mesure à l’aune de valeurs morales et qui a prise sur le réel. Ce qui interroge l’endroit où s’applique premièrement cette radicalité et jusqu’à quel point, à quoi Kairos répond par un effort de non-violence.
Cette « radicalité articulée », Kairos la trouve dans l’antiproductivisme, dans l’objection de croissance, dans la simplicité volontaire, quand il s’agit en même temps de cultiver la convivialité et de promouvoir des sociétés décentes. Pourtant, la logique médiatique qui est le reflet déformant des dynamiques électoralistes et économistes, oppose à l’antiproductivisme décent la politique du silence. Kairos entend donc répondre modestement à la nécessité d’une médiatisation des propos antiproductivistes qui pour être connus doivent pouvoir être entendus, en débouchant sur autre chose que du bla-bla, et en s’efforçant de lier analyse et action, critique et témoignage, invitation à penser et à agir.
Kairos sera édité cinq fois l’an dans le format de ce premier numéro et une fois supplémentaire en numéro spécial, davantage centré sur un sujet traité de manière plus approfondie.
Dans chaque numéro, vous trouverez cinq chroniques, autonomes et complémentaires, tenues généreusement et haut la plume par Gwenaël Brees (Vidéaste, membre du Nova et d’Inter-Environnement Bruxelles), Jean-Pierre Léon Collignon (indispensable chroniqueur mondain), Paul Lannoye (député européen honoraire, administrateur du Groupe de Réfléxion et d’Action Pour une Politique Ecologique), l’ONG Corporate Europe Observatory et l’asbl Foire aux Savoir-Faire.
Différentes rubriques s’installeront au fil des numéros. Dans cette première édition, nous décrirons l’une de ces « évidences qui n’en sont pas ».
Des dossiers thématiques seront régulièrement proposés, sans qu’ils soient systématiques. Nous ouvrons le bal avec un dossier intitulé « Pour une RTBF sans pub ». Il comptera deux parties consacrées à l’influence de la publicité commerciale sur la RTBF, alors que son contrat de gestion est en cours de renégociation. Nous proposons dans cette livraison une action « campagne de lettre », de sorte qu’en lisant Kairos, vous pouvez aussi agir !
Nous consacrerons également dans chaque numéro une attention particulière à des alternatives bien vivantes et actuelles, des initiatives qui sont la preuve non seulement qu’un autre monde est possible, mais aussi qu’un autre monde est déjà là, un monde plus juste, plus fraternel, plus beau, soutenable… et qu’il ne manque finalement pas grand-chose pour qu’il prenne de l’ampleur, se substitue à celui dont l’effondrement commence sous nos yeux. Dans ce numéro, vous trouverez une présentation de « Terre en vue » par deux de ses initiateurs.
Kairos proposera aussi un service de petites annonces, des recensions de lectures, de brefs commentaires de faits d’actualité, dont certains prolongements sur son site internet qui s’étoffera progressivement (www.kairospresse.be).
Chère lectrice, cher lecteur, nous espérons que Kairos ne vous laissera pas indifférent, vous intéressera, vous questionnera, vous poussera à réfléchir, ne pas fléchir et à agir, parce que c’est le moment!
Au plaisir de vous lire,
Jean-Baptiste Godinot,
Pierre Lecrenier,
Alexandre Penasse