La pub in-game

Difficile de ne parler que français quand on entre dans le monde des jeux vidéo. On s’adaptera et on vous traduira.

Vous pensez peut-être que l’industrie de l’entertainment (divertissement) c’est le cinéma ou la musique. Grosse erreur : ces deux secteurs généraient en 2019 des chiffres d’affaires de seulement 40,5 et 20,2 milliards $. Par contre, les jeux vidéo amenaient des recettes de 145 milliards $. Et, en 2020, les gamers (joueurs) confinés ont fait bondir le chiffre de 14% à 165 milliards $. Un tel marché ne pouvait que faire saliver les marques. Leur recours aux jeux vidéo est de plus en plus fréquent et se divise en deux pratiques : l’advergame qui est le fait de promouvoir la marque en créant un jeu dédié (Ikea, H&M) et l’in-game qui intègre la marque dans l’univers du jeu, l’équivalent du placement de produits dans les films ou séries télévisées.

Il serait erroné de croire que les jeux vidéo sont pratiqués seulement par des nerds (adolescents boutonneux passionnés d’informatique passant leurs journées derrière leurs écrans)(1). 48% des joueurs sont des joueuses, l’âge moyen des joueurs réguliers est de 40 ans et la pratique se déroule largement sur smartphones. Apparus en 1972 sur des arcades (meubles munis d’un monnayeur placé dans un lieu public comme des centres commerciaux, des bars ou des établissements spécialisés), les jeux se sont progressivement déplacés vers des consoles, puis des PC et enfin des mobiles. Ces derniers occupent aujourd’hui donc près de 50% du marché (sans compter l’achat du mobile).

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les recettes ne proviennent donc pas de l’achat de machines ou même des programmes, mais bien de l’achat d’items en ligne. Expliquons. Les jeux les plus courus sont des battles (combats) : une centaine de gamers sont droppés (déposés) sur une map (carte d’un terrain, le plus souvent une île) et le but est d’éliminer les autres et de rester le dernier survivant. Mais pour être celui-là il faut vous procurer des armes, des shields (protections) et autres skins (changement d’apparence). Tout cela peut se commander en ligne (ou s’échanger avec d’autres joueurs, un marché qu’a étudié, début des années 2010, un économiste, un certain Yanis Varoufakis) et, selon certains, ces achats représentent 80% des recettes (dans le feu de l’action, pour ne pas mourir, on est prêt à des dépenses un peu folles…).

La publicité trouve là un terrain propice, avec un public au pouvoir d’achat solide, mais elle doit s’avancer avec habileté : la pub ne doit pas interrompre l’expérience, elle ne doit pas interférer avec le gameplay. Il faut que la marque s’intègre à l’univers du jeu et ne soit pas en décalage par rapport au profil des utilisateurs. La marque doit se mettre en scène et devenir contenu à part entière afin que la dimension publicitaire s’efface et que le message ne soit pas matraqué brutalement. La marque et ses produits doivent faire partie intégrante du jeu.

Un head of digital (chef du département numérique) d’une agence pub plaide : « Un public captif, qui déserte les autres médias, un secteur peu préempté par les concurrents, avec des opportunités créatives illimitées. Hélas, le marché publicitaire et les annonceurs restent étonnamment sur leurs préjugés ». On peut toutefois être certain que cela ne va pas durer : YouTube a cumulé 100 milliards d’heures de contenus jeux vidéo visionnés en 2020. Cela fait beaucoup d’occasions de placer des messages publicitaires et ce d’autant plus que les gamers ne sont pas encore saturés : une étude a estimé que 82% des joueurs réagissaient positivement à la publicité au sein des jeux et, en 2018, une étude de l’Ifop(2) affirmait que les achats intégrés dans les jeux avaient convaincu 20% des Français…

Alors, des marques de luxe (Vuiton) proposent aux gamers de doter leurs avatars virtuels de leurs bijoux et autres accessoires (avant de les acheter), des marques de prêt-à-porter se précipitent : « Les magasins physiques sont fermés ? Qu’à cela ne tienne, ouvrons un magasin dans ce jeu vidéo ! ». Certains jeux interrompent le jeu pour annoncer des défilés de mode, des événements sportifs ou le lancement de films aux thèmes proches du scénario du jeu…

Comme le disait McLuhan, « le médium est le message » et donc le fait d’utiliser un média apparemment encore nouveau et innovant est un message à part entière qui confère à la marque une dimension de modernité.

Alain Adriaens

Notes et références
  1. On dénombre toutefois 0,5% à 4% des 2,5 milliards de joueurs qui souffrent de graves addictions aux jeux, avec de lourds symptômes.
  2. https://www.afjv.com/news/9310_les-francais-et-le-jeu-video-en-2018-sondage-ifop.htm

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