La nébuleuse (soi-disant) anti-autoritaire plonge dans la confusion, la délation et l’insulte

Les vrais opposants au totalitarisme en cours – anarcho-écologistes, naturiens, décroissants, anti-industriels – sont depuis quelques temps violemment attaqués et « trollés » sur les réseaux asociaux, signe qu’une sereine confrontation d’idées devient difficile, voire impossible. Et les attaques ne viennent pas de la droite, mais de la gauche. Comme Pier Paolo Pasolini l’avait prédit juste avant sa mort en 1975, une forme néo-stalinienne de « fascisme antifasciste » sévit aujourd’hui, à la fois sur la Toile avec des sites se présentant comme « libertaires » (sic) et IRL (In Real Life) quand des intellectuels organiques sont « annulés » (i. e. censurés, empêchés de prendre la parole publiquement), parfois même agressés physiquement, si bien que les maîtres de ce monde n’ont aucun mouron à se faire concernant leur mainmise sur les cerveaux. La gauche a abandonné son rôle traditionnel de contre-pouvoir critique, qui est nécessaire à la vie démocratique ; par ressentiment, elle s’en prend non à ses ennemis (?) capitalistes, mais aux esprits libres qui ne renoncent pas au franc parler (la parrhesia des anciens Grecs) et ont le tort de ne pas réciter le catéchisme progressiste.

La traductrice Annie Gouilleux en fait partie. Elle réagit ci-dessous à un article incendiaire posté récemment, « Le naufrage réactionnaire du mouvement anti-industriel », dans lequel elle est mise en cause, comme tous ses amis de la mouvance. Son propos est cependant d’une portée générale, tant les exemples de cette littérature « antifa », aussi intellectuellement paresseuse qu’insultante, abondent. 

Je parle de « nébuleuse » à propos des auteurs (et/ou auteures ?) du pamphlet intitulé Le naufrage réactionnaire du mouvement anti-industriel qui se réfugient courageusement derrière l’anonymat que leur procure Mars-Info tout en lançant des accusations ad hominem. Tous ceux qui sont accusés de « faire le jeu de » ou, pire, de « frayer avec » l’extrême-droite signent ce qu’ils écrivent. C’est également mon cas. Je suis mise en cause en tant que traductrice de Paul Kingsnorth (il serait utopique de croire qu’ils ont lu Lewis Mumford ou Maria Mies), précisément parce que je signe mes traductions. J’ajoute que je ne traduis que les textes que je trouve intéressants – ou que mes amis, mis en cause ici également, jugent intéressants – et/ou utiles dans la « guerre des idées » qui est ou devrait être notre meilleure arme si le débat était possible.

Une nébuleuse, c’est confus, et celle-ci l’est particulièrement. J’essaie ici de dresser une liste (non exhaustive) de leurs confusions :

  • Deviendrait islamophobe quiconque se prononce contre l’islamisme qui n’est pas une religion (islam) mais une idéologie mortifère. Et « en même temps », comme dit l’Autre, ils seraient aussi taxés de racisme. Sur quelles bases ? Mystère ! Nos détracteurs détestent les religions et les croyants puisqu’ils traitent de fasciste quiconque avoue son appartenance à une Église, seraient-ils aveuglés par leur foi irréductible dans le Progrès qui innove ?
  • Ce qui nous amène au deuxième problème, la mauvaise foi éhontée, que pose ce texte et qui est le pendant d’un prudent anonymat, à savoir que nos accusateurs ne s’embarrassent pas de preuves, de citations exactes, non tronquées et tenant compte du contexte ni de citations de leurs sources. Cela rend la plupart de leurs audacieuses assertions invérifiables, à moins de passer sa vie et ses nuits sur l’Internet. Mes amis (notamment Pièces et main d’oeuvre et les gens de La Lenteur) prennent la peine de citer scrupuleusement leurs sources et de démontrer leurs thèses, car ils savent encore lire et ne se contentent pas de « capter » des lambeaux de pensée dans le Cloud. Comme le dit Paul Cudenec, nos détracteurs feignent d’ignorer comment fonctionne l’Internet, où tout peut être copié, plagié, déformé et où n’importe qui peut s’approprier un contenu ou un pseudo.
  • À propos de ce merveilleux outil convivial, que dire de Globenet qui n’existerait pas sans ceux qu’il héberge et qui vient de virer PMO en arguant d’un texte vieux de plusieurs années dont le contenu a tout à coup eu  l’heur de leur déplaire? Ou bien ont-ils subi des pressions, comme La maison de l’écologie à Lyon, pour interdire la participation des féministes de Floraisons ? (J’ai assisté en 2014 au blocage violent du débat avec Alexandre Escudero).
  • Autre confusion : si l’extrême droite dit que la terre est ronde, dois-je immédiatement rétorquer qu’elle est plate, de crainte d’être accusée de connivence avec eux ?
  • Je suis une femme, et même une vieille femme. La cause des femmes m’importe au plus haut point, et elle est à mon avis indissociable de celle des hommes. Et à ce sujet, la confusion est à son comble. Le féminisme auquel j’adhère lutte contre le capitalisme patriarcal qui nous invisibilise et nie notre corps, ainsi que notre travail de reproduction au profit du travail productif marchand. Ce travail productif dépend du travail de reproduction qui le rend possible. Tout ce qui crée et/ou entretient la vie est du travail reproductif. Nous ne souhaitons pas forcément en être déchargées par d’autres, par des machines, ni par les biotechnologies. Nous pensons que le travail social reproductif doit être partagé par tous. Nous exigeons que l’intégrité de nos corps soit respectée. Les biotechnologies nous exploitent et nous réifient. Ce que nous refusons est de disparaître, de nous effacer et de devenir des « personnes avec utérus », et autres périphrases stupides dans le but de ne pas heurter la sensibilité des « femmes trans » et des « hommes enceints ». Ce n’est pas nous qui écrivons « Mort aux TERFs ! » sur les murs. Et les hommes feraient bien de se préoccuper également de leur disparition programmée, car avec le déferlement du porno accessible en quelques clics dès le plus jeune âge, quelle adolescente a envie de devenir une femme ? D’où peut-être son désir de devenir un homme. Ou son refus de la sexualité. On est bien loin des conquêtes des années 1970. Et que dire de ces « femmes trans » qui participent de manière déloyale aux compétitions sportives réservées aux femmes ? Dire cela ne fait pas de nous des anti-féministes. C’est exactement l’inverse.

Bien entendu, nous n’échappons pas à l’accusation d’essentialisme, crime intellectuel suprême (débrouillez-vous avec vos dictionnaires). Accusez quelqu’un de n’importe quoi (dans l’air du temps, de préférence), balancez tout cela sur le Web. Même si la « culpabilité » supposée de cette personne est démentie plus tard, preuves à l’appui, il en restera toujours quelque chose susceptible de la mener à la ruine. Qui emploie des méthodes inqualifiables, ici ?

Pour ma part, j’aime assez cette citation : « Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend. » Ce qui présuppose, me semble-t-il, l’existence d’une nature.

Annie Gouilleux

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