LE FOOTBALL, SPECTACLE DU MAL-ÊTRE SOCIAL
Il ne faudra plus s’étonner de tout ce que ce monde, qui a élevé la cupidité en valeur absolue, est capable de nous proposer. Tout ce qui rapporte est bon : la mort, les déchets que ce système crée et reproduit, les guerres, la spéculation sur toutes sortes de «valeurs», même si elles privent une majorité de manger à sa faim, … Il ne faudra plus s’en étonner, mais, chaque fois, poussées plus loin par l’esprit de lucre, les créations de cette société n’en finissent néanmoins pas de nous surprendre.
Tout doit rapporter donc. Et cela fonctionne. Le jeu, cette « activité physique ou mentale purement gratuite, qui n’a, dans la conscience de la personne qui s’y livre, d’autre but que le plaisir qu’elle procure » (Le Petit Robert), devenu spectacle, n’a plus rien du jeu. Après les clubs de foot cotés en bourse, joueurs et clubs « achetés » par le Quatar, le scandale des matchs truqués, devons-nous donc être étonnés que Fantex, « la première plateforme qui vous permet d’acheter et de vendre des actions en lien avec la performance d’une marque (sic) athlète pro », vienne de proposer de coter en bourse un joueur de football américain ? Passée la surprise, la seule question qui demeure encore ne porte plus sur ce que l’on va encore inventer pour satisfaire l’avidité actionnariale, mais : où cela va-t-il s’arrêter ?
Pas si vite, à en croire l’engouement que suscite le spectacle sportif moderne ? 45 000 supporters dans le tribunes et aux alentours, et plus de deux millions devant leur poste, pour le match des diables rouges le 15 octobre. Des milliers amassés sur les places des grandes villes, relayés par les médias dans leur frénésie exhibitionniste. Quand pouvons-nous espérer une telle foule pour une manifestation anti-nucléaire, ou un soutien aux Afghans expulsés et traités comme des chiens par les forces de l’ordre ? Le foot-spectacle aura réussi mieux que tout ce pari impossible de relier des individus atomisés, de délier au nom du lien. De réunir pour mieux séparer . Dans des jeux modernes où l’on « regarde ce qui se passe sans y être mêlé ».
Le spectacle du foot, qui n’est rien d’autre, qu’on le veuille ou non, qu’un divertissement nécessaire de l’hédonisme consumériste – que doivent bien reconnaître ceux qui sont pris par cette « passion » -, nourrit les besoins d’une unité illusoire, dont l’autre versant n’est que rejet et ostracisme. Starification par les médias, et puis le peuple, de footballeurs gagnant en quelques minutes ce que leurs spectateurs gagnent en quelques heures, journées, années, qui crée l’adulation devant laquelle « nous sommes tous égaux ». Rien à espérer dans ce cas en matière de justice sociale.
Pour en faire la critique, trop facile pourtant la voie du mépris, même si devant la médiocrité et la perte d’esprit critique il nous arrive de tomber plus que d’habitude dans ce travers par lequel on catégorise et fige l’individu qui n’aurait que fait un « choix », dont il est dès lors seul responsable; mais trop facile aussi de n’y voir qu’une victime passive d’un système au déterminisme irrémédiable. La vérité se situe sans doute entre les deux.
Nous ne pouvons donc nous résoudre à n’y voir qu’un « effet de foule », une résultante logique de ce que « le peuple » aurait demandé, dans tous les cas, mais plutôt l’effet conjoint de structures médiatiques délétères et nocives, de politiciens professionnels qui n’ont plus rien à proposer que toujours le même offert et retourné sous d’autres formes qui cachent le même fond, et de sujets dépolitisés à la recherche de collectif, plus prompts à se jeter dans des expédients faciles d’accès?
Qui, pourtant, ne trouveront de voies prometteuses dans le spectacle moderne. Fût-ce t‑il « belge ».
Alexandre Penasse