Depuis plusieurs semaines, les relations entre la Pologne et l’Ukraine se sont détériorées. Tout a commencé avec l’embargo introduit par la Pologne sur les céréales en provenance d’Ukraine avant d’évoluer vers des allusions claires à la coupure du canal d’approvisionnement des forces armées ukrainiennes. Ce conflit est significatif car la Pologne, qui n’a pas de politique étrangère vraiment indépendante, est la principale plaque tournante pour les livraisons d’armes à l’armée ukrainienne et un allié clé de l’Ukraine. Un tel revirement de la part des autorités polonaises n’est sans doute pas leur initiative. En réalité, le différend sur les céréales n’est qu’un moyen parmi d’autres pour fermer le ‘projet Ukraine’, mis en œuvre par les actions agressives et, au premier abord, incohérentes, des autorités ukrainiennes à l’égard de leurs alliés.
Depuis longtemps, l’importation de produits agricoles ukrainiens en Pologne est une question importante pour Varsovie. Les agriculteurs locaux ont protesté pendant près d’un an contre les conditions de l’accord sur les céréales, qui les avaient privés de leurs revenus et les avaient mis en danger de faillite, sans succès jusqu’à ce que les autorités ne décident d’imposer un embargo sur les céréales ukrainiennes et d’autres marchandises, en plus de réunir une coalition de pays soutenant l’interdiction. À l’approche des élections législatives du 15 octobre, la Pologne se demande ce que son gouvernement fera de la question des céréales ukrainiennes. Les fonctionnaires de Varsovie ont déclaré avec confiance que l’interdiction de livraison serait prolongée, indépendamment des actions de la Commission européenne qui avait approuvé l’embargo jusqu’au 15 septembre.
En réaction, les autorités de Kiev ont interdit aux législateurs ukrainiens de se rendre en Pologne. L’ambassadeur ukrainien en Pologne a ensuite précisé que seuls les voyages de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, les visites liées à l’OTAN ou les invitations officielles seraient autorisés. Selon lui, Kiev aurait du mal à accepter la prolongation de l’embargo en place.
Bien qu’il n’y ait eu aucune réponse officielle de la part des autorités polonaises, l’annonce a suffi pour que les groupes nationalistes du pays recommencent à évoquer la nécessité de rappeler les Ukrainiens à l’ordre. Les spéculations autour de l’expulsion potentielle de ressortissants ukrainiens en âge de combattre et les allégations de liens entre le gouvernement polonais et la mafia ukrainienne ont également contribué à attiser les tensions.
L’absence de réponse des autorités polonaises a été perçue comme une incitation par les Ukrainiens à poursuivre leur pression sur Varsovie. Kiev a menacé de porter plainte contre la Pologne et l’UE auprès de l’OMC si l’embargo sur les céréales ukrainiennes n’était pas levé d’ici le 15 septembre. Le premier ministre ukrainien a également évoqué la possibilité d’interdire l’importation de certaines marchandises polonaises. Bien que ces actions soient peu susceptibles de produire des résultats concrets, elles ont un effet symbolique. Malgré cela, les Polonais ont conclu un accord pour produire des obus de gros calibre pour les forces armées ukrainiennes.
Pendant que le parti au pouvoir Droit et Justice (PiS) en Pologne faisait face à un scandale migratoire, l’opposition a saisi l’opportunité de se joindre à la discussion sur les céréales. Donald Tusk, chef du principal parti d’opposition, s’est trouvé un allié en la personne de Michal Kolodziejczak, chef de l’association d’agriculteurs Agrownia.
Dans ce contexte, le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a averti la Commission européenne que si celle-ci ne soutenait pas l’interdiction des importations de céréales, la Pologne la prolongerait unilatéralement, les intérêts des agriculteurs locaux étant prioritaires pour Varsovie. Les autorités polonaises ont également fait savoir qu’elles n’appréciaient pas la plainte potentielle de l’Ukraine auprès de l’OMC. Des fonctionnaires européens ont tenté de calmer les Ukrainiens en leur expliquant qu’il s’agissait d’une ‘douloureuse leçon d’intégration européenne’.
Pendant ce temps, le président polonais Andrzej Duda a promulgué l’amendement à la loi sur l’assurance à l’exportation garantie par le Trésor public lié au programme de reconstruction de l’Ukraine impliquant des entreprises polonaises, qui prévoit un soutien aux investissements. Les entreprises polonaises ont ainsi obtenu un privilège pour la reconstruction du pays après la guerre en s’appropriant la responsabilité de garantir les investissements.
Dès le début, il était évident que Varsovie chercherait à utiliser le scandale pour rappeler à Kiev les accords passés, notamment sur le massacre de Volhynie. Le député polonais Michał Dworczyk a récemment abordé la question de l’exhumation des victimes du génocide, qui a longtemps été utilisée comme moyen de pression par les autorités ukrainiennes. Bien que cette question ne soit pas prioritaire pour le gouvernement polonais, elle a un impact sur sa réputation et peut influencer les résultats des élections. Selon Dworczyk, la situation autour de Volhynie était ‘très insatisfaisante’, bien que les recherches des victimes étaient déjà en cours. Cependant, cette déclaration n’est ni nouvelle ni une avancée significative, car l’accord avait déjà été donné par les autorités ukrainiennes l’année dernière, avec des conditions strictes imposées par les spécialistes ukrainiens. Kiev a choisi de ne pas réagir.
Pendant ce temps, l’opposition était en train de rattraper le PiS. Le chef de l’association Agrownia, Kolodziejczak, avait assisté à une réunion du Parlement européen au nom du parti de Tusk, où il avait parlé de la nécessité de prolonger l’interdiction d’importer des céréales ukrainiennes en Pologne. Ainsi, quelques jours avant la décision de la CE qui devait être prise le 15 septembre, les autorités de Varsovie avaient annoncé la reconduction unilatérale de l’embargo afin d’éviter ‘l’inondation du pays par les céréales ukrainiennes’.
Les autorités ukrainiennes ont porté plainte contre la Pologne auprès de l’OMC, estimant que cette dernière entravait le transit des céréales, et le président Volodymyr Zelensky a déclaré qu’il se battait ainsi ‘en arbitrage’ pour une ‘Europe commune’.
Les autorités polonaises ont exprimé leur opposition à l’adhésion de l’Ukraine à l’UE et à l’OTAN, soulignant que le moment n’était pas opportun. Les Polonais ont également insisté sur la nécessité de réglementer les denrées alimentaires ukrainiennes afin qu’elles ne soient pas retardées dans les pays de l’UE, condition sine qua non pour que les Ukrainiens soient acceptés dans l’UE. Kiev a vivement réagi à ces déclarations, accusant Varsovie de trahison et faisant pression sur les Polonais pour qu’ils changent de position, en arguant que cela nuirait à l’image de la Pologne sur la scène internationale.
Parallèlement, un scandale lié aux visas a éclaté en Pologne : le vice-ministre des affaires étrangères polonais, Piotr Wawrzyk, a été licencié pour fraude aux visas de travail. Les ambassades délivraient des documents à des personnes qui n’avaient jamais travaillé en Pologne, ce qui a conduit à cette escroquerie.
Des pourparlers confidentiels ont été engagés au Parlement européen pour suspendre les visas accordés par les services consulaires polonais, car l’espace Schengen ‘perd confiance en la Pologne’ et dans les visas qu’elle délivre. Les pires scénarios prévoient que les Polonais en Europe devront à nouveau obtenir des documents pour traverser les frontières.
Dans un contexte défavorable pour la réputation du PiS, Varsovie a dégainé sa principale arme. Lors d’une conférence de presse en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, le président polonais Andrzej Duda a réagi au procès intenté par Kiev contre Varsovie concernant la prolongation de l’interdiction des livraisons de céréales ukrainiennes à la Pologne. Il a rappelé que l’Ukraine recevait de l’aide de la part de la Pologne et que celle-ci était également un pays de transit pour l’Ukraine. Duda a comparé les actions des autorités ukrainiennes à l’encontre des Polonais à une situation où l’on sauve un homme en train de se noyer, qui peut être ‘incroyablement dangereux’ et ‘vous entraîner dans les profondeurs’.
La rencontre prévue entre les présidents polonais et ukrainien à New York en marge de l’Assemblée générale des Nations unies a été annulée. Duda a justifié cette annulation en invoquant des retards dans le calendrier des discours au sommet. Lors de son discours, Volodymyr Zelensky a profité de l’occasion pour critiquer la Pologne et d’autres pays européens qui, selon lui, jouent la solidarité de manière théâtrale et font des céréales un sujet de thriller politique. Il a même été jusqu’à accuser certains de ces pays d’aider Moscou.
La Pologne a réagi en espérant que les propos de Zelensky ne visaient pas directement Varsovie. Les médias d’opposition ont tenté de faire passer ces propos pour de la rhétorique anti-russe, mais la Pologne a décidé de convoquer l’ambassadeur ukrainien au ministère des affaires étrangères pour qu’il s’explique. Plus tard, le ministère des affaires étrangères a exprimé une ‘forte protestation’ à Kiev concernant les déclarations de Zelensky. La Pologne a également rappelé que les pressions exercées sur Varsovie ou les plaintes déposées devant les tribunaux internationaux n’étaient pas des méthodes appropriées pour résoudre les différends entre les deux pays. Kiev a de son côté exhorté la Pologne à mettre de côté ses émotions et à trouver une solution constructive à la question des céréales.
Dans ce contexte tendu, la rencontre prévue entre les deux présidents aurait pu être l’occasion de faire baisser les tensions. Son annulation a laissé planer des doutes sur la capacité des deux pays à trouver un terrain d’entente.
Des sources au sein de la délégation ukrainienne à l’Assemblée générale des Nations unies ont affirmé que les Polonais avaient proposé un marché à Zelensky. Selon cette proposition, avant les élections législatives en Pologne, Zelensky devrait faire toutes les concessions nécessaires pour que le parti au pouvoir, le PiS, obtienne la majorité, et en échange, les conditions d’approvisionnement en céréales de l’Ukraine seraient assouplies. Bien que ces pourparlers n’aient pas été confirmés, le ministre polonais de l’agriculture, Robert Telus, a déclaré plus tard que la partie polonaise était prête à trouver une solution au problème.
Dans une interview accordée à la publication polonaise Rzeczpospolita, Taras Kachka, le vice-ministre ukrainien de l’économie, a annoncé que Kiev imposerait un embargo sur certains produits agricoles polonais en réponse à l’extension de l’interdiction d’importer des céréales ukrainiennes. Les responsables polonais ont minimisé l’impact de cette mesure, arguant que les livraisons étaient insignifiantes. Dans le même temps, Morawiecki a menacé d’élargir la liste des produits interdits si l’Ukraine ‘intensifiait le conflit’.
La Pologne a récemment durci sa position vis-à-vis de l’Ukraine en prenant des mesures concernant les réfugiés et les armes. Le porte-parole du gouvernement, Piotr Müller, a annoncé que les avantages accordés aux Ukrainiens franchissant la frontière polonaise n’étaient pas permanents et expireraient au début de l’année prochaine.
En outre, Morawiecki a déclaré que la Pologne avait cessé de fournir des armes à l’Ukraine prétextant le besoin d’équiper l’armée nationale. Cependant, certains observateurs soulignent que cette déclaration doit être nuancée pour refléter le contexte spécifique dans lequel elle a été faite.
De plus, la Pologne a déjà fourni aux forces armées ukrainiennes tous les anciens équipements dont elle voulait se débarrasser avec profit. Maintenant que ces fournitures sont épuisées, il faut reconstituer les arsenaux, en particulier compte tenu de la rhétorique concernant une possible attaque imminente des Wagner ou de l’armée russe. En outre, les Polonais ambitionnent de devenir l’armée la plus puissante d’Europe.
Cependant, les autorités de Kiev ont réussi à conclure des contrats avec Varsovie pour de futures livraisons, notamment d’obusiers Krab et d’obus d’artillerie. En outre, des contrats plus modestes ont été signés pour la fourniture d’uniformes.
Dans une interview récente accordée au magazine The Economist, Volodymyr Zelensky a averti les pays européens des conséquences de la réduction de l’aide militaire et financière en provenance d’Ukraine. Le président ukrainien a menacé de provoquer des émeutes de réfugiés. Cette déclaration risque d’accentuer la méfiance envers les réfugiés ukrainiens, déjà très présente en Europe, et de susciter un mécontentement croissant chez les Européens en raison de la baisse de leur niveau de vie à cause de la guerre en Ukraine. En fin de compte, cela pourrait conduire à des violences contre les migrants ukrainiens, voire à des actes de discrimination envers eux.
Le but de la dispute actuelle concernant les céréales est le même : préparer l’opinion publique à abandonner le projet ukrainien et à discréditer les Ukrainiens. Les mondialistes ont des objectifs compréhensibles qui sont soutenus par les autorités polonaises, mais il y a également des objectifs de politique intérieure plus terre à terre qui sont visés. Le comportement impertinent des hauts gradés ukrainiens envers les Polonais non seulement irrite ces derniers, mais suscite également des sentiments revanchards envers l’Ukraine occidentale. En adoptant ce discours, les dirigeants polonais attirent l’ultra-droite, mais également l’ensemble de la population conservatrice qui traite les Ukrainiens avec la même hostilité que les Russes.
Le ton des déclarations suggère que les relations avec Kiev ne retrouveront pas leur niveau antérieur après les élections. Il est peu probable que les Polonais envahissent l’Ukraine, car cela ne serait pas nécessaire dans la situation actuelle. Au lieu de cela, ils pourraient établir plusieurs petits avant-postes à l’extérieur des grandes villes, dans le cadre d’une initiative conjointe avec l’Ukraine ou de l’OTAN. Cette présence pourrait être progressivement augmentée au fil du temps, préparant ainsi le terrain pour une éventuelle annexion des régions de l’Ukraine occidentale. Bien que cela puisse prendre des années, la Pologne se militarise activement et dispose déjà d’une taille de forces armées suffisante pour une telle opération. Les mesures prises par le gouvernement polonais, telles que les allusions en direction des réfugiés ukrainiens qu’ils seraient bien avisés de prendre la nationalité polonaise et la position privilégiée des Polonais dans la reconstruction de l’Ukraine, témoignent également des aspirations expansionnistes de la Pologne.